Éditions Albin Michel, 425 pages, mai 2025.

 

J’avais beaucoup aimé « la carte postale » donc quand ma sœur m’a prêté ce roman, j’étais très impatiente de le lire. Mais j’avais senti sa légère réticence qu’après ma lecture, j’ai bien comprise. J’ai aimé cette lecture, et j’ai lu certains passages avec beaucoup de plaisir, mais ce récit est beaucoup moins fort que son roman à propos de la famille juive de sa mère.

Anne Berest s’est fait une spécialité du roman familial, dans « la carte postale » elle explore la branche maternelle, et ici, la branche paternelle. Son père est natif de Brest et son arrière grand père a fondé une coopérative à Saint-Pol de Léon pour défendre les intérêts des maraichers de cette région productrice d’oignons, de choux-fleurs, de pommes de terre et un peu plus loin, des fraise. Son grand-père a fait de longues études, il est passé par la classes préparatoires d’Henry IV à Paris, mais a raté Normal sup, il est devenu professeur de lettres classiques et aussi maire, puis député de Brest, son père est scientifique et a été reçu à Polytechnique et est un chercheur en mathématiques.

C’est le squelette de cette famille, mais la chair vient de ce qu’Anne Berest nous raconte : l’engagement de son arrière grand père dans le monde agricole, pour que les paysans soient payés correctement pour les produits qu’ils cultivent, la vie de son grand-père qui, élevé chez les frères découvrira que son éducation lui a caché un certain nombre de richesses culturelles. Au passage, j’ai appris que chez les frères on pouvait lire l’Illiade mais pas l’odyssée , car les émois amoureux d’Ulysse pouvaient troubler les jeunes lycéens. Son arrivée à Henry IV sera pour lui un choc culturel terrible et il n’arrivera jamais à combler son retard en philosophie, d’où son échec à Normal sup. (Et c’est aussi à cause de la philo qu’Anne Berest n’a pas réussi le concours de Normal sup.)

Pour présenter son père, Anne Berest peut questionner une personne vivante, mais hélas atteinte d’un cancer qui le fera mourir prématurément. Ce roman familial se construit, donc, avec deux temporalités : la maladie de son père, et la construction de ce jeune homme scientifique de grande qualité.

J’ai vécu cette époque et l’engagement de son père, je le connais bien. D’abord la lutte pour la paix au Vietnam, puis la rencontre de gens plus politisés qui voyaient dans cet élan de la jeunesse française un moyen de les amener vers des postions révolutionnaires. Son père a choisi les trotskystes et a soutenu Alain Krivine aux élections présidentielles et ce n’est pas son score de 1,3 % qui le fera renoncer à ses convictions mais qu’un jeune ouvrier, Pierre Overney, trouve la mort dans une manifestation le fera douter des appels aux actions violentes.

C’est un livre qui se lit facilement, mais sans beaucoup de passion. Le chagrin d’Anne Berest est sincère et tous ceux et celles qui ont connu la perte d’un parent ou d’un proche d’un cancer reconnaîtront des moments qu’ils ont vécus. La plongée dans sa propre famille permet de revisiter la Bretagne depuis le début du XX° siècle, et en particulier suivre le parcours de ceux qui ont réussi grâce aux études. On sait depuis l’étude d’Edgar Morin que la Bretagne a fourni un des plus fort taux d’agrégés à la France.

Pourquoi ai-je des réserves sur ce roman ? Je trouve que, soit cette famille n’est pas très intéressante, soit elle n’a pas su la rendre intéressante. On sent qu’elle veut absolument être objective et ne rien rendre sensationnel, mais elle n’a pas évité un aspect froid à son récit.

 

Extraits.

 

Début.

 Chaque été nous quittions notre banlieue parisienne pour la Bretagne, le pays de mon père, celui où il était né, ainsi que son père, et le père de son père avant lui.
 Le voyage débutait gare Montparnasse, sous les fresques murales de Vasarely, leurs formes répétitives, leurs motifs cinétiques, dont les couleurs saturées s’assombrissaient sous une couche noire de pollution.

Chapitre 1.

 Au début du XX° siècle la France connut deux grandes modes : le chapeau canotier et l’artichaut breton, un chardon gros comme une pomme, qu’il faut d’abord déshabiller de ses feuilles et du foin dru de sa barbe avant de pouvoir le porter à ses lèvre. Soudain le « camus » s’imposa sur les tables des restaurants parisiens, dans la cuisine des ménagères, éclipsant son principal concurrent, plus petit, plus précoce aussi : le malheureux violet provençal.

Portrait de son père.

 

 Mon père était un homme qui ne faisait jamais rien comme les autres. Il avait du mal avec le côté pratique des choses, avec la vie matérielle en général.
 En revanche ils pouvaient contempler, des jours entiers, la grâce de certains calculs. C’était un homme vivant dans un monde parallèle, mathématique, le seul dans lequel il semblait se sentir pleinement heureux, méditant intérieurement des relations d’égalité entre des valeurs.
 Il parlait peu, mais glissait sans effort des équations arithmétiques au récit des grands matchs de football, évoquant la grâce fulgurante d’un geste sportif, à la manière dont un corps s’élance dans l’espace ou sur un terrain de jeu, comme un très parfait porté par une intention plus vaste que lui.

Cela me rappelle de vieux souvenirs.

 Les combattants du Vietnam sont là pour rappeler aux étudiants des nations opulentes que leurs conforts trouvent son fondement dans l’exploitation impérialiste des pays ex-coloniaux. Nous avons la chance de ne pas subir de guerres dans notre pays. Le combat a lieu ailleurs, par conséquent nous devons être les résistants d’une guerre qui a lieu sur un autre territoire, et notre participation au monde implique un engagement et une lutte active en France. Nous devons être en quelque sorte le véhicule à travers lequel l’histoire se manifeste.

Le couple de ses parents.

 

 Je n’avais jamais vu mon père planter un seul clou avec un marteau, ni monter un meubles en kit. Aussi croyais-je que le bricolage, comme la conduite était une activité réservée aux femmes. Je me souviens exactement du jour où ma mère a reçu sa perceuse commander par correspondance dans le catalogue de la CAMIF, la centrale d’achat pour les enseignants.
Lorsque Lélia leva le bras pour la brandir comme un pistolet, je ressentis une émotion, une épiphanie brutale et lumineuse. Ma mère fit pénétrer la mèche dans le mur, sans sourciller avec une détermination qui ne demandait aucune permission.
Le monde était ainsi fait. Notre monde Celui des femmes qui bricolant. Et des hommes qui rêvent.

 

 


Éditions Points, 309 pages, avril 2025 (première édition 2008)

Traduit de l’hébreu (Israël) par Valérie Zenatti.

 

C’est le troisième roman de cet auteur sur Luocine : « L’histoire d’une vie » et « Des jours d’une stupéfiante clarté« . Cet écrivain a été, à jamais, marqué par son enfance dont il a témoigné dans les trois romans que j’ai lus de lui.

Ici, il s’agit encore une fois d’une famille juive éduquée et qui se sentait très bien acceptée par la population d’une ville qui pourrait être Bucarest. Les parents du jeune Hugo sont pharmaciens, et la mère d’Hugo met tout son courage et son grand cœur au service des plus pauvres de la ville. Lors de l’occupation allemande, les nazis bien aidés par des habitants antisémites, chassent tous les juifs qui ont essayé d’échapper aux rafles. La mère d’Hugo a la bonne idée de demander à la seule femme en qui elle a entièrement confiance de cacher son fils : il s’agit de Mariana une prostituée qui exerce sa profession et vit au bordel de la ville.

Le roman peut commencer, et c’est vraiment très bien construit sur le plan littéraire. Cet enfant qui va passer deux longues années dans un placard voit, à travers, les lames des planches mal jointes du cagibi, la chambre de Mariana. La chambre elle-même, lui apparaît comme un endroit proche du paradis. L’enfant vit de longues journées seul, et lui revient en forme de rêves un peu hallucinés, sa vie d’avant et pour le lecteur c’est le moyen de connaître trois personnages : sa mère, cette femme remarquable qui jusqu’à la fin, elle veut donner les mêmes leçons d’humanisme à son fils. On connaît moins son père, mais très bien son oncle ; un homme brillant qui a malheureusement rencontré l’alcool et qui n’a pas rempli les espoirs que tout le monde a mis en lui.

La vie de l’enfant caché, c’est aussi arriver à comprendre la vie de Mariana, peu à peu il comprendra le rôle des hommes qui visitent cette femme toutes les nuits. Et puis, il apprendra à aimer cette femme au caractère instable, et vivra auprès d’elle l’éveil de sa sexualité. Cette réalité sexuelle d’une femme mûre avec un enfant de 12 ans m’a dérangée et je me suis demandé si la situation avait été inversée le roman aurait-il été accepté. (Si c’était une jeune fille de 12 ans qui aurait vécu ses premières expériences sexuelles avec un homme de 40 ans qui l’aurait cachée ! !) Tout cela est écrit avec l’impression qu’Hugo voit bien que sa survie est de plus en plus menacée par les Nazis et leurs amis qui, jusqu’au dernier jour de l’occupation allemande, ont cherché les juifs qui ont échappé à la déportation pour les assassiner.

Enfin la dernière partie, on voit l’arrivée des Russes et la prise du pouvoir de membres du parti communiste qui se disent stalinien et qui se dépêchent de punir tous ceux qui étaient proches des Allemands donc bien sûr les prostituées, que Mariana ait caché un enfant juif est bien peu de poids face à l’accusation d’être une femme qui a couché avec des Allemands ! Comme toujours les hommes les plus violents sont ceux qui ont été leurs clients et qui ne veulent surtout pas que leur femmes puissent l’apprendre.

Un grand écrivain qui a su expliquer au monde ce qu’il s’est passé dans les pays slaves où toute une population juive a disparu lors du Nazisme.

 

Extraits

Début.

 Hugo aura onze ans demain. Anna et Otto viendront pour son anniversaire. La plupart des amis d’Hugo ont été expédiés dans des villages lointains, et les rares autres le seront bientôt. La tension dans le ghetto est vive, mais personne ne pleure. Les enfants devinent au fond d’eux-mêmes ce qui les attend. Les parents contiennent leurs émotions afin de ne pas semer la peur, mais les portes et les fenêtres n’ont pas cette retenue, elles sont claquées ou poussées nerveusement. Le vent s’engouffre partout.

L’enfant caché.

 En plein jour il pouvait deviner entre les lattes les prairies où les chevaux et les vaches paissaient des champs gris, et deux bâtiments à colombages. Il avait même aperçu des enfants aller à l’école. C’est étrange tous les enfants vont à l’école, et moi j’en suis privé. Pourquoi m’inflige-t-on une telle punition ?
 Parce que je suis juif, se répondit-il. 
Pourquoi sommes-nous punis ?
 À la maison on ne parlait pas de cela. Une fois, il avait demandé à sa mère comment on savait que quelqu’un était juif. 
Elle avait répondu simplement :
– Nous ne faisons pas la différence entre ceux qui sont juifs et ceux qui ne le sont pas.
– Pourquoi chasse-t- on les Juifs ?
– C’est un malentendu. 
Cette explication incompréhensible s’était fichée dans sa tête. Il essayait à présent de retrouver où s’était nichées cette réponse et l’incompréhension qu’elle avait suscitée. 
– C’est la faute des Juifs ?
– On ne doit pas faire de généralités, avait doucement répondu sa mère.

Les derniers mots de la lettre de sa mère ?

J’imagine que l’acclimatation a ta nouvelle vie n’est pas facile. Je t’en conjure : ne désespère pas. Le désespoir est une défaite. J’ai cru, et je crois encore que la bonté et la foi triompheront du mal. Pardonne à ta mère son optimisme en ces heures obscures. Je suis ainsi, tu me connais, il faut croire que c’est ainsi que je serai toujours. 
Je t’aime très fort ,
mam

 

 

 


Éditions Folio, 214 pages, février 2023.

Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.

 

Je crois avoir noté toutes celles qui ont dit du bien de ce roman, mais si j’en ai oublié, je les rajouterai : Violette, Keisha, Ingannmic, Eva et enfin, Athalie.  Et je suis ravie d’annoncer que je sors enfin ce titre de ma liste de livres à lire.

 

Je ne peux que rajouter ma voix aux leurs. C’est un roman écrit d’un ton tout en douceur , qui raconte, pourtant, des faits d’une violence absolue : un accident qui rend un enfant de 13 ans aveugle avant d’en mourir.

Mais avant, avec les deux frères jumeaux, Klass et Kees, nous allons remonter le temps, le temps heureux de l’enfance, et des jeux partagés avec un chien, Daan, qui est très attaché à Gerson, le personnage principal de cette histoire. Le père élève seul ses trois fils car sa femme est partie en Italie. Elle envoie quelques cartes aux anniversaires et à Noël.

Le récit commence par leur jeu préféré : « le noir ». Il s’agit de designer un endroit du jardin, ou de la maison, et à partir d’un arbre, en fermant les yeux, essayer de retrouver cet endroit. Un jour, en allant chez les grands-parents, le père et les enfants, dans un éclat de rire, se moquent de Gerson qui affirme que les fleurs des poiriers sont blanches (d’où le titre !), dans un moment d’inattention, le père brule la priorité à une autre voiture, et c’est l’accident terrible qui blesse gravement celui qui était à droite du chauffeur : Gerson.

Après huit jours de coma, et l’ablation de la rate, le médecin ne pourra malheureusement pas lui sauver les yeux. Définitivement aveugle , l’enfant n’a plus envie de vivre.

Voilà le récit mais je ne dis pas grand chose du charme de ce roman triste mais si beau. L’auteur écrit a la hauteur des protagonistes et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette écriture, la voix du petit Gerson est inoubliable et permet d’entrer de plain pied dans le drame de cette famille.

Je crois que je préfère les voix qui disent de façon douce, des choses terribles, pour moi cela rajoute au drame.

Extraits.

Début.

 Nous y jouions, avant. Nous y avons joué pendant des années. Jusqu’à il y a six mois, où nous y avons joué pour la dernière fois. Après, cela n’avait plus beaucoup de sens. Nous commencions toujours dehors, au pied du vieux hêtre devant la fenêtre du salon. Le hêtre était notre point de départ. Nous posions une main sur l’écorce, puis en général c’était Klaas qui lançait le compte à rebours. Klass est l’aîné d’entre nous. Klass a dix minutes de plus que Kees. Gerson a trois ans de moins que nous et est arrivé seul, sans frère jumeau. Il a des frères jumeaux, nous, Klass et Kees.

Vision de l’Italie du père de famille (leur mère est partie vivre avec un autre homme en Italie) .

L’Italie est un pays très laid, a dit Gérard. Il fait torride là-bas, les Italiens sont des gens pénibles et criards, dont le passe-temps favori est de vous renverser sur leurs scooters ridicules, tu dois t’accroupir pour faire caca, tu attrapes une intoxication alimentaire, ou en tout cas une diarrhée carabinée, ils ne parlent que l’italien et refusent de parler anglais ou néerlandais, il y a toujours des feux de forêt, qu’ils allument en général eux-mêmes les trains sont toujours en retard, tout et tout le monde est toujours en retard, les serveurs aux terrasses sont grossiers, à moins de l’enchaîner à ton corps tu te fais piquer ton portefeuille en moins de deux, et quand tu veux visiter un musée, tu peux être sûr qu’il est fermé pour travaux.
 – Tu es déjà allée en Italie ? a demandé Gerson.
– Très peu pour moi. Je ne suis pas fou.

Devenir aveugle.

 Quand je rêve, je vois. Les rêves s’en moquent que je sois devenu aveugle. Je me demande comment ça se passe chez les aveugles ds naissance.

Détail pratique.

 » Gerson pourquoi tes caleçons sont-ils toujours si sales ? »
 Anna. Heureusement que les autres ne sont pas là pour entendre
 « Je suis aveugle, dis- je.
– Et on a toujours des caleçons sales quand on est aveugle ?
 – Je ne vois plus le papier toilette » dis-je , et je suis vraiment content de ne pas le voir c’est la première fois que je suis content de ne rien voir.
 » Tu ne t’essuies plus le derrière ? »
 Elle ne comprend pas. Et elle dit « derrière » un mot typique de grand-mère.
 » Avant, dis-je, avant je regardais toujours le papier toilette après m’être essuyé (j’aurais voulu ajouter « le cul », mais je préfère quand même tourner autour du pot) pour voir si je devais encore m’essuyer une fois avec un nouveau morceau de papier. Ou deux fois. 
– Ah bon

On le comprend si bien, ce petit Gerson.

Je sais que je me suis montré infect le jour de mon anniversaire. Je n’y peux rien, une fois que je commence il n’y a plus moyen de revenir en arrière. Je sens bien que ça rend les autres tristes. Du coup, je deviens encore plus désagréable, sinon je devrais dire que je suis désolé et ça je n’en suis pas capable pour le moment. Une fois que je commence, il n’y a plus moyen de revenir en arrière.

 

 


Éditions J’ai lu, 406 pages, juillet 2025.

J’avais adoré « l’art de perdre« , et je n’ai donc pas hésité à choisir ce roman. Je me suis accrochée de toutes mes forces à ce récit, et puis quand je suis arrivée au moment où une re-visitation du passé de ce territoire à travers une expérience magique qui permet au personnage principal de retrouver tous ses ancêtres , l’auteure m’a complètement perdue. Je pense que pour comprendre ce qu’il se passe en Calédonie et écrire un roman sur ce sujet, il ne suffit pas de travailler sérieusement sur la partie historique. Il faut pour cela comprendre de l’intérieur ce pays, et sans doute, on attend encore le grand écrivain Kanak, qui réveillerait la mauvaise conscience française. Pour la Nouvelle Calédonie, la colonisation se double de la présence du bagne. Et à ce moment là je me suis sentie une nouvelle fois flouée : Alice se sert de son origine Kabyle, pour s’approprier l’histoire de la Nouvelle Calédonie. En effet, des rebelles arabes ont été déportés sur cette île au bagne qui a existé de 1864 jusqu’en 1924.

 

Tass le personnage principal est à la recherche d’elle même et se remet difficilement d’une rupture amoureuse en France. En retournant vers ces racines, elle cherche à comprendre les Kanaks et leur volonté de s’approprier leur territoire. Au bout de 200 pages assez laborieuses, elle part enfin à la recherche de deux de ses élèves jumeaux qui ont disparu. Et c’est là qu’elle rencontre un petit groupe qui cherche à faire prendre conscience aux Blancs de Nouvelle Calédonie qu’ils leur ont volé leur île et leur façon de vivre en harmonie avec la nature. C’est dans cette démarche qu’elle retrouvera ses racines « arabes » et que le personnage principal du roman rejoint la vie de l’auteure. J’ai déjà dit en introduction ce que j’en pensais.

Bref, ce roman ne m’a pas appris grand chose sur ce pays et la façon dont l’auteure le raconte m’a vraiment déçue. Je ne suis pas la seule (à être déçue) Géraldine me rejoint et son avis est très intéressant.

Extraits

Début.

 C’est une distance qui ne s’avale pas. D’ailleurs aucune distance ne s’avale. Il faudrait qu’elle arrête d’utiliser cette expression, elle ne sait pas d’où elle vient, elle ne sait pas à qui elle l’emprunte quand elle pense dans ces termes – peut-elle même prétendre qu’elle pense ? Au mieux, elle fait du patchwork avec des vieux chiffons de mots qui lui traînent dans les coins du crâne.

La nouvelle Calédonie et la destruction de la nature.

Quand son père racontait la vie de la Grande Terre, elle paraissait inépuisable. Tass est persuadée qu’il n’aurait pas supporté de la découvrir si fragile, menacée, au bord de l’extinction. La lenteur nécessaire à l’écosystème ne s’est révélé que récemment, elle a été lente à se montrer où peut-être que les humains ont été lents à comprendre  :
pour qu’une tortue atteigne la maturité sexuelle, il lui faut trente ou trente-cinq ans,
pour qu’une forêt repousse, ces forêts-là, celles qui peuvent croître dans des sols saturés de fer et de métaux lourds, il faut sept cent cinquante ans,
pour qu’une espèce évolue de manière à se défendre contre des prédateurs, il faut un temps si long et si aléatoire que personne ne peut vraiment l’estimer. 

Les grands immeubles peu adaptés au pays.

 L’état français a répondu au problème local de manière automatique, comme chaque fois qu’il a fallu traiter en urgence une question de logement social depuis la Seconde Guerre mondiale : avec des tours (il aurait aussi pu proposer des barres, bien sûr, mais pour des raisons que Tass ignore la Calédonie n’a hérité que des tours). Les immeubles de Magenta beiges ou gris en fonction de la lumière, ressemblent à un petit morceau de banlieue française qu’on aurait planté là, tout seul, en rase campagne, en ignorant qu’il ne répond à aucune des caractéristiques d’un mode de vie océanien. Les premières années, les tours avaient au moins le charme de la modernité, l’attrait du neuf. Mais depuis des décennies, les associations d’habitants se plaignent de leur dégradation, les jeunes désœuvrés qui y mettent le bazar et des appartements vacants dont les balcons sont pris d’assaut par des oiseaux diarrhéiques et bruyants.

Introduction de l’écrivain dans son propre roman.

 Imaginons ici que Tass, en tombant dans le trou d’eau, soit non seulement entrée dans une version du temps qui lui permette de voir ses ancêtres, mais qu’elle soit aussi entrée dans une dimension qui lui permette de basculer hors de ce roman. Imaginons que, chaussures mouillées et peau fripé, elle puise entrevoir les raisons pour lesquelles le livre qui la raconte, elle, a été écrit.
 Elle me verrait alors, moi, à Bouraï ou à Nouméa, en 2019, rencontrant à plusieurs reprises des hommes ou des femmes qui me disent  : nous sommes peut-être cousins. Elle me verrait rire de façon un peu embarrassée trop aiguë ou trop fort, comme une personne qui n’est pas sûre de comprendre la blague. J’ai appris, deux jours avant seulement, que des Kabyles avaient été déportés, transportés et relégués en Nouvelle-Calédonie.
 Mais la question est posée est-ce que nous pourrions être cousin ?

Éditions Philippe Rey, 205 pages, août 2025.

J’ai entendu cet écrivain à la radio, et sa façon de parler de son roman m’a donné très envie de lire son livre. Et je le remercie de me faire renouer avec un grand plaisir de lecture.

Le personnage principal, Salmane a 36 ans, il vit encore chez ses parents dans une cité de banlieue qu’il appelle la « caverne, son père Hédi est à la retraite et a été toute sa vie un ouvrier courageux et sa mère Amani a fait une carrière dans les ménages. Un jour les deux hommes de la maison se réveillent et Amani n’est plus là. Commence alors une recherche où chacun devra se retrouver. Et le voyage promet d’être long car tous les trois se sont perdus dans les méandres d’une vie qu’ils ont subie plus que choisie.

Salmane a eu une enfance heureuse et a fait de brillantes études, pour finir au RSA et travailler à temps partiel dans un restaurant marocain tenu par un Chinois et qui vend des sushis et des merguez, il traîne avec ses amis dans son quartier en particulier avec son copain de toujours Archie, qui est toujours là pour lui, l’inverse est moins vrai. Son père Hédi est l’ouvrier parfait qui a toujours soutenu son fils et qui ne comprend pas pourquoi celui-ci n’est pas allé jusqu’au bout de sa réussite scolaire et donc sociale. Il n’exige qu’une chose pour sa présence dans la maison : 500 euros par mois, on verra à la fin l’importance de ce loyer et le projet de ses parents. Enfin Amani, la femme et mère, qui fait tout dans la maison et que ni son mari ni son fils ne semblent voir. C’est son départ qui va provoquer une tempête qui met les deux hommes de la maison face à leurs insuffisances. J’allais oublier un personnage important de ce récit : La caverne. Ce quartier de banlieue et ses tours qui sont des endroits qui peuvent faire peur. On parle souvent de ce genre de quartiers aux actualités pour des histoires de violences, de drogues et misère sociale. Assez loin de ces clichés, la galerie de portraits de cette banlieue est un vrai régal d’humanité, Archie le copain au grand cœur, les amis du père d’Hédi qui fréquentent tous le café le Mascara, et qui se soutiennent en cas de coups durs.

On comprend dès le début qu’Amani a eu bien raison de partir pour réveiller ces deux égoïstes qui profitent d’elle sans lui rendre la pareille, ils ne l’ont pas aidée à rechercher son chat et ont même oublié son anniversaire.

Lors de la recherche de sa mère, Salmane revient sur sa vie et découvre les raisons des silences de ses parents sur leurs origines tunisiennes. Et on sent qu’il va reprendre sa vie en main avec le tout début d’un amour.

Un vrai beau roman qui soulève tant de problèmes de notre société, problèmes et richesses humaine aussi. Je dois aussi parler de la langue, au début le langage « jeune » m’a agacée et puis finalement je l’ai accepté mais surtout grâce à l’humour qui m’a souvent fait sourire .

Extraits

Début (pas mal)

Quatre heures se sont écoulées entre le moment où Hédi a raccroché et celui où il est venu m’avertir du coup de téléphone vers minuit. Mon père sait où me trouver. Après le turbin, je m’amuse au même endroit lugubre, dernière escale avant la forêt. Sa peau couleur pain d’épice a viré blanc, comme si un fantôme scandinave le possédait. La surprise réchauffe mon corps. Lui ? Ici ? Mes fesses sont aplaties sur le capot d’une voiture déglinguée, dont le toit sert de comptoir. Café, jus d’orange, Coca vodka. Hédi s’approche, mais pas trop. Avec sa paume, il m’ordonne de me redresser. Des noix de cajou m’échappe chape des mains. J’essuie mes doigts salés sur mon jeans et ma veste en cuir qui ne se ferme plus.

Première soirée de retraite de sa mère. Et humour triste de son fils.

Amani était restée devant la télé, jambes croisées sous une couette, avec son pull à capuche violet.
– Fils, on a le DVD du film de Clint Eastwood, quand l’autre blond allume une cigarette sur le dos d’un bossu ?
– Il est dans ma chambre…
– Ramène-le, je prépare deux cafés et on le regarde ?
Si c’était à refaire, j’aurais dit oui. Au lieu de ça, j’avais rejoint Archie et deux pote dans une voiture. On avait fumé et bu jusqu’au petit matin en écoutant les génériques des dessins animés du Club Dorothée.
Je suis un sous-fils.

Les ragots du quartier.

 À la minute où il est passé à table au Mascara le café du quartier) Hédi s’est téléporté dans ce qu’il a toujours dépeint comme son enfer sur terre : devenir le personnage principal des cancans, un objet de pitié, plaint, épié et moqué. C’est pour ça qu’il est si méconnaissable au milieu de tous nos meubles démontés. Mon père est en enfer et, une certaine façon, il a disparu aussi.

Un fils adulte dont la mère a toujours tout fait pour lui.

 Je classe mes affaires pour le voyage en suivant les consignes d’un tuto sur YouTube : je ne sais pas plier des sapes. Pour cinq cents euros par mois, j’étais épargné de toutes les responsabilités et de toutes les tâches. Je ne fais pas la vaisselle et j’ignore comment fonctionne une machine à laver. Je ne cuisine pas, ne fais ni mon lit ni les courses, ne repasse pas. Pendant cinq minutes j’ai essayé de plier un pull. Mais rien à faire les manches sont toujours de travers. De dépit, j’envoie un coup de coude dans le matelas. Je regarde mon bureau, mon lit et mes Schtroumpfs sur le sur le papier peint. Même si je revenais habiter ici pour toujours, rien ne serait comme avant. Reconstruire ma bulle serait impossible après tout ça – c’était un modèle unique. Le parfum de ma mère s’est dissipé. Je n’ai jamais connu ma chambre sans la mandarine. La nature à horreur du vide l’odeur de renfermée et de tabac l’a remplacée.

Je vois la scène.

 Archi prépare le gueuleton de nuit à base de pain grillé, de Chaussée aux Moine et de noix.


Éditions Pocket, 369 pages, février 2024 (première édition Éditions Escales 16 mars 2023)

 

Femme de marin, femme de chagrin.

J’ai décidé qu’une fois par mois je mettrai sur Luocine un livre pioché dans ma très, très longue liste noté sur la blogosphère. Le 22 juin 2024, j’avais dit à Athalie que je mettais ce roman dans ma liste suite à son billet. Voilà, je vais pouvoir le retirer de ma liste.

Ce livre raconte la tragédie des femmes, veuves ou orphelines qui ont vu leur père ou (et) leur fils périr en mer. Le début est prenant et la façon dont Perrine va injurier la mer de toutes ses forces, lorsque son fils meurt en mer est terrible. Elle a perdu son père, son mari puis son fils. Le début du roman voit comment Perrine a élevé son fils dans l’espoir qu’il ne prenne jamais la mer, lui, Jean ce petit si bon à l’école et qui écrit si bien. Il partira cependant et écrira le plus souvent qu’il le peut à sa mère ce qui permet au lecteur de suivre ses difficultés et ses voyages. Pendant la guerre 39/45, comme si la mer n’était pas assez dangereuse se rajoutent les avions anglais qui tirent sur les bateaux des pêcheurs. Puis, les Allemands qui laissent des mines et qui chassent les résistants. L’approche de la collaboration et de la résistance est bien imaginée, on est loin des récits héroïques où tout le monde trouve immédiatement le bon chemin à suivre. La résistance, c’est plus un hasard et aussi l’atrocité des nazis qui y conduit.

Ensuite, on suit le destin de Paulette la fille d’un homme qui s’est enrichi car il a su travailler avec les « Boches » pour construire le mur de l’atlantique. Cette Paulette au caractère bien trempé ne voudra pas empêcher Jean de partir en mer, hélas pour elle. L’immédiate après guerre est bien racontée et la différence entre Perrine la mère de Jean et Paulette en rivalité pour le même homme est bien vu

La dernière partie est pour moi beaucoup plus faible. Nous suivons Pierre le fils de Paulette et Jean, tous les deux vivent dans le Jura le plus loin possible de la mer qui, évidemment, va se venger et rattraper cette lignée.

Dans ce roman, il est presque dit que si les Bretons n’arrivent pas à vivre leur besoin d’aventures sur l’eau alors, il leur reste l’alcool comme « ptit Louis » le beau frère de Jean. Et les femmes  ?,elles ne peuvent que subir. Ce n’est vraiment pas l’image que j’ai des femmes autour de moi.

Bref j’ai aimé les deux tiers du livre et j’aurais imaginé une fin très différente, que Pierre gagne le « Vendée des globe » par exemple .

Je me sens un peu sévère avec mes trois coquillages mais en ce moment j’ai vraiment du mal à m’enthousiasmer pour un roman, j’ai trouvé celui-ci un peu « gentillet » si j’étais plus positives je dirai tout en nuances.

 

Extraits.

 

Début (beau début).

 Perrine a juré en breton des mots qu’elle ne connaissait pas en français. Elle, si belle dans le temps, était laide pour la première fois, le visage tordu par la colère et par la peine. Elle avait vieilli d’un coup de vingt ans, ou de trente ans, ou même davantage, on ne sait pas. Elle aurait voulu faire plus de mal à la mer, avec ses galets qu’elle lui jetait de toutes ses forces comme on lapide une bête. Parce qu’elle lui en avait encore volé un qu’elle aimait, la salope.
 Cette fois, c’était son fils, elle n’en avait qu’un, dont le curé accompagné du maire avait dit le prénom : Jean.

Les superstitions.

 Les superstitions rassuraient Perrine autant qu’elles lui gâchaient la vie. Tout ty passait, la consternation devant une miche de pain à l’envers, la peur des chats noirs, l’épouvante après le bris d’un miroir, l’agacement à la vue d’un parapluie ouvert à l’intérieur d’une maison, mais aussi les échelles qu’elle évitait soigneusement, la couleur verte qu’elle ne portait pas, le nombre treize qu’elle ne prononçait jamais ni en breton ni en français, les grains de sel qu’elle balançait par-dessus l’épaule à tous les repas, le bois qu’elle touchait dix fois par jour et la quête des trèfles à quatre feuilles pour lesquels elle se cassait le dos à chaque printemps.

Le plaisir des mots spécifiques de la voile.

Monsieur Tournellec m’a expliqué comment construire l’abri de la nuit. Il tenait la technique d’un vieux terre-neuvas. Il faut accrocher un aviron à la drisse et le hisser à la verticale du grand bau. Quand l’aviron est bien calé sur l’amorce de pontage, on y tend la misaine. On fait contrepoids à l’aide de la vergues et ça donne un refuge superbe.

L’après guerre.

Tes raisons, je les sais même s’il ne les dis pas. Il a un peu les chocottes des questions qu’on va bien finir par venir lui poser pour ce qui est du béton qu’il a vendu aux Bosches et des machines qu’il leur a mis à disposition. Alors se mettre bien avec des gens qui vont se pavaner dans le bourg comme s’ils étaient des cousins à de Gaulle et qui ont leur entrée chez les résistants , ça vaut facile le prix d’une charpente et de quelques ardoises. 


Éditions aux forges du Vulcain, 424 pages, mai 2025

Traduit de l’anglais (États Unis) par Élisabeth L. Guillerm

 

Je maudis deux fois la jeune vendeuse de la FNAC de Dinard qui m’a fait acheter ce roman ! Deux fois car je cherchais un titre pour ma sœur, qui apprécie toujours de lire des aspects peu connus de la deuxième guerre mondiale, et qu’elle s’est beaucoup ennuyée à cette lecture, et une autre fois pour moi qui s’est encore plus ennuyée qu’elle.

J’ai au moins revisité le mythe de Cassandre, qui comme la mythologie nous l’apprend est affublée de ce curieux pouvoir de prédire la vérité mais que personne ne veut entendre et qui se rend malade à force d’annoncer des malheurs qui n’intéressent personne.

Mildred Groves a ce don et elle est embauchée dans une énorme base américaine en 1940 à Handford , où tout le monde contribue à mettre au point un mystérieux produit . Elle est envahie par ses visions et voudrait arrêter le processus inévitable qui mettrait fin à l’humanité. On n’apprend rien ou presque sur cette base et il faut désespérément se raccrocher aux divagations de Mildred pour avancer dans le roman.

J’essaie de vous raconter mais je n’y arrive pas tant ce roman m’est tombé des mains. Il faudrait sans doute que j’évoque les rapports hommes femmes et le mépris pour les compétences féminines, sans oublier la destruction, et pour longtemps, de la nature autour de la base .. mais tout ce qui me reste c’est une impression d’avoir raté mon cadeau avec un livre sans intérêt.

Extraits

Début .

 J’étais à la merci de l’homme assis derrière le bureau. Il fallait qu’ils voie mon avenir aussi clairement que moi. Il leva quatre doigts roses, son annulaire orné d’une grosse alliance dorée, et énuméra les les qualités de la femme active idéale :
– Chaste. Volontaire. Intelligente. Silencieuse.
 J’avalais ses mots et me forçaient à les intégrer dans ma chair et dans mon sang. Je croisai mes chevilles et joignis mes genoux, me transformant en femme parfaite.

Les hommes.

 Les hommes nous remarquaient lorsque nous les approchions trop. Il levait la tête de leurs assiettes comme des pumas sentant une biche. Quand ils se tournaient et m’observaient avec leurs sourires de prédateurs, je trébuchais maladroitement où hâtais le pas, me disant qu’aucun n’était aussi cruel qu’ils le paraissaient, que leurs mères, leurs sœurs, leurs femmes leur manquaient sûrement. Certains vivaient sur le camp avec leur épouse et leurs enfants, d’autres étaient des hommes de famille intègres, je le savais, des chrétiens qui allaient à l’église du complexe tous les dimanches. C’était de la fascination, pas de la convoitise. Et s’il y en avait un qui me convoitait, qu’est-ce que cela pouvait faire ? N’était-il pas possible que sous cette attitude rugueuse se cache un mari doux et attentionné qui n’attendait que d’être percé à jour ? Les hommes réagissaient à ma nervosité comme s’il s’agissait d’une blessure ensanglantée. Ils me suivaient des yeux, certains que je serais une proie facile.

 

 


Éditions Albin Michel, 186 pages, mars 2025.

 

Le temps vient à bout de toute chose , excepté l’enfance. 

Victoria Mas m’avait déçue avec « le Bal des folles », et pour des raisons différentes celui-ci n’est pas une lecture qui a soulevé mon enthousiasme. Sur le plan historique, c’est assez réussi : on apprend de façon détaillée ce qui fut le sort des enfants de Marie-Antoinette et Marie-Thérèse et Louis -Charles qui mourut faute de soin approprié dans la prison du Temple, le 10 juin 1705 à l’âge de 10 ans. Sa sœur survivra et partira en exil .

Pour donner vie à ces tragiques épisodes , Victoria Mas imagine un gardien révolutionnaire convaincu en 1794, gardien au Temple et qui aurait écrit des lettres pour raconter à sa tante ce qu’il s’est passé pour ces deux enfants. Et pour corsé un peu le roman, elle a créé une histoire d’amour entre ce gardien et la jeune captive. Sur le plan historique , mais Wikipédia vous en apprend autant, c’est la façon dont ont été gardé ces deux enfants est une pure horreur. Le sort du plus jeune s’apparente à la torture, il est dans une pièce sans éclairage survivant sur un grabat, la pièce jamais nettoyée rempli d’immondices ou vivent aussi rats et cafards. La mort de Robespierre, va soulager leur rétention, Louis XVII mourra avec un peu de confort, et Marie Thérèse aura une femme de chambre et vie plus agréable.

Ce que raconte bien ce roman, c’est le retournement de l’opinion publique, de symboles de la monarchie avec tous les privilèges et donc détesté et dont on souhaitait la mort sans vouloir la donner, Marie-Thérèse et Louis sont passés au rang de victime et la mort de l’enfant a poussé les autorités à prendre des mesures plus humaines. Peu à peu, les parisiens se sont entichés de « la princesse du temple » au point de guetter le moindre de ses sorties à partir d’un immeuble donnant en face de la prison du Temple .

Ce roman se lit facilement et rapidement et un petit coup de rafraichissement de mémoire sur les côtés peu glorieux de la révolution peut faire du bien. La mise en page fait que ce qui tiendrait en une petite centaine s’étale en 180 pages. Le style est fluide et le point de vue du gardien crédible.

Extraits

Préface

« Voici deux jours que la princesse s’en est allée du Temple … »
 C’est par ces mots que je découvris les lettres de mon père. Je crus d’abord que celles-ci m’avaient été destinées par erreur, qu’elles s’adressaient à une autre Marie Herbelin qui elle aussi, depuis peu, pleurait devant une pierre tombale au milieu d’un cimetière. L’enveloppe mentionnait pourtant mon adresse. L’écriture m’était inconnue, tout comme le prénom de celle qui me faisait parvenir ces écrits : une certaine Françoise, vivant en Provence bien au fait de mon existence, tandis que j’ignorais parfaitement la sienne.

Début du roman première lettre

Lettre du 21 décembre 1795
Ma chère tante,
 Voici deux jours que la princesse s’en est allée du Temple. D’après les rumeurs, le convoi n’a pas encore atteint la frontière. Tout Paris demeure dans l’attente de ses nouvelles. Une étrange amertume a succédé ici à la joie de sa libération. Sa présence dans cette forteresse nous était finalement devenue coutumière.

 


Édition Métailié, 187 pages, janvier 2023

Traduit de l’islandais par Éric Boury

 

Il est des livres qui se refusent à ma lecture, celui-ci je l’ai commencé au moins dix fois, et puis, des circonstances de salle d’attente m’ont permis de le finir. On suit pendant ce roman, à la fois, le destin d’une jeune Islandaise Sigurlina, fille du conservateur du musée des objets anciens , et d’une boucle précieuse. Ces deux fils se croisent, car la jeune Sigurlina, un soir de déception amoureuse et aussi, un peu lasse de servir de bonne à tout faire à son père et son frère, s’enfuit sur un bateau en partance pour l’Écosse. Elle subit un viol, et à sa grande surprise trouve la boucle ancienne dans les vêtements de son violeur.

L’honnêteté l’obligerait à revenir chez elle pour rendre cet objet, mais continuant son « coup de tête », elle part en Amérique. De multiples aventures l’attendent et l’objet aura la fâcheuse habitude de disparaître au mauvais moment.

L’intérêt de ce roman vient, sans doute, de l’évocation du passé de l’Islande, entre légendes et réalité, comme souvent quand on a peu de traces écrites de civilisations préhistoriques.

Je me suis perdue dans cette histoire rocambolesque, le style ne m’a pas aidée : les phrases trop courtes et hachées. Les personnages sont comme des idées donc, très peu incarnés, je n’ai ressenti aucune émotion et beaucoup de confusion. La confusion vient certainement de moi : au bout d’un moment, je me suis détachée de cette histoire, un peu comme la raconte cette écrivaine qui semble s’amuser à faire « comme si » elle écrivait un roman d’aventure mais n’y croit pas elle même.
Si quelqu’un d’entre vous l’a lu, j’aimerais bien qu’on m’explique le prologue : cette histoire de carte de Noël qui s’anime.

 

Extraits.

 

Début du prologue.

 Le bruit montait du salon. Des sonorités étranges un. Un instant, ne comprenant pas un mot des paroles échangées. je crus que je rêvais. Puis j’entendis les ronflements discrets de grand-mère à mon côté et je compris que j’étais éveillée.

Début du chapitre 1.

 Fin de la réception à Reykjavik mars 1897. 
– Quand à cette boucle de ceinture finement ornementée, elle a souhaité l’acquérir pour la somme de quinze mille dollars américains. Auprès de sa propriétaire une jeune islandaise dénommée Branson. Miss Selena Branson..

Travail d’une femme en Islande en 1890.

 Est-elle sûre de n’avoir rien oublié ? Vers midi, elle se tenait sur le seuil de la maison, prête à sortir. Elle hésitait. Elle avait fait les trois lits, balayé les chambres, reprisé une chaussette, préparé la pâte à pain, humecté le fromage en le malaxant pour éviter qu’il ne durcisse, lavé le linge qui était à tremper, l’avait essoré et mis à sécher au Soleil du matin avait trier le linge sale et l’avait mis à tremper – en séparant les sous-vêtements de son père-, elle avait mis à dessaler du poisson, mis à tremper des amandes, des pruneaux et des raisins secs, mis à tremper du chou, mis à tremper tout ce qu’on pouvait mettre à tremper dans cette petite maison, puis, pour finir elle avait plongé ses mains mouillées et ses doigts tout fripé dans l’eau chaude et savonneuse. Non elle n’avait rien oublié, pensa-t-elle en claquant la porte avant de se mettre en route d’un pas résolu.

L’industrie fin 19° aux USA.

 Les machines fonctionnaient ainsi dix heures par jour, six heures par semaine dans l’usine de sous-vêtements « Werner and Son » au quatrième étage d’un immeuble en brique de Woster Street en bas de Manhattan. L’entreprise fabriquait un millier de culottes par jour dans un air alourdi par les chutes et la poussière de tissu, dans le bruit assourdissant des machines, sous la présence insupportable du contremaître et des patrons. Des cris permanents et des réprimandes, chacun devant respecter la cadence. La pose de midi se déroulait dans le brouhaha des conversations. Autour d’elle, Sigurlina entendait une kyrielle de langues étrangères. Ses voisines de table étaient originaires d’Ukraine, et, lorsqu’elles se décidèrent enfin à lui adresser la parole dans leur anglais rudimentaire, elle comprit qu’elles n’étaient pas venues en Amérique pour y chercher l’aventure, le dépaysement ou la sophistication. Dina, Marina et Irina étaient arrivées avec leur mère et travaillaient pour gagner de l’argent qu’elles envoyaient dans leur village. Aux parents très âgés de leur maman. Elles lui parlèrent des émeutes, des famines 0et des calamités qui ravageaient leur terre d’origine , ce qui étonnait parfois l’islandaise car ces jeunes femmes s’exprimaient avec une franchise dénuée de misérabilisme. Certaines de leurs histoires étaient à peine croyables : un soir, il y avait bien longtemps une horde de paysans et de villageois s’étaient rués dans l’auberge de leurs parents et y avait tout saccagé en hurlant :  » À bas les Juifs  ! Ce sont eux qui ont assassiné notre tsar » . Puis ils avaient pris ce qui les intéressait, volant toutes les réserves de vodka. Le père des jeunes filles, propriétaire de l’auberge, avait perdu la vie dans la bataille sa hache à la main. 


Éditions Acte Sud, 412 pages, février 2025

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin.

Mais comme dirait l’autre, les neurones c’est comme l’amour, ça ne s’achète pas.

 

S’embarquer dans un roman de Richard Powers, c’est toujours un moment de lecture exigeant, je le savais depuis la lecture que je n’ai jamais oubliée  » Le temps où nous chantions » . L’auteur a besoin de temps pour installer son sujet mais aussi à l’image de la vie, de complexité , mais quand on se laisse prendre alors tout s’éclaire et on vogue avec lui sur tant de questions qui traversent notre actualité.

Ici, nous sommes avec trois voix, une est en italique , celle d’un homme immensément riche grâce aux nouvelles performances des technologies connectées, à chaque fois qu’il prend la parole le texte est en italique : Todd Keane est atteint d’une maladie dégénérative du cerveau et il raconte sa réussite dans le monde de l’intelligence artificielle, son enfance, son amitié avec Rafi un jeune noir surdoué et les ravages de sa maladie actuelle.

Rafi ce jeune noir a été élevé dans une famille qu’on dit aujourd’hui « dysfonctionnelle » : son père qui certainement était très intelligent pousse de façon violente son fils à dépasser tout le monde à l’école, ses parents se séparent et sa mère se remarie avec un homme qui la frappe et sera à l’origine de la mort de sa sœur. Rafi ne vivra que, par et pour, la littérature. Il rencontre Todd au lycée puis à l’université, leur amitié se renforce grâce à leur passion pour les jeux de stratégie, les échecs d’abord puis le jeu de Go. Il tombera amoureux d’une artiste extraordinaire polynésienne qui cherchera à l’aider à écrire sa thèse.

Je pense qu’un lecteur plus attentif que moi pourrait lire ce roman comme une illustration des différents coups du jeu de Go. Il se termine par un vote de pierres blanches et de pierres noires qui y fait beaucoup penser.

Il y a aussi une troisième voix très importante, celle de l’Océan, portée par une femme d’exception, Evie, plongeuse émérite qui est à la fois émerveillée par l’océan et effrayée par ce qui lui arrive aujourd’hui.

Tous se retrouvent à Makatea, île de la Polynésie française . Les compagnies minières française y ont exploité le phosphate sans se soucier du bien être de la population ni de la préservation de la nature.

Nous sommes donc au cœur de la littérature et de la poésie grâce à Rafi, au centre de la création de l’IA et toutes ses dérives avec Todd , bouleversés par les révélations sur le mal être de la planète, tout cela sur un petit rocher au milieu du Pacifique, avec une population qui a toujours accueilli les étrangers avec des colliers de fleurs, même ceux qui, comme les français en 1917 , ont exploité les hommes et les ressources naturelles de façon éhontées .

J’ai beaucoup aimé ce roman , mais j’ai vraiment eu du mal au début à m’immerger dans cette histoire : trop de personnages, trop de temporalités , comme je le disais au début, partir dans un roman de cet auteur c’est vraiment faire un effort de concentration que je n’ai pas réussi à faire au début. Mais le dernier tiers du roman, quand j’ai compris ou Richard Powers voulait m’embarquer, m’a complètement séduite.

Extraits.

Début.

Ina Aroita un descendit à la plage un samedi matin enquête de jolis matériaux. Elle emmena avec elle Hariti, sa fille de sept ans
 Elles laissèrent à la maison Afa et Rafi qui jouaient à même le sol avec des robots transformables. La plage n’était pas loin à pied de leur bungalow voisin du hameau de Moummu, sur la petite colline coincée entre falaises et mer de la côte est de l’île de Makatea dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, aussi loin de tout continent qu’une terre habitable pouvait l’être -une poignée de confettis verts, comme les français qualifiaient ces atolls, perdus dans un champ de bleu sans fin.

Un couple parental peu sympathique !

 Mais c’est un jeu de guerre ininterrompu entre eux deux qui a dominé toute mon enfance. Un tournoi mû par le désir autant que la haine, où chacun engageait ses superpouvoirs respectifs. Mon père : la force du maniaque. Ma mère : la ruse de l’opprimée. Enfant précoce je n’avais que quatre ans quand j’ai compris que mes parents étaient pris dans une lutte pour se faire mutuellement autant de mal que possible sans franchir la ligne fatale : juste infliger assez de pures souffrances pour produire cette excitation que seule la rage peut engendrer. Une sorte d’étranglement de l’âme, réciproque et masturbatoire, où les deux parties donnaient généreusement et recevait bienheureusement.

Le sexe et la religion.

 Il y a cent ans, les Makatéens avaient envers le sexe l’attitude la plus saine qui soit. C’était comme l’escalade, la course ou le bodysurf, mais pimenté d’amour. La possession n’était pas un enjeu. On ne pouvait pas plus posséder une personne qu’on ne pouvait posséder la terre, ou le ciel au-dessus de la terre, ou l’océan au-delà du rivage.
Et puis les « Popa’ā » étaient arrivés. Et à présent Didier se signait et s’agenouillait sur le prie-Dieu d’une des deux églises de l’île. Deux églises pour quatrz-vingt-deux habitants ! Une catholique, une mormone, et c’est dans la première que se trouvait le maire, la tête inclinée, priant les anges (parce qu’il n’osait pas croiser le regard de la Vierge Marie dont la perfection l’embarrassait) en disant  : » Ça reste de l’adultère n’est-ce pas ? même si ma femme est d’accord ? »
À sa grande stupéfaction, les anges répondirent :  » C’est de l’adultère de survie ».

Une femme dans un univers d’hommes.

 Evelyne Beaulieu entra à Duke en 1953 , première femme jamais admise en études océanographiques. Elle survécut à quatre ans de cours à Durham et à trois étés de travail de terrain en déployant des trésors de camouflage toujours plus inventifs. Elle dissimulait l’étendue de son expérience de plongeuse, s’abstenait de corriger de nombreuses erreurs de ses professeurs, et riait aux blagues de soudard de ses condisciples mâles. Ce n’était pas si difficile de se faire passer pour ce que les américains appelaient une « bonne camarade ».

En 1957 !

On était en l’an 1957. Pepsi proposait d’aider la ménagère moderne dans la lourde tâche de rester mince. Alcoa lançait un bouchon de bouteille que même une femme pouvait ouvrir « – sans couteau, sans tire-bouchon, sans même un mari ! »

Jusqu’à quand ?

Mais comme dirait l’autre, les neurones c’est comme l’amour, ça ne s’achète pas.

La révolution internet.

 On n’a rien vu venir. Ni Rafi, ni moi, ni personne. Prédire que les ordinateurs allaient envahir nos vies ? OK. Mais prévoir qu’ils allaient faire de nous des êtres différents ? Saisir dans toute son ampleur la conversion de nos cœurs et de nos âmes ? Même les plus éclairés de mes collègues programmant « RESI » ne pouvaient s’en douter. Bien sûr, ils prophétisaient les versions portatives de l’Encyclopédia Britannica, les téléconférences en temps réel, les assistants personnels qui pourraient vous apprendre à écrire mieux. Mais imaginer, Facebook, WhatsApp, TikTok, le bitcoin, QAnon, Alexa, Google Maps, Les publicités ciblées fondées sur des mots-clés espionné dans vos mails, les likes qu’on vérifie même aux toilettes publiques, le shopping qu’on peut faire tout nu, les jeux de farming abrutissants mais addictif qui bousillent tant de carrières, et tous les autres parasites neuronaux qui aujourd’hui m’empêchent de me rappeler comment c’était de réfléchir, de ressentir, d’exister à l’époque ? On était loin du compte.