Traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujicic avec la collaboration de Karine Louedon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cet auteur a une façon de raconter un peu agaçante, il écrit tous ses états d’âme sur la difficulté d’écrire sur le sujet de son roman. J’ai eu plus d’une fois envie de lui dire : « fais- le ou ne le fais pas mais n’encombre pas le lecteur avec tes états d’âme du style » (oui je tutoies les auteurs quand ils m’énervent) :

Voilà la décision que je pris : ne pas écrire l’histoire de Manuel Mena, continuer à ne pas écrire l’histoire de Manuel Mena.

Quand on tient un roman de plus de 300 pages dans les mains consacré au dit Manuel Mena, ce genre de propos est pour le moins, peu intéressant. En revanche, ce qui l’est beaucoup plus, c’est l’analyse minutieuse des prises de positions des différentes parties de la population d’Ibahernando un petit village d’Estrémadure en 1936. La population est très pauvre, les terres appartiennent à de riches nobles castillans qui habitent Madrid, mais quelques paysans ont réussi à avoir un peu de terre, ils sont tout aussi pauvres mais leur pauvreté leur appartient. Il seront très choqués de voir des gens plus misérables brûler des récoltes et des bâtiments religieux, ils défendront le retour à l’ordre, personnifié par Franco. La famille de Javier Cercas faisait partie des « nantis » du village et son oncle, Manuel Mena, choisira à 19 ans de s’engager dans les phalanges. Les raisons pour lesquelles il a fait ce choix sont peu évidentes, il était idéaliste et très déçu par la trop jeune et trop fragile république, il voulait quelque chose de nouveau. Il est mort dans la bataille de l’Èrbre épisode sanglant de la guerre d’Espagne.

De statut de héros tant que le franquisme dominait l’Espagne, il est passé au statut de paria par la suite, et Javier Cercas est donc le neveu d’un phalangiste convaincu. Convaincu ? peut être pas tant que ça mais qui peut être certain d’avoir les bons choix à cette époque et dans ce contexte précis ? Roman, difficile à lire car très précis sur le déroulement de la guerre elle-même, je n’ai pas trouvé qu’il remplissait la fonction que j’attendais de lui : qu’est ce qui fait que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre lors d’une guerre civile ? En revanche, il rappelle bien l’horreur que représente la guerre civile.

 

Citations

La mémoire de la guerre d’Espagne

 Quoi que tu écrives, les uns vont t’accuser d’idéaliser les républicains parce que tu ne dénonces pas leurs crimes, et les autres d’être révisionnistes ou de farder le franquisme parce que tu ne présentes pas les franquistes comme des monstres mais comme des personnes ordinaires normales. C’est comme ça, la vérité n’intéresse personne, t’as pas encore pigé ça ? Il y a quelques années, on avait l’impression que ça intéressait les gens, mais c’était une illusion. Les gens n’aiment pas la vérité : ils aiment les mensonges, et je ne te parle même pas des intellectuels et des politiciens. Les uns s’irritent dès qu’on met le sujet sur la table parce qu’ils pensent encore que le coup d’État de Franco était nécessaire où en tout cas inévitable, même s’ils n’osent pas le dire, et les autres ont décidé que refuser de considérer tous les républicains comme démocrate il comprit Durruti et la Pasionaria, et admettre que des putains de curés ont été assassinés des putains d’églises brûlées, c’est faire le jeu de la droite. Et je ne sais pas si tu as remarqué, mais la guerre, c’est passé de mode.

Qu’est ce que la phalange ?

La phalange était un parti qui, avec sa vocation antisystème, son prestige exaltant de nouveautés absolue, son irrésistible aura de semi-clandestinité, son refus de la distinction traditionnelle entre droite et gauche, sa proposition d’une synthèse qui dépasserait les deux, sont impeccable chaos idéologique, son pari simultané et impossible sur le nationalisme patriotique et la révolution égalitaire et sa démagogie captivante, semblait être fait sur mesure pour séduire un étudiant fraîchement sorti de son village qui a seize ans à peine, rêverait à l’occasion de ce mouvement historique décisif dessiner un coup brutal et libérateur à la peur et à la pauvreté qui tourmentait sa famille et à la faim, l’humiliation et l’injustice qu’il voyait quotidiennement dans les rues de son enfance et son adolescence, et cela sans compromettre l’ordre social, lui permettant qui plus est de s’identifier à l’élitisme aristocratique.

La guerre d Espagne.

À l’époque, on tuait pour un oui ou pour un non, continue-t-il. Disputes. Jalousie. Parce qu’un tel a dit quelque chose à un tel point pour n’importe quoi. La guerre a été comme ça. Les gens disent maintenant que c’était la politique, mais c’était pas la politique. Pas seulement. Quelqu’un disait qu’on devait régler son compte à quelqu’un et on s’en chargeait. Un point c’est tout. C’est comme je te dis et pas autrement. C’est pourquoi il y a tant de gens qui sont partis du village au début de la guerre.

Le cœur du livre

D’ailleurs, peut-on être un jeune homme noble et pur et en même temps lutter pour une mauvaise cause ?
 David réfléchit un moment (….) . C’est possible, répondit-il. Et tu sais pourquoi ? 
 – Pourquoi ?
– Parce que nous ne sommes pas omniscients. Parce que nous ne savons pas tout. Quatre vingt cinq ans se sont écoulés depuis la guerre, et toi et moi on a dépassé la quarantaine, alors pour nous c’est du tout cuit, on sait que la cause pour laquelle Manuel Mena est mort n’était pas juste. Mais est-ce qu’il pouvait le savoir à l’époque, lui, un gamin sans aucun recul et qui, en plus, était à peine sorti de son village ?

Raison de la guerre civile

C’est une situation d’extrême nécessité qui fait s’opposer ceux qui n’ont rien à manger et ceux qui ont de quoi manger ; ces derniers ont très peu, juste ce qu’il faut, mais ils ont quelque chose. Et en effet, ici, ça commence à prendre l’allure d’une tragédie, parce que ceux qui ont faim ont raison de haïr ceux qui peuvent manger et ceux qui peuvent manger en raison d’avoir peur de ceux qui ont faim. Et c’est comme ça qu’ils arrivent tous à une conclusion terrifiante : c’est soit eux, soit nous. Si eux gagnent ; ils nous tuent, si nous, on gagne, on doit les tuer. Voilà la situation impossible à laquelle les responsables du pays on conduit ces pauvres gens.

Explication du titre

J’étais déjà devenu un autre, une sorte d’Ulysse vieux et médiocre et heureux, qui, grâce à cette expédition à la recherche du monarque des ombres dans les ténèbres de cette grande maison vide, venait de découvrir le secret le plus élémentaire et le plus caché, le plus refoulé et le plus visible, qui est qu’on ne meurt pas, que Manuel Menna n’était pas mort.

 

 

Une plongée dans l’horreur et aucune pitié pour les lecteurs trop sensibles (dont je fais partie). Je ne sais pas si cela a un sens de mettre des petits coquillages pour un tel livre, il en mérite 10 si vous voulez vous renseigner sur la guerre civile algérienne et beaucoup moins si vous préférez vivre loin de ces horreurs Malgré les récits plus horribles les uns que les autres je n’ai pas lâché ce roman « noir » (très noir) avant la dernière page qui n’apporte, d’ailleurs, aucun réconfort. Ce livre m’a rappelé un reportage diffusé par « France 2 » sur la lutte contre le terrorisme en France. Et comme en janvier le thème du club de lecture c’est : l’Algérie, j’ai pris ce livre à la médiathèque . Cette guerre a fait environ 100 000 morts, des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d’exilés et plus de vingt milliards de dollars de dégâts et a duré une dizaine d’années. Elle commence en 1991 quand un parti islamiste le FIS est en passe de remporter les élections. Le gouvernement avec l’appui de l’armée annule les élections et l’armée prend le pouvoir. Ce livre raconte les manipulations de l’armée algérienne pour plonger dans l’horreur l’Algérie d’abord, puis, la France pour que celle-ci soutienne sans aucun remord la répression contre les partis islamistes. Quand les islamistes ne sont pas assez violents, l’armée les pousse à l’être davantage. La France a mis beaucoup de temps à réagir, mais j’ai entendu dans l’émission que peu à peu les services secrets de la France ont pris conscience que les terroristes du GIA se sentaient soutenus par le gouvernement algérien. Au milieu de personnages réels, le récit suit l’enquête du personnage principal Tedj Benlazar, un homme mi-breton mi-algérien, agent de la DGSE et qui comprendra plus vite que d’autres tous les dessous d’une très, très sale guerre. Si aujourd’hui ce pays est plus calme, il n’empêche que le gouvernement n’a toujours pas osé faire un retour vers la démocratie et que si l’étau militaire se desserrait, on peut se demander combien de scorpions sortiront de cette fournaise. Or, on sait aussi aujourd’hui que la méditerranée ne suffit pas à protéger la France du fanatisme qui s’exporte tellement mieux que les valeurs humanistes.

 

Citations

L’armée algérienne et ses liens avec les islamistes.

Le lien contre nature entre militaire et islamiste engendrera inévitablement le grand bordel. Le grand bordel, comprendre l’importation des problèmes algériens en France.

 

Un soldat algérien pris dans la tourmente

Lorsqu’il s’est engagé dans l’armée, il voulait rester honnête, droit, propre, se souvient-il. Sauf que la guerre ne rend pas les hommes meilleure, elle les transforme en bête féroce

Les luttes dans l’armée algérienne

Car derrière l’unité de façade de l’armée face à la barbarie des islamistes, les guerres fratricides font rage entre les officiers de haut rang. Il n’y a pas de fraternité militaire qui tiennent longtemps face à la convoitise. Et la convoitise anime tout ce qui approche de près ou de loin le pouvoir, civils comme militaires.
L’Algérie est riche. Nonobstant la terrible crise économique qui sévit et la quasi-tutelle du FMI, l’Algérie est très, très riche. Dans le Sahara se trouve les troisièmes réserves de pétrole d’Afrique et le tiers de son gaz. L’Algérie et un coffre-fort ouvert dans lequel puisent les généraux et les ministres depuis longtemps.

 

Traduit de l’américain par Juliane Nivelt

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une belle histoire d’amour et une lutte de tous les instants contre la sclérose en plaque. SP pour les intimes (qui aimeraient tant ne pas l’être !). Pour vous mettre dans l’ambiance je vous recopie la quatrième de couverture :

Maddy s’était juré de ne jamais sortir avec un garçon du même âge qu’elle, encore moins avec un guide de rivière. Mais voilà Dalt, et il est parfait. À vingt ans, Maddy et Dalt s’embarquent dans une histoire d’amour qui durera toute leur vie. Mariés sur les berges de la Buffalo Fork, dans le Wyoming, devenus tous deux guides de pêche, ils vivent leur passion à cent à l’heure et fondent leur entreprise de rafting dans l’Oregon. Mais lorsque Maddy, frappée de vertiges, apprend qu’elle est enceinte et se voit en même temps diagnostiquer une sclérose en plaques, le couple se rend compte que l’aventure ne fait que commencer.

Je dois avouer que ce roman ne m’a pas entièrement conquise. Certes la nature est belle, et oui, cet auteur sait décrire les somptueux décors des réserves naturelles nord-américaines. Mais les romans qui avancent à coup de dialogues ne sont pas mon fort. Et puis cette femme dont je comprends si bien la colère a souvent besoin de jurer et « les trou du cul » de succèdent à un rythme qui m’ont vite fatiguée. Leur histoire d’amour est belle un peu trop sans doute, on peut cependant y croire car l’auteur le raconte avec beaucoup de délicatesse. Ces deux thèmes qui se mêlent : cet amour profond qui les lie l’un à l’autre et la maladie qui ronge peu à peu les capacités de la jeune femme ont visiblement su séduire un large public. Je suis restée un peu en dehors, certainement à cause du style et je l’ai trouvé beaucoup trop long pour une fin que l’on sait, hélas ! inéluctable .

 

 

Citations

La maladie dans le regard des autres

Ses intentions sont bonnes, mais la vérité, c’est que je préférerais être brûlé vive.Je veux dire, je suis toujours heureuse de me retrouver dans les bras d’Allie, les rares fois où un type ne s’y trouve pas déjà, s’arrogeant toute la place. Mais pas de cette manière-là. Pas par pitié. Pas parce que je ne peux plus cacher mon bras, ma maladie.

 

Traduit de l’anglais par Georges Lory.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

 

Voici sept nouvelles qui peuvent se lire séparément, mais qui ont des points communs : le vieillissement et la volonté de rester soi-même d’une femme indépendante et intellectuelle malgré les affronts de l’âge, les soucis des enfants face à l’indépendance et la fragilité de leur mère vieillissante, et enfin les animaux que les hommes traitent si mal parfois.

Toutes les nouvelles ont beaucoup de charmes et de délicatesses, rien n’est résolu, les histoires sont comme en suspens . La dernière qui a donné son titre au recueil « l’abattoir de verre », m’a fait penser au livre de Vincent Message « Maîtres et Possesseurs » , d’ailleurs J.M Coetzee rappelle la philosophie de Descartes dans cette nouvelle. Ce n’est pas celle que j’ai préférée, je sais que je vais l’oublier assez vite, sauf sans doute l’image des poussins que l’on broie à peine nés car ils ne sont pas du bon sexe, (aucune féministe ne se réjouira de savoir que ce sont les petits mâles que l’on passe à la broyeuse !). J’ai beaucoup aimé la nouvelle de la femme qui se réfugie dans un village espagnol entourée de chats à moitié sauvages et d’un certain Pablo un peu demeuré et qui l’aide à vivre dans une maison si inconfortable. Que son fils soit inquiet on peut le comprendre, mais rien ne semble pouvoir la faire changer d’avis !

Je me suis demandé pourquoi J.M Coetzee avait choisi de se mettre à la place d’une femme puisque ces sept nouvelles racontent sept moment différents du vieillissement la vie d’Elizabeth Costello mais il a beaucoup de talent pour sonder l’âme humaine qu’elle soit dans un corps féminin ou masculin.

 

 

Citations

 

Se sentir vieillir

Ce que je trouve troublant vieillissant, dit-elle à son fils, c’est que j’entends sortir de ma bouche des mots que jadis j’entendais chez les personnes âgées et que je m’étais promis de ne jamais employer. Du style  » Où-va-le-monde-ma-bonne-dame ». Les gens se promènent dans la rue en mangeant des pizzas tout en parlant dans leur portable -où va le monde ?

 

La beauté

La question que je me pose à présent, c’est : toute cette beauté quel bien m’a-t-elle fait ? La beauté n’est-elle qu’un bien de consommation, comme le vin ? On le déguste,on l’avale, il nous donne une sensation agréable, grisante, mais qu’en reste-t-il au final ? Le résidu du vin, excusez-moi, c’est l’urine ; quel est le résidu de la beauté ? Quel aspect positif nous laisse-t-elle ? La beauté fait-elle de nous des gens meilleurs ?

 

L’automne

Tout comme le printemps est la saison qui regarde l’avenir, l’automne est la saison qui regarde vers l’arrière 

 Les désirs conçus par un cerveau automnal sont des désirs d’automne, nostalgiques, entassés dans la mémoire. Ils n’ont plus la chaleur de l’été ; même lorsqu’ils sont intenses, leur intensité est complexe, plurivalente, tournée vers le passé plus que l’avenir. 

 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

 

 

Un livre qui m’a davantage étonnée que plu. Il y a deux livres en un, d’abord le récit de formation de Pol Pot du temps où il s’appelait Saloth Sâr . C’est dans toutes les faiblesses de cet enfant, puis du jeune homme que Nancy Houston traque tout ce qui a pu faire de cet homme qui a tant raté, ses études, ses amours, un tyran parmi les plus sanguinaires. Il ne réussit pas à obtenir ses diplômes, il fera tuer tous les intellectuels. Il puisera dans les discours révolutionnaires français, de 1789 à 1968, le goût des têtes qui doivent tomber ! Les chiffres parlent d’eux mêmes, Pol Pot est responsable de 1,7 million de morts, soit plus de 20 % de la population de l’époque. L’article de Wikipédia, en apprend presque autant que ce livre, mais l’émotion de l’écrivaine rend plus palpable l’horreur de ce moment de l’histoire du Cambodge.

Et puis nous voyons la très jeune narratrice, qui doit avoir plus d’un point commun avec l’auteure, passer une enfance et adolescence très marquée par le mouvement hippie pendant son enfance et mai 68 à Paris pendant sa jeunesse. Le but de ces deux histoires, est de montrer les points communs entre cet horrible Pol Pot et la narratrice. Je pense qu’il n’y a qu’elle qui voit les ressemblances. En revanche, le passage par Paris et la description des intellectuels , Jean-Paul Sartre en tête qui soutiennent les Khmers Rouges est terrible pour l’intelligentsia française. La seule excuse à cet aveuglement volontaire, c’est de ne pas vouloir prendre partie pour les américains qui ont envoyé sur le Cambodge plus de bombes que pendant la deuxième guerre mondiale sur toute l’Europe. Et voilà toujours le même dilemme  : comment dénoncer les bombardements américains sans soutenir le communiste sanguinaire, Pol Pot.

 

 

Citations

l’écriture

De toute façon, elle a appris depuis l’enfance à neutraliser par l’écriture tout ce qui la blesse. Les mots réparent tout, cachent tout, tissent un habit à l’événement cru et nu . Dorit ne vit pas les choses en direct mais en différé : d’abord en réfléchissant à la manière dont elle pourra les écrire, ensuite en les écrivant. Protégée quelle est par la maille des mots, une vraie armure, les agressions ne l’atteignent pas vraiment.

 

Mai 68

Un jour Gérard vient l’écouter jouer du piano dans l’appartement de la rue L’homond. Au bout d’une sonate et demie de Scarlatti, il pousse un soupir d’ennui : » C’est bien joli, tout ça dit-il, mais je n’y entends pas la lutte des classes. »

 

Les Khmers rouges

 

Le 9 janvier 1979, les troupes nord-vietnamienne se déploient à Phnom Penh, révélant au monde la réalité du Kampuchéa démocratique, la capitale désertée, dévastée… Les champs stériles… Les monceaux de squelettes et de crânes… De façon directe ou indirecte, au cours de ces quarante cinq mois au pouvoir, le régime de Pol Pot aura entraîné la mort de plus d’un million de personnes, soit environ un cinquième de la population du pays. Le Cambodge gît inerte, tel un corps vidé de tout son sang .

 

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

Citation de Sénèque qui illustre parfaitement le sens de ce roman :

Tirons notre courage de notre désespoir même 

Ce roman concourt à notre prix final du mois de Juin 2019, c’est dire si l’enthousiasme des lectrices a été convainquant. J’avoue que je me suis amusée à cette lecture. J’ai retrouvé une partie de mon enfance quand je chipais des livres à mes frères et qu’en secret, je partais dans des romans plus aventureux que mes goûts habituels en matière de lecture. Je pense aussi que cette auteure s’est bien amusée à rédiger des belles scènes de navigation et de batailles entre les bateaux du roi et ceux des pirates. Virginie Caillé-Bastide s’est appliquée à être la plus exacte possible aussi bien en matière de navigation que sur le plan historique. Elle a choisi de garder des tournures de la langue du XVIIe siècle, mais cela n’empêche nullement la compréhension. Pour étoffer son roman elle a choisi de confronter un pirate à l’âme noire, Ombre, à un pasteur Jésuite à l’intelligence et à l’humanité remarquables. C’est sans doute ce qu’on peut lui reprocher, les personnes positives le sont à la lumière du XXI° siècle et de valeurs humanistes qui ne sont venues que très tardivement dans les conscience des humains. Mais ce reproche ne doit arrêter aucun lecteur ou lectrice. Si vous voulez connaître, l’histoire de Ombre, anciennement petit noble breton, qui a vu toute sa famille et ses proches mourir de faim, qui reniera Dieu et ses œuvres pour partir dans les Caraïbes et devenir un des pirates les plus craints des mers lointaines, embarquez-vous sur le Sans-Dieu, l’aventure sera au rendez vous, et l’amour aussi, un peu, peut être trop, si vous êtes uniquement attaché à la réalité historique.

 

Citations

 

La famine sous Louis XIV, propos sarcastiques

Certes, notre pauvre dame a déjà perdu six enfants et le petit Jehan était le seul que le Seigneur notre Dieu avait omis de lui reprendre.

Combat de pirates

Après la détonation, chacun entendit le sifflement reconnaissable entre tous de cette arme redoutable. Tournoyant dans les airs, les deux boulets reliés par une chaîne entamèrent d’importance un gréement déchirèrent une voile, et rencontrèrent deux matelots qui avait eu l’infortune de se trouver sur leur course. Au même instant, le brick tira à bout portant belle salve dans les flancs du galion, l’atteignant au cœur de ses œuvres vives, où se situaient canon et réserve de poudre. Aussitôt, un début d’incendie se déclara ajoutant à la confusion de l’assaut. Le bricks s’était encore approché ne se trouvait plus qu’à quelques brasses de l’espagnol. Perchés dans les enfléchures des haubans, les gabiers du « Sang Dieu » lancèrent des dizaines de grenades sur le pont du galion, causant grand dommage à l’ennemi. Puis à l’aide de grappins et de crochets, ils agrippèrent les vergues et les drisses, de façon à permettre au restant de l’équipage de sauter à bord du vaisseau. Pendant l’abordage, bien des pirates tombèrent sous les balles des mousquets espagnol, mais la majorité d’entre parvint à gagner le pont principal et se précipita avec force cris sur les soldats ébahis. Hache en main et sabre au clair, l’Ombre fut l’un des premiers à se jeter sur un officier qui n’avait pas eu le temps de recharger son mousquet, et dont l’épée délicatement ciselée , vola au premier coup de hache…..

Discussion de pirates

« Oh là Gant-de-fer, sauras-tu encore te servir de ton boute-joie afin d’en régaler les drôlesses et émouvoir leur tréfonds ? » L’intéressé répondait aussitôt 
« Et toi, Foutriquet, si ton appendice est proportionnel à ta taille, je gage que tu ne leur feras point grand effet et qu’elle s’en viendront me trouver afin que je les satisfasse à ta place ! »

Le style

À peine l’amour rencontré, la mort s’était-elle invitée ? Les misérables qui exploitait le corps de cette malheureuse avait-il occis le naïf jeune damoiseau afin de lui faire payer le prix de son impudence ?

Traduit de l’anglais (Écosse) par Aline Azoulay-Pacvõn.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

 

Ces deux romans écossais se suivent et ont des points communs. Tous les deux retracent le parcours d’enfants martyrs. Ce roman-ci ne le dit pas immédiatement, nous suivons d’abord la vie d’Eleanor et nous pouvons alors penser qu’il s’agit d’un roman que l’on dit « fell good », le genre est bien représenté chez nos amis britanniques. Cette jeune femme, sans être autiste possède cette qualité ou ce défaut de dire la vérité telle qu’elle lui apparaît et aussitôt qu’il lui semble important de la dire, c’est à dire tout de suite et surtout, elle n’a aucun des codes qui facilitent la vie en société. Évidemment, cela ne lui apporte pas que des amis. elle vit seule et est enfermée dans des manies de vieilles filles. Voilà qu’elle tombe amoureuse d’un jeune et beau chanteur et pour ses beaux yeux (les yeux ont une importance que l’on découvre plus tard) sa vie va basculer elle se fait épiler, achète des vêtements à la mode, va chez le coiffeur…. Sa mère avec qui elle s’entretient régulièrement lui donne de bien curieux conseils et surtout rabaisse sa fille à la moindre occasion. Dis comme ça, je n’imagine pas que vous ayez envie de lire ce roman. Mais ce n’est que l’apparence de ce roman. Derrière cette façade qui va se lézarder bien vite apparaît une toute autre histoire, triste à sangloter. C’est très bien raconté et hélas crédible. Les indices de l’autre histoire sont distillés peu à peu dans le roman et deviennent au trois quart le cœur même du récit. On comprend alors le drame d’Eleanor, on voudrait tant faire partie de ceux qui peuvent la consoler ces gens dans le récit existent, elle va peu à peu les rencontrer. J’ai beaucoup apprécié que ces personnes positives ne soient pas trop idéalisées, elles aussi ont leurs problèmes et leurs imperfections. On espère aussi qu’elle apprendra à se protéger de la perversité et de la méchanceté et qu’enfin, elle saura aller vers des personnes qui ne la détruiront plus. Son regard naïf impitoyable sur les comportements humains sont souvent très drôles et cela permet d’aller au bout des révélations qu’Eleanor avait enfouies au plus loin de son inconscient. Cela fait si mal parfois de se confronter à la réalité. J’ai quelques réserves sur ce roman et pourtant je l’ai lu très vite, à la relecture les indices qui fourmillent m’ont un peu gênée. J’ai beaucoup hésité en 3 ou 4 coquillages. Finalement j’en suis restée à 3 car je préfère le précédent sur un thème assez semblable. Aifelle est beaucoup plus positive que moi donc à vous de décider.

 

Citations

Méconnaissance des codes sociaux

Au final, mon projet Pizza s’est révélée extrêmement décevant. L’homme s’est contenté de me coller une grande boîte en carton dans les mains, de prendre mon enveloppe, et de l’ouvrir sans égard pour moi. Je l’ai entendu marmonner dans sa barbe « putain de merde » en comptant son contenu. J’avais amassé des pièces de 50 pence dans un petit plat en céramique, c’était l’occasion idéale de les utiliser. J’en avais glissé une de plus pour lui mais n’ai reçu aucun merci. Grossier personnage.

On connait ce genre de rire

Elle a l’art de se faire rire tout seul, mais personne ne s’amuse beaucoup en sa compagnie.

C’est bien vrai !

J’ai remarqué que la plupart des personnes qui portent des tenues de sport dans la vie de tous les jours sont les moins susceptibles de pratiquer une activité athlétique.

Toute vérité est-elle bonne à dire ?

-Je peux aller vous chercher un verre, a hurlé l’homme essayant de couvrir le morceau suivant… 
-Non merci, ai-je dit Je préfère refuser, parce que si j’acceptais, il faudrait que je vous offre un verre en retour, et je crains de ne pas avoir envie de passer en votre compagnie le temps nécessaire à vider deux verres.

Le travail de graphisme

J’ai cru comprendre que les clients étaient souvent incapables d’exprimer leurs besoins et que, au bout du compte, les designers devaient élaborer leurs créations à partir des vagues indices qu’ils parvenaient à articuler. Après de nombreuses heures de travail effectuées par toute une équipe de créatifs, le résultat était soumis à l’approbation du client, qui déclarer alors. « Non. C’est exactement ce que je ne veux pas. »

Le processus tortueux devait se répéter plusieurs fois avant que le client ou la cliente finissent par se déclarer satisfait du résultat. À tous les coups, disait Bob, la création validée était plus ou moins identique à la première œuvre proposée, rejetée d’emblée par le client.

J’ai ri !

Sans doute pour libérer des places de parking le crématorium et à un endroit très fréquenté. Je n’étais pas sûre d’avoir envie d’être incinérée. Je préférais l’idée de servir de nourriture aux animaux du zoo, ce serait à la fois proenvironnementale et une belle surprise pour les grands carnivores. Je ne savais pas si on pouvait faire cette demande. Je me suis promis d’écrire au WWF pour me renseigner.

 

Citation de Charles de Gaulle

 » Les possédants sont possédés par ce qu’ils possèdent « 

Je trouve que ce livre complète bien la lecture du précédent car il permet de découvrir le principal dirigeant qui a vu grandir ma génération et celle de Jean-Pierre Le Goff. On sent la très grande admiration de Gérad Badry pour « le » Général. Derrière l’homme de la résistance, celui qui a sorti la France des erreurs de la quatrième République et qui a permis la décolonisation, il y a donc un homme chrétien et respectueux des femmes. Il n’a rien d’un féministe et pourtant … il voulait depuis longtemps donner le droit de vote aux femmes, il a permis la contraception et a voulu que les femmes puissent travailler et élever leurs enfants. Sa vision de la femme est marquée par le rôle de mère qui lui semble sacré. C’est à ce titre, qu’il a systématiquement exercé son droit de grâce pour les femmes à la libération. Mais plus que ses idées politiques, ce qui m’a intéressée c’est son entière probité, son respect des femmes et ce qui m’a le plus touchée sa grande affection pour sa petite Anne enfant trisomique qu’il a tant aimée. C’est un homme étonnant, d’une autre époque et d’une autre culture, il vient à la fois de la chrétienté et de l’amour de la patrie et son caractère a été forgé par l’armée française. Je ne savais pas qu’il avait fait entrer au gouvernement une femme musulmane d’origine algérienne Nafissa Sid Cara qui a un parcours très intéressant. Le portrait de Geneviève de Gaulle-Anthonioz est passionnant et mériterait à lui seul un livre entier. C’est une plongée dans un autre monde, celui justement qui a vu naître et grandir Jean-Pierre Le Goff mais un monde ne pouvait pas comprendre que les adolescents de mai 1968 n’étaient pas uniquement porteurs de « chienlit ».

 

Citations

Entrée en bourse des femmes

C’est aussi sous de Gaulle, en 1967, que les femmes seront autorisées à entrer à la Bourse de Paris pour y spéculer. Leur arrivée à la corbeille ou s’affairaient depuis toujours un aéropage exclusif de messieurs, en cravate et costumes sombres, fait d’abord sensation, avant que d’élégantes jeunes diplômées en finance n’occupent des poste de commis. Dans les milieux boursier, un authentique bastion masculin, la résistance avait été très forte pour refuser de partager les codes, les secrets et les moeurs avec la gente féminine. La seule femme ayant pu s’introduire à la corbeille l’avait fait, en 1925, habillée en homme et portant une barbe postiche. Condamnée à 3 ans de prison pour escroquerie et abus de confiance pour avoir vendu des titres appuyés sur des société fictives, Marthe Hanau avait fini par se donner la mort en prison, en 1935, renforçant l’opposition des hommes à l’entrée de toute femme dans l’univers de la Bourse. L’histoire romanesque de Marthe Hanau devait, en 1980, inspirer le film « la Banquière » de Francis Girod avec Romy Schneider.

Trente-deux ans plus tard, les portes du palais Brongniart s’ouvraient enfin aux femmes.

la loi Neuwirth

En Conseil des ministres, le général se montre résigné. Il déclare : « Les mœurs se modifient. C’est évolution est en cours depuis longtemps, nous n’y pouvons à peu près rien. En revanche, il faut accentuer notre politique nataliste. Puis il ajoute.

 : » Il ne faut pas faire payer les pilules par la sécurité sociale. Ce ne sont pas des remèdes. Les Français veulent une plus grande liberté des mœurs mais nous n’allons tout de même pas leur rembourser la bagatelle. »

Probité

Leur première tâche a été de remettre de l’ordre dans le fonctionnement de la présidence pour y introduire plus de rigueur. Il a été souvent raconté que, le jour même de leur arrivée, les de Gaulle avait exigé qu’un compteur individuel soit posé pour payer de leur poche l’électricité de leurs appartements. C’est exact. Mais on s’est moins qu’Yvonne a mis immédiatement fin à l’utilisation de la vaisselle d’État, en porcelaine de Sèvres, pour leurs repas quotidiens en tête à tête. Au volant de sa voiture, au premier jour de leur installation, elle s’est rendue au Bon Marché, son magasin préféré, pour y acheter -avec leur argent- un service de table ordinaire qui fut utilisé jusqu’à la démission du général en 1969. De même, Yvonne demandera à l’intendant de l’Élysée de lui présenter chaque fin de mois la note correspondant au repas pris par les membres de la famille venus déjeuner avec eux le dimanche.

 On trouve un autre exemple de cette honnêteté sans faille des de Gaulle dans leur décision de faire installer un oratoire à l’Élysée pour y assister à la messe dominicale à l’abri des regards. Créé dans l’ancien bureau des chauffeurs encore envahi par les odeurs de pastis, cette petite chapelle – une table servant d’autel, quatre chaises prie-Dieu et quelques ornements- a été totalement payé avec l’argent personnel du couple.

Portrait de la secrétaire de de Gaulle Elisabeth de Miribel

Les Miribel, comme les Mac-Mahon, ont le culte de l’honneur et de la discipline. Ils affichent leur dédain pour l’argent et pour la politique.  » Élevée dans ce milieu conservateur et catholique, je n’ai jamais entendu mes parents discuter de politique à la maison. Autant il leur paraît normal de mourir pour la patrie, si possible en gants blancs, autant il faut éviter de se salir les mains en se mêlant de politique » expliquera-t-elle dans son autobiographie.

Le patriotisme, le don de soi pour la France, la foi chrétienne, le dédain pour l’argent et pour la politique, c’est tout ce qu’elle retrouvera et qu’elle aimera chez de Gaulle.

 

Traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes

 

Encore un coup de cœur de notre club, qui avait déjà couronné Le Tabac Tresniek que j’ai préféré à celui-ci. On est vraiment pris par cette lecture et pourtant, il ne se passe pas grand chose dans ce roman, si ce n’est qu’une vie entière y est racontée. Egger a d’abord été un enfant martyrisé par un oncle paysan qui n’avait aucune envie d’élever cet orphelin « batard », puis il deviendra un paysan dur à la tâche dans une Bavière des années 30. Enfin, il connaîtra l’amour et quelques années il sera heureux avec une jeune femme malheureusement disparue dans une avalanche qui détruira son chalet et sa vie. Il sera alors employé dans une compagnie qui construira des téléphériques et verra peu à peu sa montagne se transformer en lieu de loisirs . La grande histoire lui passe au dessus de la tête, lui qui n’a connu l’amour et l’affection que si peu de temps. Les risques qu’il prend dans les constructions en montagne, la guerre et surtout sa captivité en Russie soviétique aurait dû le voir mourir lui qui a perdu sa raison de vivre, il en revient, en 1952, encore plus solitaire. Oui, c’est toute une vie d’un homme simple et mal aimé qui se déroule devant nos yeux et l’auteur sait nous la rendre présente sans pour autant qu’aucun pathos ne se mêle à cette destinée solitaire.

Citations

Un enfant martyre

Comme toujours, le fermier avait trempé la tige dans l’eau pour l’assouplir. Elles fendait l’air d’un trait en sifflant, avant d’atterrir sur le derrière d’Egger dans un bruit de soupir. Egger ne criait jamais, cela excitait le fermier qui frappait encore plus dur. Dieu endurcit l’homme fait à son image, pour qu’il règne sur la terre et tous ce qui s’affaire dessus. L’homme accomplit la volonté de Dieu et dit la Parole de Dieu. L’homme donne la vie à la force de ses reins et prend la vie à la force de ses bras. L’homme est la chair, il est la terre, il est paysan, et il se nomme Hubert Kranzstocker.

L’enfant mal aimé

Pendant toutes ces années passées à la ferme, il demeura l’étranger, celui qu’on tolérait, le bâtard d’une belle-sœur châtiée par -Dieu, qui devait la clémence du fermier au seul contenu d’un portefeuille de cuir pendu à son cou. En réalité, on ne le considérait pas comme un enfant. Il était une créature vouée à trimer, à prier et à présenter son postérieur à la baguette de coudrier.

Camp de prisonniers en Russie

Au bout de quelques semaines, Egger cessa de compter les morts qu’on enterrait dans un petit bois de bouleaux, derrière le camp. La mort faisait partie de la vie comme les moisissures faisaient partie du pain. La mort, c’était la fièvre. La mort, c’était la fin. C’était une fissure dans le mur de la baraque, qui laissait passer le sifflement du vent.

La fin des camps de prisonniers en Russie

Il s’écoula encore près de six années avant que ne s’achève le temps d’Egger en Russie. Rien n’avait annoncé leur libération, mais, un beau jour de l’été dix-neuf cent cinquante et un, les prisonniers furent rassemblés tôt le matin devant les baraquements et reçurent l’ordre de se déshabiller et d’entasser leurs vêtements les uns sur les autres. Ce gros tas puant fut arrosé d’essence, puis allumé, et, tandis que les hommes fixaient les flammes, leurs visages trahissaient leur terreur d’être fusillés sur-le-champ ou d’un sort plus terrible encore. Mais les Russes riaient et parlaient fort à tort et à travers, et quand l’un d’eux saisit un prisonnier aux épaules, l’enlaça et se mit à effectuer avec ce fantomatique squelette nu un grotesque pas de deux autour du feu, la plupart sentirent que ce jour-là serait un jour faste. Pourvus chacun de vêtements propres et d’un quignon de pain, les hommes quittèrent le camp dans l’heure même, pour s’acheminer vers la gare de chemin de fer la plus proche.

 

Andreï Makine est un auteur que j’apprécie et depuis longtemps. Je retrouve ici les thèmes qui l’obsèdent : les souffrances causées par le totalitarisme soviétique. Mais au-delà de cette folle idéologie meurtrière, il cerne ici plus précisément ce qui dans le comportement de chaque être humain , conduit à accepter l’inacceptable. Mais, justement, c’est un peu cela qui m’a fait moins adhérer à ce roman, je le trouve trop didactique, à force de vouloir nous prouver quelque chose, les effets deviennent attendus et le récit perd en intensité.

La traque d’un évadé d’un camp de personnes déplacées permet de cerner cinq personnalités qui ont toutes, de façons différentes sauvé leur peau face aux purges staliniennes en étant à des degrés divers de véritables ordures. L’un était commissaire politique pendant la deuxième guerre mondiale, il a fusillé un grand nombre d’officiers qui n’avaient rien fait, l’autre a participé à des liquidations de villages en Lettonie, tuant femmes et enfants, le moins « coupable » a vu sa femme et son enfant mourir de façon atroce durant le siège de Leningrad. Tous les cinq se tiennent par la peur d’être catalogué suspect par le commissaire politique. Une expérience tragique qui résume à elle seule la vie en 1952 en URSS. Lâcheté, bravoure, dénonciation, survie sont les balises qui tracent un chemin pour survivre et personne n’en sort indemne. La traque elle même nous fait découvrir la taïga et se termine dans une région aussi magique qu’effrayante le golfe de Tougour. Mais ce récit qui voit disparaître un à un les chasseurs au profit du fugitif perd d’intensité au fur et à mesure que les mêmes effets se répètent. La fin qui suppose une vie heureuse de deux êtres dans l’île de Bélitchy est peu crédible .

Citations

Une constante du comportement humain

J’étais fier de ne pas m’être abaissé à le dénoncer. Pourtant, je savais qu’il ne me pardonnerait pas ce geste d’humanité. Une constante psychologique dont j’étais curieux de vérifier la fatalité.

La femme aimée

L’infirmière, je l’ai épousée… Après la guerre, elle a pris sa revanche sur la faim, a grossi, est devenue même une belle femme, une femme d’officier, quoi, autoritaire, grincheuse, un peu caporal en jupon. Et l’autre, celle que je voyais en mourant n’existait plus… Les popes racontent comme quoi l’homme est puni pour ses péchés, bref, l’enfer et le feu éternel. Mais le vrai châtiment, ce n’est pas ça… C’est quand une femme qu’on a aimé disparaît… Comment dire ? Oui, elle disparaît dans celle qui continue à vivre avec vous…

Difficile d’être du bon côté en URSS sous Staline

En 1937, le jour du 20e anniversaire de la Révolution, le chantier du barrage fut relancé. Peu après, le nouveau chef de travaux allait être arrêté pour fait de sabotage antisoviétique. J’étais déjà capable de tirer ce bilan, si un mari jaloux n’avait pas tué mes parents, on les aurait emprisonnés parmi ces milliers de responsable accusés de gaspillage, de sabotage, d’espionnage… Alors, rejeton e ces traître à la Patrie j’aurais croupi dans une colonie de rééducation.

Les bourreaux après leurs crimes

Pendant la guerre, Louskass luttait contre les éléments « défaitistes » et les « éléments idéologiquement hostiles », comme on disait à l’époque. De bons officiers souvent. Il en a fusillé des centaines !.Il désignait vite fait un ennemi et, hop, le peloton d’exécution !Sans autre forme de procès. J’en ai croisé des types qui faisait le même sale boulot que lui. Certains, Et ce devait être le cas de Louskass, préféraient tuer avec leur pistolet de service. Question de goût. Une balle dans la nuque et le dossier est clos. Sauf que, tu vois,même s’il tirait dans la nuque, il ne pouvait pas ne pas voir, avant l’exécution, les yeux de tous ses soldats… Et maintenant dans son sommeil ses regards reviennent. Il tire, les nuque éclatent mais les yeux le vrillent . Et il hurle. Jusqu’à sa mort, ces yeux le poursuivront.

Sans doute le sens du livre

Durant cette veille, mes pensées luttaient contre l’insoluble simplicité de nos vies. Il y avait cette femme dans la nuit solitaire et, à si peu de distance d’elle, nous – ces hommes qui, quelques heures auparavant, était prêt à la torturer dans une saillie de bête… Les philosophes prétendaient que l’homme était corrompue par la société et les mauvais gouvernants. Sauf que le régime le plus noir pouvait, au pire, nous ordonner de tuer cette fugitive mais non pas de lui infliger ce supplice de viols. Non, ce violeur logeait en nous, tel un virus, et aucune société idéale n’aurait pu nous guérir.