Édition : petite Biblio Payot. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Hinfray.

 

J’ai ri et même éclaté de rire. J’ai imposé à tous mes amis la lecture de certains passages de ce voyage de Bill Bryson à travers la Grande-Bretagne qu’il aime tant. Alors, cette fois (contrairement au livre précédent sur Luocine), un grand merci Keisha , je te rejoins dans un plaisir de lecture que j’ai savouré à petites doses. Je commence à avoir un petit rayon Bill Bryson dans ma bibliothèque :American rigolos, Motel Blues, Shakespeare une antibiographie, Une Histoire de tout ou presque, Une histoire du monde sans sortir de chez moi, Nos voisins du dessous. Si j’ai volontairement ralenti ma lecture, c’est parce que je freinais mon envie de cavaler dans un livre où c’est mieux de prendre son temps. Quel plaisir aussi de le lire avec une bonne connexion Internet ! Cela permet de vérifier les images suggérées par un Bill Bryson en grande forme. Comme le dit Keisha , le premier chapitre racontant son premier contact avec l’Angleterre et ses habitants est à mourir de rire. Je peux encore sourire en imaginant la scène. On y apprend que les habitants restent le plus souvent courtois en toute occasion. (À ce propos je recommande la série « Mom » sur Arte qui démontre très bien aussi ce fait). Ensuite nous partons dans un périple à travers la Grande -Bretagne avec un auteur dont l’humour me ravit toujours autant. C’est très agréable de lire ce livre en vérifiant sur Internet tous les petits détails qu’il raconte avec un sens aigue de l’observation. Comme tout adepte de l’humour, il est d’abord sa propre cible, il faut dire qu’il manie avec une constance rare l’art de se tromper dans le choix de son hôtel et qu’après avoir cherché, le plus souvent sous la pluie, le meilleur rapport qualité prix , cela se termine le plus souvent dans une chambre mal chauffée et tristounette. Bill Bryson réussit son pari, nous faire aimer son pays d’adoption ,

cet étrange pays qui a inventé « un sport comme le cricket, qui dure trois jours sans jamais donner l’impression de commencer. 

J’ai été un peu étonnée qu’il visite, l’Angleterre sans évoquer les compétitions sportives (foot ou rugby) et l’Écosse sans les golfs ni le Whisky. En revanche la bière et les pubs sont bien présents. J’ai bien aimé aussi le passage où il se rend compte qu’être trop longtemps tout seul à voyager le rend un peu bizarre. Ce livre, c’est aussi une découverte de la personnalité de Bill Bryson , cet écrivain fait partie de ceux qui me remontent le moral. Vous pourrez lire de nombreux extraits et je vous le dis, je suis loin d’avoir recopié tous ceux dont j’aimerais me souvenir.

 

Citations

 

Vision de Calais

Calais est une ville fascinante qui n’existe que pour fournir à des Anglais en survêtement un endroit où aller passer la journée . Ayant subi d’intenses bombardements pendant le conflit mondiale , elle est tombée au mains des humanistes d’après guerre et ressemble par conséquent au reste d’une exposition de 1957 sur le ciment. Un nombre alarmant d’édifices du centre-ville, notamment autour de la lugubre place d’armes, semblent avoir été copiés sur des emballages de supermarché. Certains enjambant même des rues – ce qui est toujours la marque des urbanistes des années 1950, entichés des nouvelles possibilités offertes par le béton.

 

L’humour de Bill Bryson

Pour moi, quand il y avait un L à l’arrière d’une voiture, cela pouvait très bien signifier que son conducteur était lépreux. Je ne savais pas du tout que GPO désignait le bureau de poste principal (General Post Office), LBW une obstruction passible d’élimination au cricket (Le Before Wicket), GLC le conseil du grand Ni.dres (Greater London Council) et OAP les retraités (Ils Age Pensioners). Je rayonnais littéralement d’ignorance.

Les habitudes

Après être resté assis une demi-heure dans un pub avant de me rendre compte qu’il fallait aller chercher soi-même sa commande, je voulus faire la même chose dans un salon de thé et l’on m’enjoignit de m’asseoir.

 

L’art de résumer une vie (depuis il y a eu une série TV sur la vie de cet homme)

Selfridge était un type singulier qui nous donna tous une leçon de morale salutaire. Cet Américain consacra ses années d’activité à faire de Selfridges le grand magasin le plus raffiné d’Europe, transformant du même coup Oxford Street en principale artère commerçante de Londres. Il menait une vie droite et austère, se couchait tôt et travaillait sans relâche. Il buvait beaucoup de lait et ne faisait jamais de bêtises. Mais en 1918 sa femme mourut, et le fait de se trouver soudain libéré des liens matrimoniaux lui monta quelque peu à la tête. Il se lia avec deux jolies américaines d’origine hongroise connues dans le milieu du music-hall sous le nom de Dolly Sisters, et se plongea dans la débauche. Une Dolly à chaque bras, il écuma les casinos d’Europe, où il joua et perdit avec prodigalité. Il se mit à dîner dehors tous les soirs, dépensa des sommes folles aux chevaux de course et en automobile, acheta Highliffe Castle et projeta de faire construire une demeure de 250 pièces à Hengistbury Head, une localité voisine. En dix ans il dilapida 8 millions de dollars, se vit retirer la direction de cette Selfridges perdit son château et sa résidence londonienne, ses chevaux de courses et ses Rolls-Royce, et se retrouva finalement à vivre tout seul dans un petit appartement de Putney et à prendre le bus, avant de mourir sans le sou et pour ainsi dire oublié le 8 mai 1947. Mais il avait eu le plaisir inestimable de s’envoyer en l’air avec des sœurs jumelles, c’est tout de même ça le principal.

Je me retrouve dans cette remarque :

Parmi des milliers de choses que je n’ai jamais réussi à comprendre, il en est une qui ressort particulièrement. C’est la question de savoir qui a dit le premier, alors qu’il se trouvait près d’un tas de sable :  » Je parie que si on prenait de ça, si on le mélangeait avec un peu de potasse et si on le faisait chauffer, on obtiendrait à matériaux solides mais transparent. On appellerait ça du verre. » Traitez-moi d’abruti si vous voulez, mais on aurait pu me mettre sur une plage de sable jusqu’à la fin des temps sans qu’ils me viennent à l’idée d’essayer d’en faire des vitres

Portraits d’ anglais

Je passais devant un alignement de cabines de plage disposées en arc de cercle, toutes de formes identiques mais peintes de différentes couleurs vives. La plupart étaient fermées pour l’hiver mais, au trois quarts de la rangée environ, il y en avait une d’ouverte, un peu à la manière d’un coffre de magicien, avec une petite terrasse ou un homme et une femme était assis sur des chaises de jardin, emmitouflés comme pour une expédition polaire, une couverture sur les genoux, souffleté par des bourrasques qui menaçaient à tout instant de les faire basculer à la renverse. L’homme essayait de lire le journal, mais le vent le lui rabattait sans cesse sur le visage. Ils avaient tous les deux l’air très heureux ou, sinon heureux à proprement parler, en tout cas extrêmement satisfaits comme s’ils étaient aux Seychelles en train de boire un gin-fizz sous des palmiers dodelinants, et non pas à moitié mort de froid sous des rafales anglaises.
Ils étaient satisfaits parce qu’ils possédaient un petit bout de terrain tellement prisé en bord de mer pour lequel il y avait sans doute une longue liste d’attente et que, là était le véritable secret de leur bonheur, ils pouvaient rentrer quand ils voulaient dans la cabine pour avoir un peu moins froid. Ils pouvaient se faire une tasse de thé et, s’ils étaient d’humeur à faire des folies, manger un sablé au chocolat. Après, ils pourraient passer une agréable demi-heure à ranger leurs affaires et à fermer les volets. Il ne leur fallait pas plus pour accéder à un état proche du ravissement.

Les prospectus publicitaires

Presque tous ces dépliant regorgeait tellement de fautes que c’en était déprimant, et ils avaient si peu à offrir que c’en était pitoyable. La plupart étoffait leur liste d’attractions grâce à des indications telles que « parking gratuit » ou « Boutique cadeaux et salon de thé », sans compter l’inévitable « terrain d’aventure », et ensuite, ils étaient assez bêtes pour montrer sur la photo que c’était juste un portique et deux animaux en plastique sur ressort. Qui peut bien aller dans des endroits pareils ? Je me le demande.

Logique britannique

Je priais l’employé du guichet de me donner un aller simple pour Barnstable. Il m’informa que l’aller simple coûtait 8,80 livre mais qu’il pouvait me faire un aller-retour pour 4,40 livres.
– Vous ne voudriez pas m’expliquer en quoi c’est logique ? lui demandai-je.
– Je voudrais bien si je pouvais monsieur, me répondit-il avec une louable franchise.

Autodérision

Et les voilà tous partis à me bombarder de questions. « Elle consomme beaucoup ? Combien de litres au 100 ? C’est quoi comme couple ? Tu as un double arbre à cames en tête ou un alternateur carburateur à deux canons avec baïonnette et sortie les pieds devant ? » Ça me dépasse que quelqu’un veuille savoir toutes ces conneries sur une machine. Aucun autre appareil ne suscite un tel intérêt. J’ai toujours envie de leur demander. « Alors comme ça il paraît que tu as un nouveau réfrigérateur ? Et elle contient combien de litres de fréon, cette petite merveille ? C’est quoi son IEE ? Et comment il réfrigére, hein ? »
 Cette voiture possédait l’assortiment habituel de touches et de boutons, tous ornée d’un symbole destiné à vous embrouiller (…)
 Au milieu de ce tableau de bord se trouvaient deux cadrans circulaires de la même taille. L’un d’eux indiquait clairement la vitesse, mais l’autre me laissait totalement perplexe. Il avait deux aiguilles, une qui avançait très lentement et une qui n’avait pas l’air de bouger du tout. Je la regardai pendant une éternité avant de m’apercevoir ( je vous jure que c’est vrai,) que c’était une pendule.

Les lords anglais

Je me rappelle avoir lu un jour que le dixième duc de Marlborough, alors qu’il séjournait dans l’un des châteaux de sa fille, était apparu consterné en haut de l’escalier pour déclarer que sa brosse à dents ne moussait pas convenablement. Il s’avéra que, son valet ayant toujours mis le dentifrice à sa place, le duc ignorait que ces instruments ne fabriquait pas spontanément de la mousse.

Bradford.

La mission de Bradford, dans la vie, c’est de faire paraître toutes les autres villes de la planète plus belles en comparaison, et elle remplit très bien ce rôle.

 Liverpool

J’ai pris le train pour Liverpool, où j’arrivais en plein Festival du détritus. Les habitants avaient pris le temps, malgré leurs nombreuses activités, de parsemer le décor, par ailleurs terne et mal entretenu, de sachets de chips, de paquets de cigarettes vides et de sacs en plastique. Ils voletaient gaiement dans des buissons, apportant couleur et relief aux trottoirs et au caniveaux. Et dire qu’ailleurs on met tout cela dans des sacs-poubelle.

Engager une conversation

Je ne sais pas moi, engager la conversation avec des inconnus en Grande-Bretagne. En Amérique, évidemment, c’est facile. Il suffit de tendre la main en disant : « Moi c’est Bryson. Vous avez gagné combien l’année dernière ? » Et ensuite le dialogue ne tarit plus.

La correspondance train/autocar

Bien que le dernier train eût effectué sa desserte depuis quelques temps, un homme se tenait toujours au guichet. J’allais donc le voir et l’interrogeait calmement sur le manque de coordination entre le train et les services d’autocar à Blaenau. Je ne sais pourquoi, vu que je fus l’amabilité même, mais il fut visiblement vexé, comme si je critiquais sa femme, et répondit d’un ton irrité.
– « Si la société Gwynned Transport veut que les gens prennent le train de la mi-journée à Blaenau, elle n’a qu’à faire partir les cartes plutôt.
– Mais vous aussi, insistai-je, vous pourriez faire partir le train quelques minutes plus tard. »
Il me regarda comme si j’étais outrageusement impertinent et riposta.
– » Mais pourquoi nous ? »

Les animaux , les enfants, les ouvriers.

Savez-vous que la Société nationale de prévention de la cruauté envers les enfants a été fondé soixante ans après la Société royale de prévention de la cruauté envers les animaux dont elle n’était qu’une émanation ? Savez-vous qu’en 1994 la Grande-Bretagne a voté pour une directive européenne exigeant des périodes de repos statutaire pour les animaux transportés, mais contre des périodes de repos statutaires pour les ouvriers d’usine ?

Bryson a beaucoup utilisé les trains en Angleterre donc en 1994 on pouvait dire ceci

Voici pour vous quelques chiffres singuliers, qui sont un peu barbants mais qu’il faut connaître. En Europe, les frais affectés par personne et par an aux infrastructures ferroviaires sont de 20 livre en Belgique et en Allemagne, 31 livre en France, plus de 50 livre en Suisse, et en Grande-Bretagne elles atteignent royalement 5 livres. La Grande-Bretagne débourse moins par tête de pipe pour améliorer les voies ferrées que n’importe quel autre pays de l’Union européenne à part la Grèce et l’Irlande. Même le Portugal dépense plus. Et, malgré ce manque de soutien financier, le pays possède vraiment un excellent service de chemin de fer, tout compte fait. Aujourd’hui les trains sont beaucoup plus propres qu’autre fois, le personnel globalement plus patient et plus serviable. Les gentils guichetiers disent toujours s’il vous plaît et merci, et la nourriture est mangeable.

Une différence entre le Middle West et le Yorkshire

Là d’où je viens, dans le Middle West, lorsqu’on est emménage dans un village ou une petite ville, tout le monde passe vous voir pour vous souhaiter la bienvenue comme si c’était le plus beau jour du quartier, et tout le monde vous apporte une tarte. Vous vous retrouvez avec des tartes aux pommes, des tartes aux cerises et des tartes au chocolat. Dans le de Middle West, il y a des gens qui déménagent tous les six mois rien que pour les tartes.
Dans le Yorkshire, cela ne risque pas d’arriver. Mais progressivement, petit à petit, les autochtones vous font une place dans leur cœur et se mettre, lorsqu’il passe en voiture, à vous faire un signe de reconnaissance que j’appelle le salut de Malhamdale. C’est un jour mémorable dans la vie de tout nouvel arrivant. Pour effectuer le salut de Malhamdale, faites d’abord semblant de tenir un volant de voiture. Puis, très lentement, tendez l’index de votre main droite comme si vous aviez un petit spasme involontaire. Voilà. Ça n’a l’air de rien, mais ça en dit long, croyez-moi et cela va beaucoup me manquer.

L’amour de l’Angleterre

Tout à coup, en un éclair, je compris ce que j’aimais en Grande-Bretagne, tout. Absolument tout, le bon et le mauvais, la pâte à tartiner Marmite, les fêtes de village, les chemins de campagne, les gens qui disent :  » Faut pas se plaindre », et « Je vous demande pardon, mais », ceux qui me présentent leurs excuses, à moi quand je leur donne un grand coup de coude sans faire exprès, le lait en bouteille, les haricots sur du pain grillé, les foins au mois de juin, les orties qui piquent, les jetées-promenades en bord de mer, les cartes d’état-major, les crumpets, le fait d’avoir toujours besoin d’une bouillotte, les dimanches pluvieux – tout, je vous dis.

 

 Édition Seuil arte édition

Merci à Keisha de m’avoir fait découvrir ce livre que j’ai beaucoup, beaucoup aimé.

Ce livre est passionnant à plus d’un titre. Ce qui a guidé le projet de cette auteure est certainement le besoin de retrouver les traces des enfants juifs disparus qui habitaient pendant la guerre au 209 rue Saint-Maur. C’est la partie essentielle de ses recherches, mais cela l’a entraînée à en savoir plus sur cet immeuble qui avant la « gentrification » des quartiers populaires de Paris était habité par des ouvriers et des gens à peine sortis de la pauvreté. C’est le second intérêt de cet essai : un peu à la Perec et « la vie mode d’emploi », elle va retrouver les habitants qui se sont succédés dans un même immeuble et les rendre vivants. Le passage sur la commune est passionnant, bien sûr dans les année 30, cet immeuble abritera les plus pauvres donc des juifs qui fuient les persécutions nazies. L’auteure a recherché les descendants de ces familles détruites et les a retrouvés. C’est donc aussi un livre sur la mémoire, celle de ces enfants de plus de 80 ans qui avaient surtout voulu oublier. Oublier « pour ne plus être en colère » comme le dit un des enfants. Oublier pour construire une vie sans ces images si lourdes à porter. La mémoire de l’auteure, descendante de la shoah, l’aide à très bien comprendre les blocages qui empêchent les survivants ou leur descendants de parler . Comme le dit le sous-titre, elle cherche à faire l’autobiographie de cet immeuble, et c’est ainsi qu’elle arrivera à faire parler ceux qui y ont vécu et à nous rendre vivant leur existence à deux trois ou quatre dans une seule pièce. Avec l’eau et les WC à tous les étages. En dessinant leur intérieur, des noms et des souvenirs reviennent. Et après ? après la guerre, les logements ne sont pas restés vides, c’est une autre population qui est arrivée, ouvrière et souvent communiste, étrangère parfois , algérienne et portugaise ces gens se sentaient soudés par le même statut social. Et puis, dans les années 80, l’immeuble a été racheté par des gens plus riches qui ont réunis les petits appartement pour en faire des logements agréables à vivre.

Ma seule difficulté a été de ne pas mélanger tous les noms des personnes dont elle suit les histoires. Un beau travail, passionnant et qui en apprend beaucoup sur un Paris des gens simples qui, s’ils ne font pas l’histoire, la subisse sans pouvoir, hélas, se défendre .

J’ai trouvé sur Youtube le documentaire de Ruth Zylberman qu’elle a réalisé avant d’écrire cet essai dont le sujet est plus large que les « enfants du 209 car il s’intéresse à l’immeuble de sa construction à nos jours.

https://www.youtube.com/watch?v=RkXCtFHQBZM

Citations

J’adore la phrase sur la baignoire

Car depuis la commune, il n’y a pas eu à Paris cette expérience radical de la ruine. Comme se souvenait le polonais Czeslaw Milosz décrivant Varsovie après 1945 :  » L’homme s’arrête devant une maison coupée en deux par une bombe. L’intimité des logis humain est là, béante, les odeurs de famille s’évaporent avec la chaleur de ces cellules d’abeilles, tranchées et ouvertes à la vue du public la maison elle-même n’est plus un rocher ; c’est du plâtre, du ciment, des briques et des poutres ; et, au troisième étage, solitaire , accessible aux anges seuls, une baignoire blanche est suspendue, d’où la pluie va laver tous les souvenirs de ceux qui s’y sont lavés.  » Non, à Paris, pour l’essentiel, les pierres demeurent, la façade, comme une peau régulièrement ravalée, protège la course heurtée, la chute parfois, des vies qui se dérobent.

L’ambiance de l’immeuble avant la guerre

À écouter Odette, c’est tout un monde, où se mélangeait le français et le yiddish, qui ressuscite. Ma mère comme souvent les femmes, ne parlait que très mal le français parce qu’elle restait à la maison. Mon père par contre se débrouillait pas mal, il était plus en contact avec les Français, au travail par exemple. Ma mère parlait une sorte de « franish » qui nous faisait beaucoup rire. Par exemple, quand on descendait en courant les escaliers avec mes frères, ce que nous faisions très souvent, elle criait  » Tombe nicht in escaliers ».

Souvenir d’un enfant du 209 déporté

Pour Albert, parler c’est dénoncer un système qui l’a condamné à mort. Au camp de Buchenwald, Albert a été sauvé par les communistes. Il l’est longtemps resté après la guerre. Sa tragédie personnelle, ils veut la transmettre dans sa dimension collective, politique, universelle. « Plus jamais ça » n’est pas pour lui un mantra vide de signification, c’est une raison de vivre et c’est bien pour ça qu’il a accepté de me recevoir malgré la fatigue et la maladie.

J’aime beaucoup les plongées dans l’histoire du Paris populaire.

Comment a-t-on réagi rue Saint-Maur, quelques mois plus tard, en apprenant que dans la nuit du 17 au 18 mars, le chef de gouvernement, Adolphe Thiers, a envoyé des troupes à Montmartre pour en faire retirer les canons de la garde nationale, ces mêmes canons que les Parisiens avaient eux-mêmes payés par souscription ? Il a dû en être rue Saint-Maur comme dans tous l’est de Paris : le tocsin sonne, la garde nationale fédérée accourt au secours des Montmartrois, la troupe fraternise avec le peuple. C’est le début de l’insurrection.

La façon dont l’auteure rend vivant les acteurs du passé

J’attrape les éclats surgis de ces quelques lignes  : le portrait du tout jeune Ernest Badin , apprenti de l’atelier du 209 désormais fermé, sans argent, aux abois, attiré par la solde, si minime soit-elle, par l’uniforme et aussi par l’aventure que devait représenter ces barricades à portée de main, épaulé par son compagnon de travail, Payer, plus âgé de quelques années ; la blessure de Payer, sa course d’une barricade à l’autre, autour de Saint-Maur, et cette phrase où résonne la certitude de la défaite  :  » je préférais être tué dans la rue que d’être tué chez moi ».

Le travail de l’historienne

Une fois de plus, je suis naïvement fascinée par cet instant où, sous l’effet de la recherche ou du hasard, un nom commence à prendre vie, à se métamorphoser en une impressionnante ramification d’autres noms, de trajectoire, de détails qui sont autant de bornes me guidant vers l’envers du présent.

Être juif en 1941

Sait- elle que dès mai 1941 , presque tous les hommes étrangers juifs de l’immeuble ont reçu un billet vert les « invitant » à se présenter pour examen de leur situation ? A-t-elle alors entendu les hésitations, les raisonnements, les hypothèses sans doute déployées par les locataires convoqués qui ne savent pas s’il faut ou non « se présenter » ? Elle ne se souvient pas qu’Abel, son père, ait reçu cette convocation. Ce fut pourtant le cas et il a visiblement fait le choix de ne pas se rendre au commissariat. Le père d’Albert Baum, son oncle Isaak Goura, n’y sont pas allés non plus. Imaginaient-ils ce que risquaient ceux qui s’y sont présentés le 14 mai 1941 à 7h du matin

Derrière moi

« J’ai laissé tout ça loin derrière moi. Je m’efforce de ne pas me souvenir car si j’oublie je suis heureux. Si je me souviens, la colère monte en moi. Quand vous êtes en colère, vous êtes le seul à souffrir, donc je suis heureux quand je ne suis pas en colère, quand je ne me souviens pas. »

 

Édition folio Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud

 

L’appel à la sainteté et au sacrifice de soi, les illusions et la superstition nécessaire disparaissaient du monde à cette époque déjà 

 

Le 18 décembre 2018, Dominique faisait paraître un billet sur ce roman et immédiatement cela m’a tentée. Comme on peut le constater, je ne suis pas très rapide dans la concrétisation de mes tentations !

Je dois d’abord dire que j’ai failli lâcher cette lecture au bout de cent pages. Gros avantage des blogs et d’internet, on peut relire les billets même quelques années plus tard, je suis donc retournée sur son blog et cela m’a donné un second souffle pour finir ma lecture. Heureusement ! car c’est un excellent roman de plus très original.
Pourquoi ai-je failli l’abandonner ? Parce qu’il présentait une vision trop idyllique, à mes yeux, de l’univers des sœurs, ici, les petites sœurs des pauvres. Et que, comme moi je suppose, vous connaissez des récits personnels, ou des romans, décrivant toute la perversité avec laquelle l’église catholique a contraint des consciences, parfois avec violence au nom du « bien ».

Pourquoi aurais-je eu tort d’arrêter ma lecture ? Parce que je n’aurais pas dû oublier que petites sœurs des pauvres ont été les pionnières et souvent les seules à lutter contre la précarité au début du 20° siècle. Dans ce roman, on parle de Jeanne Jugan qui est originaire de ma région et dont la vie, à l’image des sœurs de Brooklyn, est faite d’abnégation et de courage mais aussi de jalousie et de perfidies dont elle a été victime.

Le roman commence par le suicide de Jim, mari d’Annie et père de Sally . Les sœurs font tout ce qu’elles peuvent pour éviter à la famille le déshonneur d’un suicide hélas la presse a dévoilé cette mort par le gaz qui aurait pu faire sauter tout l’immeuble. Si sœur Saint-Sauveur n’arrive pas à faire dire une messe ni à faire enterrer en terre catholique le malheureux Jim, au moins sauve-t-elle Annie de la misère la plus absolue en l’employant à la blanchisserie du couvent. Ainsi Sally va-t-elle naître et grandir au milieu des sœurs. On voit peu à peu différents caractères se dessiner, celle qui règne sur la blanchisserie : Illuminata a un caractère bourru mais elle se prend d’affection pour Annie et Sally et elle est jalouse de Jeanne une sœur plus jeune qui va comprendre qu’Annie a besoin parfois de souffler un peu et lui permet de sortir du couvent.
A Brooklyn dans la communauté irlandaise , l’alcool, la misère, les naissances trop rapprochées sont le lot d’une population qui essaie tant bien que mal de s’en sortir. J’ai retrouvé dans ces descriptions l’ambiance d’une série que j’ai beaucoup aimé et qui se passe dans les années 50 en Grande-Bretagne : « Call The Midwife » .

Plusieurs personnages secondaires apparaissent qu’il ne faut surtout pas négliger, car ils vont se réunir pour former la trame romanesque de cette plongée dans le début du 20° siècle dans le New York de la grande pauvreté. Monsieur Costello, le livreur de lait, marié à une femme amputée d’une jambe et tout le temps malade – la description des soins qu’il faut lui administrer sont d’un réalisme difficilement soutenable. La famille Tierney qui malgré les difficultés et les nombreuses naissances est marquée par la joie de vivre . J’ai appris grâce à cette famille que pour éviter de faire la guerre de Sécession on pouvait payer un remplaçant mais si celui-ci revenait blessé la famille se devait, au moins moralement, mais souvent financièrement l’aider à s’en sortir.

Le décor est planté, la jeune Sally ira-t-elle vers les modèles qui ont bercé son enfance et deviendra-elle nonne à son tour ? Elle a bien failli le faire, mais un terrible voyage en train lui a montré qu’elle n’avait pas l’âme assez forte pour supporter l’humanité souffrante (et déviante). Ira-telle vers une vie familiale avec Patrick Tierney ? Mais pour cela il faudrait qu’elle abandonne sa mère qui a tant fait pour elle.
Oui, il va y avoir une solution mais il ne faut pas top s’étonner qu’à l’âge adulte Sally ait eu des tendances à la dépression !

Un excellent roman, qui vaut autant pour les descriptions précises et très (trop parfois pour moi) réalistes de la communauté pauvre irlandaise de Brooklyn, que pour les rapports entre les religieuses, que par sa construction romanesque très bien imaginée. Si j’ai une petite réserve c’est que j’ai trouvé un inutilement compliqué de comprendre qui était en réalité le narrateur, mais cela permet de ne pas divulgâcher la fin. Comme je fais partie des gens qui aiment mieux connaître le dénouement avant de lire un roman, évidemment j’ai été plus agacée que séduite par ce procédé.
Mais ce n’est qu’un tout petit bémol par rapport à l’intérêt de ce roman qui a reçu le prix Fémina pour le roman étranger, en 2018, c’est vraiment plus que mérité, car c’est un très bel hommage aux femmes à toutes les femmes !

 

Citations

 

La pauvreté

Sœur Lucy dit à Sally qu’un bon mari était une bénédiction – un bon mari qui allait au travail tous les jours, ne dilapidait pas son salaire au bar ou sur les champs de courses, ne battait pas ses enfants et ne traitait pas sa femme en esclave – mais une bénédiction rare à tout le moins.
Elle dit : Même un bon mari est capable d’épuiser sa femme. Elle dit : Même une bonne épouse est susceptible de se transformer en sorcière ou en poivrote ou, pire, en bébé ou en invalide, afin de tenir son très bon mari à l’écart de son lit.

Éducation sexuelle de la jeune novice dans un voyage en train

« Et même si je suis sûr, poursuivit-elle, qu’un petit bébé bonne sœur ne connaît rien à ces choses-là, je peux vous affirmer qu’on a jamais vu un homme avec un pénis aussi minuscule. » Elle brandit son petit doigt pâle. L’ongle, la chair même se terminaient en une pointe ourlée de crasse. Puis la femme fourra le doigt dans sa bouche et referma les lèvres dessus. Elle écarquilla les yeux comme sous le coup de la surprise. Lorsque elle ressortit son doigt, il était humide et taché de rouge à lèvres à sa base. Ensuite elle posa sa main, aux doigts repliés dans sa paume sur ses larges cuisses et remua son petit doigt humide contre le tissu noir de sa jupe.  » Vous imaginez, dit-elle avec désinvolture, une fille de ma taille passant sa vie à chevaucher un truc de cette taille là ? » Sally détourna les yeux, le visage brûlant.

J’aime bien cette description d’une dispute familiale

Ainsi s’acheva la dispute. Ils étaient tous les deux tout rouge. Ils se passèrent tous les deux la langue sur les lèvres, satisfaits, pour lécher les postillons des mots qu’ils venaient de crier. Les disputes de leurs parents, nous raconta notre père, éclataient soudainement, comme une bagarre de rue, puis se terminaient tout aussi vite. La paix redescendait. Ça ressemblait au bonheur.
Leurs six enfants en vinrent à comprendre qu’on pouvait trouver une certaine satisfaction à faire enrager un être aimé

 

Édition Buchet/Chastel

Une auteure qui a un joli style tout en simplicité et pourtant, quel travail sur ses phrases ! Elles sont toutes ciselées et semblent couler de source. On reconnaît Marie-Hélène Lafon, un peu comme on reconnait Annie Ernaux. C’est une qualité que j’apprécie beaucoup : une écriture qui se reconnaît en restant simple. J’avais beaucoup aimé L’annonce, et eu plus de réserves sur Joseph . Mais ce roman m’a beaucoup plu. Il commence par une tragédie racontée de façon saisissante, la mort d’un enfant ébouillanté accidentellement par une femme qui en perdra la raison. Ensuite le roman se morcelle en suivant différents personnages. Le fil conducteur c’est ce « fils » mort de façon tragique, son jumeau suivra un parcours marqué par la collaboration et les conquêtes féminines. Il ne saura pas qu’il a eu un fils qui au contraire s’illustre par son courage de résistant pendant la guerre 39/45 . La mère de ce fils est un personnage étrange qui est en toile de fond du roman et que l’on ne comprend pas très bien. Sa plus grande sagesse a été de confier cet enfant à sa sœur et son mari qui lui donneront amour et tendresse. Comme il faut bien une fin , si ce fils n’a pas retrouvé ses racines paternelles, dans un dernier chapitre les deux familles finiront par se rejoindre.
Je n’ai pas toujours apprécié ce morcellement que Kathel appelle l’art de l’ellipse, mais ma réserve vient surtout des personnages , comme celui de la mère, pas assez approfondis. Si j’aime cette auteure, c’est pour son style et les ambiances qui règnent dans ces romans plus, sans doute, que ses histoires qu’elle suggère plus qu’elle ne les raconte.

 

Citations

J’aime le style de cet auteur

Une fois, elle lui avait demandé son âge, le vrai, et lui avait dit qu’il ressemblait beaucoup, en plus jeune, à son frère dont elle était sans nouvelles depuis octobre 1940. Il avait pensé, sans le dire, que c’était peut-être un critère discutable pour choisir un amant dans une troupe de mâles tous plus ou moins affamés et affûtés par le sentiment de vivre à la proue d’eux- mêmes.
Cette femme, Sylvia, disait ça, vivre à la proue, être affûté ; elle parlait souvent avec des images qui ne se comprenaient pas tout à fait du premier coup mais se plantaient dans l’os et y restaient.

Le catéchisme 1934

Il aime l’école le mettre la grammaire, et les autres matières, il est d’accord pour tout. Il aurait voulu suivre aussi le catéchisme avec les enfants de son âge ; mais sa mère n’y tenait pas, elle a dit, il est baptisé et ça suffit ; Hélène et Léon n’ont pas insisté et il croit comprendre que la dame du catéchisme et le curé, qu’il connaît, comme tout le monde à Figeac, ne doivent pas être très à l’aise avec les fils de pères inconnus. Inconnu est un adjectif qualificatif, il en est certain, il peut compter là-dessus, sur la grammaire. À père inconnu, fils inconnu. Ce père et lui aurait en commun un adjectif de trois syllabes dont la première est un préfixe de sens négatif et les deux suivantes un participe passé.

Cadeau de mon fils qui partage mon goût pour l’humour de cet auteur aussi bien en roman : Le Discours , qu’en BD  : depuis Zaï Zaï Zaï , Et si l’amour c’était d’aimer, et Formica . Il s’agit d’un de ses premiers romans et déjà tout son humour est présent. L’auteur narrateur, auteur de théâtre de son état, est un éternel perdant qui se présente comme étant un collectionneur d’enterrements. Mais surtout ne vous fiez à rien de ce qu’il raconte car tout est faux et tout n’est qu’un jeu d’apparences . Tout le monde est manipulé par cette société Figurec, qui paye des figurants pour que votre vie ait l’air de quelque chose d’à peu près vivable. Au passage vous aurez quelques éclats de rire, pas forcément les mêmes que les miens mais je suis certaine que vous rirez. En revanche ne vous accrochez pas trop à l’intrigue, si elle est meilleure que la pièce de théâtre dont nous avons quelques extraits ce n’est quand même pas l’histoire du siècle. C’est pour moi moins bon que « Le Discours » mais pour mes éclats de rire, je lui attribue quand même ses quatre coquillages.

 

Citations

La phrase à ne pas oublier (et à essayer de recaser dans une conversation)

On peut difficilement se permettre d’être parasite et végétarien.

Les artistes

Il y a les artistes et ceux qui auraient aimé être artistes, c’est généralement dans cette catégorie qu’on trouve les mécènes – et puis il y a ceux qui n’en ont rien à foutre, pour qui les artistes sont soit des fainéants, soit des homosexuels, soit les deux.

Un bel enterrement

Ah, l’enterrement d’Antoine Mendez ! Sa femme essayant de sauter dans le caveau pour le rejoindre dans l’éternité, ses cris hystériques, ses trois fils la retenant dans des spasmes maîtrisés de grands garçons face à la mort, le discours de son meilleur ami admirablement ciselé, pas du tout mortuaire, certaines anecdotes parvenant même à susciter des petits rires humides et pensifs dans l’assistance. Je souhaite sincèrement que cet ami ait droit à pareil éloge quand son tour viendra. Antoine Mendez, voilà quelqu’un qui a réussi son enterrement. Il y a des gens comme ça qui savent partir.

Figurec

Depuis, l’idée a fait son chemin. Figurec aujourd’hui c’est des dizaines de milliers d’employés à travers le monde. Des figurant dans tous les domaines, partout, probablement la société secrète la plus puissante du monde ou employé et commanditaire sont tous maçons ou fils de maçon. Enfin pas tout à fait maçons, plutôt Roquebruniste, c’est une autre école, la belle dissidente.

Sa mère

Ma mère ressent toujours le besoin de préciser l’origine des aliments qu’elle propose à ses invités, de manière un peu paranoïaque, comme si elle était persuadée que les gens qui viennent manger chez elle redoutent l’intoxication alimentaire. Si la cuisine était assez grande pour y faire entrer deux bovins, elle présenterait aux invités les parents du steak.

Ses succès féminins

La dernière femme avec qui j’ai eu une conversation en tête à tête – si j’exclus ma mère et ma boulangère – est la professeur d’anglais qui m’a fait passer l’oral du bac. Autant dire que, contrairement à  » my tailor », mon expérience  » is not rich ».

Les manifs de prof le chapitre entier est très drôle voici juste un passage

Devant nous, un homme et une femme discute assez violemment, lui est du SEAFFJ (syndicat des enseignants adhérents à la Fédération française de judo) et elle du SEDV (syndicat des enseignants diabétiques et végétaliens). Visiblement ils ne sont pas tout à fait d’accord sur un point précis des revendications. Finalement, un type avec un bouc et des lunettes, du SEPVSELC (syndicat des enseignants pour la vaccination systématique des enfants du Loir-et-Cher) s’interpose et finit par les calmer.

Édition 10/18 traduit du japonais par Jean-Baptiste Flamin

Je dois cette lecture à Dasola et mes cinq coquillages seront, je l’espère, une incitation pour que ce livre extraordinaire trouve un large public parmi mes amies blogueuses et amis blogueurs. Ce roman remplit trois fonctions, décrire avec minutie les ressorts de la justice japonaise (depuis l’affaire Carlos Gohn, on a tous l’idée que ce n’est pas facile de sortir de ses griffes), une réflexion très fournie sur la peine de mort, et enfin un thriller bien construit. Pour moi, c’est ce dernier aspect que j’ai trouvé le moins intéressant, mais sans doute parce que je suis peu adepte du genre. En revanche la description de la justice japonaise m’a absolument passionnée. Le roman débute dans le couloir de la mort, à neuf heures du matin, c’est l’heure où, lorsque l’on entend des pas se rapprocher de la cellule où on est enfermé, cela peut être ceux des gardiens qui viennent chercher le condamné qui doit alors être exécuté. Ryô Kihara écoute et on imagine sa souffrance puisqu’il est condamné à la pendaison, puis les pas passent et ce n’est pas pour lui pas cette fois… Après cette scène, il est impossible que vous ne vouliez pas en savoir plus ; alors vous suivrez la levée d’écrou de Jun’ichi qui part en conditionnelle après avoir fait deux ans de prison pour avoir tué accidentellement un homme dans un bar. Ce départ se fait selon un rituel où le condamné ne doit son départ vers la liberté qu’à une attitude où il montre à quel point il se repent pour tout le mal qu’il a fait. Toute la justice japonaise est là, il ne sert à rien de clamer son innocence, il faut montrer qu’on a changé, que la prison vous a changé et que vous ne recommencerez jamais. C’est pour cela que l’on voit à la télévision, s’humilier devant le pays des grands patrons ou des dirigeants politiques. Ils peuvent repartir libres car ils reconnaissent à la fois leur culpabilité et les bienfaits de la justice japonaise qui a œuvré pour leur bien et celui de la société. (Tout ce que Carlos Gohn n’a jamais voulu faire.). Enfin grâce à Shôgi Nangô, le gardien de prison qui va recruter Jun’ichi pour essayer d’innocenter Ryô Kihara avant qu’il ne soit trop tard, le lecteur est plongé dans une réflexion approfondie sur ce que représente la peine de mort pour celui qui l’administre. Depuis « L’Étranger » je n’ai rien lu d’aussi marquant. Je ne dirai rien du thriller car je sais bien qu’il ne faut surtout pas divulgâcher ce genre d’intrigue. Un des aspects qui joue un grand rôle dans le roman, ce sont les sommes d’argent qui sont en jeu. Les parents du jeune Jun’ichi ont versé aux parents de la victime une somme si colossale qu’ils sont réduits à la misère. C’est d’ailleurs pour cela que ce jeune acceptera de partir dans l’enquête de Shôgi Nangô car il espère, grâce à l’argent gagné, aider ses parents à sortir de la pauvreté où il les avait plongés.

Je ne voudrais pas que vous pensiez que ce roman est uniquement une charge sévère contre la justice japonaise, il s’agit plus exactement d’un questionnement sur son fonctionnement et cela amène le lecteur à réfléchir sur ce que la société recherche en emprisonnant des délinquants. Si c’est les écarter de la société, ils ressortiront et recommenceront, si c’est les réadapter alors on s’intéressera au système japonais qui veut être certain que l’individu a changé et ne recommencera pas parce qu’il a compris les conséquences de ses actes.

Enfin pourquoi treize marches : d’abord il semblerait que dans les premiers temps il y ait eu treize marches pour monter à l’échafaud , ensuite Ryô Kihara qui souffre d’une amnésie et ne se souvient de rien se rappelle soudain avoir gravi treize marches, et enfin il faut treize signatures successives pour valider la condamnation à mort avant de l’exécuter. Et évidemment, avant cette treizième signature, nos deux enquêteurs doivent boucler leur enquête. Voilà pour le suspens qui est très prenant. C’est peu de dire que j’ai aimé ce livre, j’ai été passionnée de bout en bout.

 

 

PS

Vous pouvez vous informer sur l’horreur de la peine de mort au Japon, en tapant le nom de Sakae Menda ou Iwao Hakamada

 

Citations

 

Le procureur tout puissant

Pour avoir été lui-même jugé, Jun’ichi n’avait pas beaucoup de sympathie pour les procureurs. Leur réussite au concours national de la magistrature faisait d’eux l’élite de la nation. Ils agissaient au nom de la justice, avec la loi pour seule arme, sans aucune place pour les sentiments.

 

La sortie de prison en conditionnelle

Une lumière diffuse , filtrée par le verre dépoli des fenêtres , conférait au surveillant un air plus humain , que Jun’ichi découvrait pour la première fois . Mais la sérénité que ce tableau inspirait au jeune homme fut balayée par la phrase suivante.
– Je m’engage à prier pour le repos de l’âme de ma victime, et m’efforcer en toute bonne foi de l’apaiser.
Il blêmit.
« Prier pour l’âme de sa victime et s’efforcer de l’apaiser… »
Jun’ichi se demanda si l’homme qu’il avait tué se trouvait à présent au ciel ou en enfer.

La prison japonaise

Après une altercation avec un maton qui l’avait dans le collimateur, il avait été envoyé dans cette cellule individuelle, minuscule et puante, où on l’avait laissé croupir une semaine, les bras immobilisés par des sangles de cuir. Sa nourriture, déposée dans une assiette à même le sol, il avait dû la laper comme un chien, et quant à ses besoins il n’avait eu d’autre choix que de se faire dessus -une expérience atroce.

La peine de mort

Si jamais son propre enfant avait été tué, et que son meurtrier se trouvât devant ses yeux, il lui réserverait à coup sûr le même sort. Cependant, autoriser à rendre justice soi-même plongerait la société dans le chaos. C’est pourquoi l’État se posait en tiers entre les parties et s’arrogeait le droit de punir, d’infliger des peines à leur place. Le cœur humain était en proie au sentiment de vengeance, un sentiment né de l’amour porté à la personne décédée. Ainsi, la loi étant faite par les Hommes et pour les Hommes, la justice rétributive et l’idée de peine de mort qu’elle implique n’étaient-elles pas naturelles ?

 

Traduit du Roumain par Philippe Loubière . Édition des Syrtes

C’est Inngamic qui m’a donné envie de lire ce roman, mais je crains que le but de Goran, Eva , Patrice pour le mois Europe de l’Est soit un peu raté, car je ne vais pas vous faire découvrir un nouvel auteur, mais simplement confirmer les avis très positifs de l’an dernier, peut-être que, malgré cela, vous ne l’aviez pas encore découvert ? Si vous le lisez je parie que l’an prochain, il sera de nouveau dans le mois de l’Europe de l’Est !

Ce roman est tout à fait à part, tout est dans le style de cette auteure. Chaque phrase est percutante et permet, peu à peu, de reconstruire la vie tragique d’Alesky et de sa mère. L’auteure manie avec une telle dextérité, l’ellipse, que je ne veux pas vous redonner le fil du récit car vous perdriez un des charmes du roman. Comme de petits éclairs dans une vie si sombre, les clé de compréhension viennent éclairer ce récit. On peut, sans rien déflorer, dire que Tatiana Tibuléac, nous met dans la tête d’un adolescent qui a le cerveau dérangé et qui hait sa mère. C’est peu de le dire, il rêve de la tuer dès qu’il pense à elle, il faut dire qu’il n’a reçu que des rejets de sa part depuis la mort de sa petite sœur. Mais ensemble, à la demande express de sa mère, , ils partent en vacances, en France. C’est là le coeur du roman, non seulement cet été là , il découvrira les yeux verts de sa mère, mais, plus encore, il va essayer de la comprendre. Le sujet du roman, c’est donc la progression vers un amour bancal car ni l’un ni l’autre ne vont bien, lui a le cerceau un peu dérangé et sa mère est atteinte d’un cancer « enragé ».

Tout est dans la façon de raconter cette énorme souffrance d’un enfant fragile qui non seulement doit se remettre de la mort de sa petite sœur adorée mais qui est ignoré par son père alcoolique et rejeté par sa mère murée dans sa propre souffrance. Il devient violent et s’enferme derrière un mur de haine qu’il croit indestructible. Les phrases sont percutantes et font mal, à l’image du début que l’on ne peut pas oublier :

Ce matin-là, alors que je la haïssais plus que jamais maman venait d’avoir trente neuf ans. Elle était petite et grosse, bête et laide. C’était la maman la plus inutile de toutes celles qui ont jamais existé.
J’ai souvent eu envie de recopier des phrases de ce roman (il y a donc beaucoup d’extraits) , j’espère que vous les lirez car mieux que ce que je peux en dire, il vous expliqueront pourquoi j’ai aimé ce petit livre malgré la dureté du propos.

 

Citations

L’arrivée dans le village

Il y avait trois jours que je me trouvais dans ce village, sans avoir encore vu personne. Je dormais toute la journée, ou bien je fumais, ou bien je mangeais du pop-corn, ou bien je haïssais maman. Entre-temps, Jim et Kalo étaient partis pour Amsterdam, passer ces fameuses vacances que j’attendais depuis trois ans et pour lesquels j’avais mis de côté les sous que je recevais à l’occasion de chaque fête, plus ceux que j’avais piqués à Grand-Mère.

Sa petite sœur

Il aurait mieux valu que ce fût papa qui mourût, plutôt que Mika. Si la mort tenait compte de notre avis, il mourrait beaucoup de gens bien choisis.
 Notre psychiatre disait que, jusqu’à cinq ans, les enfants ne se souvenaient de rien. Moi, je crois qu’elle déconne et que Mika est morte avec beaucoup de souvenirs, les souvenirs les plus beaux et les plus vrais qui aient jamais existé dans notre maudite famille.
 Je suis sûr que si Dieu avait eu une fille, elle se serait appelée Mika. J’ai tellement le mal d’elle que je m’en arracherais les yeux.

Le monde de l’art

Du monde bigarré et avide qui m’entoure -intermédiaires qui gagnent plus que les artistes, directeurs de galeries prestigieuses ou douteuses, critiques d’art plus fous que moi, oligarques russes et mécènes japonais, milliardaires juifs qui ne reconnaîtraient pour rien au monde qui ne sont ni l’un ni l’autre -, il n’y a que Sacha qui est intérêt à me voir en vie. Si je n’avais pas été là, il aurait continué à travailler comme assistant d’un médecin, avec un salaire d’étudiant. Pour le reste, tout ce ramassis de hyènes serait bien content si je mourais – d’un cancer, de préférence, comme maman, ou de démence-, pour doubler ainsi tant la cote de mes œuvre que leurs profits, déjà gras et immérités.

La transformation de sa mère

Bien qu’elle soit devenue plus belle et plus intelligente, maman s’évanouissait de plus en plus souvent et devenait de plus en plus maigre. Quand elle marchait, ses mains se balançait le long du corps comme celle d’une poupée de chiffon et les commissures de ses lèvres tombaient, la faisant ressembler à un enfant boudeur.
Mais c’était la meilleure maman que j’avais eu jusqu’à présent. Même si je connaissais l’effet de cette maladie sur un humain, j’allais demander pour Noël un cancer pour maman, et non de faire l’amour avec Jude. Quant à papa, je crois qu’aucune maladie ne l’aurait fait changer.

La psychiatrie

Je me suis posé ces questions, dans ma solitude et ma folie, en ramassant mes os éparpillés dans tous les recoins de la chambre avec des mots flottants, allongé sur le divan des dizaines de psychiatres qui ont défilé dans mon cerveau comme dans le couloir d’un hôtel de passe, au cours de dizaines d’interviews et d’émissions sur moi et ma vision si original de la vie.

Les villages français

Aujourd’hui, que j’en suis à aimer les villages français plus que tout autre endroit au monde, tous ces festivals et toutes ces foires sont une partie de moi-même. Je n’en manque aucun, que je rentre à la maison avec une poignée de tomates ou avec un sac plein de laine de mouton. Mais je comprenais mal alors comment des gens sains d’esprit pouvaient avec pouvaient avec tout leur sérieux, organiser « la fête du panais », « la folie des produits à base de pois cassés » ou « le concours régional du meilleur poivron ».

Le voyage de noce de sa mère

Une longue histoire, partiellement inventée, je suppose, sur sa lune de miel avec papa a suivi. Bref, maman voulait voir Venise et papa l’a emmenée à Klaïpeda, un port de Lituanie, où il avait un cousin docker, et pendant quatre semaines ils ont déchargé les sacs d’un bateau.

 

Édition Notabilia

 

J’ai beaucoup aimé son précédent roman « Le dernier gardien D’Ellis-Island » . J’apprécie beaucoup l’écriture de cette romancière entre poésie et narration. Elle décrit ici, le chagrin d’une mère qui n’a pas su retenir son fils Louis auprès d’elle. Mariée trop jeune avec un marin pêcheur, et veuve quelques années plus tard, elle accepte de devenir la femme du pharmacien du village qui lui promet d’aimer son fils. Hélas ! il ne saura pas être un père de substitution et il sera même violent avec Louis qui s’enfuira pour devenir marin comme son père. Rongée par la culpabilité et la souffrance Anne ne se remettra jamais de ce départ. Elle l’attend, elle ne peut plus faire que cela, même si elle remplit aussi son rôle de femme et de mère avec les enfants qu’elle a eus de son second mariage. Dans sa petite maison, proche de la grève, elle invente le festin qu’elle cuisinera pour son fils quand il lui reviendra.

À travers son chagrin, on revit la vie de cette femme simple et courageuse. Née dans une famille pauvre dans les années 1930, Anna est élevée à la paire de claques et sans amour. Elle se marie très vite et très vite a un fils Louis. Ce roman met en lumière des faits de guerre dont je n’avais jamais entendu parler : Anna est veuve pendant la guerre parce que son mari est parti pêcher alors que la Grande-Bretagne avait averti qu’elle coulerait tous les bateaux afin que l’occupant allemand ne puisse pas se nourrir des produits de la mer. Elle doit travailler à l’usine de conserves de sardines (je me suis demandée comment cette usine avait des poissons si la pêche était interdite !), elle vit la guerre dans la terreur et l’après guerre ne lui apporte que peu de joies jusqu’à l’arrivée d’Etienne qui lui déclare son amour et en fait sa femme. J’avoue avoir été très triste par la fin du roman tellement injuste ! Un beau roman dont l’écriture saisit le lecteur jusqu’à la dernière ligne.

 

Citations

Paroles de l’impossible réconfort

« Une fugue, ça arrive, vous savez, Madame, c’est un adolescent un peu difficile, dites-vous, mais il va sûrement revenir. Il est mineur, il n’a pas d’argent, où voulez-vous qu’il aille ? »
 Je n’ai pu que hocher la tête pour approuver ces paroles que j’aimerais tant croire, mais ce ne sont que les mots usés, épuisés, rapiécés, de l’impossible réconfort.

L’école pour une enfant misérable avant guerre

 On me trouvait sauvage , rebelle , alors qu un mot , un geste aurait suffi affaires céder toute cette tension qui me dévorait . J’étais lasse des moqueries des autres élèves, pour mes affaires oubliées, perdues ou cassées, pour ma blouse tachée ou déchirée, lasse des punitions. J’aimais apprendre, j’aimais lire surtout, j’aurais voulu des journées entières passées à vivre d’autres vies que la mienne, mais je haïssais l’école, tout autant que je désirais fuir un foyer ou seul des brutalité m’attendaient. Oui, fuir,mais où ?

Adolescence

Seize ans, le temps de tous les tourments, des désordres, des élans , des questions, des violences contenues qu’un mot heureux pourrait apaiser, des fragilités qui n’attendent qu’une main aimante. L’âge où tout est prêt à s’embraser, à s’envoler ou à s’abîmer. Je le sais, je suis passé par là. Les grandes marées du cœur. Louis a épousé la rage, la déception, la colère, et aussi une peine qu’il ne voulait pas s’avouer, face à tant d’inconnus qu’il découvrait en lui. Il faut du temps pour se déchiffrer à ses propres yeux. Son enfance a pris fin depuis longtemps, il ne reste une béance, celle de l’absence de son père, que je suis impuissante à combler.

Je ne savais pas cela

C’est la Royal Air Force qui avait bombardé le chalutier. Pour les Anglais, depuis le début de la guerre, depuis qu’en juin 1940 les Allemands étaient arrivés jusqu’en Bretagne, l’objectif était simple : il ne fallait pas nourrir l’ennemi. Alors, plus de pêche, ou si peu, pour affamer l’armée d’occupation. À tout prix. Londres y veillait, Churchill s’était montré intraitable. Intérêt supérieur des nations entendions nous. Les restrictions, les interdictions pleuvait sur les bateaux de pêche. Puis les avertissements, les intimidations, les menaces. Les sommations. Les tirs. Les bombes. Les mouillages de mines par les sous-marins. La guerre.

Souvent, le mercredi, je passe sur vos blogs pour dire que je lis peu, ou pas, de BD. Il m’arrive aussi de trouver des trésors comme « Le Chanteur Perdu » et cette fois, c’est moi qui vous suggère une lecture qui m’a beaucoup touchée. L’auteur a écrit cette BD car en peu de temps, il a dû faire face à l’Alzheimer de sa mère et à l’annonce de la trisomie de son fils :

À quelques mois d’intervalles, il me faut faire le deuil de la mère que j’avais connue et celui de l’enfant que j’avais attendu.

Morvandiau est rennais et cela a sûrement joué dans mon plaisir de lecture car c’est la ville où je suis née et où j’ai travaillé. Je reconnais bien les lieux qu’il décrit, j’apprécie qu’il ne fasse pas des dessins du Rennes touristique très connu mais plutôt des quartiers habités par les gens ordinaires, on sent que son œil de dessinateur est attiré par la transformation d’un quartier de petits pavillons avec jardin laissant la place à des immeubles. Morvandiau raconte ces années qui ont été douloureuses pour lui, il passe d’anecdotes de sa vie à l’expression de ses sentiments et de ses cauchemars, les réflexions des gens autour d’eux. Que de pudeur dans cette BD ! Il ne s’agit pas d’un récit linéaire, et c’est ce que j’ai aimé : par petites touches, Morvandiau nous fait participer à tout ce qui a fait sa vie.

Je vous laisse avec ma planche préférée, mais surtout ne croyez pas que cette BD ne raconte que cela : la vie d’Emile et de ses progrès, c’est toute une période de la vie de l’auteur dans tous ses aspects, enfin ceux que le dessin peut exprimer  :

Édition Actes Sud . Traduit du Japonais par Jean-Louis de La Couronne

 

Merci Keisha pour ce doux moments et je partage ton avis : ce livre est beaucoup plus profond qu’il n’y parait de prime abord. Evidement la grande spécialiste des chats Géraldine avait déjà lu ce roman . Et comme dans tout bon roman, chacun peut y lire ce qui l’intéresse le plus , vous devinez que pour Géraldine ce roman est :

« Avant tout, « Les mémoires d’un chat » est un formidable étendard contre l’abandon des animaux de compagnie, pour le respect de l’engagement autant quotidien que temporel que nous prenons lorsque nous adoptons une petite boule de poils quelle que soit sa taille à l’âge adulte. »

Et pour Kesiha :

C’est l’occasion pour lui de renouer avec des amis d’enfance puis d’adolescence, mais -on le comprend vite- aucun de ses trois amis ne pourra garder Nana, avec à chaque fois une belle histoire du passé et du présent, délicate et fine. 

Et pour moi ? Je suis avec d’accord aves ces deux blogueuses mais j’ai été beaucoup plus sensible à la description de l’enfance et de l’adolescence au Japon aujourd’hui. Je rappelle le sujet, Satoru a adopté un chat errant, il le nomme « Nana » qui rappelle le chiffre 7 en japonais comme le dessin des tâches sur son corps. Mais il doit pour des raisons qui ne seront expliquées que dans le dernier chapitre le confier à un ami . Il part donc à la recherche des personnes qui ont enrichi son enfance pour confier son chat. Se déroulent ainsi dans ce roman une enfance et une adolescence japonaise. On rit beaucoup avec son ami Kosuké avec qui il a adopté le premier chat, on sent l’adolescence se compliquer avec Yoshiminé qui est resté vivre à la ferme, cela devient encore plus tendu avec Sugi et Chikaro car les premiers émois amoureux ont fait apparaître la jalousie de son ami. Et puis vient cette tante Nakiro qui l’a recueilli lors du décès de ses parents.

J’ai beaucoup aimé les destinées de ces jeunes, on devine que l’auteur a puisé ces récits parmi des exemples vécus . La tristesse de Yoshiminé qui comprend, lors du divorce de ses parents, que si ceux-ci se disputent tant, c’est pour NE PAS avoir la garde de leur unique enfant m’a serré le coeur. Les tourments de la jalousie sont aussi très bien décrits. Mais ma préférée sans doute, c’est la tante Noriko qui ne sait pas dire les choses avec tact. Elle se rend compte immédiatement qu’elle n’aurait pas dû prononcer les phrases qui sont sorties de sa bouche malgré elle, mais c’est toujours après qu’elle s’en rend compte. Mon seul bémol, c’est le truchement par lequel passe l’auteur qui fait aussi le charme du roman , la narration par le chat . J’y suis beaucoup moins sensible que Géraldine évidemment, je pense que cela permet de mettre ce roman à la portée des adolescents, mais cela ne m’a pas empêchée de beaucoup aimé cette lecture « beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît » (comme je le disais au début) , souvent très drôle et toujours très émouvante.

 

Citations

La fugue des petits garçons

Pendant qu’il était en train de jouer avec le chat, histoire de tuer le temps, plusieurs dames du quartier qui sortaient leur chien ou chiens ou faisaient leur marche quotidienne leur avaient demandé ce qu’il fabriquait là.
– Il est tard. Vos parents doivent s’inquiéter. Tout le monde se connaissait dans le quartier, Kôsuké se doutait bien que l’endroit était mal choisi. Mais Satoru, lui, n’avait pas l’air d’y voir de problème. 
– Ne vous inquiétez pas, on est juste en train de faire une fugue.
– Ah bon ? Mais ne rentrez pas trop tard quand même. 
Kôsuké n’avait pas l’impression que c’était comme ça qu’on faisait une pub. Non pas qu’il eût la moindre idée de comment on faisait, d’ailleurs…

La solitude d un enfant

« Daigo est sage et pas compliqué, ça m’aide beaucoup. » Il aurait dû être idiot et pénible, c’est ça ?
Depuis qu’il était tout petit, il savait que ses parents aimaient trop leur métier. Tout comme il savait qu’ils ne s’intéressaient pas beaucoup à lui. C’est pour ça qu’il s’était toujours efforcé de leur compliquer la vie le moins possible. D’abord, il n’était pas assez immature pour croire qu’en piquant sa crise : « Bou hou…Mes parents ne m’aiment pas ». Il allait les obliger à s’intéresser à lui. Et puis surtout, ça ne lui disait absolument rien de jouer à ce jeu. Parce que s’il avait rendu l’air de la maison irrespirable, qui en aurait le plus souffert ? Qui passait le plus de temps à la maison déjà ? Au moins en restant un enfant sage, ses parents ne lui faisaient pas la gueule et l’atmosphère de la maison restait supportable. Il n’étouffait pas tout le temps qu’il passait à attendre à la maison, et les rares moments où il se trouvait ensemble se déroulait sans que personne soit de mauvaise humeur(…..) Il y avait des gens plus à plaindre que lui dans le monde, c’est sûr. Mais avec ses parents qui n’attendaient qu’une chose de lui : qu’il ne les choisisse surtout pas dans le genre à plaindre, c’était déjà pas mal.