Éditions Flammarion, 497 pages, Aout 2025.

Traduit de l’anglais par Dominique Goy-Blanquet

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un roman historique comme je les aime, qui emporte le lecteur dans un lointain passé, et qui le ramène à la force du courant qui traverse l’Histoire jusqu’à aujourd’hui. Nous suivons, comme l’indique l’image de la couverture, l’histoire d’une goute d’eau : celle qui aurait annoncée le déluge, en tombant sur la tête du roi sanguinaire et érudit, Assurbanipal et qui a détruit la civilisation des Assyriens, goutte d’eau qui se retrouve dans la Tamise qui sert d’égout à ciel ouvert au XIX siècle aux Londoniens, puis dans le Tibre au XX° siècle dont la Turquie veut détourner l’eau à son profit, et enfin aujourd’hui dans une Tamise à peu près propre et qui devenue un lieu d’un habitat luxueux pour la nouvelle bourgeoisie londonienne.

Mais le thème c’est aussi la légende de Gilgamesh, dont un jeune londonien Artur, originaire des bas-fonds de la ville a réussi à lire le récit sur des tablettes venant de Mésopotamie. Arthur (roi des égouts et des taudis) sera un des personnages de ce récit, jeune enfant très intelligent, il a le malheur de naître dans la misère la plus totale. L’auteure décrit avec un grand talent le Londres de cette époque et l’accident le plus improbable que représente le destin d’Arthur qui pourtant s’inspire d’un personnage réel, sortir de la misère à cette époque était plus que hautement improbable.

Enfin le destin des Yézidis est raconté d’abord en 1850 lorsqu’ils sont chassés de leur terre natale par un massacre organisé par des fanatiques, quelques survivants se retrouvent en Turquie, et puis comme on le sait en 2014 Daesh les poursuit sans pitié et leur sort n’est qu’une succession de crime de masse, de viols, de femmes réduites en esclavage .

Toutes ces destinées se retrouvent dans l’Angleterre aujourd’hui à travers une famille très riche, dont le père collectionne les antiquités, et dont la nièce est une ingénieure spécialiste de l’eau. L’auteure sème dans son roman des indices qui traversent les époques ; les tablettes de la bibliothèque d’Assurbanipal, permettent au jeune Arthur de découvrir la légende de Gilgamesh, elles sont de nouveau vendues par Daesh qui a pillé les musées en Irak. Le père d’Arthur qui est un alcoolique violent était aussi un menuisier de talent et la commode qu’il a construite pour un bourgeois du XIX ° siècle et qui ne lui a jamais été payée est maintenant une des plus belles pièces de la collection du riche Londonien. Et si, en fouillant la Tamise devenue propre, on trouve des ossement de tortue c’est parce que la reine Victoria a lancé la mode du consommé de tortue pour les riches nobles et riches anglais.

Un bon roman historique avec une fin qui est troublante mais vous en jugerez par vous même. J’ai une petite réserve, je pense que ce roman aurait gagné à être plus rapide, c’est un peu lent et trop touffu, l’auteure a sans doute trop voulu tout dire et tout nous expliquer.

 

 

 

 

Extraits.

Début.

 Chant du Tigre, dans l’ancien temps.
 Longtemps après, quand l’orage aura passé, chacun parlera des ravages qu’il a laissés derrière lui, alors que personne, pas même le roi, ne se souviendra que tout cela a commencé par une seule goutte de pluie.

Cruauté des puissants.

Mais Assurbanipal ne tuera pas son vieux maître. Il n’a jamais eu le goût de mener la charge sur un champ de bataille, préférant commander les massacres, démolitions, pillages et viols, assis en sécurité sur son trône -ou comme souvent, dans la quiétude de sa bibliothèque. Il a maintes fois supervisé le sac d’une cité et condamné sa population entière à la famine, ne leur laissant d’autre choix que de dévorer les cadavres de leurs proches ; écrasé les villes, réduit les temples en poussière, répandue du sel sur les champs fraîchement labourés ; écorché les chefs rebelles et pendu leurs partisans à des pays poteaux, nourri de leur chair, les oiseaux du ciel, les poissons des eaux profondes ; ensanglanté à coups de chaîne les mâchoires de ses rivaux qu’il a enfermés dans des chenils ; profané les tombes des ancêtres de ses ennemis si sauvagement que même leurs fantômes ne pouvaient reposer en paix -tous ces actes et bien d’autres, il les a dirigés depuis sa salle de lecture. Il ne va pas se salir les mains. C’est un roi érudit, un intellectuel qui a étudié les présages célestes et terrestres.

La Tamise en 1840.

 Tout l’indésirable, on le jette dans le fleuve. Orge usée des brasseries, pulpe des moulins à papier, viscères des abattoirs, rognures des tanneries, effluent des distilleries, chutes des teintureries, vidange des puisards et décharge des chasse d’eau (les inventions nouvelles dont jouissent les riches et les privilégiés) se diverse dans la Tamise, tuent les poissons, tuent les plantes aquatiques, tuent l’eau.

Les Yezidis.

La haine est un poison versé dans trois coupes. La première, c’est quand les gens méprisent ceux qu’ils envient -parce qu’ils veulent les avoir en leur possession. Tout cela, c’est de l’orgueil démesuré ! La deuxième, c’est quand ils haïssent ceux qu’ils ne comprennent pas. C’est de la peur. ! Et puis il y a la troisième, espèce.-quand les gens haïssent ceux qu’ils ont fait souffrir ?
 -Mais pourquoi ?
 – Parce que le tronc se souvient de ce que la hache oublie
 – Qu’est-ce que ça veut dire
 – Que ce n est pas le malfaisant qui porte les cicatrices, mais celui qu’il a blessé. Pour nous autres, la mémoire c’est tout ce que nous possédons. Si tu veux savoir qui tu es, tu dois apprendre les histoires de tes ancêtres. Depuis des temps immémoriaux, les Yézidis ont été incompris, diffamés, maltraités. Notre histoire n’est que souffrance et persécution. À soixante douze reprises, on nous a massacrés. Le Tigre a pris la teinte rouge de notre sang, le sol s’est desséché de notre chagrin -e t ils n’ont toujours pas fini de nous haïr..

Cette écrivaine sait décrire des ambiances.

 

Londres est drapée ce matin dans un suaire de brouillard. Il règne dans ses rues et ses parcs une quiétude insolite, un silence pesant qui se referme sur lui-même, comme une bourse fermée par des cordons bien serrés. Même si les cloches de l’église voisine viennent de sonner dix heures, on croirait plutôt que le crépuscule est déjà là. Ni gris ni blanc, l’air est d’un ocre sirupeux qui verdit par endroits. Des particules de suie et de cendre voltigent, tandis que les poêles domestiques au charbon et les cheminée d’usine vomissent des panaches de fumées chargées de soufre, encrassant les poumons des Londoniens à chaque inspiration.

Humiliation du père.

 Arthur sent que son père peut faire toute la lèche possible à ces deux messieurs si élégamment vêtus, en gilet brodé et cravate de soie, il n’a aucune chance. Ils l’observent avec un dédain manifeste, leurs yeux n’expriment que du mépris. D’en être témoin attriste le garçon. Personne n’aime voir ses parents dévoiler leurs faiblesses à d’autres. Leurs échecs, c’est notre affaire privée, un secret qu’on préférerait garder pour soi : quand ils s’affichent en public, livrés en pâture à tous, nous ne sommes plus les enfants que nous étions naguère.

La pauvreté.

 Si la pauvreté était un lieu, un paysage hostile dans lequel on tomberait accidentellement ou par une poussée délibérée, ce serait une forêt maudite – un bois sauvage, humide et lugubre suspendu dans le temps. Les branches vous happent, les troncs vous bloquent le passage, les ronces s’agrippent à vous, résolues à vous empêcher de partir. Même si vous parvenez à surmonter un obstacle, il est aussitôt remplacé par un autre. Vous vous arrachez la peau des mains en vous efforçant de dégager un chemin alternatif, mais dès que vous tournez le dos aux arbres, ils resserrent les rangs derrière vous. La pauvreté mine, votre volonté, peu à peu.

Les villes et les rivières.

 New york, Vienne São Paulo, Sydney, Pékin, Moscou. Toronto… Il existe des fleuves perdus presque partout sur la planète. Peu d’étrangers savent que Tokyo était autrefois une ville lacustre. Ça reste un endroit incroyable, bien sûr, mais ils ont comblé une centaine de cours d’eau et de canaux pour construire des routes ou simplement les dissimuler sous la chaussée. Ou bien prenez Athènes. Vous y étiez tous les deux cet été. Et bien cette ville aujourd’hui, malgré toute sa splendeur, n’a pas le moindre cours d’eau. Mais en fait, historiquement Athènes pouvaient se vanter d’avoir non pas un, ni deux, mais trois fleuves.

Les cultes et traditions yézidies

 Grandma dit qu’une vieille femme yézidie, une voisine qui lui est chère a émigré avec ses enfants en Allemagne où la famille s’est établie dans les années 1990. La femme a été troublée et attristée d’apprendre que les gens là-bas remplissaient une baignoire d’eau et s’essayaient dedans pour se savonner. Elle ne pouvait pas croire qu’il y ait des gens assez insensés pour plonger dans de l’eau propre sans être lavés auparavant.
 Grandma dit qu’on devrait aussi rendre hommage au soleil et à la kune qui sont des frères célestes. Chaque matin à l’aube, elles monte sur le toit pour saluer la première lueur, et quand elle prie elle se met fasse au soleil. Quand vient le soir, elle s’adresse une pierre à l’orbe de la nuit. On doit toujours marcher sur la terre avec émerveillement, car elle est pleine de miracles qui n’ont pas encore eu de témoins. Quant aux arbres, il ne faut pas penser seulement à ce qu’ils sont au-dessus de sol, mais aussi à ce qui reste invisible dessous. Oiseaux, rochers, touffes d’herbe, bouquets d’ajoncs, et même les plus minuscules insectes doivent être chéris.

Archéologie.

Travailler à une fouille archéologique incite à la modestie. Vous trimez dans la chaleur et la poussière armé d’une brosse et d’une truelle au fond d’un trou, avançant par millimètres à travers des dépôts millénaires. La frontière séparant l’instant présent du passé lointain se dissout et voilà que vous basculez dans un monde enfui qui bizarrement, bien que mort et enterré, revient à la vie. Vos perceptions changent : elles vous font comprendre la vulnérabilité de tout ce qui semble robuste et majestueux- palais, aqueduc, temple-, mais aussi la résilience de tout ce qui parait petit et insignifiant -un anneau, une pièce en bronze, un bréchet…Rien n’est dérisoire pour un archéologue. Même la découverte la plus banale est extraordinaire.

 

Éditions livre de poche, 517 pages (avec la post-face qui explique d’où vient ce roman), mai 2023.

Traduit de l’espagnol par Serge Mestre.

Je dois cette lecture à « Caudia-Lucia » et je l’en remercie. Mes coquillages disent beaucoup du plaisir que j’ai eu à lire ce roman. La guerre d’Espagne a fait partie de mes premières lectures qui m’ont marquées dans ma jeunesse. Hemingway et « Pour qui sonne le glas » Malraux et « L’Espoir », qui m’avaient donné une vision simple de l’engagement du bon côté de cette guerre. Et puis, il y a eu George Orwell qui définitivement m’a fait douter du rôle des communistes pendant cette guerre. Mais je n’avais jamais rien lu sur l’après guerre et la répression franquiste. Almueda Grandes va raconter trois ans de terreur : 1947, 1948, 1949 en Andalousie, et l’épilogue en 1960, le moins qu’on puisse dire c’est que son point de vue n’est pas simpliste.
Nino, un petit garçon de 9 ans, au début du roman, vit dans une maison-caserne où son père est garde civil. Ce qui correspond à gendarme ; avec tout ce que cela veut dire quand il s’agit de maintenir l’ordre dans une dictature.
Ce que j’avais mal imaginé, c’est que l’implantation des gens qui avaient voté pour le front populaire était massive dans les régions rurales pauvres, et si la victoire militaire a été incontestable, elle n’a pas pu changer les mentalités pour autant. Durant ces trois années, la guérilla dans les montagnes était encore très active soutenue par une population qui était horriblement choquée par les méthodes de répression de l’armée ou des gardes civiles.
L’auteur a choisi comme narrateur un petit garçon, Nino, qui devra sa prise de conscience à un homme qui vit seul dans la montagne, cet homme, Pepe el Portuges lui apprendra tout ce qui est important pour prendre ses propres décisions et ne jamais avoir de réaction trop manichéennes. Bref, à devenir quelqu’un de bien dans un pays fasciste, de bien et de vivant donc faire attention à ne pas se jeter dans des actions irréfléchies. C’est tellement facile de juger, surtout sur les apparences, alors que pour mener à bien une lutte, il faut parfois savoir se cacher sous de fausses identités.

Les dialogues entre le jeune Nino, et celui qui lui semble vieux, mais qui est juste un adulte, Pepe el Portuges, sont des moments forts de ce roman. La prise de conscience de ce qui se passe autour de Nino, sous-tend tout ce récit, la lectrice que je suis, a suivi avec un intérêt, toujours proche de la surprise, le dévoilement des différents acteurs de cette narration. Je sais que c’est une fiction, qui mêle personnages réels et créations romanesques, mais je pense que ce roman doit être très proche du vécu de la population espagnole de cette époque. Les moments de détente arrivent avec les relations amoureuses : les femmes espagnoles ont du tempérament !

Les femmes qui vivent dans la terreur que leur mari, fils ou frère soient assassinés d’une balle dans le dos par des gardes civiles ou de face par les militants communistes cachés dans la montagne, sont des personnages qu’on n’oublie pas : leurs pleurs ou leurs cris résonnent longtemps dans la mémoire du lecteur après avoir refermé ce roman.
Ma seule difficulté mais qui n’est pas un reproche est venu des noms espagnols : je devais tout le temps faire un effort pour savoir qui était qui, d’autant que pour se cacher les personnages ont plusieurs noms !

Je vous encourage à lire ce roman , je serai bien étonnée qu’il ne vous plaise pas.

Extraits.

Début.

(je ne compte plus les débuts météorologiques des romans, mais je trouve celui-ci réussi, non ?)
 Les gens prétendent qu’en Andalousie il fait toujours beau temps, mais dans mon village en hiver on mourrait de froid.
 Les gelées se présentaient traîtreusement, avant la neige. Lorsque les jours étaient encore longs, lorsque le soleil de midi chauffait toujours et que nous descendions les après-midi jouer à la rivière, l’air devenait soudain cinglant et plus limpide. Puis le vent se levait, un vent aussi cruel et délicat que s’il était fait de verre, un verre aérien et transparent qui descendait en sifflant de la montagne sans soulever la poussière des rues.

Souvenirs de la guerre civile.

 Rubio, malgré son nom qui signifie « blond » avait les cheveux bruns, une cascade de boucles sombres aussi brillante que des gorgées d’huile, lui arrivant à la taille. C’est certainement pour cette raison, ou parce que c’était encore une enfant, ou parce qu’à douze ans elle avait déjà de grands yeux, un long cou, un nez fin et des lèvres on ne peut plus pulpeuses, qu’on ne le lui avait pas tondu la tête à la fin de la guerre, en même temps qu’à sa mère, à ses sœurs aînées, à ses belles sœurs, à ses tantes et à ses cousines. La ferme où elle habitait alors s’appelait toujours la ferme des Rubio même si plus un homme n’y habitait. Ils étaient tous morts, et certains, disait-on c’était exilé en Amérique. Mais Filo, elle, était restée. Elle s’était promenée le lendemain dans le village, les cheveux pleins d’échelles à moitié tondue. C’était elle qui s’était mise dans cet état avec les ciseaux de la cuisine, pour que personne ne puisse douter de ses opinions, ou pour ne rien devoir à ces fasciste soudain transformés en coiffeurs. La seule chose qu’elle récolta fut de se retrouver assise sur une chaise, au centre de la place pour finir de se faire tondre tout à fait.

Les discussions chez son père, garde civil et sa mère au fort tempérament.

 » Encore un de vos exploits, lançait ma mère qui ne ratait jamais une occasion de rappeler cela ouvertement, allez mettre en prison une femme tout simplement parce qu’elle est fidèle !
– Elle n’est pas en prison pour cette raison, Mercedes, mais pour avoir fait de la propagande subversive.
– De la propagande subversive ? Dire que tu couches avec ton mari c’est faire de la propagande subversive ça ? Et le faire cocu, c’est quoi alors ? Collaborer avec Franco ? Eh bien, dis donc … tant de curés et tant de messes, pour en arriver là …
– Tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis.
– Eh bien, je ne me tairai pas. Je n’en ai pas envie, voilà ! La seule chose qu’a faite Rosa a été de dire qu’elle était enceinte de son mari, un point c’est tout. Et tu trouves que c’est une raison pour l’envoyer en prison, peut-être ? Être fidèle et aimer son mari, et coucher avec lui, c’est une raison pour se retrouver en prison, Antonino ? » Insistait ma mère. Et mon père n’osait pas lui répondre ce qui encourageait encore plus sa femme : » Et elle a très bien fait… d’abord de dire la vérité et ensuite parce que… ça… c’est sûr qu’on vous aurait entendu vous gausser et traiter Cencerro de cocu, alors que c’était même pas vrai… »

La répression franquiste.

 Ces derniers pouvaient raconter l’histoire à leur manière, et fêter l’anniversaire des années de paix qui avait lieu tous les mois d’avril, en évoquant les églises incendiées, les curés éventrés, les bonnes sœurs violées, la terreur des hordes marxistes qui avaient précipité leur intervention sacrée et salutaire. À Madrid, il y aurait toujours des gens pour croire que la guerre s’était terminée en 1939 mais dans mon village c’était différent. Dans mon village, les hommes s’enfuyaient dans la montagne pour sauver leur peau et les autorités poursuivaient les femmes qui tentaient de gagner leur vie en vendant des œufs, celles qui ramassaient du spart dans la forêt, qui le travaillaient et même celles qui vendaient des asperges sauvages le long des chemins. Car pour celles-ci tout était interdit, tout était illégal, tout devenait un délit et la survie de leurs enfants relevait du miracle. Voilà comment cela se passait dans mon village, où l’on pouvait se faire tirer dans le dos n’importe quand pour avoir donné à manger à son enfant, à son père, à son frère. C’était suffisant pour légaliser n’importe quelle mort, cela transformait n’importe qui en dangereux bandit, en féroce ennemi public même si celui-ci n’avait jamais eu le moindre fusil entre les mains. C’était la loi, et c’était une loi injuste, une odieuse loi, une loi atroce et barbare, mais c’était la seule et unique loi. Et les gardes civils ne craignaient pas de l’appliquer.

Ce que Jules Verne a apporté à Nino.

 En outre, les romans de Jules Verne me donnaient souvent le prétexte de poser des questions sur tout ce que j’ignorais, en histoire, en géographie, en physique, à propos des sextants, des ballons aérostatiques, des sous-marins, des routes maritimes, des exploits des découvreurs, des expériences dans les laboratoire, de tout ces savants fous et sages à la fois qui, après beaucoup d’erreurs, parvenaient au plus grande découverte de leur vie. Ainsi ces livres allaient me conduire vers d’autres livres, d’autres auteurs que j’allais découvrir avec la même avidité. 

Pour vous expliquer pourquoi je me suis un peu perdue dans les noms.

Lors des premières élections démocratique, José Moya Alguira , alias Pepe el Portugais, alias Francisco Rojas, alias Juan Sanchez, alias Miguel Monterro, alias Jorge Jorge Martinez, alias Camilo occupa la tête de liste que présenta le parti communiste espagnol dans la province de Jaén, où mon nom se trouvait en dernier.

 

 

 

Éditions Bayard, 290 pages, avril 2025

 

Je mets cet essai dans le mois des feuilles allemandes alors qu’il est écrit par une française, mais c’est un sujet qui concerne au premier chef l’Allemagne. Comme moi peut-être, le mot « sudètes » était englobé dans cette phrase :  » Annexion des Sudètes par l’Allemagne nazie dirigée par Hitler en 1938″.

Un tel livre ne pouvait que plaire à Patrice. Je suis moins enthousiaste que lui car cette l’enquête de cette auteure est laborieuse ce qui ne l’empêche pas d’être très intéressante. Pour bien comprendre la façon dont Alexandra Saemmer essaie de retrouver tous les membres de sa famille et leur mode de pensée pendant l’annexion en 1938 puis leur expulsion en 1945 de Tchécoslovaquie, il faut comprendre la notion de ‘boîte miroir », notion qu’elle utilise souvent et que j’ai eu du mal à cerner. Si j’ai bien compris, il s’agit de comprendre une situation et des personnages à l’aulne de son vécu personnel et de ses connaissances sans pour autant être certain que ce soit la vérité.

Elle sait et peut vérifier un certain nombre de choses sur sa famille, ses grands parents vivaient dans une région à majorité Sudète dans une petite ville rurale Auspitz qui est rayée de la carte aujourd’hui, parce que tous les Sudètes ont été en 1945, expulsés vers l’Allemagne.( Les chiffres officiels disent que sur 3,2 millions d’Allemands des Sudètes plus de 3 millions ont été déportés.)

Comme dans toutes les familles qui ont connu de tels bouleversements beaucoup de zones d’ombres hantent la mémoire des survivant, mais ces zones deviennent grises quand il s’agit de rechercher des ancêtres qui ont été des Nazis convaincus et actifs, ou passifs et malgré eux. L’écrivaine est très honnête dans sa démarche et voit bien que son grand-père disparu sur le front de l’est portait la médaille nazie au revers de son veston. Mais évidemment, plus personne après guerre n’est capable de lui expliquer ce qu’il ressentait vraiment. Sa mère se souvient d’un homme très doux et comme tous les Allemandes, déclare ne rien savoir de ce qui est arrivé aux juifs, ce qui est certain c’est qu’il n’est pas revenu du front de l’Est et que l’on n’a retrouvé aucune trace de lui. Sa grand mère a donc été expulsée en Bavière où elle n’a pas été bien accueillie, les Bavoirois supportaient mal ces réfugiés qui leur semblaient plus slaves qu’Allemands (les théorie racistes avaient laissé des traces solides dans les mentalités allemandes) . Le malheur de cette famille de trois enfants est aggravé par la mort en couche de la grand mère de l’auteur, les trois enfants sont séparés et le pauvre petit garçon Hermann se retrouvera dans une ferme comme petit valet et se perd dans les méandres de l’histoire de jeunes délinquants de l’après guerre. Les deux sœurs seront élevées dans deux familles différentes et aimantes et resteront en contact. La recherche de l’auteur lui permettra de se rendre compte que sa mère n’est pas née d’un viol par un soldat Russe car sa mère était enceinte au départ de son père pour le front de l’Est. Les scènes de viols ont été nombreuses dans les régions des Sudètes comme dans toutes les régions libérées par l’armée russe.

La dernière partie de la recherche de l’auteure est consacrée à ses contacts avec différents réseaux de parole des Sudètes, et l’on voit que certains n’hésitent pas à parler de Génocide pour leur expulsion et à prétendre que leur sort a été pire que celui des Juifs. Ce n’est absolument pas ce que pense l’auteure qui explique sans cesse que la déportation des Sudètes n’a jamais voulu dire « extermination » : ils avaient choisi l’Allemagne Nazie en 1938 , les Tchèques ont été très contents, en 1945, de les renvoyer vers leur patrie de « cœur » et de langue si ce n’est d’origine . En effet la présence d’Allemands dans ces régions est attestée depuis le Moyen-Age.

Tous les malheurs des Sudètes viennent du traité de Saint Germain, qui acte la fin de l’empire Austro-Hongrois et qui trace des frontières à travers des régions qui avaient l’habitude de se sentir l’autorité d’un lointain empire sans se poser la question de la nationalité. Les peuples étaient définis plus par leur langue que par leur nationalité, les Sudètes se sont retrouvés en Tchécoslovaquie sans pour autant perdre leur langue. Et la catastrophe du Nazisme les a précipités dans les bras d’Hitler : là ils ont vraiment tout perdu et n’ont trouvé aucun soutien dans la conscience internationale après la guerre 39/45.

Je trouve que cette auteure sait très bien nous l’expliquer à travers sa famille, et si ce sujet vous intéresse, à votre tour de découvrir un peuple bien malmené par l’Histoire.

 

 

Extraits.

Début.

 Décembre 2023, ma mère m’a tendu une pochette et elle m’a dit : « Voilà ton héritage. Prends en soin. » À l’intérieur il y avait parmi d’autres documents, le titre de propriété d’une ferme à Auspitz : une maison en brique de 135 mètres carrés comportant trois chambres, une cuisine, une buanderie, une grange et une étable de 80 mètres mètre carrés abritant 25 cochons, 20 oies, ; un hectare de terrain destiné à la culture de la pomme de terre, du maïs et du fenouil ; un jardinet ; des arbres fruitiers, un étang.
 La liste des biens était précise.
 Or, la ville d’Auspitz ne figure plus sur aucune carte.
 Je suis une descente du peuple des Sudètes : une minorité germanophone installée dans les régions frontalières de la Tchécoslovaquie depuis le Moyen Âge, qui a été expulsée à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour avoir voté, quelques années plus tôt en faveur de son intégration dans l’Allemagne nazie.

La boîte-miroir.

 Pour saisir ce qui obstinément m’échappait, j’ai actionné la boîte-miroir : je me suis appuyée sur l’histoire de Wegscheid, village frontalier entre l’Allemagne, l’Autriche et la République Tchèque, où ma mère a été déplacée après les l’expulsion et où j’ai moi-même grandi. Reculé et également « sans histoire » si l’on en croit les chroniques officielles, Wegscheid a en vérité joué un rôle stratégique à la fin de la Seconde Guerre mondiale  : l’une des dernières batailles s’y est déroulée, et la population, malgré la défaite de la Wehrmacht sur tous les fronts, à « résisté » de façon absurde, criminelle.

Difficultés de la recherche sur les opinions de sa propre famille.

 Je veux croire que mon grand-père a rejoint le parti national-socialiste pour garder son poste de facteur. Sa carte de membre vierge de toute mention, montre qu’il n’a pas été un membre assidu. Et puis, en 1938, peut-être était-il encore possible, au moment de l’annexion de passer à côté de certains signes on fermant les yeux avec obstination.
 Je dois néanmoins résister à la tentation de laver ma famille sudète de toute responsabilité. En enquêtant dans les archives en ligne, j’apprends qu’une fois les territoires sudètes annexés, la résistance de la population tchèque contre cette annexion a été réprimée sans merci. Certains opposants politiques ont été acheminés à Dresde. 850 ont été guillotinés publiquement sur le Münchner Platz.

Tous les réfugiés se ressemblent.

(Point de vue de Josef, un paysan tchèque dont le frère a été fusillé par les nazis sudètes.)
 En regardant passer la foule ocre et grise, Josef constate à quel point tous les pauvres se ressemblent. Les femmes pleurent quémandent un bout de pain. Un vieux gémit. Une petite blonde boîte. Ils l’ont bien cherché.
(…)
 Hier, ces gens applaudissaient Heydrich, le vice gouverneur du Reich en Bohême-Moravie. Aujourd’hui, ils implorent la grâce du simple paysan qu’il est. Ils n’ont aucune fierté. Ils ressemblent aux ballots qu’ils traînent. Certains les préfèrent même à la vie : ils les défendent coûte que coûte, quitte à se faire fusiller pour une paire de bottes et des bijoux en toc. Josef boit une gorgée de slivovitz dans la gourde de Václav. Ces gens ont mérité ce qui leur arrive

La langue comme marqueur d’exil.

 L’un des stigmates qui les désignait immédiatement comme impurs était leur langue, gangrenée par le tchèque comme malgré eux. Ma mère m’a souvent raconté les moqueries qu’elle subissait, tout juste arriver en Bavière, de la part des villageois qui faisaient semblant de ne pas comprendre ce qu’elle disait.
 Que j’ai moi-même fui un malaise dans la langue en quittant l’Allemagne il, y a bientôt 30 ans est un fait même si je suis partie à l’époque sans trop y réfléchir.
 En France, je serais jusqu’à la fin de ma vie considérée comme une étrangère à cause de mon accent. J’ai beau avoir publié beaucoup, en français et faire cours à l’université dans cette langue, rien n’y fera. Rien ne fera disparaître la lueur d’impatience dans le regard de l’autre dès que j’ouvre la bouche. Même si elle s’accompagne souvent de compliments sur ma « belle maîtrise » du français, elle me fait comprendre que celle-ci restera marquée d’étrangeté.

Propos de militants Sudètes.

 Aucun accord international valable ne donnerait un fondement juridique à l' »annexion » des territoires sud-par la Tchécoslovaquie après la guerre. L’Histoire était donc à refaire, selon Hildebrandt – le « peuple sudète » n’était coupable de rien.
 À l’instar d’association militante identitaire comme le Witikobund, Hildebrand œuvrait pour la vengeance. Une reconnaissance de l’expulsion comme injustice ne lui suffisait pas : pour Hildebrand, il s’agissait d’un « génocide » dont l’atrocité dépassait celui des Juifs, et demandait réparation.

L’histoire : un éternel recommencement.

Bien de fois ai-je entendu lors de mon enfance en Basse-Bavière : « Un nouveau petit Hitler ne serait pas si mal. »


Éditions Vuibert (Graphic) (204 pages, novembre 2025)

 

Les éditions Vuibert grâce à Babelio m’ont offert cette BD, un grand merci à eux.

Faire paraître mon billet la veille du 13 novembre illustre d’une lumière particulière et si tragique l’islamisme radical, je me demande si le choix de la date de la parution de ce témoignage a été voulue par la journaliste, si oui, je suis mal à l’aise avec ce choix.

La phrase d’un des survivants, Antoine Leiris « Vous n’aurez pas ma haine » , tournait en boucle dans ma tête en lisant la partie du récit qui concerne la mère de Sana, elle a entraîné toute sa famille dans l’enfer de Daesh. Cette femme, j’aimerais tant qu’une journaliste s’intéresse à elle, est une boule de haine qui semble absolument incapable de revenir sur aucun de ses choix. Elle a sciemment provoqué la mort de plusieurs de ses enfants et de son mari, mais rien ne la fera douter peut-être est- elle est encore en vie et j’aimerais vraiment la comprendre, pour que la France puisse se protéger contre ce genre de personnes.

Le personnage principal de cette BD, Sana, a été entraînée dans cette horreur tout en gardant sa volonté de revenir en France. C’est un récit terrible, il se trouve que j’ai entendu cette journaliste raconter son projet et la trajectoire de cette jeune femme. Le récit m’en a appris autant que la BD, Sana a toujours été détestée par sa mère, on ne sait pas pourquoi, dès qu’elle a eu 14 ans elle a été déscolarisée. Puis, influencée pas un cousin Yousef, sa mère part avec ses enfants, elle est une première fois refoulée de Turquie mais repart une deuxième fois et cette fois arrive en Syrie. En 2014, son père finit par les rejoindre en 2017, Sana accepte de se marier pour enfin échapper à sa mère, elle aura deux enfants, deux filles qui lui donneront le courage de lutter. À la chute de Daesh, elle et sa famille sont prisonniers des Kurdes ; la vie dans les camps est une horreur absolue, d’un côté les Kurdes sont très violents contre ces femmes fanatisées mais dans le camps la terreur est entretenue aussi, par des femmes comme sa mère qui font la chasse aux mécréantes. Elle finit par être rapatriée, en France, avec ses filles. Soupçonnée d’appartenir à une branche terroriste de l’Islam, elle racontera tout son parcours à la police française, échappe de peu à l’expulsion car elle a la nationalité algérienne.

Son parcours est poignant, mais j’ai vraiment du mal avec le choix du format, je ne vois pas ce que les images apportent au récit. Ce sera à vous d’en juger car vous êtres souvent bien meilleures que moi en ce domaine.

 

 

 

 

 


Éditions Seuil Cadre Noir, 299 pages, mars 2025

Reçu dans la cadre de Masse Critique Babelio

 

 

J’avais gardé un souvenir mitigé mais positif de « Pension Complète » , cela m’a donc fait plaisir de me lancer dans cette lecture. Je suis terriblement déçue , et j’avoue avoir lu en diagonale les trois quart du livre. Je ne l’aurais certainement pas terminé si je ne m’étais pas engagée pour Babelio.

Jacky Schartzmann, décrit une plongée dans la mouvance d’extrême droite qui a eu le vent en poupe lors de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour. Les personnages sont soit complètement caricaturaux soit à la limite de la caricature.

Pourtant ce roman répond à une de mes interrogations, comment l’extrême droite en France peut-elle penser un jour prendre le pouvoir ? Ce sont des gens très dangereux et capables d’actions très violentes, ils s’appuient sur des gros bras qui ne supportent plus la présence de musulmans noirs ou arabes sur notre territoire. Je sais cela, mais cela ne fait pas un bon roman.

Le roman noir, avec tous ses rebondissements classiques, et quelques touches d’humour, plaira peut être aux amateurs ou amatrices du genre. Je n’en fais visiblement pas partie.

Extrait.

Début.

Je suis un bâtard en retraite. J’étais commercial, dans un grand groupe. Mon job consistait à vendre très vite et très cher, afin d’augmenter nos marge et de gonfler notre trésorerie. Et c’est tout. Plusieurs révolutions ont secoué l’industrie ces trente dernières années : les chefs de service sont passées de la clope au running, de l’approbation aux infusions froides et du droit de cuissage au consentement.

Caricatural.

Exactement, Jean-Marc. Y a pas de slogans compliqués chez nous. C’est d’ailleurs pour ça que nous voulons tant qu’Éric Zemmour accède aux responsabilités, il est comme nous pas compliqué. Des constats simples, des actions simples.
– Simplistes aussi non ?
– Vous croyez ça, Jean-Marc ?
– Il n’y a pas de réponses simples à des problèmes complexes. 
– C’est là que vous vous plantez : il n’y a pas de « problèmes complexes » en réalité . Des étrangers prennent le pain et le travail des Français. Rien de plus simple.


Éditions du Seuil, 151 pages, août 2024.

lu sur un mur de Chiraz

Vous pensiez me tuer, Vous nous avez ressuscitées

Je regarde assez peu la Grande Librairie, le plus souvent parce que j’oublie, mais ce soir là deux auteurs que je voulais lire étaient invités : Kamel Daoud pour Houri, et Delphine Minoui pour ce roman. Le soir de cette émission pendant laquelle cette autrice franco-iranienne racontait son admiration pour les jeunes iraniennes du mouvement « femme, vie, liberté » qui, au péril de leur vie, arrachent leur voile et le brûlent, une femme en arrière plan passait son temps à remettre le sien !

Badjen veut dire aujourd’hui la jeune fille qui ose rejeter « les bonnes mœurs musulmanes », mais le premier sens est presque « prostituée ». Cette jeune fille, Badjen (c’est le nom que lui a donné sa mère) est élevée dans une famille classique iranienne et elle ressent immédiatement que sa naissance a été un malheur pour son père pour qui la femme n’est que source de problème . Sa mère est celle qui lui permettra de se construire, car si celle-ci semble accepter la domination de son mari, en cachette de celui-ci, elle donne à la vie de sa fille la force de s’opposer. La différence entre les deux générations, c’est le courage de la jeunesse qui osera tout et le fera de façon ouverte.

Le roman est très facile à lire et explique très bien de quoi le voile est le symbole : il s’agit de ne pas attiser la convoitise des hommes et de garder la femme dans une attitude de soumission. Il y a une énergie dans ce récit qui le rend « presque » agréable à lire. Pour le côté sombre, car ces jeunes filles sont très souvent blessées ou même tuées par la police, le film « les graines du figuier sauvage » complète très bien cette lecture. Et dans ce film aussi c’est l’adolescente qui lutte le plus naturellement contre l’oppression patriarcale .

Une lecture nécessaire et si simple qui s’adresse à la jeunesse, celle de notre pays ou la liberté des filles existe encore et je l’espère pour toujours.

 

Extraits

Début poème .

T’entends leurs cris ?
Tu les entends t’applaudir alors que t’as encore rien fait ?
Froussarde ! Très même pas cap.
Même pas cap de grimper sur la benne.

Début du texte .

 J’ai 16 ans. 
Aucun cri ne sort de ma bouche.
Je me parle à moi-même depuis ce corps qui ne m’a jamais appartenu. 
J’ai 16 ans. Je pèse 47 kg et je mesure 1,59 m.
 Je les entends hurler « vas-y ma fille ! » et je repense au premier cri :
– Dieu c’est une fille !
Ce cri d’avant ma naissance.
Le cri fondateur. 
Originel.
Celui des hommes de ma famille agglutinés au-dessus du ventre de maman.

L’avortement et l’islam.

On dit que ce sont les détails qui tuent. Moi c’est mon grand-père qui a failli me tuer.
Pendant que la gynéco aidait ma mère à se relever, il avait pris tous les hommes de la famille en aparté pour planifier ma sentence prématurée. – Un avortement ! Il faut à tout prix envisager un avortement !
L’islam, religion d’état, interdit l’avortement. 
Sauf qu’en Iran tout se négocie même la religion.
 Mon grand-père affirmait connaître un médecin dont la cave servait de clinique clandestine, ni vu ni connu.
– Un homme de confiance, avait-il insisté.
 Il l’avait contacté en urgence par texto.
 Cinq minutes plus tard la réponse s’affichait sur son portable. Deux lignes expéditives confirmant la possibilité d’une intervention illicite moyennant un prix très juteux, nettement supérieur à la somme escomptée. (…)
 Mon grand-père lui avait raccroché au nez renonçant à contre cœur à mon assassinat trop coûteux.

Sa mère .

 Plus tard je l’ai souvent entendu dire en parlant à ses copines :
 » On ne veut pas finir comme la Syrie. »
 Ou encore :
 « La révolution nos parents l’ont déjà expérimentée, et on a vu ce que ça a donné ! »
Et elle s’est remise à faire ce qu’elle avait toujours fait : contourner les interdits plutôt que les envoyer balader. Une vie de concessions, de compromis de soirées clandestines, de défilés de mode underground, d’alcool frelatés, livré dans des sacs poubelles et de programmes satellitaires captés grâce à de petites paraboles camouflés sur le toit … Des arrangements tolérés au compte-gouttes par mon père, tant qu’ils étaient soigneusement tus pour ne pas entacher la réputation familiale.
 La seule audace que maman ait gardé de 2009, c’est ce foulard vert qu’elle porte de temps en temps, surtout les jours de cafard.
Elle répète que « le vert, c’est l’espoir ».
c’est tout ce qu’il lui reste.
Avec moi.

 

 

 

 

Édition Gallimard, 412 pages, juin 2024.

Bravo pour le prix Goncourt 2024 largement mérité pour les qualités littéraires de ce grand écrivain courageux et talentueux.

Comment mettre des coquillages à un tel livre ? Mais ne pas en mettre, ce serait aussi envoyer un message qui ne vous conseillerait pas de le lire ou qu’il serait mal écrit.
Ce livre sur l’horreur aura donc quatre coquillages (j’expliquerai pourquoi pas cinq) , mais je le dis aussi : il n’est pas facile à lire, et il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir peur de tourner les pages en me demandant ce qui m’attendait au prochain chapitre !

Les horreurs en Algérie sont commémorées et ont leurs monuments aux morts, il s’agit de celles que les Français ont commises lors de la guerre pour l’indépendance de ce pays. L’ennemi était facile à identifier : les colonisateurs français. Mais les années de guerre civile lorsque le gouvernement algérien a stoppé le processus démocratique qui allait mettre au pouvoir le FIS et qui a déclenché une guerre civile faisant plus de 200 000 morts qui en parle ? Personne ou presque surtout depuis cette loi :

Art. 46 – Est punie d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq(5) ans et d’une amende de 250000 DA à 500000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.
 Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive la peine prévue au présent article est portée au double.
 Chartre pour la paix et la réconciliation plus nationale. 
Kamel Daoud veut briser ce tabou et il le fait dans ce roman, « Houris », les houris, ce sont les femmes vierges qui attendent les valeureux combattants de la foi musulmane au paradis d’Allah . Pour cela, il nous fait entendre la voix intérieure de Aube une jeune algérienne rescapée d’un massacre de village où les enragés islamistes ont assassiné plus de deux mille personnes dont son père sa mère et sa soeur . Elle aussi, a été égorgée, mais mal, ses cordes vocales ont été coupées et malgré une cicatrice qui lui coupe le visage en un affreux sourire, elle a survécu. Elle vit et est est aimée par Khadija qui l’a sauvée et s’occupe d’elle. Elle a vingt ans, et elle est enceinte.
Aube parle à son fœtus, qu’elle pense être une fille sa « houri » et elle a décidé d’avorter pour qu’elle ne connaisse pas la vie des femmes algériennes. Cette vie où le regard des hommes vous colle à la peau et cherche toujours à savoir si vous êtes vierge ou pas. Sa cicatrice sur le bas de son visage est si énorme, qu’elle est comme un reproche vivant au régime algérien actuel, qui veut tout oublier .
Deux horreurs différentes se croisent dans le récit : l’ évocation des massacres, certaines scènes sont insoutenables. J’ai entendu Kamel Daoud dire qu’il n’avait mis que vingt pour cent des horreurs qu’il avait vues ! La seconde horreur c’est le fait qu’on a arrêté de chercher les coupables, qu’on leur a pardonné et qu’ils vivent parmi les descendants des victimes. Et comme, ils sont totalement lavés de leurs crimes, ils peuvent réimposer leur idéologie islamiste. Il ne faut pas oublier que le FIS allait gagner les élections, donc en Algérie aujourd’hui , les règles de vie de la religion musulmane deviennent de plus en plus intolérantes, et les rares voix (comme Kamel Daoud) qui ne sont pas d’accord, ne peuvent vivre qu’en exil.
La jeune femme entreprend un voyage vers son village natal pour comprendre ce qu’il s’est passé et décider si elle donnera la vie à son tour. Elle est attaquée en chemin, et ramassée par un libraire qui va de ville en ville pour déposer ses livres. La censure est tellement forte qu’il ne vend plus que des livres de cuisine. Lui aussi est une victime et surtout se souvient de tous les faits qui se sont passés pendant les années noires.
Tout le récit se passe pendant l’Aïd et les évocations d’égorgements des animaux rappellent sans cesse les égorgements d’humains pendant la guerre.
J’arrête de raconter le récit , je vous le laisse découvrir la fin . Le roman est découpé en trois partie : » la voix », celle d’Aube vers le fœtus, « le labyrinthe » retrouver le chemin vers son village, et « le couteau » celui qui sert à égorger . Les chapitres sont assez courts et cela aide à reprendre son souffle.
Pourquoi ai-je une réserve ? En dehors même de l’horreur, ce n’est vraiment pas facile de passer d’un personnage à l’autre sans savoir ce qu’il s’est passé avant. On retrouve par exemple Aube, pieds nus, dans la camionnette du libraire, mais on n’apprendra son agression sur la route que plusieurs chapitres plus loin. Tous les personnages monologuent dans un flot de paroles continu, que ce soit une voix intérieure ou un discours qui s’adressent à un autre personnage , c’est très particulier Je m’y suis habituée mais sans vraiment apprécier complètement. C’est le style de cet auteur dans « Meursault contre-enquête » il s’adressait aussi à quelqu’un dans son roman, un peu de la même façon.
À vous de juger, vous pouvez lui reprocher son style, mais pas le sérieux de son travail sur la guerre civile et l’état actuel de l’Algérie où l’islam le plus intolérant gagne du terrain afin, surtout, de réprimer les velléités de liberté des femmes algériennes.
J’apprends ce jour que le gouvernement algérien a décide d’interdire à la maison d’édition française Gallimard de venir au salon du livre d’Alger pour ne pas voir le roman de Kamel Daoud exposé , cela peut être une raison suffisante pour le lire puisque nous avons la chance d’habiter un pays ou cette censure n’existe pas encore !

Extraits

Début

La nuit du 16 jui. 2018 à Oran
 Le vois tu ?
 Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S’accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu’un homme invisible m’étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer.

La place des femmes

Que veux tu ? Venir ici et devenir une chair morte ? Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Fieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », les femmes sont comme moi même si elles ne possèdent pas de trou dans la gorge ou de sourire stupide sur le visage, ou de langue étranglée dans l’agonie. C’est ça être femme ici. Le veux tu vraiment ?
Certaines femmes choisissent leur camp très vite. Elles croient que le seul moyen de survivre dans une prison, c’est de s’en faire les gardiennes.

La photo

 Une seule photo, pour toute une guerre, je te la montrerai ce soir au retour.
 Ma mère l’a agrandie et l’a exposée dans l’entrée, en face des masques rapportés du Sénégal. Tu y verras une femme qui crie, bouche ouverte au delà des mots, visage tordu comme quand la douleur vous plonge dans le vide. La femme hurle où semble au bout d’un long hurlement, tout est desséché sur son visage. Sur sa tête elle porte un foulard. Il dévoile une chevelure soyeuse qui suggère sa féminité et son malheur de mère, sauf que ce n’est plus une mère. On l’appelle la « Madone de Bentalha ». Benthala, c’est le quartier d’Alger où dans la nuit du 22 septembre 1997, on massacra et égorgea 400 personnes.

Ce chapitre qui commence ainsi est insoutenable

 C’était au printemps 1992, le lundi 2 mars. Ce jour-là mon père rentra tôt de la librairie et , avec lui, une nuit tomba pour nous éviter le pire. Cette année-là on comptait déjà les morts par centaines dans toutes les villes algériennes. Les barbus, on les appelait les « Tangos » étaient pourchassés par les « Charlie », c’est-à-dire les militaires. Dans notre rue de l’Indépendance, on trouva un matin la tête de notre commissaire de quartier dans une poubelle. Il avait été kidnappé quelques jours plus tôt. Une autre fois sur la porte de la mosquée, à l’aube, les fidèles découvrirent une longue liste de personnes condamnées à mort par « Dieu ». Chacun tentait de ne pas y trouver son nom ou celui d’un proche.


Édition points, 193 pages, mars 2024

 

J’aime bien cet auteur et je trouve que ses livres sont agréables à lire, on trouve sur Luocine : Loin des bras en 2009, Prince Orchestre en 2012, L’enfant qui mesurait le monde en 2017, Tu seras mon père en 2022.

Le sujet de celui-ci est très original : raconter la vie de Jésus en prenant en compte sa conception. Si, ce que nous a appris le catéchisme est vrai, Jésus n’est pas né de l’accouplement de Joseph et Marie, il est donc un « Bâtard » un « Mamzer » en hébreux et sa mère une femme qui a eu des rapports hors mariage, une « Sota » . Un des grands intérêts de ce court roman, c’est de nous faire découvrir la dureté des lois religieuses juives. Les docteurs, gardiens de la loi, sont d’un rigorisme incroyable, ils justifient toutes leurs positions en disant que le peuple « élu » doit être fort et pur. Il faut donc chasser tous les impurs, tous ceux qui ne suivent pas la loi, mais aussi les faibles : handicapés ou malades. Ce sont aussi des dogmes fondés sur la peur terrible de les enfreindre , car la condamnation , ne s’applique pas qu’à vous (le fautif) mais à toute votre descendance sur 5 ou 6 générations.

Toute la réécriture de la vie de Jésus par Metin Arditi, prend comme point de vue celui d’un Mamzer, (bâtard) qui a vécu dans sa propre famille ce rejet terrible pour l’époque. Il a été tendrement aimé par son père Joseph et sa mère Marie, et est donc très attaché à la religion juive de ses parents. La seule chose qu’il souhaiterait c’est d’humaniser ces lois si dures qu’elles rejettent hors de cette religion des gens qui n’ont eu, en somme, que des comportements trop humains. Face à l’adultère, il propose que l’on applique aux hommes la même dureté que pour les femmes : on pense alors à cette phrase « que celui qui n’a pas pêché lui jette la première pierre ». Il ne veut pas que l’enfant bâtard soit jugé pour la « faute » de ses parents, il conteste la loi du talion. Il refuse que les infirmes ou lépreux soient rejetés hors de la communauté. Il souhaite que les populations étrangères puissent devenir juives à leur tour. Pour avoir la force de prêcher tout cela, il s’appuie sur une phrase de l’ancien testament : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

À travers cette façon de lutter contre les lois sclérosantes de la religion juive se dessine l’arrivée des valeurs chrétiennes. Jésus va donc s’adresser aux exclus de la religion juive et peu à peu, ses paroles d’amour et consolatrices vont convaincre une foule de malheureux.

Certains aspects de sa vie sont plus difficiles à expliquer : les miracles, le fils de Dieu, la résurrection, mais l’auteur ne s’en sort pas si mal.

C’est un livre très amusant qui se lit facilement, j’y ai retrouvé mes souvenirs de catéchisme, et j’ai admiré l’esprit de cet auteur. Ce n’est absolument pas une remise en cause de la religion chrétienne, si une religion est critiquée, c’est la religion juive du temps de Jésus. J’ai eu une pensée pour la religion musulmane aujourd’hui : il est si compliqué de donner du sens à des dogmes qui ne suivent pas l’évolution des sociétés. Le respect des lois trop strictes qui empêchent la sensibilité humaine de s’exprimer n’aideront pas à l’expansion de la religion juive, et sera une cause de son rejet, enfin, cela est une autre histoire.

 

 

Extraits

 

Début .

On ajoute deux pas, dit l’enfant.
 Samuel le regarda sans plaisir compter deux pas à partir de la ligne qu’ils avaient tracée sur la terre battue. De toute façon, quand ils jouaient à caillou touché, c’était toujours l’autre qui gagnait. De peu ou de beaucoup, c’était lui. En augmentant la distance au mur, ils en seraient à huit pas. Déjà que l’autre était plus habile … En plus, il le troublait avec ses phrases qui n’en finissaient pas.

Discussion de Jésus et Ézéchiel.

 Et pourquoi demanda Jésus, un autre jour, la représentation était-elle si cruellement punie ?
Était-ce juste de faire punir des générations de descendants pour l’erreur d’un seul homme, comme lorsqu’il est dit :
– » Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point ; car moi, l’éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent, et qui fait miséricorde jusqu’en mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements. »
 L’erreur était-elle héréditaire ?

Le baptême.

Jésus s’approcha du Baptiseur, et, soutenu par lui s’imergea tout entier dans l’eau de la mer de Génésareth, effleuré par le courant du Jourdain dont l’embouchure se situait une cinquantaine de coudées en amont.
 À l’instant ou il émergea de l’eau, les nuages s’écartèrent un rayon de soleil le frappa et une mouette vint se poser à son côté.
 De la foule s’éleva un long « Oh … » d’émerveillement.
– Es-tu celui qui doit venir ? demanda Jean
 Jésus le regarda en silence, sortit de la mer et se perdit dans la foule.

Remise en cause de la loi du talion.

 Répondre à un bras brisé par un bras brisé, ne serait-ce pas contredire la parole la plus sacrée du Père ? Et cela ne ferait que des perdants.
– Plutôt que de briser le bras de ton voisin, ne préférerais tu pas qu’on l’oblige à labourer ton champ, le temps que tu guérisses ? Je suis convaincu qu’à le voir suer à retourner la terre pour ton compte durant un mois, tu seras si heureux que tu finiras par lui pardonner sa faute.
 L’homme regarda Jésus, l’air intrigué. Cet homme lui suggérait-il sérieusement d’accorder son pardon à celui qu’il avait blessé ? Avait-on jamais entendu une idée aussi absurde ? Elle ébranlait ses convictions les plus profondes !
 Pourtant ce qu’il proposait ne manquait pas de justesse.

Diviser ou réunir les juifs.

C’était l’inverse qu’il souhaitait . Rapprocher les Juifs de leur religion. Redonner aux Lois leur esprit. Appliquer l’injonction du Lévitique :

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

– La religion juive est faite de charité et d’amour. Pourquoi voudrais-je m’en séparer ?


Édition Actes Sud , 133 pages, Avril 2024

 

Un autre livre de cet auteur à l’écriture si belle et si forte que j’ai eu du mal à m’en remettre (Le premier livre de lui, sur Luocine, était « le soleil des Scorta« ) . J’avais dit à Gambadou que j’hésitais à lire cet essai, mais parfois il faut savoir ouvrir les yeux et son cœur. La délicatesse de cet écrivain pour parler des attentats de Paris du 13 novembre 2015 , est absolument remarquable. Il réussit un tour de force difficile à expliquer, il parle de tout le monde, il individualise chacun, et les rend universels. Quand on referme le livre, on est celle qui est morte dans la fosse du Bataclan, celui qui a choisi la chaise qui tourne le dos à la rue sur la terrasse, l’infirmière qui travaille non-stop pendant six heures, le médecin qui trie les urgences, les policiers qui sont arrivés les premiers dans la salle du Bataclan, la mère qui attend que sa fille reponde au téléphone…

Nous sommes tous ceux là , la seule personne que nous ne serons jamais ce sont ceux qui arrivent triomphant pour assassiner, ceux là même qui jouaient au ballon avec une tête d’un otage qu’ils venaient de décapiter dans un autre pays.

Chaque moment est parfaitement rendu , celui qui m’a le plus touché est celui où les parents commencent à se rendre compte que cette tragédie peut les concerner. Ce moment où, ils laissent un petit SMS, puis un autre, puis ils commencent à appeler et appeler encore, puis refusent absolument de faire partie de ceux qui iront peut-être dans un groupe de parole pour raconter ce dont personne ne peut se remettre. Mais comment oublier la jeunesse et la fraîcheur de ces jeunes qui étaient venus boire un verre entre amis, comment oublier le médecin qui doit trier les urgences, l’équipe du Raid qui doit sécuriser avant de sauver des vies .

Merci Monsieur Gaudé d’avoir écrit ce livre et j’espère ne choquer personne en disant que le 7 octobre en Israël 1200 personnes dont 37 enfants , ont été assassinés de cette façon là. Je ne cherche pas à minimiser les souffrances des habitants de Gaza, mais le Hamas est une organisation terroriste dont les membres ont utilisé les mêmes méthodes que ceux qui ont fait 129 morts à Paris le 13 novembre 2015.

 

Extraits

Début.

 J’ouvre les yeux. Je me dis que cette journée est belle puisque nous allons nous voir ce soir. Je souris à l’idée de ce rendez-vous et sens, dès le matin cette boule dans le ventre qui dit que je t’aime peut-être plus que je ne le pensais. Une longue attente s’étale devant moi jusqu’à te voir. Aurons-nous le temps de nous aimer ? Je me prépare. Je veux que tu tombes à la renverse en me voyant et tu tomberas. Je m’habille. Je ne mets pas de soutien-gorge. Puis je change d’avis. J’en mets un en me promettant de l’enlever plus tard dans la journée, lorsqu’il sera temps d’aller te rejoindre Je prends plaisir à imaginer cette fin de journée.

Un moment parmi d’autres.

 Il faut s’asseoir. Trouver une table. Choisir une place. Décider de qui prend quelle chaises. Dos au bar ou à la rue ? Personne ne se doute que ce sera si important, que c’est une question de vie ou de mort. Certains d’entre nous renoncent, jugent la terrasse déjà trop bondée, n’aime pas cela : être si proche de gens qu’on ne connaît pas, dont on entend toute la conversation, qui vous rejette la fumée de leur cigarette dans les cheveux et font trembler votre chaise à chaque fois qu’ils bougent. Certains vont plus loin, disparaissent à la recherche d’un peu de calme. Ils vivront. N’en reviendront pas d’avoir échappé à cette histoire
 À peu de chose près. Si peu de chose près. Pour ceux qui restent il faut choisir. Premier rang de terrasse ou deuxième ? Côte à côte ou face à face ? Nous choisissons. Sans nous douter que nous nous asseyons sur la trajectoire de balles qui vont bientôt être tirées.

Les parents.

 Nous ne savons pas encore que nous sommes si nombreux à vivre une soirée si semblable. Les appels répétés. La voix de la messagerie. Téléphoner. Essayer d’avoir des nouvelles des uns et des autres. Et puis cette sensation que ce qui se passe à la télévision a à avoir avec notre enfant. Cette sensation qui se mue en certitude et les jambes qui se dérobent … Je ne veux pas … Je ne veux pas… On sent ce qui vient mais on voudrait encore y échapper… Je ne veux pas, moi, faire partie de tout ça, vous connaître, partager avec vous, bien plus tard, le souvenir de cette nuit, dans les groupes de parole qui feront renaître le vertige. Je ne veux pas être sur la liste de celles et ceux qu’un policier va devoir appeler parce que le corps de mon enfant a été identifié. Je ne veux pas être parmi vous, comme vous. Laissez-moi. Je n’ai rien à voir avec vous. Je ne vous connais pas, ne veut pas vous connaître, je veux juste entendre la voix de mon enfant. Je n’irai pas à la mort pour identifier son corps et récupérer ses effets. Je ne je n’irai pas au procès pour voir le visage de ceux qui ont déchiré sa vie. Je ne veux pas être avec vous, laissez-moi, laissez-moi !

Le médecin d’urgence sur le terrain.

 Je suis le premier médecin à être entré, celui qui n’a pas pu prendre le temps de soigner, qui a essayé de faire au mieux, mais cela voulait dire abandonner certains, passer vite aux autres, aller d’un corps à l’autre pour que le moins possible d’entre eux meurent de leur blessure, mais il y en a eu, il y en a eu, malgré tout, et tant, et trop, je le sais qui sont morts seuls, sans aide, sans voix penchées sur eux, parce que j’étais débordé, parce que l’urgence m’imposait de ne m’arrêter sur aucun, et ils étaient tant, je n’en voyais pas la fin… Toute ma vie… Toute ma vie pour être le médecin qui secourt sans avoir le temps de soigner, le médecin qui dessine d’un chiffre sur le front le destin des victimes, le médecin qui sera désormais mangé par l’incertitude, la hantise de s’être trompé, le souvenir d’un corps qu’on a d’abord vu vivant puis mort lorsqu’on est repassé, toute ma vie, pour arriver à cette journée, courte au regard du nombre de jours que j’ai vécus, mais qui durera une éternité, et je le sais, et jusqu’au bout en moi le doute embrassera la fierté.

 

 

 

 


Édition La peuplade Roman, octobre 2023, 190 pages, 

traduit du Croate par Chloé Billon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

En un peu moins 200 textes assez courts, souvent moins d’une demi page, cette auteure veut nous faire comprendre les horreurs de la guerre qui a vu s’affronter les Croates et les Serbes au début des années 1990. L’enfant a bien du mal à comprendre ce qu’il faut faire pour être du bon côté et elle a surtout envie de garder sa part d’enfance et de jeux avec ses amis. Toute guerre est certainement atroce et le pire certainement ce sont les guerres civiles qui voient s’entretuer des populations qui ont vécu ensemble de longues années. Il ne faut plus être Serbe, ni coco (communiste) ni garder un portrait de Tito. Pour être un bon Croate, il faut être baptisé .
L’enfant a bien du mal à comprendre et elle perçoit les horreurs sans les comprendre.

Je n’ai malheureusement pas beaucoup aimé le procédé, ni les chapitres si courts, ni le fait de découvrir cette réalité avec des yeux d’une petite fille. Peut-être suis-je passée à côté du charme de cette écriture ? Je verrai bien si vous, êtes plus positifs que moi sur ce roman.

 

Extraits

Début.

Lola
 Papy est allé derrière la maison, dans le jardin. Derrière la grange. On a quand même entendu le coup de feu. J’ai défait mon bandage et j’ai dit que j’irais à l’école le lendemain. Le matin, j’ai enlevé du portail de la cour le panneau « Chien méchant ».

Logique de l’enfant.

Trois garçons de la 7e A5 étaient allongés dans la neige bourrés
 » Je vais te tirer comme un lapin ! » à crié le papa de Mate.
Une paire de gifles, et il la rebalancé dans la neige. Il l’a tout de suite relevé et a dit on rentre à la maison. Sa mère avait l’air triste et tremblait de froid en tenant le vélo.
 Heureusement que le papa de Mate est venu à vélo parce que sur un vélo, tu ne peux pas à la fois rouler dans la neige et tenir un fusil à la main