Édition Liana Levi traduit du russe par Nathalie Amargier

 

J’ai découvert ce roman chez Krol, son billet m’a donné envie de mieux connaître la vie de Victor Zolotarev et de son pingouin Micha. J’ai eu le tort de le lire pendant le confinement qui a été pour moi une période de fragilité et de moindre envie de me plonger dans des univers absurdes. Et pour être absurde ça l’est ! Victor a hérité de ce pingouin neurasthénique car le zoo de Kiev n’a plus les moyens de nourrir les animaux. Nous sommes en pleine crise sociale en Ukraine et en plus de la misère, il y règne de sordides histoires de corruption. On imagine les dégâts matériels pour la population mais en plus les acteurs de ce pays ont une forte tendance à disparaître violemment. Victor est embauché pour un travail qui semble assez facile : écrire des nécrologies de personnalités assez en vue. Cela permet au journal d’être prêt à publier les éloges des « futurs » disparus. Un travail de tout repos qui lui permet d’acheter le poisson nécessaire à la survie de Micha. Mais nous sommes en Ukraine, et évidemment écrire des nécrologies peut s’avérer dangereux. D’abord les personnalités se mettent à disparaître de mort brutale et peu à peu Victor se trouve lui-même en grand danger. L’auteur écrit avec cet humour russe si caractéristique et n’hésite pas à plonger son lecteur dans un monde absurde. Trop pour moi , et je dois avouer que petit à petit je lisais la vie de Victor et Micha sans m’impliquer totalement. Je comprends le succès de ce livre car même dans ses aspects excessifs et déjantés, il permet de se rendre compte de la réalité d’un pays en proie à la corruption et à la misère sociale mais il faut accepter les aspects déjantés qui ont fini par me lasser.

Citations

L’humour russe

Il regardait Sergueï et avait envie de sourire. L’amitié ? En fait, il ne l’avait jamais connue, pas plus que les costumes trois-pièces ni la passion véritable. Sa vie était terne et douloureuse, elle ne lui apportait pas de joie. Micha son pingouin, était triste, comme si lui aussi n’avait connu que la fadeur d’une existence dénuée de couleur et d’émotion, d’élan joyeux, d’enthousiasme.

Un pingouin malade

Ben voyons ! se moqua Pidpaly. Même les humains, on ne les soigne plus, maintenant, et vous voudriez qu’on soigne un manchot. Vous comprenez bien que pour un animal de l’Antarctique, notre climat est une catastrophe. Le mieux pour lui serait de retrouver sa banquise. Ne soyez pas vexé, j’ai l’air de délirer, mais si j’étais lui et que je me retrouve sous nos latitudes, je me prendrais ! Vous ne pouvez pas imaginer le martyre que ça représente d’avoir deux couches de graisse et des centaines de vaisseaux sanguins destinés à se protéger des températures les plus extrêmes, alors qu’on vit dans un pays où il fait parfois quarante l’été, et moins dix l’hiver, au mieux, et c’est rare ? Hein ? Vous comprenez ? Son organisme chauffe, il se consume de l’intérieur. La plupart des manchots en captivité sont dépressifs. On m’a toujours répété qu’il n’avait pas de psychisme, mais moi, j’ai démontré le contraire. Et à vous je vais le démontrer ! Et leur cœur ! Quel cœur serait capable, dans ces conditions de supporter une pareille surchauffe ?

Philosophie des buveurs phrase à la Audiard

Buvons pour que ça ne soit pas pire. Mieux, ça a déjà été.

L’horreur

J’ai discuté avec le professeur de cardiologie de l’hôpital des scientifiques… Nous en avons conclu qu’on pouvait lui greffer le cœur d’un enfant de trois ou quatre ans…
 Victor s’étrangla avec son café et reposa la tasse sur la table. Il en avait renversé.
En tout cas, si l’opération réussi, cela pourra lui permettre de vivre encore plusieurs années. Sinon. Le vétérinaire fit un geste d’impuissance.
 Oui, aussi, pour répondre tout de suite à vos interrogations éventuelles, l’intervention elle-même ne ne vous reviendra qu’à quinze mille dollars. En fait c’est assez peu. Quant au nouveau cœur. Vous pouvez chercher un donneur par vos propres réseau, mais si vous nous faites confiance, nous pouvons nous en charger. Pour l’instant j’aurai du mal à vous dire un prix. Il arrive que nous recevions des organes sans même avoir à les payer.
Que je cherche par mes réseaux reprit Victor, ahuti qu’est-ce que vous entendez par là ? J’entends que Kiev compte plusieurs hôpitaux pour enfants, et que chacun a son service de réanimation. Expliqua-t-il calmement. Vous pouvez vous présenter au médecin, mais ne leur parler pas du pingouin. Dites simplement que vous avez besoin du cœur d’un enfant de trois ou quatre ans pour une transplantation. Promettez- leur une bonne récompense. Ils vous tiendront au courant.

 

Édition 10/18. Traduit du tchèque Joseph Gagnaire

 

Je dois la découverte de cet auteur à Patrice et, comme lui, depuis, j’ai très envie de lire d’autres livres de cet auteur, pourquoi pas « Voyage vers le Nord » . Ce petit livre sur les amoureux des jardins est un petit concentré d’humour. Dès la première phrase, j’ai souri et je savais que je le lirai jusqu’au bout :

Il y a cent manières de créer un jardin : la meilleure est encore de prendre un jardinier

Ecrit en 1929, ce conseil me encore va très bien, derrière tout beau jardin bien fleuri se cache un jardinier compétent (ce que je ne suis pas) et qui doit passer cent pour cent de son temps libre à travailler la terre. J’adore les fleurs mais je déteste les cultiver. Pourtant, quelle merveille quand les roses s’éveillent et parfument l’entrée de la maison ! Dans ce petit livre, écrit comme un almanach, chaque mois, l’auteur précise les différentes tâches qui attendent tout bon jardinier. Tout cela est raconté avec un humour délicieux. Mais j’avoue que l’accumulation des noms de fleurs et de plantes a fini par me lasser. Karel Čapek aime le comique d’accumulation et cela m’a semblé un procédé trop répétitif. Surtout ne vous arrêtez pas à ce bémol, car dans l’ensemble vous trouverez que le jardinier de 1929 a beaucoup de points communs avec celui de 2020 . Et jamais, au grand jamais, vous n’accepterez de surveiller le jardin d’un ami qui part au mois d’août en vacances. Ce « presque rien que vous aurez à faire » peut se terminer par une vraie galère tous les jours. Le jardinier de 1929 écrivait une lettre par jour pour s’inquiéter de l’état de son cher jardin et donner ses précieux conseils, je vous laisse imaginer ce que le jardinier d’aujourd’hui ferait avec son téléphone portable grâce Facebook, Whatsapp et autres façon de s’inquiéter de ses trop chères petites plantes…

 

quelques photos prises dans un jardin au printemps 2020 (celui où le confinement a permis d’admirer l’arrivée des fleurs)  :

 

 

Citations

 

Tellement vrai

Vous verrez, au bout d’une quinzaine, sortir de la mauvaise herbe au lieu de gazon. C’est un des mystères de la nature que les mauvaises herbes les plus luxuriantes et les plus vivaces naissent toujours des meilleures semences de gazon : qui sait s’il ne faudrait pas semer de la graine de mauvaises herbes quand on veut avoir de beau gazon ? Trois semaines après, votre pelouse est abondamment couverte de chardons drus et autres saletés rampantes ou enracinées dans le sol, quand vous voulez les arracher, ou bien elles se cassent juste à la racine, ou bien elles emportent toute une motte de terre. Ainsi vont les choses : 
plus une saleté est nuisible, plus elle a de vitalité. 

Se souvenir que ce livre a été écrit en 1930 et non en 2021 !

 Quiconque devient jardinier recherche avec complaisance les « Vieux Chroniqueurs » . Ce sont des personnes d’un certain âge et passablement distantes qui disent chaque printemps , qu’elles n’ont pas souvenir d’avoir jamais vu un temps pareil . S’il fait froid, elles proclament qu’elles ne se souviennent pas d’un printemps aussi froid. « Une fois, il y a de ça soixante ans, il a fait si chaud que les violettes fleurirent à la Chandeleur ». Par contre si le temps est légèrement plus chaud, les chroniqueurs soutiennent n’avoir aucun souvenir d’un printemps aussi chaud. « Une fois, il y a de ça soixante, nous circulâmes en train en traîneau à la Saint-Joseph ». Bref, les chroniqueurs eux aussi témoigne qu’en ce qui concerne le temps, notre pays a toujours été soumis à un arbitraire effréné et qu’il n’y a pas à aller contre.

 

Genre d’énumérations drôle mais hélas trop fréquentes

Cultiver la terre, c’est d’une part bêcher, creuser, retourner, fouiller, ameublir, aplanir, niveler et faire des ondulations, et d’autre part, s’occuper des ingrédients. Aucun pudding au monde ne peut-être de composition plus compliquée que la terre de jardin. Autant que je puisse savoir, on y met du fumier, de l’engrais, du guano, des feuilles pourries, de la terre de gazon, de la terre arable, du sable, de la paille, de la chaux (de la farine pour les enfants), du salpêtre, des phosphates, de la bouse, de la cendre, de la tourbe, de l’eau de la bière, des culots de pipe, des allumettes brûlées, des chats crevés et beaucoup d’autres substances. Tout cela se mélange, s’enfuit et se répand ; comme je l’ai dit, le jardinier n’est pas un homme qui respire les roses, mais un homme qui est poursuivi par l’idée que « cette terre voudrait encore un peu de chaux », ou bien « qu’elle est lourde, comme du plomb, dit le jardinier, et qu’elle voudrait un peu de sable ».

Le jardinier et la propriété

Quiconque a un jardin devient inéluctablement un défenseur de la propriété, et alors, ce n’est pas un rosier qui pousse dans ce jardin, c’est « son » rosier. L’homme qui est propriétaire prend conscience d’une certaine solidarité qui le lie à son prochain, par exemple en ce qui concerne le temps, il se met à dire : « Nous aurions besoin d’une bonne pluie » ou « Nous avons été bien arrosés ». D’autre part, il devient en quelque sorte fortement exclusif. Il trouve que les arbustes des voisins ne sont que du bois de fagot, à la différence des siens propres ;.ou bien il constate que tel cognassier viendrait bien mieux dans son jardin que dans celui de son voisin, etc. Il est donc vrai que la propriété privée suscite certains intérêts collectifs, certains intérêts de classe, par exemple en ce qui concerne le temps, mais il est non moins vrai qu’ elle excite à l’extrême de forts instincts d’égoïsme, d’initiatives et de possession. Il ne fait pas de doute que les hommes n’aillent au combat pour défendre leur idée, mais ils iraient avec plus de zèle encore et plus de férocité pour défendre leur jardin. Un homme qui possède quelques arpents de terre et qui cultive quelque chose devient, en vérité, un être conservateur car il est assujetti à des lois naturelles millénaires. On aura beau faire, aucune révolution n’accéléra la germination ni ne fera fleurir les lilas avant le mois de mai, cette leçon rend l’homme plus sage et fait qu’il se soumet aux lois et aux coutumes.

Édition Pocket

Jérôme aime beaucoup cet auteur et moi qui craignais être rebutée par la langue ce n’est absolument pas le cas, son style est adapté à son récit et fait une grande partie du charme de cet auteur que je vais continuer à lire. Voici un roman très important pour toutes celles et tous ceux qui prennent des bonnes résolutions pour la nouvelle année : ça ne marche pas ! En tout cas pour Fred, ça ne marche jamais et il aurait mieux valu pour lui qu’il ne s’y « mette jamais » et qu’il reste dans son quartier parisien à soutenir le bar d’Omar plutôt qu’aller en Espagne pour fuir un certain M. Zyed qui n’avait peut-être pas comme projet de l’empêcher de faire la maquereau à Pigalle. Voilà tout est dit ou presque ! Fred est un éternel perdant qui nous fait rire grâce au talent de Florent Oiseau. Cet art d’être à côté de la plaque tout le temps est un bon ressort dans la littérature . Je ne peux pas dire que c’est complètement ma tasse de thé mais, je dois l’avouer, parfois, j’ai ri malgré les outrances trop répétitives à mon goût. J’oubliais l’alcool c’est aussi un personnage important du livre, c’est sûr qu’après la deuxième bouteille de côte du Rhône on a les idées moins claires qu’après la « petite » bière du matin mais la vie devient tellement plus cool que cela permet à Fred de passer une après midi de plus « avec » Sophie Davant.

Citations

Moment que j’aime bien

C’est sur ce chemin du retour que j’ai croisé un pote au café, rue de Paradis. Le pauvre vieux venait de se faire plaquer, du coup on a bu quelques canons. J’ai le soutien facile, on se confie aisément à moi, je ne parle pas beaucoup. Dans les moments compliqués, ça doit être réconfortant, un gars qui écoute.
Quinze ans de vie commune, qu’il rabâchait. Quinze putains d’années, il râlait, le gars. Quinze ans, un voyage de noce aux Seychelles avec ses économies à lui, des sacrifices, pour qu’en fin de compte elle se barre avec un professeur d’histoire (vacataire en plus)en lui reprochant de se laisser sombrer.

Une vision genrée du monde (mais si drôle !)

Avec un million, je l’aurais gardée, Séverine. Un alcoolique millionnaire qui ne prend pas d’initiatives, ça lui aurait convenu. Les femmes disent toutes qu’elle se foutent de l’argent. Tu parles. Elles ne peuvent rien y faire, elles l’ont en elle. C’est une chose qu’on doit leur faire couler dans les veines, à la naissance. Un genre de truc irréversible, incontrôlable. Très souvent, cette attirance pour le fric est volontairement ignoré. Une sorte de déni s’opère. Elles ont envie de se convaincre qu’une vie bohème fait d’amour, de poils et de vin pourrait leur convenir. Elles en meurent d’envie de cette vie là, simple, romantique et insouciante, mais le truc qui a été mis à l’intérieur d’elle au sujet du fric prend le dessus chaque fois. J’appelle ça, le gène confort. Le virtuose pauvre avec ces jolis mots peut bien aller se faire foutre. Terminé le petit studio sous les toits, éclairé à la bougie, avec un chat qui minaude en nous regardant faire l’amour. Place au DRH, au mec de la télé, aux sportifs de haut niveau, au trader, au chirurgien, à l’avocat. Le ski à Courchevel, le weekend à Cabourg. Les gonzes, elles préfèrent s’ennuyer dans un cabriolet qui sent le cuir que s’éclater en camping. Les mecs, ce serait un peu la même chose concernant la fidélité. Ils sont incapables de se contrôler. J’appelle ça, le gène bite. La situation est simple, les hommes ne peuvent se vouer au même sein, tandis que les femmes, elles, sont machinalement envoûtées par l’attraction qu’exercent des cartes de crédit sur leur culotte.

De hautes réflexions philosophiques

Si les secondes étaient des heures, on vivrait beaucoup plus vieux.

Sophie Davant

J’ai pensé très fort à Sophie Davant, au fait que c’était la femme avec laquelle j’avais vécu le plus de choses. Elle l’ignorait sans doute.

Chacun ses doudoux ! quand je trouve que le monde va mal et qu’un fond de tristesse m’envahit, je cours chez Sauveur Saint-Yves et pour moins de quarante cinq euros et un peu plus d’une heure de consultation, ce thérapeute me redonne confiance dans l’humain. Je sais que cette série d’adresse aux adolescents ce que je ne suis plus depuis si longtemps et que j’ai déjà fait deux billets à propos de cette série (sur le « un » et le « deux« ) . Mais la période est franchement pas folichonne et donc je régresse avec une joie non dissimulée. D’autant plus facilement que Noukette et Jérôme se sont ligués pour avoir trouvé chez cette auteure leur dose de réconfort. Ils parlaient de la saison 6 mais peu importe, on y trouve toujours de quoi sourire et s’attacher aux personnages. J’aurais peut être dû acheter la six , car j’ai été un tout petit peu déçue. Le premier et le deuxième tome m’avaient complètement séduite, là, je suis un peu restée en dehors des récits et même des personnages que je connais trop bien maintenant. Ce n’est qu’une légère critique pour un ado cela sera parfait mais pour la grand mère d’un ado, il lui en faut sans doute un peu plus pour soulever le morosité ambiante.

Citations

Un bon sourire au début

Donc, mademoiselle Louane, qui vivait alors à Austin, Texas, avait consulté un thérapeute réputé qui déterminait en quelques séances quel était votre animal de soutien émotionnel, celui qui vous aiderait à traverser les inévitables épreuves de la vie. Dans le cas de Louane c’était le hamster, ce qui était sans doute préférable à l’hippopotame.

La vie

On choisit sans savoir, Gabin. Qu’est-ce que je savais de la psychologie avant de commencer mes études ? Trois fois rien. Qu’est-ce que je savais de ce que serait ma vie de psychologue ? Absolument rien. Et la femme que j’ai épousée ? Je ne la connaissais pas. Et le mariage, c’est quoi avant que tu sois marié ? Tu ne sais pas. En fait, tu embarques sur un bateau et après tu t’arranges avec la vague et le vent. Quand tu arrives au port, tu t’aperçois que c’est le voyage qui t’a fait ce que tu es, c’est pas si mal.

Encore un bon sourire

– Je vais m’engager dans la marine. 
Rien ne permettait de savoir si Gabin était sérieux ou s’ils déconnait.
– Tu es déjà allé sur un bateau ? Questionna à son tour Lazare. 
– J’ai fait un stage de planche à voile quand j’avais 11 ans. 
– Ça n’a rien à voir, gloussa Alice.
– Le mono m’avait dit que j’avais le pied marin, répliqua Gabin. On ne m’a jamais fait d’autres compliments depuis. Il conclut très fermement : 
– Je pense que c’est une vocation.

 

Édition Six Pieds Sous Terre

Je crois que c’est impossible d’expliquer pourquoi une BD nous fait rire ou pas. L’humour de Fabcaro est pour moi, irrésistible. Après Zaï Zaï Zaï et Et Si l’Amour c’était d’Aimer voici donc Formica. J’ai passé un très bon moment , (un peu trop court), pourtant, je n’aime pas qu’on meurt dans les BD surtout pas lorsque l’on tue des enfants ! Or le fait que ce dimanche-là, comme tous les dimanches, la famille se réunit mais ne trouvera aucun sujet de discussion se soldera par la mort ‘tragique » de deux enfants. Le côté décalé de cet auteur qui n’insiste jamais sur ses blagues me réjouit beaucoup, j’ai emprunté cette BD à la bibliothèque mais je sais que je vais l’offrir et me l’offrir aussi . Voici quelques bulles pour vous donner envie de vous plonger dans ce drame en trois actes :

 

Menace de la voisine qui ne veut pas divulguer ses sujets de discussion :

 

Quand les banalités deviennent un peu floues

Le jeu de 7 familles dysfonctionnelles

et une dernière (si vous ne riez pas, ne lisez pas cette BD) , c’est une de celles qui me fait le plus rire ….

 

 

Édition Acte Sud, Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Et quand je pense que j’ai hésité à choisir ce livre et cela parce que j’avais vu qu’il s’agissait de Tchernobyl …
C’est un grand bonheur ce roman, jusqu’à la dernière ligne. On regrette d’être arrivé à la page 150 aussi rapidement. Mais pourquoi donc cet enthousiasme ?
– D’abord à cause du personnage de Baba qui vit aussi bien avec les vivants que les morts, elle est si attachante dans sa simplicité et son naturel. Son ancien métier d’aide soignante lui a permis de se faire une idée assez précise de la nature humaine : ni trop idéalisée ni trop pessimiste.
Elle a un sens de la répartie à toute épreuve, et cela parce qu’elle n’a plus peur de rien puisqu’elle est une morte en sursis depuis si longtemps.
Comme elle parle assez régulièrement à Yégor son mari mort depuis un certain temps, Elle nous fait aussi connaître la vie avant l’explosion de la centrale nucléaire. On retrouve, alors, les hommes russes alcooliques violents et de bien mauvais pères. Mais aussi le plaisir de vivre dans un petit village avec la nature accueillante et nourricière autour de chaque maison.
– Les autres habitants du village sont tous des zombies rescapés de la catastrophe de Tchernobyl mais ils préfèrent mourir là que loin de chez eux dans des villes peu accueillantes et dans des immeubles vétustes.
– Le village va se souder autour d’un meurtre d’un homme qui avait décidé pour se venger de sa femme de venir dans ce village y faire mourir sa petite fille.
– Notre Baba va y tenir un rôle important mais son vrai soucis c’est de réussir à lire la lettre que sa petite fille Laura lui a envoyée. Comme Baba ne lit que Le russe elle ne peut même pas deviner en quelle langue est écrite cette lettre.
Évidemment je ne peux divulgâcher tous les ressorts de l’intrigue romanesque mais ce roman est si bien agencé que cela contribue au plaisir de la lecture.
Je suis ravie de participer avec ce roman au mois de novembre de la littérature allemande comme l’avait suggéré Eva, car ce livre tout en légèreté et humour tranche complètement avec ce que je reproche aux auteurs allemands. Je les trouve souvent trop didactiques et un peu lourds. Si, ici, le sujet reste tragique le caractère de Baba Dounia qui nous permet de sourire souvent le rend pourtant beaucoup plus proche de nous.

Citations

Son mari Yégor

Autrefois, mes pieds étaient fins et délicats, poudrés de la poussière qu’ils soulevaient dans la rue, magnifiques dans leur nudité. Yégor les aimaient. Il m’a interdit de marcher pieds nus parce qu’à la seule vue de mes orteils, les hommes avaient déjà le sang qui leur montait à la tête.
Maintenant, quand Yégor passe me voir, je montre du doigt les deux boudins ficelés dans des sandales de marché et je dis : Tu vois ce qui reste de la splendeur d’antan ? 
Alors il rit et il affirme que mes pieds sont toujours aussi jolis. Depuis qu’il est mort, il est très poli, l’hypocrite.

Les vieux journaux

Dans le « Paysanne » que je feuillette, il y a des recettes à faire avec de l’oseille, un patron de couture, une brève histoire d’amour dans un kolkhoze et une liste d’arguments contre le port du pantalon pour les femmes, sauf au travail. Le magazine date de février 1986.

Maria sa voisine

Je me dis que Maria n’aurait jamais dû venir ici. Ce ne sont pas les radiations. C’est le calme qui lui fait du mal. Maria a sa place en ville, où elle peut tous les jours avoir son lot de querelles chez le boulanger du coin. Ici, comme personne n’a envie de se disputer avec elle, elle ne se sent plus exister , et son corps gonfle tandis que son âme rétrécit.

Le conducteur de bus

Boris raconte ce qu’il a vu à la télé. De la politique, encore et toujours ; l’Ukraine, le Russie, l’Amérique. Je n’écoute que d’une oreille. Bien sûr, c’est important la politique, mais si on veut manger de la purée un jour, c’est quand même à nous de biner les pommes de terre.

C’est bien vrai ….

Mon travail m’a enseigné que les gens n’en font toujours qu’à leur tête. Ils demandent des conseils, mais en réalité, ils n’ont que faire de l’avis des autres. De ce qu’on leur dit, ils ne retiennent que ce qui leur convient, et ils ignorent le reste. J’ai appris à ne pas donner de conseils, à moins qu’on ne me le demande expressément. Et à ne pas poser de questions.

Un soir de la vie d’une femme aide-soignante en Russie

Je ne retrouve mes esprits que le soir venu. Il est dix heures , les enfants dorment dos à dos dans le grand lit et je sors leur cahier de leur cartable pour contrôler leurs devoirs. La vaisselle est lavée , les chaussettes reprisée. Je suis loin d’exceller dans les tâches ménagères, mais je fais de mon mieux. Je vais à la cuisine et je bois un verre d’eau du robinet. Elle a un goût salé, le goût de mes larmes. Au fond, je ne suis qu’une femme comme des millions d’autres, mais ça ne m’empêche pas d’être malheureuse. Quelle imbécile je fais.

 

Traduit de l’espagnol (Chili) par A.M Métailié Èdition Métailié/Seuil

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Il s’agit d’un livre de jeunesse que les adultes ont grand plaisir à lire. J’ai hâte de le faire lire à des enfants parce que c’est très drôle et que cela rend la leçon de vie complètement acceptable. Je pense que l’auteur aime bien les chats, tellement, qu’il a voulu leur donner ce qui leur manque : « la parole » . D’ailleurs tous les animaux parlent mais ils font bien attention à ne pas communiquer avec les hommes car, lorsque, par hasard ils ont commencé à le faire, ils leur arrivent bien des malheurs : les perroquets doivent répéter « Coco » toute la journée enfermés dans une cage. Et les dauphins doivent faire des cabrioles dans des piscines qui au regard de leur espace naturel leur semblent des petites baignoires !

Un chat devient la mère adoptive d’une mouette et doit lui apprendre à voler, vous pensez que ce n’est pas possible et complètement farfelu et bien lisez donc ce roman et vous verrez que pour un chat rien n’est impossible, il faut beaucoup de cœur, du courage il faut aussi et une grande solidarité entre les animaux. Bref un petit bijou de lecture qui fait beaucoup de bien !

 

Citations

Leçon de vie

Nous t’aimons tous , Afortunada. Et nous t’aimons parce que tu es une mouette , une jolie mouette . Nous ne te contredisons pas quand tu cries que tu es un chat , quand nous sommes fiers que tu veuilles être comme nous , mais tu es différente et nous aimons que tu sois différente. Nous n’avons pas pu aider ta mère , mais toi nous le pouvons. Nous t’avons protégé depuis que tu es sorti de ton œuf. Nous t’avons donné toute notre tendresse sans jamais penser à faire de toi un chat. Nous t’aimons mouette. Nous sentons que toi aussi tu nous aimes, que nous sommes tes amis, ta famille, il faut que tu saches qu’avec toi, nous avons appris quelque chose qui nous emplit d’orgueil : nous avons appris à apprécier, à respecter et à aimer un être différent. Il est très facile d’accepter et d’aimer ceux qui nous ressemblent, mais quelqu’un de différent c’est très difficile et tu nous as aidé à y arriver. Tu es une mouette et tu dois suivre ton destin de mouette. 

Les humains

Par l’encre du calamar ! En mer il arrive des choses terribles. Parfois je me demande si quelques humains ne sont pas devenus fous, il essaie de faire de l’océan une énorme poubelle. Je viens de draguer l’embouchure de l’Elbe et vous ne pouvez pas imaginer la quantité d’ordures que charrient les marées ! Par la carapace de la tortue ! Nous avons sorti des barils d’insecticides, des pneus, des tonnes de ces maudites bouteilles de plastique que les humains laissent sur les plages.

La fin

« Seul vole celui qui ose le faire » 

Traduit de l’anglais (Ètats-Unis) par Brice Matthieussent ; collection 10/18

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

J’ai oublié sur quel blog j’avais lu qu’il fallait absolument lire ce petit roman de John Fante, mais quand je l’ai vu au club de lecture de notre médiathèque, j’étais très contente. Oui, c’est un excellent moment de lecture tout en humour grinçant et méchant qui décoiffe, parfois un peu trop pour moi. Le personnage principal est un écrivain qui trouve un soir un énorme chien devant chez lui. Un chien de race Akita qui, sur cette photo, semble bien sympathique mais qui est un véritable danger dans une famille qui n’allait pas non plus très bien avant son arrivée

Ce chien mérite très bien son nom, Stupide, il saute sur tout ce qui lui semble un compagnon sexuel acceptable et comme il est très puissant cela donne des scènes aussi comiques que gênantes. L’écrivain, narrateur de ce roman se sent mal de tous les livres qu’il ne réussit plus à écrire. Il se sent raté aussi bien socialement que dans sa vie familiale. Même s’il le raconte avec beaucoup d’humour, on sent son désespoir à l’image de la scène finale qui donne peu d’espoirs sur la survie de son mariage. Ce roman raconte aussi très bien le choc des familles lors des départs des enfants qui occupaient une place si importante au quotidien dans la maison. J’ai trouvé très originale dans ce roman la peinture de chaque personnage, on peint souvent la famille américaine comme une force en soi. Dans les films, les séries, les romans, la famille made-in US semble un lieu d’engagement et de résistance à toute épreuve. Ici, au contraire chaque individualité est caractérisée par une destinée propre et leur seul point commun lors de ce roman c’est ce chien, qu’elle le rejette ou l’aime. Un point de vue et un humour très particulier qui fait du bien en contre point des images trop lisses que nous renvoie « la culture » américaine : John Fante est issu de l’immigration italienne, et a connu la misère, ceci explique cela. Je ne voudrais pas donner une fausse image de ce livre qui est surtout très drôle même si on sent une grande tristesse sous cette façon de rire de tout et surtout de lui.

 

Citations

Beaucoup de pères pourraient écrire cela

Jimmy avait cinq mois, et je l’ai détesté comme jamais parce qu’il avait des coliques et braillait encore plus que Tina. Les hurlements d’un enfant ! Faites-moi avaler du verre pilé, arrachez-moi les ongles, mais ne me soumettez pas aux cris d’un nouveau-né, car ils se vrillent au plus profond de mon nombril et me ramènent dans les affres du commencement de mon existence.

Un père reste une fille s’en va

Pendant qu’Harriet sanglotait dans le patio, je suis allé dans mon bureau écrire à Tina une lettre que je ne posterai jamais, je le savais, quatre ou cinq pages éplorées d’un gamin qui avait laissé tomber son cornet de glace par mégarde. Mais je lui disais tout, ma culpabilité, mon terrible désir de pardon. Quand je l’ai relu, la force et la sincérité de ma prose m’ont bouleversé. Je l’ai trouvé par endroits très belle, j’ai même envisagé d’en tirer un bref roman, mais je n’avais pas mon pareil pour tomber en extase devant ma prose, je n’ai pas eu trop de mal à déchirer ce que j’avais écrit et à le mettre à la poubelle.

Édition du seuil

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Un roman déjanté comme je les aime … presque. Cuné chez qui je l’avais noté a moins de réserves que moi. Il y a, en effet, un aspect que j’ai toujours du mal à accepter : la dérision des meurtres et ici d’un tueur en série. C’est ce qui lui a fait rater une étoile sur Luocine , mais que les amateurs de cet esprit de dérision se précipitent car dans le genre c’est très bien raconté. C’est drôle et c’est une très bonne satyre des comportements des humains d’aujourd’hui. La famille belge qui arrive dans un camping avec la radio à fond qui dérange tout le monde avec la plus grande désinvolture est à mourir de rire. Le personnage principal à qui nous devons cette histoire est un gigolo Dino Scala, il vit au crochet de Lucienne une femme de vingt ans son aînée immensément riche. Seulement, malheureusement pour lui, il y a aussi la belle mère Macha qui n’aime pas du tout Dino. Celui-ci doit fuir le Luxembourg paradis des millionnaires et de Dino et Lucienne après avoir été quelque peu violent avec un banquier. La description du Luxembourg fait partie des morceaux de bravoure de ce roman. Il arrive dans un camping de la côte d’Azur et rencontre un écrivain qui pour des raisons personnelles veut connaître le peuple d’en bas. Charles Desservy et Dino font un couple improbable lié par un secret qui les conduira très loin et au passage vous fera beaucoup sourire avec ce qui pour moi est une limite que l’on peut pour rendre la vie encore plus agréable se séparer en les assassinant des empêcheurs de tourner en rond.

 

Citations

Les vieux

Les vieux sont sympathique , en général . Même ceux qui , plus jeunes, étaient des crevures. On ne peut d’ailleurs jamais savoir comment ils étaient, avant , car ils finissent tous en mode « friendly » . Étant donné qu’il n’y a pas neuf humains dur dix de bienveillants, on peut en déduire que nos chers aînés s’assagissent avec l’âge. D’une certaine façon ce sont des faussaires, des fourbes, à l’image de tous ces dignitaires qui ont terminé leur vie en Argentine et qui s’appelaient Muller. Après avoir bien pourri leur monde, ils se détendent. La raison en est simple : ils se retrouvent en position de faiblesse. Fini l’autorité, fini les décisions et fini le permis de conduire, tiens, plus rien, tu demandes à ta fille pour aller pisser et t’es bien content qu’on te sorte à Noël. La peau comme du carton mouillé, le ventre gonflé, les pommettes tout en bas, les cheveux violets des femmes et le pue-de-la-bouche des hommes. Un naufrage.
La seule arme qui leur reste pour se défendre, c’est la gentillesse. Ils deviennent adorables pour qu’on les préserve et qu’on ne les pique pas.

Humour

J’étais présentement assis dans une berline de luxe, attendant que la porte du garage achève de se lever, dans le silence capitaliste de Kirchberg, ce quartier si paisible de Luxembourg. Ici, les Porsche et autres Maserati vieillissaient comme leurs propriétaires, jamais à plus de 70 km à l’heure.

Le Luxembourg

J’ai pris les courses dans le coffre et je les ai mises dans le monte-charge. Parce que ici, on ne monte pas ses courses. Ce sont les gens qui montent leurs courses et au Luxembourg, On n’est pas des gens, on est des Luxembourgeois.

Portraits

J’imaginais très bien quel genre de fille cela pouvait être. De bonnes intentions et de l’altruisme. Elles trouvent que l’Inde est un pays extra et le Pérou l’avenir de l’humanité. Plus tard, elle rouleront dans une voiture hybride à quarante mille euros et elles dormiront dans des draps de chanvre. Elles mangent des graines et boivent du jus de pomme artisanal diarrhéique , font des Nouvel An tofu-tisane et partent à l’autre bout du monde pour enseigner l’anglais a des animaux malades.

Des regrets de n’avoir pas fait d’études

Et pourquoi je n’ai pas fait des études, tiens ? Pour devenir, je ne sais pas moi, médecin ? Tout le monde peut le faire, médecin, c’est qu’un boucher avec beaucoup de mémoire, un médecin.

Le Luxembourg

Le site le plus visité du Luxembourg ce n’est ni le Palais-Royal, ni le Musée d’Art Contemporain, ni rien de ce à quoi on pourrait s’attendre. Le site le plus visité du Luxembourg est l’aire d’autoroute de Berchem. On y trouve ce que ce pays a de mieux à offrir aux frontaliers et aux Européens de passage, de l’essence et des clopes moins cher qu’ailleurs. Cette station service Shell, démesurée par sa taille et par le nombre de cartouches de cigarettes vendues, qui compte un McDonald’s et un café Starbucks, contient en elle-même toute la quintessence du Luxembourg. Elle est la parfaite métaphore du Grand-Duché, un pays où on ne fait que passer et où l’on ne vient que pour l’argent. Une banque, quoi, avec le petit plus d’une décoration sympa, la famille royale.

La différence de classe

Charles et moi avons gentiment entrepris de préparer notre soirée, sur sa terrasse à lui. Dans l’effet, je me suis retrouvé avec le couteau à huître dans les mains et Charles avec une coupe de champagne. Le colon et son bougnoule. Avec lui les bulles, moi les doigts massacrer. Les huîtres, allez, au boulot.

La famille belge tatouée

La famille avait un point commun : les tatouages. Ils évoluaient en portant sur eux les autocollants de frigo de leurs convictions, des messages si obscurs qu’ils devaient certainement passer des heures à expliquer le sens des c’est Post-it qu’ils se trimbalaient. Genre leur prénom traduit en dialecte inca. Et comment on dit Kevin en Maya, hein ? Et Cindy, en aztèque ? J’imaginais qu’ils devaient aussi avoir des slogans quelque part, sur un quelconque tibia, sur un bout de fesse. Un cri de ralliement de la contre-culture d’il y a trente ans. D’où j’étais, je pouvais reconnaître sur l’épaule de la mère, une mésange. Enfin ce qui avait dû être une mésange, à l’époque, ressemblait maintenant davantage à un chapon.

 

Édition livre de poche Folio

J’avais noté le nom de cette auteure à propos d’un autre livre « J’irai danser si je veux » chez Cuné d’abord, puis chez Aifelle. Voilà une tentation que je ne regrette absolument pas et je vais certainement lire les autres romans de Marie-Renée Lavoie. J’ai commencé par son enfance, car ce livre est paru en poche et que les deux amies blogueuses en disaient du bien. Je vous le recommande sans aucune réserve. J’ai beaucoup ri et souvent retenu mes larmes. J’étais rarement à l’unisson avec Joe-Hélène qui pleure comme une madeleine lorsque son héroïne Oscar du dessin animé qui va enchanter toute son enfance, mourra dans un dernier combat pendant la révolution française. Au contraire quand Joe-Hélène reste digne en nous racontant les souffrances ordinaires des habitants de son quartier, je me suis sentie très émue, les portraits de ces vieux sortis de l’asile qui ont tout perdu sont presque tragiques, même s’ils sont « ordinaires » pour la petite fille qui a toujours vécu parmi eux. « Le vieux » Roger qui veille sur elle à sa façon lui sera d’un précieux secours lors d’une agression où le courage et la beauté de l’enfance ont failli se flétrir définitivement sur un trottoir. La galerie de portraits des habitants du quartiers est inoubliable, cela va de la famille des obèses, à ceux confits en religion, et ce Roger (c’est lui « le vieux ») qui ne dévoilera jamais son secret à la petite fille pour qui il a tant de tendresse, et qui jure dès qu’il ouvre la bouche. J’ai encore oublié ce détail, la langue ! Le québécois a pour moi des charmes qui me forcent à sourire et les « Ostie » « Jériboire » « Face de Bine » « Calvaire » « Crisse » »En Maudit » chantent dans ma tête. J’ai toujours eu des coups de cœur pour les livres qui savent raconter l’enfance. Ce n’est pas si facile : il faut, à la fois, retrouver la naïveté de cet âge-là et en même temps faire comprendre à l’adulte lecteur la réalité du monde dans lequel vivait cette enfant. Joe-Hélène est une petite fille d’un courage incroyable et si elle se trouve bien banale à côté de son modèle « Oscar » jeune fille déguisée en soldat pour servir Marie-Antoinette, elle va faire l’admiration de tous ceux qui, enfants, qui n’ont jamais eu à se lever deux heures avant tout le monde pour distribuer des journaux, afin de gagner quelques sous pour aider la famille. Sa famille est tenue de main de maître par une mère courage. Tout aurait pu se passer à peu près normalement si son père, enseignant, ne trouvait pas dans l’alcool et le tabac des compensations naturelles à un métier où il souffre de ne pas pouvoir imposer son autorité. D’ailleurs de l’autorité, il n’en a pas, il est seulement gentil et profondément humain. Sa femme heureusement tient la famille et grâce à elle cette bande de cinq petites va sans doute s’en sortir. Oui, ils n’ont n’a eu que des filles ! mais quand on voit le portrait des hommes dans ce roman , on se dit que c’est mieux d’être une fille, elles ont plus de courage et sont moins portées sur l’alcool.

Citations

Portrait des voisins

L’énorme fille unique de nos voisins portait, à seize ans à peine, une petite centaine de kilos, une permanente bouclée serrée et une humeur adaptée à sa condition de victime injustement traitée par des légions de médecins incompétents qui osaient prétendre qu’elle était responsable, en grande partie, de son sort. Gargantua Simard, son père, cardiaque de profession, toujours vêtu d’un maillot de corps jauni au travers duquel perçaient des mamelons dont la texture et le mouvement imitaient la pâte à gâteau pas cuite, promenait sont imposantes panse sur le balcon en maudissant à peu près tout. La pauvre mère, la sainte femme, faisait des ménages en plus d’assumer à elle seule toutes les tâches de la maison. Comme elle se mouvait presque normalement, quand ses tâches le lui permettaient, c’est sur elle qu’ils déversaient leur fiel bien macéré. Plus on s’en prenait à elle, plus elle souriait. Elle opérait comme une photosynthèse de l’humeur qui rendait l’atmosphère à peu près respirable. Les deux ventrus – jambus, fessus, doublementonus, têtus- avaient des visages de plâtre plantés sur décor de gargouilles obèses, et jamais l’idée de se rendre sympathique ne leur était passée par la tête.

Deux expériences à ne pas tenter

Je n’avais pas peur de ma mère, je savais seulement qu’il n’était pas possible de tailler, ne serait-ce qu’une toute petite brèche, dans son imprenable personnage. Pas la peine de se plaindre, de pleurnicher, d’argumenter, de se monter un plaidoyer. Insister ne pouvait que condamner à une abdication des plus humiliantes. Je le savais pour m’être quelquefois frottée à son opiniâtreté. Chercher à gagner sur cette femme relevait de la même témérimbécilité que de se coller- avec la même intention de voir ce que ça fait vraiment- la langue sur une rampe de fer forgé bien glacé. Mais bon, j’avais mis un certain temps à le comprendre. Dans les deux cas.

La mort et les jeunes

 Je comprenais ça parce que j’étais à l’âge où la mort n’avait encore aucune prise sur moi. Je n’allais jamais mourir , moi , je n’avais même pas dix ans . Et, à cet âge-là, on accepte d’emblée que les vieux doivent mourir, ça semble même dans l’ordre des choses. Après, le temps coule et ça se complique parce que ça se met à nous concerner. C’est là qu’on a besoin de concepts philosophiques dérangeants, comme celui de l’absurdité, ou d’abstractions humanoïdes réconfortantes, comme la plupart des Dieux.

L’adolescence

De toute façon, les crises d’adolescence ne sont pas à la portée de tous : ça prend avec les parents qui ont de l’énergie pour tenter de discuter, s’énerver, crier et faire des scènes ou encore pour lire des bouquins de psychologie de comptoir et traîner les jeunes ingrats chez des spécialistes. Aucun adolescent ne prend la peine de se farcir une crise sérieuse sans avoir la conviction de susciter la colère d’au moins un petit quelqu’un en bout de ligne. Tous ces petits arrogants en mal de vivre, qui se faisaient les dents sur le dos des professeurs un peu mou, comme mon père, avant de jouer leur grand « Fuck the world » à leurs parents pas payés cette fois pour les endurer, usaient mon père prématurément.

L’obésité et la télécommande

L’emplacement qu’avait choisi mon père était le seul que la télécommande occuperait jamais : sur le téléviseur. Même si le raisonnement qui justifiait cette règle relevait d’un syllogisme des plus fallacieux ( Badaboum utilisait toujours à distance la télécommande, or Badaboum est obèse, donc les télécommandes rendent obèse), le caractère imposant du contre-exemple qu’elle représentait suffisait à nous convaincre de son bien-fondé. L’énormité de l’argument permettait à mon père de faire de petites entorses au sens commun.

Découvertes qui font grandir

Plus jeune, j’avais fait quelques découvertes qui m’avaient arraché un bout de naïveté, mais jamais rien d’aussi grave. Durant l’année de mes six ans, par exemple, j’avais dans la même semaine découvert tous les cadeaux du Père Noël entassés au fond du congélateur désaffecté et le petit Jésus, pas encore né, dans la boîte à fusibles placée dans l’armoire au-dessus du sèche-linge. Ça faisait tout un tas de croyances qui tombaient d’un coup. Mais la peine alors ressentie avait rapidement laissé place au bonheur de partager tous ces secrets avec mes parents qui tenaient à ce qu’on soit complices pour que mes petite sœur bénéficient du droit sacré de croire à n’importe quoi. Ce n’était au fond qu’une autre forme du même jeu. Seule l’image de mes parents, que je suspecterai désormais de tout, c’était trouver altérée par ce mensonge pieux

Le feuilleton télévisé qui a rythmé sa vie d’enfant

Et puis, je suis morte dans l’épisode suivant celui de la mort d’André. Un vendredi soir, à 16h17, sur Canal Famille. Les morts télévisuels sont toujours précis, comme les naissances de la réalité. Ça m’a semblé tout naturel, même si j’avais secrètement souhaité quelques grandes scènes encore pour pouvoir engranger dans ma mémoire des hauts faits d’armes de dernière minute. Pour ma postérité. Mais voilà, comme tous les destins étaient liés, Oscar ne devait pas survivre longtemps à la mort d’André, de son beau cheval blanc et de la vieille France. L’effet domino.

Les toilettes uniques dans une famille nombreuse

Je me suis réfugiée dans la salle de bain, le seul endroit où il était possible d’échapper aux poursuites de la bienveillance familiale. Assis sur le carrelage gelé,me suis pleuré pendant des heures.
Et comme il n’y avait toujours qu’un seul WC dans l’appartement, il s’est passé peu de temps avant qu’on ne se mette à piétiner devant la porte. Les plus grands drames de l’histoire n’ont jamais eu d’emprise sur les plus petits besoins de l’homme. Ça contrecarrait un peu mes plans, je voulais mourir là, par terre, misérable, seul, au moins jusqu’au dîner.