Éditions Robert Laffont/ Versilio, 463 pages, janvier 2025.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Si vous voulez un roman historique bien dépaysant ce roman est pour vous. Il vous plongera dans l’antiquité chinoise du VII ° siècle après JC. Pour rappel, en France nous sommes à l’époque des rois dits « fainéants » car ils n’arrivaient pas à régner assez longtemps pour imposer leur volonté. En Chine, c’est aussi une période troublée qui se terminera par la prise de pouvoir de l’empereur Li Shiming , il va fonder avec son père la dynastie des Tang qui règnera sur la Chine pendant trois siècles, c’est une période d’une certaine prospérité pour cet empire.

Le roman est un un classique du genre « Roman Historique », l’auteur prévient dans une longue préface qu’il respecte les faits historiques , mais qu’il se permet des libertés pour rendre son récit plus vivant. Il a cherché à doter ses personnages de traits de caractère vraisemblables mais dont il ne sait rien. À la fin du livre, il précise les faits historiques et ce que l’on doit à son imaginaire, je trouve ce procédé intéressant et rajoute du poids à son roman.

Nous suivons trois personnages qui ont tous existé : Shiming un jeune homme, presque un enfant au début du roman qui a un courage fou et qui est prêt à tout pour montrer sa bravoure, il tuera ses deux frères pour devenir l’héritier de son père et remplacer l’ancienne dynastie au service de laquelle pourtant sa famille était liée. Mais l’empereur part dans une guerre perdue d’avance, les morts se comptent par milliers et les déserteurs pillent les campagnes.

La deuxième personnage c’est une femme, une princesse qui a été donnée comme épouse à un vieux chef nomade : la princesse Yicheng. Les nomades sont maintenus difficilement en dehors du royaume et vivent bien loin du confort et du raffinement de la civilisation chinoise.

Enfin un paysan Dou Jiande qui deviendra grâce aux hasards de la guerre un bandit respecté une sorte de « robin des bois » au service des plus pauvres.

Même si ce roman est long il est très facile à lire, on suit très bien les trois destinées qui se croisent sans que le lecteur se perde. La rencontre avec Shiming et Jiande se fait une jour de grande festivité : l’empereur vient inaugurer un grand canal et en même temps annoncer son désir de conquérir une région qui correspond à la Coré actuelle, une bousculade a lieu causée par Jiande . Shiming tue grâce à talent d’archer un nombre important de garde pour sauver la vie d’un enfant nomade qui devait être rendu à sa tribut .

Avec Jiande on voit la difficulté du monde paysan, à la merci du climat qui peut détruire leurs récoltes et des soldats déserteurs qui leur prennent tous leurs bien et leur vie en plus . Cela poussera Jiande à devenir hors la loi .

Avec la princesse chez les nomades, on découvre peu à peu une civilisation si éloignée de la sienne et se rend compte qu’on peut être heureux sans les raffinements des palais, des soieries, et de la nourriture sophistiquée.

Avec Shiming , on découvre les intrigues de cour , lui deviendra un homme de pouvoir grâce à ses talents de stratège et son goût pour la guerre.

L’auteur leur donne une vie amoureuse qui pimente le récit, il n’insiste pas trop sur les différentes tortures qui étaient, pourtant, monnaie courante à l’époque ;

Comme je le disais au début un roman historique classique qui permet d’en savoir plus sur une époque peu connue (en tout cas de moi) , j’ai quelques réserves sans que je sache bien expliquer pourquoi. Je pense que je lirai plus volontiers un essai historique sur cette période qu’un roman .

 

Extraits

Début.

 Les empreintes avaient beau, à chaque rafale, s’effacer un peu plus sous la neige, on discernait encore les contours de cinq coussinets, tout en rondeur, très différents des doigts et effilés des loups. Et puis la bête semblait avoir attaqué seule, pas en meute. Quand Shimin le fit remarquer, son père le rabroua :  » Et tu déduis tout ça en un instant, alors qu’on vient à peine d’arriver et qu’on y voit plus rien ? » Il essuyait avec une exaspération croissante son visage où s’accrochait les flocons tombant du ciel sombre. Ses lèvres blanches craquelées tremblaient sous sa moustache couverte de givre, sans qu’on sache si c’était les faits des bourrasques glaciales ou de la rage.

Un paysan enrichi.

Dou Jiande avait grandi au milieu des calculs de son père, de son obsession des petits profits qui, cumulés, en formaient de gros. Il lui semblait que ce père n’avait jamais rien fait qui n’ait été intéressé. S’il rendait une visite à un voisin, c’était pour en tirer les informations utiles. S’il donnait une vieille bêche à une pauvre veuve qui venait de casser la dernière qu’elle avait, c’était en espérant s’en faire une obligée et lui demander un jour quelques services, de l’espionnage par exemple, afin d’apprendre discrètement la situation de telle ou telle famille. S’il laissait son verra saillir la truie d’un autre villageois, il exigeait la moitié des porcelets. Même quand son propre père mourut, il s’arrangea pour des motifs fallacieux pour faire contribuer l’ensemble du village au frais des funérailles. Il aurait eu des moyens de prendre une ou plusieurs concubines. Il ne le fit jamais non par une affection démesurée pour la mère de Jiande, et parce que cela aurait impliqué des dépenses qui lui auraient semblé insupportables. L’hiver, comme beaucoup des villageoises tissaient jusque tard dans la soirée, il envoyait sa femme chez des voisines afin d’économiser l’huile des lampes.

Les nomades et la princesse chinoise.

Le campement des nomades changeait, lui, sans cesse d’emplacement, il occupait une étendue herbeuse après l’autre, déménageant à chaque saison, partant s’installer l’hiver sur des pâturages plus abrités, en bordure de lacs dont l’eau ne gelait pas, gagnant des contrées plus fraîches l’été. Et néanmoins il était toujours identique. Les mêmes tentes, les mêmes chariots, disposés selon le même ordre et toujours entourés, où qu’ils fussent, du même horizon de colline basse. Immuable dans le mouvement. (…)
 Puis Tardu lui avait demandé de devenir sa femme et plus que sa femme sa Kkatun. À partir de là, sa vision sombre et désespérée de la steppe s’était modifiée. Rien n’avait changé, ni les déménagements perpétuels, les paysages lassante, la puanteur, les plaisanteries vulgaires, ni la nourriture insipide ou écœurante, ni l’absence de raffinement. Et cependant tout était métamorphosé. Le fromage grossier était devenu revigorant, la langue rauque des nomades, puissante, leur goût des exercices violents, un signe de vitalité, l’absence de ville un saint refus de l’inessentiel. Yicheng avait honte, à certains moments d’avoir ainsi révisé un si grand nombre de ses perceptions, de ne plus souffrir autant que les premières années, de réussir à s’accommoder de ce qu’elle avait jadis jugé insupportable.
Elle n’avait pas regagné les palais et des jardins de son enfance, elle ne le retrouverait jamais. Mais on pouvait vivre, on pouvait même être heureux sans palais et sans jardins. Elle aimait cet homme, qui se tenait auprès d’elle et venait de l’étreindre 

La haine moteur de la guerre.

 Tulan ne possédait ni la force, ni la détermination de son père. Il lui manquait la haine pour cela, la haine sans laquelle Yicheng en avait désormais une conscience aiguë, rien de grand ou presque n’était possible en ce monde. Or le jeune homme avait appris à aimer ceux chez qui il avait été otage. Parfois il venait la voir elle, sa belle-mère, uniquement pour évoquer les merveilles de raffinement des trois capitales. Ces visite irritaient Yicheng. Tulan lui rappelait tout ce qu’elle voulait oublier et détruire.

 

Éditions Stock Flamarion, 359 pages, Janvier 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un roman historique qui se situe au 14° siècle dans un couvent anglais. Une jeune femme, au cractère naturellement frondeur, s’ y trouve enfermée malgré elle. L’auteur décrit bien à quel point être dans un couvent aux règles strictes sans être consentante est une pure horreur. Il se trouve que le fait est réel , Joan a existé et elle s’est enfuie. Je pense que tout le reste vient de l’imagination de l’écrivain, il imagine qu’elle se fait passer pour morte. Car c’était bien la seule façon de sortir d’un couvent. Tout le talent de cet écrivain est donc , de nous faire vivre au rythme des règles monacales, qui écrasent toute volonté de formation intellectuelle : obéissance , comme première règle, soumission comme première vertu, tout cela à la sauce de l’ignorance et de la prière.

Ensuite quand Joan de Leeds découvre le monde et ses plaisirs on croit un peu moins au personnage qui découvre la sexualité, mais cela reste plaisant à lire et la peinture de Londres à l’époque ne manque pas d’intérêt.

Et bien sûr, il y a le suspens de la traque, là, l’écrivain s’est fait plaisir en inventant des personnages hauts en couleur : une espèce de sorcière qui connaît les plantes et un homme désabusé qui traque Joan, qui ressemble aux policiers fatigués des romans actuels .

Un roman qui plaira à tous les amateurs du genre et tous ceux et celles qui veulent en savoir plus sur les couvent de cette époque. Le blog de « je lis je blogue  » a très bien décrit ce roman qu’elle a aimé elle aussi.

Extraits

Début.

 L’ange me regarde.
 Quel que soit l’endroit où je me trouve, il me suit des yeux. C’est un bel ange, je le reconnais ; gracieux, si calme. On dirait qu’il dort les yeux ouverts. Je devrais me sentir flattée d’être ainsi observée, mais j’aimerais parfois qu’il m’oublie. Après tout j’ai choisi la solitude, nous sommes des dizaines ici à l’avoir choisie, et nous l’avons fait pour échapper aux regards. Quelque chose d’autre me gêne. Il lui manque une oreille depuis qu’un morceau du plafond, abîmé par l’humidité, est tombé en emportant un peu de son visage.

La hiérarchie dans les couvents.

 Comme je m’appelle Helisende de Wigmore et que je m’accroche à l’une des branches les moins pauvres de la famille de Wigmore, j’ai été reçue à bras ouverts. Il doit être dit quelque part, dans l’immense livre de Dieu, que mon appartenance à la petite aristocratie du Herefordshire me donne le droit de consacrer ma vie à la lecture des Évangiles. D’autres filles de mon âge, moins bien nées, se retrouvent ici, dans l’abbaye. Elles ne portent pas la robe des moniales, elles portent le tablier des domestiques.

Mysticisme.

 À cause d’un serpent, l’homme et la femme ont connu la chute, ils ont été marqués par la faute et nous l’ont transmise. Est-ce que cela signifie que l’Irlande sans serpent est un pays vierge de tout péché ? C’est une question que pourrait nous poser Joan. Mais à cette question, l’abbesse apporterait une réponse immédiate  : la volonté de Dieu s’applique à l’univers entier.
Elle nous dirait aussi : le serpent est un symbole. Mais un symbole de quoi  ? J’ai parfois du mal à comprendre. Quand une chose devient un symbole, j’ai l’impression qu’elle se dilue dans l’air. Sa consistance est introuvable.

 


Éditions la tribu, 459 pages, janvier 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai lu chez « je lis je blogue » un billet à propos de ce roman et il se trouve qu’il était au programme du club dans le thème » roman historique ».

Je rappelle brièvement le fait central : rue Transnonain, au 12 exactement, la nuit du 14 avril 1834, les troupes commandées de loin par un certain Bugeaud obéissant à Adolphe Thiers, entrent dans cet immeuble et tuent tout le monde : hommes, vieillards femmes et enfants. C’est un crime d’état et qui a d’abord choqué l’opinion publique et puis qui a été bien oublié. Il préfigure ce que sera la répression de la Commune toujours menée par Adolphe Thiers, ce boucher qui a encore tant de rues et de places à son nom dans les villes françaises.

Ce qui a sans doute rendu célèbre ce crime d’état c’est le dessin de Daumier plus que le texte de Ledru-Rollin qui, déjà, dénonçait ce crime sans raison de 12 parisiens.

Description de cette image, également commentée ci-après

À partir de ce crime horrible, l’auteur crée une fiction historique, très intéressante qui permet de se plonger dans le Paris de la misère sous Louis Philippe. Les deux personnages principaux, la prostituée, Annette Vacher, et l’ancien policier Joseph Lutz ne sont pas des personnages de pure fiction mais très librement interprétés par l’auteur. La trame principale de ce récit est de démonter la propagande officielle de l’époque qui consistait à faire porter le chapeau de cette tuerie aux habitants de cet immeuble qui auraient caché un homme qui a tué un officier de la garde. En réalité, le règne de Louis Philippe est secoué par de multiples révoltes dont celle des canuts à Lyon, et le pouvoir, avec le tristement célèbre Thiers à sa tête, veut remettre de l’ordre . Pour cela, il faut museler la presse et mettre en prison tous les gens qui appartiennent à des mouvements progressistes. Bugeaud pense qu’il faut faire peur aux bourgeois, rien de telle qu’une tuerie bien organisée.

Le monde de la misère est parfaitement décrit en particulier celui de la prostitution. L’auteur fait revivre deux femmes remarquables de l’époque : Suzanne Voilquin et Claire Démar qui ont lutté toute leur vie pour la cause des femmes, trop tôt, sans être le moindre du monde entendues à leur époque.

J’ai une réserve sur ce roman trop foisonnant. L’auteur a voulu tout dire de l’époque . Le fil narratif est, de façon permanente, fait d’aller et retour sans que cela se justifie. Pour moi, la chronologie aide à la compréhension et le contraire m’a lassée. Et puis le romanesque emporte l’auteur dans des invraisemblances qui n’apportent pas grand chose et surtout le personnage de la prostituée amoureuse d’un jeune ouvrier occupe une très grande partie du roman sans pour autant être très incarnée : c’est une très belle coquille vide . Bref, quelques longueurs dans un roman qui vaut vraiment le peine d’être lu pour découvrir la misère du tout début de l’industrialisation de la France.

 

Extraits

Début.

« … on ne tue pas le monde comme ça. « 
 Au numéro 12 de la rue Transnonain, à l’emplacement de l’actuel 62, rue Beaubourg à Paris, deux amants sont allongés dans un lit. L’un dort l’autre veille. La jeune femme s’appelle Annette Vacher. Elle doit avoir dépassé la vingtaine. Personne ne peut donner son âge exact, mais tous se souviennent de ses yeux verts légèrement bridés, de son épaisse chevelure d’un rouge rabattu et de ses tâches de rousseur. Quelque chose d’excessif dans la féminité, de débordant. Madame Pajot, la concierge de l’immeuble, est plus directe pour elle, « c’est une fille ».

Citations de la presse d’opposition .

 La caricature, 17 avril 1834
 Pendant toute la journée, on voyait à chaque instant sortir des cercueils des maisons démantelées de la rue Transnonain ; on avait oublié d’écrire dessus : laisser passer l’ordre public. 
(plus loin)
 L’administration des pompes funèbres a placé, dit-on, au-dessus de son établissement l’écriteau suivant : Au Pouvoir, les pompes funèbres reconnaissantes. 

Portrait d’Adolphe Thiers.

 Au moment des Trois Glorieuses, ils parie sur Louis Philippe. Dans les colonne du « National », il le pousse sur le trône. Élu député, il s’arrange pour envoyer le mari de sa maîtresse en poste dans le Nord et, ne pouvant mettre la main sur la mère, épouse la fille de seize ans. Le voilà riche, le voilà électeur, le voilà éligible. Grâce à la fortune du beau-père, il s’installe place Saint-Georges, dans un hôtel particulier en style néogothique, qui symbolisera aux yeux des Parisiens, ce que peuvent faire la ruse et le pouvoir réunis en un seul personnage.

Le carnaval et les excès .

 Son nom est Milord l’Arsouille. Le fils bâtard d’un riche Anglais qui vient d’hériter de cent mille livres sterling. Elles lui brûlent les mains. Et pas que les siennes. Son jeu préféré consiste à plonger une poignée de pièces d’or dans l’huile de la friture et, muni d’un mouchoir, de les lancer sur la foule. Il faut les voir s’arracher la peau en paiement de leur lucre. Quand il a bien ri, il se bat. Peu importe la raison. Avec les bourgeois. les fiers-à-bras. Comme s’ils voulaient se punir d’avoir eu tant de chance.

Genre de scènes trop fréquentes à mon goût.

 Dans son dos les chaufourniers retroussent sa robe. La poussière lui entre dans les narines, les oreilles, les yeux. Par tous les orifices du corps. Il doit y en avoir sur le sexe en érection parce que ça la brûle de l’intérieur. Dans la cour les femmes parlent de plus en plus fort. Les enfants jappent comme des petits chiens. Les chaufourniers avaient et toussent, leur souffle si court qu’Annette croit plusieurs fois qu’ils vont mourir en elle.

6 ans d’une vie.

 Elles arrivent ainsi de devant la barrière d’Italie. Celle par laquelle six années plus tôt, Annette entrait dans Paris. Six ans c’est peu … à moins qu’on n’ait été obligé de coucher avec des centaines d’hommes, qu’on n’ait éborgné une femme, passé un an en prison, connu plusieurs révolutions, échappé à un massacre, dormi sur des grabats, éprouve la faim, le froid rencontré l’amour et tenu dans ses mains son crâne ouvert.

La peur et l’action .

 Dimanche après-midi quelques heures avant l’assaut. La rue Beaubourg est remplie à la gueule. Des familles entières qui musardent depuis la tour Saint-Jacques jusque dans le Marais. Ça chante, ça prend du bon temps. C’est pas comme ça qu’on va faire la révolution. Retiens bien mon avis, Lutz : la peur c’est le seul combustible valable. Sans elle, autant rester chez soi.


Éditions Glénat ; deux tomes , 140 pages chacun pages, 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je lis vraiment peu de BD mais j’essaie de lire celles recommandées par le club de lecture. Ce récit romance un fait historique ; des naufragés de la compagnie hollandaise au XVII° siècle a fait naufrage, et les naufragés se sont entretués de façon horrible.

Le plus intéressant c’est l’introduction du premier tome :

 

« L’extinction de l’âme »…
 Avec des termes pareils il en faudrait peu pour que ce phénomène décrit par Philippe Zimbardo, professeur de psychologie à Stanford, nous fassent sourire ou nous renvoie au registre poétique. Il s’agit malheureusement d’un mécanisme mental aussi réel qu’effrayant. De la Saint-Barthélemy au génocide arménien, en passant par le massacre des Tutsi, la Shoa ou les sévices commis sur les prisonniers d’Abu Ghraib, Zimbardo décèle un effrayant file conducteur d’enchaînements et de situations qui conduisent tous à la même horreur : l’arrêt complet de l’empathie d’un groupe d’humains associée à la suspension de leur jugement moral avec pour conséquence immédiate sadisme et massacres.
 « Moi ça ne m’arrivera jamais » ou encore « pas à notre époque » sont sans doute les pires idioties que l’on puisse dire à ce sujet. N’importe qui, oui, n’importe qui peut devenir ce bourreau, cet homme à la machette où se gardien de camp qui nous révulse tant.
Avec une telle introduction vous avez compris tout est possible et le pire est au rendez-vous. La compagnie hollandaise n’a qu’un but faire le maximum d’argent au détriment de la santé des matelots qui sont tous de la pire espèce de vauriens. Le bateau fait naufrage et commence alors le deuxième tome l’horreur sur l’île et les meurtres en série.
C’est très complexe de comprendre le personnage principal , un homme idéologue et qui veut démontrer que les navires marchands ne fonctionnent que parce que l’ensemble de l’équipage obéit au capitaine sans jamais s’unir pour se révolter.
Et il y a une femme (cela permet de beaux dessins, qui elle veut retrouver son mari pour retrouver son statut de mère (enfin c’est ce que j’ai compris) .
Je me suis perdue au milieu de tant de violence et j’ai carrément détesté cette BD que je n’ai lue qu’à cause du club !
voici des exemples de planches très bien dessinées je le reconnais bien volontiers !

Éditions Charleston, 419 pages, avril 2023

De façon générale j’aime bien les romans, les films et les séries qui se passent autour d’un restaurant. Un restaurant avec ses habitués où les cuisiniers se décarcassent pour donner du plaisir à leurs clients c’est un des rares endroits de convivialité avec les librairies où je me sens à ma place. Donc, j’ai immédiatement pris celui-ci à ma médiathèque préférée.

Sophie a repris le restaurant que tenaient son père (décédé)et sa mère vieillissante mais encore en vie, dans une petite ville imaginaire (Boulingrin) dans les Hauts de France. Elle est mariée à un gendarme, un homme aimant et solide et a deux enfants Garance l’adolescente et Martin un enfant de 10 ans.

Le roman commence par un appel urgent pour aller récupérer sa fille au lycée, elle a fait un malais assez grave. On apprendra que Garance a une conduite anorexique pour soutenir sa meilleure amie Charlène qui, elle, est complètement tombée dans cette horrible maladie.

Le roman se focalise sur la mère et son Alzheimer mais surtout sur les secrets des parents de Sophie. Je vous laisse découvrir ces secrets car sinon je pense que vous m’en voudrez de vous avoir gâché le suspens.

C’est un roman qui se lit très facilement , les personnages sont très ancrés dans le réel et beaucoup de thèmes s’y croisent  : le mal être des filles adolescentes, les lourds secrets des familles, l’homosexualité féminine inavouable pendant si longtemps, l’amitié dans les petites villes , la difficulté de se construire dans une petite ville où tout se sait. Le style est très simple les chapitres très courts : tout est fait pour que ce roman se lise vite. Pourquoi ne m’a t’il pas plus convaincue que cela ? Il m’a fait l’effet des séries américaines que je regarde parfois juste pour me délasser, je ne suis pas dupe de l’histoire aseptisée qu’elles me présentent mais je n’ai pas envie de réfléchir juste m’endormir dans un monde qui va bien .. le meilleur exemple de séries pour cela c’est « Gilmore girls » .

Voilà j’ai trouvé c’est un roman qui peut délasser et vous faire oublier, la montée de l’antisémitisme, les bombardement à Gaza, la guerre en Ukraine, LFI et le rassemblement national …

Extrait

Début

 Aussi loin que notre famille se souvienne, nous avons toujours vécu à Boulingrin, un petit village des Hauts-de- France dénué de charme, dont le seul fait mémorable fut la naissance d’un auteur de renom qui, dès les premier effets de la gloire venus, s’est empressé de partir pour s’installer dans le prestige de la capitale. Il faut dire qu’être originaire de Boulingrin n’est une fierté pour personne hormis peut-être pour les anciens qui répètent à quel point « la ville a changé » depuis la fin de l’aire minière. Car là demeure le seul fait notable de notre petite ville : la construction en 1858 d’une grande mine de charbon qui, quelques décennies plus tard a donné naissance aux fameux Musée de la mine, formidable attraction touristique cumulant une centaine d’entrées annuelles (dont trente-cinq offertes aux résidents de l’Ehpad du quartier et soixante achetés par l’association des parents d’élèves pour la sortie de l’école primaire Simone-Veil)

 


Éditions Buchet-Castel, 234 pages, août 2024 ;

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je sais que j’ai lu un ou deux billets qui étaient élogieux à propos de ce roman-essai, en particulier chez Sandrine . Je le dis d’emblée, je lui attribue un très grand coup de cœur. Et pourtant … j’en ai lu des romans sur la guerre 39/45 ! Et même sur ce sujet particulier, « les malgré nous », j’ai aussi beaucoup lu d’articles et d’essais.

Mais ce roman est unique, aussi bien pour la forme que pour le fond. Pour une fois la quatrième de couverture qui parle de la construction d’un puzzle de la part de Joël Egloff pour nous faire comprendre la vie de sa famille de Moselle pendant cette guerre, est exacte. Chaque pièce de ce puzzle permet de construire l’histoire de sa famille, en particulier de son père enrôlé dans l’armée allemande, tellement bouleversée par la grande Histoire. Celle qui a fait que cette région, française jusqu’en 1870, sera allemande jusqu’en 1918, puis de nouveau française jusqu’en 1941, allemande jusqu’en 1945 et française jusqu’à aujourd’hui.

L’auteur le dit plusieurs fois, les habitants se sentent souvent menacés et puisent leur force dans les liens familiaux et leur langue le « platt » qui ressemble à l’allemand sans en être tout à fait. L’engagement de son père dans l’armée allemande s’est joué à quelques mois près, il a en effet 13 ans au début de la guerre mais en 1943, il en a 16 et les allemands ont perdu tellement d’hommes qu’ils recrutent des soldats de plus en plus jeunes. Son fils cherche à comprendre pourquoi il ne s’est pas caché mais les exemples de familles déportées parce que leurs fils ont refusé de s’engager ont dû peser lourd dans la balance de la décision de son père.

Pour le style, l’auteur s’adresse à son père dans un dialogue qui inclut le lecteur sans aucun problème mais cela donne une impression de proximité incroyable, et puis il y a cet humour sarcastique, que j’avais trouvé dans le petit roman « l’étourdissement » , cela fait, parfois, du bien quand la réalité est trop dure. Et, évidemment, l’époque ne manque pas de cruauté. J’ai beaucoup apprécié la grande sensibilité avec laquelle l’auteur parle de tous les membres de sa famille.

Extraits

Début.

 Je voudrais retrouver cette lettre. Elle doit être quelque part dans la maison, c’est sûr. Où pourrait-elle être sinon ?
 Je l’ai eu entre les mains, pourtant, cela fait des années et c’est moi qui l’ai rangée, je ne sais où. Elle était à la cave, auparavant, dans une vieille boîte à chaussures sans couvercle au-dessus de l’armoire à conserves. C’est là qu’elle se trouvait depuis trop longtemps, livrée aux araignées. Je l’avais lue, puis l’avait remontée à l’étage pour la mettre à l’abri de la poussière.

La guerre.

 Trois guerres en moins d’un siècle. La même sinistre partie en trois manches. On en a vu défiler des soldats par ici. Au pas, ou en boitant, le torse bombé ou les pieds devant, plus ou moins fiers, plus ou moins vaillants, selon le sens dans lequel ils marchaient. Et des uniformes, de toutes les couleurs. Des bleu et rouge, des bleu- gris, des gris, des verts, des vert-de-gris. Et puis des noirs, aussi.

La souffrance et le travail.

 Il souffre de sa plaie, mais ce dont il souffre plus encore, en voyant ceux qui s’affairent, c’est de se sentir inutile. Cela lui coûte d’autant plus qu’on ne regarde pas quelqu’un qui travaille en restant là sans rien faire. Je le sais parce que tu me l’as dit, et si tu me l’as dit, c’est que ton père lui-même te le disait aussi, et qu’il tenait de son père, qui le tenait du sien. C’est pour ainsi dire une des lois de la famille. On ne reste pas les mains dans les poches à regarder quelqu’un qui travaille. Il faut aider, autant que possible, et prendre sa part d’effort toujours.

Les réfugiés et la langue.

 Le chemin longe un terril, sur les pentes duquel sont assis trois adolescents qui les surplombent et les observent. Soudain ils se mettent à les traiter de « Boches » puis ils s’enfuient. Alors mon grand-père et d’autres hommes du groupe se lancent à leurs trousses.
 Personne ne sait précisément d’où vous venez. Personne ne comprend vraiment qui vous êtes. Et vous-même le comprenez vous ?

La guerre à nouveau(et humour).

 Et voici le joli mois de mai, ses avions et leurs chapelets de bombes. Ils annoncent que l’ennemi est là, qu’il a contourné les murailles, qu’il a traversé les Ardennes qu’on disait infranchissables. Encore une fois, c’est la même porte qu’il force mais l’effet de surprise est intact. Il faut croire qu’on est bon public.

Chez soi.

« Chez vous », c’est là où sont nés vos parents et les parents de vos parents. « Chez vous », ce n’est ni l’Allemagne ni tout à fait la France. C’est à la fois plus simple et plus compliqué. « Chez vous » c’est là où vous serez en sécurité. Du moins vous le pensez. C’est votre maison, votre jardin, votre village, et votre clocher, ce sont les voisins d’en face et ceux d’à côté, ce sont les mines où vous vous épuisez, ce sont vos champs et vos bêtes cette vieille poutre en chêne qui vous sert de banc les soirs d’été Et par-dessus tout, « Chez vous », c’est votre langue, le « platt », que l’on parle ici depuis des siècles. Voilà votre refuge, votre véritable identité.

Munich aujourd’hui.

 Pourtant, de temps à autre la guerre balbutie encore. Sur le chantier, on a trouvé un stock de munitions que les démineurs ont fait sauter. Ici où là, la terre régurgite encore de vieilles bombes, des obus périmés. À l’autre bout de la ville, près de la gare l’an passé, sur un autre chantier, une bombe a explosé, faisant quatre blessés, comme une bombe à retardement avec un minuteur réglé sur soixante dix huit ans.
 La guerre est patiente, elle sait attendre et ne dort que d’un œil. Elle se tient toujours prête. Pour peu qu’on vienne l’asticoter au bout des dents d’une pelleteuse, la chatouiller de la pointe du marteau piqueur, pour peu qu’on vienne la réveiller, elle ne demande alors qu’à sauter dans ses bottes.

Humour sarcastique.

 On dit souvent des combats qu’ils sont rudes, âpres ou acharnés. Jamais rien de très original.
 D’aucune bataille, je n’ai entendu dire que les combats étaient animés mais sont restés cordiaux. Ainsi, à Wiener Neustadt, tout particulièrement parce que la seule motivation, maintenant, pour bon nombre d’entre vous, c’est de ne pas tomber aux mains des Russes. On ne se bat jamais mieux que lorsqu’il s’agit de sauver sa peau.

 

Éditions Gallimard, 185 pages, février 2025

 

C’est un indigné médiatique qui vomit le système en oubliant combien le système est généreux avec lui (je crois qu’il confond les mots subversion et subvention).

Benaquista est un des auteurs qui me plaît depuis si longtemps, sur Luocine on trouve : « Homo Erectus » , « Romanesque » (dont j’ai oublié l’intrigue, je l’avoue) , une BD qui m’a fait sourire « le guide mondial des records« , « Porca Misera » où l’auteur raconte ses origines. Mais il manque mes préférés lus, avant Luocine : « Malavita », « Saga », « Malavita encore » ….

Comme toujours chez cet auteur, j’adore la façon dont il s’amuse avec les mots et les expressions, d’ailleurs le titre est lui-même tout un programme. Benaquista décrit dans ce roman le monde de l’édition aujourd’hui, pour cela nous suivons les difficultés de Bertrand Dumas, qui va vers une liquidation de sa maison d’édition. C’est l’occasion pour l’auteur de nous plonger dans l’énorme production de livres qui s’apparentent si peu à la littérature. Les portraits des auteurs sont souvent drôles, la façon dont ils font tout pout se faire connaître est pathétique. La description des prix littéraires, des séances de signatures, des festivals et des dîners entre gens « cultivés » tout cela est mené de main de maître et comme toujours chez cet auteur agrémenté de tant de phrases que l’on aimerait retenir tant elles sont bien dites et sonnent si vraies. La façon dont certains écrivains usent de « google » pour aller plus vite dans la rédaction de leurs roman, (et encore l’IA n’est qu’à ses début !) m’a permis de comprendre pourquoi si souvent j’ai l’impression de relire dix fois les mêmes histoires.

Le début est absolument jouissif, Benoit Clerc qui raconte tous ses malheurs personnels à travers ses romans, m’a fait penser à tous ceux que j’ai lu et qui racontent leurs blessures , à chaque fois j’ai pensé si cela peut réparer la personne tant mieux, mais c’est un peu lassant. Pourtant, parfois dans cette veine il y a des livres qui m’ont bouleversée, tout dépend de la façon dont c’est raconté, certains diraient du style. J’ai aimé aussi rencontré des personnages si différents comme ce Reynald qui passe son temps au jardin du Luxembourg et qui décrit avec tant de précisions les différents habitués du jardin. C’est avec lui que va commencer l’arrivée dans le récit du deuxième Bernard l’auteur omniscient qui est différent mais combien proche du Bernard éditeur qui va faire faillite ?

Mais, il y a un mais, j’ai vraiment été perdue entre tous les personnages et le dédoublement de l’auteur avec son double : Bernard qui écrit sur Bernard ! et j’ai difficilement compris la fin. Ce n’est pas si grave car à chaque moment différents du roman, je m’amusais aux descriptions des auteurs et des réunions autour des auteurs avec les différents médias et autre influenceurs, ou plus souvent, influenceuses.

Extraits

Fin du prologue et début du roman.

 Dieu créa la littérature.
 C’est sans doute pour ces raisons là que je suis devenu éditeur.
Demain pour bien d’autres raisons, je ne le serai plus.
Mais pour l’heure, je déjeune avec Benoît Clerc, venu m’entretenir de ses indignations du moment, comme il le fait avec une belle constante depuis vingt ans que je le publie. Que dire de Benoît sinon qu’il existe ?

Une des raisons de l’effroyable augmentation du nombres de livres publiés .

Ses pages constellés de mes notes ou feutre rouge. Ses phrase jetées, verbeuses, une faconde feignante que j’avais qualifiée d' »hyper-oralité » afin de ne pas le vexer, ce qu’il avait pris pour un compliment stylistique. Son ordinateur chauffait comme une machine à coudre dans un atelier clandestin, car il était de cette toute première génération d’auteurs qui n’auraient jamais écrit sans le traitement texte, et qui en aucun cas n’auraient retapé un feuillet à cause d’une faute de frappe.( Ô, déesse de l’informatique combien de graphomanes nous te devons).

Socrate et les livres.

Socrate en personne nous a mis en garde contre la lecture. Les livres selon lui nous donnent l’illusion d’être des sachants alors que nous nous contentons d’une pensée morte et retranscrite, du prêt-à-penser en boîte. Seule la conversation aiguise la conscience, met notre esprit à l’épreuve, nous confronte à la parole de l’autre dans une quête commune du beau et du vrai. En d’autres termes la lecture, et la fabrique de l’ignorance

Le banquier.

 Le livre n’étant pour lui ni un outil d’émancipation, ni même un objet récréatif, je veille à ne jamais employer le mot « littérature » de peur de provoquer l’ennui ou la gêne d’un individu s’étant construit contre celle-ci, qui n’engendre ni profit ni épargne, du moins dans le sens où il l’entend. Lors de notre rendez-vous d’hier, celui de la dernière chance, j’ai lu dans son regard la condescendance du gestionnaire ultralibéral, lucide sur les crises d’aujourd’hui mais prêt pour les défis de demain, face à un résidu fossile de l’air Gutenberg. Dans son sabir financier, il s’est lancé dans des phrases de plus de cent mots qu’il aurait pu ainsi résumer s’il avait le sens du resserrage : »Passe la main papa. ». On peut certes étudier la demande de prêt d’une boîte à burgers végans, d’un bar à ongles, d’un incubateur pour start-up dans le management, mais celle d’un éditeur de romans lui faudrait les sanctions de sa hiérarchie. À se chiffres, je n’ai pas su imposer mes lettres. Que n’ai-je suivi naguère un stage de management au lieu de lire Goethe ? Soulagé d’être de s’être débarrassé d’un insolvable, il a tenu à me raccompagner jusqu’au seuil de sa banque.

Les auteurs bons communicants.

Ils parlent comme des livres pour vendre leurs livres, écrits comme ils parlent.

Dialogue d’une soirée mondaine parisienne.

 –Tu te souviens de José, qui nous bassinait avec son petit paradis thaïlandais ? Il a eu une attaque cardiaque pendant qu’il se baignait dans un lagon. Six heures pour atteindre le premier hôpital. Il est revenu vivre à Paris. À cent mètres de l’hôpital Cochin…

Le pouvoir des mots.

 Au moment où l’auteur, venu faire ses services de presse, le découvre à mes côtés, voilà qu’en relisant la quatrième de couverture il pousse un cri d’effroi ! À cause d’une coquille le mot « nocive » est devenu « novice ». « Une créature dangereusement novice ». Tous sur le pont ! Branle-bas de combat ! (…) L’inversion de deux petites lettres ! Auriez-vous, comme moi, cessé toute activité pour calmer l’auteur épouvanté, pour consoler Hélène, la correctrice qui pourtant n’y était pour rien, et surtout pour prendre ou non la décision de pilonner dix mille exemplaires soit une perte de trente mille euros ? Avez-vous idée des trésors de sang-froid et de psychologie dont il faut faire preuve en pareil cas ? Vous seriez vous lancé, comme moi dans une démonstration sémantique totalement improvisée et d’une redoutable mauvaise foi ? Car après tout ce « dangereusement nocive » n’ était-il pas redondant ? Et tout à l’inverse ce « dangereusement novice » n’ajoutait-il pas un surcroît de sens comme seule la contingence en a le pouvoir ? L’innocence et la candeur n’était-elle pas dans ce monde qui tourne à l’envers, des dangers bien plus à craindre que la décadence ou la corruption ? Dans « novice », n’entendons-nous pas « no vices » ? (…) Non seulement nous n’avons pas pilonné, mais tout le monde a trouvé dans ce « dangereusement novice » la tournure d’un véritable styliste.

Un point de vue original sur Proust.

–  Quelle chance nous avons eue que la maladie ait frappé cet homme-là, l’obligeant à s’aliter tant d’années sans lui laisser d’autre choix que de travailler.
– Il faut se méfier de la dangerosité des médicaments. Si la Ventoline avait existé du temps de Proust, jamais nous n’aurions eu la « Recherche ».

Beaucoup trop de livres.

 Un jour viendra ou les manifestations littéraires remettront les choses à leur vraie place et dans leurs justes proportions, quand une poignée de lecteurs assis derrière des stands, verront défiler dans les allées une cohue d’écrivains venus les convaincre d’acheter leur dernier opus.

L’art de la formule.

 C’est un indigné médiatique qui vomit le système en oubliant combien le système est généreux avec lui (je crois qu’il confond les mots subversion et subvention).

 

 

 


Éditions Robert Laffont, 251 pages, Décembre 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai commencé ce roman en étant persuadée qu’il allait fortement me déplaire : pendant la période du confinement une jeune femme rencontre un homme avec qui elle va tromper son mari. Elle sent qu’elle reproduit l’histoire de sa mère qui, elle aussi, a trompé son mari, et qui a avoué à sa fille qu’elle n’est pas la fille de son père mais d’un autre homme que sa mère a aimé avec passion.

Mais j’ai été happée par l’histoire de Luis ce médecin uruguayen, qui a fui la dictature, pour se réfugier à Lille aidée par Mathilde la mère de la narratrice. J’avais oublié que l’Uruguay avait connu une période de dictature militaire et la description de ce qu’il se passe dans les prisons du pouvoir est insoutenable.

Luis est médecin et il doit signer les constats de mort dans les prisons sans parler des tortures que ces pauvres gens ont subies. Cela le mine si fort qu’il finit par s’enfuir en France mais il est détruit par le poids de la culpabilité et la peur que le régime s’en prenne à sa femme et ses enfants.

Mathilde, mariée à un clerc de notaire dont elle a une fille, Sophie, aide cet homme à se reconstruire et emportée par sa passion, ils feront ce bébé , Lucia-Maria (Lucia pour la lumière et Maria du nom de la jeune femme torturée à mort, dans la prison de Montevideo, la dernière dont Luiz signera l’acte de décès par arrêt cardiaque) .

Luis ne sera jamais un père pour cette enfant née en France alors que, lui, est retourné dans son pays pour lutter et rétablir la démocratie. Il occupe maintenant un poste important, La rencontre avec ce père permet à la jeune femme de confronter l’histoire de sa mère avec celle de cet homme, mais c’est tout.

Un roman très classique et pas passionnant si ce n’est pour le rappel du passé tragique de l’Uruguay et j’ai trouvé que Laetitia de Luca le racontait très bien.

Extraits

Début

Paris, avril 2020
 Toutes les familles ont leurs traditions. La nôtre, manifestement, est de tromper son mari. J’ai longtemps cru pouvoir y échapper, mais j’ai présumé de mes forces. Pourtant chacun le sait les chiens ne font pas des chats. D’ailleurs c’est en allant promener le mien que c’est arrivé.

Passage obligé sur le statut de la femme secrétaire d’un grand patron de médecine.

Daller a toutes les raisons d’être satisfait du travail de Mathilde. Elle le materne du matin au soir avec une application de chaque instant qui flatte son égo boursoufflé. Elle range son bureau, trie ses papiers, vide sa poubelle et débarrasse son cendrier qui déborde comme un volcan. Elle s’enquiert de son sommeil quand il a l’air fatigué, s’inquiète pour sa santé à la moindre toux, le sermonne gentiment quand il travaille trop. Elle fait tout ça naturellement, parce que c’est dans l’ordre des choses. Parce que c’est un homme et elle, une femme. À la moindre difficulté le doyen crie « Mathilde » et elle accourt.
 Elle planifie chaque minute de son temps, lui annonce ses prochains rendez-vous, tape à la machine des lettres qu’il lui dicte.trop vite, pour la mettre au défi, parce que la possibilité de son échec est amusante pour lui. Parce qu’il n’a jamais su ce que c’est que de risquer sa place. Elle cale ses déjeuners et ses déplacements professionnels. Elle lui rappelle l’anniversaire de ses enfants, envoie le plombier à son domicile en cas de fuite. La femme du doyen ne travaille pas mais elle n’aurait « ni l’idée ni le temps » de s’en charger elle-même. Mathilde connaît bien madame Daller une très belle femme, grande mince, blonde, elle doit avoir quinze ans de moins que son mari….

Dernière lâcheté avant la fuite.et l’exil

Je ne signerai pas, murmure-t-il en s’effondrant, en larmes. Je ne signerai pas répète-il pour rattraper sa volonté qui déjà l’abandonne.

 Alors qu’il impose finalement son nom sur cet apocryphe, coulent sur sa roue joue, mélangées à la sueur et au filet de sang qui descend sur sa tempe, des larmes d’impuissance, des larmes de honte, et pour la 1re fois des larmes de haine.

Le poids du passé.

 Par son envolé lyrique, il a touché dans le mille les cœurs gonflés d’idéaux de ces jeunes gens. Le professeur se réjouit un instant de leur transmettre ce qu’ils considèrent comme le fondement même de la médecine moderne. Pour un instant seulement, car la seconde d’après sonne l’heure du retour au réel, du retard, des horaires, des contraintes. Il range ses feuilles de cours dans son cartable en cuir et prend congé de ses disciples. En descendant de l’estrade, il se revoit signer les constatations de décès des torturés de Montevideo, la plupart ayant le même âge que ses élèves, des enfants, et il se demande :  » Il était où à ce moment-là le grand professeur humaniste ? »

 

 

 


Éditions du sous sol, 388 pages, février 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Je voulais lire ce roman pour son titre, comme tant d’Élisabeth , le personnage principal a supporter un dimunitif toute sa vie, pour elle c’était Betsy. Je connais bien ce phénomène. Peut-on être la même personne quand on vous vous appelez Élisabeth, mais que votre entourage déforme en Betsy, Babeth, Zabou ou Zabeth ?

Cette remarque, toute personnelle, a peu de choses à voir avec ce roman qui raconte encore, une fois, une souffrance familiale scrutée par une écrivaine qui sait que son arrière-grand-mère, Betsy a été lobotomisée pour la « guérir » de sa schizophrénie. Cette maladie mentale plane dans toute la famille, cela procure en particulier chez les femmes une peur sourde et latente de porter en elles, cette folie.

Adèle Yon part à la recherche de ce qu’il s’est passé pour Betsy, jeune femme fiancée à André, séparée de son fiancé par la guerre 39/45 , puis mariée, accouchant de six enfants, et faisant des dépressions gravissimes et des crises de « folie ». À la demande de son mari, elle finit par subir une lobotomie et est internée loin de sa famille dans la Sarthe. Avec l’évolution de la psychiatrie, elle ressortira de ce mouroir pour « fous », et reviendra non pas auprès de son mari et de ses enfants mais dans sa propre famille maternelle.

L’autrice tape à toutes les portes pour faire la lumière sur la vie de Betsy. Le livre raconte tout et cela donne un aspect un peu fouillis, pas désagréable mais qui demande au lecteur une certaine vigilance. Le récit de l’écrivaine est en caractères graphiques habituels, les interviews, les lettres, les mails sont dans une autre typographie. On passe par tous les moments de cette enquête pas toujours passionnante, les archives des hôpitaux psychiatriques m’ont carrément ennuyées . L’autrice semble vouloir abandonner son enquête et part travailler en boucherie industrielle, elle le raconte bien , mais franchement la comparaison entre la lobotomie et le découpage du porc m’a semblé pour le moins inutile voire déplacée !

Il apparaît de façon évidente que le mari de Betsy n’a pas voulu prendre en charge sa femme et que, les six grossesses n’ont pas aidé cette pauvre femme à aller mieux. Le plus dur pour elle , c’est de n’être pas retournée vivre avec son mari quand les psychiatres plus humains l’ont déclarée apte à vivre en dehors de l’hôpital.

Les recherches que l’auteure a menées autour de la lobotomie m’ont beaucoup intéressée. C’est la raison pour laquelle j’ai mis quatre coquillages, alors que pour l’ensemble j’aurais plutôt mis 3 coquillages. La lobotomie est une pratique qui a eu beaucoup de succès aux USA, un peu moins en France et qui n’est toujours pas interdite. 85 % des personnes lobotomisées étaient des femmes, et c’était une pratique dangereuse qui n’a jamais guéri personne mais qui, dans le meilleur des cas, calmait les malades.

Pour l’écrivaine qui a ouvert tous les placards à secrets de sa famille, elle décrit le père de Betsy comme autoritaire et harceleur si ce n’est incestueux, le mari comme quelqu’un incapable d’aider sa femme et responsable de cette lobotomie qui a empêché tout progrès pour la santé de son épouse qu’il a abandonnée dans un hospice sordide.

Une fois encore, l’autrice pense que ce lire l’a aidée à guérir de sa peur de la folie et elle le dédie à toute celles qui ont la même peur qu’elle :

Je remercie enfin toutes les femmes qui, au cours de ce voyage et au-delà, m’ont fait part de leur expérience de la maladie mentale, de la peur, de la menace, du découragement, du poids familial, du silence, de la colère. Je remercie toutes celles et ceux qui apercevront leur histoire dans le creux de celle-ci. Ce livre est pour nous : qu’il nous libère.

 

Extraits

Première page

Objet : Jean-Louis Important 
Date : 4 janvier 2023 à 02:18:49
À : LA FILLE CADETTE
Quand tu liras ces mots, j’aurai fini mes jours après avoir basculé dans le vide depuis le balcon de l’appartement que j’ai loué au 7° étage. 

Début du chapitre 1.

 L’inventeur devenu millionnaire du Minitel rose préparait l’opération depuis plusieurs mois. Il a mis en ordre ( jeté, donné, brûlé) ses affaires, vendu sa maison du sud de la France, loué un appartement au septième étage d’un immeuble de la rue d’Aligre, rédigé son testament, réglé ses obsèques, écrit un mail à trois personnes, téléphoné à la police pour l’avertir qu’il s’apprêtait à sauter du septième étage d’un immeuble de la rue d’Aligre et, le 4 janvier 2023 à trois heures du matin, il a sauté du septième étage de l’immeuble de la rue d’Aligre, laissant derrière lui en évidence sur la table de la cuisine, les clés d’une voiture de location Honda 245AWD32 garée dans le parking de l’immeuble. 

La peur d’être folle.

 Il y a pour moi un risque génétique : tout le monde sait que c’est à la sortie d’adolescence que le risque de développer une maladie mentale est le plus fort. Il n’y a aucun doute c’est ce qui est en train de m’arriver. Ai-je moi-même induit que mon arrière-grand-mère était schizophrène en une confusion qui n’était pas sans précédent entre la folie en général et la schizophrénie en particulier ?

Travail de boucherie

En boucherie, le couteau se tient comme un poignard que l’on s’apprêterait à plonger dans un corps de dos, le poing serré vers l’extérieur, la lame vers soi. Toute la force est concentrée dans le poignet. Pour cette raison, les apprentis bouchers se revêtent d’une cotte de mailles : un geste manqué finirait sans hésiter dans nos entrailles. En boucherie, on est soi-même son propre ennemi, son meurtrier potentiel. 

Façon de soigner la maladie psychiatrique.

 Le développement de la chirurgie gynécologique rendent soudain possible de la guérison du mal à la racine, ils permettent de l’extraire comme un vulgaire kyste, une excroissance sans laquelle le corps demeure parfaitement intact. Découper, sectionner, exciser, curateur, ablater, amputer : je suis frappée par la manière dont la psychochirurgie fait fond sur une théorie de l’excès selon laquelle l’ablation de certaines parties du corps, comme de tumeurs malignes, permettrait au sujet malade de retrouver son équilibre initial. D’abord, utérus, clitoris ; ensuite lobe frontal des parties « en trop ». La banalisation des violences envers les parties génitales des femmes ouvre naturellement la voie à la banalisation des violences envers leurs cerveaux. Découper l’utérus, découper le cerveau : il n’y a qu’un pas.

Je partage cela avec cette écrivaine.

 J’ai une piètre maîtrise de la marche arrière, mes roues se dirigent toujours à l’opposé de ma pensée

 


Éditions Emmanuelle Colas, 234 pages, Mars 2024.

Rarement un roman ne m’aura autant touchée, je l’ai aimé de la première ligne à la dernière et pourtant j’ai lu la dernière partie en apnée tant elle décrit l’horreur, mais j’ai eu le courage de ne pas en rater un seul mot.

Le roman cerne trois personnages qui sont tous trois inspirés de personnes réelles, cela sous l’œil au combien bienveillant de l’auteur qui est aussi un personnage du récit.
Le premier personnage est Vitali Klitschko, on le voit au début combattre sur un ring un boxeur qui semblait le vaincre facilement. J’ai vraiment cru que Bruno Doucey était un boxeur ou au moins un amateur des combats de boxe. C’était oublié le talent de certains écrivains qui savent donner une puissance à leur récit tel que l’on se croit dans la réalité.

La seconde est Mira Rai une athlète népalaise, qui a gagné des trails tous plus durs les uns que les autres.

La troisième, Mila, est une enseignante de la ville universitaire de Sartana en Ukraine, elle veut organiser un colloque autour des parcours sportifs exceptionnels et donc rentre en contact avec Vitali qui est maintenant le maire de Kiev et Mira. Hélas la folie russe va s’abattre sur cette région de l’Ukraine et l’auteur nous fera vivre le quotidien des Ukrainiens sous les bombes russes. Il évoquera aussi le crime de guerre qui s’est passé à Marioupol où l’aviation russe a bombardé le théâtre alors que seulement des femmes et des enfants étaient réfugiés à l’intérieur .

Enfin, le dernier personnage est l’auteur lui même qui intervient pour nous dire que tout cela est du roman, et qu’il a puisé dans son imaginaire la force de nous présenter des personnages auxquels nous seront définitivement attachés.

Je me demande si j’ai lu un texte aussi fort sur la guerre en Ukraine, nous respirons avec Mila, nous vivons avec elle ses peurs et ses peines, nous sommes soulagés qu’elle ait pu rejoindre la Grèce où vivent ses parents et son fils. Mais comment se consoler de tous les morts qu’elle a laissés derrière elle, comment refaire vivre la culture et la liberté ? ?

À lire de toute urgence, avant que l’Ukraine ne retourne définitivement sous la botte Russe vendue à Poutine par un Trump qui est fasciné par un dictateur tellement plus efficace que les démocraties européennes.

 

Extraits.

Début

Los Angeles, 26 septembre 2009
En face de lui, ce soir-là, celui que tous surnomment « The Nightmare » . L’homme n’est pas n’importe qui. Vainqueur des « National Golden Gloves » à vingt ans, en 2001, le Mexicano-Americain est précédé de sa réputation. Une pugnacité constante sur le ring. Des coups à terrasser un cheval. Une allonge qui surprend, parce qu’elle provient moins de la longueur des bras que de l’envergure des épaules. 1,93 m de rage, de hargne et de haine. Chris Arreola est de ceux qui préfèrent mourir sur le ring que perdre un combat.

La journée d’une enfant népalaise.

À douze ans, une fille népalaise n’est plus une enfant. Et quand la famille ne peut garantir plus d’un repas par jour, quand la survie de toute une communauté dépend des récoltes et de la bonne santé des bêtes, l’école devient un luxe que peu de paysans peuvent offrir à leurs enfants. Hier elle travaillait avec son père dans les champs, demain elle portera un lourd sac d’orge jusqu’au marché où ses parents espèrent faire de bonnes ventes, et aujourd’hui elle accomplit dans la maison tout ce qui aurait dû être fait les autres jours : ramasser les bouses de vache, les faire sécher en les appliquant contre les murs, nettoyer, ranger, faire bouillir de l’eau, laver du linge couper du bois, balayer devant la porte, et mille autres petites tâches ingrates que sa mère, sa grand-mère, et toutes les générations de femmes avant elles auront accomplies sans jamais se plaindre. 

Tchernobyl.

Il aurait aimé que son père revienne, qu’il rentre à la maison, fatigué mais sûr de lui, qu’il leur dise : Ce n’est rien les enfants, une simple brèche qui a été colmater, un incident technique que les ingénieurs du département de l’énergie atomique sont en train de régler. Soyez tranquilles, vous n’avez rien à craindre.
Mais ce lundi 28 avril, tandis que la nuit tombeur Kiev, Vladimir Rodionovitch Klitschko n’est pas encore rentré et n’a donné aucune nouvelle. 

Féminité.

Il n’en reste pas moins que ce corps là trahit , une fois par mois, quand le sang coule entre ses cuisses. Mira en a honte. Les taches. La gêne. Le manque d’intimité. Les bandes de tissu qu’il lui faut laver dans un ruisseau deux fois par jour. Le regard des guérilleros de son âge. Cette impression soudaine de souillure, de dégringolade, comme si les femmes redevenaient périodiquement inférieures aux hommes.

La création littéraire.

Le débat est vieux comme le monde de l’écriture. En matière de création littéraire, on pense communément qu’il faut maîtriser son sujet, connaître à fond ce dont on parle ou se fonder sur une expérience vécue, crédible, avérée, des faits que l’on relate. Personnellement, je ne le crois pas. Je n’ai jamais enfilé de gants de boxe et les seuls rings que je connaisse sont ceux que j’ai vus à la télévision, Quant à l’ultra-rail, autant dire qu’il est devenu pour moi un horizon inaccessible puisque je serai, en l’état, bien incapable de courir en montagne. Mais cela ne m’empêche pas d’écrire. 
Je me souviens de ce que Varlam Chalamov écrit au seuil de ses « Souvenirs de la Kolyma  » :  » L’écrivain est l’espion de ses lecteurs ». Alors, disons que, faute de mieux, j’espionne simultanément deux mondes qui me sont en grande partie étranger. 

Le moral de vainqueur de Mira après le séisme du Népal.

Maintenant, Mira remonte un à un les coureurs qui se trouvent devant elle. Elle ressent à nouveau la densité de l’effort : le sang qui pulse dans ses veines, son souffle régulier et profond, ses jambes qui répondent à l’appel des pentes. Chaque coureur qu’elle dépasse est un enfant sorti des décombres, chaque spectateur sur le sentier un secouriste venu sauver des vies. Pierre après pierre, elle remonte les « stūpas » qui se sont effondrés les caims qui ont roulé à terre, les temples qui menacent ruine.

L’horreur de la guerre.

Suis remontée à l’appartement alors que beaucoup dormaient encore dans la cave. Électricité revenue, j’ai mis mes appareils en charge. Une douche, la première depuis trois jours. Maintenant, l’eau ruisselle sur mes cheveux, le long de mes seins amaigris par ces premières semaine de guerre, la fatigue et le chagrin. Peut-on laver l’empreinte de l’horreur ? Faire disparaître les traces ce la peur ?
L’eau tourbillonne avant de s’échapper par la bondé. Mes pensées aussi tournent sur elles-mêmes mais elles ne connaissent aucune échappatoire. Le théâtre de Marioupol, où plus d’un milliers de personnes ont trouvé refuge. L’avion qui survolé la ville. La bombe larguée sur la coupole. Des victimes, par centaines. Des mères de famille, des enfants, des vieillards. Et Elpida, mon amie.