Éditions de l’olivier, 142 pages, janvier 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Je n’arrive pas à comprendre le pourquoi de ce roman ? Jacques, le beau père de l’écrivaine est un personnage qui a passé son temps à dépenser l’argent qu’il n’avait pas. Les enfants l’ont aimé car il était flamboyant, mais ont compris aussi qu’il était toxique. Mais en quoi cela mérite-t-il de faire le sujet d’un livre ?

C’est un roman qui se lit en une soirée et comme j’écris ce billet deux jours après je cherche dans ma mémoire les traces qu’il a laissés. C’est un vide abyssal !

J’ai vu passer des critiques où on parle de délicatesse et je crois me souvenir que j’ai apprécié la volonté de l’écrivaine de ne pas juger cet homme avec ses yeux d’adulte : enfant elle se sentait flattée d’être apprécié par lui.

Je crois que je n’en peux plus de tous ces récits autobiographiques qui, nous disent la quatrième de couverture, sont « des blessures ouvertes » .

 

Extrait

Début.

Il somnolait toute la journée assis sur le canapé, la tête renversée en arrière, les mains à plat sur les genoux. Il était devenu très maigre. J’étais fascinée par l’armature de ses os sous le pyjama. Ses yeux étaient creusés. Quand il les ouvrait, il avait l’air méchant ; quand il les fermait, il avait l’air d’un mort. De temps en temps, je m’ approchais pour vérifier qu’il respirait toujours. J’avais peur qu’il meure sans bruit près de moi, sans que je m’en aperçoive. 

 


Éditions Seuil Cadre Noir, 299 pages, mars 2025

Reçu dans la cadre de Masse Critique Babelio

 

 

J’avais gardé un souvenir mitigé mais positif de « Pension Complète » , cela m’a donc fait plaisir de me lancer dans cette lecture. Je suis terriblement déçue , et j’avoue avoir lu en diagonale les trois quart du livre. Je ne l’aurais certainement pas terminé si je ne m’étais pas engagée pour Babelio.

Jacky Schartzmann, décrit une plongée dans la mouvance d’extrême droite qui a eu le vent en poupe lors de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour. Les personnages sont soit complètement caricaturaux soit à la limite de la caricature.

Pourtant ce roman répond à une de mes interrogations, comment l’extrême droite en France peut-elle penser un jour prendre le pouvoir ? Ce sont des gens très dangereux et capables d’actions très violentes, ils s’appuient sur des gros bras qui ne supportent plus la présence de musulmans noirs ou arabes sur notre territoire. Je sais cela, mais cela ne fait pas un bon roman.

Le roman noir, avec tous ses rebondissements classiques, et quelques touches d’humour, plaira peut être aux amateurs ou amatrices du genre. Je n’en fais visiblement pas partie.

Extrait.

Début.

Je suis un bâtard en retraite. J’étais commercial, dans un grand groupe. Mon job consistait à vendre très vite et très cher, afin d’augmenter nos marge et de gonfler notre trésorerie. Et c’est tout. Plusieurs révolutions ont secoué l’industrie ces trente dernières années : les chefs de service sont passées de la clope au running, de l’approbation aux infusions froides et du droit de cuissage au consentement.

Caricatural.

Exactement, Jean-Marc. Y a pas de slogans compliqués chez nous. C’est d’ailleurs pour ça que nous voulons tant qu’Éric Zemmour accède aux responsabilités, il est comme nous pas compliqué. Des constats simples, des actions simples.
– Simplistes aussi non ?
– Vous croyez ça, Jean-Marc ?
– Il n’y a pas de réponses simples à des problèmes complexes. 
– C’est là que vous vous plantez : il n’y a pas de « problèmes complexes » en réalité . Des étrangers prennent le pain et le travail des Français. Rien de plus simple.


Édition Les Avrils, 267 pages, Août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Lors de la discussion de notre club de lecture, beaucoup de lectrices avaient aimé ce roman sauf une, cela m’a intriguée et j’ai voulu en savoir un peu plus. J’aurais moi aussi eu beaucoup de réserves sur ce récit. Pourtant cela avait bien commencé , j’ai bien aimé la description de cette jeune femme « la petite bonne » qui trimballe son seau de ménage pour aller chez ses patrons Le style est particulier mais tout a fait acceptable ce sont des monologues intérieurs des réflexions des trois personnages prennent la forme de vers libres. Je rappelle le sujet : un homme musicien est revenu très handicapé après la guerre 14/18. Sa femme Alexandrine se dévoue pour sa survie, elle embauche une jeune bonne et décide de partir en WE en Normandie . La petite bonne se retrouve donc seule un WE avec Blaise le musicien mutilé.

Pour moi le charme du récit s’est arrêté à une scène bien précise : une gitane à qui Alexandrine refuse l’aumône lui dit de ne pas toucher aux pipes de son mari, bien sur, elle le fait et elle casse une des pipes pendant que son mari casse la sienne en sortant de sa tranchée en 1916. Enfin, pas tout à fait, il est sauvé par un chirurgien qui lui rend la vie mais ni ses mains si ses jambes ! Alexandrine se sent si coupable qu’elle se dévouera corps et bien à ce pauvre Blaise qui ne veut que mourir. Et ce n’est pas tout , l’armée lui téléphone pour lui dire que son mari a été blessé exactement au moment où elle était en train de casser une de ses pipes ! Le téléphone chez des gens en 1916 !

Bref j’ai décroché et repensé à tout ce qui était bizarre dans ce roman, qu’une bonne ne laisse pas son seau chez les propriétaires et qu’elle le trimballe de maison en maison.

Et la pauvre Alexandrine m’a semblé si peu crédible. Bref j’ai failli grâce à l’écriture aimer ce livre et c’était possible car l’opposition entre la situation de la bonne et des bourgeois est plausible , mais c’est aussi tellement plein de clichés . Avec une allusion à le seule famille qui aurait eu plus de compassion pour elle, mais qui a fui la montée de l’antisémitisme, la famille Goldberg.

Si je lui mets trois coquillages (et non deux comme j’en ai eu envie) c’est grâce à la musique car le musicien possède un gramophone et « la petite bonne » découvre la musique classique, ce sont toujours de belles pages quand on peut décrire ce que fait la musique quand on la reçoit la première fois et même ensuite.

Extraits.

Début.

Les cent pas
j’aimerais pouvoir les faire
réellement 
Ici c’est cinq pas dans la longueur 
à peine trois dans la largeur 
et vraiment 
des petits pas
Des traversées 
il en faut quelques-unes
pour arriver à cent
C’est long
mais jamais assez
Malheureusement 
j’ai tout mon temps
pour compter mes pas

Une bonne place.

Elle se souvient de son émotion 
la première fois 
qu’elle avait quitté la ville
Elle avait suivi une famille
– sa meilleure place
quand elle y repense- 
Elle semblait à peine plus âgée que les jeunes maîtres
mais moins bien habillée
coiffée
éduquée
Pendant qu’ils étudiait
le grec
le latin
l’algèbre
la philosophie
elle apprenait à coudre
à repasser
à frotter
l’argenterie
les sols

La tristesse absolue.

Elle découvre son dos
affaissé 
tremblant 
Le dos d’un homme qui pleure
Ce n’est pas si courant
un homme qui pleure
Chez elle un homme
ça prend sur soi 
ça ne gémit pas
ça ne flanche pas

Prédiction de la gitane ne pas casser la pipe …

Avec précaution, elle sortit la pipe et entreprit de l’examiner de près. On sonna à la porte. Prise en faute , elle sursauta et lâcha la pipe qui s’écrase au sol en mille morceaux. 
 Ses amies la trouvèrent en larmes, accroupie dans un coin, tenant dans ses mains le tuyau inutile d’une vieille pipe cassée. Elle la réconfortèrent de leur mieux. Toutes savaient la sensibilité à fleur de peau des unes et des autres, comment un fait insignifiant pouvait prendre une place folle. C’est cette après midi-là qu’elle fut prévenue par un appel du front : Blaise avait été grièvement blessé. 

 


Édition Coin de la Rue, 247 pages, septembre 2024

Régis Delanoë, trouve au décès de sa grand-mère, Augustine, des cahiers dans lesquels elle a raconté sa vie. L’auteur confronte les souvenirs d’Augustine avec la réalité telle qu’il peut la voir aujourd’hui, et il a utilisé le talent de Joëlle Bocel pour illustré son roman. Le pays breton d’où vient cette femme est assez peu raconté : elle vient d’Yffiniac dans la baie de Saint-Brieuc en plein pays Gallo. Sa famille au début du 20° siècle était suffisamment riche pour ne s’exiler ni dans une grande ville de la province , ni à Paris, ni au Canada ni aux USA. Comme tous les paysans de cette époque, ils assurent leur survie et travaillent comme des fous. La guerre 14/18 a été un premier choc terrible, toutes les familles avaient un fils, un père, un frère un oncle à pleurer. Augustine était une élève brillante, mais il n’est pas question qu’elle puisse faire autre chose que venir aider ses parents. Cela la marquera car lorsqu’elle aura ses enfants avec un homme qu’elle aimera beaucoup, ils les élèveront en respectant leurs choix d’études. La partie la plus importante c’est la modernisation de l’agriculture. Ils se lancent dans l’élevage intensif du porc et deviennent riches, mais évidemment, contribuent aussi à la tragédie des algues vertes qui souillent les côtes bretonnes aujourd’hui encore, et les produits qu’ils utiliseront pour les animaux et les cultures sans aucune protection seront sans doute responsable du cancer rare et très agressif du mari d’Augustine.

C’est un texte intéressant sans être passionnant. On voit à quel point la religion est importante même si l’église est souvent source d’injustice rien n’a ébranlé sa foi . Pour ceux qui ne connaissent pas la Bretagne et son agriculture, ce témoignage leur apprendra plus qu’à moi qui connaît bien cette région. Mais j’ai bien aimée cette Augustine et le regard de son petit fils plein d’amour et de respect pour celle qui l’a élevé.

 

Extraits

Début du premier chapitre.

 Toute la vie d’Augustine est donc là, dans ces trois cahiers posés sur mon bureau. L’un bleu, un autre beige, le dernier orange. Autour de moi sont entreposés toutes les boîtes contenant ses affaires. Sur un mur, j’accroche un grand panneau de Liège sur lequel je punaise des éléments les plus marquants retraçant son siècle de vie. Des noms, des dates et des photos, une frise chronologique, une carte IGN, des lettres… Autant de documents à confronter au terrain, à différents témoignages et aux archives que je compte dénicher. Voilà qui ressemble presque à une enquête policière

La Bretagne et l’exil.

Au début du XX° siècle, les trois-quarts des Bretons étaient des ruraux, contre la moitié à l’échelle nationale. La région était surpeuplée et touchée par une crise économique sévère, amorcée dans les années 1880 et qui poussait une partie des habitants à l’exil. Fuyez pauvre gens ! Rejoignez la ville, Rennes, Paris. Fuyez même en Amérique. Fuyez cette société archaïque et servile, quasiment médiévale, au service de notables qui profitent de la misère pour s’enrichir Fuyez ce monde cloisonné, renfermé, replié. Au recensement national de 1911, les Côtes-du-Nord figuraient tout en haut du classement de l’émigration.

Éducation dans les années 1930 extrait d’un livre d’olivier Galland .

« Le statut de l’enfance et de la jeunesse à bien changé. Longtemps, il fallait apprendre à l’enfant à accepter, dès son plus jeune âge, les contraintes qu’il ne manquera pas de subir lorsqu’il accédera au statut d’adulte. L’enfance ne préparait pas tant à la liberté et à l’autonomie mais à l’acceptation d’une condition donnée à l’avance.  » inutile de bercer d’illusions les enfants. Ils devaient très vite comprendre et admettre leur fonction utilitaire : paysans, ouvrier, ménagère, journalier. Puis quand venait leur tour, à eux de faire des enfants.
Déterminisme et reproduction sociale.

La mort et le deuil

Mes parents m’ont dit  » « Ta grand mère est morte, tu ne la verras plus jamais. On va la mettre dans la terre et les vers la mangeront. »
(…)
Dans tous les cas nous étions habillés de noir. Les hommes portaient un brassard noir le femmes de grandes capes avec capuchon. Puis pendant plusieurs mois, elles devaient rabattre sur le visage un voile de crêpe noir. Lorsque j’eus mon premier manteau à sept ans, c’était aussi un noir, en prévision de la mort de ma grand-mère que l’on jugeait proche. Mais elle est morte plus d’un an après.

L’essor agricole en Bretagne

Sans limite ni contrôle, le Bretagne se laissa gagner par ce dopage agricole aux résultats immédiats et spectaculaires. Entre les années 1960 et 1970, les fermés bretonnes multiplièrent par deux leur surface cultivée, par trois leurs achats de matériel agricole, par trois aussi les tonnes de porcs élevés, et même par quatre les hectolitres de lait produits. Il fallait faire grand et gros.


Édition Gallimard, 349 pages, décembre 2023

 

Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour.

 

Voilà un roman pour lequel je n’ai aucune hésitation : j’ai tout aimé et jusqu’à la fin, il est écrit dans une langue claire et précise, quel plaisir de lecture !

Cette autrice raconte le destin d’un homme originaire du Cameroun, exactement d’un petit village sur la côte camerounaise, Campo, qui était un village de pêcheurs du temps de l’enfance de sa mère, et qui devient peu à peu une station balnéaire à la mode.

Trois temporalités et trois voix construisent ce récit.

D’abord, celle de son grand-père Zacharias, pêcheur à bord d’une pirogue qui est marié à une femme énergique et très amoureuse de lui, Yalana. ensemble ils ont eu deux filles, Dorothée la mère du personnage principal et Myriam la petite sœur. Ensemble, il verront arriver la coopérative qui va tuer peu à peu la pêche traditionnelle bien aidée en cela par les compagnies d’exploitation forestière, c’est sa vie et ses rêves qui donneront le titre au roman. La deuxième temporalité est celle de l’enfant de Dorothée, Zack vit avec sa mère dans un quartier très populaire New-Bell, sa mère est devenue une prostituée alcoolique. Zack est l’ami d’Achille et ensemble, ils sont à leur façon heureux mais un drame obligera Zack à s’enfuir du Cameroun à 18 ans, sans dire au revoir à ses amis ni à sa mère. Enfin la troisième temporalité, la voix de Zack devenu psychologue en France et marié à Julienne une psychiatre et père de deux filles. Quand ces trois temporalités se rejoignent , c’est à dire, quand, à 40 ans, il revient au Cameroun, tous les drames de son histoires s’éclairent d’un jour nouveau et lui permettront peut être d’être totalement libre de son destin sans rien renier de son passé.

À travers ce récit, tant de thèmes sont abordés, l’économie post-coloniale, et l’exploitation des populations locales, les injustices dans les pays africains, la force des traditions africaines et leur originalité, le racisme même involontaire en France, les difficultés de l’intégration, les conséquences de l’exil . Et par dessus tout , ce roman est un hymne au courage des femmes, car c’est grâce à elles que Zacharias arrivera à se construire, même si certains hommes ont été là pour lui éviter un sort terrible. Il a eu de la chance dans la vie, celle d’être aimé et de pouvoir suivre des études.

Et je n’oublie pas les descriptions de sites naturels qui m’ont fait voyager bien loin de ma Bretagne très humide et trop souvent grise à mon goût. Voilà j’espère vous avoir donné envie de le lire et de partager mon plaisir.

PS Gambadou avec qui je suis souvent d’accord est plus réservée que moi.

 

Extraits

Début.

À l’endroit où le fleuve se précipite dans l’Atlantique, l’eau est ardoise et tumultueuse. Elle s’éclaircit à mesure qu’elle s’éloigne des côtes, en nuances de gris de plus en plus claires, pour finir par refléter la couleur du ciel lorsque celui-ci devient le seul horizon.
 Le Pêcheur s’était lever tôt, comme à son ordinaire. Il s’éveillait avant Yalana et l’attirait doucement à lui. Elle protestait un peu dans son sommeil mais ne se dérobait pas. De dos, elle venait se lover contre lui dans une douce reptation, et son souffle de dormeuse s’apaisait à nouveau.

Les dangers du métier.

 Son père était pêcheur lui aussi, comme tous les hommes de sa famille depuis que le fleuve est l’océan s’épousaient ici. Un jour il était parti et n’était pas revenu. Un mois d’octobre, en plein cœur de la saison des pluies. Dans ces moments là, les pêcheurs savent que les eaux sont tempêtueuses, violentes et traîtresses : les repères se brouillent, les distances sont mensongères, les courants capricieux. Dans les contes pour enfants, le fleuve femelle s’emplit d’une eau étrangère telle une femme enceinte et l’océan mâle ne peut l’accueillir avec sérénité, alors il se met en colère, il enrage, il déborde et les baïnes sont furieuses. Même les plus jeunes savent que la période n’est pas propice à la baignade, qu’il vaut mieux se tenir loin des époux querelleur. La plupart des piroguiers abandonnent leur activité en pleine mer pour revenir à l’agriculture ou à une pêche moins risquée dans le fleuve. La saison des pluies correspond aux récoltes tous les bras valides sont sollicités.

Le passé du narrateur.

 Le passé remonta dans une houle si violente que j’en fus submergé. La vérité, c’est que ma mère était alcoolique et prostituée. Je l’aimais plus que tout au monde, pourtant je l’avais quitté sans un regard en arrière. Toutes ces années, je ne l’avais pas contactée, j’ignorais même si elle était vivante ou morte.

La fin de la pêche artisanale.

Les chalutiers ratissaient littéralement des bancs de poissons et de crustacés. Un seul d’entre eux produisait dans des proportions auxquelles une dizaine de piroguiers aguerris ne pouvaient prétendre (…).
 Lorsque les premiers dérèglements apparurent les pêcheurs firent preuve de bonne volonté, ils travaillèrent davantage. Mais leurs conditions continuèrent de se dégrader jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus rembourser leurs dettes. C’est alors que la coopérative leur fit une dernière proposition : ils devaient travailler gracieusement à bord des chalutiers jusqu’au solde de leurs créances ensuite seulement ils recommenceraient à percevoir un salaire complet.

Les bourses.

 Et j’inventai le reste : mes parents morts tous les deux dans un accident de voiture, le rejet du reste de la famille, puis la chance de bénéficier d’une bourse d’étude grâce à mes résultats scolaires. Le tout se tenait tant que je n’avais pas à faire à des Camerounais. Eux savaient que le gouvernement n’attribuait plus de bourses, celles qui existaient étaient offertes par des organismes internationaux ou directement par des universités occidentales, et les élèves pauvres n’y avaient pas accès, elles disparaissaient dans les réseaux de gosses de riche.

La fuite dans l’exil.

 Je n’ai pas craqué tout de suite, ça m’a pris plusieurs mois. Il m’aura fallu tomber sur l’enquête du journaliste à propos du clochard retrouver mort par les éboueurs, non loin de l’avenue des Champs-Élysées. Des années d’évitement, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlés. Toutes les années, tous les instants, un à un sans répit, sans pitié. Personne ne devrait partir de chez lui comme Sunday et moi. Couper tous les ponts, larguer les amarres et ne plus pouvoir revenir en arrière. Nous ne devrions pas avoir à avancer sans repères, sans protection, nous délester de tout ce que nous avons été, s’arracher à soi en espérant germer dans une nouvelle terre. Ceux qui ont ce privilège voyage l’esprit léger. Ils partent de leur plein gré sachant qu’ils peuvent revenir quand bon leur semble. Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour. Et puis ici aussi dans cet éden étincelant, des enfants meurent d’être délaissés, mal-aimés, maltraités. Les terres lointaines ne tiennent pas leurs promesses. 

L’intégration.

Je suis comme beaucoup d’immigrés, à chaque dégradation, délit, crime, chaque fois qu’un fait divers s’étale à la une des journaux, ma première pensée ne va pas à la victime, mais à la personne incriminée. Je pense d’emblée : « Pourvu que ce ne soit pas un Noir. » Il n’y a pas de singularité possible, nous sommes une communauté pour le pire. Les meilleurs d’entre nous, ceux qui se distinguent positivement, sont français, les pires sont ramenés à leur statut d’étrangers. Rien n’est acquis, le premier imbécile venu peut vous dire : « Rentrez chez vous », comme on vous foutrait à la porte. 


Édition « le bruit du monde », 229 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cet auteur a un un vrai talent pour faire vivre devant nos yeux des personnages populaires qui sont souvent les oubliés de la grande Histoire. Rose est une enfant née d’une femme qui l’a abandonnée sur le seuil d’une famille qui l’a élevée comme le veut la tradition Corse. Sa naissance se passe en 1908, elle sera heureuse de pouvoir quitter cette famille où elle a eu peu de place pour épouser un homme frustre mais qui ne la rendra pas malheureuse. Dès qu’ils le pourront, ils partiront à Toulon où Paul Dominique, son mari, et leurs trois enfants se bâtiront une vie de labeur, son mari sera ouvrier à l’arsenal. Après la guerre 39/45, Rose va connaître Farida, une Algérienne qui va l’éveiller à la vie, à la lecture, et à la vie politique. Toute cette première partie qui représente les deux tiers du livres m’ont vraiment enchantée, Farida vit dans un bidonville pas très loin de la maison de Rose, peu à peu, Rose connaîtra tous les habitants de ce bidonville. Les habitants sont surtout des Algériens et parfois des Portugais. Après la guerre d’Algérie et le départ de Farida, j’ai trouvé que le roman s’est essoufflé.

La vie de Rose n’est pas racontée de façon linéaire, elle parle de sa fille, Nonciade, on sent qu’il lui est arrivé quelque chose de terrible. On comprendra pourquoi Rose est si éteinte quand elle rencontre Farida, la mort de Nonciade est une des clés pour comprendre Rose. Mais sa naissance et son enfance explique bien des traits de son caractère. Son mari, ses enfants sont plus difficiles à comprendre, ils restent en arrière plan. Pourtant son mari, a une belle personnalité et j’aurais aimé en savoir plus sur lui.

L’amitié entre Farida et Rose, est la partie la plus riche du roman. Cela permet au lecteur de comprendre la situation des Algériens en France, et qui permettra à Rose de sortir de son deuil. L’auteur a voulu aller au-delà de cette période, pour élargir l’engagement de Rose vis à vis de tous les émigrés si mal accueillis en France. Ça ne marche pas vraiment, car d’une relation intimiste d’amitié de deux femmes qui se libèrent de carcans différents, on arrive à une dimension sociale contemporaine où leur histoire se dilue .

Je ne peux que vous conseiller cette lecture au moins pour les trois quarts et peut-être, que vous serez même conquis par la fin. Le style de l’auteur est très particulier sans aucune fioriture, il semble parfois brutale à force de simplicité.

 

Extraits

Début.

 » Tu verras aucun homme ne peut résister à la couleur du henné », me dit Farida. Je souris.
 Je suis la danse de ses doigts au-dessus de ma tête, séparant chaque mèche du reste de ma chevelure, avant de l’enduire d’une couche épaisse depuis sa racine. De son visage je ne vois que ses lèvres charnues, colorées de carmin, son menton rond, la courbe ample de son cou. De son corps, ses épaules pleines, sa poitrine généreuse que je lui envie tant, sous la gandoura.

Naissance.

Février 1903 commune de Belgodère, Haute-Corse. Je rentre brutalement dans le monde – la date exacte de ma naissance jamais établie. Simplement arrêtée par notre maire, quelques jours plus tard, au dix-huit du mois après observation des fontanelles de mon crâne, et examen de la peau fripée de mes mains et de mes pieds.
 Depuis plusieurs semaines, le froid s’est installé. Le gel s’attarde sur les chemins jusqu’à tard dans la matinée. Il n’y aurait jamais eu autant de fractures au village que cet hiver là. On m’a langée d’un linge de drap. Enroulée dans un châle de laine grise. Passée un bonnet trop large qui me descend jusque sur les yeux. Déposée au petit matin sur le pas de la porte d’une maison qui allait devenir la mienne. Et la femme qui y habitait, ma mère adoptive par la force des choses. Désignée ainsi par la main innocente et anonyme qui m’a abandonné là, quelques heures plus tôt. Contrainte bon gré, mal gré d’en accepter la charge. Comme le voulait alors la coutume dans nos villages.

 

Le titre.

Heureusement je suis protégé par l’œil de la perdrix.
– L’œil de la perdrix ?
Elle a pointé du doigt son front où était tatoué ce petit losange dont chaque extrémité renflée ressemblait à une croix. Il m’intriguait. Depuis notre première rencontre. Mais je n’avais pas osé lui en demander l’origine ni le sens. J’avais toujours pensé que les marques sur les corps, qu’elles soient rituelles ou de naissance – je me souviens de cette tâche de vin qu’avait notre voisin au village, sur tout un côté du visage, de la base de données à la naissance du cou -, ne justifiait aucune indiscrétion.
– C’est ma mère qui me l’a fait tatouer. Elle avait le même sur son front est sur ses joues. C’est nous dans le Mzab, la perdrix est le signe de la beauté et de la grâce. Mais surtout elle préserve du mauvais sort.

La place de la femme .

Je repense au mari de ma mère adoptive, à la naissance de son premier fils. Sa mine des bons jours, son air guilleret, se frappant la cuisse de joie. Buvant des canons. Invitant autour de lui. Faisant venir tout exprèsde Bastia un daguerréotypeur pour immortaliser l’évènement, sacrifiant un agneau pour le dédommager – les photos encadrées au-dessus de la cheminée. Reproduisant la chose à l’identique pour le suivant. Ses fils. Mes frères. Princes attendus. Comme venus du ciel. Prenant toute la place qu’on leur laisse. Sans partage ni brutalité. Donation de droit divin. Nous à leurs côtés, ma mère adoptive et moi, réduites aux restes. Étrangères à leur solidarité d’hommes. Cantonnées aux rôles des grandes muettes.


Éditions du Seuil, 228 pages, octobre 2024

 

« J’ai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

Cet auteur a fait de sa famille l’objet de certains de ses livres, sur Luocine j’ai mis « En finir avec Eddie Bellegueule » et « Qui a tué mon père » , j’ai lu aussi celui consacré à sa mère. J’ai beaucoup aimé celui-ci , car on y apprend beaucoup sur un homme que je n’aurais guère aimé rencontrer un soir dans une rue d’Amiens ou ailleurs. Un homme que j’aurais méprisé car sujet à des accès de violence : il frappait les femmes et faisait peur à ses enfants, un homme que l’alcool rendait fou, qui tenait des propos racistes et homophobes. Et pourtant un être humain !

Édouard Louis, ne cache rien des horreurs que son frère a été capable de faire ou de dire, mais en recherchant qui il était à travers différents témoignages, on se rend compte qu’il pouvait être « gentil » et qu’il avait été aimé par des femmes qui rendent toutes l’alcool et son enfance responsables de ses violences. Le roman suit les préparatifs de l’enterrement, les souvenirs de l’enfance où ce frère a fait tellement souffrir le petit Eddy, mais aussi la façon dont le père a brisé tous les rêves de cet enfant. Est-ce que l’abandon par son père géniteur qui a été capable d’aimer d’autres enfants que lui, est la première blessure dont cet homme ne s’est jamais remis ? Est-ce que l’alcoolisme est héréditaire ? Son père, son oncle, son cousin sont tous morts d’alcoolisme . Est-ce que la misère sociale en est responsable ?

Ce portrait m’a permis de comprendre des gens que je ne croise pas souvent et que j’ai tendance à mépriser. Je trouve que ce roman permet effectivement d’ouvrir les yeux sur les ravages de l’alcoolisme car l’auteur ne cache rien sur les faiblesses, mais aussi sur les causes possibles de cette autodestruction, l’auteur n’est donc jamais dans le jugement ni dans la justification : c’est ce que j’ai beaucoup apprécié. Même quand il raconte l’homophobie violente de son frère donc de l’auteur.

Je trouve que pouvoir comprendre des gens qui, tout en étant tout près de moi, je ne vois jamais c’est presqu’aussi exotique que décrire une population au fin fond de l’Amazonie. Et surtout on se rend compte que chez des hommes détruits par l’alcool, il y a aussi une être humain. C’était le cas de son frère qui méritait bien ce roman .

 

Extraits.

 

Début.

 Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors, ou comme on écouterait une personne quelconque nous dérouler le récit de son après-midi au supermarché. Je ne l’avais pas vu depuis presque dix ans. Je ne voulais plus le voir. Certains jours ma mère tentait de me faire changer d’avis, d’une voix hésitante, comme si elle avait eu peur de me froisser ou de créer un conflit entre elle et moi : 
– Tu sais, ton frère peut être que tu devrais lui donner une chance … je crois que ça lui ferait plaisir. Il parle beaucoup de toi…

La haine de ses parents.

 Il les détestait parce que à cause d’eux, il était détruit mais c’était fini maintenant, grâce à ses amis allée se reconstruire.

 Ma mère a raccroché assommée. Elle ne savait pas que mon frère couvait cette haine pour elle à l’intérieur de lui – et je crois qu’elle était sincère, elle ne savait pas il ne faut pas lui en vouloir. À la fin de l’appel téléphonique elle a soupiré et elle a dit à mon père, les yeux grands ouverts et la mine stupéfaite, comme si elle venait d’apercevoir un fou qui poussait des cris dans les rues : « Mais ça va pas bien l’autre à inventer des trucs comme ça. »

Différence entre classes sociales.

... Dans notre monde essayer n’était pas une chose possible, je l’ai vu plus tard dans le monde de ceux qui vivent dans le confort et dans l’argent ou du moins avec plus d’argent et plus de confort, certains de leurs enfants étaient comme mon frère, certains buvaient, certains volaient, certains détestaient d’école, certains mentaient, mais leurs parents essayaient des choses pour les aider et pour tenter les transformer, ils leur offraient une formation de pâtissier, de danseur, d’acteur dans une mauvaise école de théâtre trop chère, ils essayaient, et c’est aussi ça l’Injustice, certains jours il me semble que l’Injustice, ce n’est rien d’autre que la différence d’accès à l’erreur, il me semble que l’Injustice ce n’est rien d’autre que la différence d’accès aux tentatives qu’elles soient ratées ou réussies, et je suis tellement triste, je suis tellement triste.

L’alcool .

 Il buvait de l’alcool pour se sentir mieux et l’alcool l’enfermait dans son destin ; lui-même avait dit à ma mère quelques mois avant de mourir :  » Jai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

La famille .

 C’est un phénomène que j’ai souvent observé dans les familles : elle veulent alternativement vous aider et vous noyer.

L’alcool, la violence, les femmes.

 Pourtant l’histoire se répétait et s’amplifiait dans sa répétition : avec Géraldine mon frère se comportait comme avec Angélique, mais en pire. C’était comme s’il avait voulu l’aimer mais qu’il était, dans les faits inapte à mettre en pratique ce sentiment. Il buvait toujours plus, certain soir il vomissait dans l’appartement, il renversait les meubles. Les années passées il avait vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre ans et il s’est mis à l’alcool plus tôt dans la journée, d’abord au milieu de l’après-midi, sans occasion particulière, puis le matin. puis directement au réveil.
L’alcool devenait pour mon frère une maladie incontrôlable, et de plus en plus visible pour les autres.
(…)

Il était avec elles dans la chambre -alors moi qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mis entre lui et mes deux filles et je les ai protégées. J’étais allongée sur mes deux filles, pliée, comme une carapace de tortue, et ton frère il me tapait sur le dos comme s’il aurait voulu me le transpercer.

 Il me tapait tellement fort que mes filles elle sentait des coups à travers moi, elles me l’ont raconté le lendemain, elles m’ont dit maman On sentait ses poings à travers ton corps à toi.
 Un jour, dans la rue,
comme ça,
 sans raison, 
Il m’a mis une grosse claque dans la tête.
Mes lunettes de soleil,
elles ont volé par terre.
 Comme ça, en plein milieu de la rue.


Édition JC Lattès, 213 pages, août 20024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

L’auteure dans ce premier roman – le mot roman figure sur le dos du livre- raconte sa quête pour retrouver ses racines paternelles.

Virginia Tagvald est la fille du navigateur, Per Tangvald qui a été connu dans les années 70, pour plusieurs raisons : il naviguait sur un bateau sans aucun confort et uniquement à la voile, il a embarqué sa famille pour naviguer sur toutes les mers du globe, deux de ses femmes sont mortes en mer, et finalement, il mourra ainsi que sa deuxième fille en faisant naufrage sur les rochers de l’île de Bonaire au large du Venezuela . Son fils Thomas sera rescapé de ce naufrage mais lui aussi périra en mer beaucoup plus tard.

Elle dédie son livre à sa mère qui, dit-elle, l’a fait naître deux fois . Effectivement, en fuyant son mari, elle lui a permis de vivre.

Le roman va de personnages en personnages qui ont connu son père. Cela empêche le récit de trouver son unité et même parfois, on se demande ce que ces gens apportent à sa recherche, par exemple la rencontre avec Yvon Le Corre, ce navigateur a rencontré son père et a navigué sur le même genre de bateau uniquement à voile sans aucun confort, ni moteur, mais il n’apporte rien à son récit.

En réalité, je me suis empêchée pendant toute la lecture de penser que son père était un assassin et que je le détestais de toutes me forces. La mort de ses deux femmes est horrible et tellement bizarre, la première aurait été assassinée par des pirates mais qui n’ont rien volé sur son bateau et lui ont laissé la vie sauve ainsi qu’à son fils Thomas , quand à la deuxième, elle est passée par dessus bord sans savoir nager. Le voilà débarrasser de deux femmes qu’il avait obligé auparavant à accoucher en pleine mer sans aucune assistance ! enfin son naufrage avec à son bord sa petite fille enfermée à clé dans un cabine à l’avant de son bateau , il traînait derrière lui le petit bateau de son fils Thomas qui aurait dû lui aussi périr, il survivra mais sera marqué par ce drame, n’oublions pas qu’il avait déjà vécu la mort de sa mère.

Ce que je ne comprends pas, dans son récit c’est pourquoi elle n’interroge pas plus sa mère : la seule personne que j’aurais eu envie d’entendre.

J’ai eu beaucoup de mal à m’intéresser à Per Tangvald, je comprends l’envie de sa fille de mieux connaître son père et de ne pas le juger, mais rester ainsi entre deux eaux sans prendre partie enlève beaucoup de force à son propos. Je me sentais tellement en colère contre son père qui profite de son beau physique d’homme du nord et ses qualités de navigateurs pour séduire des jeunes femmes. Toutes les femmes qui ont eu des bébés doivent me comprendre, comment peut on ne pas tout faire pour que les femmes qu’on aime accouchent dans les meilleures conditions possibles ? Le navigateur va les entraîner au milieu de l’océan où elles vont accoucher sans aucune aide si ce n’est la sienne, enfin, elles y survivront mas pas très longtemps .

Et puis comme toujours quand quelqu’un cherche la mort et entraîne ses enfants avec lui, cela me révolte au plus profond de moi, son naufrage final ressemble beaucoup plus à un suicide qu’à un accident.

En écrivant ce billet je me rends compte que j’aurais voulu que sa fille se révolte contre l’image du navigateur solitaire, beau comme un viking. Il y a trop de morts autour de cet homme ! Et si les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, une accumulation de malheurs non plus !

 

Extraits

Début

Bonaire , côte est de l’île, juillet 1991
 Crabe bleu, visqueux et luisant, campé sur les rochers. Les enfants l’ont vu, ils s’approchent lentement. Ils sont trois. Le corail est tranchant comme un poignard. Il suffit de l’effleurer pour saigner. Il veille à ne pas se couper. Le corail est mort depuis longtemps ; des squelettes blancs et friables, les bras tendus vers le ciel comme s’ils ne savaient pas qu’ils étaient morts. Il craque sous les pas des enfants, leurs éclats roulant en cascade avec un tintement de clochette. Le crabe déguerpit et disparaît dans les crevasses. 
Le rire des enfants se mêlent au vent.

Le malheur : hasard ou pas ?

Comment sa destinée a basculé ensuite, quand, en route vers l’Australie, le long de la côte de Bornéo, sa femme et mère de leur enfant, Thomas, avait été assassinée par des pirates. Comment il avait perdu une deuxième épouse en mer en 1985, tombée par-dessus bord pendant une traversée de l’Atlantique. Ne sachant pas nager, elle avait disparu dans les flots. C’était la mère de Carmen.

La vérité ?

Avant de quitter le port en direction du Venezuela en passant par Porto Rico pour récupérer son fils, Peter avait demandé à Garry de l’aider à hisser la grand-voile pour partir. Il avait refusé, estimant que s’il était trop faible pour hisser la grand-voile, il serait trop faible pour naviguer avec un enfant de 8 ans enfermé dans la cabine avant. Peter fut aidé par d’autres marins qui en frissonnent encore quand ils en parlent. « Pauvre enfant », disaient-ils. Tous savaient qu’elle allait mourir. Depuis Gary était hantée par la culpabilité d’avoir abandonné cette petite fille à son sort. Honteux, il faisait tout pour conjurer le souvenir de ce monstre de Tangvald.
 En apprenant l’identité de Thomas Tangvald, il avait conclu que Thomas ne s’était jamais libéré de la cabine de son enfance. Que cette prison, il la portait partout avec lui.

La deuxième naissance de l’écrivaine.

 Mon père nous implorait de revenir. Il ne supportait pas qu’on puisse lui échapper.
 Ma mère l’avait quitté sur un coup de tête, sans le prévenir, à Porto Rico, quand j’avais 2 ans. Elle avait appelé sa propre mère depuis une cabine téléphonique pour lui demander d’acheter un billet d’avion et avait sauté dans le premier vol vers Toronto pour la rejoindre. Elles étaient déjà loin quand mon père comprit qu’elle était partie. Elle n’aimait pas cette ville. Elle répétait qu’on en partirait bientôt, quand elle saurait où elle aimerait vivre et ceux qu’elle aimerait faire de sa vie. Elle avait vingt-deux ans.

 


Édition Flammarion, 252 pages, août 2024. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un roman qui a failli être un coup de cœur, et puis à la réflexion certaines critiques m’empêchent d’être totalement enthousiaste.

Voici le sujet du roman : une jeune femme, Agnès, élevée dans une famille catholique traditionnelle après des études, d’abord au Lycée à La Légion d’Honneur, puis de lettres à l’université, trouve son mari au bal du Triomphe à Saint Cyr. Un beau mariage qui doit donc se concrétiser par une famille nombreuse. Catastrophe ! la naissance ne vient pas, et cette jeune femme engagée dans le mouvement anti-IVG, souffre de sa stérilité. Elle suivra son mari dans ses différentes affectations militaires , le roman prend une tournure particulière au Sénégal, où elle rencontre un certain Pierre dont elle tombera amoureuse sans pour autant tromper son beau militaire. On a vraiment toutes les images de ces familles, les naissances qui se succèdent, la mort d’un enfant vécu comme un cadeau de Dieu, les mariages dans les demeures de famille, les vacances en tribu à Saint Lunaire …
De militante anti- IVG elle va radicalement évoluer, et elle va peu à peu détester son mari et ira vers des péchés qui seront bien difficiles à avouer pour une catholique convaincue. D’où cette confession puisque c’est la forme qu’a choisie l’écrivaine pour nous raconter cette histoire.

Ce qui est vraiment très bien raconté et qui est un vrai scandale, c’est ce que font les catholiques anti IVG : ils s’arrangent pour que des jeunes femmes qui veulent avorter tombent sur leur site et grâce à leur technique de persuasion , ils réussissent au moins à mettre ses femmes très mal à l’aise. Cette pratique était tellement répandue qu’il a fallu faire une loi pour l’interdire. Agnès est particulièrement douée et elle décrit comment elle est à peu près certaine d’avoir réussi à changer les décisions de certaines femmes.

Mais voici ce qui m’empêche de me sentir très bien dans ce roman, la critique de ce milieu est si facile, on a l’impression de si bien les connaître. Tous les étés, je les vois occuper les villas de leurs famille autour de chez moi, et remplir l’église de Saint Énogat le dimanche midi, je m’amuse de toutes les petites filles avec un cerceau sur la tête, les garçons en bermuda et pull marin … (Dans le roman, la famille se retrouve dans une villa à saint Lunaire à 5 kilomètres de Dinard, cela m’a fait sourire !) . Je sais aussi qu’elles ont défilé en famille à la manif contre le mariage pour tous, qu’elles se sont retrouvé derrière Zemmour et son mouvement reconquête. Mais je sais aussi que derrière cette belle façade d’unanimité se cache bien des fêlures et aussi parfois de richesses humaines. Mais surtout ce qui me gène c’est l’évolution brutale du personnage principal, j’ai beaucoup de mal à croire à son premier revirement quand à la fin, elle est tellement évidente ! Alors à ce moment là, il me manque une dimension : que va devenir la foi catholique d’Agnès dans sa vie actuelle. C’est vraiment le sujet qui m’aurait intéressée comment garder sa foi chrétienne ou autre dans tous les drames de la vie moderne . Le personnage principal pourrait perdre ou garder sa foi, mais pour moi elle devait expliquer à ses lecteurs que va-t-elle faire aujourd’hui avec son Dieu.

 

Extrait.

 

Début.

 Vous avez l’air étonné que je sois revenue. Moi aussi. Après tout, je n’ai pas besoin de vous pour recevoir ma pénitence. Jusqu’au bout, j’ai hésité à faire demi tour. Il y avait un homme effrayant en bas des marches. Il n’était pas là, la première fois ou bien étais-je trop bouleversée pour le remarquer. Entortillé dans son sac de couchage, affalé sur un carton, il avait l’air de dormir – et puis il s’est redressé d’un coup en m’entendant approcher. J’ai vu ses yeux luisants au fond de ses orbites, ses traits émaciés sous la capuche qui enserrait comme un linceul son visage mangé par la barbe. J’ai eu peur. Le temps que j’arrive à sa hauteur, il a sorti son bras pour me tendre une main calleuse aux longs ongles noircis.
 On m’a appris à donner aux pauvres, on m’a appris qu’il le fallait, du moins – le nécessiteux, le mendiant en haillons, figurait souvent parmi les personnages que convoquait maman dans les saynètes de la vie quotidienne avec lesquelles elle essayait de nous édifier dans les salles d’attente où sur les bouchons de l’autoroute des vacances. Elle appelait ça le jeu de l’ange et du démon.

 Le Triomphe .

« Le Triomphe ». Le mot courait sur toutes les lèvres et il désignait autant un lieu qu’une tradition, une date, immuable figée, Aussi indiscutable que l’évènement historique qu’elle commémorait, à la fois point de départ et destination, origine et avènement, le « Triomphe », une sorte de métonymie, ou bien de synecdoque, je ne sais plus, j’ai beau avoir une licence de lettres modernes, je m’y perds, dans les figures de style – le Triomphe nous attendait à la fin du lycée, plus solennel encore que le bac ou le premier bulletin dans l’urne, et sa simple évocation suffisait à nous donner des envies de robe, de bustier, de taille de guêpe, de virginales perles aux oreilles.

Mort d’un enfant.

 Il n’est pas bien vu de s’apitoyer sur son sort chez nous. Au contraire, la mort de Pilou a toujours été présentée comme un jalon sur le chemin spirituel de mes parents une chance -un cadeau. Quand mon père est invité à témoigner pendant les cessions d’été de la communauté de l’Emmanuel à Paray-le-Monial, qu’il monte sur la scène en faisant « allô allô » dans le micro et que son image agrandie, ses épaules voûtées, son coup de vautour, se retrouvent à occuper les quatre mètres carré de l’écran géant derrière lui, il finit toujours par dire que la perte de son seul fils l’a replongé dans l’eau vive, que c’est quand Pilou a été rappelé auprès de son créateur qu’il a décidé que sa foi devait orienter sa vie professionnelle, et non l’inverse. 

Regard des autres sur son ventre stérile .

Puis ma belle-famille m’a rejointe et j’ai dû encaisser leurs coups d’œil inquisiteur. Après plusieurs années à porter en public des vêtements près du corps, j’ai appris en grossissant au Sénégal à fermer le regard de mes interlocuteurs afin de les empêcher de s’aventurer sur ma taille incertaine et d’en tirer des conclusions erronées. Me suis entraînée à enfouir mes yeux dans les leurs et à ne pas les lâcher. 

Son portrait.

 On m’a toujours répété que la beauté de de la femme est intérieure, que c’est Dieu en nous qui est beau. Qu’est-ce que qui reste, alors une fois qu’il est parti ? Une bonne femme ingrate en uniforme marine et beige, qui affiche dix ans de plus que son âge et implore gauchement l’asile en poussant la porte carillonnante d’un institut de beauté ?

 


Édition Albin Michel, 328 pages, mai 2024.

 

 

Les fils sont là pour continuer les pères.

Le père de Thibault de Montaigu va mourir et son fils lui offre ce roman, l’écrivain va le faire revivre pour ses lecteurs. Son père est un personnage odieux, brillant mais odieux. Il aurait pu gagner correctement sa vie mais il s’est lancé dans des affaires qui ont toujours fait faillite, et il n’a vécu que grâce aux femmes. C’est un séducteur hors pair et même à la fin de sa vie il séduira une femme remarquable qui l’accompagnera tout au long de la fin de sa vie. Son père demande à son fils aîné écrivain, notre narrateur, de raconter l’histoire de Louis l’aïeul qui est mort à la guerre 14/18, suite à une charge sabre au clair.

La recherche de la vérité sur ce glorieux soldat va permettre à l’écrivain de mieux comprendre l’ensemble de sa famille . Il mettra du temps à comprendre le passé de Louis, qui a raté l’entrée de Saint Cyr , un peu comme son père a raté les grandes écoles. Brillant mais méprisant le travail des laborieux. Louis réussira à revenir dans les cadres de l’armée mais par la petite porte et grâce à ses talents de cavalier. Mais il partira de l’armée pour en revenir juste avant la guerre. On découvrira que lui aussi a fait de mauvaises affaires, et sa charge sabre au clair n’est peut être pas une simple preuve de bravoure. Le courage des femmes dans cette famille est incroyable, elles sont souvent riches mais leur richesse est engloutie dans la volonté de gloire des Montaigu .

Notre narrateur est fragile, il est à la recherche de la reconnaissance de son père, et même s’il est capable de voir tous les défauts de son père il ne peut pas s’empêcher de l’aimer et d’admirer son courage face à la maladie et la mort.

Le livre se lit facilement , on y retrouve l’analyse des aristocrates pauvres mais « glorieux » . J’ai souri de ce descendant de de la famille de sa mère : Hubert Parent du Châtelet, qui vit dans un lotissement à côté de Châteaubriant dans une petite maison, dans laquelle une énorme cheminée occupe trop de place dans un petit salon. La raison  : ce Hubert a fait construire cette maison autour d’une plaque de fonte avec les armes de la famille Choiseul dont il descend …

J’ai souvent souri, j’ai détesté son père, j’ai souvent trouvé que son fils n’avait pas la dent assez dure pour ce personnage, mais j’ai bien aimé cet amour filial. J’ai été sensible par l’authenticité de la démarche de cet écrivain, je le crois sincère. Le jour où j’écris ce billet je vois que ce roman a obtenu le prix « interallié » , il trouvera donc son public et cela ne m’étonne pas.

 

Extraits

Début.

 À chaque fois, que je pousse la porte je me demande si mon père n’est pas mort. Il est toujours assis au même endroit, sur son fauteuil au ressort effondré dont le faux cuir, déchiré çà et là laisse s’échapper des étoupes de coton . Tête baissée, le visage atone, ses beaux yeux bleus perdus dans le vague, il n’esquisse pas un geste. Pas même un clignement. Dans la pièce en désordre, un vieux poste gris à molette résonne à tue-tête et je dois répéter à plusieurs reprises « salut Papa, c’est moi. Papa ? » Pour qu’enfin un frisson parcoure ce masque aux minces cheveux blancs peignés en arrière. Ses lèvres se tordent, sa pupille s’affole tandis que d’une main il tâtonne en direction de la radio pour l’éteindre.
 » Il y a quelqu’un ? demande il d’une voix incertaine.
– Oui, Papa. C’est moi Thibault.
– C’est Thibault ?
– Oui ton fils aîné.
– Ah Thibault. C’est sympa de venir voir ton vieux père. Tu m’oublies, tu sais ? »

Mort de Péguy.

 Pour éviter un massacre, Péguy commande à ses hommes de se coucher et de faire feu à volonté tandis qu’il reste debout, jumelle aux yeux à diriger le tir et à haranguer ses troupes, arpentant la ligne de ses tirailleurs dans une attitude de défi. Rien ne semble pouvoir calmer sa ferveur, sauf la mort qui vient se loger soudain dans son crâne sous la forme une balle de Mauser. « Ah mon Dieu … mes enfants… » lâche-t-il avant de s’écrouler. Il tombe en héros. « Mais n’est-ce pas ce qu’il désirait secrètement ? » se demanderont certains après coup. Une manière de quitter en beauté ce monde dont il désespérait ? De retrouver dans la mort la grandeur est le sacré dont la vie moderne soumise à la technique et l’argent était privée ? Ou encore de se consoler de son amour impossible pour cette jeune agrégée d’anglais, Blanche Raphaël, alors que lui-même est marié, et demeure fidèle à une femme qu’il n’aime pas ?

Père et fils de 10 ans a reçu la croix de guerre à la place de son père mort.

 De toute évidence, cette histoire n’est pas seulement celle de Louis et de Hubert, mais aussi celle de mon père et de moi-même et de bien d’autres peut-être. C’est la même histoire depuis la nuit des temps et elle tient en une seule phrase que l’auteur de la leçon de français a placé en exergue : « Les fils sont là pour continuer les pères. »
Tâche écrasante. Tâche impossible évidemment. Car les pères sont des mythes auxquels les fils un jour ou l’hôte cesseront de croire. Les pères n’existent pas. Et Hubert, du haut de ses dix ans le pressent déjà. Il reçoit la croix de guerre à la place d’un disparu, mais comment prendre la place d’un être qui réside hors hors de ce monde, au royaume du souvenir et de la légende ? Comment mettre ses pas dans ceux d’un mort ?

L’art équestre et l’écriture .

 Donner l’impression qu’on ne fournit aucun effort, comme si son cheval se mouvait de lui-même. Là est tout l’art. C’est peut-être la quintessence du style français, résumé par L’Hotte, et qui vaut aussi bien en équitation que dans les arts : gommer le travail, cultiver le naturel, faire paraître simple et aisé ce qui nous a coûté des jours et des jours de labeur forcené.
Ainsi aimerais-je écrire ce livre en tout cas.
Calme, en avant, et droit.

Toasts des cavaliers de Saumur .

« À nos chevaux, à nos femmes et à ceux qui les montent. « 

La quête des ancêtres .

 Mais n’est-ce pas le cas pour nous tous ? Quand on part sur les traces de ses ancêtres, on ne remonte pas le temps en réalité. On ne revient pas en arrière. On fait voile vers notre avenir. Vers le lieu où réside une part inexplorée de nous-même. L’histoire que nous écrivons a déjà été écrite sous une autre forme, et notre vie loin d’être une page blanche, ressemble à un palimpseste que chaque génération à tour de rôle efface et recommence. Ce qui va arriver existe déjà. Et ce qui a existé nous arrivera. On peut prédire aujourd’hui la survenue de maladie grâce à notre ADN, car nos corps ne sont que des recombinaisons génétique des corps qui nous ont précédés. De même pour nos âmes. Elles sont un amalgame – différent pour chacun- d’éléments qui ont déjà existé chez nos ancêtres. Nos âmes nous précèdent en quelque sorte. Et pourtant elle nous demeurent inconnues. Voilà le voyage auquel chacun dans une vie est appelé.