Tableau d’Emmanuel Witte : La femme à l’épinette sujet du livre

 


 

Un très court roman de cette auteure que j’aime beaucoup. Elle a scruté ce tableau pour comprendre cette femme que l’on ne voit que de dos. Je regarde souvent un tableau en essayant de faire revivre cette autre femme :

Je pense qu’il s’agit d’une femme de pêcheur qui sourit car la mer ne lui a pas pris, cette fois encore, l’homme qui ramène les poissons du jour.

 

Édition j’ai lu 

Gaëlle Josse en sait plus que moi sur la femme à l’épinette son nom : Magdalena Von Beyeren l’épouse de l’administrateur de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales, il fallait beaucoup d’argent pour commander et payer un tableau d’Emmanuel De Witte. Avec tout le talent qu’on connait à cette auteure, elle nous fait revivre la vie d’une femme de 1667 en Hollande. elle imagine que cette femme aurait bien voulu avoir une autre vie que celle d’épouse d’un administrateur des Indes et être Administatrice . Malheureusement à cette époque les femmes n’avaient pas d’autres choix que d’être fille, épouse et mère. Pourtant penchée sur son épinette quels rêves pouvaient bien avoir cette femme ? Gaëlle Josse lui a donné vie et c’est, encore une fois, bien agréable à lire car elle le fait avec un style très agréable à lire. Mais je pense que c’est un petit roman qui s’oublie assez vite

Citations

Toujours vrai et bien dit

Je n’ai pas de goût pour les confidences que s’échangent les femmes entre elles. Trop souvent, on voit le secret de l’une, sitôt franchi ses lèvres, porté à la connaissance des autres. Il devient leur jouet et elles en disposent à leur guise. Ce ne sont que broderies et arabesques, chacune y ajoute ses motifs et ses couleurs, et la réalité de l’affaire disparaît sous les ornements.

La Hollande

L’ordre, la mesure et le travail sont des remparts contre les embarras de l’existence. C’est ce qu’on nous apprend dès l’enfance. Vanité de croire cela. Chaque jour qui passe me rappelle, si besoin était, que la conduite d’une vie n’est en rien semblable à celle d’un stock d’épices ou de porcelaine.
 Ce que nous tentons de bâtir autour de nous ressemble aux digues que les hommes construisent pour empêcher la mer de nous submerger. Ce sont des édifices fragiles dont se jouent les éléments. Elles restent toujours à consolider ou à refaire. Le cœur des hommes est d’une moindre résistance, je le crains.

Édition Notabilia

 

J’ai beaucoup aimé son précédent roman « Le dernier gardien D’Ellis-Island » . J’apprécie beaucoup l’écriture de cette romancière entre poésie et narration. Elle décrit ici, le chagrin d’une mère qui n’a pas su retenir son fils Louis auprès d’elle. Mariée trop jeune avec un marin pêcheur, et veuve quelques années plus tard, elle accepte de devenir la femme du pharmacien du village qui lui promet d’aimer son fils. Hélas ! il ne saura pas être un père de substitution et il sera même violent avec Louis qui s’enfuira pour devenir marin comme son père. Rongée par la culpabilité et la souffrance Anne ne se remettra jamais de ce départ. Elle l’attend, elle ne peut plus faire que cela, même si elle remplit aussi son rôle de femme et de mère avec les enfants qu’elle a eus de son second mariage. Dans sa petite maison, proche de la grève, elle invente le festin qu’elle cuisinera pour son fils quand il lui reviendra.

À travers son chagrin, on revit la vie de cette femme simple et courageuse. Née dans une famille pauvre dans les années 1930, Anna est élevée à la paire de claques et sans amour. Elle se marie très vite et très vite a un fils Louis. Ce roman met en lumière des faits de guerre dont je n’avais jamais entendu parler : Anna est veuve pendant la guerre parce que son mari est parti pêcher alors que la Grande-Bretagne avait averti qu’elle coulerait tous les bateaux afin que l’occupant allemand ne puisse pas se nourrir des produits de la mer. Elle doit travailler à l’usine de conserves de sardines (je me suis demandée comment cette usine avait des poissons si la pêche était interdite !), elle vit la guerre dans la terreur et l’après guerre ne lui apporte que peu de joies jusqu’à l’arrivée d’Etienne qui lui déclare son amour et en fait sa femme. J’avoue avoir été très triste par la fin du roman tellement injuste ! Un beau roman dont l’écriture saisit le lecteur jusqu’à la dernière ligne.

 

Citations

Paroles de l’impossible réconfort

« Une fugue, ça arrive, vous savez, Madame, c’est un adolescent un peu difficile, dites-vous, mais il va sûrement revenir. Il est mineur, il n’a pas d’argent, où voulez-vous qu’il aille ? »
 Je n’ai pu que hocher la tête pour approuver ces paroles que j’aimerais tant croire, mais ce ne sont que les mots usés, épuisés, rapiécés, de l’impossible réconfort.

L’école pour une enfant misérable avant guerre

 On me trouvait sauvage , rebelle , alors qu un mot , un geste aurait suffi affaires céder toute cette tension qui me dévorait . J’étais lasse des moqueries des autres élèves, pour mes affaires oubliées, perdues ou cassées, pour ma blouse tachée ou déchirée, lasse des punitions. J’aimais apprendre, j’aimais lire surtout, j’aurais voulu des journées entières passées à vivre d’autres vies que la mienne, mais je haïssais l’école, tout autant que je désirais fuir un foyer ou seul des brutalité m’attendaient. Oui, fuir,mais où ?

Adolescence

Seize ans, le temps de tous les tourments, des désordres, des élans , des questions, des violences contenues qu’un mot heureux pourrait apaiser, des fragilités qui n’attendent qu’une main aimante. L’âge où tout est prêt à s’embraser, à s’envoler ou à s’abîmer. Je le sais, je suis passé par là. Les grandes marées du cœur. Louis a épousé la rage, la déception, la colère, et aussi une peine qu’il ne voulait pas s’avouer, face à tant d’inconnus qu’il découvrait en lui. Il faut du temps pour se déchiffrer à ses propres yeux. Son enfance a pris fin depuis longtemps, il ne reste une béance, celle de l’absence de son père, que je suis impuissante à combler.

Je ne savais pas cela

C’est la Royal Air Force qui avait bombardé le chalutier. Pour les Anglais, depuis le début de la guerre, depuis qu’en juin 1940 les Allemands étaient arrivés jusqu’en Bretagne, l’objectif était simple : il ne fallait pas nourrir l’ennemi. Alors, plus de pêche, ou si peu, pour affamer l’armée d’occupation. À tout prix. Londres y veillait, Churchill s’était montré intraitable. Intérêt supérieur des nations entendions nous. Les restrictions, les interdictions pleuvait sur les bateaux de pêche. Puis les avertissements, les intimidations, les menaces. Les sommations. Les tirs. Les bombes. Les mouillages de mines par les sous-marins. La guerre.

Édition de l’Olivier

Je pensais avoir déjà mis des romans de cet auteur sur mon blog mais puisque je ne l’ai pas encore fait, je vais commencer par celui-là qui a eu le grand mérite de m’occuper pendant deux jours pendant cette horrible période de confinement au printemps 2020. Nous sommes en 2008, et le narrateur un Paul Stern qui doit avoir quelques points communs avec l’auteur, est accablé par une famille assez lourde. Son oncle Charles et son père se détestent. Son père a formé avec sa mère un couple traditionnel, catholique très conservateur qui a un peu étouffé leur fils unique Paul. Le père a eu bien des déboires financiers et a mené une vie assez étriquée, Charles est tout le contraire, il est très riche, vit avec une femme sans être marié qu’il appelle John-Johnny et a de nombreuses maîtresses. Il cherche par tous les moyens à écraser son frère en particulier en achetant des bateaux à moteur très puissants. Ce frère meurt, et le père du narrateur hérite et avoue à son fils qu’il n’a jamais eu la foi et qu’il n’a jamais aimé sa femme… Dans sa propre famille Paul ne comprend pas pourquoi sa femme Anna est dépressive au point de ne plus avoir envie de rien et de dormir toute la journée. En revanche, ses trois enfants ont l’air d’aller bien. Paul Stern part une année à Los Angeles pour rédiger le script d’un film tiré d’un mauvais film français. L’intérêt du roman vient de la peinture du monde de Los Angeles, d’Hollywood exactement et c’est vraiment terrible de voir comment ce grand pays maltraite sa population vieillissante et pauvre. Evidemment la peur de vieillir est encore plus terrible pour les acteurs. Son année aux US est ponctuée par les coups de fils de son père qui n’arrive pas à se mettre dans la tête le décalage horaire, et l’on voit cet homme que son fils a connu toute sa vie très coincé se lâcher dans les plaisirs du sexe et de l’argent. Paul reviendra en France et retrouvera une Anna plus en forme et on l’espère pour lui, une vie familiale plus épanouie.

Il manque de la profondeur à ce roman, en particulier sur les malaises de sa propre famille. On a aucune explication au mal-être d’Anna mais ce n’est sans doute pas ce que voulait faire l’auteur. En revanche l’auteur ne manque pas d’humour et son livre est riche d’impressions hélas trop justes sur l’envers du décor de la réussite américaine.

 

Citations

Ambiance dès le début du roman

Pour autant qu’il m’en souvienne, je n’ai jamais vu vivre ces deux hommes autrement que dans l’exécration et le conflit. Mon oncle, propriétaire de biens, installé à Paris – en outre le seul individu que j’ai connu à posséder un portefeuille en velours pourpre-, tenait son frère pour un velléitaire envieux, un raté oxydé par la province et l’aigreur, tandis que mon père, lorsqu’il évoquait les frasques de son aîné, commençait inévitablement par cette phrase : »Le sauteur s’est encore fait remarquer. » Ce terme désuet était assez approprié à l’univers des frères Stern.

Les deux frères

À quai, les frères s’épiaient . Quand l’un larguait les amarres, l’autre, en général Charles, le suivait précipitamment. À la sortie du chenal, le rituel était toujours le même : mon père calait son régime moteur à 1800 tours par minute – ce qui lui garantissait une consommation horaire d’un litre et demi de gas-oil- et sa ligne sur un cap à l’ouest tandis que son frère derrière lui, lançait ses turbines rugissantes. Au moment où il était dépassé sur bâbord, mon père s’efforçait de demeurer impavide dans la gerbe d’écume, n’adressant pas même un regard à l’énergumène qui envoyait son bateau ballotter dans tous les sens, ce chauffard des mers qu’il ne connaissait que trop.

Portrait d un acteur

 Il faut s’aider de la beauté nébuleuse caractéristique de ces médiocres acteurs dont on ne se rappelle jamais le nom. Il était à l’âge charnière où l’on pouvait encore deviner l’enfant imbuvable qu’il avait été et voir déjà le sale con qu’il s’apprêtait à devenir.

Ce roman date de 2008 mais ce qu’il décrit est encore vrai aujourd’hui.

Il ne rejoindrait pas la cohorte de ces retraités qui se rendaient à leur travail à l’heure où, le soir, je rentrais chez moi. On ne dit pas assez la violence extrême et quotidienne que ce pays inflige à ses ressortissants, aux plus pauvres, aux plus faibles d’entre eux. Pour survivre, payer le loyer et leurs soins médicaux, un nombre croissant d’hommes et de femmes cumule deux emplois. Le jour ils embauchent dans des supermarché ou des compagnies de nettoyage et, la nuit les hommes gardent des parkings tandis que les femmes servent dans les « diners » ouverts vingt quatre heures sur vingt quatre. La ville, le pays tout entier usent ses vieux jusqu’à la corde, puis les jettent à la rue quand ils n’ont plus les moyens de se payer un logement.

Je trouve cela très vrai :

Et je m’étais lancé dans le récit d’un scénario que j’improvisais et modelais tout en le racontant. Ce n’était pas la première fois que je le constatais , mais cela me surprenait chaque fois : l’esprit n’est qu’une matière inerte, un moteur découplé. Pour fonctionner il lui faut un carburant terriblement volatil et précieux : le désir.

Le re-mariage de son père avec la concubine de son propre frère

Je vis surgir mon père dans un costume beurre frais, sans doute taillé pour Maurice Chevalier, canotier compris, s’avancer vers le Maire au bras d’une femme sans doute séduisante, mais moulée dans une robe de taffetas blanc aux lignes emberlificotées qui mouraient vers l’arrière en une esquisse de traîne timidement inachevée. Françoise-Johnny portait un chapeau de la même matière, l’une de ces choses effrayantes que l’on ne voit plus que sur certains hippodromes britanniques, et qui retombait sur ses épaules à la façon d’un col de cygne mort. Je me demandais si c’était l’amour ou l’âge qui rendait à ce point fou. À moins que ce ne fût les deux.

Un milliardaire américain

Pourquoi les milliardaires adoptaient-il toujours le mauvais goût des empereurs et éprouvaient-ils le besoin irrépressible, d’enluminer, de dorer ce qui déjà suintait l’argent ? J’ignorais à partir de quelle quantité de diéthylamide d’acide lysergique (LSD) ce décor de péplum devenait acceptable, mais pour un promeneur néophyte il était une constante irritation oculaire. Même si, dans son genre, Ames n’était sans doute pas le pire. Pour un homme réputé compliqué, il aimait plutôt les choses simples, les colonnes hellènes, un horizon de marbre, des moulures à palmettes, les plafonds sixtiniens, un mobilier emperlouzés,des portes sculptées aux poignées poinçonnées.

Humour

Tu sais comment je l’appelle ? Forrest Gump. Parce qu’il passe la moitié du temps à courir pour se maintenir en forme et l’autre à galoper pour échapper à sa femme. C’est ça, je baise avec Forrest Gump.

Le golf

Alors ce golf ?
– Je ne sais pas jouer. Ce n’est vraiment pas mon sport.
– Qu’est-ce que vous me dites là ? Le golf n’est le sport de personnes, Paul. Les types qui le pratiquent l’ont choisi par défaut, parce qu’ils ont échoué dans d’autres disciplines par manque de vitesse, d’adresse, d’endurance de force. Le golfeur dissimule une petite infirmité, c’est pour ça qu’il fait son parcours en voiturette électrique.

LOS Angeles

Elle incarnait toute la pensée désaxée de ce pays, cette espèce de religiosité spongieuse, de verroterie spirituelle, de macédoine sociale, avec des pauvres pour ramasser les merdes des chiens, des vieux pour garer des voitures, Edwards pour livrer des pizzas, un remède de cheval pour calmer Efrain et des champignons pour guérir les angoisses vertébrale, C4 C5 incluses. Ce pays était une secte, avec ses rites économiques et ses gourous fanatiques.

Un roman qui ne vous apprendra pas grand chose ni sur la spoliation des biens juifs, ni sur la romancière qui met en scène sa propre famille. Elle est la petite fille de Jules Strauss qui fut un des plus grand collectionneur d’œuvres d’art parisien du début du XX° siècle.

Par pudeur sans doute, elle ne s’étend que très peu sur les souffrances de cette famille. Je pense que, comme moi, elle a entendu parfois « Ah, encore une histoire de juifs pendant la guerre » et qu’elle n’a pas voulu insister. Je comprends et c’est compliqué aujourd’hui d’écrire sur ce sujet mais il m’a manqué quelque chose dans cette quête . Une âme je crois, celle qu’on sent dans le regard de cet homme : Jules Strauss.

En revanche vous apprendrez beaucoup de choses sur la difficulté d’obtenir la restitution de biens spoliés (essentiellement aux familles juives) par les nazis et autres comparses pendant la guerre . – À ce propos , j’ai regardé le film « Rue Lauriston » avec Michel Blanc, c’est un film remarquable tous les acteurs sont excellents et on comprend tellement bien la façon dont on traitait le juifs et leurs biens ! et ici il s’agit de Français !- . C’est incroyable ce que Pauline Baer de Pérignon est amenée à faire pour récupérer un seul des dessins ayant appartenu à son grand père . On pourrait penser que cette seule photo pourrait faire la preuve que Jules Strauss avait bien une collection digne des musées et que tout le monde allait aider sa petite fille à retrouver une partie des biens, loin s’en faut !

Cet aspect du roman est passionnant , c’est d’ailleurs ce qui a plu à Aifelle . On peut en effet se douter que si la famille ne possède plus aucun tableau de cette superbe collection c’est que les grands parents de Pauline Baer de Pérignon ont été « contraints » de vendre. Et vous savez quoi ? Où dormait le dessin pour lequel, au bout de trois ans d’investigation, la preuve de la spoliation ne fera aucun doute ? Au Louvre dans les réserves. On peut se dire que la famille ne l’avait pas réclamé mais c’est faux sa grand-mère avait monté un dossier tout de suite après la guerre. En vain ! L’administration française n’a RIEN fait pour les aider, plus grave en réalité beaucoup de gens savaient que la provenance du dessin était douteuse mais rien n’était entrepris pour retrouver sa provenance alors que ce n’était pas très compliqué pour le Louvre de le faire ou au moins essayer !

On est loin de la belle figure de Rose Valland qui pendant la guerre a noté tous les biens volés aux juifs qui étaient entreposés au Musée du Jeu de Paume

Citation

Un fait que j’avais oublié

Avant même d’envahir la France, les Allemands ont établi la liste des collections d’art importantes, il connaissait Jules par ses deux ventes de 1902 et 1932. Tout grand collectionneur juif pendant la guerre figurait sur les listes de le ERR, l’Einsatzab Reichsleiter Rosenberg, l’organisation dirigée par l’idéologue du parti nazi Alfred Rosenberg, qui a été jugé et exécuté à Nuremberg. C’est lui qui a organisé les confiscation des œuvre d’art appartenant aux grandes collections juives dans les territoires occupés à partir de juillet 1940 à Paris environ vingt-deux mille objets ont été saisies pendant la guerre
L’ERR est installée au Jeu de Paume, où transitent les œuvres pillées avant d’être envoyées en Allemagne. Je découvre l’existence de Rose Valland, qui devient mon héroïne. Attachée de conservation au Jeu de Paume, prétendant ne pas comprendre un mot d’allemand, elle note tout des vols d’œuvre d’art. Elle consigne les nombreuses visites de Goering venu faire son choix, et les envoie en Allemagne. Rose Valland parvient ainsi à établir l’inventaire détaillé des œuvres transférées et leur déplacement de 1940 à 1944. Son action de résistance permet la récupération après guerre d’un nombre important d’œuvres spoliés. Devenu alors membre de la commission de récupération artistique, capitaine de la 1re Armée française, elle travaille avec les monuments Men à la récupération des œuvre et à la reconstitution de leur trajet

 

 

Édition Albin Michel

 

Si vous avez une idée positive de Karl Marx, c’est sûrement que vous avez été sensible aux analyses politico-philosophiques de ce « grand » homme, un peu moins, je suppose, des conséquences de ses « géniales idées ». Mais si vous voulez définitivement vous dégoûter de l’homme, lisez ce livre : Sébastien Spitzer, essaie de retrouver la trace du garçon illégitime de Karl Marx. En exil à Londres, celui-ci « engrosse » la bonne de cette étrange famille d’exilés. Il faut absolument cacher, voire faire disparaître cet enfant. Il vivra, mais aura une vie très misérable comme tous les pauvres anglais de cette époque . Le roman se déroule lors du séjour de la famille Marx en Angleterre, il y arrive en 1850. Nous voyons donc dans cette biographie de Freddy Evans, le fils caché de Marx les deux extrêmes de la société britannique. D’un côte la richesse, dont Engels est un digne représentant et le monde ouvrier qui peut à tout moment tomber dans une misère noire. Au milieu, la famille de Marx une famille d’exilés qui est assez originale, la femme de Marx, Jenny von Westphalen avec laquelle il s’était fiancé étudiant est issue de la noblesse rhénane, son frère aîné deviendra ministre de l’Intérieur de la Prusse au cours d’une des périodes les plus réactionnaires que connut ce pays. Il a un rôle important pour l’intrigue romanesque et dans le destin tragique de l’enfant caché. C’est parfois difficile de démêler la fiction de la réalité. Je pense que l’on peut se fier aux faits historiques, mais l’on sent que l’auteur est dégoûté par son personnage et il en fait un portrait à charge. Il faut dire que pour avoir de l’argent, Karl Marx était peu regardant sur l’origine des finances, peu lui importe par exemple que ce bon argent vienne des plantations esclavagistes du Sud des États-Unis. Derrière le grand homme se cacherait donc un jouisseur peu scrupuleux qui était prêt à tout pour mener une vie confortable sans rien faire d’autre qu’écrire et encore quand il y était poussé par sa femme. Engels est un personnage très ambigu, très riche bourgeois il dirige une usine de filature appartenant à son père, il épouse les thèses révolutionnaires qu’il finance tout en faisant beaucoup d’agent grâce au capitalisme libéral. C’est lui qui sera chargé de faire disparaître le « bâtard » mais il aura quelques difficultés à tuer ou faire tuer un bébé. C’est lui aussi qui entretient à grands frais la famille Marx sans aucune reconnaissance de ce dernier. Le point le plus intéressant du roman, c’est la description de la condition ouvrière en Angleterre, on est en plein dans du Dickens, un rien fait basculer des pans entiers de la population du côté des miséreux et de la famine.

Citations

La misère à Londres 1860

Les tanneurs de Bermondsey exigent une heure de pause. Ils triment quinze heures par jour dans l’odeur méphitique du sang chaud et du jus de tannée. Malte hausse les épaules. Les débats autour des horaires de travail, des temps de pause, de la semaine qui s’arrête le samedi et reprend le dimanche ou des salaires trop bas ne le concernent pas. Il en pâtit seulement. Il habite juste en face. Il les voit qui défilent, vociférant et réclamant. Il sait qu’il s’épuisent a demander l’impossible. Cela fait si longtemps que les injustices existent. Depuis que le monde est monde. Alors à quoi bon s’insurger ? Si seulement ils pouvaient s’écarter de sa route. Il ne peut rien pour eux.

Portrait de Karl Marx par la bonne qu’il a « engrossée »

C’est un vaurien, incapable de mettre un seul penny de côté. L’argent lui brûle les doigts. Il ne sait pas compter. Ni travailler d’ailleurs. Il a bouffé la dot et les dons de sa femme. Il accumule les dettes. C’est tout ce qu’il sait faire, réclamer de l’argent à ses amis. Et quand il refuse, il hurle comme un cochon qu’on saigne. Une bête, je vous dis ! Il fait ça même à sa mère. La pauvre femme. Henriette, qu’elle s’appelle. Il dit que sa mère le vole ! .Vous entendez ! Un homme de son âge qui dit que sa mère le vole ! Saleté de bon à rien ! Et après, c’est moi qui dois faire face au boucher, qui dois le supplier de me faire confiance, comme chez le boulanger ou le marchand de fruits aussi. Ça fait cossu d’avoir une employée. Ah oui ça. Ça fait riche. Mais ils n’ont rien. Que dalle. Que le nom de Madame, usé jusqu’à la corde. Un jour, quand il avait trop faim, il a envoyé une lettre d’embauche à une compagnie des chemins de fer. La première, en 10 ans. Pourtant, il a fait des études. Il est docteur. Faut qu’on l’appelle docteur.

L’argent et la vie d’ Engels et le style lapidaire de l’auteur

Engels paye d’une traite à tirer sur les comptes de l’usine. Le document est signé par lui et par son associé. Peter Ermen était rassuré en le paraphant ce matin. 
L’argent n’a pas d’odeur.
 Tant pis pour les esclaves des plantations du Sud.
Engels voit le document disparaître dans la poche de Dressner. Sa mère est immobile. Ses oiseaux sont figés. Et l’équation de Fourier lui revient à l’esprit, celle qu’il crachait l’été à la face des bourgeois, avec les deux sœurs au bras : deux vices font une vertu. Mary est morte si vite. Le coton le dégoûte. L’argent le dégoûte. Mais c’est un mal nécessaire pour la cause.

Le portrait de Marx (appelé le Maure) lors d’un repas chez Engels

– Je ne sais pas, répond le Maure en s’essuyant les lèvres. La peau de son ventre est tendu. Il a trop mangé. Il ne s’est pas retenu. Il en est incapable. Il a fallu qu’il dévore, tout, très vite comme s’il s’agissait du dernier repas de sa vie.
(Et la fin de la discussion)
-Que faire ? Demande Engels.
– Il faut que je voie avec les autres, ces crétins de choristes, les syndicalistes du Lancashire : Swingkhurst, Mowley et d’autres. 
– Et moi ?
– Toi Engels ? Tu finances ! Débrouille-toi pour trouver de l’argent. Il faudra plus d’argent. Beaucoup plus.

Le pacte sur Le dos de l’enfant illégitime de Karl Marx

. J’ai passé un pacte avec mon frère.
– un pacte ?
– Nous avons passé un accord pour les deux. Si l’existence de ce bâtard était révélé ce serait l’image de mon mari qui serait atteinte. 
Engels acquiesce, sans l’interrompre. 
Elle revient sur ce dîner avec son frère.
 C’était il y a quelques semaines, juste avant qu’ils ne débarquent ici, à Manchester, en famille. Ferdinand avait retrouvé Freddy.
 – Ferdinand est un homme intelligent. Au nom des Westfalen, il a accepté de ne rien dire de l’existence de cet enfant. Pour l’image de notre famille. Pour ma réputation. Il a renoncé ainsi à l’idée de nuire à Carl. Tu sais comme il le hait. Cela n’est pas nouveau. Cette histoire aurais pu lui causer du tort. L’enfant caché de Karl Marx. Son fils caché. Avec la bonne !
. Nous nous sommes mis d’accord, mon frère et moi. Je me suis engagée. Plus d’appel à la grève. Plus de drapeau rouge. Plus de menaces sur Londres ou Berlin ou je ne sais où. J’ai promis qu’il regagnerait son cabinet et se contenterait d’écrire. C’est pour ça que mon frère vous a fait suivre.

Je ne savais pas ça :

Comme des milliers des Irlandais, son oncle s’est engagé comme soldat puis sergent dans l’armée Yankee. Il a suivi les troupes nordistes tout le long de la guerre. Il a cru qu’à l’issue il aurait des terres, lui aussi. De bonnes terres prises aux ennemis sudistes. C’est ce qu’avait promis les colonels, les généraux et surtout le président. Le Nord l’a emporté le Nord a libéré les esclaves. Le Nord a remercié les engagés volontaires pour tout le sang versé. Puis les terres ont été remises aux anciens propriétaires, aux partisans des sudistes. Le Nord a offert quarante acres et une mule a quelques esclave affranchis. Il a offert quarante acres et une mule à ces milliers de conscrits, engagé malgré eux. Et quand il n’y a plus de mule, il a dit à tous les autres, les volontaires, les Irlandais, d’aller se faire foutre.

Souvent, le mercredi, je passe sur vos blogs pour dire que je lis peu, ou pas, de BD. Il m’arrive aussi de trouver des trésors comme « Le Chanteur Perdu » et cette fois, c’est moi qui vous suggère une lecture qui m’a beaucoup touchée. L’auteur a écrit cette BD car en peu de temps, il a dû faire face à l’Alzheimer de sa mère et à l’annonce de la trisomie de son fils :

À quelques mois d’intervalles, il me faut faire le deuil de la mère que j’avais connue et celui de l’enfant que j’avais attendu.

Morvandiau est rennais et cela a sûrement joué dans mon plaisir de lecture car c’est la ville où je suis née et où j’ai travaillé. Je reconnais bien les lieux qu’il décrit, j’apprécie qu’il ne fasse pas des dessins du Rennes touristique très connu mais plutôt des quartiers habités par les gens ordinaires, on sent que son œil de dessinateur est attiré par la transformation d’un quartier de petits pavillons avec jardin laissant la place à des immeubles. Morvandiau raconte ces années qui ont été douloureuses pour lui, il passe d’anecdotes de sa vie à l’expression de ses sentiments et de ses cauchemars, les réflexions des gens autour d’eux. Que de pudeur dans cette BD ! Il ne s’agit pas d’un récit linéaire, et c’est ce que j’ai aimé : par petites touches, Morvandiau nous fait participer à tout ce qui a fait sa vie.

Je vous laisse avec ma planche préférée, mais surtout ne croyez pas que cette BD ne raconte que cela : la vie d’Emile et de ses progrès, c’est toute une période de la vie de l’auteur dans tous ses aspects, enfin ceux que le dessin peut exprimer  :

 

 

Autant notre mémoire a été marquée par l’indépendance de l’Algérie autant celle du Maroc est beaucoup moins traitée par les écrivains. Tout semble se passer plus facilement au Maroc, et pourtant ! Voici un roman qui montre que ce pays a connu son lot de violences. Mais ce n’est pas l’unique intérêt de ce livre bien au contraire. L’auteure puise dans ses origines marocaine par son père et française par sa mère l’objet de son roman. Elle décrit de l’intérieur les difficultés d’un couple métissé en 1945 à Meknes et c’est passionnant. On comprend bien ce qui a motivé sa mère à suivre son amour ce beau marocain venu délivrer la France pendant la seconde guerre mondiale. On comprend aussi combien pour Amine son père, il est difficile de s’imposer comme Marocain et d’être rejeté par les colons et aussi par les autochtones qui lui reprochent son mariage. À force d’un travail complètement fou, ils arriveront à créer une ferme dans les alentours de Meknes, et Mathilde sans être heureuse trouvera une place dans le pays en soignant la population dans un dispensaire où elle accueillera toute la population pauvre du Bled. Comme toujours quand il s’agit de romans sur les pays du Maghreb, la condition de la femme est insupportable et pourtant ce sont bien les femmes qui permettent aux familles de tenir. L’auteure décrit très bien le sentiment de rejet de la population colonisatrice et les difficultés de l’enfant qui se sent méprisée par les petites filles qui se croient supérieures seulement parce qu’elles sont « françaises ». Un jour les sœurs de son école organisent une visite et, grâce à ce roman, j’ai découvert le sort de esclaves chrétiens du XVIII siècle. Pour une fois les rapports étaient inversés, ce ne sont plus les occidentaux qui font souffrir les Arabes, mais les traitements sont tout aussi cruels. Les pauvres esclaves qui ont construit ces labyrinthes étaient descendus par des trous et ne remontaient jamais à la lumière du jour. Ils mourraient d’épuisement car ils étaient très mal nourris. Ce lieu se visite encore aujourd’hui à Meknes :

 

 

Citations

Paroles de colons

Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, mais il sera beau ce pays quand nous ne serons plus là pour faire fleurir les arbres, pour retourner la terre, pour y appliquer notre acharnement. Qu’est-ce qu’il y avait ici avant que nous arrivions ? Je te le demande ! Rien.
Moi je le connais ces arabe. Les ouvriers sont des ignare, comment veux-tu ne pas avoir envie de les rosser ? Je parle leur langue, je connais leur travers. Je sais très bien ce qu’on dit sur l’indépendance mais ce n’est pas une poignée d’agités qui va me reprendre des années de sueur et de travail.

Le cherghi

Au début du mois d’août, le cherghi se leva et le ciel devint blanc. On interdit aux enfants de sortir car ce vent du Sahara était la hantise des mères. Combien de fois Mouilala avait-elle raconté à Mathilde histoire d’enfant emportés par la fièvre que le chergui charrie avec lui ? Sa belle-mère disait qu’il ne fallait pas respirer cet air vicié, que l’avaler c’était prendre le risque de brûler de l’intérieur, de se dessécher comme une plante qui fane d’un coup. À cause de se vent maudit, la nuit arrivait mais sans apporter de répit. La lumière faiblissait, le noir recouvrait la campagne et faisait disparaître les arbres mais la chaleur, elle, continuait a peser de toute sa force, comme si la nature avait fait des réserves de soleil

Regret de ne pas avoir fait d’études

Adolescente, Mathilde n’avait jamais pensé qu’il était possible d’être libre toute seule, il lui paraissait impensable, parce qu’elle était une femme, parce qu’elle était sans éducation, que son destin ne soit pas intimement lié à celui d’un autre. Elle s’était rendu compte de son erreur beaucoup trop tard et maintenant qu’elle avait du discernement et un peu de courage il était devenu impossible de partir. Les enfants lui tenaient lieu de racines et elle était attachée à cette terre, bien malgré elle. Sans argent, il n’y avait nulle part où aller et elle crevait de cette dépendance, de cette soumission.

Description des médecins

Il était beau dans sa blouse blanche, ses cheveux noirs peignés en arrière. Il était très différent de l’homme jovial qu’elle avait rencontré la première fois il lui sembla que ses yeux cernés étaient un peu tristes. Il portait sur son visage cette fatigue qui est propre aux bons médecins. Sur leurs traits on voit, comme en transparence, les douleurs de leurs patients, on devine que ce sont les confidences de leurs malades qui courbent leurs épaules et que c’est le poids de ce secret de leur impuissance qui ralentit leur démarche et leur élocution.

L’honneur d’un Marocain qui a épousé une Française

Il la fixa et Mathilde eut alors l’impression que les yeux d’Amine s’agrandissaient que ses traits se déformaient, que sa bouche devenait énorme et elle sursauta quand il se mit à hurler : « Mais tu es complètement folle ! Jamais ma sœur n’épousera un Français ! »
Il attrapa Mathilde par la manche et la tira de son fauteuil. Il la traîna vers le couloir plongé dans l’obscurité, « Tu m’as humilié ! » Il lui cracha au visage et, du revers de la main la gifla.

Femmes battues

Aïcha connaissaient ces femme aux visages bleus. Elle en avait vu souvent, des mères aux yeux mi-clos, à la joue violette, des mères aux lèvres fendues. À l’époque, elle croyait même que c’était pour cela qu’on avait inventé le maquillage. Pour masquer les coups des hommes.

 

Édition Robert Laffont

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai commencé ce roman avec un grand plaisir qui s’est émoussé au fil des pages. Deux trames romanesques s’entrecroisent : celle qui décrit François-René de Chateaubriand qui connaît la dure loi de l’immigration et de la misère en Angleterre pour échapper à l’échafaud, et le père du narrateur, grand universitaire parisien qui, à la fin de sa vie, a voulu retrouver, pour en faire un livre, toutes les femmes aimées par ce grand romantique dont une « petite sonneuse de cloches » de l’abbaye de Westmisnter qui a réveillé d’un baiser Chateaubriand presque mort de froid et de faim et qui, pour ce haut fait, mérite une ligne dans ses mémoires. Le narrateur part donc à la recherche dans les documents d’archives de cette inconnue, il est,alors, entraîné dans une histoire fantastique où François-René joue encore un rôle. Je ne peux en dire plus, car je ménage toutes celles et tous ceux qui aiment le suspens et ne veulent pas savoir la fin des romans avant de la commencer – contrairement à moi !

Le charme du roman vient de l’humour que Jerôme Atttal manie avec finesse et légèreté. Tous les chapitres concernant la vie des émigrés à Londres sont à la fois instructifs et assez cocasses. Ces gens sans argent et qui ne savent rien faire ont dû beaucoup amuser les Britanniques qui comme le dit un des personnages semblent faire « du travail une valeur » . La partie sur la vie moderne est aussi pleine d’observations assez amusantes, entre son père grand universitaire qui se battrait bien en duel sur l’oeuvre de Marguerite Duras et qui écrit des livres que seules des étudiantes amoureuses du grand professeur sont capables de lire. Mais au bout de la moitié du roman, je me suis un peu ennuyée et je dois avouer que j’ai plus parcouru ce livre que réellement lu. Je pense que des lectrrices ou lecteurs plus attentifs que moi pourront en donner une bien meilleure impression.

 

Citations

 

Le dentiste de Londres

Pour l’heure, François René repère l’enseigne de fer et de plomb clouée à l’une des façades de Shelton Street et dont l’inscription, « Le Gentil dentiste », tient lieu d’anesthésie locale pour les patients les plus rétifs (…)
 Quand François René pénètre dans la pièce qui fait office de cabinet, il est frappé par la nudité du lieu. Un parquet aussi vaste que le pont d’un navire, flanqué de deux baquets : l’un destiné à recevoir les dents, l’autre empli à moitié d’une eau troublée de crachats. Contre l’un des murs, un établi sur lequel s’entasse un assortiment d’ustensiles : pinces plus ou moins tordues, tenaille, crochets, forceps coupants, clés de porte et pelote de ficelle. Un flacon d’eau-de-vie accouplé à un gobelet trône en évidence au milieu des instruments sans qu’on puisse déterminer si ce remède et à la jouissance du praticien ou du patient..

le père du narrateur

Sur son temps libre, Joe J. écrivait des livres énormes qui se vendaient peu sans qu’il en conçoivent amertume ni rancœur. Il expliquait ne pas vouloir être tributaire de l’actualité, affirmant que ce qui différencie les grands écrivains des grands criminels réside dans le fait que les premiers ne sont jamais aptes à être jugés par leur époque.

Discussion entre émigrés de la noblesse française

Une fille qui te donne spontanément un baiser ? questionne dans le vide Hingant incrédule. Je n’ai jamais rencontré une telle personne de toute mon existence. Il faut toujours les séduire. Ou les forcer. Ou les épouser. Ou les trois à la fois.

La beauté Féminine

Il fixe avec dégoût l’idiote teinture brune appliquée à ses beaux cheveux blonds. Le caprice, qui en toute chose permet à une jolie fille de choisir une direction opposée à sa nature sur un simple coup de tête, blesse éperdument son cœur.

Édition stock

J’ai lu, sans le chroniquer, « Soudain seuls » de cette écrivaine que je retrouve avec un plaisir de lecture mitigé. Le roman est certes, très bien construit : Iouri brillant chercheur américain qui a passé sa jeunesse en URSS (qui n’était pas encore redevenue la Russie), vient voir son père qui est sur son lit de mort. Rubin, son père a été un véritable tortionnaire afin d’inculquer à son fils les seules valeurs qu’un homme soviétique doit transmettre à son fils : la violence – s’en servir pour ne pas avoir à la subir. Son père, sur son lit de mort, lui demande de partir à la recherche de Klara, sa mère qui a été déportée lors des purges staliniennes. Le roman est construit sur des allées et retour entre le monde d’aujourd’hui et les souvenirs du passé. Nous y trouvons tous les ingrédients classiques des romans se situant dans le monde soviétique. Une mère déportée pour ne pas avoir dénoncé un supérieur juif, un mari lâche qui a essayé de survivre, des hommes violents et alcooliques, la honte de l’homosexualité. Tout cela est bien raconté, la partie la plus intéressante concerne la pêche industrielle, Isabelle Autissier connaît bien la mer et n’a aucun mal à imaginer la violence des rapports entre les marins pêcheurs.
Mais alors pourquoi est ce que je manque d’enthousiasme ? Je trouve que les personnages manquent totalement d’humanité. Le père ultra violent, Rubin, s’est marié avec une femme qui semble là uniquement pour le décor. Iouri ne rencontrera de l’affection qu’auprès d’une femme que son père a violé mais qui finira par s’attacher à lui. C’est un monde d’une cruauté extrême mais quand même crédible. La dernière citation explique ce que j’ai éprouvé oui, c’est une histoire crédible, oui, l’auteure s’est bien renseignée sur ce qui pouvait se passer à cette époque en URSS mais on a l’impression que la famille de Iouri est une éventualité mais n’est pas réelle. Je crois que je préfère lire des témoignages ou des romans d’écrivains qui ont connu ce monde-là.

 

Citations

Le ressort du roman

 Devait-il s’honorer d’avoir pour aïeul cette femme qui avait fait basculer le roman familiale ? Au nom de quoi cette trace indélébile avait-elle été infligée, bouleversant la vie de son père et la sienne ?
Robin resta longtemps silencieux. Puis sembla puiser dans une dernière réserve d’énergie. 
– Je n’ai jamais su. Jamais pu savoir. Et …
Sa voix passa dans un étrange registre, presque enfantin.
Pour un homme dont l’audace avait guidé la vie et qui avait tenté de l’imposer à coups de ceinture à son fils, l’aveu était aussi imprévu qu’incongru. 
Iouri ressentit un vertige. Il savait d’avance ce que son père allait lui demander. Il ne pourrait pas refuser, mais tout, en lui, se dressait contre cette perspective. Il n’aurait jamais dû venir. Rubin le piégeait une dernière fois. Malgré son impossible caractère et sa violence, il devenait une victime qu’il fallait secourir. Iouri s’arc-bouta mentalement pour refuser la proposition qu’il sentait poindre. Mais il y avait Klara, sa grand-mère, il et ce récit qui ne pourrait plus jamais ignorer, un fétu dans le tourbillon de l’Histoire, mais une poutre pour sa propre famille, un nom dans la litanie des sacrifiés, mais le nom qu’il portait. Le regard bleu pâle de Rubin se planta dans ses yeux. 
-Tu dois trouver. Vite, avant que je crève. Au moins que je sache. 
Enfin il lâcha l’inconcevable. 
-Je t’en prie.

La pêche et la souffrance des mousses

À peine le cul du chalut était-il ouvert qu’une marée de bêtes luisantes submergeait le pont, dans un grand chuintement d’écailles. Une masse indistincte s’agitait en tous sens, haletait,se débattait dans un sursaut atavique. Les poissons glissaient les uns sur les autres et s’enchevêtraient. Les queues battaient désespérément, les yeux exorbités, les gueules asphyxiées s’écartelaient, les corps s’arquaient, fouettaient l’air, se tordaient.L’urgences vitales saisissait chaque animal dans un affolement tardif. Les hommes, eux, n’en n’avez cure. Selon un balai bien établi, ils se précipitaient sur les poissons les plus nobles : morues, rares turbots, aiglefin ou perches dorées, hurlant qu’on leur apporte des caisses pour jeter les prises. Les mousses s’activaient, fendant parfois jusqu’aux cuisses la masse grouillante ressemblant à des centaures marin. Puis il leur fallait tirer les caisses alourdies jusqu’au tapis roulant qui convoyait les animaux vers les tables de dépeçage, à l’intérieur. La tâche était rude. Les jeunes, parfois déséquilibrés par une vague, dérapaient sur le mucus. Si la caisse se renversait, il récoltait un torrent d’injures de Serikov ou un coup de pied qui les envoyait la tête la première dans la masse grouillante. Ils aidaient aussi au tri, poussant par-dessus bord les innombrables animalcules raclés en même temps que les poissons comestibles, petits crustacé, méduses, hippocampes, coquillages, bestioles écrasées dans la bataille. Puis ils manœuvraient les lourds manches à eau pour nettoyer le pont.

La famille de Iouri

Il en savait assez pour se représenter les personnages de sa légende familiale : une grand-mère énergique et sensible jusqu’à l’imprudence ; un grand-père aimant , mais faible et veule ; un père tenu de se battre dont la brutalité avait dévoré la vie, une mère inexistante qui s’était dévolue aux objets, puisque les être la des sauvé. Et au final lui, Youri, dont l’enfance avait été imprégnée de ces espoirs, de ces combats, de ces renoncements. Un destin identique à celui de millions de famille tourmentée par les soubresauts de l’histoire, qui cachaient un cadavre dans le placard, croyant ainsi se faciliter la vie.

Édition Pocket

Jérôme aime beaucoup cet auteur et moi qui craignais être rebutée par la langue ce n’est absolument pas le cas, son style est adapté à son récit et fait une grande partie du charme de cet auteur que je vais continuer à lire. Voici un roman très important pour toutes celles et tous ceux qui prennent des bonnes résolutions pour la nouvelle année : ça ne marche pas ! En tout cas pour Fred, ça ne marche jamais et il aurait mieux valu pour lui qu’il ne s’y « mette jamais » et qu’il reste dans son quartier parisien à soutenir le bar d’Omar plutôt qu’aller en Espagne pour fuir un certain M. Zyed qui n’avait peut-être pas comme projet de l’empêcher de faire la maquereau à Pigalle. Voilà tout est dit ou presque ! Fred est un éternel perdant qui nous fait rire grâce au talent de Florent Oiseau. Cet art d’être à côté de la plaque tout le temps est un bon ressort dans la littérature . Je ne peux pas dire que c’est complètement ma tasse de thé mais, je dois l’avouer, parfois, j’ai ri malgré les outrances trop répétitives à mon goût. J’oubliais l’alcool c’est aussi un personnage important du livre, c’est sûr qu’après la deuxième bouteille de côte du Rhône on a les idées moins claires qu’après la « petite » bière du matin mais la vie devient tellement plus cool que cela permet à Fred de passer une après midi de plus « avec » Sophie Davant.

Citations

Moment que j’aime bien

C’est sur ce chemin du retour que j’ai croisé un pote au café, rue de Paradis. Le pauvre vieux venait de se faire plaquer, du coup on a bu quelques canons. J’ai le soutien facile, on se confie aisément à moi, je ne parle pas beaucoup. Dans les moments compliqués, ça doit être réconfortant, un gars qui écoute.
Quinze ans de vie commune, qu’il rabâchait. Quinze putains d’années, il râlait, le gars. Quinze ans, un voyage de noce aux Seychelles avec ses économies à lui, des sacrifices, pour qu’en fin de compte elle se barre avec un professeur d’histoire (vacataire en plus)en lui reprochant de se laisser sombrer.

Une vision genrée du monde (mais si drôle !)

Avec un million, je l’aurais gardée, Séverine. Un alcoolique millionnaire qui ne prend pas d’initiatives, ça lui aurait convenu. Les femmes disent toutes qu’elle se foutent de l’argent. Tu parles. Elles ne peuvent rien y faire, elles l’ont en elle. C’est une chose qu’on doit leur faire couler dans les veines, à la naissance. Un genre de truc irréversible, incontrôlable. Très souvent, cette attirance pour le fric est volontairement ignoré. Une sorte de déni s’opère. Elles ont envie de se convaincre qu’une vie bohème fait d’amour, de poils et de vin pourrait leur convenir. Elles en meurent d’envie de cette vie là, simple, romantique et insouciante, mais le truc qui a été mis à l’intérieur d’elle au sujet du fric prend le dessus chaque fois. J’appelle ça, le gène confort. Le virtuose pauvre avec ces jolis mots peut bien aller se faire foutre. Terminé le petit studio sous les toits, éclairé à la bougie, avec un chat qui minaude en nous regardant faire l’amour. Place au DRH, au mec de la télé, aux sportifs de haut niveau, au trader, au chirurgien, à l’avocat. Le ski à Courchevel, le weekend à Cabourg. Les gonzes, elles préfèrent s’ennuyer dans un cabriolet qui sent le cuir que s’éclater en camping. Les mecs, ce serait un peu la même chose concernant la fidélité. Ils sont incapables de se contrôler. J’appelle ça, le gène bite. La situation est simple, les hommes ne peuvent se vouer au même sein, tandis que les femmes, elles, sont machinalement envoûtées par l’attraction qu’exercent des cartes de crédit sur leur culotte.

De hautes réflexions philosophiques

Si les secondes étaient des heures, on vivrait beaucoup plus vieux.

Sophie Davant

J’ai pensé très fort à Sophie Davant, au fait que c’était la femme avec laquelle j’avais vécu le plus de choses. Elle l’ignorait sans doute.