Category Archives: France

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Je n’ai pas trop accroché à ce roman qui possède pourtant des qualités certaines. Un homme, devenu SDF par manque d’amour et de réussite passe son temps sur la frontière Franco-Italienne dans les Alpes. Il y croise un autre « chemineau » qui a été moine chartreux autrefois et à eux deux, ils représentent ceux que notre société ne peut pas accepter : des itinérants qui n’attendent plus rien de la société des hommes. Coublevie, notre SDF, s’arrête parfois dans le Café du Nord, lieu de réunion d’une bande de paumés alcoolisés. Mais dans ce café vit aussi Camille, la fille du bistrotier, qui éveille des convoitises masculines, car elle est jeune et si belle. Et puis c’est le drame, un des habitués est retrouvé assassiné.
Je ne vous en dis pas plus car je divulgâcherai ce roman. La force de son propos tient dans le fait que nous sommes dans la tête de Robert Coublevie qui est loin d’avoir les idées claires. Ce roman m’a fait un peu penser à Farrago, qui est un de mes romans préférés. On suit ici aussi une errance de quelqu’un qui a si peu de chance de s’en sortir mais qui connaît très bien la nature où il trouve refuge. Ici, c’est la montagne et cela nous vaut de très belles descriptions. D’où viennent donc, mes réserves ? Certainement de l’aspect répétitif des situations et des descriptions. Le cerveau embrumé de Robert a peu à peu endormi mon intérêt. Mais je suis sûre que ce roman peut trouver son public et j’y ai trouvé de très belles pages.

Citations

 

Portrait

J’ai pas encore parlé de Tapenade, un autre habitué du café du Nord, une relation de bureau en quelques sortes, retraités agent supplétif, j’en sais rien, mais un type heureux, fier d’être en vie et surtout fier de rien branler, avec un bon sourire de Chérubin céleste et, juste au-dessus, un tas de cheveux gras et filasse que c’en est une désolation. Le vrai poivrot des jours heureux… Mounir l’appelle première pression à froid mais c’est un peu long et le type boit jamais bière, seulement des petits jaunes… Je préfère Tapenade.

Réflexion

La mémoire, c’est un piège. Elle rassemble nos échecs et nos déceptions, elle classe toutes ces misères, elle les accumule dans le foutoir intime, là où ça pourrit sans ordre et sans façon. Crois-moi, elle nous fait vraiment souffrir, la mémoire, genre élancements dentaux, vieilles caries qui se réveillent. 

Réflexion dans une chapelle

C’est pas Dieu qui importe. C’est ce truc-là, le téléphone. On passe notre vie à le tapoter, le guetter, le consulter et, dès qu’il reste muet une demi-heure, on pète de trouille. On a vraiment peur qu’il reste silencieux. Avec Dieu, le silence, quand même, on a l’habitude.

Paysage de montagne

On arrive à la chapelle de Constance avec sa petite croix en pierre, sa fontaine dans un tronc de mélèzes, ces fleurs et son toit de bardeaux. 
Je la connais, cette chapelle.
 C’est là, dans un recoin, le long du ruisselet canalisé en fontaine, que sortent les premières violette, les toutes premières de l’année, celle qui sentent la guimauve, l’enfance et la Résurrection. Cette fois, en plus des violettes, l’églantier est en boutons… Je tends le.doigts vers les roses sauvages qui pointent leur nez au milieu des épines.

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Sans mon club, je ne serai certainement pas allée vers ce livre, et je ne suis certainement pas la personne qui convient au projet de ce roman. Plusieurs choses me sont totalement étrangères, le manque de réalisme dans le projet de vie en autarcie : les bambous qui poussent en une semaine, la femme qui abat vingt pins dans sa journée, le potager qui pousse en quinze jours … et puis cette communion avec la nature à laquelle je n’adhère pas non plus, et la poésie qui n’est pas celle qui me touche ! Il reste quoi ? des textes sur l’escalades assez répétitifs qui au début m’ont enchantée et puis lassée. Est-ce que je rejette tout ? Non, et surtout pas les réflexions de cette auteure sur le sens de la vie que je trouve très pertinentes, elle possède aussi un sens de la tension romanesque : on se demande qui est cette nonne qui vit en recluse, elle aussi, dans cette montagne. J’ai, également, été séduite par certaines évocations de la nature, par exemple, quand celle-ci devint apocalyptique, comme cet orage qui « déplace les montagnes ». Bref je ne sais ni classer ni définir ce roman qui certainement doit autant séduire que déplaire. Je me situe à mi chemin : j’ai aimé certaines descriptions et certaines réflexions, mais pas accroché au récit lui-même .

Citations

But de l’expérience

Je dois savoir si la détresse est une situation, un état du corps ou un état d’esprit.
 On peut être accroché à une paroi à trois mille quatre cents mètres d’altitude en plein orage nocturne sans être en détresse. On peut aussi sous le même orage nocturne se sentir au chaud au fond de son lit au cœur de la détresse. On peut avoir soif, être fatigué, blessé sans être en détresse.
 Il suffit de savoir que la boisson, la nourriture, le repos, le secours sont à portée de main. Qu’on peut les atteint. Plutôt facilement.
L’effort n’est pas la détresse mais il est souvent lié.
 Il suffit d’alimenter un alpiniste coincé depuis deux jours sur une vire sans eau ni nourriture à la limite de l’hypothermie pour que disparaisse la détresse.
 Le corps recouvre ses forces, l’esprit reprend courage, l’environnement n’est plus un obstacle. Ni un cercueil, ni une menace.
De la même façon, il suffirait de le déplacer (le descente de la vire en hélicoptère) pour que disparaisse la détresse. Bien avant qu’il soit réhydraté et nourri.
Comme il suffira d’une parole capable de changer ses représentations mentales -du passé, du présent, de l’avenir immédiat, de sa place dans le monde- pour que disparaisse la détresse.
La seule limite est la mort.

De l’utilité de la grammaire

Le regret engendre la détresse.  » Je n’aurais pas dû » est le début et le fond de la détresse. Le conditionnel tout entier, ce temps révolu qui n’est même pas le passé est le fondement et peut-être le créateur de la détresse. L’occasion qu’elle s’installe.
 Faudrait voir ce que cette forme grammaticale entretient comme relation avec la culpabilité et comment. Un mode verbal peut affecter la production de glucocorticoïdes. Et jouer sur notre humeur.
Le conditionnel introduit une illusion d’avenir à l’intérieur du passé. Il ouvre une brèche, un éventail de fantômes dans la nécessité des faits irréversibles, qui ont déjà eu lieu. Il n’y aurait pas de détresse sans le conditionnel. La fin, l’épuisement, la douleur et la mort si ça se trouve, mais pas de détresse.
 Ou je me trompe ?

Les bambous

(pourquoi sans « s » dans son texte)
Un bosquet de bambou est une armée invasive. Immobile, un bosquet de bambou ne fait que strier l’espace, diffracter la lumière et les moindre souffles du vent. C’est une armée calme, obstinée, une assemblée d’esthètes dont la présence change la lune en lanterne et l’envoie flotter parmi les cailloux. On est chez soi dans un bosquet de bambou, sous protection, camouflé, accueilli. Le chant des oiseaux dans un bosquet de bambou remplace les musique à corde. Assis près de l’eau dans un bosquet de bambou, buvant et fumant, on célèbre les trois arts avec les sept sages, poésie, calligraphie, et musique. C’est une bonne compagnie.

Des détails qui m’énervent comment abattre 20 arbres en quelques heures ?

C’est alors que j’ai abattu les 20 pins dont j’avais besoin, et que mon protocole de coupe est devenu si coulant à mesure que j’abattais que j’inspirais , que j’ expirais, qu’il fallut le cri de sorcière d’une effraie pour me sortir de l’action. Avec un bon frisson. La nuit n’était pas tout à fait tombée , ce qui me parut insolite. Sans le vouloir, j’ai repensé à la main de rapace que j’avais vu sortir d’un tas de laine sombre, et j’ai eu un second frisson. J’ai rassemblé mes troncs et j’ai commencé de les tirer vers le jardin. Les deux derniers, je les ai laissé retomber avec un vrai soulagement. Je suis allé ranger la hache dans le module du jardinage avant de remonter, et lorsque j’ai vu la couverture qui avait servi à protéger mes semis je me suis rendu compte que j’étais debout depuis plus de 34 heures et je me suis ravisée.

L humeur et le mauvais temps

Je dois sortir de l’influence du climat. Le moindre rayon de soleil est une joie pour tout, l’esprit, la peau, les cheveux, les boyaux, les vêtements, les casseroles. Dès que remonte ou retombe le brouillard, mon humeur s’alourdit. Ce n’est pas souhaitable. Je le subit. Je n’arrive pas à admettre ce rapport entre les nuées, les météores, le ciel bas et bouché et le niveau de mon énergie. Mon plafond interne se règle de lui-même sur la hauteur, la quantité et la qualité de l’atmosphère extérieur. Je le supporte mal.

Une réflexion intéressante

Les pompiers, les secouriste, les médecins, les chamans qui nous portent secours sont et doivent être des étrangers. Cela figure dans le serment d’Hippocrate : ne pas soigner ses proches. Parce que c’est dangereux pour les deux parties (…)
 le type absolument à bout de force , blessé , déshydraté , exsangue , choqué , au bord du délire d’épuisement ne peut être secouru que par un étranger. Son ami, son second de cordée, devient dans ces circonstances un étranger , le seul lien qui l’on est alors celui du soutien. Le plus archaïque, le plus ancien, le plus involontaire des liens ? Le plus neutre. Aussi neutre et aussi opaque que les mouvements des organes et la formation du fœtus.
Si l’ami ne s’oublie pas comme tel, ne s’abstrait pas de sa relation envers le blessé, son soutien sera brouillé, vraisemblablement inefficace. Si le blessé rappelle son amitié à celui qui le secourt, il l’empêche. La technique du soin, quelle qu’elle soit, interdit toute relation personnelle. Elle permet aux deux personnes de s’en garder, de passer sur un autre plan, indifférent, désaffecté, urgent. La vie ne peut être sauvegarder que par une volonté et un enchaînement de faits aussi impersonnels que ceux qui l’ont fait apparaître

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Après « la Fractale des Raviolis » et « la Variante chilienne » voici « Habemus Piratam », et je sais que les puristes vont me reprocher d’avoir oublié « La baleine Thébaïde » mais je la retrouverai bien un jour cette baleine. Ma photo dit mon angoisse : par quel câble pourrait passer le célèbre hacker Alexander pour pirater mon ordinateur et s’installer sur Luocine pour vanter des livres que je n’aurais même pas lus ? Je me joins à Dasola pour vous dire  : « quel roman et que de dangers romancés ou pas court notre monde sur les différents « cloud » « dark-web » et autres faces cachées de sites à l’allure inoffensive » . Comme l’auteur est Pierre Raufast , ne vous attendez pas à faire facilement la part entre le vrai du faux, et surtout ne faites pas trop confiance à vos recherches sur Internet , car le diable d’homme est capable de créer de fausses références sur Google. Le plus important n’est pas là , laissez vous emporter par son imagination sans limite et dites-vous bien que pour un hacker, rien n’est impossible, même pas devenir propriétaire de la Sainte Chapelle … Et puis entre temps vous vous amuserez avec les histoires d’un petit village de montagne où on a failli se battre pour une histoire de petite culotte.

Bref un moment de lecture comme je les aime, jouissif , mais aussi un poil inquiétant, pas tant pour l’acte de propriété de la Sainte Chapelle que pour la capacité de nuisance des malfaisants sur le Net, comme ceux qui font que tous les jours, je supprime 15 à 20 commentaires sur mon blog : pour des placements financier, des médicaments moins chers et aussi efficaces que ceux que vous trouverez en pharmacie, pour des substitut du viagra mille fois plus puissants, pour des images pornographiques de femmes ou d’hommes, pour des rencontres « hot » avec des partenaires de votre choix. Bref des pollueurs qui ne sont que des robots mais qui ne m’amusent pas tellement. Alors que, le roman de Pierre Raufast m’a lui, beaucoup amusé. Et la morale est pratiquement sauve , enfin presque ! vous jugerez par vous même.

 

Citations

 

Est ce vrai ?

De fil en aiguille, il repensa à ce décret de Nicolae Ceausescu, interdisant la pratique du Scrabble car « trop intellectuel et subversif ». Et s’il avait eu raison ?

J’aime l’humour de cet auteur :

Le prêtre se passa la main sur le visage. Il n’était ici que depuis deux ans, mais connaissait déjà tous les vices de ses petits vieux -les seuls à venir se confesser chaque vendredi dès sept heures du matin.
Cela ne volait pas très haut : des cerises chapardées dans un verger, un home se soulageant régulièrement dans le puits d’un voisin pour perpétuer la vengeance de son père et une rixe datant de 1923, quelques lettres anonymes dénonçant un pain trop cuit ou des cadavres de bouteilles mal triées dans le local poubelle.
Des crimes ordinaires dans ce village de trois mille habitants, perché en haut de la vallée de Chantebrie.

Les commérages

Francis remarqua que la vieille avait posé ses sacs de courses à terre et s’était installée dans sa verticalité, ce qui augurait une bonne demi-heure de bavardages oiseux

Les joies des hackers

Une fois dans le réseau d’entreprise, je ciblai la machine de production qui contrôlait les énormes transformateurs centraux. De la belle machine, un logiciel très performant…Mais qui datait de 1993. Autant dire une antiquité, dans notre métier. Cette version d’Unix ressemblait à un gruyère suisse. Je n’avais que l’embarras du choix pour devenir « root  » et maître du monde.
Les informaticiens de cette entreprise avaient toutefois bien fait les choses. Conscients des risques de ce système obsolète et de la gravité des enjeux, ils l’avaient isolé derrière un pare-feu. Un peu comme le portier d’une boîte de nuit qui contrôle qui rentre et qui sort.
Pour administrer ce pare-feu, ces génies avaient créé des comptes avec des mots de passe sans doute long comme le bras. Mais ils avaient oublié d’effacer les comptes par défaut installée par le constructeur.
Utilisateur :admin. Mot de passe ; admin.
J’adore mon boulot. C’est comme faire le tour d’une maison cadenassée et y trouver une fenêtre ouverte par mégarde. Jubilatoire.

Tout se pirate …..

Pirater un ordinateur « air gap », c’est à dire déconnecté d’un réseau, est le Graal de tout hacker.

Tactiques de pirates informatiques

Voilà comment on pénètre un Fort Knox informatique : en prenant tout son temps , en avançant doucement mais sûrement , en passant par le fiston et sa peur de décevoir papa . Ici , comme ailleurs, les points faibles sont souvent humains. Il suffit d’exploiter une des émotions primaires : la peur, la colère, l’amour ou la tristesse.

 

 

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

Quel livre ! Bravo Alexandre Duyck vous avez su de nouveau m’intéresser, je devrais dire, me passionner pour la guerre 14/18. Encore ce sujet, peut-on dire , oui mais ce roman donnera un éclairage que je crois indispensable à une bonne compréhension de cette guerre. Augustin Trébuchon est déclaré mort le 10 novembre 1918, c’est écrit sur le monument au morts mais c’est un mensonge ! Il est mort en réalité le 11 novembre 1918. L’auteur retrace le parcours de ce berger de l’Ariège qui a choisi de partir à la guerre alors qu’orphelin, il aurait pu être dispensé en tant que soutien de famille. Nous revivons avec lui, l’enthousiasme des premiers jours de 1914. L’auteur remarque que les plus enragés à vouloir tuer les boches sont des gens qui ne la feront pas, cette guerre, mais qui se croient obligés de dire, plus fort que tout le monde, combien ils auraient aimé la faire ! Puis viennent les combats, l’horreur que nous connaissons si bien, mais aussi l’évocation de la dure condition de berger qui n’est pas étrangère à l’engagement d’Augustin . Berger en Ariège, c’est être le plus pauvre des paysans, et le moins considéré des hommes. Au point où, Augustin n’ose même pas aborder la fille qu’il aime ; bien sûr, il aime la faire danser au son de l’accordéon le soir où il y a bal au village, mais ce n’est pas tout à fait suffisant. La vie d’ Augustin est donc remplie par sa connaissance des animaux, ces moutons et les animaux sauvages de la montagne, ainsi qu’une perception très fine de la nature. Ce savoir, si peu valorisé dans son village, va se révéler un précieux atout pour résister aux quatre longues années de guerre, jusqu’au 11 novembre 1918, où il attend avec toute sa compagnie la dernière sonnerie de clairon qui va signifier que l’armistice est signée, elle l’est d’ailleurs depuis quelques heures. Il rêve à ce qu’il va faire , et surtout à l’Argentine où il a prévu de s’exiler. Cette attente est bien longue et l’auteur rend parfaitement l’ambiance de ces derniers instants.

Hélas un gradé , un de ceux que détestent Augustin lui demande d’aller porter de toute urgence un message de la plus haute importance aux troupes postées à l’avant de leur ligne. Il est 1o heures 45, dans un quart d’heure le clairon doit sonner, mais l’urgence du message et l’ imbécillité du gradé ne souffrent d’aucun retard , Augustin tombera sous une balle ennemie avec dans sa poche ce message :

 « Rendez-vous à Dom-le-Mesnil pour la soupe à 11h30 »

Citations

Les chefs

Les chefs qui jouent les gentils qui m’appellent « mon petit : alors que j’ai quarante ans, qui demande de mes nouvelles et moi comme un con, je leur réponds mais à peine ai-je commencé à parler, il regarde déjà ailleurs, je me plains de mes pieds, ils répondent :  » Parfait, c’est très bien continue comme ça mon petit », ces chefs-là sont tous des faux-culs, des lâches qui n’assument pas d’être des chefs mais qui, dans le dos des petits sont pires encore que les autres parce qu’à la fin ils trahissent toujours la confiance.

Les rapports des hommes entre eux

C’est notre côté cul-terreux, disaient les Parisiens, les pires de tous, les Lyonnais sont pas mal non plus mais les Parisiens restaient les pires, si certains de tout savoir, les pires des pires étant les instituteurs parisiens devenus lieutenant et qui nous parlaient comme à des demeurés, à des gosses, à leurs élèves, à croire qu’ils n’ont eu que des dégénérés dans leur école, les instits parigots, faudraient les livrer en masse au boches, en cadeau, faites-en ce que vous voulez, montrez leur du pays mais par pitié, ne nous les rendez pas ou alors mort, et encore. Les instituteurs et la science infuse, comme ils disent, la haine du patois, leur beau Français dont ils usent comme d’une arme pour mieux t’humilier, te démontrer leur supériorité, ils emploient des verbes, des temps de conjugaison dont tu n’as jamais soupçonné l’existence ni deviné l’utilité mais il en abuse, ils en jouissent, ils te parlent d’écrivains célèbres dont tu ignores jusqu’au nom, nous des frustrés qui te refusent le droit de moins bien parler qu’eux, qui te jugent parce que tu en sais mille fois moins qu’eux et qui sont incapables de se débrouiller sans une carte

Les humiliations des gradés

Il me répète ce que je sais déjà, dans moins de 30 minutes la guerre va s’achever, nous avons gagné, les boches ont signé l’accord, on va tous pouvoir rentrer chez nous :  » Moui dans ma belle maison pour y baiser maman », qu’il dit  » Toi dans ton trou à rat de bouseux de Lozérien ». Ne pas réagir, ne pas laisser apparaître la moindre émotion, Pons m’a expliqué comment faire comme si de rien n’était. Comme j’ai peur de le regarder dans les yeux, j’applique la méthode que m’a expliqué un copain, fixer des poils entre les deux sourcils, on fait croire à l’autre qu’on le regarde droit dans les yeux mais en fait on ne fait que compter ses poils entre les sourcils.
Des gars sont morts de froid dans les tranchées, des tas de gars, c’est quand même fin de mourir de froid la guerre. Moi je ne m’en suis jamais plaint. Mais je ne suis jamais endormi les fois où j’ai compris qu’il valait mieux ne pas. Un jour j’ai entendu un jeune sous-lieutenant se vanter : »Les poilus ont de la paille, moi un lit ». C’est la première fois depuis le début de la guerre, je crois, où j’ai vraiment eu envie de tuer quelqu’un.

 

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Si vous voulez vous faire une idée exacte du trafic de l’ivoire entre l’Afrique et l’Asie ne ratez pas ce roman. L’évocation des paysages africains, m’ont entraînée vers un ailleurs qui me sortait agréablement de la grisaille bretonne. Mais bien loin des notes exotiques habituelles, nous sommes face à la réalité africaines : cette jeune Anglaise Erin, veut absolument arrêter le trafic de l’ivoire qui tue les éléphants africains. Oui mais, qui est-elle pour empêcher des hommes pauvres de vivre de ce qui leur rapporte un peu d’argent ? Que peut-elle contre les corrompus à qui ce trafic rapporte tant ? Et que faire face aux traditions qui pensent que les cornes des rhinocéros sont plus efficaces que le viagra ?

Est-ce un combat perdu d’avance ? En tout cas, la lutte semble tellement inégale, d’autant plus que, même si le trafic s’arrêtait, l’inexorable progrès et l’accroissement de la population africaine met en grand péril la faune sauvage.
Tous les aspects sont bien traités dans le roman, ce qui rend la lecture un peu laborieuse parfois, mais on ne peut pas reprocher à l’auteur d’être trop sérieux.

L’intrigue est bien construite, Erin a décidé de tracer les défenses d’éléphant pour frapper un grand coup contre la contrebande d’ivoire, elle sera aidée par un ranger qui connaît bien les habitudes des braconniers qu’il a été lui-même autrefois et un membre du gouvernement du Bostwana, cela nous permet un tableau assez complet de la population africaine impliquée dans ou contre le trafic de l’ivoire.

Je me demande toujours comment nous, les Européens, nous pouvons donner des leçons à l’Afrique, nous qui avons éradiqué tous, ou presque tous, les animaux sauvages qui peuplaient nos régions.

 

 

Citations

Trafic en Afrique

Ces dernières années, aux abords du célèbre parc, on est deux à trois rhino par jour. Leur corne, bien qu’elle soit un simple bout de kératine, restait l’appendice animal le plus cher et beaucoup essayaient de contourner la loi qui en avait interdit le commerce.

Le pourquoi des trafics

Tant que l’homme pense que ses faiblesses peuvent être compensées par la bile, du foie, des pattes, des griffes, qui lui suffit de consommer ou d’accumuler des parties animales pour guérir ou pour exister, tant que les pays consommateur de corne, d’ivoire, d’écaille et autres produits issus de la faune sauvage ne décide pas d’interdire ces pratiques et de les condamner, le braconnage prospérera toujours plus.

Rupture de milieu

C’est vrai que mon fils est quelqu’un d’important maintenant qu’il travaille pour le ministère. Si important qu’il ne peux plus dormir chez sa propre mère.

Culpabilité

Il y a quelques mois, il lui avait proposé de s’installer à Gaborone, il lui louerait un petit appartement, mettrait son père dans une clinique, mais ça ne s’était pas fait, elle ne laisserait jamais ses frères seuls, et Serese n’avait pas beaucoup insisté. Autour de lui, au ministère, on avait connu des écoles privées, on avait voyagé, lui n’était allé qu’en Afrique du Sud, il avait étudié un an à l’université de Johannesburg. On lui avait appris à penser petit, il s’en était excusé avant de comprendre que le changement devait venir de lui, qu’il n’y avait personne d’autre à tenir pour responsable de ses faiblesses, même si ce n’était pas si simple.

La Chine et le commerce illégal de l’ivoire

Chaque année, le gouvernement chinois injectait cinq tonnes d’Ivoire sur le marché intérieur légal, ivoire qui était répartie entre les différents atelier de sculpture du pays. Cinq tonnes, un chiffre dérisoire. S’approvisionner par la seule voie autorisé était impossible. Des centaines de tonnes d’Ivoire entrait illégalement dans le pays. Il se murmurait que le gouvernement comptait d’ici deux ans interdire le commerce légal et fermer le marché, les atelier de sculpture, mais ces ateliers n’étaient qu’une vitrine, la majorité des transactions étaient illicites, se passaient de certificats d’authenticité. Les groupes qui tenaient ce marché tenaient aussi des policiers, des hommes politiques, le réseau était vaste, complexe, Yang n’en n’était qu’une infime partie. Il avait fallu des années pour qu’elle se construise son propre réseau, trouve des sources fiables d’approvisionnement, mais si son rôle était essentiel, sa personne ne l’était pas, toujours, il y aurait une autre Yang.
 Ces groupes avaient des tueurs, mettaient des têtes à prix, combien de victimes de leur volonté de s’enrichir. À la sortie d’un avion, là où on se sent en sécurité, près d’une grande ville, dans un quartier huppé, des balles qui se perdent, qui se logent dans le corps de cet homme qui disparaît avec son combat, laissant un enfant à qui il sera dur de raconter la véritable histoire. Dans certains ateliers de Pékin, les défenses sculptées étaient affichées a plus de 350000 dollars.

L’avenir de la faune sauvage

Si Erin était un éléphant, elle verrait aussi les forêts devenir des fermes, elle verrait des routes coupées en deux son habitat naturel, des barrières électrifiées sur le chemin de ses migrations, elle verrait l’être humain rogner toujours plus sur les terres sauvages pour développer l’agriculture, conquérir chaque jour du terrain, elle serait emprisonnée dans un monde plus petit chaque année, ce qui était vaste ne serai plus que grand, elle pourrait aussi éprouver la soif et boire des litres d’une eau contenant du sodium de cyanure dilué, elle pourrait être prise de convulsions, sentir son cœur ralentir, sa respiration s’alourdir, elle pourrait s’effondrer sur le sol, entendre des coups de fusil, être chassée pour la simple possession de son ivoire, peser plus de six tonnes et devenir un bracelet, si elle faisait partie de ce groupe, elle penserais sans cesse à l’homme, il l’obséderait, elle saurait reconnaître ses intentions à la simple intonation de sa voix et adapterait son comportement en conséquence, elle pourrait être aussi victime de la folie du divertissement et être capturée vivante par des hommes de l’agence de la vie sauvage zimbabwéenne pour le profit de zoo qui naissent à Hangzhou ou à Shanghai, elle pourrait finir dans un parc clos, derrière une vitre, elle pourrait être une mémoire perdue, oui, si elle était l’un d’entre eux, elle serait en danger, une menace perpétuelle comme elle ne le sera jamais en temps qu’Erin.

 

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un roman magique, soutenu par une écriture entre poésie et fantaisie, on se laisse bercer par la déambulation des chats à travers le quartier de Montmartre et on suit la personnalité de cette superbe africaine Masseïda et du peintre Théophile Alexandre Steinlen. Dont tout le monde connaît, au moins, les affiches.

mais peut être, moins ses lithographies sur le peuple de Paris

 

Époque terrible, où la pauvreté pouvait conduire à la misère et à la mort. Mais une époque, aussi, où le bouillonnement de vie permettait à toute une faune de vivre surtout à Montmartre qui est alors une zone entre ville et campagne. Le lecteur reconnaît au passage des figures célèbres et des lieux qui maintenant sont tellement policés : on ne s’encanaille plus à Montmartre et on ne cultive plus beaucoup non plus, c’est devenu un haut lieu touristique et Masseïda se sentirait moins seule, les couleurs de peaux se mélangent certainement plus qu’à cette époque, et la misère est plus cachée et plus éloignée de la butte. Cet auteur a réussi son pari : faire revivre un lieu et une époque à travers les œuvres des artiste du temps. Une petite déception : les derniers chapitres, le roman ne se termine pas ; mais cela ne m’empêche pas d’être un très beau roman dont le style m’a enchantée.

Citations

Joli début

La Butte en ce temps là, paraissait une montagne. La poésie et la tuberculose y régnaient à parts égales.

Une soirée, au Lapin Agile

C’est Anatole Deibler, le bourreau de Paris, que la complainte de Masseïda avait replongé dans les affres du deuil. Lorsque les pupilles du bourreau balayèrent la salle et accrochèrent le regard du maquereau, ce dernier, instinctivement, se gratta la nuque. Près de l’âtre deux filles outrageusement maquillées, attifées de rubans et de bijoux en toc, se tenaient par l’épaule, un verre de cidre à la main, et lui adressaient des œillades de connivence.

Le public du lapin agile on reconnaît Apollinaire et Picasso

Un préfet mélomane, un poète au coup de buffle, un peintre aux prunelles félines, un anarchiste violoneux, un maquereau patibulaire et deux catins en goguette, tel était le public de choix que Masseïda avait conquis le temps d’une chanson.

La peinture

Les plus beaux nus sont désespérés.
Qui déjà, disait ce genre de chose… Forcément un peintre, quelqu’un qui avait souffert mille morts devant le chevalet.
Lui apparut alors une figure aux traits disgracieux, qui semblait lui adresser un sourire goguenard, par-delà le temps. Toulouse. Ce vilain nabot de Lautrec. Son meilleur ami. L’artiste qu’il avait le plus admiré et auprès duquel il avait le plus appris. C’était bien Lautrec qui avait dit, avec son accent impayable des bords de la Garonne, le désespoir qu’il fallait entretenir en soi pour peindre la chair nue. Il savait de quoi il causait, le bougre, lui qui passait des sanglots aux éclats de rire, le temps d’un vermouth :
 les plus beaux nus sont désespérés.

 

 

(

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un livre étonnant loin de beaucoup d’idées préconçues auxquelles on pourrait facilement penser, puisque cette écrivaine a choisi de mettre le drame dont elle a été victime au cœur du récit et pourtant il n’y a ni voyeurisme ni détails sensationnels donc racoleurs dans ce roman. D’abord, c’est très bien écrit, j’ai lu le souffle court ce récit ou deux êtres vont finir par se rencontrer, l’une est écrivaine, l’autre est l’assassin de sa mère. Elle se sert de tout son talent pour fouiller la conscience de cet homme, elle le suppose après ses années de prison devenu jardinier à Nogent Rotrou. C’est le personnage principal du roman, que pense-t-il aujourd’hui de l’horreur de son geste ? Est-ce que sa conscience le tourmente ? Ou arrive-t-il à oublier complètement en vivant le quotidien le plus intensément possible ? Cela nous vaut de très beaux passages sur le travail des jardiniers d’une petite ville et une approche réaliste de la vie en province. Et puis il y a la deuxième voix, celle de l’écrivaine qui explique au lecteur qu’elle se donne le droit d’inventer une conscience et une personnalité à celui qui vit quelque part sur terre avec le souvenir de ce qu’il a fait. Il n’y a pas de rancœurs dans ce roman, sauf une et elle est forte, il existe un reportage qui avait été fait à l’époque sur l’assassin de sa mère. Et les journalistes avaient construit une théorie sur l’homosexualité de l’assassin et en avait fait une sorte de victime de la misère sexuelle. Cela, elle le trouve très injuste et décrit très bien la façon dont les journaliste de télévision font accoucher les gens de propos auxquels ils n’avaient même pas penser. La force du roman, c’est la montée dans l’intensité de la rencontre de ces deux êtres, on est vraiment saisi par ce roman. Je pense que l’écriture aura permis à cette auteure de regarder en face tout ce qui était enfoui au plus profond d’elle même. Quand on sait que cette femme a, aussi, dû vivre la mort tragique de sa fille, le lecteur espère très fort que l’écriture permet de survivre aux plus terribles des souffrances quand on a ce talent : celui d’être écrivaine et à mon goût une excellente écrivaine.

Citations

La façon d’interroger dans les médias

Ce qu’ils voulaient entendre, ils te l’arrachaient de la bouche. Ils avaient une façon de t’interroger, de te poser les questions en suggérant les réponses, d’orienter l’entretien, de manipuler ton discours, de t’amener là où t’avais pas prévu, avec des « Vous voulez donc dire que, » et des « On pourrait donc en conclure que … » Et toi, t’es comme un con, tu sens que c’est pas exactement comme ça que tu penses, mais comme il faut pas laisser de blancs trop longs, à cause du ronron de la caméra qui tourne, tu dis  » Oui oui, c’est ça  » sans trop réfléchir, et ton destin est changé. 

Portraits de deux paumés style SDF

 Gilbert et moi restions collés l’un à l’autre comme un naufragé à son rondin, tous les deux étrangement oppressés, comme si le délabrement de nos vies se lisait sur nos visages, comme si l’odeur de défaite qui émanait de nos parkas défraîchis dressait un cordon sanitaire autour de nous.

La culture en prison

Les seules fois de ma vie où j’ai vu des spectacles, c’était en taule. Les premières années c’était vraiment une fête, un truc rarissime. On était tous volontaires pour aménager le réfectoire, pousser les tables et les chaises, accrocher aux fenêtres de vieilles couvertures pour faire un semblant d’obscurité. Et puis au milieu des années 90 c’est devenu monnaie courante, un truc banal. Toutes les semaines un nouveau pack culturel bien démago, session de rap, de slam ; impromptus théâtraux, sur le racisme, les ravages de la drogue, l’injustice sociale et autres calamités du monde moderne. Plus personne y allait, blasés on était… À la fin, c’était presque les concert de musique classique qui finissaient par avoir plus de succès. Moi, en bon fayot, j’ai assisté à tout, ça faisait des points, je me faisais bien voir, je multipliais les distinctions sur mon costume de bagnard. Converties en année de remise de peine, ça faisait un beau pactole.

Vous connaissez l’auteur des bandes dessinées, (Fabcaro) Zaï Zaï Zaï et de Et si l’amour c’était d’aimer vous devez faire connaissance avec l’auteur de roman Fabrice Caro. Heu ! oui, c’est le même auteur et avec un humour toujours aussi fabuleux. Lisez le premier chapitre et je suis certaine que vous ne pourrez plus vous arrêter . Le sujet est simple, le père du narrateur qui a certainement quelques points communs avec l’auteur lui demande de faire un discours au mariage de sa sœur. Seulement voilà, lui il est totalement obnubilé par son téléphone portable car il aimerait tant que Sonia réponde à son SMS, et puis est-ce qu’il a vraiment bien fait de le lui en envoyer un ? et était-ce une bonne idée de mettre un point d’exclamation après bisous ? bref il n’a pas trop la tête à ce discours et cela nous vaut des scènes toutes plus drôles les unes que les autres sur la vie familiale . Un bon moment de détente, merci Monsieur Caro, vos livres me font tant de bien !

Citations

Très drôle

Isabelle appartenait à cette génération d’étudiante qui voulait partir en Afrique, à cette époque c’était une fatalité qui s’abattait sans prévenir sur une certaine frange de la population féminine, on y échappait pas, l’acné à douze ans, l’Afrique à dix neuf , elles attrapaient l’Afrique comme on attrape la varicelle. On les voyait, du jour au lendemain, transfigurées, transmutées , déambuler vêtues de sarouels informes, le vêtement le moins sexy qui soit, transformant le campus en immense course en sac.

Le narrateur doit faire un discours pour le mariage de sa sœur qui lui offre tous les ans des encyclopédies

Attends attends attends, je crois que tu n’as pas bien compris là, ton discours je ne vais pas le faire tu entends, je n’ai d’ordre à recevoir de personne, tu crois qu’elle passe beaucoup de temps, elle, à se demander quel est le plus beau cadeau qu’elle pourrait faire à son frère ? Tu les as lues mes encyclopédies, Ludovic ? Tu as lu  » les plus beaux sommets d’Europe » ? Tu as lu  » Reptiles et batraciens » ? Tu as lu « Bébés du monde » ? Et je fixe, dépité, le gratin dauphinois, et je suis sûr qu’il existe quelque part, chez un quelconque éditeur une encyclopédie sur le gratin dauphinois.

Chagrin d amour

D’ailleurs, il y a de moins en moins de soirées, on est jamais aussi seul que lorsqu’on se retrouve seul, le vide attire le vide. Un seul être vous manque et tous les autres prennent la fuite.

Envie de fugues

Quand j’avais treize ans, j’étais une vraie chipie, en constante rébellion, toujours à me friter avec mes parents au point d’être obnubilée du matin au soir par l’idée de fuguer, c’était devenu obsessionnel… Et chaque fois que j’étais sur le point de le faire, une chose, une seule chose m’en empêchait , et sais-tu laquelle ? J’avais une trouille monstre que mes parents, pour la photo d’avis de recherche, en choisissent une sur laquelle j’étais moche. Imaginer qu’une photo mal choisie, une photo de moi avec un sourire forcé ou une coiffure débile ou un énorme bouton sur le front, bref imaginer qu’une telle photo sera diffusée partout dans la région, voir dans le pays, me tétanisait pour moi c’était la honte suprême… J’avais envisagé de laisser sur mon lit, avant de fuguer, un petit message d’adieu avec une photo minutieusement sélectionnée posée à côté, comme une dernière image que je leur aurais confiée, mais le risque qu’ils en choisissent une autre pour l’avis de recherche était trop grand… Voilà à quoi à quoi tient une grande décision à treize ans…

 

Quelle traversée du 20° siècle et même du début du 21° ! Nous suivons les destinées des membres d’une famille bourgeoise parisienne bien ancrée dans les valeurs chrétiennes et du patriotisme. Les hommes se donnent corps et âmes à leur vocation militaire ou autres et font des enfants à leurs femmes qui élèvent la nombreuse tribu. Tout le talent d’Alice Ferney, c’est de ne pas juger avec nos yeux d’aujourd’hui les engagements d’hier. Elle rend cette famille très vivante et les personnalités des uns et des autres sont crédibles, on s’attache à ces hommes et ces femmes d’une autre époque et pour moi d’un autre monde. On comprend leur destinée, et son but est atteint, on ne peut plus les juger avec nos mentalités d’aujourd’hui. Je reste quand même un peu hésitante sur les guerres coloniales, certes ceux qui n’ont pas accepté la colonisation ont utilisé des façon de faire peu recommandables mais beaucoup en France n’acceptaient pas le colonialisme. Sans doute étaient-ils plus nombreux que ceux qui ont tout de suite compris que Pétain faisait fausse route. Mais peu importe ces détails, cette famille et tous ces membres ont captivé mon attention (comme le prouvent les nombreux passages que j’ai recopiés). Nous passons donc doucement d’une famille attachée aux valeurs royalistes parce que le roi était chrétien à une famille républicaine patriote. Les enfants se bousculent dans des familles nombreuses et pour Alice Ferney c’est de ce nombre que vient une de leur force. On sent qu’elle a un faible que son lecteur partage volontiers pour le cancre de la tribu, Claude, qui finalement avait des talents cachés que le système scolaire n’avait pas su mettre en valeur. Ce roman a été, pour moi, un excellent moment de lecture, sauf les 50 dernières pages, qui sont répétitives et qui ne rajoutent rien au roman. On sent qu’il y a à la fois trop de personnages et que l’auteur n’a plus grand chose à ajouter puisqu’elle n’a pas voulu faire entrer cette famille dans le 21° siècle. Cette époque où la réussite des femmes ne se mesure plus au nombre de leurs enfants ni à la réussite de ces derniers, mais plutôt à leur épanouissement qui passe aujourd’hui par une carrière et un rôle social en dehors de la famille.

 

Citations

 

Le café du mort

Jérôme Bourgeois n’était plus. Sa tasse pleine fumait encore et il ne la boirai pas. Peut-on boire le café d’un mort, si on le fait pense-t-on ce qu’on pense habituellement d’un café ( il est froid, il est trop sucré, trop fort, il est bon) et si on ne le fait pas, que pense-t-on au moment de le jeter dans l’évier ? Je me le demanderais en songeant à ce détail, parce que je connais cette éducation qui interdit de gâcher et que la génération de Jérôme l’avait reçue. Mais non, penserais-je, dans l’instant où quelqu’un vient de mourir personne alors ne boit plus, le temps de la vie se suspend, le trépas accapare l’attention, l’aspire comme un trou noir la matière cosmique,et tout le café de ce jour funeste est jeté. 
 

Un beau portrait 

 
Jérôme fut résolument français et provincial. Il ne fut pas médecin du monde, il fut médecin de son monde : il soigna les gens du coin. C’était peut-être moins glorieux, personne d’ailleurs ne lui remit de décoration, mais ce fut bon pour ceux qui étaient là. Généraliste, Jérôme recevait tous ceux qui le demandait : les personnes âgées solitaires et les nourrissons avec leur mère, les enfants qui était à l’école avec « ceux du docteur » et venait se faire soigner en même temps que jouer chez lui, les ouvriers, les derniers agriculteurs, les commerçants, les notables. Il n’en n’avait jamais assez des gens, ils disaient oui je vous attends. Parfois on le payait en nature, un pain, une poule, un lapin. Clarisse embarquait l’animal à la cuisine. Jérôme avait accepté le suivi médical des détenus de la prison voisine. C’était le temps Michel Foucault militait. Jérôme ne lisait pas le théoricien des châtiments, il pénétrait dans la détention. Pas un appel d’autrui qu’il n’entendît . Quand on se donne à dévorer aux autres, on n’a jamais le temps de s’inquiéter pour soi. Jérôme était une énergie en mouvement.
 

Les familles nombreuses 

 
 
Être dix, c’était avancer dans la vie comme une étrave avec derrière soi le tonnage d’une énorme famille. C’était une force inouïe, la force du nombre. C’était se présenter devant le père avec l’encouragement des autres, et s’agglutiner autour de la mère dans la chair des autres, et goûter à la table des autres. C’était ne se sentir jamais seul mais aussi être heureux quand par miracle on l’était, séparé soudain de l’essaim, dans un silence éblouissant auprès d’une mère disponible. C’était exister dans dix au lieu de n’être qu’en soi. C’était avoir grandi à la source de la vie, dans sa division cellulaire, spectateur de l’apparition d’autrui. Je n’ai connu maman enceinte, remarque souvent Claude.
 

Tellement vrai

 
 
Ils seraient les représentants d’une époque et d’un milieu typiquement bourgeois, parisien,catholique,très « Action française  » comme on le dit maintenant, avec la sévérité de ceux qui viennent après et n’ont guère de mérite, puisqu’ils savent où mènent certaine idées et que l’Histoire a jugé. 
 

Henry Bourgeois né en 1895

À l’âge adulte, Henri fut toujours du côté de l’église plutôt que de celui de l’état. Il répétait ces préventions à qui voulait l’entendre :  » En affaires il y a une personne à qui il ne faut pas faire confiance, c’est l’état ». Entrepreneur, chef de famille qui avait l’ élan d’un chef de bande, Henri avait la haine de cette puissance changeante. Sa préférence allait à un guide spirituel plutôt que politique. En En somme, laïcisé, le monstre froid ne l’intéressait plus.
 

Collaborer résister 

Le sens exacerber de la discipline et une chose concrète et la condition sine qua none du métier militaire. Aucun Bourgeois ne l’ignorait. On ne transige pas avec l’obéissance sauf si elle réclamait des actes contraires à l’honneur. L’honneur était une grande valeur. Or à cette aune qu’est-ce que c’était qu’émigrer ? S’enfuir comme un malpropre ? Abandonner le pays et le peuple dans un désastre ? Ainsi pensait Jean à l’âge de 19 ans. Mers-el-Kébir ne fit qu’aviver son amour pour la France, sa défiance de l’Angleterre, sa confiance dans la légitimité de Vichy. Il est possible de le comprendre si l’on parvient à ne pas lire juillet 1940 à la lumière d’août 1945.
 

Le sport

 
Le sport n’était pas encore une pratique répandue chez les Bourgeois. On appréciait pas tout ce qui allait avec : les tenues décontractées, la sueur, les vestiaires collectifs et la promiscuité. La préférence était donnée aux rites sacrés ou anciens, comme la messe, le déjeuner dominical et les partie de campagne à Saint-Martin. On y restait entre soi, dans une société choisie et connue, alors que les associations sportives mêlaient des populations hétérogène. En un mot, le sport c’était populaire. C’était le Tour de France. C’était plouc ! C’était rustre. Cette opinion effarouchée c’était évidemment formée en vase clos et à distance .
 

Portrait et révélation d’une personnalité 

 
Claude accompagnait le président partout. Il était ses yeux. Il lui décrivait tout ce qu’il voyait, ce qui est aussi une manière d’accroître sa propre attention. 
– Dites-moi un peu plus sur ses déchets, demandait le président. 
Et Claude décrivait les déchets. Au fond et sans le savoir, il pratique et le difficile exercice qu’on appelle en grec « ekphrasis ». Quoi de plus formateur pour apprendre à regarder, à connaître et à exprimer ? Claude trouva en lui quelque chose qu’il ignorait, le talent.
Chez le président, il trouva l’expérience. Un jour, dans l’avion pour Casablanca, Claude lui lisait le journal. Quels sont les titres aujourd’hui ? demandait Jean Émile Gugenheim. Puis informé de tout : lisez moi tel et tel l’article. Un entrefilet ce jour-là raconter comment un fonctionnaire soudoyé pour l’obtention d’un contrat avait rendu l’argent. Le journaliste vantait l’honnêteté et se réjouissait de sa persistance. Claude fit de même. Jean Émile Guggenheim s’amusa de ses naïvetés.
– Pourquoi riez-vous ? demanda Claude
– Il n’y avait pas assez dans l’enveloppe !
. Le président connaissait la nature humaine. Il n’en concevait ni désolation, ni épouvante, mais composait , et parfois il se divertissait de ce qu’elle fût si immuable et prévisible.
 
 
 
 
 
 
 
 

 

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un livre étonnant, raconté à travers le regard d’un enfant de 12 ans qui vit dans une famille de sur-doués alors que lui ne l’est pas. Son père meurt et les rôles dans la famille, vont peu à peu changer. Isidore assez insignifiant, au moins aux yeux de ses frères et sœurs qui cumulent les succès scolaires va devenir un personnage central, il est, en effet, le seul à mettre les sentiments au centre de toutes ses préoccupations. Cette famille, vit au rythme du passage des thèses des uns et des autres, le mieux étant d’en faire deux pour rester le plus longtemps possible dans le cadre si rassurant de l’école. Rassurant ? Oui, quand on obtient toutes les félicitations sociales qui vont avec la réussite. Le petit canard boiteux, cet Isidore au cœur tendre finira par comprendre que l’on peut être heureux autrement que par la réussite scolaire et au passage fera sourire plus d’une fois son lecteur. 

Plusieurs choses m’ont gênée dans ce roman, le style d’abord, cela passe par la langue d’un ado et l’absence du « ne » est une vraie difficulté comment lire et comprendre « On peut plus pour toi » . On s’y fait , on devine ! ce qui m’a encore plus gênée c’est que le roman n’est pas ancré dans la réalité, on sait que ça se passe en France sans en reconnaître le lieu. 

Ce ne sont là que des détails d’un roman léger qui pourra amuser et distraire.

 

 

Citations

Un moment tendre (avec l’absence du ne de la négation. )

J’ai attendu le weekend pour aller sur la tombe du père. J’ai dit à personne que j’y allais. Je me disais qu’ils avaient tous oublié, ou qu’il s’était pas rendu compte de la date, et je voulais pas être rabat-joie de service. Quand je suis arrivé, la tombe du père était couverte de trucs que je pouvais attribuer à chacun de mes frères et sœur (un petit bonsaï =Léonard ; un bouquet de fleurs sauvages =Simone ; une bougie = Aurore ; des petits cailloux blancs dans le jardin =Jérémy ; l’orchidée devait être la part de ma mère). Ils avaient tous dû venir là chacun leur tour sans rien dire aux autres.

 

Humour macabre

Elle m’a demandé ce qui, à mon avis, arrivait aux enfants qui mouraient alors qu’il portait encore leurs bagues. » Tu crois qu’on les enterre avec ? Elle a dit. Je doute qu’il y ait des orthodontistes pour enfants morts.

 

 

Les joies de la thèse 

Tu as pas remarqué que Bérénice, Aurore et Léonard se sont tous inscrits en thèse parce qu’ils pensaient qu’ils allaient trouver des réponses à toutes leurs questions, mais qu’au lieu de ça, il leur faut de plus en plus de temps pour répondre à des questions de plus en plus simples ? Ils divisent toutes les questions en une infinité de sous-questions maintenant, et les sous questions sont tellement compliquées qu’ils finissent jamais par revenir à la question originale. Ils sont devenus cinglés.