Édition Gallimard NRF – Traduit de l’italien par Danièle Valin

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

« Le voilà donc, se dit Ilaria le familialisme amoral. » Et la famille était la sienne. Son père, l’illettré éthique. Dysfonctionnement, privilège et favoritisme vus comme des moteurs évidents de la société.

J’ai déjà lu et apprécié les deux premiers romans de cette écrivaine italienne que Dominique m’avait amenée à lire . Eva dort (mon préféré) et Plus haut que la mer . Je me souviens bien de ces deux romans ce qui est un gage de qualité pour moi. Comme dans ses précédents romans Francesca Melandri, mêle l’histoire de l’Italie à une histoire d’une famille fictive pour nous la rendre plus humaine. Le reproche que je fais à ce dernier roman, c’est qu’elle a voulu cette fois couvrir une très large période de l’histoire italienne et que son roman est donc très dense voire un peu touffu.

La famille d’Iliaria Profeti est compliqué car son père, Attilio Profetti a eu deux épouses , trois enfants d’un premier mariage et un fils avec sa maîtresse qu’il a fini par épouser. De son passé, éthiopien, sa fille Iliaria n’aurait rien su si un jeune éthiopien du nom de son père n’était venu un jour frapper à sa porte lui apprenant de cette façon que son père était le grand père d’un jeune immigré en situation irrégulière. Ce sera un autre aspect du roman le parcours semé de souffrances à peine inimaginables, d’un jeune éthiopien, qui sans le recours à un ressort romanesque aurait été renvoyé en Ethiopie et à une mort certaine. L’inventaire de tous les thèmes abordés vous donnerait sans doute une impression de « trop », mais l’auteur s’en sort bien même si, parfois, j’ai eu besoin de faire des pauses dans ma lecture.

  • L’interdiction du divorce en Italie et les doubles vies que cela entrainait.
  • L’engagement dans le mouvement fasciste d’un jeune diplômé.
  • Le parcours d’un prisonnier italien aux USA pendant la guerre 39/45
  • L’injustice d’une mère qui dévalorise un enfant au profit d’un autre.
  • Le parcours des immigrés arrivés clandestinement en Italie.
  • Les théories racistes reprises par le mouvement fascistes.
  • La corruption en politique.
  • La construction à Rome.
  • Les marchands de sommeil.
  • Les malversations de Berlusconi.
  • Et le plus important la guerre en Éthiopie menée par les fascistes Italiens avec son lot d’horreurs absolument insupportables.

Et peut-être que j’en oublie, mais on comprend sans doute mieux quand je dis que ce roman est touffu, car L’écrivaine veut aussi montrer que tout se tient . En particulier, que de ne pas avoir voulu regarder en face le passé fasciste entraîne de graves conséquences sur les choix politiques actuels en Italie. Elle a pour cela créé le personnage d’Attilio Profetti, un homme à qui tout sourit dans la vie. « Tous, sauf moi » c’est lui. Il sait se sortir de toutes les situations car il a de la chance. Sa première chance : avoir été l’enfant préféré de sa mère, Viola qui en sous main oeuvre pour la réussite de son fils adoré jusqu’à dénoncer anonymement un supérieur dont une grand-mère est juive ! Ensuite, il sait grâce un charisme indéniable aider les supérieurs militaires à gagner du terrain dans la guerre coloniale en se faisant aider par une partie de la population éthiopienne. Cela ne l’empêchera pas de participer aux actions les plus horribles de la conquête comme le gazage des derniers combattants avec le gaz moutarde et ensuite de les brûler au lance flamme. Il a su partir à temps du parti Fasciste et se refaire une dignité dans la politique d’après guerre. Et finalement, comme tous les politiciens de cette époque, il a vécu et bien vécu de la corruption.

Sa fille, Ilaria, se sent loin de tout cela sauf quand elle comprend que l’appartement qu’elle occupe, cadeau de son père, est certainement le fruit de la corruption.

Le personnage le plus intègre, c’est le frère aîné d’Attilio, Othello, qui a été prisonnier pendant la guerre . On voit alors un fait que je n’ignorais complètement. Les Américains ont demandé à partir de 1943 aux Italiens, de combattre pour eux. La situation était complexe puisque l’Italie était alors en partie occupée par les Allemands, donc l’autre partie s’est déclarée alliée des États Unis. Les prisonniers italiens qui ont accepté ont eu une vie très agréable et ont retrouvé leur liberté. Othello qui n’était pas fasciste n’a pas réussi à comprendre comment il pouvait après avoir combattu pendant deux ans les Américains et les Anglais devenir leur allié. Il paiera cette décision au prix fort, d’abord le camps de prisonniers devient très dur et ensuite en revenant il aura l’étiquette fasciste, ce qu’il n’avait jamais été, contrairement à son frère qui lui a réussi à faire oublier son passé. Et il ne pourra pas faire carrière comme ingénieur alors que lui avait eu tous ses diplômes (son frère non !)

Voilà un roman dans lequel vous apprendrez forcément quelque chose sur le passé italien. Quant à moi je n’oublierai jamais les pages sur la guerre en Éthiopie (même si je n’ai pas noté de passages sur cette guerre tout est trop horrible !).

 

Citations

Le frère d’Ilaria ,accompagnateur d’excursions pour voir des gros poissons sur son bateau à voile.

 Puis il y a ceux qui à la fin veulent une réduction parce que le rorqual est resté trop loin ou que les cabrioles des dauphins n’étaient pas assez spectaculaires, peut-être parce qu’ils n’ont pas danser des claquettes comme dans les dessins animés. Ce sont en général des pères qui passent toute excursion à accabler leur malheureuse famille de leurs connaissances sur les manœuvres de bateaux à voile, en gênant sans arrêt le travail d’Attilio. Il gagnerait sûrement de l’argent en écrivant un livre sur les expressions de la navigation à la voile dites au petit bonheur par ses passagers, en commençant par « borde la grand-voile ». Ils croient ainsi restaurer leur autorité sur leur progéniture adolescente qui, en réalité, nourrit déjà un sévère mais juste mépris pour eux.

Scène tellement plausible en Éthiopie actuelle.

 Un matin alors qu’il était avec elle, un policier s’approcha de lui et murmura à son oreille  » : « Rappelle-toi qu’elle elle s’en va, mais que toi tu restes. » Le jeune homme ne traduisait pas la phrase à la journaliste. Mais il lui demanda : « Laisse-moi partir avec toi. » Elle regretta beaucoup, mais non, malheureusement elle ne pouvait pas l’emmener au Danemark. Elle lui donna pourtant son adresse mail et lui dit une dernière fois «  »Amaseghenallõ » avec un sourire qui était l’orgueil de l’orthodontie occidentale. 

Visions de Rome.

 Piégés dans leur voiture les Romains se défoulaient en klaxonnant. Ailleurs, cette cacophonie aurait terrorisé et fait fuir au loin les étourneaux, mais ceux de Rome y étaient habitués. Massés en de frénétiques nuages noirs face aux magnifiques couleurs du ciel, ils bombardaient de guano les voitures bloquées. « Voilà ce qu’est devenue cette ville pensa rageusement Ilaria, une beauté démesurée d’où pleut de la merde. »
Celle qui avait été une des plus belles places de la nouvelle Rome capitale grouillait maintenant de rats gros comme des petits chiens, de dealers et de toute substance chimique et végétale, de putains dont à la différence de celles du bon vieux temps (« Bouche de la vérité », « Mains de fée », « La Cochonne »), personne ne connaissait le nom : elles restaient dans les recoins de stands mal fermés le temps d’une pipe, puis elle disparaissaient remplacées par d’autres encore plus droguées et meurtries.

Régime éthiopien .

 En Éthiopie les journalistes sont mis en prison quand ils ne sont pas assassinés, de même que quiconque protestent contre la corruption et les déportations dans les villages tribaux ; pourtant les occidentaux disent que l’Éthiopie est un rempart de la démocratie. Et pourquoi le disent-ils si ce n’est pas vrai ? Parce que l’Éthiopie leur est indispensable dans la guerre contre les terroristes.

Berlusconi et la pertinence sémantique du verbe voler …

 « Moi j’ai confiance en lui dit Anita quelqu’un d’aussi riche n’a pas besoin de voler. « 
Atilio ressentit une de ces nombreuses pointes d’irritation provoquées par sa femme qui ponctuant ses journées. Comme si en politique l’essentiel était de ne pas voler ! Et puis, que signifiait exactement cette expression présente dans toutes les bouches à la télé, dans les journaux, dans les dîners ? Lui, par exemple avait-il volé ? Non. Il avait pris mais seulement à ceux qui lui avaient donné. À ceux qui étaient d’accord. Comme d’ailleurs était d’accord Casati, l’homme dont il était le bras droit depuis des dizaines d’années. Et Anita aussi  : vivre dans cet immeuble liberty avec vue sur la Villa Borghèse ne lui déplaisait surement pas. Bref, ils étaient tous d’accord sur le peu de pertinence sémantique du verbe « voler ».

La visite de Kadhafi à Berlusconi .

 Il est accompagné de deux gardes du corps des femmes comme toujours. Elles ont des corps massifs moulés dans des treillis, des lèvres étrangement gonflées, un double menton. Elles cachent leur regard derrière des lunettes encore plus noires que leurs cheveux et identiques à celles de leur patron. Qui l’est dans tous les sens du terme, disent les gens bien informés. Dans les cercles diplomatiques, on raconte que les fameuses amazones du colonel font partie du vaste harem d’esclaves sexuelles qu’il choisit lui-même parmi les étudiantes libyennes, avec de sombres menaces contre les parents qui envisagent de s’y opposer, pour des pratiques telles que le « bunga bunga ».  » Drôle d’expression, pense Piero, jamais entendu en Italie. » Il l’a entendue à Tripoli en accompagnant Berllusconi lors de sa première visite il y a deux ans, celle du fameux baise-main. L’ambassadeur italien en Libye lui avait expliqué qu’il s’agissait d’une pratique de groupe incluant le sexe anal, de très loin le préféré de Kadhafi.

Rapport d’enquête au sénat italien (on pourrait le dire pour d’autres pays).

 La coopération italienne n’a pas été un instrument de grands développement pour les pays du tiers-monde, mais simplement une occasion de prédation, de gaspillages et de bénéfices pour les entreprises italiennes, protégées et garantie par l’État aux dépens du contribuable. L’ aide aux pays tiers était un résultat marginal, s’il tant est qu’il y en ait eu. Le secteur des grands travaux a été le secteur des vols.

L’Italie et son passé fasciste.

 Et tout ce qui, à tort ou à raison était associé au fascisme était considérés comme un corps étranger, une parenthèse, une déviation du vrai cours de l’histoire de la patrie celui qui reliait l’héroïsme du Risorgimento à celui de la Résistance. L’Italie était un ancien alcoolique qui, comme tout nouvel adepte de la sobriété, ne voulait pas être confondu avec le comportement qu’il avait eu lors de sa dernière et tragique cuite. Elle ne désirait que les petits progrès quotidiens du bien-être moderne qui germait comme les pissenlits de mars sur les décombres.

Le mépris de classe.

 « Récapitulons donc, lança Edoardo Casati pour finir, je vous offre un bon salaire et d’excellentes perspectives de carrière ; en revanche je ne vous offre pas ma gratitude et encore moins ma confiance. Celle-ci se donne entre pairs, et nous deux, nous ne le sommes pas. Vous êtes le fils d’un chef de gare, moi j’ai dans les veines le sang de sept papes. Vous comprenez bien que ni vous ni moi ne pourrons jamais l’oublier. » 

Les bordels en temps de guerre.

 Au bordel de Bagnacavello maintenant, il y avait beaucoup de femmes d’origine moins populaire : veuves de soldats au front, fille de parents exterminés tous les deux par un seul bombardement orphelines des ratissages nazis. La tenancière les avait toutes accueillies dans un esprit d’œcuménisme, sans distinction. Et on peut dire bien des choses horribles sur la guerre, mais pas qu’elle enlève du travail aux putains.

On peut imaginer ce genre de propos de quelqu’un qui lit « Physiologie de la haine » de Paolo Mantegazza.

« Vous êtes jeune et compétent. Mais vous avez encore beaucoup de choses à comprendre. Il y a des peuples qui ont l’esclavage dans le sang. D’autres comme le peuple italien ont la civilisation dans le sang. Et nul ne peut changer ce qui coule dans ses propres veines. »


Édition Delcourt/Encrages

Je crois que tout le monde ressort un peu changé, sinon complètement bouleversé, après avoir lu les trois tomes du dessinateur Fabien Toulmé. À travers des entretiens que l’auteur dessine, il nous raconte une histoire (hélas, banale)  : celle de Hakim et de son bébé Hadi qui vont traverser l’Europe pour arriver en France. Ce qui m’a personnellement le plus émue c’est le courage de cet homme et à quel point je pouvais m’identifier à lui. Il avait un vie tellement « normale » avant le déferlement de violence en Syrie que cela me fait mal quand je lis ses dernières parole :

Ma famille, mes amis me manquent énormément. Ma pépinière aussi … J’ai mis tellement d’énergie pour la créer, mais bon, elle doit être détruite maintenant comme tant de chose en Syrie »

Tous les clichés volent en éclat :

  • Ils n’ont qu’à rester chez eux ! Parfois c’est sans doute audible mais pas pour les Syriens qui coincés entre Daesh, le régime de Bachar el-Assad et bombardé par l’aviation russe ne pouvaient que fuir.
  • Ils devraient prendre les armes chez eux, mais les Syriens ont essayé et ils ont été bombardés sans relâche.
  • Ils ne souhaitent vivre que des avantages sociaux. Hakim est un travailleur il avait réussi à monter une pépinière qui marchait bien en Syrie il a tout perdu et ne cherche maintenant qu’à travailler.

Mais le plus terrible c’est son parcours, il a échappé de peu à la mort dans un canot en face de la Grèce. Il a connu les camps dans le froid et la promiscuité et l’hostilité de la police et de la population hongroise. Les décisions compliquées pour faire confiance à des gens qui peuvent étre très malhonnêtes et dangereux. Sa femme avait réussi à venir en France avec sa famille et elle les attendait morte de peur qu’il leur arrive quelque chose. C’est une erreur de dates sur un papier officiel qui a empêcher Hakim de pouvoir arriver directement en France, et c’est ce qui permet à Fabien Toulmé de décrire toutes les difficultés des Syriens en situation de survie pour pouvoir arriver dans un pays d’accueil.

Je laisse à Habib les derniers mots :

Tu te souviens, à notre première rencontre j’ai dit que je te raconterai mon histoire pour Hadi, pour qu’il sache d’où il vient, ce qu’on a vécu.
Plus tard, quand mes enfants seront en âge de comprendre, je leur ferai lire ton livre ;

Et j’espère qu’ils seront fiers de nous, d’où ils viennent. »

je l’espère aussi et j’espère également qu’ils aimeront la France .

 

Édition Seuil

 

Dicton syrien

 « En chaque personne que tu connais, il y a quelqu’un que tu ne connais pas. »

 

Je vais finir par croire que les apiculteurs sont des humains supérieurs après « les abeilles grises » et « les abeilles d’hiver » voici l’histoire de deux apiculteurs pris dans la tourmente de la guerre en Syrie. Le portrait de ces apiculteurs ont des points communs, ils résistent tous à l’ambiance totalitaire ou à la guerre. est-ce le fait qu’ils sont amenés à mieux comprendre le comportement des abeilles qui les conduit à relativiser les engagements politiques extrémistes ?

J’avais déjà bien aimé de la même auteure « Les oiseaux chanteurs » sur un drame se passant à Chypre le pays dont elle est originaire.

En tout cas le portrait de Nuri et de son cousin Mustapha, les deux apiculteurs d’Alep est de la même trempe que celui de Sergueï – héros involontaire ukrainien ou celui d’Egidius Arimond – cet homme qui cachaient des juifs dans ses ruches. Les deux cousins, non seulement récoltent le miel de leurs abeilles mais ils ont également crée une petite entreprise autour de l’exploitation des ruches : miel, cire et autres produits dérivés, leur affaire marche très bien. La guerre va hélas tout détruire et comme les deux cousins tardent à partir – pour ne pas abandonner leurs abeilles- leurs deux fils vont être tués. La douleur est trop intense, en particulier pour Afra, la femme de Nuri qui en état de sidération et ne veut plus quitter la Syrie alors que c’était encore assez facile de le faire. Elle finira par accepter et avec Nuri les voilà sur le chemin de cet exil si douloureux pour les syriens qui ne sont pas partis assez vite. Ils connaîtront la traversée vers la Grèce dans un canot pneumatique, les camps en Grèce. C’est d’ailleurs là que tous les deux rencontreront l’horreur absolue. On sent que l’écrivaine y a elle même séjournée longuement , car elle sait nous rendre palpable l’insoutenable. Puis finalement ils arrivent en Grande Bretagne où les attend le cousin Mustapha.
Ne vous inquiétez pas je ne divulgâche rien du récit , car Chrsty Leftery commence son récit en Grand Bretagne, dans la pension où Afra et Nuri attendent de recevoir un statut de réfugiés politiques. Cette écrivaine mêle avec talent les trois temps forts du récit : Alep et la guerre, les destructions par les bombardements russes, les meurtres gratuits de l’état islamique, et le parcours des exilés via la Grèce. Afra est devenue aveugle de trop de souffrance et Nuri a des crises de panique totale pendant lesquels il revit les horreurs de son passé récent.
Je ne dis rien d’un petit Mohammed de l’âge de leur fils (7 ans ) qui va les accompagner pendant leur fuite car je ne veux pas enlever l’effet de surprise que vous aimez tant.

Un livre d’une beauté totale grâce à une écriture très en finesse. On sent bien la retenue de Christy Lefteri face aux horreurs qu’elle a rencontrées en Grèce.

 

Citations

J’ai tout de suite aimé le style de cette écrivaine .

 Il y avait notamment un tableau du Qouiiq que j’aimerais revoir. Elle en avait fait un pauvre caniveau traversant le parc de la ville. Afra avait don. Elle révélait la vérité des paysages. Cette toile et sa rigole dérisoire représentent à mes yeux notre combat pour rester en vie. À une trentaine de kilomètres au sud d’Alep. Le Qoueiq renonce à lutter contre l’impitoyable steppe syrienne et s’évapore dans les marais.

Destruction d’Alep.

Je lui avais pourtant dit que le souk était vide, une partie des allées bombardée et incendiée. Ces ruelle qui grouillaient naguère de marchands et de touristes étaient devenues le territoire de l’armée, des chiens et des rats. Tous les étals étaient abandonnés, hormis un, où un vieil homme vendait du café aux soldats. La citadelle convertie en base militaire était entourée de chars.

Procédé de mise en forme , je n’ai pas trouvé le pourquoi de ce procédé sauf peut être que tout s’enchaîne ?

Chaque chapitre se termine avec un mot en moins
Qui est à la fois le nom du prochain chapitre
Exemple :
Mes yeux restent ouvert dans le noir, car j’ai peur de
Le Chapitre suivant s’appelle :
la nuit
et débute ainsi :
tombait ; nous étions à Bab al-Faradj, dans la vieille ville.

La mer, l’attente .

 Le bateau parti la veille avait chaviré et la plupart des gens à bord avaient disparu. Seules quatre personne avaient été repêchées et on avait retrouvé huit cadavres. Voilà le genre de conversations que j’entendais autour de moi.

Genre de pensées qui torturent les survivants.

 Souvent, je regrette d’être resté à Alep, de ne pas être parti avec ma femme et ma fille, car, alors, mon fils serait encore parmi nous. Cette pensée me donne envie de mourir. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, changer les décisions que nous avons prises. Je n’ai pas tué mon fils. Je m’efforce de m ‘en souvenir pour ne pas errer à jamais dans les ténèbres.

Les camps de réfugiés.

 C’était sale et, même à l’air libre, l’odeur était pestilentielle : un mélange de pourriture et d’urine. Mais notre guide poursuivit son chemin sans s’arrêter. Plus on s’enfonçait dans le parc, plus les sentiers étaient défoncés et envahis de mauvaises herbes cassantes. Quelques personnes promenaient leur chien, des retraités bavardaient sur des bancs. Plus loin des drogués préparaient leur dose. Enfin, nous débouchâmes sur un autre campement. Neil nous trouva un espace sur des couvertures entre deux palmiers. En face se dressait la statue d’un ancien guerrier. Un homme émacié était assis sur le piédestal. Ses yeux me rappelèrent ceux des jeunes dans la cour de l’école la veille.
 Cet endroit avait quelque chose de malsain, mais je ne m’en aperçu que bien plus tard, après le départ de Neil lorsque la nuit se referma sur nous . Les hommes se regroupaient en meutes, comme des loups. Les Bulgares, les Grecs, les Albanais. Ils regardaient et attendaient quelque chose : ça se voyait dans leurs yeux. Des yeux de prédateurs intelligents.
 Il faisait froid. Afra frissonnant. Elle n’avait quasiment rien dit depuis notre arrivée. Elle avait peur. Je l’enveloppais de couvertures. Nous n’avions pas de tente, seulement un grand parapluie qui nous protégeait du vent du nord. Quelqu’un avait allumé un feu à côté. Il nous réchauffait un peu mais pas assez pour nous procurer du confort

Édition Payot
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Un premier roman, que j’ai lu aussi vite que je l’oublierai. Amélie Fonlupt (un nom qui me rappelle de bons souvenirs : celui du pédiatre qui a suivi mes enfants à Rennes, mais cela n’a rien à voir !) fait revivre trois générations de femmes du Cap Vert. La grand-mère, venue en France car elle ne supportait plus la misère de son pays, la mère Reine, installée en France et qui serait très heureuse si son mari arrêtait de jouer de poker, et Léna le personnage principal qui va s’évader de son milieu grâce au piano.
L’écriture est très rapide et cela donne l’impression d’un survol plus que d’un ancrage dans le monde des émigrés capverdiens. Le Cap Vert est un pays soumis à des intempéries qui ravagent les sols et réduisent à la misère une population paysanne qui pouvait juste survivre. Ce sont les femmes dans ce pays comme dans beaucoup d’autres qui se confrontent aux difficultés pour leurs enfants, les hommes s’exilent. Arrivée en France, la grand-mère n’hésite pas à faire des ménages pour élever sa fille Reine, qui a son tour fera des ménages, sa santé l’ayant empêchée de poursuivre ses études.
On sent bien tout le courage de ces femmes et aussi la fatalité des destins auxquels Léna veut échapper.
La galerie de portraits dans ce roman ne m’ont, hélas, pas convaincue, ils sont pourtant sympathiques mais je les ai trouvés sans consistance : Max son petit frère qui est harcelé dans son collège, l’Algérienne concierge au verbe haut qui fait des gâteux à longueur de journée, le professeur de musique du collège qui initiera Léna au piano, les riches patrons de Reine.
C’est compliqué d’expliquer quand un roman, avec des aspects qui auraient pu me plaire, ne prend pas, je pense que tout vient du style de l’écrivaine : trop rapide et trop facile sans doute.
Je dois lui reconnaître une qualité à ce roman … depuis cette lecture je « ré » écoute Césaria Évoria

Citations

Un début qui m’a plu

Le 27 août 1941, donc, Mamé naissait à São Miguel, dans le nord de l’île de Santiago, tandis que Cesaria Évoria venait au monde à Mindelo sur l’île de São Vicente. Un hasard amusant qui fut cependant sans incidence puisque, de comment elles n’eurent pas grand chose si ce n’est cette date, ce pays et une volonté farouche de sortir du commun. Toujours est-il que des deux vous n’avez entendu parler que de la seconde(…) Vous ignorez peut-être qu’à sa mort trois jours de deuil furent décrétés au Cap Vert, et un aéroport fut rebaptisée à son nom. C’est bien vous avez écouté la chanteuse grâce à qui un pays s’est fait entendre, mais dès lors que vous n’avez pas connu ma grand-mère, ce n’est pas tout.

Une lignée de femmes.

 Alors si ma mère avait su que dans ma chambre j’écoutais du piano, si elle avait su qu’après l’école je faisais semblant de rester plus longtemps à l’étude pour pouvoir m’attarder dans la salle de musique, là, elle aurait paniqué à raison. Mais je ne pouvais pas le lui dire. Je venais d’une lignée de femmes auxquelles on avait dit que le rêve était un luxe à la portée des gens qui en ont les moyens. Je n’avais pas le droit. Vouloir être artiste était insensé, cela n’était pas pour nous. nous qui ne possédions pas grand chose. Il fallait trouver un vrai travail, avec un salaire à la fin du mois.


 

Sans aucun jeu de mots, j’arrive « après » le grand succès de ce roman et « après » avoir lu « American Rust« . Le sujet est le même : que se passe-t-il dans une région qui a perdu ce qui faisait sa richesse économique, dans les deux cas, il s’agit de s’agit de la disparition de l’industrie métallurgique. dans les deux romans on voit la disparition d’un rôle masculin évident car fondé sur la force physique, la différence c’est que l’on sent que la région lorraine peut revivre autrement alors que dans le roman de Philip Meyer c’est la nature qui reprend ses droits, la région retournant à l’état sauvage.

Je ne voulais pas lire ce roman car j’avais peur de retrouver une atmosphère trop sombre et sans espoir. C’est bien le cas mais le talent de l’écrivain est tel que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce gros roman. Il s’attache à décrire tous les habitants d’une ville imaginaire du bassin des Hauts-Fourneaux, on voit des hommes déclassés dont la seule façon de tenir est de consommer de l’alcool à haute dose : « eux » ce sont ces anciens ouvriers. Leurs femmes parfois boivent mais le plus souvent elles essaient de tenir leur famille. Et leurs enfants ? Ils s’ennuient et cherchent à satisfaire leurs besoins sexuels, ils boivent aussi mais rajoutent la drogue qui leur ouvre un monde plus souriant. À côté et se mélangeant assez peu des arabes, une famille marocaine très cliché : le père épuisé par une vie de labeur, la mère retournée au pays, et un fils dealer de haschisch. On voit aussi deux filles de la bourgeoisie qui s’encanaillent mais réussiront à sortir de cette région.

La construction du roman se passe autour d’un vol de moto qui sera le déclencheur de la catastrophe entre les jeunes, la violence des bagarres est terrible et laisse des traces indélébiles. En revanche, il n’y a pas de meurtre contrairement à ce qui se passe dans les romans américains, donc, un après sera possible pour ces jeunes mais cela ne veut pas dire un avenir positif. Le roman se termine sur un deuxième vol de moto, rouler sur une moto semble donner aux jeunes une impression de liberté. Le dernier été se passe lors de la coupe de monde de foot en 1998 et l’écrivain décrit cette population d’anciens ouvriers réunie dans un élan « patriotique » presque unanime.

On peut reprocher à ce texte de faire une peinture trop noire d’une population qui a certainement plus de richesse personnelle que celle des différents personnages, on peut aussi ne pas trop aimer le langage des jeunes, les descriptions des beuveries à la bière (arrosée de picon, ou non), les hallucinations dues à la drogue, les très nombreuse scènes de baise… Je suis d’accord avec tout cela mais ce qui m’a empêchée de mettre cinq coquillages c’est de n’avoir aucun personnage positif dans le roman. On a l’impression que tous les gens de cette région sont décrits dans ce roman, or je suis certaine qu’il existe des gens de valeur qui ne sont ni alcooliques ni drogués et dont la principale activité n’est pas sexuelle.

Cette dernière remarque ne m’a pas empêchée de lire avec beaucoup d’intérêt ce roman de Nicolas Mathieu et de retenir son nom pour d’autres lectures.

 

Citations

Le style de l’auteur .

 Anthony venait d’avoir quatorze ans. Au goûter, il s’enfilait toute une baguette avec des Vache qui Rit. La nuit il lui arrivait parfois d’écrire des chansons, ses écouteurs sur les oreilles. Ses parents étaient des cons. À la rentrée, ce serait la troisième.

Ambiance de la cité.

 Un peu après 15h, le temps devint comme une pâte, grasse, étirable à l’infini. Chaque jour, c’était pareil. Dans le creux de l’aprèm, un engourdissement diffus s’emparait de la cité. On n’entendait plus ni les enfants ni les téléviseurs par les fenêtres ouvertes. Les tours même semblaient prête à s’affaisser, hésitant dans les brumes de chaleur. Par instant, une mob kitée pratiquait une incision bien nette dans le silence. Les garçons clignaient des yeux et essuyaient la sueur qui venait noircir leurs casquettes. Au-dedans, la nervosité marinait sous son couvercle. On était somnolent, haineux, et ce goût acide du tabac sur la langue. Il aurait fallu être ailleurs, avoir un travail, dans un bureau climatisé peut-être bien. ou alors la mer.

L’après de la métallurgie .

 Un siècle durant les hauts fourneaux d’Heillange avaient drainé toute ce que la région comptait d’existence, happant d’un même mouvement les êtres, les heures, les matières premières. D’un côté, les wagonnets apportaient le combustible et le minerai par voie ferrée. De l’autre, des lingots de métal repartaient par le rail, avant d’emprunter le cours des fleuves et des rivières pour de longs cheminements à travers l’Europe. 
Le corps insatiable de l’usine avait duré tant qu’il avait pu, à la croisée des chemins, alimenté par des routes et des fatigues, nourri par un réseau de conduites qui, une fois déposées et vendues au poids, avaient laissé de cruelles saignées. Ces trouées fantomatiques ravivaient les mémoires, comme les ballasts mangés d’herbe, les réclames qui pâlissaient sur les murs, ces panneaux indicateurs grêlés de plombs.

L’éducation .

 L’éducation est un grand mot, on peut le mettre dans des livres et des circulaires. En réalité tour le monde fait ce qu’il peut. Qu’on se saigne ou qu’on s’en foute, le résultat recèle toujours sa part de mystère. Un enfant naît, vous avez pour lui des projets, des nuits blanches. Pendant 15 ans, vous vous levez à l’aube pour l’emmener à l’école. À table, vous lui répétez de fermer la bouche quand il mange et de se tenir droit. Il faut lui trouver des loisirs, lui payer ses baskets et des slips. Il tombe malade, il tombe de vélo. Il affûte sa volonté sur votre dos. Vous l’élevez et perdez en chemin vos forces et votre sommeil, vous devenez lent et vieux. Et puis un beau jour, vous vous retrouvez avec un ennemi dans votre propre maison. C’est bon signe. Il sera bientôt prêt. C’est alors que viennent les emmerdes véritables, celles qui peuvent coûter des vies ou finir au tribunal.

Ado dans une famille de la classe moyenne .

 Quand elle rentrait le week-end, elle trouvait ses parents occupés à mener cette vie dont elle ne voulait plus, avec leur bienveillance d’ensemble et ces phrases prémâchées sur à peu près tout. Chacun ses goûts. Quand on veut on peut. Tout le monde peut pas devenir ingénieur. Vanessa les aimait du plus profond, et ressentait un peu de honte et de peine à les voir faire un si long chemin, sans coup d’éclat ni défaillances majeures. Elle ne pouvait pas saisir ce que ça demandait d’opiniâtreté et d’humbles sacrifices, cette existence moyenne, poursuivie sans relâche, à ramener la paie et organiser des vacances, à entretenir la maison et faire le dîner chaque soir, à être présents, attentifs tout en laissant à une ado déglinguée la possibilité de gagner progressivement son autonomie.

Une méchanceté gratuite.

 Il ne reste plus d’idiots dans les villages, mais chaque café conserve son épave attitrée, mi-poivrot, mi-Cotorep, occupé à boire du matin au soir, et jusqu’à la fin

La vie sans alcool.

Mais au fond, le problèmes d’une vie sans alcool n’était pas celui là. C’était le temps. L’ennui. La lenteur et les gens. Patrick se réveillait d’un sommeil de vingt années, pendant lesquelles il s’était rêvé des amitiés, des centres d’intérêt, des opinions politiques, toute une vie sociale, un sentiment de soi et de son autorité, des certitudes sur tout un tas de trucs, et puis des haines finalement. Or il était juste bourré les trois quarts du temps. À jeun , plus rien ne tenait. Il fallait redécouvrir l’ensemble, la vie entière. Sur le coup, la précision des traits brûlait le regard, et cette lourdeur, la pâte humaine, cette boue des gens, qui vous emportait par le fond, vous remplissait la bouche, cette noyade des rapports. C’était ça, la difficulté principale, survivre à cette vérité des autres.

Le Maroc et la drogue.

 Le Rif produisait chaque année des milliers de tonnes de résine de cannabis. Des champs dans un vert fluorescent couvraient des vallées entières, à perte de vue, et si le cadastre fermait les yeux, chacun savait à quoi s’en tenir. Sous les dehors respectables, ces hommes matois qu’on voyait aux terrasses des cafés, avec leurs moustaches et leur gros estomac, étaient en réalité d’une voracité digne de Wall Street. Et l’argent du trafic irriguait le pays de haut en bas. On construisait avec ces millions des immeubles, des villes, tout le pays. Chacun à son échelle palpait, grossistes, fonctionnaires, magnat, mules, flics, élus, même les enfants. On pensait au roi sans oser le dire.

Retour dans sa ville de la Parisienne .

 Ils papotèrent un moment, mais sans y croire. Au fond, Steph était le centre d’un jeux de société assez vain. Sa mère l’exhibait, les gens feignaient de s’intéresser, la jeune fille donnait le change. Il circulait comme ça toute une fausse monnaie qui permettait d’huiler les rapports. À la fin, personne n’en avait rien à battre.

 

=

Édition Seuil . Traduit de l’anglais par Karine Lalechère

Lu dans le cadre de Masse Critique

 

Voici une bonne pioche chez Babelio, sans être un total coup de coeur ce roman est très intéressant et j’espère vous donner envie de le lire. L’auteure est britannique de parents chypriotes. Elle s’intéresse à deux scandales qui se passent à Chypre, l’un concerne le braconnage des petits oiseaux migrateurs, l’autre beaucoup plus révoltant concerne des employées de maison étrangères qui sont exploitées par des agences plus où moins mafieuses. Ces femmes devront toute leur vie rembourser l’agence qui les a fait venir, elles espèrent s’enrichir pour, le plus souvent, faire vivre leur famille alors que les seules personnes qui vont gagner beaucoup d’argent ce sont les propriétaires des agences. Les Chypriotes qui les utilisent n’imaginent pas les difficultés que traversent ces femmes. Pour la bonne société chypriotes ce sont des femmes interchangeables qui leur rendent tous les services possibles sans pour autant chercher à les connaître.

Ce roman s’appuie sur un fait divers qui a secoué Chypre : des femmes employées ont brutalement disparu. La police ne cherche absolument pas à savoir ce qui s’est passé, le hasard permettra de découvrir qu’il s’agit d’un crime odieux de femmes sans défense.

Le roman suit le destin d’une de ces femmes : Nisha , une jeune maman Skri Lanquaise, elle va aider Petra à élever Aliki l’enfant qu’elle a eu alors que son mari est mort avant la naissance de ce bébé. Un jour Nisha disparaît le roman va raconter l’enquête de Petra qui va ouvrir les yeux sur la vie de Nisha , elle a mauvaise conscience et se rend compte à quel point ces femmes sont malmenées dans son pays. Elle découvre aussi que Nisha lui a caché son amour pour Yiannis son jeune voisin, car elle avait peur d’être renvoyée si Petra avait connu cette relation amoureuse. Yiannis est est un Chypriotes que la crise de 2008 a totalement ruiné et il doit sa survie au braconnage des oiseaux migrateurs ce sont de tous petits oiseaux que les restaurateurs s’arrachent. Il gagne beaucoup d’argent mais il sait aussi que s’il veut s’arrêter, il risque sa vie car au dessus de lui les commanditaires de cette pratique de braconnage, il y a des gens très puissants et qui sont prêts à tout pour cacher cette pratique mais aussi pour qu’elle continue.

Un sujet très intéressant mais j’ai un petit bémol pour le style que j’ai trouvé assez plat. Malgré cette dernière remarque je pense que ce livre trouvera un public assez large.

 

Citations

Voici une bonne façon d’apprendre la table de 9.

Si tu me demandes combien font 7 fois 9, je sais que la réponse commence par 6. Et que le second chiffre, c’est toujours celui d’avant, moins 1. Par exemple, 8 fois 9 font 72, 7 et 2. 
(PS regardez bien la table de 9
1 fois 9 =9
2 fois 9 = 18
3 fois 9 = 27
4 fois 9 = 36
5 fois 9 = 45
6 fois 9 = 54
7 fois 9= 63
8 fois 9 = 72
9 fois 9 = 81
10 fois 9 = 90
certes quand on l’écrit ça marche mais pour dire spontanément « 7 fois 9 = 63 cela demande une gymnastique de la mémoire qui me semble compliquée, moi quand j’étais enfant pour la table de 9 je me disais  : 7 fois 9 = 70 – 7 = 63 .)

Le crack de 2008.

 Avant la crise de 2008, la Laiki banque était en plein essor. elle s’apprêtait à devenir le véhicule d’investissement européen pour le fonds d’état de Dubaï et elle a joué un rôle pivot dans l’industrie des services financiers de Chypre. Elle accueillait à bras ouverts les nouveaux entrepreneurs russes qui arrivaient avec des valises remplies de billets et créaient sur l’île des sociétés administrées par des avocats et des comptables locaux. Les transferts d’argent entre la Russie et Chypre avaient atteint des montants astronomiques. La banque avait même géré les affaires de Slobodan Milosevic. Dans les années 1990, son gouvernement avait transféré des milliards de dollars en espèces par notre intermédiaire, en dépit des sanctions des Nations Unies.

 Son expansion agressive en Grèce fut fatale à la Laiki. Le bilan était sous-capitalisée au moment de la crise financière mondiale et ce fut la dégringolade. La banque fut démantelée. Je perdis mon emploi, mes économies et ma femme -dans cet ordre.

Un policier caricatural ?

 Je ne peux pas m’amuser à chercher ces étrangères. J’ai du travail. Si elle ne revient pas, c’est sans doute qu’elle est passée au nord. C’est ce qu’elles font. Elles vont du côté turc dans l’espoir de trouver un meilleur emploi. Ces femmes sont des animaux, elles obéissent à leur instinct. Ou à l’argent. Vous devriez rentrer chez vous et débarrasser sa chambre. Si elle n’est pas de retour à la fin de la semaine, appelez l’agence pour demander qu’on vous envoie une autre bonne.

L’horreur de la guerre à Chypre.

 Une seule fois, j’ai entendu mon père parler avec savoir d’avant -une voix sincère et bienveillante-, et ce fut pour dire qu’il avait tué un ami au combat. Il ne nous avoua jamais son nom.
 Ces années d’après guerre m’ont appris une leçon que je n’ai pas oubliée : on pouvait se refermer en soi-même, et, comme mon père, ne jamais retrouver la sortie.

Exemple de ce que vivent les femmes étrangères domestiques à Chypre.

Mutya Santos, une autre Philippine, venait de Manille. Elle s’entendait bien avec sa première employeuse et dînait avec elle chaque soir. À la mort de la vieille dame, on l’avait placée chez un homme qui essayait constamment de la tripoter, entrait dans la salle de bain quand elle était sous la douche et se glissait dans sa chambre pendant son sommeil. Elle s’était plainte à l’agence qui avait refusé d’intervenir. Lorsque son patron l’avez appris, il l’avait congédiée. Elle aussi s’était retrouvée sans rien, avec une énorme dette à rembourser. 

 

Éditions Picquier Traduit de l’anglais par Santiago Artozqui

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Ce roman a obtenu un coup de coeur à notre réunion du mois de décembre, je me suis empressée de l’emprunter et si j’avais réussi à le lire avant notre réunion je l’aurais défendu malgré mes quelques réserves.

Il a tout pour plaire ce roman : sous-tendu par le drame personnel de trois femmes iraniennes réfugiées en Irlande dans le comté de Mayo, le roman dévoilera peu à peu les horreurs qu’elles ont vécues sous la répression aveugle du shah d’Iran et la montée de l’intolérance islamiste. Dans ce petit village de Ballinacroagh, elles ouvrent un restaurant aux saveurs de leurs pays, et sont à la fois bien accueillies par une partie de la population et en butte à ceux qui voient d’un mauvais œil ces femmes venues d’ailleurs. Le style de Marsha Mehran est emprunt de poésie à l’image des contes perses et contribue au charme un peu envoutant de ce récit. Et puis, ce roman est un hymne à la cuisine iranienne, on savoure ces plats (que je me garderai bien d’essayer de reproduire malgré les recettes qui sont généreusement expliquées) tant elles demandent des épices que je ne saurai trouver sur mon marché de Dinard et tant elles me semblent complexes à réaliser. Ce qui est très bien raconté ici, c’est le poids de la cuisine dans l’exil : refaire les plats aux saveurs de son pays, c’est un peu vaincre la nostalgie de la douceur de la vie familiale qui a été détruite par des violences telles que la seule solution ne pouvait être que la fuite.

La description des habitants du village irlandais manque de nuances, il faut l’accepter pour rentrer dans le récit. Le succès du restaurant tient de l’envoutement pour des parfums d’épices venues d’ailleurs. L’amour de la plus jeune des sœurs pour le fils du personnage odieux qui veut racheter leur boutique relève du conte de fée . Cela ne m’a pas empêchée de passer plusieurs soirée en compagnie de ces personnages dans ce petit village arrosé d’une pluie continue ou presque. J’ai aimé le courage de ses trois femmes et de leur volonté de vivre quel que soient les drames qu’elles ont traversés. Évidemment, on pense à tous ceux qui ont essayé de fuir des pays où des répressions sans pitié écrasent toute tentative de vie libre.

La mort tragique de cette jeune auteure d’origine iranienne est un poids supplémentaire à la tristesse qui se dégage de cette lecture qui se veut pourtant résolument optimiste. Le roman se situe en effet à une période où les réfugiés iraniens trouvaient leur place dans un monde qui était plus ouvert aux drames des pays soumis à des violences inimaginables. Ce monde là, appartient au passé car nos civilisations occidentales sont surprises par l’ampleur des drames des pays à nos frontières et se sentent démunies face à l’accueil de pauvres gens chassés de chez eux et prêts à risquer leur vie pour un peu de confort dans un monde plus apaisé. Ce n’est pas le sujet de ce roman mais on y pense en se laissant bercer par le charme des saveurs des plats venus d’orient dans ce village où la viande bouillie arrosée de bière semble être le summum de la gastronomie.

Citations

La voisine malfaisante et médisante

Dervla Quigley avait été frappée d’incontinence, un problèmes de vessie très gênant qui l’avait cloué chez sa sœur -laquelle était dotée d’une patience à toute épreuve- et laissée l’essai totalement dépendante de celle-ci. Incapable de maîtriser son propre corps, Dervla avait bientôt été obsédée par l’idée de manipuler celui de tous les autres. Les ragots n’étaient pas seulement ses amis et son réconfort, mais aussi la source d’un grand pouvoir.

Vision originale de l’acupuncture

Elle était même allée consulter un acupuncteur chinois qui, au plus fort des seventies et de l’amour libre, s’étaient établis dans Henry Street à Dublin. La force de l’âme de ce chinois l’avait impressionnée -Li Fung Tao pratiquait son tai-chi matinal en toute sérénité pendant que les vendeurs ambulants de fruits et de légumes appâtaient les chalands en beuglant tout autour de lui-, mais ses aiguilles n’avaient eu pour effet que de lui donner l’impression d’être un morceau d’anchois plongé dans une marinade d' »alici » à base d’origan et de poudre de piment. 

Les épices

 Dans le livre de recettes qu’elle avait stocké dans sa tête, Marjan avait veillé à réserver une place de choix aux épices qu’elle mettait dans la soupe. Le cumin ajoutait au mélange le parfum d’un après-midi passé à faire l’amour, mais c’en était une autre qui produisait l’effet tantrique le plus spectaculaire sur l’innocent consommateurs de ce velouté : le « siah daneh » – l’amour en action- ou les graines de nigelle. Cette modeste petite gousse, quand on l’écrase dans un mortier avec un pilon, ou lorsqu’on la glisse dans des plats comme cette soupe de lentilles, dégage une énergie poivrée qui hibernent dans la rate des hommes. Libérée, elle brûle à jamais dans un désir sans limite et non partager pour un amant. la nigelle est une épice à la chaleur si puissante qu’elle ne doit pas être consommée par une femme enceinte, de peur qu’il ne déclenche un accouchement précoce.

 

 

Édition Charleston. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Bourgeois

Encore un livre sur mon Kindle qui a bien rempli sa fonction de me faire oublier tous ces fils multicolores auxquels j’ai été reliée une petite semaine l’été dernier. Je ne peux que vous recommander cette lecture, cette auteure vous permettra de revivre le martyre du peuple coréen colonisé par le Japon.
Le roman commence en Corée dans une famille qui héberge et nourrit des pêcheurs. Ce n’est pas la richesse mais grâce au travail harassant du couple, ils y arrivent. Plusieurs malheurs vont s’abattre sur cette famille, d’abord la mort du mari puis la grossesse non désirée de leur fille unique qui s’est laissé abuser par un riche Coréen habitant au Japon. Heureusement elle trouvera un homme qui veut bien l’épouser et toute la famille partira vivre au Japon qui est alors la puissance coloniale dominant la Corée.
La deuxième partie du roman raconte le sort des Coréens au Japon. Pendant la guerre, ils sont considérés comme des « sous-hommes » et après, ils sont l’objet de toutes les discriminations habituelles dans un pays qui est en proie au racisme et au mépris pour tout ce qui n’est pas japonais. La famille va s’en sortir grâce au travail incroyable des femmes et on l’apprendra plus tard grâce aussi, à la protection du riche Coréen qui est le père biologique du premier enfant du personnage principal. C’est aussi un mafieux très puissant qui lui ne craint pas d’affronter les Japonais.
Le roman est passionnant. Suivre le destin de cette famille est un voyage qui m’a tenue en haleine jusqu’au bout. J’ai beaucoup aimé me plonger ainsi dans la culture coréenne en particulier la cuisine qui semble délicieuse. L’image du Japon ne sort pas grandi, pendant et avant la deuxième guerre mondiale c’était une puissance coloniale barbare pour les populations sous son joug et ensuite ce pays est apparu comme victime de la bombe atomique et n’a pas fait le même travail de mémoire que l’Allemagne. Et donc, a gardé des aspects contestables de sa civilisation, en particulier le mépris voire le racisme envers les Coréens.

Citations

Le destin de femmes

Évidemment ! Sunja-ya, le destin d’une femme est de travailler et de souffrir. Souffrir, et souffrir encore. Mieux vaut t’y attendre dès maintenant, tu sais. Tu grandis, alors il faut bien te prévenir. Ta vie va dépendre de l’homme que tu vas épouser. Avec un bon mari, tu auras une vie correcte, mais avec un homme mauvais, c’est la malédiction assurée. Dans tous les cas, il y aura de la douleur. Prépare-toi à souffrir et continue de travailler dur. Personne ne prendra soin d’une pauvre femme : on ne peut compter que sur soi-même.

 

Le deuil

Shin adressa un sourire faible au jeune pasteur. Cinq ans plus tôt, le choléra avait emporté quatre de ses enfants ainsi que sa femme et, depuis, il avait compris qu’il ne pouvait plus parler du deuil – tout ce qu’une personne pouvait lui dire à ce sujet lui semblait désormais ridiculement sentimental et insensé. Avant de les perdre, il
n’avait jamais fait l’expérience de la douleur de cette manière, pas vraiment. Ce qu’il avait appris de Dieu et de la théologie lui avait paru plus concret après sa tragédie personnelle. Sa foi n’en avait pas été ébranlée, mais son tempérament avait changé pour toujours. Comme si une pièce chauffée s’était refroidie d’un coup.

La vertu de la femme

Pour autant, nous devons préserver ta vertu – elle est plus précieuse que ton argent. Ton corps est un temple sacré où repose le Saint-Esprit. Les inquiétudes de ton frère sont légitimes. La foi mise de côté, et pour parler avec pragmatisme : si tu devais te marier, ta pureté et ta réputation seraient essentielles. Le monde juge sévèrement une fille pour son inconvenance – même lorsqu’il s’agit d’un accident. C’est terrible, mais c’est ainsi

L’après guerre au Japon

Tous ces gens – les Japonais et les Coréens – sont dans la merde parce qu’ils pensent en termes de groupe. Mais je vais te dire la vérité : un leader bienveillant, ça n’existe pas. Je te protège parce que tu travailles pour moi.
Quant à tous ces partis de Coréens, il faut que tu te souviennes qu’au bout du compte, les dirigeants ne sont que des hommes, ce qui ne les rend pas plus intelligents que des porcs. Et les porcs, on les bouffe. Tu as vécu dans une ferme qui vendait des patates douces à des prix indécents aux Japonais affamés par la guerre. Tamagushi a violé les régulations gouvernementales, et je l’ai aidé, parce qu’il voulait faire de l’argent, et moi aussi. Il se voit probablement comme un Japonais respectable, honorable même, plein d’une fierté nationaliste – comme tous, pas vrai ? La vérité, c’est qu’il fait un très mauvais Japonais, mais un homme d’affaires avisé. Je ne suis pas un bon Coréen, et je ne suis pas japonais.

Le patriotisme

Le patriotisme n’est qu’un principe, comme le capitalisme, ou le communisme. Mais les principes font oublier aux hommes leurs propres intérêts. Et les types au pouvoir exploiteront toujours les hommes qui croient trop en leurs principes. Tu ne peux pas réparer la Corée. Des centaines d’hommes comme toi et des centaines d’hommes
comme moi ne suffiraient pas à la remettre sur pied. Les Japs sont partis, et maintenant la Russie, la Chine et les États-Unis se disputent notre petit pays de merde. Tu crois que tu peux rivaliser avec eux ? Oublie la Corée.
Concentre-toi sur ce que tu peux avoir. Tu veux l’épouse ? Parfait. Tu n’as qu’à te débarrasser du mari, ou attendre qu’il crève. Ça, c’est quelque chose que tu peux maîtriser.

 

Le savoir

Absorbe tout le savoir que tu pourras. Remplis ton cerveau de connaissances – c’est la seule forme de pouvoir que personne ne pourra jamais te reprendre. 

 

 

Édition 10/18 domaine étranger . Traduit de l’anglais par Delphine et Jean-Louis Chevalier

 

Le 23 janvier 2020 je disais à Aifelle que ce livre me tentait beaucoup. Elle me mettait en garde contre l’aspect très noir du roman, elle avait bien raison mais je ne regrette absolument pas cette lecture même si parfois je l’ai trouvée éprouvante.

Ce n’est pas un roman qui se lit facilement parce qu’il décrit une tension que rien ne semble pouvoir apaiser. Mais il permet de découvrir le sort qui était réservé aux émigrés européens qui, après la guerre, ont voulu rejoindre l’Australie pour fuir les horreurs qu’ils venaient de vivre. Comme à toutes les époques d’après conflits, les populations recherchent un ailleurs plus souriant, mais les pays se referment sur eux mêmes et n’accueillent que difficilement de nouveaux arrivants même dans un pays comme l’Australie qui pourtant, est, en principe, une terre d’immigration.

Le roman se construit sur deux époques, l’enfance de Sonja dans les années 1950, et en 1990 son retour alors qu’elle est enceinte vers son père Bojan Buloh, un ouvrier dur à la tâche et qui noie son mal de vivre dans l’alcool. Avant ces dates, il y a aussi le passé dans les montagnes Slovènes où Bojan et sa femme Maria ont connu l’horreur absolue de la guerre contre les nazis menée par des partisans. Ces horreurs ont modelé des êtres qui renferment alors en eux des bulles de fragilités dont ils n’ont eux-mêmes pas idée et qui peuvent éclater à tout moment. Les chasser loin, au delà de leurs souvenirs, ne leur permettra pas de se débarrasser de leur présence dans leur personnalité.

Marie, disparaît dès le premier chapitre. Disparaît c’est vraiment le mot employé et elle laisse derrière elle, une petite fille de 5 ans qui ne comprend pas et un mari complètement effondré qui ne trouvera que dans l’alcool des oublis qui ne durent que le temps de l’ivresse. La vie des émigrés étaient dures, en effet, avant de devenir australien, ils devaient accepter de travailler pendant deux ans là où on avait besoin d’eux. Pour Bojan, ce sera à construire des barrages hydrauliques en Tasmanie. Si la description du climat est réaliste, cela ne donne guère envie d’y faire du tourisme, il y fait froid, le paysage est noyé sous la brume ou la pluie battante. L’enfant est d’abord retiré à son père et fréquentera deux familles d’accueil absolument horribles, puis elle viendra vivre avec lui. Bojan aime son enfant mais est dépassé par son drame personnel, et lorsqu’il a bu frappe sa fille sans raison. Malgré cela Sonja a bien du mal à le quitter, et c’est vers lui qu’elle revient adulte et enceinte.

Ce roman est donc très sombre et parfois trop pour moi, et il est soutenu par une évocation d’une nature sans pitié qui colore le roman d’une tension supplémentaire. Pendant tout le roman on espère comprendre le pourquoi de tant de malheurs, on sent que la vérité va être insupportable et elle l’est effectivement. Je ne m’attendais pas à cette explication que je me garde bien de vous dévoiler. La fin du roman est un petit moment d’espoir autour d’un bébé qui représente un avenir possible. En tout cas, c’est que j’espère, on croise les doigts pour ce bonheur fragile.

 

Citations

 

Réaction de Soja face à la colère de son père complètement ivre

Il n’était pas grand, Sonja Buloh n’était pas grande non plus et ne possédait pas sa faculté de prendre des proportions gigantesques. Elle, c’était précisément l’inverse. Pour échapper à ce courroux, elle avait appris l’art de la petitesse, l’art de rendre son être si menu qu’il devenait invisible sauf à un examen attentif.

La langue et l’immigration

Il s’arrêta, rassembla ses pensées dans sa tête et essaya de les réarranger en un semblant d’anglais correct. « J’aurais dû écrire à toi, euh, des lettres, mais euh, mon anglais, il va au travail, il va au pub, mais il va pas si bien sur le papier. »
« Il y a des choses qui comptent plus que les mots » dit-elle puis elle s’arrêta. Sa remarque avait toutefois frappé son père . Il devint presque volubile, mais sans colère, pour la réfuter. 
« Peut-être tu dis ça parce que tu as plein de mots, dit-il tu as trouvé une langue. Moi j’ai perdu la mienne. J’ai jamais eu assez de mots pour dire aux gens c’que je pense, c’que je ressens. Jamais assez de mots pour un bon boulot. »

Illusions australiennes .

Pour Sonja la ville de Tullah n’était pas nichée dans la haute vallée entourée de tous côtés par les montagnes sauvages, mais avait plutôt un air de catastrophe industrielle disposée en petit tas réguliers qu’on avait laissés s’enfoncer dans le sol marécageux. Tout être, toute chose était provisoire. Sauf la forêt tropicale et le bois bouton qui repousserait une fois terminé cette brève interruption. Ce n’était pas un lieu où les gens naissaient ou souhaitaient mourir, mais un lieu qu’ils aspiraient simplement à quitter. 
La promesse faite aux travailleurs émigrés, l’offre d’une vie meilleure en Australie dans l’Europe dévastée par la guerre, l’insaisissable arc-en-ciel de la prospérité et e de temps plus paisibles, tout cela s’était amenuisé, éloigné, ce n’était plus une chose réelle mais un kaléidoscope, un rêve à moitié fixé dans la mémoire qu’il valait mieux essayer d’oublier.

Les désespérés

À la fin la seule chose qui comptait, c’était qu’il semblait ne pas y avoir d’issue, vraiment rien d’autre que la mort ou l’alcool. Au bout d’un certain temps tout le reste s’évanouissait, et certains étaient assez contents qu’il en soit ainsi et d’autres non, mais dans un cas comme dans l’autre la plupart finissait par décider que mieux valait ne pas songer sans cesse au joug du destin qui pesait si durement sur eux. Au bout d’un certain temps ils perdaient à peu près tout, famille, argent, espoir. Ils conservaient toutefois une certaine camaraderie de chiens perdus qui valait ce qu’elle valait, généralement pas grand-chose, certaines fois énormément.

Le discours que le père n’a pas pu dire à sa fille

Elle partie, il trouva finalement les mots pour exprimer ce qu’il voulait lui dire depuis longtemps. « Toi et moi, dit-il d’une voix basse au débit hésitant, on a vécu, on a vécu pire que des chiens. Je regrette. Je pense pas qu’tu reviendras. Crois-moi, j’ai jamais voulu tout ça, la boisson, les coups, ces gourbis d’émigrés, des fois des choses t’arrivent dans la vie et malgré tout, malgré c’que t’espères, tu peux pas les changer. »
Sa confession terminée, son éloquence l’abandonna aussi rapidement qu’elle était venue. 
Avant d’aller prendre dans le frigo sa première bouteille de la journée, oublieux de l’heure matinale, il dit seulement une chose à la brise qui s’engouffrait du monde extérieur.
 » On est venus en Australie, dis Bojan Buloh, pour être libres ».

 

 

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Carla Lavaste. Édition Pocket

 

Roman reçu en cadeau, et que j’ai lu d’une traite car l’histoire est saisissante et bien racontée. J’aime bien découvrir à travers un roman un fait historique dont je n’avais jamais entendu parler. Aux USA « Terre d’accueil et de liberté » pour des populations européennes chassées par la misère de leur pays, une pratique peu reluisante a vu le jour entre les deux guerres. Une oeuvre chrétienne chargeait à New-York un train avec des orphelins pour leur éviter l’orphelinat. Il arrivaient dans le Midwest et dans les gares les attendaient des couples en mal d’enfants. Une affiche avec cette annonce était collée sur les murs

On recherche
FAMILLES D’ACCUEIL POUR ORPHELINS
Une société de Bienfaisance de la côte Est
Pour enfants sans foyer
Arrivera à la gare de Milwaukee Riad.
Le vendredi 18 octobre
LA DISTRIBUTION AURA LIEU À 10H
ces enfants de tous âges et des deux sexes
sont seuls au monde

Les familles d’accueil faisaient leur choix et signaient une convention : ils devaient les nourrir et les loger contre de menus services et les envoyer à l’école. Les bébés étaient le plus souvent adoptés et les plus grands, surtout les garçons étaient choisis par des fermiers pour l’appoint qu’ils pouvaient apporter au travail de la ferme. Aucun contrôle n’était exercé et donc l’école était une option au bon vouloir des gens qui accueillaient ces enfants.
Le roman a choisi pour raconter cette histoire une petite fille irlandaise qui changera plusieurs fois de prénom, Niamh son prénom irlandais, Dorothy dans l’horrible première famille et Viviane chez les gens qui l’ont aimée et qui ont voulu lui donner le prénom de leur fille morte de la diphtérie . Le seul objet qui la relie à son origine est un médaillon en étain avec le symbole irlandais de l’amour ;  » le cladagh »

Il lui avait été offert par une grand-mère dont elle se souvient avec tendresse. Mais quand elle sera orpheline personne ne cherchera à la récupérer ni sa famille irlandais avec qui elle n’a plus aucun contact ni sa famille(éloignée) américaine qui devait sans doute se battre avec sa propre misère. Elle partira donc dans un de ces trains et connaîtra deux horribles familles avant de rencontrer ceux qui deviendront ses parents adoptifs . Cette histoire nous est racontée au gré des rangements dans un grenier par une autre enfant placée en famille d’accueil, Molly qui a écopé de cinquante heures de travaux d’intérêt général. Ces deux femmes l’une dans l’année de ses 18 ans l’autre dans ses 93 ans finiront par s’entendre. Elles ont en commun de savoir ce que c’est que de vivre dans une famille d’accueil.

J’ai quelques réserves sur la fin trop en happy-end à mon goût , en particulier pour la jeune Molly mais cela n’enlève rien à l’intérêt du roman.

 

Citations

Une jeune placée en famille d’accueil

S’il y a bien une chose qu’elle déteste à propos des familles d’accueil, c’est d’être à la merci de gens qu’elle connaît à peine et de dépendre de leur moindre lubie. Ne rien attendre de qui que ce soit, voilà ce qu’elle a appris. Ses anniversaire sont souvent oubliés et c’est tout juste si elle est invitée à participer aux différentes fêtes qui jalonnent l’année. Elle doit se contenter de ce qu’elle reçoit, et c’est rarement ce qu’elle a demandé.

Le train d orphelins

« Les enfants, vous voici à bord de ce que l’on appelle un train d’orphelins et vous avez la chance d’en faire partie. Vous laissez derrière vous un lieu diabolique où règne l’ignorance, la pauvreté et le vice. À la place, vous allez découvrir la noblesse de la vie à la campagne. »