Édition livre de poche

J’ai vu ce roman sur de nombreux blogs en particulier, un billet que j’avais remarqué de Dominique, (désolée pour les blogs que j’oublie de citer). J’ai déjà beaucoup lu sur les quêtes de mémoire quand il ne reste plus que des lambeaux de souvenirs de familles décimées par la Shoa. Anne Berest est la petite fille de Myriam qui est elle même la fille d’Ephraïm et d’Emma et la sœur de Noemie et Jacques tous les quatre morts à Auschwitz et dont les noms ont été écrits sur une carte postale envoyée à sa mère en janvier 2003.

Anne est donc juive par sa mère et bretonne par son père. Élevée loin de toute religion par des parents intellectuels et attentionnés, elle accorde que peu d’importance à cette origine. Jusqu’au jour où elle veut savoir et transmettre à ses enfants ce passé. La première partie du livre, nous permet de découvrir le destin de la famille Rabinovitch, originaire de Russie, Ephraïm devient un fervent défenseur du socialisme mais très vite il déchante sur le régime communiste et est obligé de s’enfuir. Sa femme Emma Wolf est originaire de Lodz et aimera toute sa vie son mari malgré quelques divergences en particulier sur la religion, elle est pieuse et respecte les fêtes juives.
1019 date de naissance de Myriam à Moscou, c’est la la grand mère de l’auteure et avec ses parents elle commence une pérégrination à travers une Europe qui ne veut plus de Juifs. La Lituanie puis Israël d’où ils repartiront (hélas) pour la France. Ils ont eu le temps d’aller à Lotz où la famille d’Emma très aisée sent monter l’antisémitisme polonais sans pour autant tenter de fuir.

Enfin, ils arrivent en France avec leurs trois enfants et Ephraïm veut absolument devenir français . La suite on l’imagine : leurs deux enfants seront déportés avant eux Myriam était alors mariée à un français et n’était pas sur la liste du maire d’Evreux, mais elle était là ce jour là, son père l’a obligée à se cacher dans le jardin. Et ensuite Ephraïm et Emma seront à leur tour déportés.

Histoire trop banale , mais si bien racontée avec des allers et retours vers le temps présent et les recherche d’Anne qui s’appuient sur le travail très approfondi de sa mère Leila qui avait déjà trouvé et classé un très grand nombre de documents.
La deuxième partie du récit a pour but de nous faire découvrir la vie de Myriam pendant et après la guerre et finalement au dernier chapitre l’explication de la carte postale.

Le fil conducteur du roman, serait à mon avis de se demander ce que veut dire d’être juif et pourquoi même aujourd’hui l’antisémitisme peut donner lieu à des injures comme « sale juif ! » ou une exclusion d’une équipe de foot car dans la famille d’un petit Hassan de sept ans, on ne joue pas avec les juifs !

Ephraïm a tellement confiance dans la France, le pays des droits de l’homme que jusqu’à la fin il restera persuadé qu’il est à l’abri et ne veut pas entendre les messages d’inquiétude qu’il reçoit. Myriam gardera espoir le plus longtemps possible d’un éventuel retour de sa famille ou au moins de son jeune frère et de sa sœur. Elle s’enfermera dans un mutisme tel que sa propre fille aura bien du mal à comprendre l’horrible réalité et à remonter les fils de l’histoire familiale si intimement liée à celle des pires atrocités du siècle.

Quand Anne Berest part à la recherche de ce qui reste des traces de la présence de ses parents dans le petit village des Forges, j’ai retrouvé ce que j’avais senti en Pologne : la peur que l’on demande des comptes à des descendants de gens qui n’ont pas toujours bien agi voire pire. Comme cette famille chez qui elle retrouve les photos de sa famille et le piano de son arrière grand-mère.

Je n’ai pas lâché un instant cette lecture et je relirai ce livre certainement car je le trouve parfaitement juste et passionnant de bout en bout. Il va faire partie des indispensables et je vais lui faire une place chez moi car comme le dit un moment Anne Berest c’est important que les juifs envahissent nos bibliothèques, on ne peut plus faire comme si l’antisémitisme n’avait été que l’apanage des Nazis même si ce sont eux qui ont créé la solution finale celle-ci n’a pu exister que parce que chez bien des gens on ne voulait pas savoir ce qui arrivait à « ces gens là » quand on les parquait dans des camps puis quand on les faisait monter dans des trains pour l’Allemagne.

 

 

Citations

Un moment de notre histoire.

 Ephraïm suit de près l’ascension de Léon Blum. Les adversaires politiques, ainsi que la presse de droite, se répandent. On traite Blum de « vil laquais des banquiers de de Londres », « ami de Rothschild et d’autres banquiers de toute évidence juifs ». « C’est un homme à fusiller, écrit Charles Maurras, mais dans le dos »

Dialogue du petit fils avec son grand père juif et croyant .

– Tu es triste que ton fils ne croit pas en Dieu ? demande Jacques à son grand-père. 
– Autrefois oui j’étais triste. Mais aujourd’hui, je me dis que l’important est que Dieu croit en ton père.

La liste Otto.

Tout à fait, la La liste « Otto » du nom de l’ambassadeur d’Allemagne à paris, Otto Abetz. Elle établit la liste de tous les ouvrages retirés de la vente des librairies. Y figurait évidemment tous les auteurs juifs, mais aussi les auteurs communistes, les français dérangeants pour le régime, comme Colette, Aristide Bruant, André Malraux, Louis Aragon, et même les morts comme Jean de la Fontaine …

L’importance de porter un nom juif.

Mais petit à petit, je me rend compte qu’à l’école, s’appeler Gérard « Rambert » n’a vraiment rien à voir avec le fait de s’appeler Gérard « Rosenberg » et tu veux savoir quelle est la différence ? C’est que je n’entendais plus de « sale juif » quotidien dans la cour de l’école. La différence c’est que je n’entendais plus des phrases du genre « C’est dommage qu’Hitler ait raté tes parents ». Et dans ma nouvelle école, avec mon nouveau nom, je trouve que c’est très agréable qu’on me foute la paix.
(…)
– Moi aussi je porte un nom français tout ce qu’il y a de plus français. Et ton histoire, cela me fait penser que…
– Que ?
– Au fond de moi je suis rassurée que sur moi cela ne se voie pas.

Je trouve cette remarque très juste.

 Myriam constate que Mme Chabaud fait partie de ces êtres qui ne sont jamais décevants, alors que d’autres le sont toujours. 
– Pour les premiers, on ne s’étonne jamais. Pour les seconds, on s’étonne chaque fois. Alors que ça devrait être l’inverse, lui dit-elle en la remerciant.

Le sens du livre .

 Interroger ce mot dont la définition s’échappe sans cesse
– Qu’est ce qu’être juif ?
Peut-être que la réponse était contenue dans la question :
– Se demander qu’est-ce qu’être juif
(…) Mais aujourd’hui je peux relier tous les points entre eux, pour voir apparaître, parmi la constellation des fragments éparpillés sur la page, une silhouette dans laquelle je me reconnais enfin : je suis fille et petite fille de survivants.

 

 

 

Merci aux éditions Plon

 

 

C’est un roman qui se lit très facilement mais qui pour autant ne m’a guère convaincue. C’est une sorte de fable, qui permet à l’écrivain de raconter (encore une fois) les horreurs de l’extermination des juifs.

Le personnage principal est un enfant qui décide de devenir président des États-Unis et qui rencontre un vieil homme qui perd la mémoire. Tout le roman est construit autour de ce personnage est-il un sauveur de juifs ou un allemand qui a voulu sauver sa peau en se faisant passer pour juif ? Finalement il y aura du vrai dans ces deux propositions.

J’aurais bien aimé que l’écrivain se penche sur la mémoire d’un ancien nazi qui transforme peu à peu la réalité pour pouvoir survivre à ce qu’il a fait. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit mais d’une vieille personne qui commence un Alzheimer et qui ne sais plus qui il est vraiment. En plus, il n’a pas fait que le mal et il n’était pas un acteur de l’extermination des juifs donc d’une certaine façon il peut se regarder en face, ce que quelqu’un comme Mendele devait avoir du mal à faire.

C’est un personnage de fiction, et sur le sujet de la Shoa, je suis particulièrement exigeante ; c’est sans doute, la raison pour laquelle je suis passée à côté du charme de cette histoire et j’espère que d’autres vont l’apprécier

Citation

Genre de phrases agaçantes.

La vérité sort de la bouche des enfants(…)
 Les enfants ne sont pas représentés au gouvernement, or, nous sommes concernés par les décisions qui sont prises aujourd’hui, car elles auront des conséquences demain .

 

Jorj Chalandon est un habitué sur Luocine avec parfois d’excellent romans et parfois des déceptions.

Retour à Killiberg, le Quatrième Mur, Profession du père, sont pour moi de grands romans , un peu déçue par Le jour d’avant, et un petit flop par La Légende de nos pères, celui-ci rejoint mes préférences . Le sujet était particulièrement compliqué, Sorj Chalendon est journaliste et doit couvrir le procès Barbie en 1987 à Lyon où habite son père qui lui demande un passe droit pour suivre ce procès. C’est aussi l’occasion de rouvrir le dossier de son père qui a passé son temps à mentir à son fils sur son passé pendant la deuxième guerre . A-t-il été résistant ? Soldat SS ? Engagé dans la division Charlemagne ? a-t-il suivi les divisions allemandes pour lutter contre le communisme ? Son attitude lors du procès de Barbie est tellement désagréable, que son fils part à la recherche du procès pendant lequel son père a été condamné à un an de prison et à cinq ans d’indignité nationale.

Le roman débute par la visite du journaliste à Izieu, il visite cette colonie de vacances où des enfants juifs étaient cachés et semblaient en sécurité, ces pages sont d’une intensité rare et l’écrivain sait rendre ces enfants présents dans nos mémoires. Ce sera aussi un des moments les plus émouvants du procès.

Son père se comporte comme à son habitude, méprisant et bernant toutes les autorités : il se fait passer pour un héros de la résistance et obtient une place au procès car il veut absolument voir Barbie. Il méprise tous les témoignages des gens qui selon lui, ne sont bons qu’à pleurnicher. En revanche Barbie et Vergès lui plaisent bien ainsi que Klarsfeld car ces hommes lui semblent être d’une autre trempe. Son fils est excédé par son attitude et essaie de le confronter à son passé car il a pu obtenir le dossier judiciaire de son père grâce auquel il espère enfin le confronter à la réalité.

Les deux histoires se développent au rythme du procès officiel de Klaus Barbie, celui de son père est plus embrouillé mais implacable contre les mensonges de celui qui a gâché son enfance. Le procès de Barbie, ne permet pas d’obtenir la moindre repentance du bourreau de Lyon, mais la succession des témoignages de ceux qui ont eu à souffrir des conséquences de ses actes est à peu près insoutenables. Cela fait sourire son père , il ne voit le plus souvent qu’une machination d’une justice qui de toute façon condamnera Barbie. Son fils est écœuré, les bravades et rodomontades de son père ne l’ont jamais fait rire quand il était enfant, mais la différence c’est qu’il n’en a plus peur. La dernière scène est terrible laisser ce vieil homme face à toutes ses lâchetés lui qui s’est toujours présenté comme un héros sent la catastrophe possible. Le roman se termine là face à la Saône que son père veut traverser à la nage mais l’auteur tient à nous préciser que finalement son père est mort en 2014, Barbie en 1991 et que lui même a obtenu le dossier de son père en 2020. Donc ce livre est bien une fiction et pas une autobiographie, ce qui ne lui enlève aucune valeur à mes yeux, je dirai bien au contraire.

 

Citations

 

Conversation avec son grand-père qui donnera le titre à ce livre.

– Ton père, je l’ai même vu habillé en Allemand, place Bellecour.
À l’école primaire, pendant un trimestre, mon père m’avait obligé à porter la Lederhose la culotte de peau bavaroise, avec des chaussettes brunes montées jusqu’à la saignée des genoux. C’était peut-être ça, habillé en Allemands ? 
-Arrête donc avec ça ! a coupé ma marraine. 
Mon grand-père a haussé les épaules et rangé la pelle le long de la cuisinière. 
-Et quoi ? il faudra bien qu’il apprenne à jour ! 
– Mais qu’il apprenne quoi, mon Dieu, c’est un enfant ! 
– Justement C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! 
C’était en 1962, et j’avais dix ans.

Petite Remarque sur la personnalité de son père.

 Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu.

Le personnage son père

 -Mon père a été SS. 
J’ai revu mon père, celui de mon enfance, son ombre menaçante qui n’avait jamais eu pour moi d’autres mains que ses poings. Depuis toujours mon père me frappait. Il avait soumis son enfant comme on dresse un chien. Lorsqu’il me battait, il hurlait en allemand, comme s’il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldat. Quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais. Il était celui qui humiliait. Celui qui savait tout, qui avait tous vécu, qui avait fait cette guerre mais aussi toutes les autres. Qui racontait l’Indochine, l’Algérie. Qui se moquait de ceux qui n était pas lui. Qui les cassait par ces mêmes mots :
– Je suis bien placé pour le savoir !

La repentance qui ne vient pas.

 Il n’avait pas payé et je lui en voulais. Payer, ce n’était pas connaître la prison, mais devoir se regarder en face. Et me dire la vérité. Il a comparu devant des juges, pas devant son fils. Face à eux, il a hurlé à l’injustice. Face à moi, il a maquillé la réalité. Comme s’il n’avait rien compris, rien regretté jamais.

Édition Acte Sud. Traduit de l’allemand par Marie Claude Auger

Depuis deux ans, je participe au mois de lecture allemandes organisé par « Et si on bouquinait un peu« . J’y ai fait de belles découvertes, cette année un peu moins mais j’avais retenu ce titre : les abeilles d’hiver, chroniqué par Patrice. Le voici donc sur mon blog, et moi aussi j’ai bien aimé cette lecture. Le billet de Patrice passe sous silence les pages qui m’ont ennuyée sans que je puisse en distinguer l’intérêt.

Egidius Arimond est un ancien professeur de latin écarté de l’enseignement parce qu’il était épileptique, et que, sous le régime nazi, on écarte -voire on élimine- tous les handicapés. Il ne doit sa survie qu’aux exploits de son frère qui est un pilote émérite de l’armée de l’air allemande. Sa qualité de latiniste l’entraine à traduire de très anciens documents d’un certain Ambrosius Arimond (un de ces ancêtres ?) et j’ai trouvé ces textes sans grand intérêt, je trouve que ça alourdit inutilement le roman.
En revanche, comme Patrice, j’ai été intéressée par tout ce qu’il raconte sur les abeilles. J’étais bien au milieu de ces reines et de ces ouvrières, tellement mieux que dans son village gangréné par la présence nazie.

Egidius, doit gagner de l’argent pour se procurer ses médicaments contre son épilepsie, c’est une des raisons pour laquelle il accepte de faire traverser à des juifs, la frontière belge. Ses abeilles et ses ruches l’aideront à cacher les personnes à qui il doit faire passer la frontière : elles seront dissimulées dans les ruches et recouvertes d’abeilles. L’argent n’est pas sa seule motivation, il sait qu’il doit sa survie à la gloire de son frère, son handicap lui donne le recul nécessaire pour juger le régime. Le médicament qui lui permet de ne pas avoir de crises épileptiques graves est de plus en plus cher, Edigius se confronte au mépris du pharmacien un nazi convaincu qui ne souhaite que sa mort.

Au village les hommes manquent, car ils sont au combat, et Egidius entretient avec leurs femmes qui lui plaisent des bons moments d’un érotisme très sensuel très bien raconté, mais ces relations le mettent en danger.

Un roman assez lent -je retrouve souvent cette lenteur dans les romans allemands – mais je m’y suis sentie bien car le personnage principal est attachant, il m’a fait aimer les abeilles !

 

Citations

Un joli souvenir

Mon frère avait toujours rêvé de s’élever loin au dessus de la terre d’une manière ou d’une autre ; autant que je me souvienne, il voulait devenir pilote d’étoiles.

On sait cela, mais c’est terrible de le lire :

 La loi nazie sur la prévention des maladies héréditaires de la progéniture comprend la débilité congénitale, la maladie maniaco-dépressive, l’épilepsie héréditaire, la danse de Saint-Guy héréditaire, la cécité héréditaire, la surdité héréditaire, les déformations physiques graves l’alcoolisme profond. Les décisions concernant la stérilisation forcée et l’euthanasie sont prises par le tribunal cantonal. J’ai été stérilisé dans l’hôpital voisin. Le fait que je n’aie pas été transféré dans une institution comme les autres pour y être exécuté est probablement dû à la position de mon frère. Avec son tableau de chasse, Alfons est un héros du national socialisme ; il est même passé une fois aux informations avec son escadron.

L’amour

Elle me dit des choses que je ne veux pas savoir, me parle d’amour. Je la blesse notamment quand je lui dis que l’amour, ça n’existe pas, qu’il n’y a que la séduction et le désir, et que notre désir n’a rien à voir avec la vertu.

Descriptions des cadres du parti Nazi

Je retourne au lit et je rêve de faisans dorés. Ils ont des visages pâles, une couronne de peau imberbe autour de leurs yeux couleur jaune d’œuf. Ils portent des huppes à longues plumes irisées qui tombent jusque dans leurs cous rasés, des pantalons et vestes d’uniforme, de larges lanières de cuir qui ont du mal à contenir leurs ventres. Ils se parent d’insignes et de médailles du parti et émettent des sons gutturaux stridents. Le dessous de leur plumage vire au brun. Les grandes plumes de leurs ailes aux reflets métalliques sont effilées aux extrémités. Ils s’imaginent qu’ils pourraient voler et dominer le monde pendant mille ans. Leurs pattes maigres sont écailleuses et couleur de corne, leurs longues serres recourbées sont dans des bottes de cuir bien astiquées.

De l’utilité des mâles

 Dans certaines colonies, j’ai déjà retiré des cadres le premiers couvain operculé de mâles. Trop de mâles ne sont pas bons pour la ruche, ils ne sont utiles que pour la reproduction, à part ça, ils ne sont bons qu’à se servir dans le miel et à salir la ruche avec leurs excréments. ce qui veut dire que les ouvrières, en plus de s’occuper des larves, doivent nettoyer leur saletés dans la ruche.

 

 

 

 

Éditions Points . Traduit de l’anglais par Jean Esch

Après « la trilogie berlinoise » voici l’offrande grecque. Je retrouve avec plaisir cet auteur écossais qui cherche avec obstination pourquoi la réparation des horreurs commises par les nazis a épargné tant d’assassins allemands. Bernie Ghunter, le personnage principal, vit maintenant sous une autre identité à Munich pour faire oublier son passé de policier berlinois sous le régime nazi, il va se retrouver en Grèce où l’attend une enquête très compliquée et pleine de rebondissements sanglants et effrayants impliquant Aloïs Brunner, responsable de tant de crimes et entre autre de l’extermination des juifs de Salonique. (Aloïs Brunner a terminé sa vie en Syrie, il devient conseiller d’Haez el Assad qu’il aide à former les services de renseignement, et à organiser la répression et la torture dans les prisons. lisez l’article de Wikipédia qui lui est consacré).

Ce qui m’a intéressée dans ce roman, c’est l’analyse de cet auteur face aux réactions -si peu nombreuses- suscitées par les crimes nazis en Grèce. Qui sait que 43 000 mille juifs furent déportés sous les ordres d’Aloïs Brunner ?. Pour l’auteur la façon dont l’Allemagne domine à l’heure actuelle l’Europe est une belle revanche pour les nostalgiques de la grandeur de l’Allemagne. L’enquête passionnera plus que moi les amateurs du genre .

Citations

Réflexions sur les atrocités nazies

Juste avant la guerre, j’étais un jeune avocat au ministère de la justice, ambitieux, obsédé par ma carrière. à cette époque, la SS et le parti nazi étaient le moyen le plus rapide de réussir. Au lieu de cela, je suis resté au ministère, Dieu merci. si vous ne m’aviez pas fait changer d’avis, Bernie, j’aurais certainement fini au SD, à la tête d’un groupe d’action de la SS dans les pays baltes, chargé d’éliminer des femmes et des enfants juifs, comme un tas d’autres avocats que j’ai connus, et aujourd’hui, je serais un homme recherché, comme vous, ou pire. J’aurais pu connaître le même sort que ces hommes qui ont fini en prison, ou pendus à Landsberg. Il secoua la tête, sourcils froncés. Très souvent, je me demande comment j’aurais géré ce dilemme… les massacres…. Qu’aurais-je fait ? Aurais-je été capable de faire. ça ? Je préfère croire que j’aurais refusé d’exécuter ces ordres, mais si je suis vraiment honnête avec moi-même, je n’en sais rien. Je pense que mon désir de rester en vie m’aurait persuadé d’obéir, comme tous mes collègues. Car il y a dans ma profession quelque chose qui m’horrifie parfois. J’ai l’impression qu’aux yeux des avocats tout peut se justifier, ou presque, du moment que c’est légal. Mais vous pouvez légaliser tout ce que vous voulez quand vous collez une arme sur la tempe du Parlement. Même les massacres.

Les fraudes( ?) à l’assurance : humour noir.

Sur la note du restaurant apparaissait deux bouteilles de champagne et une bouteille d’excellent bourgogne. Peut-être était-il ivre, en effet, je n’en savais rien, mais si l’assurance payait, Ursula Dorpmüller toucherait vingt mille marks, de quoi faire d’elle une authentique veuve joyeuse. Avec une telle somme, vous pouviez vous offrir des tonnes de mouchoirs et un océan de condoléances les plus sincères .

Descriptions qui me réjouissent .

 Je fus accueilli dans le hall par un gros type qui brandissait une pancarte MUNICH RE . Il arborait une moustache tombante et un nœud papillon qui aurait pu paraître élégant s’il n’avait été vert et, pire encore, assortie à son costume en tweed (et vaguement à ses dents aussi). L’impression générale -outre que le costume avait été confectionné- par un apprenti taxidermiste, était celle d’un Irlandais jovial dans un film sentimental de John Ford.

Je peux lire des romans polars quand l’écrivain possède cet humour :

 Située à une vingtaine de minutes en voiture d’Athènes, la ville ne possédait plus aucun monument ancien important, grâce aux Spartiates qui avaient détruit les fortifications d’origine et les Romains qui avaient détruit quasiment tout le reste. Voilà ce qui est réconfortant dans l’histoire : vous découvrez que les coupables ne sont pas toujours les Allemands.

 

 

Édition Robert Laffont Pavillons Poche . Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss

participations au mois « les feuilles allemandes »

« Si on bouquinait un peu »

« Ingannmic »

Surtout ne pas se fier à la quatrième de couverture qui raconte vraiment n’importe quoi :

En 1943 son père , officier de police , est contraint de faire appliquer la loi du Reich et ses mesures antisémites à l’encontre de l’un de ses amis d’enfance, le peintre Max Nansen.

Il y a deux choses de vraies dans cette phrase, le père du narrateur est bien chef de la police local, et nous sommes en 1943 . Deux choses fausses, le père policier n’applique pas des mesures antisémites à Max Nansen qui d’ailleurs n’est pas juif , mais il applique des mesures qui combattent l’art dégénéré . Il n’est pas « contraint » de le faire, et ce mot trahit complètement le sens du roman, le chef de la police de Rugbüll éprouve une joie profonde à appliquer toutes les mesures qui relève de son « DEVOIR » . (J’attribue à cette quatrième de couverture la palme de l’absurdité du genre)

le roman se passe en deux endroits différents, le jeune Siggi Jepsen est interné dans une maison pour délinquants sur une île et doit s’acquitter d’une punition car il a rendu copie blanche à son devoir d’allemand sur le « sens du devoir ». Il explique que ce n’est pas parce qu’il n’a rien à dire mais, au contraire, parce qu’il a trop de choses à dire. Commence alors, la rédaction de ses cahiers qui nous ramènent en 1943 à Rugbüll un petit village rural du nord de l’Allemagne dans la province du Schleswig-Holstein. Une région de tourbières et de marais. Le père de Jens, le policier local est très fier de ses fonctions. Le devoir, c’est ce qui le fait tenir droit dans ses bottes comme tous les allemands de l’époque. Le deuxième personnage du récit c’est un peintre Max Ludwig Nansen dont les tableaux ne plaisent pas au régime en place. Tout ce qui est dit sur ce peintre nous ramène à Nolde qui effectivement a peint cette région et a été interdit de peindre en 1943, car sa peinture a été qualifiée d’art dégénéré, alors que lui même avait adhéré au partit Nazi et était très profondément antisémite, (Angela Merkel a fait enlever ses tableaux de la chancellerie à Berlin, pour cette raison) . Rien de tout cela dans le roman, mais une évocation saisissante de la peinture de Nolde qui a compris mieux que quiconque, sans doute, la beauté des paysages de cette région.

 

Le roman voit donc s’opposer le père du narrateur un homme obtus et qui n’a qu’une raison de vivre : appliquer les ordres et ce peintre qui ne vit que pour la peinture, tout cela dans une nature austère et au climat rude. Sur la couverture du livre je vois cette citation de Lionel Duroy :

J’aurais rêvé être un personnage de Lenz, habiter son livre.

Cette phrase m’a laissée songeuse, car j’ai détesté tant de personnages de ce roman. Je pense que Lionel Duroy n’aurait pas aimé être le père de Jens qui est capable de dénoncer aux autorités son propre fils Klaas qui s’est tiré une balle dans la main pour fuir l’armée. La mère qui dit tout comme son mari et qui explique à son fils de ne pas s’approcher des enfants handicapés car ils sont porteur de tous les vices et les malheurs du monde. Tous les personnages se débattent dans un pays si plat que rien ne peut y être caché et se meuvent dans une lenteur proche du cauchemar. Le peintre a une force personnelle qui rompt avec cet académisme bien pensant sans pour autant remettre à sa place le policier même après la guerre sans que l’on comprenne pourquoi.

Il y a une forme d’exploit un peu étrange dans ce roman, le mot Nazi n’y apparait jamais pas plus que la moindre allusion au sort des juifs, pas plus que le nom d’Hitler. Ce n’est sûrement pas un hasard mais je ne peux qu’émettre des hypothèses. Je pense que le but de Siegfried Lenz est de montrer qu’une certaine mentalité allemande est porteuse en elle-même de tous les excès du nazisme. Cette mentalité puise ses racines dans une nature où le regard se perd dans des infinis plats et gris auquel seul le regard d’un artiste peut donner du sens . Je vous conseille de regarder sur Arte un reportage sur Nolde, vous entendrez que ce roman de Siegfried Lens a contribué à effacer le passé antisémite du peintre et son engagement au côté du régime Nazi. Je comprends mieux les curieux silences de l’auteur qui m’avaient tant étonnée.

Tout cela donne un roman de 600 pages au rythme si lent que j’ai failli plusieurs fois fermer ce livre en me disant ça va comme ça ! Assez de nature grise mouillée sans aucun relief ! Assez de ces personnages qui restent face à face sans se parler ! Assez des bateaux sur l’Elbe qui n’avancent pas !

Mais, je me suis souvenue du mois des feuilles allemandes chez Patrice et Eva alors j’ai tout lu pour vous dire que vous pouvez laisser ce roman dans les rayons de votre bibliothèque d’où on ne doit pas le sortir très souvent. Et si vous voulez comprendre cette région regardez les tableaux de Nolde (malgré son passé nazi et son antisémitisme) vous aurez plus de plaisir et vous aurez le meilleur de cette région.

 

 

Citations

 

Un passage pour donner une idée du style et du rythme très lent du roman

Toujours plus haut, plus vite, plus abrupt. Toujours plus vigoureuse les impulsions. Toujours plus près de la cime large et défrisée du vieux pommier planté par Frederiksen du temps de sa jeunesse. La balançoire émergeait avec un sifflement de l’ombre verdoyante, glissait dans un grincement d’anneaux le long des cordes tendues et vibrantes et engendraient au passage un fort appel d’air ; et, sur le corps arqué et tendu de Jutra passait les ombres effrangées des branchages. Elle grimpait vers le sommet, restait un instant suspendu dans l’air, retombait ; j’intervenais dans cette chute en poussant rapidement au passage la planche de la balançoire ou les hanches de Jutta ou son petit derrière ; je la poussais en avant, en haut, vers le sommet du pommier, elle grimpait là-haut comme projetée par une catapulte, la robe flottante, les jambes écartées, et le courant d’air sifflant lui modelait sans cesse une nouvelle apparence, tirait ses cheveux vers l’arrière ou donnait plus d’acuité encore à son visage osseux et moqueur. Elle avait décidé à faire un tour complet avec la balançoire et moi, j’étais décidé à lui fournir l’impulsion nécessaire, mais pas moyen d’y arriver, même quand elle se mit debout, jambes écartées sur la planche, pas moyen d’y arriver, la branche était trop tordu ou l’impulsion insuffisante : ce jour-là, dans le jardin du peintre, pour le soixantième anniversaire du docteur Busbeck. Et quand Jutta comprit que je n’y arriverai pas, elle se rassit sur la planche. Elle se laissa balancer en souriant sans l’ombre d’une déception et se mit à me regarder d’une façon bizarre. Et soudain elle m’enserra et me retint dans la pince de ses jambes maigres et brunes, je n’avais plus guère notion d’autre chose que de sa proximité. En tout cas je compris cette proximité, et j’ose l’affirmer, elle comprit que j’avais compris ; je décidai de rester absolument immobile et d’attendre la suite mais il n’y eut pas de suite : Jutta me donna un baiser bref et négligent, desserra ses jambes, se laissa glisser à terre et courut vers la maison.

Le sens du devoir du père policier et le peintre

Peut-être te renverra t-on les tableaux un jour, Max. Peut-être que la Chambre veut-elle seulement les examiner et te les renverra-t-on après.
Et dans la bouche de mon père une telle affirmation, une telle hypothèse prenait un air de vraisemblance tel qui ne serait venu à l’idée de personnes de mettre en doute sa bonne foi. Le peintre en resta interloqué et sa réponse mit du temps à venir. Jens, dit-il enfin avec une indulgence un peu amère , mon Dieu, Jens, quand comprendras-tu qu’ils ont peur et que c’est la peur qui leur inspire cette décision, interdire aux gens d’exercer leur profession, confisquer des tableaux. On me les renverra ? Dans une urne peut-être, oui. Les allumettes sont entrés au service de la critique d’art, Jens, de la contemplation artistique comme ils disent. Mon père faisait face au peintre ; il ne montrait plus le moindre embarras et son attitude exprimait même une impatience arrogante. Je ne fus donc pas surpris de l’entendre dire : Berlin en a décidé ainsi et cela suffit. Tu as lu la lettre de tes propres yeux, Max. Je dois te demander d’assister à la sélection des tableaux. Est-ce que tu vas mettre les tableaux en état d’arrestation ? demanda le peintre et mon père, d’un ton cassant, nous verrons quels tableaux doivent être réquisitionnés. Je vais noter tout ça et on viendra les chercher demain.

Heureusement que l’écrivain narrateur prévient de la lenteur…

Mais il faut maintenant que je décrive le matin, même si chaque souvenir appelle des significations nouvelles : il faut que je mette en scène une lente éclosion du jour au cours de laquelle un jaune irrésistible l’emporte peu à peu sur le gris et le brun ; il faut que j’introduise l’été, un horizon sans bornes, des canaux, un vol de vanneaux, il faut que je déroule dans le ciel des nappes de brume, et que je fasse résonner de l’autre côté de la digue le bourdonnement vibrant d’un cotre ; et pour compléter le tableau, il faut que je quadrille le paysage d’arbres et de haies, de fermes basses d’où ne se lève aucune fumée ; il faut aussi que, d’une main négligente, je parsème les prairies de bétail taché de blanc et de brun.

Toujours cette lenteur qui convient aux gens du Nord de l’Allemagne

Je dois patienter si je veux tracer de lui un portrait ressemblant ; je dois évoquer les entrée en matière des deux hommes, leur extraordinaire propension à larder la table de la cuisine de silences exagérément longs -ils parle il parlèrent d’avion volant en rase-mottes et de chambres à air- je dois supporter une fois encore le soin minutieux qu’ils mirent à s’informer de la santé de leurs proches et je dois aussi songer à leurs gestes lents mais calculés.

Le devoir dialogue avec le facteur

Il y en a qui se font du souci, dit-il, il y a des gens qui se font du souci pour toi parce qu’ils pensent que les choses peuvent changer un beau jour : tu sais qu’il a beaucoup d’amis. J’en sais encore plus, dit mon père, je sais qu’on l’estime aussi à l’étranger, qu’on l’admire même, je sais que chez nous également, il y en a qui sont fiers de lui, fiers, parce qu’il a inventé ou créé ou fait connaître le paysage de chez nous. J’ai même appris que dans l’Ouest et dans le Sud c’est à lui qu’on pense d’abord quand on pense à notre région. Je sais pas mal de choses crois-moi. Mais pour ce qui est du souci ? Celui qui fait son devoir n’a pas de souci à se faire -même si les choses devaient changer un jour.

Son père, est ce de l’humour ?

Il avait la réflexion besogneuse, la compréhension lente, une chance car cela lui permettait de supporter pas mal de choses et surtout de se supporter lui-même.

L’allure de son père

On n’entendait pas encore leurs pas traînants dans le couloir que déjà le policier de Rugbüll s’apprêtait à les recevoir et adoptait un maintien que nous qualifierons de martial. Dressé de tout son haut , des jambes légèrement écartées , solidement ancré au plancher, l’air décontracté mais néanmoins en éveil, il resta planté au centre de la cuisine, revendiquant ostensiblement l’obéissance dont on lui était redevable en tant qu’instructeur et actuel chef de notre milice populaire.

L’après nazisme

On se dit qu’ils vont rester terrés un bon moment, faire les morts, se tenir cois, en tête à tête avec leur honte, dans l’obscurité, mais à peine a-t-on eu le temps de respirer Que déjà ils sont de retour. Je savais bien qu’ils reviendraient, mais pas si vite, Teo, jamais je ne l’aurais cru. Quand on voit cela, on ne peut que se demander ce qui leur fait le plus défaut : la mémoire ou les scrupules.

La présence des tableaux

Peut-être cela commença-t-il ainsi : je remarquai que j’étais observé et non seulement observé mais reconnu. Les slovènes étaient assis autour de leur table ronde, la mine béate, l’ œil vitreux, plein de schnaps. Les marchands avaient d’intérêt que pour une vieille femme qui passait sans faire attention à eux et les paysans courbés par le vent avaient fort à faire avant l’orage imminent. Les acrobates ? Les prophètes ? Ceux-là ne faisaient que soliloquer.
 Ce devaient être les deux banquiers avec leurs mains vertes légèrement dorées et leur visage semblable à des masques, ils me regardaient. Ils avaient cessé de se mettre d’accord du coin de l’ œil sur l’homme prostré en face d’eux sur sa chaise. Son désespoir ne les intéressait plus, ils l’abandonnaient à sa douleur. Il me sembla qu’ils avaient levé le regard, toute trace de supériorité avait disparu de leurs yeux gris et froid. Je ne pouvais pas me l’expliquer, je ne cherchais pas non plus à me l’expliquer : la peinture se rétrécit , j’ai ressenti une douleur précise, comme un étau contre les tempes, quelque chose de clair se déplaçait vers la peinture germait très loin à l’arrière-plan et se rapprochait en vacillant.

Évocation de la nature qui peut faire penser aux tableaux de Nodle

Nous attendîmes jusqu’au crépuscule et il ne se passait toujours rien. Le soleil se couchait derrière la digue, exactement comme le peintre lui avait appris à le faire sur papier fort, non perméable : il sombrait, il s’égouttait pour ainsi dire dans la mer du Nord, en filaments de lumière rouges, jaunes, sulfureux ; de sombres lueurs fleurissaient des crêtes des vagues. Le ciel s’allumait de tons ocres et vermillons aux contours flous, aux formes imprécises, presque gauche ; mais le peintre lui-même le voulait ainsi : l’habileté, avait t-il déclarer un jour, ce n’est pas mon affaire. Donc, un long coucher de soleil, gauche d’allure, avec quelque chose d’héroïque malgré tout, plus ou moins bien, cerné au début comme noyé à la fin.

 

 

Ce livre attendait une occasion pour être « re » lu car j’avais déjà lu et commenté « L’affaire » le 19 juin 2015 !. Un problème de santé m’a obligée à ralentir mes activités et quel plaisir alors d’avoir une liseuse sur laquelle je mets des livres qui n’attendent que mon bon plaisir. J’ai adoré cette lecture et cela m’a fait oublier tous mes tracas. Quand je rédige cet article, j’apprends la mort de Jean-Denis Bredin triste coïncidence !

Ce livre décrit avec minutie toute l’affaire Dreyfus et cette incroyable injustice que cet homme a subi. On n’aurait bien du mal à comprendre le pourquoi de « l’Affaire » si on ne connaît pas le contexte. Et c’est tout le talent de ce grand historien, avocat et écrivain : Jean-Denis Bredin, de nous permettre de comprendre l’état de la société française dans lequel s’est déroulée l’affaire Dreyfus.

Il y a d’abord l’armée française vaincue à Sedan en 1871 qui vit très mal cette défaite et qui, plutôt que de se remettre en cause préfère l’expliquer par la trahison. On cherche, et on trouve des espions partout. Avoir un juif à l’état major des armées voilà bien un coupable facile à accuser, parce qu’il est vrai que des documents sont arrivés à l’ambassade d’Allemagne. En particulier le fameux bordereau dont l’écriture ressemble à celle de Dreyfus. C’est une preuve bien mince surtout quand on ne cherche pas d’autres écritures qui pourraient ressembler à celle-ci. En particulier l’écriture d’Esterhazy qui est un personnage très louche et toujours à court d’argent. Peu importe, fin 1894, Dreyfus est condamné , dégradé en public et envoyé au bagne pour sept ans.

Commence alors une campagne, très discrète au départ, et qui prend peu à peu de l’ampleur pour sa réhabilitation. L’affaire commence vraiment, la passion antisémite soutenue par une église catholique absolument fanatisée accompagne chaque révélation de ce qui pourrait innocenter Dreyfus. C’est absolument incroyable de relire la presse catholique de l’époque, et peu à peu s’impose ce paradoxe incroyable : il y a bien un traitre, plutôt que de trouver qui était ce traitre c’est beaucoup mieux d’accuser un juif que de salir l’honneur de l’armée française.

Et pendant que les passions se déchaînent, Alfred Dreyfus est le seul à croire vraiment à l’honneur de l’armée, il ne veut pas lutter contre l’antisémitisme, il n’est pas du tout le porte parole d’une cause, il veut laver son honneur et que les siens soient de nouveau fiers de lui. Il décevra ses partisans quand il acceptera la grâce présidentielle, après le procès de Rennes en 1899. Il faudra attendre 1906 pour qu’enfin son honneur lui soit complètement rendu, et 1995 pour que l’armée reconnaisse son rôle dans la condamnation d’un innocent. Il doit beaucoup à un autre acteur de cette affaire : le colonel Picquart, qui, bien que n’appréciant pas Dreyfus, veut que la vérité soit établie. Il ira en prison pour cela, mais quand les deux seront réhabilités ses années de détention lui seront comptées pour son ancienneté contrairement à Dreyfus : une dernière injustice. En 2015, j’avais dévoré le livre de Robert Harris « D » qui fait sans doute un trop beau rôle au colonel Picquart

Il ne faut pas oublier (le moment le plus célèbre de cette affaire) Émile Zola et son célèbre « J’accuse » publié dans l’Aurore, le 13 janvier 1998. Mais c’est aussi ce qui cache une partie de la vérité, comme on le sait grâce, entre autre, au travail de Jean-Denis Bredin, Dreyfus ne voulait pas être un militant de la cause juive, il était et est resté un officier de l’armée française en qui il croyait plus que tout. Les valeurs de la France n’auront pas fini de trahir cette famille puisque sa petite fille, Madeleine Levy résistante, mourra à Auschwitz en janvier 1944.

Un livre passionnant qui éclaire cette époque d’un regard nouveau : la violence de l’antisémitisme catholique explique sans doute la violence faite aux juifs par le nazisme et la passivité des réactions de l’église. Il n’y a eu à ma connaissance que l’évêque de Toulouse, Jules Saliège à avoir interrogé officiellement la conscience de ses fidèles en imposant dans tous ses diocèses la lecture de cette lettre dont voici un passage :

Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier..

C’est une autre époque, mais que, le déferlement de la haine antisémite lors de l’affaire Dreyfus, avait bien préparé.

 

 

Citations

Les forces antidreyfusardes

À l’inverse, les antidreyfusards se sont eux aussi regroupés. L’armée antidreyfusarde compte les monarchistes, les antisémites, la grande majorité des militaires, la plupart des prêtres, la quasi-totalité des congrégations, la masse des catholiques pratiquants, et de manière générale tous ceux qui veulent défendre la France traditionnelle, sa morale, ses vertus, ses institutions, son économie même, contre le pourrissement de la République, de la laïcité, du capitalisme, tout ce que les Juifs leur semblent apporter avec eux. Le nationalisme et l’antisémitisme sont le fonds commun du bloc antidreyfusard. Et il n’est pas contestable que l’Église en est la force principale. 

Juif donc coupable

Dreyfus est deux fois coupable, parce qu’il est juif, et parce que l’honneur de l’Armée le veut. Le débat sur l’innocence de Dreyfus est finalement secondaire. « Son pire crime, dira Barrès, exprimant la conviction
antidreyfusarde, est d’avoir servi pendant cinq ans à ébranler l’Armée et la Nation .

Toujours l’antisémitisme

Mais beaucoup ont sans doute souscrit anonymement. Un prêtre infirme qui envoie huit centimes voudrait manier l’épée aussi bien que le goupillon. Un autre prie « pour avoir une descente de lit en peaux de youpin » afin de la piétiner matin et soir. Un troisième signe : « Un prêtre pauvre écœuré qu’aucun évêque de France n’apporte sa souscription ». Un petit curé poitevin, qui envoie 1 franc, chanterait avec plaisir le requiem du dernier des youpins.

Le rôle de la presse

Sans L’Aurore et Zola, Dreyfus serait peut-être resté au bagne. Mais, sans Drumont et La Libre Parole, y serait- il allé ? La presse naissante révèle déjà qu’elle est, qu’elle sera, dans l’histoire de la démocratie, le meilleur et le pire : rempart contre l’arbitraire, arme de la Vérité, mais aussi véhicule de la calomnie, pédagogie de l’abêtissement, école du fanatisme, en bref, instrument docile à ceux qui la font et à ceux qui la reçoivent.

 

L’importance de la trahison

Et l’opinion générale est que la France a perdu la guerre non parce qu’elle a été la victime d’un rapport de forces, mais parce qu’elle a été trahie. Partout les patriotes suspectent des espions. Républicains et monarchistes
rivalisent dans leur zèle à traquer les traîtres. La trahison est bien le crime total, que nul n’excuse, que rien n’expie. Quand Dreyfus est condamné, Jaurès s’indigne à la tribune de l’Assemblée qu’il ne soit pas fusillé. Clemenceau déplore le sort trop doux que la faiblesse du pouvoir lui réserve. Dreyfus, qui participe à la foi commune, ne cessera d’écrire, de l’île du Diable, que son traitement serait bien trop clément s’il était un traître. En cette année 1894 l’espion est bien la bête à abattre.

 

Culpabilité de Dreyfus

Je suis convaincu de l’innocence de Dreyfus, dit un officier français à Émile Duclaux, mais si on me le donne à juger, je le condamnerai de nouveau pour l’honneur de l’Armée. » Pour l’honneur de l’Armée. Parce que la Patrie l’exige. Parce que ceux qui sont groupés aux côtés de Dreyfus sont les ennemis de l’Armée, qu’ils affaiblissent la France. Dreyfus fut successivement coupable de trois manières. Il fut d’abord coupable parce que désigné pour cet emploi. Coupable, il le fut ensuite parce qu’il l’avait été. L’intérêt de la France, l’honneur de l’Armée commandaient qu’il restât condamné. Puis il fut coupable d’« avoir servi pendant cinq ans à ébranler
l’Armée et la Nation totale[1802] », d’avoir été le symbole et l’instrument des forces du mal.

 

Le dreyfusisme

Mais la ligne qui sépare le dreyfusard de l’antidreyfusard passe le plus souvent en chacun. La part qui sacrifie l’innocence au préjugé, qui condamne sans preuve, qui hait la différence, qui fabrique l’accusation, qui habille l’intérêt personnel d’intérêts supérieurs, qui n’aime de la liberté que la sienne, elle est en chacun de nous ou presque. Il y avait de l’antidreyfusard chez Picquart, mais sa vertu était plus forte que ses préjugés.

 

La grandeur de Dreyfus

Nulle haine, nul signe de la moindre amertume chez Alfred Dreyfus. Il semble n’en vouloir à quiconque. Son martyre fut encore pour lui l’expression tragique d’un devoir. Les épreuves physiques et morales qu’il a endurées, l’humiliation de la parade, les cris de haine, les crachats, les années de bagne, la double palissade, les fers aux pieds, son destin détruit, sa santé ruinée, tout cela il le voit comme « une étape grandiose vers une ère de progrès ». Il ne met pas en doute que la liberté universelle soit au bout du chemin. Simplement ce Français, qui a tant souffert de la France, regarde maintenant au-delà des frontières. Il voudrait que son « Affaire » ait servi l’humanité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Édition folio poche . Traduit du tchèque par Barbora Faure.

Coucou Athalie, tu m’avais bien tentée avec ce roman, et je te remercie de me l’avoir fait lire. C’est une petite merveille ce livre de souvenirs d’un enfant tchèque de père juif et de mère chrétienne qui connaît une enfance aimée et riche en évènements avant la guerre, traverse les horreurs de la guerre et se reconstruit sous le communisme.
Raconté comme cela, vous pensez qu’il s’agit « encore » d’un roman sur la tragédie de la Shoa , mais pensez au titre ! Ce livre raconte la passion de cet enfant pour les rivières et les poissons et nous fait connaître son père Léo un personnage auquel rien ne résiste. Enfin presque . Dès la dédicace du livre le ton est donné et mon sourire était sur mes lèvres :

À ma maman

qui avait mon papa pour mari.

C’est vrai qu’il est un peu encombrant ce Léo , toujours prêt à gagner des millions et devenir très très riche. Seulement voilà, la vie est faite d’imprévus surtout quand on aime les jolies femmes, offrir des tournées à tous ses amis dans les bars, et surtout aller pêcher la carpe dans des endroits merveilleux plutôt que de vendre des aspirateurs. Pourtant cela avait bien commencé avec le titre de « Meilleur Vendeur du Monde » d’aspirateur Electrolux. La vie auprès de lui, pouvait être compliquée, elle n’était jamais ennuyeuse, il a fallu le nazisme pour ralentir sa fougue. Après la guerre, il s’enthousiasme pour le communisme jusqu’à ces terribles procès qui lui assène une si triste réalité :

Pour la première et la dernière fois de sa vie, il s’est blotti entre me bras comme le font les enfants. J’étais déjà un homme. Je le tenais dans mes bras et je regardais par-dessus sa tête ce « Rudé Oarvo » où il avait coché au crayon rouge

  • Rudolf Slansky, d’origine juive
  • Bedrich Germinder, d’origine juive
  • Ludvick Frejka, d’origine juive
  • Bedrich Reicin, d’origine juive
  • Rudolf Margolieus, d’origine juive

La série de Juifs continuait et elle était toute maculée de larmes. Lorsqu’il se fut calmé, il me regarda d’un air absent, comme s’il ne me reconnaissait pas et dit :

-Ils se remettent à tuer les Juifs. Ils ont de nouveau besoin d’un bouc émissaire.

Puis il se leva, il donna un coup dans ce ‘Rué Pravo » et il se mit à crier :

-Je pardonne les meurtres. Même judiciaires. Même politiques. Mais dans ce « Rudé Pravo » communiste, on ne devrait jamais voir « d’origine juive » ! Des communistes, et ils classent les gens en Juifs et non-juifs !

Ota Pavel a connu lui, aussi les affres de la dépression, mais grâce à tous ses souvenirs de pêches dans des endroits merveilleux, il a réussi à se reconstruire et il nous a laissé un livre qui nous fait sourire et aimer la vie. Son humour et sa pudeur en font un grand écrivain.
Bravo à cet auteur .

Citations

Que disent nos féministes ?

Vous ne peignez pas de femmes ? 
– Vous savez, mon petit bonhomme, je ne les apprécie pas tellement, vos bonnes femmes. Elles m’énervent terriblement. Quand elles posent pour se faire peindre, elles sont affreusement bavardes et quand elles se taisent, alors elles sont tout à fait fadasses.

Le talent de son père

Pour la firme Electrolux l’arrivée de papa fut une grande aubaine. Il s’avéra rapidement qu’il était un prodige en ce qui concerne la vente d’aspirateurs et de réfrigérateurs. Difficile de dire à quoi cela tenait, mais il était génial dans ce domaine et si le talent est déjà mal aisé à reconnaître chez les génies artistique, il est d’autant plus quand il s’agit de vendre des aspirateurs à poussière (…). Il était parvenu à faire acquérir des aspirateurs à des paysans de Nesuchyne où il n’y avait pas encore de courant électrique moi. Bien entendu, il leur avait promis qu’il allait les aider à faire venir l’électricité, mais il ne tint pas sa promesse. 

La pudeur du récit

Un autre homme heureux était le professeur Nechleba. Il s’était remis à peindre sa Lucrèce. Un jour, quelques années plus tard, papa vint le voir et lui dit à quel point il la trouvait belle, et le professeur, tout joyeux la lui donna. Pendant la guerre, un SS saoul, blond aux yeux bleus, l’arracha de notre mur et la fendit d’un coup de poignard, la tuant somme toute pour la deuxième fois. Ce jour-là papa en eut les larmes aux yeux car il avait depuis longtemps oubliée Mme Irma et il était secrètement amoureux de Lucrèce.

La guerre

À cette époque la chair grasse et goûteuse des carpes nous était indispensable, pour nous, comme pour le troc. Pour les échanger contre de la farine, du pain et les cigarettes pour maman. J’étais resté seul avec maman, les autres étaient en camp de concentration. Je ne connaissais pas encore très bien les carpes. Je devais apprendre à voire si elles étaient de bonne ou de mauvaise humeur, si elles avaient faim ou au contraire repues et si elles avaient envie de jouer. Je devais connaître leur lieu de passage et les endroits où il était vain de les attendre. Je te les prête une canne solide et court, une ligne, un bouchon et un hameçon. 

L’antisémitisme après la guerre

Ce monsieur commença à lui faire la cour et au milieu de la danse, il lui dit :
– Vous êtes tellement belle, en la mangeant des yeux. 
Maman sourit, quelle femme n’aurait pas été flatté ?
 Et alors ce beau monsieur ajouta :.
– Mais je voudrais savoir, qu’est-ce que vous avez de commun avec ce juif ? 
-Trois enfants, répondit maman qui termina la danse et revint s’asseoir auprès de papa.

 

Édition Pocket

Le bandeau me promettait une lecture inoubliable et un roman qui a connu un énorme succès. Même « la souris jaune » en avait dit beaucoup de bien, je dis même car il est très rare que je trouve chez elle des livres à grand succès. Je l’avais remarqué chez « Sur mes brizées« . J’ai été beaucoup plus réservée qu’elles deux. Je trouve que la première partie sur la montée du nazisme en Autriche est bien raconté mais je crois que j’ai tellement lu sur ce sujet que je deviens difficile. Il y a un aspect qui a retenu mon attention, c’est à quel point les Autrichiens ont été parfois pires que les Allemands dans le traitement des juifs. Ils n’ont pourtant été que peu jugés après la guerre pour ces faits. On comprend bien la difficulté de s’exiler, même quand l’étau antisémite se resserre, la famille que nous allons suivre a beaucoup de mal à laisser derrière elle leurs parents âgés et ils espèrent toujours au fond d’eux que cette folie va s’arrêter. Quand ils se décideront à partir au tout dernier moment, les frontières se sont refermées et les pays n’accueilleront plus les juifs. Ils passent donc un moment en Suisse dans un camp assez sinistre. Ils iront finalement dans le seul pays qui a accepté de recevoir des juifs : La République Dominicaine. C’est toute l’originalité du destin de ces juifs qui ont été accueillis dans ce pays si loin de leurs traditions autrichiennes. Dans ce gros roman l’auteure décrit avec force détails l’installation de ces intellectuels dans un kibboutz où chacun doit cultiver, élever les animaux, construire une ferme dans le seul pays qui a accepté officiellement d’accueillir jusqu’à la fin de la guerre des juifs chassés de partout. Nous voyons ces Autrichiens ou Allemands tous intellectuels de bons niveaux s’essayer aux tâches agricoles et de faire vivre un kibboutz et ensuite la difficulté de se reconstruire avec des origines marquées par la Shoa . Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas entièrement adhéré à ce roman. Je n’avais qu’une envie le de finir sans jamais m’intéresser vraiment à ces personnages.

 

Citations

 

Beau rapport père fils

Je ne pus retenir un soupir de soulagement : finalement il n’y avait eu ni affrontement ni querelle. Je lus dans les encouragements de mon père une grande ouverture d’esprit et une tolérance que je ne soupçonnais pas. Ses yeux perçants souriaient et je sentis une puissante vague d’amour déferler et m’envelopper tout entier. Je savais quel renoncement et quels regrets c’était pour lui. J’étais fier de mon père. Il m’aimait. Je ne le décevrais pas.

Vienne

Je ne me sentais pas juif, mais simplement et profondément autrichien. J’étais né dans cette ville, comme mon père et ma mère avant moi. C’était mon univers, dans lequel je me sentais en confiance et en sécurité, et qui devait durer éternellement. L’Autriche était ma patrie, et être juif n’avait pas plus d’importance qu’être né brun ou blond. Bien sûr nous étions juifs, mais notre origine ne se manifestait guère plus qu’une fois par an le jour du grand Pardon, quand mon père s’abstenait de fumer ou de se déplacer, plus pour ne pas blesser les autres dans leurs sentiments que par convention conviction religieuse.

Vienne et ses juifs

Malgré les signaux d’alerte qui ne cessaient de se multiplier, nous nous raisonnions : nous étions si nombreux, quelques 180000 rien qu’à Vienne, et tant de juifs occupaient des positions clés dans l’économie et la culture. Nous étions héros de guerre, artistes, scientifiques, universitaires, médecins, notre pays ne pouvait se passer de nous.

 

 

 

 Édition Seuil arte édition

Merci à Keisha de m’avoir fait découvrir ce livre que j’ai beaucoup, beaucoup aimé.

Ce livre est passionnant à plus d’un titre. Ce qui a guidé le projet de cette auteure est certainement le besoin de retrouver les traces des enfants juifs disparus qui habitaient pendant la guerre au 209 rue Saint-Maur. C’est la partie essentielle de ses recherches, mais cela l’a entraînée à en savoir plus sur cet immeuble qui avant la « gentrification » des quartiers populaires de Paris était habité par des ouvriers et des gens à peine sortis de la pauvreté. C’est le second intérêt de cet essai : un peu à la Perec et « la vie mode d’emploi », elle va retrouver les habitants qui se sont succédés dans un même immeuble et les rendre vivants. Le passage sur la commune est passionnant, bien sûr dans les année 30, cet immeuble abritera les plus pauvres donc des juifs qui fuient les persécutions nazies. L’auteure a recherché les descendants de ces familles détruites et les a retrouvés. C’est donc aussi un livre sur la mémoire, celle de ces enfants de plus de 80 ans qui avaient surtout voulu oublier. Oublier « pour ne plus être en colère » comme le dit un des enfants. Oublier pour construire une vie sans ces images si lourdes à porter. La mémoire de l’auteure, descendante de la shoah, l’aide à très bien comprendre les blocages qui empêchent les survivants ou leur descendants de parler . Comme le dit le sous-titre, elle cherche à faire l’autobiographie de cet immeuble, et c’est ainsi qu’elle arrivera à faire parler ceux qui y ont vécu et à nous rendre vivant leur existence à deux trois ou quatre dans une seule pièce. Avec l’eau et les WC à tous les étages. En dessinant leur intérieur, des noms et des souvenirs reviennent. Et après ? après la guerre, les logements ne sont pas restés vides, c’est une autre population qui est arrivée, ouvrière et souvent communiste, étrangère parfois , algérienne et portugaise ces gens se sentaient soudés par le même statut social. Et puis, dans les années 80, l’immeuble a été racheté par des gens plus riches qui ont réunis les petits appartement pour en faire des logements agréables à vivre.

Ma seule difficulté a été de ne pas mélanger tous les noms des personnes dont elle suit les histoires. Un beau travail, passionnant et qui en apprend beaucoup sur un Paris des gens simples qui, s’ils ne font pas l’histoire, la subisse sans pouvoir, hélas, se défendre .

J’ai trouvé sur Youtube le documentaire de Ruth Zylberman qu’elle a réalisé avant d’écrire cet essai dont le sujet est plus large que les « enfants du 209 car il s’intéresse à l’immeuble de sa construction à nos jours.

Citations

J’adore la phrase sur la baignoire

Car depuis la commune, il n’y a pas eu à Paris cette expérience radical de la ruine. Comme se souvenait le polonais Czeslaw Milosz décrivant Varsovie après 1945 :  » L’homme s’arrête devant une maison coupée en deux par une bombe. L’intimité des logis humain est là, béante, les odeurs de famille s’évaporent avec la chaleur de ces cellules d’abeilles, tranchées et ouvertes à la vue du public la maison elle-même n’est plus un rocher ; c’est du plâtre, du ciment, des briques et des poutres ; et, au troisième étage, solitaire , accessible aux anges seuls, une baignoire blanche est suspendue, d’où la pluie va laver tous les souvenirs de ceux qui s’y sont lavés.  » Non, à Paris, pour l’essentiel, les pierres demeurent, la façade, comme une peau régulièrement ravalée, protège la course heurtée, la chute parfois, des vies qui se dérobent.

L’ambiance de l’immeuble avant la guerre

À écouter Odette, c’est tout un monde, où se mélangeait le français et le yiddish, qui ressuscite. Ma mère comme souvent les femmes, ne parlait que très mal le français parce qu’elle restait à la maison. Mon père par contre se débrouillait pas mal, il était plus en contact avec les Français, au travail par exemple. Ma mère parlait une sorte de « franish » qui nous faisait beaucoup rire. Par exemple, quand on descendait en courant les escaliers avec mes frères, ce que nous faisions très souvent, elle criait  » Tombe nicht in escaliers ».

Souvenir d’un enfant du 209 déporté

Pour Albert, parler c’est dénoncer un système qui l’a condamné à mort. Au camp de Buchenwald, Albert a été sauvé par les communistes. Il l’est longtemps resté après la guerre. Sa tragédie personnelle, ils veut la transmettre dans sa dimension collective, politique, universelle. « Plus jamais ça » n’est pas pour lui un mantra vide de signification, c’est une raison de vivre et c’est bien pour ça qu’il a accepté de me recevoir malgré la fatigue et la maladie.

J’aime beaucoup les plongées dans l’histoire du Paris populaire.

Comment a-t-on réagi rue Saint-Maur, quelques mois plus tard, en apprenant que dans la nuit du 17 au 18 mars, le chef de gouvernement, Adolphe Thiers, a envoyé des troupes à Montmartre pour en faire retirer les canons de la garde nationale, ces mêmes canons que les Parisiens avaient eux-mêmes payés par souscription ? Il a dû en être rue Saint-Maur comme dans tous l’est de Paris : le tocsin sonne, la garde nationale fédérée accourt au secours des Montmartrois, la troupe fraternise avec le peuple. C’est le début de l’insurrection.

La façon dont l’auteure rend vivant les acteurs du passé

J’attrape les éclats surgis de ces quelques lignes  : le portrait du tout jeune Ernest Badin , apprenti de l’atelier du 209 désormais fermé, sans argent, aux abois, attiré par la solde, si minime soit-elle, par l’uniforme et aussi par l’aventure que devait représenter ces barricades à portée de main, épaulé par son compagnon de travail, Payer, plus âgé de quelques années ; la blessure de Payer, sa course d’une barricade à l’autre, autour de Saint-Maur, et cette phrase où résonne la certitude de la défaite  :  » je préférais être tué dans la rue que d’être tué chez moi ».

Le travail de l’historienne

Une fois de plus, je suis naïvement fascinée par cet instant où, sous l’effet de la recherche ou du hasard, un nom commence à prendre vie, à se métamorphoser en une impressionnante ramification d’autres noms, de trajectoire, de détails qui sont autant de bornes me guidant vers l’envers du présent.

Être juif en 1941

Sait- elle que dès mai 1941 , presque tous les hommes étrangers juifs de l’immeuble ont reçu un billet vert les « invitant » à se présenter pour examen de leur situation ? A-t-elle alors entendu les hésitations, les raisonnements, les hypothèses sans doute déployées par les locataires convoqués qui ne savent pas s’il faut ou non « se présenter » ? Elle ne se souvient pas qu’Abel, son père, ait reçu cette convocation. Ce fut pourtant le cas et il a visiblement fait le choix de ne pas se rendre au commissariat. Le père d’Albert Baum, son oncle Isaak Goura, n’y sont pas allés non plus. Imaginaient-ils ce que risquaient ceux qui s’y sont présentés le 14 mai 1941 à 7h du matin

Derrière moi

« J’ai laissé tout ça loin derrière moi. Je m’efforce de ne pas me souvenir car si j’oublie je suis heureux. Si je me souviens, la colère monte en moi. Quand vous êtes en colère, vous êtes le seul à souffrir, donc je suis heureux quand je ne suis pas en colère, quand je ne me souviens pas. »