Édition Albin Michel Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Quel pensum, cette lecture ! pour le club je m’oblige à aller jusqu’au bout des livres mais je m’autorise le survol quand je n’en peux plus. Je suis complètement hermétique au projet de l’auteure qui veut nous faire comprendre l’enfance et la jeunesse de Virginia Woolf . Comme il y a déjà tant de choses qui ont été écrites sur cette très grande écrivaine, je pense que ce n’est pas chose facile. L’effort d’Emmanuelle Favier, et son originalité ont été de se mettre dans la peau de Virginia et de nous faire comprendre à travers les yeux d’une petite file et de ses perceptions ce que cela voulait dire d’être un jeune femme intelligente et artiste sous le règne de la Reine Victoria dans une famille de lettrés. Sans avoir été brimée, Virginia sent très bien que son seul destin est de se marier. L’écriture n’est pas une « condition » pour une une femme de la bonne société britannique. L’auteure tente aussi de trouver les raisons qui ont amené cette superbe femme si brillante à connaître la dépression. Tout cela aurait dû m’intéresser, mais hélas à cause du style d’Emmanuelle Favier, je me suis perdue dans une lecture laborieuse ne comprenant parfois pas ce que je lisais. J’ai donc décider de relire au plus vite « Mrs Daloway » ; et chercher une bonne biographie de Virginia Wollf . Auriez-vous des suggestions ?

Citations

Une bonne remarque

Nous pouvons aussi imaginer que c’est déjà octobre, que de retour à Londres on a repris les visites, que l’on reçoit chaque jour. On fait, très jeune fille, l’apprentissage de la table à thé : c’est là que l’on apprend à servir, à observer les convenances et les rangs, mais aussi à manier la critique discrète, la seule permise aux femmes, qu’elles développent avec une habileté comparable à celle que mettent les domestiques à noter leurs maîtres en paraissant les flatter.

L’auteure termine tous ses chapitres par une succession de faits qui situe la vie de Virginia par rapport à ses contemporains , j’avoue ne pas y avoir trouvé beaucoup d’intérêt.

Pendant qu’un autre peintre, un Hollandais de génie et de misère, meurt -en même temps que Sitting Bull, Alphonse Karr et Octave Feuillet mais aussi que Charles Edward Mudie, souverain des bibliothèques ambulatoires et premier éditeur du bon parrain James ; pendant qu’un autre peintre, un Autrichien de misère et de génie, naît -en même temps Agatha Christie, Jean Rhys, Charles de Gaulle et Groucho Marx ; pendant qu’ Edith Wharton publie sa première nouvelle en revue et que la folie chez Nietzsche gagne, éteignant l’écrivain aussi bien que le ferait la mort ; pendant qu’une nouvelle loi anglaise oblige les suicidaires à être internés, les feuilles inlassablement, dégringolent sur tombes et berceaux.

Genre de phrases que je ne comprends pas :

Headlam est un parasite sincère, toujours chez les Stephen il y fait chère lie des femmes de la maison. 
Nous assistons impuissants à ses rages et protestations face à la langueur de sa cousine, qui est la plupart du temps en Suisse ou en Allemagne ou que savons-nous, et qui met des lustres à répondre.

 

Édition Gallimard

Cet auteur est un habitué de Luocine, il sait me faire rire et aussi m’émouvoir. « Charlotte » est certainement le livre qui m’a le plus touchée, j’ai même pleuré en lisant « Mes souvenirs » adoré « La délicatesse » et été déçue par « Nos séparations »

J’ai beaucoup hésité entre trois ou quatre coquillages, mais en tant qu’habitué de Luocine, David Foenkinos bénéficie d’un préjugé favorable. Dans ce roman, l’auteur nous fait prendre conscience du travail de l’écrivain. C’est très à la mode de parler de l’inspiration et de la difficulté de renouveler son inspiration et c’est pour ce côté « dans le vent » que je suis passée de quatre à trois coquillages. Mais c’est aussi un roman qui traite avec tellement de légèreté et d’humour de la création romanesque et de notre vie de tous les jours, que je lui ai rendu son quatrième coquillage  !

L’auteur est donc en panne d’inspiration, et décide d’arrêter la première personne qu’il rencontre pour en faire son personnage de roman . Cela tombe sur Madeleine Tricot, femme assez âgée (on dirait, aujourd’hui, à risques) qui a travaillé dans la mode, chez Chanel, auprès de Karl Lagerfeld . Son roman s’étendra à la famille de sa fille, Valérie, qui a épousé Patrick Martin d’où le titre du roman. L’auteur doit aussi gérer sa séparation. Après quelques années de vie commune, Marie vient de le quitter en lui disant qu’elle préfère vivre seule qu’avec lui. Entre la fiction et la réalité qui passe par la plume de l’écrivain, on assiste surtout à une excellente mise en scène de la création romanesque et du plaisir que doit éprouver tout écrivain à dominer chaque personnage obéissant à sa toute puissance. Mais dans la réalité ? Et bien, oui cela ne se passe pas comme ça, même si on aimerait parfois qu’un écrivain nous anime pour avoir le courage de brûler les rideaux d’un chef pervers et manipulateur ou de mettre toutes ses économies pour aller jusqu’à Los Angeles retrouver son amour de jeunesse. C’est un roman très léger et qui se lit très vite et en plus qui sort le lecteur de la morosité ambiante. Ces quelques allusions aux quotidiens sont bien croquées sans être plombantes. Je suis très sensible l’humour de cet écrivain. Il me donne le sourire même si, comme il le dit dans ce texte, son roman n’est certainement pas écrit pour durer cent ans, il permet de passer une très bonne soirée.

 

Citations

Sujet de roman

Je m’étais senti excité par mon intuition, mais voilà que j’en étais déjà à écrire sur la nécessité de ne pas recongeler des produits décongelés. Quelques années après avoir obtenu le prix Renaudot, je sentais le frisson du déclin me parcourir le dos.

Humour des notes en bas de page

Certes, en sortant du 17° arrondissement de Paris à 10 heures du matin, j’avais peu de chance de tomber sur une go-go danseuse.

Humour

 Ma capacité de séduction ressemblait depuis un moment à un film de Bergman (sans les sous-titres).

Je crois cela aussi

J’ai l’impression qu’on peut tout savoir d’une personne en observant les livres qu’elle possède.

Dialogue avec un ado

– Vraiment, tu n’as pas de passion ? Demandai-je avec désinvolture, m’efforçant d’éviter un ton culpabilisateur.
– Moyen.
– C’est-à-dire ? Ça veut dire quoi moyen ?
– Ça veut dire j’ai moyen des passions.
– D’accord… Et la musique, tu aimes ça ? Les poster… Tu aimes Angel ?
– Pas spécialement. J’ai fait des trous dans le mur quand j’étais petit, alors je les cache avec des posters.
– Tu écoutes quoi ?
– Il n’y a rien qui me vient, là.
– Et ton temps libre, tu l’occupe comment ?
– Je joue en ligne avec des potes.

Remarque assez juste

Ah, j’ai compris. Votre roman, c’est pour déterrer les histoires de famille. Tout ce qui fait mal.
– Mais non…je n’irai pas contre votre volonté.
– C’est ce qu’ils disent tous. Je ne lis pas beaucoup de romans contemporains, mais je vois bien qu’écrire est souvent un moyen de régler ses comptes.

Harcèlement au travail

Ce matin, Desjoyaux l’avait convoqué pour lui proposer un rendez-vous dans trois jours . Quel supplice . Pourquoi ne lui avait-il pas signifié immédiatement ce qu’il voulait lui dire ? Il allait passer les jours suivants avec une boule au ventre . Desjoyaux n’avait rien laissé percevoir dans son regard , un visage suisse. Le degré suprême du harcèlement , c’est façon froide et presque souriante de commettre un meurtre salariale . Il y avait forcément du sadisme dans cette attitude ; il était bien conscient, vu le contexte général, qu’il ferait souffrir un employé en lui annonçant qu’il le verrait trois jours plus tard ; pire, il avait ajouté « impérativement » le voir. Les mots ont un sens. Impératif veut dire que c’est majeur, déterminant ; cela sent la condamnation.

Vérité et fiction : dilemme de l’écrivain

Ainsi, le vrai pareil souvent improbable. J’avais peur de m’emparer du réel, et qu’on l’estime moins crédible que la fiction. Je redoutais qu’on puisse ne pas me croire, qu’on se dise que toute cette histoire était inventée ; qu’on se dise que je n’étais jamais descendu de chez moi pour aborder la première personne venue. Il m’arrive parfois de dire la vérité, et cela sonne comme un mensonge. Mais je n’y peux rien : la vie est peu plausible.

 

 

Édition ZOE traduit de l’anglais (Canada par Christian Raguet)

Après « Les Étoiles s’éteignent à l’Aube » et les incitations de Krol et d’Aifelle , j’ai retrouvé avec grand plaisir le talent de Richard Wagamese. On retrouve Franck, celui qui avait permis à son père de mourir en Indien et à nous lecteur de comprendre la beauté de la Colombie-Britannique. Cette fois encore le rapport de l’homme et de la nature est un des ressorts de ce roman que l’auteur n’a pas eu le temps de finir.

Nous retrouvons le thème de la rédemption par le retour sur soi-même qu’offrent la nature et les animaux sauvages. Emmy est une jeune femme violentée par la vie et des compagnons tous plus brutaux et alcooliques les uns que les autres. Elle a une petite fille Winnie, au milieu de tant d’horreurs quotidiennes, il ne lui reste qu’une seule volonté positive : que sa petite fille connaisse une vie meilleure que la sienne. Elle fuit donc les deux hommes qui la brutalisent et la violentent régulièrement pour sauver sa fille. Elle rencontrera Franck et son ami Roth qui travaillent avec lui à la ferme du « Vieil homme » celui qui a sauvé Franck et lui a donné le sens et le respect de la vie. Le roman suit deux traces , l’une terrible et uniquement faite de violence d’alcool et de vengeance : celle des deux hommes qui traquent Emmie pour assouvir leur vengeance, et celle de la reconstruction de Winnie et d’Emmie auprès de Franck dans les montagnes de la Colombie-Britannique.
L’auteur n’a pas eu le temps de terminer son roman, mais, il me semble que la fin est inscrite en filigrane dans ce que nous pouvons lire. Il s’agit de deux chasses, mais l’une est le fait de prédateurs qui ne sentent pas la nature dans toute sa complexité et l’autre celle d’une réconciliation avec le monde dans toutes ses facettes. Parce que ce roman n’est pas complètement fini, on sent aussi, parfois, des dialogues rapidement esquissés qui auraient demandé une relecture. Mais à côté de cela , il y a des moments splendides en particulier sur les rapports possibles entre les animaux et les hommes quand ceux-ci prennent le temps de les écouter. Un très beau livre d’un auteur qu’on aurait aimé lire encore longtemps.

 

Citations

Les loups

Ils étaient couchés sur un rocher pentu qui dépassait de l’extrémité de la saillie. Derrière eux, la lune étincelait comme un œil gigantesque. Le mâle alpha était le seul à être assis, face au disque lunaire scintillant, la tête légèrement relevé, semblable à un enfant empli d’émerveillement. Starlight reprit son souffle rapidement et se releva de toute sa hauteur. Le loup tourna la tête. Il s’observèrent : l’homme se sentit percé à jour, vu dans son intégrité, il n’avait pas de peur en lui, seulement du calme, le même que dans le regard résolu du meneur de la meute. Le loup se dressa. Il balaya du regard l’ensemble du tapis céleste moucheté d’étoiles et Starlight suivit ses yeux. L’univers, profond et éternel, était suspendu au-dessus d’eux, solennel et franc comme une prières.
 Le loup se rassit et sembla étudier le panorama. Puis il souleva son nez et lança un un hurlement glaçant face à la lune et aux étoiles éparpillées autour.

La violence faite aux enfants

Elle ne pouvait se remémorer une seule fois dans sa vie ou des hommes n’aient pas voulu la toucher, la tenir dans leurs bras, la caresser, et pendant un moment elle avait laissé faire parce que ça comblait le vide de solitude qu’elle portait en elle, orpheline placée dans une famille. Elle avait laissé faire jusqu’à ce qu’elle commence à en souffrir. Elle ne voulait pas penser à cette époque-là. Elle avait, une bonne fois pour toute, claquer la porte sur cette noirceur d’une nature particulière. Il y avait là des monstres, à l’affût, furtifs, en embuscade, attendant l’heure avant de se montrer et de s’emparer d’elle de sang-froid, avec leur sauvage mâchoire hargneuse. Elle avait senti leur présence toute sa vie. Il n’y avait jamais eu assez de lumière pour les chasser ou s’il y en avait eu, elle n’avait lui que brièvement avant de devenir l’ombre qu’elle avait connu et à laquelle elle s’était habituée depuis un temps bien trop long. Ce n’est que l’impitoyable cruauté de Cadotte qui avait précipité à la surface la vieille rage couvant en elle. Elle l’avait submergée. Elle avait déferlé sur elle comme une incontrôlable vague de peur, de négligence, d’abandon, d’aspiration, de néant, de faim, de besoin et de haine ; une haine d’un violet pur, insidieuse, furieuse, pour les hommes pour la vie, pour elle-même, pour avoir toléré ce qu’elle avait toléré qu’il lui arrive.

L’alcool

Son monde était circonscrit par la picole. Il buvait constamment. Mais elle aussi avait sa propre alliance avec l’alcool, qui semblait en accord avec celle de Cadotte. La picole permettait aux monstres et à l’obscurité de disparaître. Elle lui permettait presque d’arriver à éprouver un sentiment de joie, de liberté, et Emmy la laissait entrer dans son monde aussi souvent que s’en représentait l’opportunité. Avec Cadotte, elle se présentait tous les jours. Elle fut ivre six semaines d’affilées.

Un lieu à soi

Assister au lever et coucher du soleil est devenue la seule prière que j’aie jamais éprouvé le besoin de prononcer. Voilà mon histoire. Voilà mon chez moi. Cela vit en moi. 
Je vous vois toutes les deux, je vous vois chercher quelque part où vous installer. Très nerveuses et angoissées à l’idée de ne pas avoir de repère fixe. Effrayées, même. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas à le savoir. Mais le vieil homme m’a appris que si je peux aider quelqu’un je dois le faire. Cette terre m’a donné un endroit où poser mes pieds. Je crois que peut-être je pourrais en donner un aussi à Winnie. 
En vérité, une fois qu’il est en nous, une fois qu’on a fini par le connaître, on ne se sent plus jamais esseulé perdu ou triste. On a toujours un lieu pour porter tout cela, ou le laisser, ou lâcher prise. Et ce lieu est de nouveau en nous. Ce que je pense ? Je pense que Winnie doit avoir besoin de faire le vide. Vous aussi, si vous êtes prête.

 

Édition Pavillon Poche Robert Lafont

Traduit du polonais par Christophe Glogowski

Il m’a fallu cette période de confinement pour venir à bout de ce livre. Autant j’ai été conquise tout de suite et totalement emportée par la lecture « Sur les Ossements des morts« , autant je me suis contrainte pour lire ce roman au moins pour le premier tiers.( Pourtant je savais qu’Athalie avait beaucoup aimé, ce qui est pour moi une bonne référence.) Il faut dire que ce roman est étrange, constitué de courts chapitres qui sont consacrés à un seul personnage intitulés « au temps de … ». Ces chapitres finissent tel un puzzle à raconter l’histoire d’un village et au delà l’histoire de la Pologne. Dieu et les Anges sont aussi de la partie et ce mélange de métaphysique de nature et d’humain n’est pas si facile à accepter pour une rationaliste comme moi. Seulement voilà, cette écrivaine a un talent incroyable et quand peu à peu j’ai lâché mes réflexes habituels de cartésienne, j’ai aimé cette lecture. En touches successives, c’est bien l’histoire d’une famille polonaise jusqu’à aujourd’hui dont il s’agit et à travers leurs relations individuelles on comprend mieux que jamais l’histoire et les malheurs de la Pologne marquée à tout jamais par l’extermination des juifs. Cette nation a perdu à ce moment là une partie importante de son fondement culturel, une telle barbarie sur son propre sol devant les yeux de ses habitants ne pouvaient que laisser des traces. Ce livre est aussi un hymne à la nature qui est, et sera toujours, la grande gagnante surtout si les hommes ne veulent pas l’écouter. L’histoire actuelle d’un petit Virus si petit mais si malin que personne ne peut l’empêcher d’infecter l’humanité entière, n’est-il pas une preuve que la nature est plus forte que toutes les constructions humaine et que certains progrès même extraordinaires fragilisent l’humanité. Je pense donc que ce livre s’inscrit dans la réflexion que nous pouvons avoir à propos de la pandémie actuelle et en plus permet de passer un long moment avec une écrivaine remarquable qui a un sens de l’humour qui rend ses récits très attachants.

On en parle chez Kathel

 

Citations

Genre de remarques auxquelles il faut s’habituer

Au centre d’antan, Dieu à dressé une colline qu’envahissent chaque été des nuées d’hannetons. C’est pourquoi les gens l’ont appelée la montagne aux Hannetons. Car Dieu s’occupe de créer, et l’homme d’inventer des noms.

C’est bien dit et vrai

Elle se mettait au lit, où, malgré les coussins et les chaussettes de laine, elle ne parvenait pas à se réchauffer les pieds. Et puisque, de même que dans l’eau c’est par les pieds qu’on pénètre dans le sommeil, Geneviève demeurait longtemps sans pouvoir s’endormir.

Le genre d’affirmations qui sont belles sans être convaincantes.

À certains humains un ange pourrait paraître stupide. Mais l’ange, depuis l’origine des temps, porte en lui le fruit de l’arbre de la connaissance, le savoir pur : une raison affranchie de la pensée, et, du même coup, des erreurs – ainsi que de la peur qui les accompagne. Une raison libre des préjugés engendrés par la perception lacuneuse des humains.

Le soldat de retour chez lui au moulin

Il fit le tour du moulin, caressa la meule, ramassa de la farine au creux de sa paume et la goûta du bout de la langue. Il plongea ses mains dans l’eau, passa le doigt sur les planches de la clôture, huma les fleurs, actionna le tranchant du hache-paille. Celui-ci grinça, coupa une botte d’ortie.
Derrière le moulin, Michel pénétra au milieu de hautes herbes et il fit pipi.

l’alcool

Le noyeur était l’âme d’un paysan nommé Pluszk. Celui-ci avait péri dans un étang forestier par une nuit d’août, la vodka précédemment absorbée lui ayant excessivement dilué le sang.

Le genre de propos qui courent dans ce livre

 Imaginer, c’est en somme créer, jeter un pont entre la matière et l’esprit. Surtout quand on pratique cet exercice aussi souvent qu’intensivement. L’image se transforme alors en gouttelettes de matière et s’intègre au courant de la vie. Parfois, en cours de route, elle se déforme quelque peu. En somme, tous les désirs humains se réalisent, s’ils sont suffisamment intenses, et pas toujours de la manière qu’on s’était imaginée.

Arrivée des antibiotiques

Un instant plus tard, il tenait au creux de sa main une petite boîte de carton. De ce qui était écrit dessus il ne comprit que les mots « made in the United States »….
 Au soir, la fièvre des fillettes avait diminué. Le lendemain elle se guérit. À force de prière, Misia avait obtenu de la Sainte Vierge de Jeskotle -reine des antibiotiques- cette guérison miraculeuse.

Réflexion sur le temps

 l’homme attelle le temps au char de sa souffrance. Il souffre à cause du passé et il projette sa souffrance dans l’avenir. De cette manière, il créé le désespoir. La chienne Lalja, elle, ne souffre qu’ici et maintenant.

 

Édition Six Pieds Sous Terre

Je crois que c’est impossible d’expliquer pourquoi une BD nous fait rire ou pas. L’humour de Fabcaro est pour moi, irrésistible. Après Zaï Zaï Zaï et Et Si l’Amour c’était d’Aimer voici donc Formica. J’ai passé un très bon moment , (un peu trop court), pourtant, je n’aime pas qu’on meurt dans les BD surtout pas lorsque l’on tue des enfants ! Or le fait que ce dimanche-là, comme tous les dimanches, la famille se réunit mais ne trouvera aucun sujet de discussion se soldera par la mort ‘tragique » de deux enfants. Le côté décalé de cet auteur qui n’insiste jamais sur ses blagues me réjouit beaucoup, j’ai emprunté cette BD à la bibliothèque mais je sais que je vais l’offrir et me l’offrir aussi . Voici quelques bulles pour vous donner envie de vous plonger dans ce drame en trois actes :

 

Menace de la voisine qui ne veut pas divulguer ses sujets de discussion :

 

Quand les banalités deviennent un peu floues

Le jeu de 7 familles dysfonctionnelles

et une dernière (si vous ne riez pas, ne lisez pas cette BD) , c’est une de celles qui me fait le plus rire ….

 

 

 

Édition Rouergue

 

Je dois cette lecture à Krol qui avait été très enthousiaste pour un autre roman d’Hélène Vignal, que je lirai à l’occasion celui-ci était à la médiathèque. Il se trouve que ce jour là il y avait une exposition qui va bien avec le thème du roman dont je vais vous parler. Il s’agissait de portrait de personnes âgées qui ont toutes en commun de se faire porter des livres car elles ne peuvent que difficilement se déplacer. J’ai adoré ces portraits :

Une exposition qui part à la rencontre de nos aînés…

 

De la même façon, j’ai beaucoup aimé le portrait de Jamie la grand-mère de la narratrice Louise. Cette femme qui passe son temps à soupirer, à ranger une maison ou rien de dépasse, à faire des mots fléchés et des sudoku saura-t-elle comprendre sa petite fille et s’ouvrir aux joies du camping. Parce que les vacances dont rêve Louise c’est de passer huit jours avec sa mère et son ami Théo à Bénodet. Rien ne se passe comme prévu, sa mère doit repartir travailler et Louise doit renoncer à ses vacances au camping. Or, Théo son ami homosexuel, a tout autant qu’elle besoin de ces huit jours loin de ses parents à qui il ne peut absolument pas parler de son homosexualité. Beaucoup de thèmes se croisent dans ce roman pour ado, mais qui peut facilement être lu par des adultes. La guerre d’Algérie, (c’est bizarre mais j’ai lu deux livres à la suite qui parlaient de cette guerre), la difficulté de se comprendre entre génération, l’homosexualité, mais surtout la façon dont une personne, ici Jamie, peut passer à côté du bonheur en s’enfermant dans des habitudes mortifères. Beaucoup d’humour dans ce roman, la scène où dans « la famille parfaite » du camping, les parents veulent persuader l’enfant que, puisqu’il aime les courgettes et les concombres « il doit aimer les cornichons » est très drôle. Je ne sais absolument pas si les ado aiment cet auteur mais je l’espère de toutes mes forces car elle parle de tout avec une légèreté et un sérieux qui fait du bien sans oublier son humour.

 

Citations

Les phrases d’ado que j’aime

Moi, je regardais un feuilleton américain en faisant la patate devant la télé.

Mon grand-père était-il un soldat sanguinaire ? Genre vétérans du Vietnam façon couscous ?

 

Quand elle repousse sa grand-mère

Ces phrases sonnent comme un mauvais sort. Je m’écarte comme si elle venait de me piquer avec un rouet empoisonné de sorcière. J’en veux pas, moi de sa vie compliquée. J’en veux pas de ses « jamais », des ses « tu verras », chargés comme des bombardiers. Je ne veux pas que la vie s’occupe de moi. Je veux m’occuper de ma vie toute seule. Sans subir, comme elle. Sans languir après des trucs qui n’arrivent jamais. Sans espérer que demain ça ira mieux. Sans attendre que les gens soient morts pour les comprendre.

Portrait très bien dessiné en une phrase

Elle s’éloigne, martiale,la bouche comme un smiley à l’envers, les joues qui pendent, l’œil noir, en poussant un soupir offensé.

 

 

Édition Quidam (version poche)

J’avais été intriguée par ce que Keisha avait écrit à propos d’Owana , mais les commentaires sur son blog à propos de l’ETA m’avaient un peu refroidie. J’ai donc acheté et lu celui-ci qui, de plus, est paru en poche. C’est peut de dire que j’ai apprécié cette lecture, elle m’a transportée loin de ma Bretagne natale, au Québec, là où tant de Bretons ont trouvé du sens à leur vie et ont fait fortune : comment se sont-ils conduits là-bas ? Sans doute ni mieux ni moins bien que les protagonistes des personnages mis en scène par Éric Plamondon dans ce roman qui s’appuie sur des faits historiques : le 11 juin 1981 la police du Québec débarque dans la réserve de Restigouche pour confisquer les filets à saumons des Indiens Mi’gmaq. C’est là et à cette époque que l’auteur a décidé de faire vivre Océane une jeune indienne qui va malheureusement croiser la route de redoutables prédateurs . Elle rencontre aussi un homme qui va l’aider à se sortir d’un piège redoutable et une institutrice française qui lui donnera le goût des études. Le suspens à travers cette nature superbe est haletant et j’ai retrouvé mes plaisirs d’enfance lorsque je passais une grande partie de la nuit à lire Jack London -dont il est aussi- question ici aussi. Car c’est la grande force de ce roman, dans des chapitres très courts, il rappelle tout ce qui a constitué ce grand pays, pourquoi et comment on en est arrivé à réduire les indiens à ce qu’ils sont aujourd’hui . On suit la remontée dans le temps du passé de ces territoires comme le saumon qui remonte le fleuve et lorsqu’il est Taqawan, c’est à dire un saumon d’eau douce qui jaillit hors des chutes d’eau pour assurer la survie de son espèce le lecteur se sent transformer. Oui, ce roman emporte et pourtant il est très court, chaque chapitre en deux ou trois pages apporte un petit cailloux à un édifice qui ouvre nos yeux sur un nouveau monde. On peut, sans doute, lui reprocher d’être trop manichéen mais la charge contre les colonisateurs de ces régions me semble plutôt mesurée : en même temps qu’on enlevait des filets aux Indiens, le gouvernement laissait des compagnies privatiser des rivières entières pour que de riches Américains puissent satisfaire leur envie de pêcher tranquillement. Tous les faits sont historiques, les rassembler dans un même roman donne une force peu commune à cette histoire, qui se termine sur l’espoir que la jeune Océane trouve dans l’étude du droits des lois qui permettront aux Indiens de se défendre autrement qu’en s’opposant à la police. Pour celles et ceux qui trouvent que ce roman est trop à charge recherchez et lisez ce que l’église catholique a fait aux enfants indiens. Le terme de génocide est sans doute un peu fort mais l’horreur est absolue.

Citations

Les scènes d’autrefois avant l’arrivée des blancs

Quand le soleil a dépassé la pointe de la baie, un éclaireur rentre au village. Parti depuis trois jours, il revient avec une mauvaise nouvelle. Les ennemis du Sud, ceux de la tribu du Grand Aigle, arrivent. Il faut rapidement éteindre le feu, rapatrier les enfants, défaire les wigwams préparer les canots. Pour ce petit groupe, la fuite se fait souvent par la mer. C’est le meilleur moyen de ne pas laisser de traces et de s’éloigner au plus vite. Alors méthodiquement, parce que cela fait partie de leur vie, et que chacun sait ce qu’il doit faire, on lève le camp. En fin d’après-midi, ils prennent la mer pour fuir l’ennemi lancés sur le sentier de la guerre. Si tout se passe bien, ils seront hors d’atteinte avant la nuit. On campera et on continuera un peu plus loin demain. Les ennemis du Sud repartiront bredouilles à moins qu’ils ne croisent un groupe moins prudent et le déciment . Le Grand Aigle est vorace. 
Le lendemain, ils reprennent donc la mer pour se mettre à l’abri de tout danger pour un long moment. C’est du moins ce qu’ils croient. Les douze canots glissent au large vers l’estuaire du grand fleuve. Un canot de guerrier est en tête du convoi, un autre à l’arrière. Ceux du milieu transportent femmes, enfants et vieillards. Ceux qu’ils doivent pagayer pagayent. Le dernier canot laisse flotter dans son sillage une branche de sapin de la longueur d’un homme. Attachée à la poupe, elle traîne dans les ondulations salées d’une eau baignant un continent qu’on a pas encore baptisé en l’honneur d’Amerigo Vespucci. La branche qui glisse derrière et un leurre. En ce jour où la tribu est partie bâtir son nouveau campement, une énorme gueule surgit des profondeurs et se referme sur la branche. Le dernier canot tangue, le leurre est arraché, les guerriers lancent des cris d’avertissement, il est là, ramener vers la terre, ramer vite vers la terre. Pendant que la ligne des embarcations bifurque vers la rive et que la cadence des rameurs s’accélère, un des guerriers du dernier cadeau canaux prépare les lances et détache un ballot de cuire. Bientôt un aileron émerge. On tire du ballot une peau qui servait de porte à un wigwam. On la lance dans la mer. L’aileron passe et plonge. La peau a disparu. Arqués sur les rames, les autres ne regardent pas derrière. Il faut gagner la plage au plus vite. L’aileron a resurgi et fonce vers la dernière embarcation. Une fois sa proie choisie, la bête s’entête. Cette fois, elles frôle le frêle esquif et reçoit en échange une pointe de lance hauteur de la dorsale. La forme noire plonge, disparais, reviens dans le sillage du canot d’écorce. Les hommes sont prêts. Ils savent que les chance d’échapper aux monstres des mers sont faibles. Ils savent que les Corses ne résiste pas aux dents de cet ennemi là. Comme il revient, on jette une autre peau pour le tromper à nouveau mais cette fois il ne mord.pas. Il arrache la pagaie des mains du rameur le plus fort. L’esquif ralenti. D’un autre paquet, on sort des morceaux de saumon séché. À l’assaut suivant, la gueule se satisfait de la chair de poisson, repart, tourne vite et revient. Les autres canots ont déjà parcouru la moitié de la distance. Ils sont bientôt en sûreté. Le dernier canot, lui, perd du terrain. Ses occupants n’ont plus qu’une rame, une lance, un ninog, trois peaux de castor et leurs vêtements. Quand la bête repasse. Le ninog se brise violemment sur son flanc. Ce trident conçu pour la pêche au saumon ne peut rien contre la créature. Les trois hommes se rapprochent de la terre. Il vient de jeter la dernière peau de castor pour occuper les crocs de l’assaillant. Le guerrier au milieu du chant, celui avec la lance, retire son pagne en cuir en vue de la prochaine attaque. il est prêt à jeter son vêtement quand la charge arrive, de côté cette fois-ci. Il se lève, tangue et brandit sa lance au-dessus de l’écume. Il veut donner le coup de grâce à cette chose qui s’en prend à lui et à ses frères. La gueule surgit. La gueule s’ouvre. La lance s’enfonce dans le nez noir de la chose. L’homme est soulevé. Accroché à la lance, il monte vers le ciel, s’envole puis retombe. Il retombe dans la gueule béante. Son flanc droit s’affale sur les dents qui se referme. L’homme est avalé comme un phoque par une nature plus grande que lui. À peine a-t-il le temps de hurler qu’il est emporté sous l’eau.

En 1981

La police assiège le territoire des Amérindiens. Les bateaux fendent l’eau et déchirent les filets. Côté Nouveau-Brunswick, le pont Van Horne est bloqué par la gendarmerie royale. Les Indiens sont encerclés par la cavalerie. Le ton monte. On serre les rangs. On se regroupe. Le pouvoir veut en découdre. Ça s’appelle une démonstration de force. On ordonne de reculer. On repousse. Sa gueule, ça crie, ça prie . Les gyrophares tournent à vide dans le soleil de juin. Il est bientôt midi. Sur l’eau, les gardes se lancent à l’abordage. Ils saisissent, confisquent. La moindre protestation dégénère. Un colosse d’un mètre quatre vingt dix, dans la police depuis trois ans, empoigne Bob Bany, qui met trop de temps à sortir de son bateau. Il lui aboie de se grouiller. Baby fait ce qu’il peut avec sa jambe de bois. Le policier tire, arrache la chemise, le plaque à terre, un coup de genou dans les côtes l’air de rien,un point sur la nuque parce qu’il faut qu’il obtempère. La clé de bras disloqué l’épaule. Un cri de douleur jaillit, étouffé par un « fuck you » hargneux. Ils sont maintenant 4 sur le dos de l’homme à terre. Il n’avait qu’à obéir. Refus de se plier aux ordres des représentants de l’autorité. Il n’avait qu’à ne pas traîner. Ils lui maintiennent les jambes et lui passe les menottes. Un coup de matraque dans le dos pour finir. Les forces de l’ordre sont en train de sauver le Québec des terribles agissements de ces sauvages qui ne veulent jamais rien entendre. Il faut les discipliner et, leur apprendre. On est dans la province de Québec, sur le territoire provincial. Quiconque s’y trouve doit obéir aux lois et aux injonctions venues de la capitale. Le ministre a dit, la police exécute. Elle répand la parole de l’ordre par le bout des fusils, les gaz lacrymogènes et les barreaux de prison.

Mon pays c’est l’hiver

Je suis né dans le froid. La glace et la neige sont dans mes veines. Il n’y a pas de ciel plus clair et d’air plus pur qu’au milieu de l’hiver. Il n’y a pas d’odeur plus parfumée que celle de la neige fraîchement tombée sur les branches des sapins. Il n’y a pas de silence plus parfait que celui d’une nuit étouffée sous les flocons d’un début de tempête. J’aime cette saison parce que les choses y sont claires. On sait exactement ce qui se passe dans les bois quand tout est blanc. La moindre forme de vie laisse une trace. Les branches sans feuilles permettent de voir clairement des corneilles en haut des cimes. Les rivières sont des routes pour s’enfoncer au plus profond de l’inconnu. On est pas emmêlé dans les broussailles, on file droit, en raquettes ou en ski-doo. C’est une sensation de fuite qui n’est possible que dans la neige. Ceux qui se plaignent du froid n’ont jamais passé une nuit dehors à moins quinze devant un feu de camp et sous la lune qui éclaire comme en plein jour. 

Il a vraiment l’air sincère. Ses yeux se sont mis à briller. Elle a envie de lui demander s’il a un peu de sang indien pour parler ainsi mais elle sait que c’est la dernière question à poser à quelqu’un dans ce coin de pays. Elle a suffisamment gaffé lors de son arrivée pour savoir que le sujet est plutôt sensible. Le vieux fermier qui lui loue sa maison en planche vers tu lui as dit. :
Au Québec, on a tous du sang indien. Si c’est pas dans les veines, c’est sur les mains.
 
https://www.youtube.com/watch?v=CH_R6D7mU7M

 

Édition Gallimard (Du Monde Entier)

Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary

 

Après « Le liseur » que j’ai beaucoup apprécié (mais pas chroniqué), j’ai bien aimé ce roman. Cet auteur allemand, Bernhard Schlink, sait raconter la vie de gens simples. On sent aussi chez lui, un grand intérêt pour les femmes et une confiance dans leur bon sens venant sans doute de l’amour maternel. Olga a eu le malheur de ne pas connaître cet amour, trop tôt orpheline, elle sera élevée par une grand mère qui ne l’aimait pas. Intelligente, elle deviendra institutrice. Très vite, elle rencontrera Herbert fils du notable de son village. Voilà le premier (et le seul en tant que femme) amour de sa vie, elle aimera Herbert de toute la force dont elle est capable, sans vouloir pour autant l’empêcher de vivre sa vie d’aventurier pour le garder près d’elle. Elle souffrira de tous ses départs, et ne partagera pas ses certitudes. Ses combats contre les Heréos lui semblent peu glorieux mais son amour est plus fort que tout. Quand Herbert, en 1913, part en Artique, elle a peur et commence à l’attendre. Elle lui écrit et par un tour de passe passe romanesque l’auteur retrouve ses lettres. On a ainsi plusieurs voix et plusieurs moments de la vie d’Olga qui se rejoignent dans ce roman que l’on peut qualifier de roman choral. Pour Olga tout le mal de l’Allemagne vient de Bismarck qui a appris à son peuple à se voir et se croire trop grand.

Ce personnage historique aura une très grande importance dans la vie et la mort d’Olga.
Cela a fait remonter en moi, un souvenir personnel : en 1960, mes parents m’avaient envoyée en Allemagne, j’étais très jeune et la famille chez qui j’étais m’avait fait rencontrer une femme très âgée qui parlait bien le français et comme Olga, elle m’avait dit que toutes ces guerres c’était la faute faute de Bismarck, plus tard quand j’ai étudié l’histoire je me suis rendu compte qu’elle ne disait pas n’importe quoi. Cette femme aurait peut-être pu prononcer les mêmes paroles qu’Olga :

Elle estimait que c’était avec Bismarck que le funeste malheur avait commencé. Depuis qu’il avait assis l’Allemagne sur un cheval trop grand pour qu’elle pût le chevauchée, les Allemands avaient tout voulu trop grand.

Ce roman est une façon de revisiter le passé de l’Allemagne et de comprendre ses habitants pendant ce si douloureux vingtième siècle sans, pour une fois, le faire de façon trop tragique. Dans ce jour du 11 novembre cela fait du bien de se replonger dans toutes les méandres des erreurs de ce grand pays et de tout faire pour être définitivement à l’abri des guerres fratricides en Europe et coloniales hors de nos frontières. Et une bonne façon de participer au challenge d’Eva.

 

Citations

L’amour de deux êtres séparés, hier et aujourd’hui.

Nous étions plus patients que vous autres. Beaucoup de couples, à l’époque, étaient séparés pendant des mois et des années, et se trouvaient réunis pour peu de temps seulement. Nous étions forcés d’apprendre à attendre. Aujourd’hui, vous téléphonez, vous prenez le train, la voiture, l’avion, et vous pensez que l’autre est à votre disposition. En amour, l’autre n’est jamais à disposition.

Le manque d’amour

J’ai senti l’aversion que grand-mère avait pour moi, comme je l’avais toujours sentie. Parfois elle me frappait, et souvent elle me criait dessus. Mais même quand elle n’en faisait rien, l’élevait même pas la voix, son aversion était dans l’air comme une odeur. 

Tel père tel fils (le père disparu en Artique en 1913 et le fils nazi en 1936)

Je me suis souvent demandé, ces dernières années, quelle position tu aurais prise, par rapport à tout ça. Je n’ai pas l’impression que les nazis rêvent de colonies ou de l’Arctique, et peut-être que ça te sauverait d’eux. Mais tout est trop grandiose, avec eux, et quand on est dans le grandiose, les rêves chimériques ne sont pas loin. Peut-être que tu voudrais leur apprendre à rêver de colonie et d’Arctique.
Je suis plein d’amertume, contre Erik et contre toi. C’est la chair de ta chair et le sang de ton sang. Il est aussi bête que toi et aussi lâche que toi. Il également capable d’être aussi gentil que toi. Mais la gentillesse ne saurait compenser la bêtise et la lâcheté.

 

Je sais que je dois cette lecture à un blog, mais j’ai hélas oublié de noter son nom . Si je le retrouve, je mettrai immédiatement un lien.

Ce livre est un essai du fils du « sauvé », Georges Heisbourg pour cerner la personnalité de son « sauveur » le baron von Hoiningen. C’est une plongée très intéressante dans la deuxième guerre mondiale et en particulier dans le nazisme. L’auteur s’attelle à une tâche rendue complexe par la personnalité du baron qui n’a jamais raconté ce qu’il a fait pendant la guerre et qui ne s’est jamais glorifié de quoi que ce soit. « Un taiseux » et un « hyper » discret nous est donc présenté par quelqu’un qui ne veut surtout pas romancer cette histoire. Au passage, je me suis demandé si ce n’était pas là un trait de la haute société luxembourgeoise, car le père de l’auteur n’a pas raconté grand chose non plus. Et si l’auteur se plaint de n’avoir qu’une photo du baron, il ne met aucune photo de son père dans ce livre. Les sources d’archives proviennent surtout de l’Allemagne, car la Gestapo avait la manie de tout écrire pour faire des dossiers sur tout le monde et ce militaire haut gradé et noble avait tout pour finir pendu. Il n’a dû son salut qu’à sa fuite au dernier moment de la guerre, alors que l’armée allemande reculait sur tous les fronts. Mais cela n’empêchait pas la Gestapo de lancer ses sbires à la recherche du fugitif soupçonné à juste titre d’avoir des accointances avec les conjurés qui ont essayés en vain d’assassiner Hitler. Tout ce qu’a fait ce baron est bien analysé et s’appuie sur des témoignages de ceux qui ont profité de son engagement. Tous le décrivent comme un homme « bien ». Mais alors pourquoi sa propre famille ne veut pas témoigner ? Par pudeur ? De crainte de révéler un secret ? L’auteur comme le lecteur en est réduit aux hypothèses. Enfin, le livre se termine sur une réflexion à propos du bien . C’est intéressant de voir que même dans le pire système, il y a des individus qui ne feront pas exactement ce que des tortionnaires au pouvoir attendent d’eux. C’est ce que l’auteur définit comme ‘la banalité du bien » qui est en chacun de nous . Alors que » la banalité du mal » expression si mal comprise d’ Hannah Arendt est le fait d’êtres sadiques et dépravés qui se cachent derrière des êtres dont l’apparence et la vie sont banales.

Citations

Le recrutement nazi

L’une des forces du Nazisme sera hélas d’avoir su recruter aux deux extrêmes du spectre des compétences : d’un côté les brutes menacées de déclassement , profil largement répandu chez les Gauleiter, de l’autre les surdiplômés, notamment dans les disciplines juridiques, qui aurait réussi dans n’importe quel système et que l’on trouvera souvent chez les SS, spécialement dans les Einsatzkommandos exterminateurs sur le front de l’Est.

Je ne savais pas ça !

Un pasteur proche de la branche national-socialiste du protestantisme, les tenant du « Deutscher-Christ » (un Jésus non pas juif mais aryen)

Cet étrange Nazi

En ligne de résultats : Franz von Hoiningen a contribué à tirer au moins 574 Juifs, (964 avec « le dernier convoi ») des griffes des nazis au Luxembourg, dont de l’ordre de 470 vers un naufrage définitif hors d’Europe. Les recherches les plus récentes estime à 890 le nombre total des Juifs du Luxembourg qui ont pu quitter l’Europe occupée pendant la guerre : plus de la moitié de ces sauvetages définitifs doivent être attribués, au moins entre autres, au baron.

Un luxembourgeois conservateur : son père.

Un conservateur luxembourgeois, c’est d’abord quelqu’un qui soutient l’existence même du grand-duché et de la dynastie grand-ducale. Nonobstant l’influence culturelle allemande et la langue allemande dans le pays, et spécialement à travers une église alors puissante, ce nationalisme est davantage antiprussien et antiallemand qu’antifrançais ou qu’antibelge. L’épisode de 1914/1918 avait eu pour effet de conforter ce positionnement. Mon père avait par ailleurs pris goût pour la culture et la langue françaises, d’où son choix d’entamer ses études supérieures à Grenoble et à la Sorbonne, à à l’époque, il n’y avait pas d’université au grand-duché, et les bacheliers pouvaient choisir de poursuivre leurs études en Belgique, en France ou en Allemagne. Réactionnaire, il l’était, mais démocrate aussi et affichera donc ses sentiments pro-Alliés pendant la drôle de guerre.

La banalité du bien

Pourtant, ils sont mis par une combinaison assez similaire d’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction. Ce ne sont pas des cyniques. La formule « noblesse oblige » ne s’applique pas au pied de la lettre, puisque seul Hoiningen fait partie de cette confrérie là : pourtant elle paraît résumer leur approche de la situation exceptionnelle dans ces années de feu. Aussi, on ne manquera pas de souligner l’importance capitale de la transmission éthique dans nos sociétés, transmission qui implique aussi une certaine compréhension de notre passé.

le cas de la Pologne et de la Hongrie

Des pays comme la Pologne où la Hongrie ne parviennent pas à apaiser leur relation au passé de la guerre froide en partie parce qu’ils n’ont fait que très imparfaitement leur travail de mémoire par rapport aux drames de la Seconde Guerre mondiale.

Appel au témoignage

Il y a une immense noblesse à faire le bien, surtout si cela implique de tourner le dos au système de croyances de son clan, de sa tribu. Cependant, l’action doit être prolongée par sa narration. Le taiseux baron, mais pas seulement lui, n’y était pas porté. Il est temps d’en parler. Et, en parlant, peut-être susciterons- nous d’autres vocations : des langues de proches se délieront, des archives familiales ou publiques s’ouvriront. En d’autres mots, et en retournant l’adage familier : pas seulement des actes mais aussi des paroles. Telle est la condition d’une transmission durable.

 Homère, pour autant qu’il est réellement existé, paraît avoir été de cet avis. Qui lui donnerait tort trois mille ans plus tard ?