Édition Babel Acte Sud . Traduit du Norvégien par Françoise Heide

C’est ma soeur qui m’a prêté ce roman et ce livre m’a procuré un grand plaisir de lecture. Cela fait longtemps que je ne suis pas partie grâce à un livre, dans une région lointaine, si hostile et dans le passé. Connaissez vous les églises que les français appelle « église au bois debout » ou « starkike » en danois ou « Starkyrkje » en norvégien ?

 

Lars Mytting décrit avec une grande minutie, la construction de ces églises aux environs du XI° siècle et leur sort à la fin du XIX° siècle. Elles ont failli complètement disparaître car elles étaient sombres et pas assez grandes pour accueillir les nombreux fidèles. Mais surtout ce qui ne se disait qu’à demi-mot, c’est qu’elles avaient été construites au début de la christianisation de la Norvège. Les habitants avaient fait un mélange des forces qu’ils imploraient traditionnellement, les dieux qui les avaient toujours protégés et ce nouveau venu le Christ. C’est pourquoi ses églises sont décorés de serpents monstrueux et de dragons crachant du feu.

Son roman est consacré à une de ces église, un jeune pasteur énergique a le projet de la vendre aux Allemands qui veulent la reconstruire à Dresde. L’architecte allemand qui vient dessiner cette église tombera sous le charme de cette incroyable exploit des bâtisseurs du Moyen-âge et ne sera pas insensible à celui de la jeune Astrid… L’église de la paroisse de Butagen, endroit très isolé de la Norvège, a de plus un charme particulier, liée à une histoire tragique : lors de sa construction, des sœurs siamoises reliées par le bassin ont vécu dans ce village, tout le monde les aimait et à leur mort, leur père désespéré fera fondre deux cloches (d’où le titre du roman) en y ajoutant tout l’argent de la maison, ce qui leur conférera un son très particulier.

Les descendants de cette histoire habitent toujours le village et dans la ferme des Hekne, en 1880, les gens ne sont pas riches mais sont considérés dans le village. La jeune Astrid, la jeune fille de la ferme, mettra toutes ses forces et son intelligence dans la bataille pour garder son église ou au moins les deux cloches. C’est une période très pauvre pour la Norvège et l’hiver tout le monde, est à la limite de la survie, on assistera à la mort de froid d’une vieille femme lors de la messe du nouvel an. Une messe trop longue du jeune pasteur, ce qui le confortera dans son idée qu’il faut démolir cette bâtisse et construire une église plus confortable. Le froid et la faim sont le quotidien des villageois et les idées nouvelles du pasteur ne sont pas les bienvenues, même si c’est pour leur « bien ». Il souhaite que chaque paroissien puisse être enterré, en ayant le droit à une messe, mais que faire des cadavres quand on ne peut pas creuser la terre. Il lutte aussi contre les superstitions mais contre le malheur qui s’abat si souvent sur eux les Norvégiens préfèrent se protéger avec les deux croyances celle de la religion chrétienne et celle des dieux de leurs ancêtres. Tout le roman nous permet de découvrir les mœurs des Norvégiens de cette contrée à la fin du XIX° siècle. C’est passionnant et même si leur vie est dure le roman ne tombe pas dans la tristesse, c’est une lecture qui curieusement reste gaie alors que la réalité est sombre et souvent tragique

Astrid sera aimée par les deux hommes apportant (peut-être) le progrès : le pasteur et l’architecte allemand. Évidemment, ce ne sera pas sans conséquence sur son destin.

Le personnage principal de ce roman reste cette église qui doit être déplacée à Dresde en Allemagne. Je ne sais pas si c’est historique, mais ce que j’ai pensé tout au long de cette lecture, c’est que je regrettais qu’aucun écrivain français, ayant le talent de conteur et d’historien de Lars Mytting , ne se soit penché sur ce qui s’est passé à la même époque en Bretagne : combien de petites églises romanes ont été complètement démolies pour laisser place à de grandes églises triomphantes qui sont complètement vides aujourd’hui. Les rares chapelles anciennes qui ont résisté au renouveau de la foi, après la révolution française, sont si jolies et attirent les touristes contrairement à ces énormes bâtissent sans aucun charme .

Un excellent roman dont j’ai recopié tant de passages pour essayer de ne pas oublier cette lecture qui m’a enchantée, et j’espère que vous apprécierez l’humour particulier de cet auteur.

 

Citations

Les églises traditionnelles.

 Pour les piédroits et la charpente, on avait utilisé les immenses pins qui poussaient alors dans le Gudbrandsdal, et comme le voulait la coutume dans tout le pays, on avait abondamment décoré l’édifice de motifs légués par les vieilles croyances païennes, ce qui donnait une sorte de christianisme repeint, façon demeure de chefs vikings. Il avait fallu aux menuisiers un été entier pour sculpter les serpents de mer, et autres enjolivures qui avaient fait leurs preuves depuis l’époque norroise. L’extérieur du porche était agrémenté sur toute sa hauteur de figures léonines aux longs cous et un énorme reptile se contorsionnait autour de la porte d’entrée. De chaque côté du retable se dressaient des colonnes de bois dont les chapiteaux avaient pris la forme de masque barbus, effigies de vieilles divinités qui roulaient des yeux sans pupilles. Tout ceci avait pour but de défendre la paroisse contre les forces du mal, telles que les Norvégiens les avaient combattus depuis des centaines d’années. Les artisans avaient pris soin d’intégrer tous les dieux à leur œuvre et de leur rendre justice à égalité, pour le cas où Thor et Odin auraient pu conserver quelques pouvoirs

L’idéal féminin norvégien .

 Astrid, elle, était longiligne, osseuse de corps et de visages, avec des cheveux bruns et frisés. Dans une autre contrée, elle eût pu passer pour jolie. « Belle », dirait peut-être celui qu’il lui fallait, qui saurait apprécier l’inclinaison singulière de ses sourcils, sa façon de relever le menton, la couleur dorée dont se teintaient ses bras au soleil. Mais après ses deux refus, l’aîné des Hekne n’était plus dans la rumeur publique qu’une jeunesse têtue et ingouvernable. La sagesse matrimoniale favorisait les filles aux mains grossières qui se taisaient en ployant sous la besogne, mettaient des enfants au monde sans manières, et retournaient droit à l’étable en laissant derrière elle le délivre encore fumant.

Une région en retard.

 Les temps nouveaux faisaient lentement leur chemin. Butangen était en retard de vingt ans sur les bourgs avoisinants, eux-mêmes en retard de trente sur les villes de Norvège, laquelle marchait cinquante ans en arrière sur les traces du reste de l’Europe.

Différence entre les ports et la campagne.

 Les choses ne se passaient pas comme sur la côte, ou la placidité des mœurs souffrait de dilution. La faute en revenait aux marins des bords de la Méditerranée, débarqués pour cause d’avaries, et qui quittaient le port où ils s’étaient réfugiés en laissant, dans le ventre des jeunes filles, de menus cadeaux d’où sortiraient des gamins coléreux à la chevelure de jais. La vie d’ici se passait dans le périmètre des enclos, au fil de la paisible et régulière valse des saisons.

La sonorité des cloches.

La sonorité des cloches jumelles éveillait ni mélancolie ni angoisse. Dans chaque battement palpitait un cœur vivant, la promesse d’un printemps meilleur, une résonance teintée de longues et noble vibrations. Leurs notes pénétraient les âmes, emplissaient les têtes de chimères, attendrissaient les plus endurcis des hommes. Pour peu que le sonneur fut habile, il pouvait transformer les sceptiques en fidèle paroissiens, et si le timbre de ses cloches avait tant de pouvoir, c’est qu’elles étaient « de bon aloi ». Cette expression désignait alors une coutume dispendieuse, qui consistait à ajouter de l’argent à l’alliage au moment de le couler. Plus on mettait du précieux métal plus le son serait beau.

Bavardages norvégiens !

Malgré son terrain accidenté et ses petites proportions, la vallée était abritée et lumineuse, et ceux qui y séjournaient, s’ils poussaient un peu plus loin vers le nord, pouvaient à l’occasion avoir quelques commerces avec les gens de Brekkom et d’Imsdal, sous la forme d’un signe de tête ou d’un salut de la main, à bonne distance.

La mère du Pasteur .

 Sa mère, cette maîtresse femme, la plus vêtue de noir de toutes les veuves qu’on eût jamais vu dans les réceptions de Noël, lui avait inculqué depuis sa plus tendre enfance l’importance d’une « vie réussie ».

Tout se sait au village.

Kai Schweigaard ne mesurait pas jusqu’où pouvait fouiner l’indiscrétion des gens du village. La rumeur s’emparait avec la rapidité de l’éclair de tout ce qui sortait du rang, observait, soupesait avec autant d’ardeur que s’il se fût agi de trouver l’issue la plus sûre pour fuir un incendie. 

Question intéressante !

Il s’était parfois posé une question inavouablement déplaisante : comment il se faisait qu’il pût trouver intéressantes les odeurs sécrétées par son propre corps – sueur, pets matière fécale-, ou du moins ne pas en être dégoûté sur le coup, quand les miasmes d’autrui le faisait reculer.

Bien vu… !

Astrid, il le savait n’était pas faite pour devenir épouse de pasteur. Trop spontanée, trop féminine, trop exigeante. Il lui manquait la qualité principale qu’on attendait d’une femme de tête : savoir obtenir ce qu’elle voulait en faisant croire aux homme que l’initiative venait d’eux .

Les enfants sans père .

 « Eh bien tu nous as mis dans de beaux draps », s’exclama la mère et elle eut tout dit. Les enfants sans père était mal venus, mais les gens du commun parmi tous les maux du monde, y voyait un accident moins grave que si le cheval fût mort de coliques. 

Amusant.

 On avait réuni les attelages près de la grange. Des hommes en paletot de fourrure se mettaient au travail. La plupart affichait la marque universelle de la compétence chez les transporteurs au long cours : une barbe fournie.

La tristesse.

 « Tout ira bien, lui dit-il. S’il arrive quelque chose, la sage-femme ou moi, nous prendrons des décisions pour vous. Nous vous délivrerons et de la mort et des souffrances.
– Mais pas du chagrin.
 – Non. Contre le chagrin, nous ne gagnons jamais, nous ne pouvons même rien contre lui.

Les paroles de son grand père .

 Demande toi quelle remembrance tu aimerais laisser de toi Astrid. Quand on conte la vie de quelqu’un et que les ans ont passé, la place manque pour en dire long. De moi, je ne crois pas qu’on se ressouvienne. Sauf pour m’être efforcé d’avoir bon cœur, peut-être, mais ça ne donnera guère une histoire. Ce que les gens gardent en mémoire est coulé dans le métal ou fabriqué en bois, ou bien tissé ou peinturé, ou bien écrit. La mauvaiseté et la sottise aussi peuvent rester, quand on les étale en grand.

 


Édition Liana Levi. Traduit de l’italien par Marianne Faurobert

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Ce roman est à la limite du conte , à la fois réaliste et onirique. Il raconte l’arrivée dans un pauvre village Sarde de réfugiés venant d’un bateau et sauvés par des humanitaires. Personne n’est tout bien ni tout mal dans ce récit, c’est pourquoi je dis qu’il est réaliste, mais il y règne aussi une atmosphère finalement positive comme dans un rêve, le rêve que les hommes puissent vivre heureusement ensemble, c’est pourquoi je le qualifie d’onirique.
Cela ne veut pas dire que ce récit n’est pas profond et ne fait pas réfléchir. La narratrice, une des femmes du village est très vite intriguée par ces gens qui arrivent de si loin, et elle n’est pas la seule. Elle croit pouvoir les aider et avec des amies : elles veulent leur « faire du bien ». Ce qui est amusant c’est que ces pauvres gens se croyaient arrivés en Europe alors qu’ils sont en Sardaigne dans un village isolé loin des images qu’ils avaient en tête.
Comme dans tout conte, il y a une morale, les gens du village pensaient tout leur donner, mais l’arrivée de ces immigrés leur permettra de voir ce qui ne marche pas dans leur village. C’est un échange et avec un questionnement sur l’aide humanitaire qui est très intéressant. Beaucoup de questions sont abordées dans ce roman , l’isolement des villages ruraux, la fuite de la jeunesse, l’agriculture rentable au dépend des potagers personnels….

Aucune solution simpliste n’est offerte aux lecteur et la vie va continuer tout aussi imparfaite qu’avant. Au passage, ces gens auront appris la tragédie de ceux qui sont obligés de fuir leur pays. L’écrivaine mélange avec bonheur la religion chrétienne avec l’Odyssée d’Homère, tout est prétexte à nous faire saisir la relativité des comportements humains . Elle nous régale de poésies et de citations de poètes.

Je ferai un reproche à ce livre, on se perd dans les personnages malgré leur liste au début du livre, j’ai dû sans arrêt m’y reporter.
C’est avant tout un livre qui fait du bien et où le malheur ne nous rend pas totalement triste alors que rien n’est gommé, on comprend toutes les horreurs mais la vie avec « les hommes de bonne volonté » est la plus forte.

 

Citations

Le sens de l’accueil des Sardes.

Nous ne sommes pas comme les Napolitains qui vous imposent leur compagnie même si vous n’en voulez pas et vous pourchassent vous parlent, vous invitent à parler. Nous, les Sardes, nous sommes accueillants, mais si nous devinons que vous souhaitez rester seuls, seuls nous vous laisseront, à jamais.

Des immigrants déçus.

 Mais certains des envahisseurs aussi, une fois qu’ils eurent compris que c’était bien dans ce village sarde oublié de Dieu et des hommes, ravitaillé par les corbeaux, qu’on les avait envoyés, ne voulurent plus rien avoir à faire avec nous, déçus d’avoir risqué leur peau pour échouer ici.
 Non, leur place n’était pas ici. 
Ils avaient entendu dire que l’un de nos traits distinctifs, à nous Européens étaient le goût du shopping, et qu’ici les vitrines scintillement de partout. Où étaient donc toutes ces boutiques ? Il n’y avait rien chez nous de ce à quoi ils s’attendaient. Nous n’en valions pas la peine

L’homosexualité .

 Une fois l’humanitaire du sex-shop raconta que son père avait coutume de dire : « mieux vaut un fils mort qu’un fils pédé. » L’un avait donc pour géniteur un assassins potentiel, l’autre était musulman, et dans son pays les homosexuels étaient arrêtés et parfois pire. Leur amour ne semblait pas promis à une fin heureuse et cela nous causait du chagrin, un déchirement comme toujours quand un amour est impossible.
 Tout ceci nous faisait réfléchir au fils du Tailleur qui ne revenait jamais au village parce qu’il avait un fiancé, mais qui s’en ouvrait sans problèmes au monde entier. Son père en avait plus honte que s’il avait été délinquant, mais un jour que nous nous plaignons de nos enfants avec de profonds soupirs, comme le font souvent les parents entre eux, quand ils se lâchent le Tailleur fit cette sortie : « Mon fils, lui, au moins s’est fait tout seul et il est devenu célèbre alors que les vôtres ont eu beau courir le monde vous devez encore les entretenir. »

Aimer l’humanité ou les personnes.

 Le père Efix se moquait des autres comme d’une guigne et en cela il se révélait bien différent de la Dévote, de Gilles, et du Professeur qui ne faisaient jamais de favoritisme et beaucoup plus critiquable puisqu’il était prêtre. Mais nous nous sentions proches de lui, qui aimait des personnes et non toute l’humanité. Il fallait être un saint pour aimer toute l’humanité. 

La Vierge Marie par le père Efix.

 « Marie doit s’être sentie très seule, elle aussi, disait le père Efix. Quelle que soit la manière dont les choses se sont vraiment passées son enfant aurait pu rester son père. Mais il en va de même pour toutes les femmes enceintes, les circonstances de la conception ne comptent plus, le mâle s’efface. Le père s’il apparaît, le fera plus tard, et demeura un père putatif.
 Il aimait énormément Joseph et le tenait en grande estime. Quelle largesses de vue avait été la sienne, lui qui avait accepté de s’unir avec une femme gravide, peut-être victime d’un viol. Certes, un ange lui était apparu qui lui avait dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ton épouse. » Comment le croire ? Et si c’était une hallucination ? Mais Marie avait le cœur pur et cela lui suffisait.

Édition, Quebec-Amérique

Merci Aifelle pour cette superbe suggestion. Quel beau roman ! sur un sujet si triste ! Tout vient de l’écriture de cet écrivain que je connais grâce à toi Aifelle et donc, j’ai aussitôt acheté « le jour des corneilles » et cela permet de voir l’étendue du talent d’écrivain de Jean-François Beauchemin.

Dans le roitelet l’auteur évoque la vieillesse d’un écrivain qui doit beaucoup lui ressembler, il aime sa femme son jardin, ses promenades dans une nature dont il savoure les différents aspects et surtout son amour pour son frère. Celui-ci est schizophrène, il souffre beaucoup, surtout quand ses démons l’envahissent. Sa souffrance bouleverse le narrateur et on comprend si bien pourquoi. L’auteur a choisi d’exprimer son affection pour ce frère blessé par une maladie que l’on de sait pas soigner (ou si mal : en abrutissant le malade de médicaments), il le fait grâce à de cours chapitres qui sont autant de petits poèmes en prose. J’ai adoré ce livre, et comme Aifelle je ne peux que vous inciter à le lire, j’espère mes extraits vous en donneront envie.

 

Citations

Début de la maladie de son frère.

 Mon frère n’était pas aussi confiant. Je sentais la présence en lui d’une menace, d’un traumatisme naissant. L’adolescence est une période de remodelage du cerveau : le programme de maturation qui bientôt fournira les codes de l’âge adulte fait l’objet d’importants bouleversements. De nouvelles connexions neuronales se mettent en place, tandis que d’autres s’évanouissent. Des accidents se produisent, paraît-il, lors de cette grande période de reconfiguration qui rendent certaines jeunes personnes particulièrement fragiles inaptes à gérer les situations émotionnellement éprouvantes.

Première scène traumatisante et titre du livre.

 Passant en quelques secondes de l’optimisme le plus vrai à une sorte de neurasthénie prophétique, il a eu cette formule à vous glacer les os :  » Je suis de moins en moins réel. C’est atroce. » Un fulgurant éclair de compréhension semblait le traverse. Accablé tout à coup, pleurant presque, il s’est ensuite appuyé sur un arbre et a prononcé ces mots funestes : « J’ai cessé d’être tout à fait dans cette vie. Je sens que s’ouvre devant moi les portes d’un pays terrible, et que j’y suis repoussé comme à la périphérie des choses et du Monde. »
 A ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête.

Humour .

 Il est venu ce matin encore frappé à ma porte. Je n’avais pas versé le café dans les tasses que déjà il me disait ces mots. « Tu devrais écrire un livre dans lequel rien n’arrive. » J’ai trouvé l’idée d’autant plus séduisante que j’ai sous la main, avec ma vie très banale, une grande quantité de matière à partir de laquelle travailler.

Souffrance du schizophrène.

Je notais cependant que la lumière changeait, et devinais que, de l’autre côté des feuilles d’aluminium, le soleil lentement commençait à descendre. J’ai senti petit à petit mon frère reprendre le dessus sur les démons qui depuis cinquante heures l’assaillaient. Puis je l’ai vu se détendre enfin, se défaire de l’emprise terrible de son angoisse, s’allonger et s’endormir, épuisé, comme s’il venait de combattre à mains nues un fauve, ou un dragon crachant le feu par les narines. 

Confidences de son frère schizophrène.

 Toi, si tu es pourchassé par un malfaiteur tu as toujours la possibilité de courir te mettre à l’abri. Moi je ne le peux pas. Le malfaiteur est dans mon cerveau et je ne peux pas m’enfuir..

Les questions sur Dieu.

 Pourquoi Dieu ne m’aime il pas ? Après tout c’est son métier d’aimer les gens
 Je crois en Dieu. Je n’ai d’ailleurs pas le choix : dans cette vie il n’y a pas moyen de faire autrement. Mais lui ne me paraît pas tellement croire en moi.

Le sens de la vie.

« À quoi sert l’art, aujourd’hui, dans ce monde où nous vivons ? » Elle achevait d’enfiler sa robe lorsqu’elle m’a dit : « Il me semble que c’est une sorte d’acte de résistance. Rien de prodigieux. Pour tout dire, je crois que la peinture, la littérature, la photographie, la musique ou le cinéma, de toutes ces choses-là, pour la plupart, ne contribuent que très modestement à la bonne marche du Monde. Les œuvres d’art de sont qu’un signal, un phare émettant une faible lueur au milieu de la nuit. Faible, oui. Mais c’est la seule dont nous disposions. »
Édition, libretto
Toujours recommandé par Aifelle,  j’ai enchaîné avec cette lecture complètement différente pour l’écriture. Mais pas tant que ça pour le thème. Parlons d’abord de l’écriture, dans un style absolument original qui rappelle la langue du XVI° siècle, (Rabelais ou Montaigne), un jeune raconte à des juges que nous entendrons jamais sa vie incroyable avec un père maltraitant et malade mental. Et voilà la schizophrénie qui revient. Car son père est habité par des démons qui le pousse à torturer son fils. Si on raconte l’histoire cela ne vous conduira peut-être pas à lire ce texte et ce serait dommage. je raconte rapidement, l’histoire : un père vivant dans une forêt canadienne avec son petit garçon. La raison de cet homme a sombré quand sa femme est morte en couche et il n’arrive pas à aimer cet enfant qui lui recherche sans cesse l’amour de son père. Son père déteste aussi les habitants d’un village pas si loin de leur forêt. On comprendra plus tard ce qui a poussé cet homme à fuir le village avec sa femme. On situe mal cette histoire dans le temps et on ne lui demande pas non plus d’être vraisemblable. Tout l’intérêt du livre vient du style et de la façon de raconter. J’ai adoré ce livre pourtant aux limites du fantastique ce qui d’habitude me fait fuir.
J’espère que mes extraits vont vous plaire.

Citations

Style de l’auteur et folie du père.

 Après l’enfouir de mère et mon breuvement de lait, père, moulu par le chagrin, s’allongea pour la nuit, non sans avoir bien refait le capiton de ma propre paillasse et établi ci-dessus. C’est à l’aube suivante que ces gens parurent en son casque pour la première fois. Après déjeuner, à peine avions-nous avalé le gruau de joubarbe que voilà père qui gesticule et commence de se débattre avec ses visiteurs cependant aussi invisibles que pet de mosquée Ça dure, ça dure, la sueur ruisselle sous la liquette de père, car il arpente la cabane, et s’agite et grogne et semonce, et rouspète et menace ses gens. Puis vient un moment d’allumettes, et père s’établit sur le taboureau. Sa conversation, toutefois, persévère. Quoique fort-vert, j’avais déjà l’œil ouvert et l’aptitude agile. Aussi traduisis-je vivement le sens de cette émeute : quelque part sur le chemin séparant la tombe de mère et le seuil de la cabane, père avait égaré l’entendement.

J’accepte facilement les mots que je ne comprends pas car j’aime cette façon d’écrire.

 Il nous tardait, en effet, non seulement d’assurer le repas du soir, mais aussi de regarnir notre magasin d’accoutres. Car nos cache-esgourdes, excuse-train, mitaines, godillots-de-poil, tapisse-parties,escorte-blair et pousse-cuisses habituels menaçaient d’usure

 Je le talonnai long de temps, le pied rêveur, le casque résonnant de ses paroles. Surtout, je remuai la question posée par grand matin. En effet que contenait donc le cœur de mère ? Plus tard lorsque je perçais notre première bête puis que j’en retirais discrètement la flèche, je crus concevoir le répons que j’appelais. Oui, mère était ainsi que le déchirement de l’aube ; son corps pourrait bien passer et tomber sous la brossée de la mort. Mais son cœur ne se résignait guère au trépas. 

La question que le lecteur se pose pendant tout le livre.

 D’où me venait que malgré ses cruels mouvement à mon endroit, je le chérissais cependant plus que l’existence même ? Était-ce là l’effet puissant et impénétrable de la lignée ? Le sang qui courses dans nos veines est-il à ce point porteur de sentiment ? Mystère de nos jours ! Diableries de la naissance, de la souche et de la famille !


Édition du Rocher

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

parole d’un résident d’un Ehpad

« C’est long de mourir. »

Un bol de bonne humeur, des sourires à gogo et même un éclat de rire. Et aussi, des moments d’une grande sensibilité et d’émotion. Au milieu de livres tragiques celui-ci m’a fait un bien fou.

Peut-être avez vous entendu parler du célèbre arnaqueur Victor Lustig qui s’est vanté d’avoir vendu la Tour Eiffel à un riche ferrailleur Parisien. Il serait l’ancêtre du narrateur Thomas Poisson. La quête vers cet ancêtre peu glorieux permet à l’auteur de nous décrire des français contemporains. Ceux qui, avec un gilet jaune, ont occupé les ronds points de la France en 2018. Thomas Poisson est au chômage depuis peu et fréquente la médiathèque de sa ville. Là il rencontre Frankie qui a eu le malheur de changer une roue en pleine manifestation des gilets jaune et qui a eu du mal à expliquer à la police ce qu’il faisait un cric à la main devant les forces de l’ordre. Il y a aussi Mansour ce fils de harki . Le récit de la vie de son père est un des moments d’émotion que j’évoquais au début de mon billet. Il y a aussi Françoise qui fait les meilleures confiture que Valentin, le fils de Thomas, n’ait jamais goûtées. Elle aime bien être sur les ronds points car elle s’y sent moins seule que chez elle. Enfin, il y a le père de Thomas qui termine sa vie en Ehpad.

Et puis il y a Carine, sa femme qui supporte de plus en plus mal les maladresses de son mari. Tous ces personnages forment un groupe humain que nous rencontrons tous les jours, dont nous faisons sans doute partie, cela fait du bien de passer du temps avec eux sous la plume d’un auteur qui a tant de compassion pour ses contemporains. Ce n’est peut-être pas le roman du siècle, mais un livre qui fait tant de bien, que je lui ai finalement mis cinq coquillages pour partager avec vous ce petit moment de bonheur.

 

Citations

Le talent des bibliothécaires.

 Une scène à faire douter un malentendant du bon fonctionnement de son sonotone. Je me suis dit que la formation des bibliothécaires devait les préparer à cela. Une aptitude validée par un examen, j’imagine, ou les épreuves consistent en une mise en situation de communication silencieuse : orienter vers la section « Histoire égyptienne « sans prononcer un mot, et ramener au calme d’un simple regard un groupe d’adolescents agités, donner son avis, positif ou négatif, sur un ouvrage en clignant des yeux… Personne ne maîtrise l’expression silencieuse mieux que les bibliothécaires. Entre eux, ils échangent sur des fréquences que seuls les chiens et les chauve-souris peuvent percevoir.

Un moment d’intense émotion, à propos de son père ancien Harki.

 Un jour en rentrant de l’école – ce devait être à la fin des années soixante, mon père avait trouvé du travail chez Renault et nous avions quitté les camps -, je lui ai demandé ce que c’était qu’un collabo. Il m’avait expliqué. À l’école, il y en a qui disent que tu es un collabo. C’est vrai, Papa ? je lui avais demandé. Je me souviens de la tristesse dans son regard. Non seulement on l’avait trompé, mais comme si cela ne suffisait pas, on lui crachait dessus désormais. Mon père est mort il y a trois ans. J’avais huit ans lorsque je lui ai posé cette question. Jamais je n’oublierais le regard de mon père ce jour-là . D’abord parce que c’était par ma voix qu’il apprenait ce que les autres pensaient ou du moins colportaient sur les harkis. Ensuite parce que ce regard résume à lui seul tout ce qu’il m’a transmis, son histoire et la souffrance qui l’accompagnait. Mon père était un type bien et la vie ne l’avait pas mieux traité pour autant.

Humour qui fait du bien (aux maladroits, surtout).

 Le tapis ne craignait rien. C’est un modèle bleu foncé venu remplacer le tapis artisanale berbère, souvenir du même voyage au Maroc, en laine blanche finement décoré de motifs géométriques noirs. Lui trop clair, trop fragile, moi, trop maladroit. Nous nous n’étions pas destinés à vivre ensemble.

Éclat de rire .

 Bruno s’est bien foutu de moi ce soir. En attrapant mon porte monnaie dans mon sac, j’ai fait tomber la bombe de déodorant que tu m’as donnée pour remplacer ma bombe de défense au poivre. « Pour nous les hommes » il m’a dit. J’ai dû lui expliquer pourquoi je me promener avec une bombe de d’Axe marine. La seule chose qu’il a trouvé à dire, c’est que ça pouvait toujours servir si je tombais sur un agresseur qui sentait la transpiration ….

Je suis tellement d’accord, enfin, pour l’humanité j’ai un petit doute.

 La pizza hawaïenne est incompréhensible, un ornithorynque gastronomique, un assemblage disparate qui défie la logique élémentaire sans avoir toutefois la sympathie de l’inclassable animal. C’est un outrage à la gastronomie italienne, et même une raison suffisante de douter du bien-fondé de l’existence de l’humanité.

 


Éditions Julliard

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

…il ne serait sorti que pour leur parler de la relativité du laid et du mensonge des apparences.

Parfois un livre vous fait partir loin dans des pays lointains, grâce à ce roman vous partirez dans le passé, à la cour du jeune roi Louis XIV, auprès d’une femme, Cateau qui est au service d’Anne d’Autriche, sa mère. Ce livre est si bien écrit que je vous garantis le voyage ! Catherine Beauvais avant d’être le médecin à la cour a beaucoup souffert, car elle est très laide. Enfant, elle a été rejetée par ses parents, puis souffre douleur des enfants avec qui elle a été gardée. Elle a connu un moment de bonheur avec sa grand-mère qui lui a appris les mystères des soins par les plantes, en particulier avec les lavements.

Un homme se mariera avec elle pour pouvoir mettre sur sa vitrine « magasin du Monstre » et voir ses ventes augmenter. Sa grand-mère, toujours elle, l’aidera à venir près de la reine pour soigner « cette grosse femme » qui mangeait beaucoup trop. C’est alors que les vrais monstres vont se déchaîner, les courtisans qui ne comprennent pas comment une femme si laide peut vivre à la cour. L’auteur visiblement n’aime pas beaucoup Mazarin qu’il accuse de tous les pêchés (je dis bien de tous les pêchés !), et a peu de considération pour Madame de Sévigné, ses traits d’esprit étaient surtout méchants.

Ce livre est bien écrit, il est enlevé et rempli d’allusions littéraires qui font plaisir. Je vous le disais, un voyage dans le temps et un excellent moment de lecture alors que, ce qui y est raconté sent, parfois, la pisse, la merde , la putréfaction. Le mal n’est pas toujours là où on le croit comme le disent ces derniers mots du roman prononcés par un voyageur qui pourrait bien être l’auteur ou vous lecteur  :

…il ne serait sorti que pour leur parler de la relativité du laid et du mensonge des apparences.

 

Citations

 

Un début qui m’a donné envie de lire ce livre.

 Pour le voyageur qui, en 1655, découvrait Paris du haut de la butte Montmartre, la ville semblait une vaste mer de toits argentés au milieu desquels émergeaient, par endroits, le mât pointu d’une église ou les tours carrés d’une cathédrale. Et c’était un spectacle merveilleux, vraiment, que celui de cette étendue qui allaient se perdre au fond de l’horizon, et d’où montait, comme une chanson, une continuelle rumeur de cloches, de hennissements et de cris.
 Mais sitôt que le voyageur avait dévalé l’un de ces petits chemins éclaboussé d’arbustes qui serpentaient jusqu’à la ville, c’en était fini de la beauté. Il n’est pas toujours bon de pénétrer le revers des choses. Car sous cet immense tapis d’ardoises, au pied de ces grandes tours où Dieu veillait au destin de quatre cent mille de ces créatures, se cachait un monde d’une laideur repoussante.

Détails puants.

Les Parisiens et les Parisiennes, faute de latrines, pissaient et chiaient où bon leur semblaient (quoi qu’il existât certains lieux plus prisés que d’autres : aux Tuileries, par exemple ils étaient plusieurs centaines à se retrouver chaque matin sous une allée d’ifs pour débarrasser de leurs intestins du mauvais repas qu’ils avaient ingurgité la veille). Tous les jours les boueurs évacuaient vers la banlieue près de vingt mille boisseaux de merde. 

J’adore ce genre de raccourcis.

 Les discussions étaient rares entre Catherine et Pierre. Comment aurait-il pu en être autrement au sein de ce couple où le mari croyait que sa femme était bête et où la femme savait que son mari l’était.

C’est drôle, non ?

Jamais, durant les séances de soins, la reine ne lui parlait des affaires du royaume ce n’est pas parce que l’on montre son derrière à son médecin que l’on est obligé de tout lui dire.

Les hôpitaux .

 La plupart des malades, quelque fût leur affection, étaient rassemblés dans un immense dortoir qui puait l’urine, les chaires moisies et la soupe suri. Ce spectacle misérable était compensé par l’extraordinaire dévouement des sœurs qui s’occupaient de l’endroit. Sans doute n’étaient-elles pas pas les femmes les plus tendres et les plus patientes de la terre. Mais au moins ne passaient-elles pas leur temps, comme les nonnes des Filles-Dieu, à marmonner des prières, persuadées que cela suffirait pour changer le monde.

Edition Gallmeister traduit de l’Américain par Stéphanie Levet

Ce livre est absolument stupéfiant, l’auteur américain a fait la guerre 14/18, il en est revenu et a mis 10 ans à écrire ce livre. C’est la première fois que je lis un récit vu du côté américain, par quelqu’un qui a fait cette guerre. Il a pris l’identité de 113 de ses camarades, ceux de la compagnie « K » et, à travers des récits parfois très courts, il nous raconte mieux que bien des roman, la guerre dans toute son horreur. La lecture est éprouvante car l’auteur ne cherche pas à édulcorer la cruauté de ce qui s’est passé dans les tranchées, dans les assauts, sous les bombardements au gaz, dans les hôpitaux et au moment du retour dans des foyers. Aujourd’hui on n’ en parle plus souvent mais que savait-on alors du choc post-traumatique ? Bien sûr, ne pas savoir nommer cette douleur, ne l’empêchait pas d’exister. Et les derniers textes où l’on voit toute la souffrance de ces hommes blessés dans leur chair et ayant perdu leurs repères de valeurs humaines sont bouleversants.

Nous les verrons monter à l’assaut et mourir, pour la simple raison qu’un capitaine n’a pas su revenir par orgueil sur un ordre qu’il savait absurde. Nous les verrons râler sur la nourriture jamais suffisante, le plus souvent froide. Nous les verrons aller se divertir dans des cafés y rencontrer des prostitués et ramener les maladies qui vont avec. On trouve aussi un moment étrange de paix en pleine guerre sur les bords de la Moselle. On suivra un poète qui n’a jamais su à quel point il a marqué un simple soldat qui n’a pas osé lui dire combien il aimait l’entendre réciter des poèmes. On sera avec ceux qui rêvent d’être blessés pour échapper à cette horreur. On suivra même un petit malin qui réussira à faire cette guerre sans trop souffrir. Mais le coeur du récit, le plus insoutenable, c’est cet acte de barbarie : tuer des prisonniers sans défense. Cela marquera à jamais les hommes de la compagnie K. Et rendra fous ceux qui ont participé à ce crime de guerre, mais à l’époque on ne parlait pas de crime de guerre. C’était la guerre !

Ce livre est une réflexion sur la guerre absolument implacable et chacun des 113 témoignages sont autant de réflexions sur le fait qu’on n’a pas le droit de jouer ainsi avec la vie des hommes.

 

Citations

Le bien et le mal en temps de guerre.

 – J’enlèverai le passage sur l’exécution des prisonniers.
– Pourquoi ? je lui ai demandé
– Parce que c’est cruel et injuste de tirer de sang-froid sur des hommes sans défense. C’est peut-être arrivé quelques fois, d’accord, mais ce n’est pas représentatif. Ça n’a pas pu se passer souvent.
– La description d’un bombardement aérien, ça serait mieux ? Ce serait plus humain ? Ce serait plus représentatif ?
– Oui, elle a dit, oui. Ça, c’est arrivé souvent on le sait. 
– Alors c’est plus cruel quand le capitaine Matlock ordonne l’exécution de prisonniers, parce qu’il est tout simplement bête et qu’il estime que les circonstances l’exigent, que quand un pilote bombarde une ville et tue des personnes qui ne se battent même pas contre lui ?
– Ce n’est pas ausi révoltant que de tirer sur des prisonniers, s’est entêtée ma femme.
 Et puis, elle a ajouté :
– Tu comprends le pilote ne peut pas voir l’endroit où tombe sa bombe, ni ce qu’elle fait, il n’est donc pas vraiment responsable. Mais les hommes de ton récit, eux, les prisonniers étaient sous leurs yeux … Ce n’est pas la même chose du tout. 
Je suis parti d’un rire amer 
– Tu as peut-être raison, j’ai dit. tu as peut-être formulé là quelque chose d’inévitable et de vrai.

Héros ou pas

 J’ai attrapé mon téléphone pour avertir les canonniers et les mécaniciens qu’il y avait un périscope dissimulé sous un cageot. Le navire a viré d’un coup et au même moment l’artillerie a ouvert le feu. Aussitôt on a vu un sous-marin remonter en surface, vaciller puis se retourner dans un jet de vapeur. 
Tout le monde m’a fait la fête et m’a demandé comment j’avais pu repérer que le cageot à tomates camouflait un périscope. Je n’en savais rien, en fait, j’avais simplement deviné juste, c’est tout. Alors comme j’étais un héros intelligent, on m’a donné la Navy cross. Si je m’étais trompé, s’il n’y avait rien eu sous le cageot, j’aurais été une ordure et le dernier des couillons, un déshonneur pour la troupe et, à tous les coups, ils m’auraient envoyé au trou. On me la fait pas à moi.

L’absurdité .

 On a été momentanément détaché de notre division et rattachés aux Français, et pendant six jours et six nuits on a combattu sans sommeil et sans trêve. Comme on se battait sous les ordres des Français, c’étaient eux aussi qui nous donnaient le ravitaillement et les vivres. Quant le premier repas est arrivé, il y avait du vin rouge et une petite ration d’eau de vie pour chacun d’entre nous. On avait faim et froid, on était extrêmement fatigués, l’eau-de-vie nous a réchauffé les sangs et nous a rendu les longues nuits supportables.
 Mais le deuxième jour, quand ils ont apporté le repas, le vin et l’eau-de-vie avaient disparu des rations des soldats américain. Les œuvres de bienfaisance françaises s’étaient élevées contre le fait qu’on nous distribue de l’alcool : on craignait que la nouvelle ne parvienne jusqu’aux États-Unis, où elle risquait de contrarier l’Union des femmes chrétiennes pour la tempérance, et le bureau des méthodistes pour la tempérance, la prohibition et les bonnes mœurs.

Un moment de paix pendant la guerre .

 La nuit où on a pris la relève, les Français nous ont expliqué les règles du jeu et nous ont demandé de les respecter : le matin les Allemands pouvaient descendre au bord de l’eau pour nager, faire la lessive ou ramasser des fruits dans les arbres de l’autre côté du fleuve. L’après-midi, ils devaient disparaître et on avait toute liberté de nager, de jouer ou de manger des prunes de notre côté à nous. Ça marchait impeccablement.
 Le matin les Allemands nous ont laissé un mot où il s’est excusé de devoir nous informer qu’on allait être bombardé dès ce soir là, à 10 heures, et que le tir de barrage allait durer vingt minutes. Et ça n’a pas raté, l’artillerie a ouvert le feu mais tout le monde s’était repliée d’un kilomètres vers l’arrière et était allé se coucher, et il n’y a pas eu de mal. On a passé douze jours magnifiques stationnés près de la Moselle et puis à notre grand regret, on a levé le camp. Mais on avait tous appris une chose : si les hommes de rang de chaque armée pouvaient simplement se retrouver au bord d’un fleuve pour discuter calmement, aucune guerre ne pourrait jamais durer plus d’une semaine.

La fin et l’oubli.

 J’étais là à réfléchir , à essayer de me rappeler le visage des hommes avec qui j’avais servi, mais je n’y arrivais pas. Je me suis rendu compte, alors, que je ne me serai pas rappelé la tête de Riggin lui-même si je n’avais pas su avant qui il était. J’ai commencé à me sentir triste, tout ça s’est passé il y avait tellement longtemps, il y avait tellement de choses que j’avais oubliées . Je regrettais d’être venu au camp. Pig Iron et moi, on restait plantés là, à se regarder. On avait rien à se dire finalement. On a refermé l’ancien bâtiment et puis on est sortis.

 

 


Édition Gallimard NRF . Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai parfois eu des réserves sur cet auteur mais ce livre est un des meilleurs romans que j’ai lu depuis longtemps.( trois coquillages pour expo 58 et quatre pour la pluie avant qu’elle ne tombe) J’ai parfois une pensée pour les traducteurs, ici pour la traductrice et je me suis dit quel plaisir elle a dû avoir à traduire un livre aussi intelligent, drôle parfois et si sensible. Et bravo pour le titre ! Il représente exactement ce que veut montrer Jonathan Coe : derrière ce nom Royaume-Uni se cache une désunion qui va aboutir au schisme du Brexit et la royauté est comme un vernis qu’on agite devant les yeux des « gogos » qui pleurent à l’unisson devant la mort de Diana en oubliant leurs divergences plus fondamentales.

Sous un sentiment national anglais unanime se cache donc des fissures importantes que l’auteur va, peu à peu, nous révéler à travers une famille dont nous allons connaître la vie de 1945 à aujourd’hui. C’est peu de dire que ce livre est une vision critique de l’Angleterre c’est le plus souvent une peinture au vitriol.
Le roman commence par un prologue en mars 2020, rappelons nous, c’est le début d’une épidémie qui va mettre l’Europe dans un état qu’elle n’avait jamais connu. Le confinement va s’installer et c’est d’ailleurs par les conséquences les plus tristes de ce confinement que se terminera le récit : la mort, seule isolée des siens, de Mary un personnage central du livre, la mère de trois fils adultes, et la grand-mère de cinq petits enfants, dont Suzan la contrebassiste avec qui nous étions dans le prologue.
Nous sommes à Birmingham, la ville où John Cadbury a créé une entreprise de chocolat célèbre en Angleterre et qui sera très importante dans le roman. En 1945 on célèbre la victoire sur le nazisme et si les Anglais peuvent être fiers de leur victoire, l’auteur souligne qu’ils sont plus nationalistes qu’anti nazi. Peu à peu les traits de caractère se dessinent. Mary très dynamique va épouser Geoffrey un homme qui restera toute sa vie enfermé dans ses certitudes et qui n’exprimera qu’une seule fois sa sensibilité et ce sera lors du décès de Lady Diana.

Le mélange entre la vie des différents membres de la famille et des évènements nationaux est une grande réussite. Le livre est divisé en sept chapitres qui sont autant de rendez-vous où le royaume donne l’impression d’être « uni » :

  • le prologue mars 2020
  • le jour de la victoire 8 mai 1945
  • finale de la coupe du monde Angleterre bat l’Allemagne 30 juillet 1966
  • l’investiture du prince de Galles 1 juillet 1969
  • le mariage de Charles avec Diana 29 juillet 1981
  • funérailles de Lady Diana 6 septembre 1997
  • 75° anniversaire de la Victoire 8 mai 2020

Pour nous retrouver dans la famille Lamb et Clark , l’auteur fournit au début du livre un arbre généalogique, j’ai souvent eu besoin de m’y référer. C’est peut être le léger reproche que je ferai à ce roman. brassant autant d’années et de personnages, on a parfois du mal à bien connaître chaque membre de la famille. Ils sont à l’image du pays plus divisés qu’il n’y parait et après le « brexit » certains ne se parleront plus.

Birmingham est donc la ville du chocolat à l’anglaise et malheureusement, la France et la Belgique ne veulent pas le laisser entrer en Europe car il n’utilise pas de beurre de cacao. Jonathan Coe se fait un malin plaisir de nous raconter en détail les discussions européennes et la mauvaise foi des Anglais, le côté sans fin de ces discussions (elles ont duré sept ans !) serait drôle si finalement elles n’étaient pas à pleurer. Le portrait de Boris Johnson comme journaliste à Bruxelles est criante de vérité et avoir élu cet individu à la tête du pays fait partie des failles de ce pays.

Ce roman est rempli d’informations et j’aimerais bien toutes les retenir : un vrai grand plaisir de lecture.

 

Citations

L’engagement dans la guerre 39/45.

Pour eux, c’était une simple histoire d’auto défense : les Allemands voulaient nous envahir, nous occuper, un peu qu’on allait les arrêter, merde. (désolé pour les gros mots. Remarque, eux ils auraient dit bien pire) . Eux contre nous, point barre, tu vois. Bon y a rien de mal à ça bien sûr. Ils se sont battus comme des héros sur ce principe on ne peut pas leur enlever ça. Mais ils voyaient ça simplement comme une guerre contre les Allemands : et pour être honnête si tu les poussaient à parler politique tu t’apercevais que certains avaient des opinions pas si éloignées que ça de celles des nazis. (…)

 C’est juste que je pense qu’il y a une certaine idée de la guerre les gens aiment bien cultiver. Comme quoi c’était une affaire politique. Comme quoi tout le monde était convaincu que le véritable ennemi c’était le fascisme. C’est une sorte de mythe. Un mythe que les gens de gauche sont de plus en plus prompt à embrasser. 

Snobisme.

Tu sais quoi, je crois qu’il trouve que ça fait trop populo. Le tennis, le golf, ça c’est pour les gens comme lui, pas le foot. Et il ne veut pas aller à Villa Park parce qu’il pense que le quartier est pourri et qu’il arrivera quelque chose à sa voiture si la gare là-bas. Il est terriblement snob, je crois qu’il tient ça de ses parents. 

Le nationalisme alimentaire.

 On rapporte que l’équipe portugaise, qui séjourne à Wilmslow, a apporté six cent bouteilles de vin et plusieurs tonneaux d’huile d’olive vierge, ayant supposé (à juste titre) qu’il leur serait impossible de se procurer des substituts convenables pour ces denrées en Angleterre.
 Leur équipe médicale a interdit aux Espagnols de boire l’eau du robinet anglaise affirmant qu’ils tomberaient sûrement malade sinon. 
Entre temps on a demandé au joueur vétéran Ron Flowers de lister les avantages dont jouissent les Anglais en jouant à domicile, et il répond sans aucune hésitation que le principal c’est de « pouvoir manger correctement ».

L’expression des sentiments chez un Anglais.

 Il est assis devant sa télé portative, plié en deux, des mains sur les yeux. À l’écran s’affiche des images des funérailles de la princesse Diana. Les épaules de Geoffrey se soulèvent, et il est secoué de longs sanglots convulsifs. Quand Mary lui attrape les mains et les écarte doucement de son visage, elle voit qu’il a les yeux rouges et gonflés, les joues luisantes de pleurs, la bouche tordue en un rictus de chagrin obscène. Geoffrey pleure comme un bébé. Les larmes jaillissent de son corps : des larmes qu’il n’a jamais versées pour son père, ni pour sa mère ; des larmes que rien d’autre, rien de tout ce qui a pu leur arriver, à lui, à Mary, ou à ses enfants n’ont jamais réussi à lui tirer en soixante-dix ans.

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Édition Buchet-Castel

La liste de livres de cet auteur sur Luocine

Au rebond, G229, Juke box, Un minuscule inventaire, Rester vivant , La Grande Escapade 

Allez, un petit coup de baisse de moral, un petit roman de Jean-Philippe Blondel. C’est incroyable comme cet auteur me fait du bien, il raconte si bien la ..dépression ! Oui, vous avez bien lu, cet auteur est mon dépressif préféré, (comme Bacri était mon acteur dépressif préféré). Son roman décrit très bien les gens que je connais, il n’est jamais méchant mais est un fin observateur des comportements de ceux qui nous entourent. Corentin est donc dépressif et aussi cinéaste pour les mariages. Quoi de mieux qu’une cérémonie de mariage pour saisir l’essence même des relations intra humaines. Il a un autre projet, en dehors des mariages demander aux gens qui sont proches de lui de dire face à la caméra ce qu’ils pensent de lui. Cela nous permet de mieux cerner Corentin. Sinon pour les mariages, on a le droit à tout, la mère envahissante qui régente tout le monde et surtout son fils , mais elle tombera sur une résistance du côté d’un curé qui veut faire de la messe de mariage un moment religieux et pas un spectacle, les allusions grivoises , le mariage homosexuel qui aurait pu mal tourner sans la présence d’esprits de Corentin, l’attaque raciste contre une femme qui avait épousé en première noce un Sénégalais.

Ils sont à deux Yvan le parrain et ami des parents de Corentin . Yvan se charge des photos et son filleul des films, mais leur petite affaire ne fonctionne que » la saison des mariages » donc de mai à septembre. Il faudrait donc que Corentin arrive à trouver autre chose à faire.

Un bon moment passé au milieu de mes contemporains.

 

Citations

J’aime la façon de raconter de cet auteur .

Yvan n’a de cesse de pester contre les années 1980, les tenue bleu électrique, les poses étudiées des jeunes gens post-modernes, et cette musique mon Dieu, cette musique qui vous donne envie de vous rendre chez le premier disquaires venu avec une batte de baseball pour tout détruire. « Quand on pense, poursuit souvent Yvan, qu’ aujourd’hui ils nous ressortent toutes ces niaiseries vintage et délicieusement sucrées, qu’ils rêvent tous d’avoir eu vingt ans à cette période-là, parce que c’était l’âge d’or, je vais te les renvoyer tous illico presto au temps de Reagan et Thatcher, de l’apparition du SIDA, de Tchernobyl est des premiers traders tu verras qu’ils feront moins les fiers. Les années 1980, c’était la même merde que maintenant point à la ligne.

Portrait du maire.

 Il récitait des poèmes des  » Fleurs du mal » qui faisaient partie de sa liste imposée, elle le trouvait terriblement romantique. Beaucoup moins, quand, le lendemain des épreuves écrites elle l’a vu embrasser à pleine bouche une fille de terminale. Le maire était séduisant et beau parleur. Il n’est plus que parleur. Et encore, avec difficulté. Il bafouille -le mariage n’est pas sa spécialité. Il y en a de moins en moins dans cette commune rurale. Quant à lui il a divorcé trois fois.

Paris.

 Paris a absorbé Corentin. Il ne s’y sent jamais seul -même s’il est conscient que l’agitation de la capitale est un alcool lourd qui se digère mal

 


Édition Robert Laffont

deux cœurs au club de lecture de la médiathèque de Dinard 

J’avais tellement aimé « l’été des quatre rois » que je voulais absolument lire ce roman avant la réunion de notre club de lecture. Malheureusement, il était toujours sorti et je n’ai donc pu le lire qu’après. Je dois dire que j’aurais tout fait pour qu’il décroche ses trois cœurs même si j’ai bien compris ce que le seul homme du groupe en a dit : ce livre lui avait semblé raconter un épisode historique trop compliqué avec trop de détails dans lesquels il se perdait.

Ce récit raconte, en effet, un moment troublé de notre histoire en 1718, le régent Philippe d’Orléans doit faire face à un complot ourdit par la princesse du Maine qui veut rétablir les droit de son époux à être régent. Tout vient du fait que le duc du Maine, son mari, est le fils de Louis XIV mais un fils illégitime. Le roi lui avait donné titres et honneurs et l’avait inscrit dans l’ordre de la succession au trône. Mais le roi mort, le poids du sang prévaut à la volonté de l’ancien roi.

On est donc avec les courtisans et leur rivalité : rien ne les arrêtent quand il s’agit de pouvoir et de charges honorifiques. Le portrait de la duchesse du Maine est très bien dressé, on comprend à travers cette peinture combien les nobles de l’époque vivaient dans un monde qui n’avait absolument rien à voir avec la réalité des autres habitants de la France. Elle n’a aucune hésitation à entraîner la France dans une guerre pour assouvir sa soif de pouvoir. Elle n’a aucune idée de la valeur financière, par exemple elle est prête à payer plusieurs millions (qu’elle n’a pas !) la transformation d’un hôtel particulier pour que, dans la cour, deux carrosses puissent se croiser. Enfin, elle se séparera sans aucun scrupule de son bâtard de mari lorsque celui-ci perdra tous ses droits à la succession. C’est elle qui complote mais c’est lui qui paye ! Étant une petite fille du grand Condé, elle, cette petite femme presqu’une naine par la taille est certaine que rien ne peut lui arriver

En lisant les passages qui lui sont consacrés, on n’a aucun mal à comprendre le poids des rancœurs contre la noblesse qui amènera les paysans à brûler les châteaux en 1789.

Le portrait du régent m’a fait penser à Philippe Noiret dans « Que la fête commence » de Tavernier, on retrouve ce jouisseur intelligent mais peu déterminé

http://https://www.youtube.com/watch?v=2CG7pz-gJpA

 

On retrouve l’abbé Dubois, Saint Simon, les parlementaires qui veulent retrouver leur pouvoir muselé par Louis XIV, le banquier Law et bien d’autres personnages historiques tous fort intéressants.
Ce qui fait surtout le charme de ce roman c’est le style de l’écrivain, on a l’impression qu’il écrit comme Saint Simon. Cela donne un plaisir de lecture incroyable même si parfois je dois rechercher le mot dans un dictionnaire. Je ne savais pas qu’ « une fille de parties » désignait une prostituée mais j’aurais pu men douter car on « baise » beaucoup dans ce roman surtout quand on est prêtre .

Une époque bien décrite aussi dans le film de Tavernier et qui suivait la trop longue période d’austérité menée par Madame de Maintenon reléguée dans son couvent de Saint Cyr .

J’allais oublier de parler du premier chapitre, qui est d’une présence visuelle étonnante, on dirait que l’écrivain se transforme en cinéaste. Une pauvre femme retrousse ses jupes et part dans la boue du bord de la Seine à la recherche du corps de son fils disparu dans le fleuve. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle lance sur l’eau un tout petit esquif avec une image pieuse accompagnée d’une bougie. Un peu comme le battement de l’aile d’un papillon, les conséquences vont être cataclysmiques, la frêle embarcation heurte un bateau rempli de paille, le bateau se détache et heurte à son tour les piliers du pont neuf couvert d’habitations, l’incendie durera trois jours : L’air était tout en feu.

Un énorme plaisir de lecture que j’aimerais partager avec vous.

Citations

Exemple du style et de l’ambiance de l’époque .

 Le duc du Maine, le faux enfant et le vrai charmant de la Maintenon, ce petit bâtard déjà intégré dans l’ordre de succession par l’édit de juillet 1714, aussitôt enregistré par le parlement de Paris avec une veulerie aussi caressante que le col fourré de ces auguste magistrats, se voyait désigné comme régent de France en lieu et place du duc d’ Orléans, dans la violation la plus extravagante des droits du sang. Pour faire bonne mesure, le maréchal-duc de Villeroy, vieille baderne complaisante, obtenait la charge de gouverneur du futur Louis XV est le père Le Tellier celle de confesseur, qu’il exerçait du reste encore auprès de son aïeul.

La condition des femmes.

Rose Delaunay tremblait telle une feuille morte. Elle maudissaient sa condition de jeune fille ayant reçu l’éducation d’une demoiselle de qualité mais sans autres ressources que son esprit – situation peut enviable qui la maintenait dans la totale sujétion d’une princesse plus capricieuse qu’une fée et plus folle qu’une pensionnaires des Petites Maisons.

L’état et le besoin d’argent .

On imagina alors plusieurs de ces expédients dont l’État, en France, avait été souvent coutumier. Le plus courant revenait à faire condamner ses propres créanciers en les traînant devant les chambres ardente dont ils sortaient tondus comme des moutons pour peu qu’ils aient eu la maladresse de ne pas en appeler aux bons protecteurs. La méthode était aussi expéditive que rentables, mais elle avait pour fâché contre. de tuer aussitôt le crédit de l’état lui-même car, le plus souvent liées au parlement ou a la cour, les puissances financières, soigneusement dissimulées derrière ces hommes de paille et d’argent, devenaient méfiantes et se gardaient bien, ensuite de répéter l’opération.

J’adore ce genre de propos .

 L’esprit de l’abbé s’égarait toujours un peu à la messe, aussi n’y assistait-il que très rarement.

Humour.

 Si Philippe d’Orléans resta du marbre dont on fait les bustes, il n’en fut pas tout à fait de même des membres du conseil auxquels il avait expressément demandé de ne pas quitter la pièce avant l’arrivée des parlementaires. Le parlement étant venu se jeter lui-même dans la gueule du loup, il n’était plus nécessaire de tenir tous ces messieurs enfermés dans une pièce. C’est donc bruyamment qu’ils manifestaient leur joie de pouvoir enfin aller pisser, car la vessie de tout ces seigneurs entendait rien à la politique

 


Édition Pacifiques Au Vent des Îles. Traduit de l’anglais (Australie) par David Fauquemberg.

Ces gens étaient les survivants vaincus et dépenaillés de longs conflits. Ils avaient été épargnés par les fusils, les trous d’eau empoisonnés, la farine coupée à l’arsenic, la variole et les maladies vénériennes.

 

Il faut lire ce livre, l’offrir, le prêter, lui faire immédiatement une place dans vos bibliothèques ! Je rajoute que cela m’a fait un grand plaisir que ce roman soit traduit par David Fauquemberg dont j’avais tant aimé Bluff. 

Stan Grant est un journaliste très connu en Australie, est-il australien ? C’est toute la question qui est portée par cet essai autobiographique. Car il est avant tout Aborigène. Cela veut dire qu’il porte en lui toutes les souffrances de ces peuples qui étaient là bien avant que l’on plante un drapeau anglais sur ce pays grand comme un continent. La légende australienne a prétendu, pendant deux ou trois siècles, que les colons étaient arrivés dans des terres vierges ou si peu habitées qu’elles n’appartenaient à personne. Être « personne » c’est ce que deviendront les Aborigènes car ils n’ont pas pu se défendre contre des colonisateurs mieux armés qu’eux et surtout tellement convaincus qu’ils avaient en face d’eux « Une espèce d’hommes » mais pas des êtres humains comme eux. Alors, ils les ont massacrés, empoisonnés, violés et enfin, ils leurs ont arraché leurs enfants pour en faire des blancs à peau noire. Si Stan Grant réussi à se sortir de la misère, de la drogue, de l’alcool qui détruisent les 3/4 de la population aborigène, c’est qu’il a été élevé par des parents aimants et courageux. Mais victimes d’un racisme qui a marqué cet homme brillant au fer rouge.

Ce texte est un chef d’œuvre d’intelligence et de sensibilité , je me le suis tellement approprié que j’ai oublié de dire que j’ai trouvé ce titre chez Ingannmic merci beaucoup à elle.

Citations

Début du livre.

 Ma colère est éclate brusquement, à la moindre provocation ; quelques fois, elle me coupe le souffle. Je sais d’où elle vient. Je l’ai vu chez mon père et lui-même l’avait héritée de son père. Elle naît du poids de l’histoire.
 J’ai peur aussi. Et cette peur provient de la même source. J’ai connu cette peur toute ma vie. Quand j’étais petit elle me rendait malade, physiquement malade au creux de l’estomac. C’était la peur de ce qui pouvait nous atteindre -le sentiment d’impuissance, l’impression d’être à la merci de l’intrusion des policiers ou des agents des services sociaux faisant respecter les lois, ces lois qui entérinaient notre exclusion et nous condamnaient à la misère.(…)
 Nous craignons l’État et nous avions toutes les raisons de les craindre. L’État a été conçu pour nous terroriser .

Noirs et Blancs.

 L’Australie était dure avec nous. Nous étions issus d’une longue lignée d’hommes et de femmes qui avaient été maltraités. Les miens étaient les oubliés de ce pays et de la grande vague de progrès qui s’était emparé de lui. Nous étions noirs et l’Australie était blanche.

Difficultés d’être aborigène.

 Je me débattais depuis si longtemps avec l’histoire de mon pays, et le fait de vivre à l’étranger m’avait permis de desserrer un peu se joug qui m’étouffait. Mais quel que soit le pays où j’allais, j’étais constamment en train de chercher à valider l’identité de la personne que j’étais. L’identité implique une forme de réciprocité -nous avons besoin que les gens nous voient comme nous nous voyons. (…)
Je m’accrochais à qui j’étais : je restais un Aborigène mais au fil du temps, je me suis éloigné un peu plus de mon pays et des miens. Je n’ai jamais oublié qui j’étais. Mais, là-bas, dans le vaste monde, cela ne comptait plus autant.

Le racisme.

 Aucun élément génétique de nous sépare ; ce qui nous oppose c’est notre histoire – ce que nous nous sommes fait subir les uns aux autres au nom de la race. C’est ce racisme là qui subsiste encore, si puissamment dans nos imaginaires. Le racisme compare les civilisations et établit un ordre entre elles. Le racisme a servi de justification pour nous prendre tout ce que nous possédions. 

Fondement de L’Australie .

 Le racisme n’est pas en train de tuer le rêve australien. Dès le début, le rêve australien est fondé sur le racisme. Depuis que le premier drapeau britannique a été planté sur le sol de ce continent, les règles ont toujours été différentes pour nous. Un bagnard pouvait débarquer ici enchaîné, puis faire fortune et mourir en homme libre. La peine à laquelle nous condamnaient les lois britanniques était autrement plus longue.

 

 

 

 Je vous laisse avec Archie Roach le chanteur qui a su émouvoir l’Australie entière.