Édition Zulma poche . Traduit de l’islandais par Régis Boyer.
À Brekkukot, les mots étaient trop précieux pour qu’on en fasse usage parce qu’ils signifiaient quelque chose. Nos propos étaient comme de l’argent immaculé avant l’inflation. L’expérience était trop profonde pour pouvoir être exprimée.
C’est chez Dominique que j’avais pioché cette idée de lecture . C’est un livre que je qualifierai livre « d’autrefois « . Je veux dire par là qu’autrefois on avait le temps de se plonger dans des lectures longues et lentes. Des livres d’ambiance où il ne se passe pas grand chose qui mélangent réalité et contes. J’ai adoré ce genre de livre … autrefois, justement ! Mais j’ai depuis longtemps succombé à l’air du temps et j’ai besoin de plus de rapidité dans le récit. En plus, ce n’est pas un livre qui se lit facilement car l’écrivain ne donne pas les clés de compréhension des rapports entre les différents personnages. Il suggère plus qu’il n’explique et le lecteur s’y perd facilement. Tout est raconté du point de vue d’Alfgrimur un enfant adopté par des gens remarquables, qui ne sont pas mari et femme mais qui ont ouvert leur demeure (Brekkukot) à tous ceux qui ont besoin d’être recueillis. Ces deux personnes seront pour l’enfant des grands-parents aimants et compréhensifs. Alfgrimur se voit bien devenir pêcheur de lompe comme son grand-père mais ses talents scolaires et sa rencontre avec la célébrité locale, un chanteur d’opéra vont en décider autrement.
Si j’ai eu du mal à situer et à comprendre tous les personnages, j’ai savouré certaines scènes racontées avec un humour certain. Savoir par exemple si se faire couper la barbe par un barbier relève de l’hygiène ou de l’exploitation de classe. Les hommes du village en discuteront toute une partie de la nuit sans arriver à se mette d’accord, mais cela ne les empêchera d’y mettre toute la force de leur passion ni de citer Marx et Engel .
Une plongée dans le passé dans un pays très étrange et la découverte d’un prix Nobel de littérature. Des moments de grande poésie et en même temps une difficulté à garder mon intérêt éveillé durant les 352 pages du livre.
Citations
La pendule.
Il va sans dire que, s’il se passait quelque chose dans la pièce, on entendait jamais la pendule, comme si elle n’existait pas. Mais dès que le calme était revenu, que les invités étaient partis, qu’on avait fini de débarrasser la table et que la porte était fermée, elle recommençait sans se laisser troubler. Et si on écoutait attentivement, on distinguait parfois des accent chantants dans le mécanisme, ou quelque chose de très semblable à un écho.Comment se fait-il que je me sois mis en tête que dans cette horloge vivait une étrange créature a vu qui était l’Éternité ? Pour une raison ou pour une autre, il m’a paru tout simplement, un jour, que le mot qu’elle prononçait en tictaquanr, un mot de quatre syllabes accentués sur les syllabes paires, était é-Ter-ni- Té, é-Ter-ni-TÉ.
Façon de s’adresser au lecteur.
Si je raconte ce qui lui arriva, c’est parce que cela est resté ancré dans mon esprit et que ma propre histoire ne serait pas complète si je ne le mentionnais pas ici. Mais avant de raconter son histoire, je voudrais surtout prévenir le lecteur que ce qu’il va entendre là n’a rien de spectaculaire ni d’épique
Personnage secondaire
» Avant d’en finir avec la description des mérites de Runólfur Jónsson, il ne faut pas que j’oublie le haut fait qui, selon toute vraisemblance, immortalisera son nom dans l’Histoire : c’est que ce digne compagnon de nuit et frère adoptif fut l’un des premiers hommes à être écrasé par une automobile. Il avait alors presque de quatre-vingt ans. Cela se produisit parce que, lorsqu’il buvait, il avait coutume de marcher au milieu du chemin tout en agitant une bouteille, en chantant, en tenant des discours et en riant. Il était toujours escorté d’une collection hétéroclite de compagnons de beuverie, de flâneurs, de chiens errants, de chevaux et de cyclistes : ceux que je viens de mentionner en dernier lieu constituaient une nouveauté et étaient danois. Ils ne prêtait pas plus attention aux automobiles qu’à toute autre boîte de conserve roulant le long du chemin.Et donc, si d’aventure le mauvais sort voulair que Runólfur Jónsson, ce descendant de juges suprêmes, disparaissent un beau jour de ce livre et que j’oublie de noter le moment de cette disparition, ce serait parce que ce frère adoptif a été écrasé par la première automobile qui arriva en Islande. »
Quel humour ! lecture du sermon.
Mais il ne déviait jamais de la manière particulière de lire que les gens, en Islande, adoptaient pour la parole de Dieu, ces accents monotones et solennels dits d’une voix suraiguë qui se terminer à la quarte à la fin d’une phrase. Cette façon de lire ne ressemblait à rien de connu en ce monde, quoiqu’elle représentât certaines similitudes avec les marmottements de certains dérangés mentaux.
La publicité en vers.
A cette époque la, la coutume était de faire des annonces en vers si l’on voulait vendre de la morue séchée ou si l’on avait besoin d’une femme pour les travaux du printemps. Ces poèmes, nous les apprenions par cœur. Aujourd’hui encore, il n’y a guère de poésie qui me restent gravée dans la mémoire comme les annonces vantant la qualité du haddock gelé et autres poissons séché, louant cette sorte de pâtisserie étrangère appelée « Fluff » et remède universel chinois venant du Danemark et découvert par un homme appelé Vladimir Pedersen.
Ambiance garantie.
À Brekkukot, les mots étaient trop précieux pour qu’on en fasse usage parce qu’ils signifiaient quelque chose. Nos propos étaient comme de l’argent immaculé avant l’inflation. L’expérience était trop profonde pour pouvoir être exprimée.
Flirt à l’islandaise !
D’habitude lorsque je rencontrais des jeunes filles, je prenais soin de regarder dans une autre direction. Je ne me sentais pas rassuré avec ces créatures et ne les comptais pas exactement parmi les êtres humain, pas plus que je ne le faisais pour les « autorités ».
Je me demande ce qu’est ce « tourniquet » ?
Autrefois, j’avais craint de perdre la sécurité qui régnait jusqu’au tourniquet de Brekkukot ; maintenant, j’appréhendais les nouveaux chemins qui s’ouvriraient quand je cesserais de fouler les sentiers battus menant à l’école, le matin, décrivant un demi-cercle autour de l’Étang et revenant à la maison dans l’après-midi
Remarque tellement vraie !
Je ne sais pour quelle raison, les pleurs de femmes rondouillardes n’ont jamais été pris au sérieux en ce monde, et un martyr grassouillet a toujours été perçu comme étant contraire aux lois de la raison -et d’ailleurs il est impensable, en peinture. Dans tout concept culturel la seule eau salée valable est celle qu’une personne maigre a la mine défaite verse à flots dans le monde chrétien.