Édition Autrement.  Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

C’est un premier roman d’Alain Mascaro qui semble lui avoir été inspiré par un grand voyage qu’il a entrepris en décidant de quitter son emploi de professeur de lettres. Le titre en dit beaucoup sur le sujet du roman : le peu de liberté qui est laissé aux populations de nomades qui décident de ne respecter aucune frontière et de vivre de spectacles qu’ils donnent de ville en ville. Le coeur même du roman raconte l’extermination du peuple tzigane par les nazis. Cela on le sait bien sûr, mais on lit beaucoup moins souvent les récits de la « Porajmos » que ceux sur la Shoa. Le seul survivant d’un petit clan (kumpania) des Thorvath , Anton le dresseur de chevaux, va devoir sa survie dans le ghetto de Łódź en se faisant passer pour un juif.(Ils ne doivent pas être nombreux à avoir fait cela !)

Le livre est rempli de toute la poésie des êtres libres qui aimaient sentir le vent de la steppe dans leurs cheveux quand ils chevauchent des montures aussi libres qu’eux. Le début commence avant la montée du Nazisme et la petite troupe vit au rythme des spectacles et des contes racontés par le violoniste Jag que nous retrouverons à la fin du roman. Malheureusement la petite troupe est en Europe et sera entièrement massacrée par les nazis. Je ne le savais pas mais à Łódź à coté du célèbre ghetto tenu par des juifs et qui ont été les derniers à être déportés, il y a eu un camp de concentration pour les Tziganes, il n’y a eu aucun survivants. J’avais lu le récit de ce ghetto particulier « Un monstre et le chaos« . Nous rencontrons là le portrait d’un médecin juif qui va enrichir la personnalité d’Anton, très vite, face au génocide sa famille le charge de survivre pour honorer la mémoire des morts. Dans le dernier camp, Anton rencontrera un juif grec qui enrichira ses connaissances philosophiques. Cet être solaire ne pourra pas survivre aux tortures des camps : que d’êtres d’exception dont l’humanité aurait eu tant besoin et qui ont disparu à jamais dans les fosses communes des camps de concentration. Anton va survivre mais sera brisé par ces drames atroces, il retient tous les noms de ces disparus qui lui appartiennent et qu’il ne veut pas oublier. Que de tristesse !

Après la guerre, il sera sauvé par l’américain qui sera le premier à ouvrir le camp de Mauthausen, son passage aux USA lui permettra de retrouver la santé mais pas son âme. Il reconstituera une « kumpania » avec des personnalités au passé marqué par la guerre et donnera des spectacles où les chevaux auront une place particulière. Anton retrouvera Jag qui vit en Indes. Là aussi la guerre entre les Hindous et les Musulmans fera douter Anton de l’humanité. La fin du roman se passe là où tout a commencé dans les plaines de Mongolie.

Tout ce roman est un hymne à la liberté qui s’est hélas, fracassée sur le nazisme ou le communisme et aujourd’hui sur les frontières qui se ferment et la bétonisation de la nature.

Citations

 

Joli conte tzigane.

« Papu Jag, demandait par exemple Nanosh, y a-t-il des hommes sur la Lune ?
– Il n’y en a plus qu’un seul, hélas, répondait Jag. Mais autrefois, il y en avait beaucoup ! Ils menaient une vie facile, leur seul travail était d’entretenir le feu pour que la Lune brille. À cette époque-là, elle était toujours pleine. Mais un mauvais homme, un « gadjo »qui n’aimait pas ses semblables les bannit de la lune. Depuis, le mauvais homme doit entretenir le feu tout seul, et il n’y parvient pas, c’est pourquoi la lune s’éteint régulièrement. Quand elle commence à se rallumer, c’est que le « gadjo » est en train de souffler sur les cendres. Quant aux hommes qu’il a chassés, ils se sont dispersés très loin dans le ciel et le « Devel » leur a donné la mission d’allumer chaque jour les étoiles. Si vous regardez bien, vous les verrez qui portent des fagots… »

Jolie fable.

 « Dis-moi, mon garçon, demandait Jag qui aimait les fables, qu’est-ce qui est mieux pour un mouton, le berger ou le loup ? 
– Le berger. 
 – Et qui tond le mouton ?
 – Le berger. 
– Et qui le tue pour le manger ? 
– Le loup !
– Non, Anton. c’est encore le berger. Il est bien rare qu’un loup parvienne à tuer un mouton, parce que le berger veille et il a de gros chiens. Mais qui donc protège le mouton quand le berger vient l’immoler ? 
– Personne. 
– Et pourtant de qui a peur le mouton : du berger ou du loup ? 
– du loup ! 
– Oui mon garçon, voilà bien tu le drame des hommes : ils sont exactement comme les moutons. On leur fait croire à l’existence de loups et ceux qui sont censés les protéger sont en fait ce qui les tondent et les tuent.

Rencontre avec les nazis.

 Ils semblaient si certains de leur force et de leur bon droit qu’il aurait été vain de protester, même lorsque l’un d’entre-eux avait pissé sur le marchepied d’une roulotte. Étrange comme la certitude hautaine de leur propre humanité peut amener certains hommes à se conduire comme des bêtes.

Le ghetto de Łódź.

Chaim Rumkowski n ‘est qu’un pantin qui se prend pour un ventriloque ! Il croit que nous sommes ses marionnettes. Il se joue de nous. Nous sommes ses choses. Mais qu’est-il lui-même ? Ne voit-il pas les fils qui partent de ses membres ? Ne sait-il pas qu’il est un jouet entre les mains des bourreaux ? Il est aveuglé par le pouvoir, ivre parce que les marks qui circulent au ghetto sont signés de son nom. Monnaie de singe en vérité ! Ce n’est qu’un tragique simulacre, un théâtre sordide et ridicule ! Un jour, tout ça s’effondrera, alors peut-être se verra-t-il tel qu’il est ! Le roi est toujours nu, mon garçon, toujours, ne l’oublie jamais !

Les survivants.

 Ci et là encore, il avait croisé quelques survivants, de Łódź ou de « Lager », la plupart marqués dans leur âme et leur chair, tourmentés par le simple fait d’avoir survécu là où tant d’autres étaient morts. Il les reconnaissait presque du premier coup d’œil. Il lui arrivait de se retrouver en présence d’un parfait inconnu et de se dire que si l’autre relevait la manche de sa chemise, de son bleu de travail, de son costume, on verrait apparaître un numéro de matricule tatoué comme celui que lui-même avait sur le bras droit. 
Seuls les bourreaux dormaient du sommeil du juste, c’était une constante, les victimes, elles continuaient à souffrir leur vie durant, jamais leur plaies ne cicatrisaient entièrement.

18 Thoughts on “Avant Que Le Monde Ne Se Ferme – Alain MASCARO

  1. keisha on 31 mars 2022 at 08:13 said:

    Aïe, oui, il faut connaître ces faits parfois moins connus…

  2. Merci beaucoup pour cette lecture!

  3. C’est vrai que l’on parle beaucoup moins de ce génocide là, peut-être parce que les survivants sont nettement moins nombreux où qu’ils écrivent moins .. Je n’ai pas eu l’occasion de lire cet auteur.

    • Il a enchanté les lectrices et LE lecteur de notre club de lecture. Tout vient aussi de son style qui emporte dans les grands espaces qui n’existent plus gère.

  4. je note immédiatement
    il y a quelques années au Musée d’histoire de Lyon il y avait une expo magnifique sur ces peuples nomades , je m’en souviens encore
    on voyait l’ostracisme actuel face aux tziganes mais aussi le génocide durant la seconde guerre
    merci à toi pour ce bille et ce livre que je ne connaissais pas du tout

  5. Lu et chroniqué fin janvier, je ne sais toujours pas quoi penser de ce livre qui m’a parfois éprouvé, parfois énervé et beaucoup ému ! En tout cas il ne m’a pas laissé indifférente.
    Voilà ce que j’en disais :

    « Et bien avec tout ça, je ne sais pas quoi penser de ma lecture ¯\_(ツ)_/¯. Pas évident du coup d’en faire la critique …

    J’ai trouvé ce roman hyper sombre et en même temps lumineux. J’ai voulu sauter des passages trop durs, mais aussi des passages trop faciles (les retrouvailles en Inde, Gandhi, les chevaux qui lui obéissent par un murmure). J’ai aimé la force de ce jeune garçon mais parfois j’ai été énervée par son manque de prise de décision (si on regarde bien, il ne fait que suivre).

    Voilà tout ce que je peux vous dire de ma lecture ! « 

    • je n’ai pas vu ton billet , je me suis laissée prendre par la magie de son récit et puis cette extermination des tziganes, je trouve qu’il la raconte très bien.

  6. Annick Laherrère on 1 avril 2022 at 18:19 said:

    Un livre à lire et à relire
    Longtemps qu’un livre ne m’avait plus transportée, entièrement et pour… longtemps. Une merveille, vraiment. Je me suis fondue dans ses pages avec un plaisir infini.

    • Moi aussi j’ai beaucoup aimé ce roman même si parfois la tristesse l’a emportée sur le plaisir, le destin des Tziganes dans les camps nazis est terrible.

  7. Certainement un très beau roman, mais sans doute trop dur dans le sujet pour moi ces temps ci !

  8. Les frontières … Une thématique qui me touche, et en plus, j’aime beaucoup la morale du conte tzigane, elle est cruelle, mais sonne juste. Si tout le roman est dans cette tonalité, il devrait me plaire !

  9. Pingback: Avant que le monde ne se ferme d’Alain Mascaro – PatiVore

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