Édition Robert Laffont

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’avais beaucoup aimé « un été au Kansaï » qui m’avait permis de connaître le quotidien des Japonais pendant la deuxième guerre mondiale. Dans ce roman l’auteur raconte les huit jours de « la débâcle » française en juillet 1940 . Il choisit pour cela des personnages qui lui semble typiques de la France de l’époque , un soldat qui va se battre courageusement, et dont la fiancée une superbe mannequin fuit Paris. Sur les routes de l’exode, nous suivrons une famille très riche qui sera plus émue par la mort du petit chien que de leur petite bonne, un couple qui part aussi avec beaucoup d’argent.
Nous verrons les trains bombardés, et qui avancent au grè des déplacement des troupes, nous verrons aussi les avions allemands mitrailler sans relâche la population sur les routes.

Nous entendrons les propos qui dessinent une France tellement divisée , ceux qui pensent que tout est de la faute du « youtre » Blum , ceux qui attendent les troupes russes avec tant d’espoir. Nous verrons l’armée totalement désorganisée et les actes de bravoures absolument inutiles. L’horreur absolue arrive avec le traitement des soldats d’origine africaine, les allemands ont commis des massacres dont on a peu entendu parler après la guerre.

Ce roman est pénible à lire car il y a peu de gestes de simple humanité, il y en a parfois. Il montre trop bien les mesquineries dans une France où aucune valeur ne tient debout. La partie historique est sérieuse mais je n’ai pas compris que pour la partie romanesque l’auteur aille aussi loin dans l’horreur, le père incestueux qui non seulement fait de sa fille son jouet sexuel mais qui de plus a fait assassiner les petites bonnes quand elles étaient enceintes de ses oeuvres, est pour le moins surprenant. Je crois que l’horreur de la guerre me suffisait largement. Les cadavres qui jonchent les routes, la peur des enfants, la soif sous ce mois de juillet trop chaud, l’impression qu’on ne peut fuir nulle part tout cela est bien rendu. Mais les côtés romanesques m’ont semblé plaqués sur le fil de l’histoire, comme la jeune fille de bonne famille de quinze ans qui veut absolument « baiser » avec le premier venu pour connaître le plaisir sexuel . C’est peu de dire que les personnages sont caricaturaux, il le sont à l’excès et de plus la documentation historique semble encombrer l’auteur qui inflige aux lecteurs les détails techniques qui alourdissent bien inutilement le roman.

J’étais très triste en lisant ce livre car j’ai pensé qu’aujourd’hui encore la France était divisée et je me demande si nous serions capables de nous unir pour sauver la République et ses valeurs.

Bref une déception, ou un mauvais jeu de mot une débâcle ! et je ne serai certainement pas aller jusqu’au bout de ce roman sans mon club de lecture.

 

Citations

Humour !

 Un des surveillants Jean Lasne, qui peignait et écrivait des vers, a été tué le seize mai dans les Ardennes au début de la catastrophe. Elle ne le connaissait pas, mais apprenant son sort Jacqueline a fondu en larmes. Très fiere de ses beaux yeux verts, elle pense de toute facon que pleurer la rend plus intéressante. 

C’est un récit que j’ai déjà entendu par mes parents : l’arrivée des Allemands en France .

Comme à la parade défilent des chars légers de combat, et de curieux véhicules, semi-chenillés, sortes d’autobus découverts dans lesquels sont assis cinq par cinq, sur quatre rangs, des fantassins boches casqués se tenant bien droit leur armement entre les jambes ; en tête, des officiers dans des petites voitures plates décapotées, et, en serre-file, les motocyclistes avec des side-cars. 

La guerre.

 Il est frappé un court instant par l’incongruité de la chose : ces types qu’il ne connaît pas, avec qui il aurait pu échanger des propos aimables lors de sa traversée touristique de l’Allemagne, avancent gavés de slogans nazis pour le tuer ou le capturer, lui, Lucien Schraut. Et lui doit les tuer pour se défendre. Parce que c’est la guerre. Parce qu’on ne porte pas le même uniforme. 

L’auteur a fait des recherches donc je pense que c’est vrai !

 Et puis les industriels déteste toujours augmenter le salaire des ouvriers, ça diminue leurs profits et les dividendes de leurs actionnaires. Voilà pourquoi on a regardé de plus en plus du côté d’Hitler qui face à Staline, représente le dernier espoir pour l’Europe Unie ! Notamment dans la manière de traiter les rouges et les syndicalistes. Dès 1933 Schneider-Creusot fournissait au Reich des chars français du dernier modèle, les expédiant en catimini via la Hollande. Et, depuis le début de la guerre, la France a livré des quantités considérables de minerai de fer à l’Allemagne et reçu du charbon en retour. Cette fois le transit s’effectuait par la Belgique … Ce que je te raconte là espt des plus secrets, bien entendu.

Aux hasards des rencontres de l’exode.

 L’officier est inscrit au PPF : durant tout le trajet, il ne cesse de se vanter de ses relations politiques et journalistiques, de critiquer le gouvernement, les juifs, les francs-maçons, les instituteurs, de faire l’éloge de Weygand et de Pétain. 
 La femme hait Daladier, déplore la politique d’apaisement et la reculade de Munich. C’était mal, et en plus idiot d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie, qui en 1938 possédait une armée solide et pouvait nous aider à combattre Hitler.

 

Édition Autrement.  Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

C’est un premier roman d’Alain Mascaro qui semble lui avoir été inspiré par un grand voyage qu’il a entrepris en décidant de quitter son emploi de professeur de lettres. Le titre en dit beaucoup sur le sujet du roman : le peu de liberté qui est laissé aux populations de nomades qui décident de ne respecter aucune frontière et de vivre de spectacles qu’ils donnent de ville en ville. Le coeur même du roman raconte l’extermination du peuple tzigane par les nazis. Cela on le sait bien sûr, mais on lit beaucoup moins souvent les récits de la « Porajmos » que ceux sur la Shoa. Le seul survivant d’un petit clan (kumpania) des Thorvath , Anton le dresseur de chevaux, va devoir sa survie dans le ghetto de Łódź en se faisant passer pour un juif.(Ils ne doivent pas être nombreux à avoir fait cela !)

Le livre est rempli de toute la poésie des êtres libres qui aimaient sentir le vent de la steppe dans leurs cheveux quand ils chevauchent des montures aussi libres qu’eux. Le début commence avant la montée du Nazisme et la petite troupe vit au rythme des spectacles et des contes racontés par le violoniste Jag que nous retrouverons à la fin du roman. Malheureusement la petite troupe est en Europe et sera entièrement massacrée par les nazis. Je ne le savais pas mais à Łódź à coté du célèbre ghetto tenu par des juifs et qui ont été les derniers à être déportés, il y a eu un camp de concentration pour les Tziganes, il n’y a eu aucun survivants. J’avais lu le récit de ce ghetto particulier « Un monstre et le chaos« . Nous rencontrons là le portrait d’un médecin juif qui va enrichir la personnalité d’Anton, très vite, face au génocide sa famille le charge de survivre pour honorer la mémoire des morts. Dans le dernier camp, Anton rencontrera un juif grec qui enrichira ses connaissances philosophiques. Cet être solaire ne pourra pas survivre aux tortures des camps : que d’êtres d’exception dont l’humanité aurait eu tant besoin et qui ont disparu à jamais dans les fosses communes des camps de concentration. Anton va survivre mais sera brisé par ces drames atroces, il retient tous les noms de ces disparus qui lui appartiennent et qu’il ne veut pas oublier. Que de tristesse !

Après la guerre, il sera sauvé par l’américain qui sera le premier à ouvrir le camp de Mauthausen, son passage aux USA lui permettra de retrouver la santé mais pas son âme. Il reconstituera une « kumpania » avec des personnalités au passé marqué par la guerre et donnera des spectacles où les chevaux auront une place particulière. Anton retrouvera Jag qui vit en Indes. Là aussi la guerre entre les Hindous et les Musulmans fera douter Anton de l’humanité. La fin du roman se passe là où tout a commencé dans les plaines de Mongolie.

Tout ce roman est un hymne à la liberté qui s’est hélas, fracassée sur le nazisme ou le communisme et aujourd’hui sur les frontières qui se ferment et la bétonisation de la nature.

Citations

 

Joli conte tzigane.

« Papu Jag, demandait par exemple Nanosh, y a-t-il des hommes sur la Lune ?
– Il n’y en a plus qu’un seul, hélas, répondait Jag. Mais autrefois, il y en avait beaucoup ! Ils menaient une vie facile, leur seul travail était d’entretenir le feu pour que la Lune brille. À cette époque-là, elle était toujours pleine. Mais un mauvais homme, un « gadjo »qui n’aimait pas ses semblables les bannit de la lune. Depuis, le mauvais homme doit entretenir le feu tout seul, et il n’y parvient pas, c’est pourquoi la lune s’éteint régulièrement. Quand elle commence à se rallumer, c’est que le « gadjo » est en train de souffler sur les cendres. Quant aux hommes qu’il a chassés, ils se sont dispersés très loin dans le ciel et le « Devel » leur a donné la mission d’allumer chaque jour les étoiles. Si vous regardez bien, vous les verrez qui portent des fagots… »

Jolie fable.

 « Dis-moi, mon garçon, demandait Jag qui aimait les fables, qu’est-ce qui est mieux pour un mouton, le berger ou le loup ? 
– Le berger. 
 – Et qui tond le mouton ?
 – Le berger. 
– Et qui le tue pour le manger ? 
– Le loup !
– Non, Anton. c’est encore le berger. Il est bien rare qu’un loup parvienne à tuer un mouton, parce que le berger veille et il a de gros chiens. Mais qui donc protège le mouton quand le berger vient l’immoler ? 
– Personne. 
– Et pourtant de qui a peur le mouton : du berger ou du loup ? 
– du loup ! 
– Oui mon garçon, voilà bien tu le drame des hommes : ils sont exactement comme les moutons. On leur fait croire à l’existence de loups et ceux qui sont censés les protéger sont en fait ce qui les tondent et les tuent.

Rencontre avec les nazis.

 Ils semblaient si certains de leur force et de leur bon droit qu’il aurait été vain de protester, même lorsque l’un d’entre-eux avait pissé sur le marchepied d’une roulotte. Étrange comme la certitude hautaine de leur propre humanité peut amener certains hommes à se conduire comme des bêtes.

Le ghetto de Łódź.

Chaim Rumkowski n ‘est qu’un pantin qui se prend pour un ventriloque ! Il croit que nous sommes ses marionnettes. Il se joue de nous. Nous sommes ses choses. Mais qu’est-il lui-même ? Ne voit-il pas les fils qui partent de ses membres ? Ne sait-il pas qu’il est un jouet entre les mains des bourreaux ? Il est aveuglé par le pouvoir, ivre parce que les marks qui circulent au ghetto sont signés de son nom. Monnaie de singe en vérité ! Ce n’est qu’un tragique simulacre, un théâtre sordide et ridicule ! Un jour, tout ça s’effondrera, alors peut-être se verra-t-il tel qu’il est ! Le roi est toujours nu, mon garçon, toujours, ne l’oublie jamais !

Les survivants.

 Ci et là encore, il avait croisé quelques survivants, de Łódź ou de « Lager », la plupart marqués dans leur âme et leur chair, tourmentés par le simple fait d’avoir survécu là où tant d’autres étaient morts. Il les reconnaissait presque du premier coup d’œil. Il lui arrivait de se retrouver en présence d’un parfait inconnu et de se dire que si l’autre relevait la manche de sa chemise, de son bleu de travail, de son costume, on verrait apparaître un numéro de matricule tatoué comme celui que lui-même avait sur le bras droit. 
Seuls les bourreaux dormaient du sommeil du juste, c’était une constante, les victimes, elles continuaient à souffrir leur vie durant, jamais leur plaies ne cicatrisaient entièrement.

 

 

 

Édition Hervé Chopin (H.C) . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Je dis souvent (par exemple dans mes commentaires sur vos blogs) que je lis peu de romans policiers, et bien en voilà un que je vous recommande. L’enquête policière est moins passionnante que la toile de fond de ce roman, qui analyse en détails ce qu’on connaît bien maintenant « le choc post-traumatique ». Est-ce que le nom de Vukovar vous dit quelque chose ?

Ce roman décrit avec un réalisme à peine soutenable le terrible siège de cette ville par les Serbes, il est décrit par le petit Duso un enfant de huit ans qui a vu l’innommable. On comprend que Duso est, vingt plus tard, Nikola Stankovik accusé du meurtre de la jeune et jolie Ivanka, croate elle aussi réfugiée en Belgique à Bruxelles. Le lecteur en sait donc plus que les enquêteurs, l’avocat, et la psychiatre chargée de faire un diagnostique sur l’état mental de Nikola. Celui-ci est un dessinateur de talent et graffeur de génie. À travers ses dessins, il en dit plus que par les mots qui sont définitivement bloqués dans son inconscient. Le long processus pour remonter au traumatisme d’une violence absolue est bien décrit et sans doute très proche des efforts que doivent faire les thérapeutes pour libérer la parole de leurs patients. Ensuite ceux-ci doivent se reconstruire mais est-ce toujours possible ? Au moment où je rédige ce billet, l’actualité raconte le procès des assassins du Bataclan, et certains rescapés racontent des traumatismes qui les ont marqués à tout jamais, mais on mesure aussi l’importance de dire en public ce qu’ils ont vécu, ce que ne peuvent pas faire des enfants trop jeunes qui enfouissent leurs souvenirs traumatisants au plus profond de leur mémoire.

Je n’ai mis que quatre coquillages à ce roman car j’ai trouvé que le genre « policier » exigeait des simplifications dans les personnages qui m’ont un peu gênée. La psychiatre qui lutte contre un collègue arriviste qui ne soigne qu’à coups de calmants, est un grand classique du genre et c’est trop manichéen pour moi. Mais ce n’est qu’un détail et je retiendrai surtout la description du siège de Vukovar que j’avais déjà bien oublié, et les dégâts dans une personnalité d’un enfant qui a vu sans pouvoir en reparler des horreurs de la guerre civile : oui, quand la violence des hommes se déchaîne, les enfants sont des proies trop faciles, trop fragiles et même s’ils survivent on ne sait pas grand chose des répercussions sur leur personnalité.

Citation

L’image des Français en Belgique

 L’homme était d’origine française.
 Les français savent tout sur tout et tiennent à ce que ça se sache. Il avait d’emblée revendiquer sa nationalité, en précisant la région et la ville de naissance, comme ils le font généralement entre eux pour évaluer les forces en présence.
 Les chiens se reniflent le derrière, au moins, c’est silencieux.

Édition Gallmeister . Traduit de l’américain par François Happe

Je remarque que c’est la première fois que je lis : « traduit de l’américain » et non de l’anglais (USA) ou autre formule qui nous ferait croire qu’il n’y a qu’une seule langue pour ces deux pays et je trouve que François Happe a eu beaucoup de mérite à traduire ce texte .

 

Voici à qui Stephen Wright dédie son roman

Pour ceux qui ont été transformés en graphiques, tableaux, donnés informatiques, et pour tous ceux qui n’ont pas été comptés

Je dois à Keisha cette lecture qui m’a plombé le moral pendant deux semaines au moins. J’ai vraiment été soulagée quand j’ai refermé ce roman après les quinze méditations. Je ne suis pas certaine de bien vous rendre compte de ce roman tant il m’a déroutée. Nous suivons une compagnie chargée du renseignement au Vietnam, on imagine facilement les techniques utilisées pour obtenir ces renseignements. Et ne vous inquiétez pas, si par hasard vous n’en aviez aucune idée, ces techniques vont vous être expliquées dans les moindres détails, jusqu’à votre écœurement et certainement aussi celui des soldats. Pour supporter ce genre de séances les soldats se droguent et dans leur cerveau embrumé la réalité devient fantasmagorique, et le lecteur ? et bien moi je maudissais Keisha mais je ne voulais pas être mauviette ni faux-cul et passer ces passages. J’ai donc tout lu en remarquant que le soldait de base a des envies de meurtre sur son supérieur quand celui-ci tue son chien mais reste impassible devant la mort en série des Viets. Mes difficultés de lecture ne disent rien de la qualité du roman . C’est un texte très dense, construit avec des allers et retours continuels entre la vie au pays après la guerre et la guerre elle même en particulier la défaite américaine. Entre les rêves cauchemardesques nourris avec toutes les drogues possibles et la réalité de la guerre. J’ai retenu de cette lecture :

  • Que personne ne pouvait en ressortir indemne.
  • Que personne ne pouvait y être préparé.
  • Que même dans des moments aussi terribles, on peut tomber sur quelqu’un d’aussi borné que le sergent Austin qui semble n’être là pour rendre la vie encore plus difficile aux hommes sous ses ordres.
  • Que sans la drogue, les soldats du contingent n’auraient pas pu tenir très longtemps dans cet enfer.

 

Citations

Le bleu

Le seul personnage qui manquait encore dans leur film de guerre de série B était enfin arrivé : le gamin. Son passé comme son avenir était aussi clair, défini et prévisible que les taches de rousseur sur son visage lisse. Il n’était jamais parti de chez lui, il allait écrire à sa famille tous les jours et il s’endormirait en sanglotant tous les soirs. Il devient la mascotte souffre- douleur de la compagnie, on le charrie sans arrêt jusqu’à ce que le héros bourru, débordant de tendresse virile, le prenne en pitié et le protège d’une réalité plaisante en apparence, mais en fait une grande cruauté.

Le cerveau d’un drogué

Procédant par élimination, sa pensée se réduisit à un fil de divagation. L’os frontal se fragmenta en un tourbillon de particules de poussière d’ivoire, explosant les lobes du cerveau à la fraîcheur de l’air qui descendait. Une fission intime produisait des éclats de lumière à un rythme aussi imprévisible que les éclairs d’orage en été sur un horizon tout gris. Des rideaux de pluie électronique passaient en glissant comme de lourds rideaux de théâtre sur des rails bien graissés. Il sentit une main le pénétrer vivement et se refermer sur l’éponge molle de son esprit avec la force d’un point ganté . Un parasitage silencieux étouffa sa conscience…
…et les nuages passèrent lentement à travers le spectre de la lumière visible, et le soleil, gros et rond et rouge comme une boule de chewing-gum fit floc en tombant entre les lèvres humides de la mer et se mit à se dissoudre… en minuscules grains de sable enfoncés dans les craquelures du cuir de sa botte.

Genre de scènes qui coupent le récit

Dans l’aérogare près du terrain, les quelques hommes qui attendaient les avions qui allaient les emmener étaient trop fatigués pour faire autre chose que fumer des cigarettes et échanger quelques plaisanteries éculées. Aucun d’entre ne souhaitait entreprendre une conversation. Leurs yeux inquiets allaient de la surface sombre de la piste au ciel nuageux et inversement. Aucun d’entre ne regardait la pyramide de longues boîte étroites qui attendaient aussi un vol, le chariot élévateur et le retour à la maison dans un avion sans hublots.

Si vous avez le moral lisez ce passage

Il y avait le chef de la section des interrogatoires qui appelait cette dernière la Clinique dentaire et qui faisait des cours sur l’extraction d’informations vêtu d’un tablier à barbecue représentant un malheureux cuisinier de banlieue derrière son grill de jardin sur lequel des steaks fumaient comme une aciéries de Gary dans l’Indiana, au-dessus d’une pancarte portant la légende BRULÉ ou CARBONISÉ et qui, lorsqu’il n’était pas occupé à mettre au point des nouveautés aussi futées que celle qui consistait à placer de façon décorative des punaises à carte sur la surface de l’ œil après les avoir fait chauffer, pratiquait le jet d’eau orientale, une opération au cours de laquelle on bloque la bouche grande ouverte avec des cales de bois et on inonde la gorge ainsi relevée, les narines et les yeux de litres et des litres d’eau non potable jusqu’à ce que la nausée et l’étouffement qui s’ensuivent provoque l’expulsion incontrôlable de toute nourriture non digérée, de l’eau, des mucosités et des coordonnées géographiques précise du bataillon auquel appartient le patient.

On croise l’armée française mais je n’ai rien trouvé à ce nom sur la toile

Là, faisant montre d’une superbe tout française, Jean-Paul Roichepeur, dégusta tranquillement une boîte de foie gras tandis que le plomb bourdonnait autour de sa tête comme des abeilles dans une vigne et que les explosions de mortier modifiaient la topographie de son poste de commandement, et lorsque les barbares du ViêtMinh furent à moins de cent mètres , se débarrassant de sa fourchette en argent et de ce qui restait du foie gras d’oie, il s’empala de façon théâtrale sur sa propre épée en s’écriant :  » Et voici comment la France a riposté à tous les despotes ! » Malheureusement déviée par une armure de décorations et de médailles tape à l’œil, la lame manqua les organes vitaux et il mit cinq heures à mourir et pendant toute son agonie Jean-Paul Roichepeur divulga involontairement tous les secrets militaires dont il avait connaissance. « Très déclassé » , murmura la presse parisienne.

La torture je déteste lire ça( mais je déteste encore plus que cela existe !)

Essayez les couilles dis-le capitaine Raleigh.
 Le sergent Mars déchira le caleçon noir du prisonnier en deux. Se penchant en avant entre les jambes du prisonnier, il fixa les câbles au scrotum.
Le lieutenant Pgan actionna la manivelle.
Claypool n’avais jamais entendu un tel cri, pas même au cinéma. Un cri qui transperçait la peau, qui se poursuivait sans interruption entre deux tours de manivelle. À un moment, le prisonnier parut admettre que oui, il était Viêt-cong, un lieutenant, un sapeur, mais ensuite il eut l’air de le nier. Puis il se mit à parler sans s’arrêter, un flot confus dans un Vietnamien haché s’écoulant par une brèche ouverte dans une digue.
-Je ne sais pas ce qu’ils racontent dit le sergent Mars avec dégoût.
– Il prie très fort, expliqua le lieutenant Phan, mais Bouddha pas répondre au téléphone.

Moment d humour…

Les hommes et les femmes ne voulaient toucher les hot-dog américain, croyant qu’il s’agissait vraiment de pénis de chien bouilli.

Le travail d un officier du renseignement

Griffin revint sur son travail depuis son arrivée en République du Vietnam. Tout d’abord, l’évaluation des dégâts causés par les bombardements ; maintenant, des études sur la défoliation. Il avait vu le pays se couvrir d’acné, maintenant il allait le voir perdre ses cheveux. Tôt ou tard, il se rendait bien compte que ce n’était qu’une question de temps, ils allaient lui demander de se mettre à quatre pattes, d’astiquer son squelette et de mesurer sa boîte crânienne avec un compas d’épaisseur en acier.

Édition Flammarion, collection Étonnants Classiques

Il m’arrive d’aider mes petits fils à formuler leurs idées à propos de la lecture d’œuvres au programme de leur classe de français. J’ai rarement été aussi touchée par une lecture des programmes scolaires. Je connaissais la poétesse Andrée Chédid, mais je ne lui connaissais pas ce talent de romancière. Je trouve extraordinaire qu’on le fasse découvrir à des élèves de troisième, car il raconte de façon juste ce que sont les guerres aujourd’hui. Andrée Chédid dit qu’elle avait été marquée par une photo prise à Sarajevo lors de la guerre civile dans l’ex-Yougoslavie. Mais cela pourrait être dans le Liban des années 70 ou en Syrie aujourd’hui. Ici, nous assistons à l’agonie de Marie qui a été touchée par une balle d’un sniper alors qu’elle rejoignait Steph, le grand et seul amour de sa courte vie. Un couple âgé, Anton ancien médecin et Anya essaieront de lui venir en aide mais c’est trop tard, le roman se consacre sur « Le Message » que Marie veut faire parvenir à Steph pour lui dire combien elle l’aime. La guerre se moque bien de l’amour et des amoureux . Nous vivons avec une grande intensité la fin inexorable de Marie et le destin de ce « Message » qui doit absolument parvenir à Steph. C’est très poignant et le style de cette auteure est superbe. J’espère que les jeunes qui liront ce texte comprendront que pour s’opposer à la folie des hommes nous sommes si faibles. Face à la barbarie qui se déchaîne si facilement nos armes sont dérisoires et pourtant essentielles : la culture, la poésie des mots et l’amour.

 

Citations

Les ruines

Autour, les arbres déracinés, la chaussée défoncée, les taches de sang rouillées sur le macadam, les rectangles béants et carbonisés des immeubles prouvaient clairement que les combats avaient été rudes ; et la trêve, une fois de plus précaire .

 

L’horreur

Dans chaque camp on arrachait les yeux, on coupait des mains, on violait, on faisait des seins, on tranchait des têtes, on achevait d’une balle dans la nuque. Un jeune mongolien, que les voisins chérissaient, fut retrouvé devant la boutique de primeurs de son père, empalé une énorme pomme dans la bouche. On avait forcé un violoniste à jouer, jour et nuit, sans dormir. On le cravachait dès que la musique s’arrêtait. Un poète, qui avait refusé de se battre, fut emmené jusqu’au fleuve et noyé sous les applaudissements.
« – Tu peux encore croire en Dieu ? Demanda Anya révoltée. 
-Et toi ? Tu peux encore croire en l’humain ?
-L’ humain est multiple. 
-Dieu aussi. »

L’auteure s’adresse à son lecteur

Sur cette parcelle du vaste monde, sur ce minuscule îlot de bitume, sur cette scène se joue, une fois de plus, une fois de trop, le théâtre barbare de nos haines et de nos combats. 
Massacres, cités détruites, villages martyrisés, meurtres, génocides, pogroms… Les siècles s’agglutinent en ce lieu dérisoire, exigu, ou la mort une fois de plus, joue, avant son heure, son implacable, sa fatale partition. 
Tandis que les planètes – suivant leurs règles, suivant leurs lois, dans une indifférence de métronome- continue de tourner. 
Comment mêler Dieu à cet ordre, à ce désordre ? Comment l’en exclure ?

Éditions Points . Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz

 

Merci à celle grâce à qui ce livre est arrivé jusqu’à moi. Il me revient donc, de vous donner envie de lire au plus vite ce roman qui ne connaît peut-être pas le succès qu’il mérite. Je vous invite à partir avec Tadek Zagourski à la rencontre de son père Stefan Zagourski. Ils ne se sont pas vus depuis plus de vingt ans, Tadek vit en Israël et Stefan croupit dans une maison de retraite à Varsovie. La femme de Tadek ne supporte plus son mari qui tente d’être écrivain et qui surtout traîne un mal-être qui le réveille toutes les nuits par des cauchemars horribles. Elle le quitte en emmenant avec elle leur fils. Seul et encore plus malheureux, Tadek se tourne vers son passé et se souvient de son père qu’il a quitté lorsqu’il avait six ans. Sa mère, son frère, ses sœurs tous les gens qui ont connu son père lui déconseille de faire ce voyage pour retrouver l’homme qui les a martyrisés pendant leur enfance. Pour les sauver de cette terrible influence, sa mère a fui en Israël car elle était juive et a pu empêcher son père de les rejoindre car lui ne l’était pas . Ce retour vers cet homme violent qui est devenu un petit vieux très diminué complètement imbibé de Vodka nous vaut une description impitoyable de la Pologne de 1988, encore sous le joug soviétique, et une plongée dans la guerre 39/45 avec l’évocation du sort réservés aux juifs polonais et des violences entre les différentes factions des partisans. Son père est un héros de cette guerre, il a subi pendant six mois les tortures de la gestapo à Lublin sans trahir aucun de ses amis, puis sera interné au camp de Majdanek dont il s’évadera, ensuite il sera utilisé comme liquidateurs des collaborateurs polonais. Pour tuer un homme ou une femme de sang froid il lui faudra boire au moins une bouteille de vodka par jour. Après la guerre, il restera quelqu’un de violent et fera peur à tout le voisinage, il s’en prendra hélas à sa femme et à ses enfants toujours quand il était sous l’emprise de cette satanée vodka, enfin plus que d’habitude. Tadek va rechercher quels liens unissaient ce père à ses enfants pour retrouver le sens de sa propre paternité. Cet aspect du roman est bouleversant : comment un enfant quelles que soient les violences qu’il a vécues recherche toujours le lien qui l’unissait à un père même imbibé d’alcool dès le matin – car c’est ce que Stefan boit au petit déjeuner à la place du café. Dans cette relation amour/haine, Tadek doit petit à petit faire son chemin et obliger son père à dévoiler tous les côtés les plus noirs de son passé aussi bien sur le plan de la violence que sur le plan sentimental.

C’est un sacré voyage que je vous propose mais je suis certaine que vous ne pourrez pas laisser ces deux personnages avant d’avoir refermer le livre et que vous découvrirez encore tant de choses que je ne vous ai pas dites. Vous irez de beuverie en beuverie, mais, comment voulez vous arrêter de boire dans pays si catholique où, à chaque fois que l’on boit, on vous dit : « soyez béni : Na zdrowie »  ! ! ?

Encore une remarque, l’auteur nous promène dans le temps et dans l’espace en Israël, aujourd’hui en Pologne en 1988 , 1970 et 1940, mais cela ne rend pas la lecture difficile, on passe sans difficulté d’un moment ou d’un lieu à l’autre car on suit la reconstruction de Tadek et on espère qu’il arrivera un jour à dormir sans être réveillé par ces horribles cauchemars dont son père portent une grande part de responsabilité.

 

Citations

 

 

Genre de dialogues que j’adore  : nous sommes en Israël la femme de Tadek va le quitter

Elle a dit. J’en ai marre de cette vie de chien, je me crève le cul pour le gosse et pour toi, alors que toi, tu n’es ni un mari, ni un père. Tu nous enfermes dans ton rêve bancal et tu t’apitoies sur ton sort à longueur de journée.
– Tout de même, je fais la vaisselle, ai-je bredouillé pour ma défense. Et je m’occupe du jardin.
– C’est quand, la dernière fois que tu t’es occupé du jardin ? On dirait un dépotoir.
– Ce n’est pas la saison. J’attends le printemps.
– Et l’évier aussi, il attend le printemps ?
– Non, la nuit. Je fais la vaisselle la nuit.
– D’accord. Fais la vaisselle la nuit, attends printemps. Sauf qu’à partir d’aujourd’hui, tu feras ça tout seul. Je refuse de porter à bout de bras un parasite qui glande et se laisse aller. Qui ne fait que rester assis à fumer, à boire et à accuser la terre entière de son impuissance.

La Pologne après la guerre

C’est là-bas qu’on les a regroupés. Tous les Juifs de la région. On les a obligés à creuser un grand trou, et ensuite on leur a tiré dessus et on les a enterrés dedans. Mais pendant trois jours, la terre a continué à bouger. Tu comprends ? Et elle continue à bouger encore aujourd’hui. Je l’ai vu de mes propres yeux. Si tu t’approches trop, ils peuvent t’attraper par la jambe et t’entraîner au fond.

Sa mère au volant en Israël

Ma mère est une conductrice épouvantable. Elle roule trop vite et ralentit subitement sans raison. Elle est capable de changer de voie sans mettre son clignotant ni regarder dans le rétro, puis de vouloir retourner dans sa file initiale, mais en hésitant tellement qu’elle embrouille les conducteurs autour d’elle. Ou alors elle peut tout à coup dévier et rouler sur la bande d’arrêt d’urgence comme si c’était une voie normale.

Scène bien décrite d’une enfance marquée par la violence d un père

Ma mère est debout à la fenêtre de la cuisine et fume une cigarette. La vaisselle sale du dîner s’entasse dans l’évier. Ola est plongée dans un roman. Anka fait ses devoirs. Robert et moi jouons au rami. Silence. Chacun vaque à ses occupations. Soudain, dans la cage d’escalier, le bruit d’une porte qui claque, puis des pas qui montent lentement. Mon frère se crispe. Maman lance un regard inquiet vers le seuil. Anka et Ola se figent et tendent l’oreille. Moi aussi j’écoute, ces pas s’approchent et se précisent, au bout de quelques instants on comprend avec soulagement que ce n’est pas papa. On peut donc retourner à nos activités, sauf qu’on sait très bien que plus il rentrera tard, plus il sera saoule. Ne nous reste qu’à espérer qu’il le soit au point de s’écrouler en chemin ou chez un de ses amis de beuverie.

L’alcool tient une part importante du roman

Tante Nella avait un lourd passé d’alcoolique, tout comme son mari, un conducteur de train qui la frappait dès qu’il avait un coup dans le nez. À chaque fois, elle s’enfuyait et venait se réfugier dans notre appartement. Elle savait que c’était le seul endroit où il n’oserait pas la poursuivre. Au bout de quelques heures, quand il était enfin calmé, il débarquait chez nous, s’agenouillait à ses pieds et la suppliait de revenir.

En Pologne après la guerre

C’est un garçon rondouillard, blond, avec une raie sur le côté et de bonnes joues bien rouges. Il ne sort jamais seul, il est toujours accompagné par quelqu’un de sa famille, parce que dans notre quartier, un tel enfant se promenant seul, ça ressemblerait à une sardine blessée dans une mer infestée de barracudas voraces.

L’âge

L’âge, ça ne compte jamais, pour rien. Pour la baise non plus. Et encore moins pour la castagne. Ce n’est qu’une question de capacité, et tant qu’on y arrive – on le fait.

Humour polonais pendant le communisme

Qu’est-ce que tu veux ? Ici, tout le monde fait semblant de travailler, alors le gouvernement fait semblant de payer, comme ça, ça s’équilibre.

La recherche de la reconnaissance paternelle

Bien plus tard, j’ai constaté que, toute notre vie, nous cherchons à obtenir une sorte de reconnaissance de notre père mais que, pour ce que j’en ai compris – et je ne comprends sans doute pas grand-chose-, nous n’y arrivons quasiment jamais. Et peu importe que le père soit un fils de pute et un minable, on s’obstine, comme quand on était petit.

Tadek  : être un homme et un père

Tel était mon rôle : être dans sa chambre en cas de besoin, m’asseoir à côté de lui sur une chaise ou m’allonger sur le tapis et m’endormir, peu importe, le principal c’était que je sois dans les environs, papa gardien, prêt à défendre le château fort qui les abritait, lui et sa mère. C’était leur droit et mon devoir, sauf que mes capacités s’étaient tellement amenuisées au fil du temps que j’ai fini par cesser d’essayer. Bien sûr, j’étais l’homme, et je le serai toujours, celui qui ouvre les bocaux quand personne n’y arrive, qui sait déboucher le lavabo, qu’on réveille à deux heures du matin pour aller voir ce que sont ces bruits en provenance de la salle de bain, de la porte d’entrée ou du jardin. Mais ce n’était pas ce que je voulais. Oui, moi, j’avais espéré être autre chose.

Edition Alma Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un livre sur un sujet à propos duquel j’ai beaucoup lu. Mais je pense qu’on ne lit jamais assez pour comprendre tous les aspects de la Shoah. J’ai été très intéressée par le point de vue de cette écrivaine tchèque qui vit en France et écrit en français.
Le roman commence par deux scènes fortes : à Prague, en 1953 Vladimir Vochoc fait face à un tribunal populaire, puis à l’époque contemporaine, toujours à Prague, lors d’une inondation une femme âgée ne veut pas quitter son appartement et impose d’autre part à sa fille que son enfant apprenne le français. Ces deux volontés apparaissent comme des ordres auxquels il est impossible de ne pas de soumettre. Puis nous repartons dans le passé à Strasbourg en 1938, deux femmes juives réfugiées accouchent, l’une perd son bébé, l’autre meurt en couches d’une petite fille bien vivante. La femme qui a perdu son bébé, s’empare de cette petite fille qui deviendra Josépha. Le père de cette enfant confie une poupée qui avait été préparée par son épouse pour l’enfant à naître.

L’originalité du récit vient de cette poupée de chiffon aux yeux de nacre qui suit toute l’histoire de Josépha à travers les fuites successives de la famille qui échappe de si peu à la mort. Mais le récit prend aussi une tournure plus historique grâce à un personnage qui a existé le consul à Marseille de la Tchécoslovaquie Valdimir Vochoc.

 

Celui-ci grâce à l’aide du journaliste américain Varian Fry a sauvé plusieurs milliers de juifs et de réfugiés allemands opposants au nazisme.

J’ai lu et découvert les fondements de la république tchécoslovaque qui voulait faire la place à toutes les minorités et toutes les langues qui se croisaient sur ce nouveau territoire. Si les démocraties avaient défendu cet état, le yiddish n’aurait donc pas disparu de l’Europe. Que d’occasions ratées ! Est ce que cela aurait permis à ne pas avoir à rechercher pourquoi il a fallu sacrifier environ 6 millions de juifs pour qu’enfin chacun se pose les bonnes questions face à l’antisémitisme. Le parcours de la poupée de Josépha raconte à la fois combien le filet qui se resserre un peu plus à chaque fuite est totalement angoissant pour ces pauvres juifs chassés de toute part, et combien seulement un tout petit nombre d’entre eux n’ont dû leur survie qu’à la chance et aux quelques « justes » croisés sur leur chemin. On connait cette fuite et ces angoisses, c’est bien raconté et tout est plausible mais pour moi le plus novateur dans ce récit est la rencontre avec cet ambassadeur Tchécoslovaque et son amour pour son pays.

 

Citations

Les juifs chassés de partout

Pour lui, il n’y avait pas d’endroit où aller. « Aller », c’était tout ce qui comptait. Ces différents lieux provisoires, tous ces « ici », n’étaient que des haltes de passage, plus ou moins longues, le temps de quelques générations, parfois de quelques années, le temps d’apprendre les lois du pays qui régissaient leur vie, le temps apprendre la langue, parfois le temps d’absorber et de restituer dans sa propre langue les mots et expressions d' »ici », le temps de se bercer de l’illusion d’une durée possible. Puis il fallait déjà repartir, parfois sans avoir le temps de refaire ses valises. « Avec les siècles, se disait Gustav, on a appris à flairer le roussi. Bien avant les autres. »

Conséquences de ces exils successifs

On devait être souple. Une souplesse inscrite jusque dans l’expression populaire : « prenez votre crincrin et tirez-vous. » Voilà pourquoi tous les Juifs de l’Est qui se respectent jouent du violon. C’est facile à transporter. On n’a jamais vu quelqu’un avec son piano sur le dos.

 

 

 

Traduit du néerlandais (Belgique) par Isabelle Rosselin

Edition poche Folio

En lisant le billet de Dominique je m’étais fait une promesse, mettre ce livre dans ma liste, puis dans ma pile à côté de mon lit, et puis finalement de le lire. Promesse tenue. J’ai bien aimé cette lecture dont un bon tiers est occupé par le récit de la guerre 14/18 vu du côté des Belges. Stefan Hertmans a voulu redonner vie à un grand-père très digne et très pieux. Il a voulu aller plus loin que son apparence d’homme sévère habillé en costume et portant tous les jours une lavallière noire et un borsalino. Il a trouvé un homme meurtri par la guerre et qui ne s’est jamais remis des souffrances qu’il a ressenties dans son corps et celles qui ont blessé et tué de façon horrible ses compagnons. La force avec laquelle sont racontés ces combats m’ont permis de me rendre compte de l’héroïsme de cette armée dont je savais si peu de chose avant de lire ce roman. Un autre aspect que j’ai découvert, c’est la domination à l’époque du français sur le flamand (les temps ont bien changé !). Les pauvres soldats flamands non gradés devaient donc obéir à des ordres parfois absurdes et qui, surtout, pouvaient les emmener à la mort donnés par des officiers qui ne s’exprimaient qu’en français d’un ton le plus souvent méprisant. Plusieurs fois, dans ce récit on ressent la langue française comme une façon de dominer les flamands. Comme ce lieutenant qu’il entend dire derrière son dos

Ils ne comprennent rien, ces cons de Flamands

 

Au delà des récits de guerre, on découvre un homme Urbain Martien (prononcez Martine) qui a aimé et a été aimé par ses parents. Son père, grand asthmatique, lui a donné le gout du dessin mais malheureusement, il laissera trop tôt sa femme veuve avec ses quatre enfants. Urbain connaîtra la misère celle où on a faim et froid et pour aider sa mère il travaillera dans une fonderie sans aucune protection et dans des conditions effroyables. Finalement il s’engagera à l’armée et sera formé au combat ce qui le conduira à être un cadre sous officier pendant la guerre.
Il connaîtra l’amour et sera passionnément amoureux d’une jeune femme qui ne survivra pas à la grippe espagnole ; il épousera sa sœur et ensemble, ils formeront un couple raisonnable.

J’ai eu quelques réserves à la lecture de cette biographie, autant le récit de la guerre m’a passionnée car on sent à quel point il est authentique : nous sommes avec lui sous les balles et les des canons ennemis, on patauge dans la boue et on entend les rats courir dans les tranchées. Autant la vie amoureuse de son grand-père m’a laissée indifférente. En revanche, sa jeunesse permet de comprendre cet homme et explique pourquoi la religion tient tant de place dans sa vie. Pour la peinture puisque c’est l’autre partie du titre disons que le talent d’un copiste même merveilleux n’est pas non plus très passionnant, la seule question que je me suis posée c’est pourquoi il n’a que copié des tableaux et n’a pas cherché exprimer ses propres émotions.

Quand je suis étonnée d’apprendre que la ville où j’habite se situe dans le Nord de la France :

Blessé une deuxième fois sur le front de l’Yser, touché par une balle à la cuisse, juste en dessous de l’aine, il avait été évacué ; pour sa rééducation, il avait été envoyé dans la ville côtière de Dinard, dans le nord de la France. Depuis la ville voisine de Saint-Malo, il avait fait la traversée, avec quelques compagnon en rééducation, vers Southampton, pour rendre visite au fils de son beau-père, mais à peine était-il en haute mer une tempête s’était levée, qui avait duré un jours et demi.

Et voici la photo de la foule qui attend l’arrivée des blessés de la guerre 14/18 qui vont être soignés à Dinard dont a fait partie Urbain Martien .

 

Citations

 

Pourquoi cette référence à Proust

Le tailleur l’envoie d’un ton bourru chercher à l’école le fils de cette famille bourgeoise. Au bout d’un certain temps, il est chargé chaque jour de cette tâche et doit porter le cartable rempli de livres du jeune monsieur en prenant garde de rester deux pas derrière lui, pour éviter de recevoir un coup de canne que ce garçon de douze ans manie déjà avec une suffisance proustienne.

Le couple de ses grand-parents

Son mariage avec Gabrielle était sans nuages pour quiconque n’était pas plus avisé.Enchevêtrés comme deux vieux arbres qui, pendant des décennies, ont dû pousser à travers leurs cimes respectives, luttant contre la rareté de la lumière, ils vivaient leur journée simple, uniquement entrecoupées par la gaieté apparemment frivole de leur fille, leur unique enfant. Les journées disparaissaient dans les répliques du temps diffus. Il peignait.

Le 20 siècle

Il a consigné ses souvenirs ; il me les a donnés quelques,mois avant sa mort en 1981. Il était né en 1891, sa vie semblait se résumer à l’inversion de deux chiffres dans une date. Entre ces deux dates étaient survenus deux guerres, de lamentables massacres à grande échelle, le siècle plus impitoyable de toute l’histoire de l’humanité, la naissance et le déclin de l’art moderne, l’expansion mondiale de l’industrie automobile, la guerre froide, l’apparition et la chute des grandes idéologies, la découverte de la bakélite, du téléphone et du saxophone, l’industrialisation, l’industrie cinématographique, le plastique, le jazz, l’industrie aéronautique, l’atterrissage sur la lune, l’extinction d’innombrables espèces animales, les premières grandes catastrophes écologiques, le développement de la pénicilline et les antibiotiques, Mai 68, le premier rapport du club du club de Rome, la musique pop, la découverte de la pilule, l’émancipation des femmes, l’avènement de la télévision, des premiers ordinateurs – et s’était écoulé sa longue vie de héros oublié de la guerre.

Les goûts musicaux

En revanche, il éprouvait du dégoût et de la colère en entendant Wagner et faisait ainsi sans le savoir le même choix que le grand philosophe au marteau : Nietzsche écrivit en effet à la fin de sa vie qu’il préférait la légèreté méridionale, l’affirmation de la vie et de l’amour chez Bizet, au fumerie d’opium teutonnes des ténèbres mystique de Wagner. Offenbach rendait mon grand-père joyeux, et quand il entendait les marches militaires, il se ranimait . Il connaissait par cœur la pastorale de Beethoven surtout le mouvement où le coucou lance son appel dans la fraîche forêt viennoise.

L’accent français en Belgique

En face, dans la boutique d’allure viennoise du boulanger juif Bloch, les femmes de la bonne société prenaient un café servi dans une petite cafetière en argent accompagné d’un croissant beurré, tandis qu’elle lisait un livre acheté chez Herckenrath, le papier d’emballage soigneusement plié en quatre à côté de leur main baguée. Elles étaient tellement chics qu’elle affectaient une pointe d’accent français en parlant flamand.

Avancées techniques allemande 1914

Le fort de Loncin est mis hors de combat par un tir de plein fouet sur la poudrière. Le béton n’était pas encore armée, ce qui fut fatal au vieux mastodonte, dernier vestige d’une époque candide. (…..) En chemin nous apprenons que presque tous les forts sont tombés et que toute résistance est devenue vaine. Les Allemands utilisent des mortiers lourds d’un calibre de 420 millimètres dont nous ignorions totalement l’existence. Leurs tirs ont ouvert des brèches dans tous les forts liégeois ; ces citadelles désuètes peuvent tout au plus résister un calibre 210 millimètres.

Les troupes allemandes en Belgique

Un matin, une semaine plus tard, nous entendîmes pleurer un enfant. Un garçonnet d’une dizaine d’années était debout sur l’autre rive. Le commandant nous interdit d’aller le chercher. Carlier dit que c’était une honte, il retira son uniforme, sauta dans l’eau et nagea jusqu’à l’autre côté. Au moment où il voulut tendre la main à l’enfant, celui-ci détala . Les Allemands se mirent à tirer avec toutes leur bouches de feu, nous n’avions aucune idée d’où provenaient les tirs. Carlier tomba à la renverse, roula sur la berge jusque dans l’eau, plongea en profondeur, ne ressortit que lorsqu’il fut arrivé de notre côté. Tout le monde avait suivi la scène en retenant son souffle ; Carlier fut hissé à terre, le commandant dit qu’il méritait en réalité une lourde sanction, mais en voyant à quel point le procédé des Allemands nous avait indignés, il en resta là.
Nous prîmes conscience que nous avions en face de nous ennemi sans le moindre scrupule. Ce genre de tactique de guerre psychologique était nouveau pour nous, nous avions été éduqués avec un sens rigoureux de l’honneur militaire, de la morale et de l’art de la guerre, nous avions appris à faire élégamment de l’escrime et à réaliser des opérations de sauvetage, nous avions appris à réfléchir à l’honneur du soldat et de la patrie. Ce que nous voyons ici et était d’un autre ordre. Cela bouleversant nos pensées et nos sentiments, nous ressentions, le cœur rempli d’angoisse, que nous revenions d’autres hommes prêts à tout ce que nous avions évité auparavant.

Les atrocités de la première guerre ont-elles entraîné celles de la seconde ?

Toutes ses vertus d’une autre époque furent réduites en cendres dans l’enfer des tranchées de la Première Guerre mondiale. On enivrait sciemment les soldats avant de les amener jusqu’à la ligne de feu (un des plus grands tabous pour les historiens patriotiques, mais les récits de mon grand-père sont clairs à ce sujet) ; les bouis-bouis, comme les appelait mon grand-père, se multipliaient, on en voyait pour ainsi dire partout à la fin de la guerre, de ces lieux où l’on encourageait les soldats à apaiser leurs frustrations sexuelles pas toujours en douceur -une nouveauté en soi, sous cette forme organisée. Les cruautés les massacres transformèrent définitivement l’éthique , la conception de la vie, les mentalités et les mœurs de cette génération. Des champs de bataille à l’odeur de prés piétinés, des mourants comme au garde-à-vous jusqu’à l’heure de leur mort, des scènes picturales militaires avec en toile de fond la campagne du dix-huitième siècle remplie de collines et de boqueteaux , il ne resta que des décombres mentaux asphyxiés par le gaz moutarde, des champs remplis de membres arrachés , une espèce humaine d’un autre âge qui fut littéralement déchiquetée.

Toutes les après-guerres se ressemblent

Partout surgissent de véhéments patriotes, qui pendant la guerre se livraient à un commerce clandestin mais intensif avec les Allemands. Partout des traces et des témoignages sont fiévreusement effacés. Partout j’assiste à des querelles, de l’animosité, des ragots, des trahisons, des lâchetés et des pillages, tandis que les journaux exultent en évoquant une paix bienheureuse. Nous, les soldats qui revenons du front, nous sommes mieux informés. Nous nous taisons, luttons contre nos cauchemars, éclatant parfois en sanglots en sentant l’odeur du linge fraîchement repassé ou d’une tasse de lait chaud.

Explication du titre, et fin du livre

Ainsi, ce paradoxe fut une constante dans sa vie : ce ballottement entre le militaire qu’il avait été par la force des choses et l’artiste qu’il aurait voulu être. Guerre et térébenthine. La paix de ces dernières années lui permit de prendre peu à peu congé de ses traumatisme. En priant Notre-Dame des Sept Douleurs, il trouva la sérénité. Le soir avant sa mort, il est parti se coucher en prononçant ces mots : je me suis senti si heureux aujourd’hui, Maria.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Édition Albin Michel

Encore la guerre 14/18 ? Non, pas tout à fait ! Il s’agit ici de la fin de cette guerre et le fait qu’elle a engendré celle qui a suivie, et que, d’après l’auteur, rien n’a été fait pour l’éviter. Antoine Rault mêle à son roman des pages très précises d’analyses historiques, et le lecteur revit avec précision la signature du traité de Versailles.

 

Il sera ressenti comme un « Diktat » humiliant pour tous les allemands. Peu d’entre eux verront dans les années qui suivent l’occasion de fuir la guerre et on connaît la suite l’esprit de vengeance et la folie du National-Socialisme.
Côté romanesque : le personne de Charles-Albert, un soldat amnésique, il sera utilisé par les services de renseignement français pour espionner l’Allemagne, il est à la fois crédible, tragique et attachant. On suit, donc, son parcours, d’abord dans les centres de soins français qui n’ont qu’un seul but dépister les simulateurs. Puis à travers son engagement dans ce qui reste de l’armée allemande, la montée inexorable vers un nationalisme qui va bientôt détruire ce qui reste de la nation allemande. L’état de l’Allemagne après cette guerre que l’armée n’a pas eu la sensation de perdre est parfaitement raconté et même si j’ai trouvé parfois que l’auteur est trop didactique, ses arguments sont imparables et ses démonstrations très convaincantes. Les horreurs de la guerre sont insoutenables et j’avoue avoir découvert ce qui s’est passé, grâce à ce livre, en Lettonie ? Dans les temps actuels, où beaucoup de gens doutent de l’Europe, ce roman permet d’ouvrir les yeux sur les dangers des guerres guidées par le nationalisme c’est donc une lecture que je ne peux que recommander même si la nature humaine apparaît comme bien cruelle qu’il s’agisse des puissants de ce monde qui se jouent de la vie des populations, que des simples soldats qui deviennent des tortionnaires et des bouchers à la première occasion lorsque le droit de tuer leur est donné.

Citations

Les soins aux traumatisés de la guerre

Les poilus appelaient « le torpillage » pour exprimer qu’après s’être fait mitrailler et pilonner dans les champs de bataille, le soldat traumatisé avait droit, en plus, de se faire torpiller à coups de décharges électriques – mais les médecins, eux, parlaient De réalisation ou de galvanisation, suivant le courant utilisé, ça vous avait tout de suite un petit air régénérant, et, bien sûr, ils prenaient soin de préciser que c’était « pour ainsi dire indolore ».
Derrière toute cette approche, une grande idée en ces temps de patriotisme exacerbé et de chasse aux « lâches » , aux embusqués, aux déserteurs : consciemment ou inconsciemment, les traumatisés simulent pour fuir les combats. Le but n’est donc pas de les soigner mais de les renvoyer là-bas. Petite précision intéressante : en France, les traumatismes psychiques dus à la guerre ne sont reconnus comme des blessures ouvrant droit à une invalidité que depuis 1992.

Les banques

Et puis, de toute façon, une banque ne peut pas être un profiteur de guerre puisque la vocation même d’une banque, c’est de savoir profiter en toute circonstance… Une banque fonctionne de la même manière en temps de paix qu’en temps de guerre. On lui confie des valeurs et elle accorde des crédits et contribuent ainsi à soutenir l’économie. C’est très noble, au fond, très noble, en temps de paix comme en temps de guerre. Parfois, Alfred se représentait en Dieu multiplicateur et redistributeur. Il y avait un côté magique, démiurgique, dans son métier, qui le mettait en joie. La banque était le métier le plus… aérien… oui, c’est ça… le plus sublimement éthéré du monde. Bien plus qu’un peintre qui emploie de vraies couleurs ou qu’un écrivain qui utilise des mots pour raconter une histoire, le banquier, lui, n’a recourt qu’à l’abstraction et au sentiment. Pour créer, il compte sur la confiance, sur la crédulité humaine. Un Dieu, donc, un illusionniste, un grand manipulateur.

Cruautés de la guerre pays balte 1919

Avant d’abandonner Riga, les généraux russes ordonnèrent à leurs troupes de mettre à mort des centaines de Lettons qui avaient été jetés en prison parce qu’il était suspecté d’être hostiles aux Soviets. Les soldats refusèrent de se livrer à cette boucherie mais les femmes bolcheviques fanatisées l’accomplir avec une sauvagerie inouïe. Naturellement, « à titre de représailles », comme ils se justifièrent eux-mêmes, les Allemands ne furent pas en reste. Ils fusillèrent non seulement ces femmes criminelles mais près de mille prisonniers. Sans compter bien sûr les tortures, les viols et des pillages. Alors, en représailles de ces représailles, les nationalistes Lettons se livrèrent à leur tour à des atrocités à l’encontre des soldats qu’ils parvenaient à capturer. C’est la vieille loi de la cruauté humaine. La barbarie des uns nourrit et libère la barbarie des autres.

Cliché sur les femmes

Les Parisiennes ont du charme, c’est certain, mais elles rouspètent tout le temps, elles réclament, elles ont des tas d’exigences. Ça doit être ruineux, une française. Et puis, elles sont adorables, coquettes, amusantes, mais elles n’ont pas la beauté racée des Slaves.

Traduit du Néerlandais par Philippe Noble

 

Cette partie de petits chevaux ne sera jamais terminée puisque ce soir de janvier en 1945, à Haarlem en Hollande, la famille Steenwick entendra six coups de feu dans leur rue. La famille voit alors avec horreur que leurs voisins déplacent un cadavre au seuil de leur porte. C’est celui de Ploeg un milicien de la pire espèce qui vient d’être abattu par la résistance. Peter Steenwick un jeune adolescent sort de chez lui sans réfléchir et tout s’enchaîne très vite. Les Allemands réagissent avec la violence coutumière des Nazis, exacerbée par l’imminence de la défaite, ils embarquent tout le monde et incendient la maison. Anton âgé de 12 ans survivra à ce drame affreux . Après une nuit au poste de police dans une cellule qu’il partage avec une femme dont il ne voit pas le visage mais qui lui apportera un peu de douceur, il sera confié à son oncle et sa tante à Amsterdam et comprendra très vite que toute sa famille a été fusillée. C’est la première partie du roman, que Patrice et Goran m’ont donné envie de découvrir. Un grand merci car je ne suis pas prête d’oublier ce livre.

Anton devient médecin anesthésiste et en quatre épisodes très différents, il fera bien malgré lui la lumière sur ce qui s’est passé ce jour là. Il avait en lui ce trou béant de la disparition de sa famille mais il ne voulait pas s’y confronter. Il a été aimé par son oncle et sa tante mais ceux-ci n’ont pas réussi à entrouvrir sa carapace de défense, il faudra différents événements et des rencontres dues au hasard pour que, peu à peu , Anton trouve la force de se confronter à son passé. Cela permet au lecteur de vivre différents moments de la vie politique en Hollande. La lutte anti-communiste et une manifestation lui permettra de retrouver le fils de Ploeg qui est devenu un militant anti-communiste acharné. Puis, nous voyons la montée de la sociale démocratie et la libération du pire des nazis hollandais et enfin il découvrira pourquoi son voisin a déplacé le cadavre du milicien. Il y a un petit côté enquête policière mais ce n’est pas le plus important, on est confronté avec Anton aux méandres de la mémoire et de la culpabilité des uns et des autres. Aux transformations des faits face à l’usure du temps. Et à une compréhension très fine de la Hollande on ne peut pas dire que ce soit un peuple très joyeux ni très optimiste. Les personnalités semblent aussi réservées que dignes, et on découvre que la collaboration fut aussi terrible qu’en France. La fin du roman réserve une surprise que je vous laisse découvrir.

PS je viens de me rendre compte en remplissant mon Abécédaire des auteurs que j’avais lu un autre roman de cet auteur que je n’avais pas apprécié  :  » La découverte du ciel »

Citations

Discussion avec un père érudit en 1945 à Haarlem au pays bas.

Sais-tu ce qu’était un symbolon ?
– Non,dit Peter d’un ton qui montrait qu’il n’était pas non plus désireux de le savoir.
-Eh bien, qu’est ce que c’est, papa ? Demanda Anton.
– C’était une pierre que l’on brisait en deux. Suppose que je sois reçu chez quelqu’un dans une autre ville et que je demande à mon hôte de bien vouloir t’accueillir à ton tour : comment saura-t-il si tu es vraiment mon fils ? Alors nous faisons un symbolon, il en garde la moitié et, rentré chez moi, je te donne maître. Quand tu te présentera chez lui, les deux moitiés s’emboîteront.

Les monuments commémoratifs

Peut-être s’était-on vivement affronté, au sein de la commission provinciale des monuments commémoratifs, sur le point de savoir si leurs noms avaient bien leur place ici. Peut-être certains fonctionnaires avaient-il observé qu’ils ne faisaient pas partie des otages à proprement parler et n’avaient d’ailleurs pas été fusillés, mais « achevés comme des bêtes » ; à quoi les représentants de la Commission nationale avaient répliqué en demandant si cela ne méritait pas tout autant un monument ; enfin les fonctionnaires provinciaux avaient réussi à obtenir à titre de concession au moins le nom de Peter fût écarté. Ce dernier -avec beaucoup de bonne volonté du moins -comptait parmi les héros de la résistance armée, qui avaient droit à d’autres monuments. Otages, résistants, Juifs, gitans, homosexuels, pas question de mélanger tous ces gens-là, sinon c’était la pétaudière !

Culpabilité

Tu peux dire que ta famille vivrait encore si nous n’avions pas liquidé Ploeg : c’est vrai. C’est la pure vérité, mais ce n’est rien de plus. On peut dire aussi que ta famille vivrait encore si ton père avait loué autrefois une autre maison dans une autre rue, c’est encore vrai. Dans ce cas je serai peut-être ici avec quelqu’un d’autre. A moins que l’attentat n’ai eu lieu dans cette autre rue, car alors Ploeg aussi aurait pu habiter ailleurs. C’est un genre de vérité qui ne nous avance à rien. La seule vérité qui nous avance à quelque chose, c’est de dire, chacun a été abattu par qui l’a abattu, et par personne d’autre. Ploeg par nous, ta famille par les Chleuhs. Tu as le droit d’estimer que nous n’aurions pas dû le faire, mais alors tu dois penser aussi qu’il aurait mieux valu que l’humanité n’existe pas, étant donné son histoire. Dans ce cas tout l’amour, tout le bonheur et toute la beauté du monde ne serait même pas compensé la mort d’un seul enfant.

En Hollande en 1966

Voilà ce qui reste de la Résistance, un homme mal soigné, malheureux, à moitié ivre , qui se terre dans un sous-sol dont il ne sort peut-être plus que pour enterrer ses amis, alors qu’on remet en liberté des criminels de guerre et que l’histoire suit son cours sans plus s’occuper de lui …

Réflexion sur le temps

Il n’y a rien dans l’avenir, il est vide, la seconde qui vient peut-être celle de ma mort -si bien que l’homme qui regarde l’avenir a le visage tourné vers le néant, alors que c’est justement derrière lui qu’il y a quelque chose à voir : le passé conservé par la mémoire.
Ainsi les Grecs disent-ils, quand il parle de l’avenir :  » Quelle vie avons-nous encore derrière nous ? »