Traduit du Roumain par Philippe Loubière . Édition des Syrtes

C’est Inngamic qui m’a donné envie de lire ce roman, mais je crains que le but de Goran, Eva , Patrice pour le mois Europe de l’Est soit un peu raté, car je ne vais pas vous faire découvrir un nouvel auteur, mais simplement confirmer les avis très positifs de l’an dernier, peut-être que, malgré cela, vous ne l’aviez pas encore découvert ? Si vous le lisez je parie que l’an prochain, il sera de nouveau dans le mois de l’Europe de l’Est !

Ce roman est tout à fait à part, tout est dans le style de cette auteure. Chaque phrase est percutante et permet, peu à peu, de reconstruire la vie tragique d’Alesky et de sa mère. L’auteure manie avec une telle dextérité, l’ellipse, que je ne veux pas vous redonner le fil du récit car vous perdriez un des charmes du roman. Comme de petits éclairs dans une vie si sombre, les clé de compréhension viennent éclairer ce récit. On peut, sans rien déflorer, dire que Tatiana Tibuléac, nous met dans la tête d’un adolescent qui a le cerveau dérangé et qui hait sa mère. C’est peu de le dire, il rêve de la tuer dès qu’il pense à elle, il faut dire qu’il n’a reçu que des rejets de sa part depuis la mort de sa petite sœur. Mais ensemble, à la demande express de sa mère, , ils partent en vacances, en France. C’est là le coeur du roman, non seulement cet été là , il découvrira les yeux verts de sa mère, mais, plus encore, il va essayer de la comprendre. Le sujet du roman, c’est donc la progression vers un amour bancal car ni l’un ni l’autre ne vont bien, lui a le cerceau un peu dérangé et sa mère est atteinte d’un cancer « enragé ».

Tout est dans la façon de raconter cette énorme souffrance d’un enfant fragile qui non seulement doit se remettre de la mort de sa petite sœur adorée mais qui est ignoré par son père alcoolique et rejeté par sa mère murée dans sa propre souffrance. Il devient violent et s’enferme derrière un mur de haine qu’il croit indestructible. Les phrases sont percutantes et font mal, à l’image du début que l’on ne peut pas oublier :

Ce matin-là, alors que je la haïssais plus que jamais maman venait d’avoir trente neuf ans. Elle était petite et grosse, bête et laide. C’était la maman la plus inutile de toutes celles qui ont jamais existé.
J’ai souvent eu envie de recopier des phrases de ce roman (il y a donc beaucoup d’extraits) , j’espère que vous les lirez car mieux que ce que je peux en dire, il vous expliqueront pourquoi j’ai aimé ce petit livre malgré la dureté du propos.

 

Citations

L’arrivée dans le village

Il y avait trois jours que je me trouvais dans ce village, sans avoir encore vu personne. Je dormais toute la journée, ou bien je fumais, ou bien je mangeais du pop-corn, ou bien je haïssais maman. Entre-temps, Jim et Kalo étaient partis pour Amsterdam, passer ces fameuses vacances que j’attendais depuis trois ans et pour lesquels j’avais mis de côté les sous que je recevais à l’occasion de chaque fête, plus ceux que j’avais piqués à Grand-Mère.

Sa petite sœur

Il aurait mieux valu que ce fût papa qui mourût, plutôt que Mika. Si la mort tenait compte de notre avis, il mourrait beaucoup de gens bien choisis.
 Notre psychiatre disait que, jusqu’à cinq ans, les enfants ne se souvenaient de rien. Moi, je crois qu’elle déconne et que Mika est morte avec beaucoup de souvenirs, les souvenirs les plus beaux et les plus vrais qui aient jamais existé dans notre maudite famille.
 Je suis sûr que si Dieu avait eu une fille, elle se serait appelée Mika. J’ai tellement le mal d’elle que je m’en arracherais les yeux.

Le monde de l’art

Du monde bigarré et avide qui m’entoure -intermédiaires qui gagnent plus que les artistes, directeurs de galeries prestigieuses ou douteuses, critiques d’art plus fous que moi, oligarques russes et mécènes japonais, milliardaires juifs qui ne reconnaîtraient pour rien au monde qui ne sont ni l’un ni l’autre -, il n’y a que Sacha qui est intérêt à me voir en vie. Si je n’avais pas été là, il aurait continué à travailler comme assistant d’un médecin, avec un salaire d’étudiant. Pour le reste, tout ce ramassis de hyènes serait bien content si je mourais – d’un cancer, de préférence, comme maman, ou de démence-, pour doubler ainsi tant la cote de mes œuvre que leurs profits, déjà gras et immérités.

La transformation de sa mère

Bien qu’elle soit devenue plus belle et plus intelligente, maman s’évanouissait de plus en plus souvent et devenait de plus en plus maigre. Quand elle marchait, ses mains se balançait le long du corps comme celle d’une poupée de chiffon et les commissures de ses lèvres tombaient, la faisant ressembler à un enfant boudeur.
Mais c’était la meilleure maman que j’avais eu jusqu’à présent. Même si je connaissais l’effet de cette maladie sur un humain, j’allais demander pour Noël un cancer pour maman, et non de faire l’amour avec Jude. Quant à papa, je crois qu’aucune maladie ne l’aurait fait changer.

La psychiatrie

Je me suis posé ces questions, dans ma solitude et ma folie, en ramassant mes os éparpillés dans tous les recoins de la chambre avec des mots flottants, allongé sur le divan des dizaines de psychiatres qui ont défilé dans mon cerveau comme dans le couloir d’un hôtel de passe, au cours de dizaines d’interviews et d’émissions sur moi et ma vision si original de la vie.

Les villages français

Aujourd’hui, que j’en suis à aimer les villages français plus que tout autre endroit au monde, tous ces festivals et toutes ces foires sont une partie de moi-même. Je n’en manque aucun, que je rentre à la maison avec une poignée de tomates ou avec un sac plein de laine de mouton. Mais je comprenais mal alors comment des gens sains d’esprit pouvaient avec pouvaient avec tout leur sérieux, organiser « la fête du panais », « la folie des produits à base de pois cassés » ou « le concours régional du meilleur poivron ».

Le voyage de noce de sa mère

Une longue histoire, partiellement inventée, je suppose, sur sa lune de miel avec papa a suivi. Bref, maman voulait voir Venise et papa l’a emmenée à Klaïpeda, un port de Lituanie, où il avait un cousin docker, et pendant quatre semaines ils ont déchargé les sacs d’un bateau.

 

22 Thoughts on “L’été où maman a eu les yeux verts -Tatiana Tibuléac

  1. Je le note de nouveau…

    • Comme toi, il me faut parfois plusieurs rappels pour noter un livre. J’insiste je pense que ce roman te conviendra (mais que savons nous exactement des goûts de ceux et surtout celles qui écrivent les blogs que nous suivons ?)

  2. Que 4 étoiles ??!! (je plaisante..) Ravie que cette découverte ait été fructueuse, j’ai adoré ce roman, tu as raison, l’écriture de l’auteure est vraiment singulière et frappante.
    Je viens de terminer un autre de ses titres (Le jardin de verre) et on y retrouve cette narration un peu éclatée, et cette écriture qui investit le lecteur, et le bouscule…

    • parfois j’aimerais arrêter cette distribution e coquillages … mais quelque chose m’a retenue de lui en mettre 5. sans doute parce que je n’ai pas bien compris la violence dans laquelle s’enferme le personnage principal. Mais j’ai beaucoup aimé le cheminement vers une forme d’apaisement. Et l’écriture est plus bluffante que complètement séduisante (à mon goüt)

  3. keisha on 8 mars 2021 at 10:43 said:

    Un livre dont j’ai entendu parler (chez toi? chez inganmic?) bon tout dépend des biblis!

  4. Mais non il n’y a pas obligation de présenter des nouveautés, c’est parfait… Merci beaucoup pour ta participation.

    • j’ai toujours un peu de retard mais je finis par lire les romans que vous recommandez pendant ce mois consacré à ces lectures.C’est vraiment un roman étonnant et d’un style très particulier.

  5. J’ai repéré le nom de l’auteur chez Passage à l’Est ainsi que ses deux romans traduits
    tu mets 4 coquillages ce qui m’incite à le noter effectivement

    • j’ai explique pourquoi pas 5 coquillages. Face à cette boule de violence j’aurais aimé plus d’explication sur son enfance. Mais le style est vraiment étonnant dans un sens positif.

  6. Une histoire qui semble puissante et devrait me plaire. Je note.

  7. Je l’avais déjà noté chez Inganmmic, je surligne ; même si l’aspect très noir me fait un peu peur.

  8. La littérature roumaine réserve souvent de belles surprises, celui-ci semble ne pas déroger à la règle.

  9. Comme le mentionne Goran, nul besoin de chroniquer un livre qui n’a encore jamais été lu. Au contraire, c’est très intéressant de voir que des livres se « balladent » d’une année sur l’autre :-).
    Je suis très heureux que cette lecture t’ait beaucoup plu. Je comprends ce que tu veux dire quand tu nous dis que tu aurais voulu noter de nombreux passages. J’ai lu « Le jardin de verre » de la même auteure, qui m’avait laissé une telle bonne impression (mais la tristesse était également bien là).
    Merci pour cette jolie participation !

    • Tu as raison , l’important c’est de faire balader les livres que l’on apprécie d’un blog à l’autre. En tout cas merci pour ce mois de mars.
      PS j’ai vérifié « balade » et ballade », car je confonds toujours ces deux mots, dans ton commentaire on peut comprendre qu’en se baladant les livres nous chante une bien jolie ballade!

  10. Merci pour cette suggestion ! J’avais aussi noté ce titre l’année dernière. Je vais tenter de le lire cette fois ci … J’ai lu tous les extraits ! J’aime beaucoup celui sur les villages français, qui m’a fait sourire. Tous les étés, je traverse un village qui organise « la fête de la tomate farcie » … Rien à voir avec le thème du livre, mais ça m’a fait sourire …

    • la tomate farcie … pas mal! à coté de chez moi il y a la fête de la moule!
      Ce roman tient dans son écriture et c’est agréable de découvrir une écriture.

  11. Il a l’air poignant ce livre

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