Édition Charleston. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Bourgeois

Encore un livre sur mon Kindle qui a bien rempli sa fonction de me faire oublier tous ces fils multicolores auxquels j’ai été reliée une petite semaine l’été dernier. Je ne peux que vous recommander cette lecture, cette auteure vous permettra de revivre le martyre du peuple coréen colonisé par le Japon.
Le roman commence en Corée dans une famille qui héberge et nourrit des pêcheurs. Ce n’est pas la richesse mais grâce au travail harassant du couple, ils y arrivent. Plusieurs malheurs vont s’abattre sur cette famille, d’abord la mort du mari puis la grossesse non désirée de leur fille unique qui s’est laissé abuser par un riche Coréen habitant au Japon. Heureusement elle trouvera un homme qui veut bien l’épouser et toute la famille partira vivre au Japon qui est alors la puissance coloniale dominant la Corée.
La deuxième partie du roman raconte le sort des Coréens au Japon. Pendant la guerre, ils sont considérés comme des « sous-hommes » et après, ils sont l’objet de toutes les discriminations habituelles dans un pays qui est en proie au racisme et au mépris pour tout ce qui n’est pas japonais. La famille va s’en sortir grâce au travail incroyable des femmes et on l’apprendra plus tard grâce aussi, à la protection du riche Coréen qui est le père biologique du premier enfant du personnage principal. C’est aussi un mafieux très puissant qui lui ne craint pas d’affronter les Japonais.
Le roman est passionnant. Suivre le destin de cette famille est un voyage qui m’a tenue en haleine jusqu’au bout. J’ai beaucoup aimé me plonger ainsi dans la culture coréenne en particulier la cuisine qui semble délicieuse. L’image du Japon ne sort pas grandi, pendant et avant la deuxième guerre mondiale c’était une puissance coloniale barbare pour les populations sous son joug et ensuite ce pays est apparu comme victime de la bombe atomique et n’a pas fait le même travail de mémoire que l’Allemagne. Et donc, a gardé des aspects contestables de sa civilisation, en particulier le mépris voire le racisme envers les Coréens.

Citations

Le destin de femmes

Évidemment ! Sunja-ya, le destin d’une femme est de travailler et de souffrir. Souffrir, et souffrir encore. Mieux vaut t’y attendre dès maintenant, tu sais. Tu grandis, alors il faut bien te prévenir. Ta vie va dépendre de l’homme que tu vas épouser. Avec un bon mari, tu auras une vie correcte, mais avec un homme mauvais, c’est la malédiction assurée. Dans tous les cas, il y aura de la douleur. Prépare-toi à souffrir et continue de travailler dur. Personne ne prendra soin d’une pauvre femme : on ne peut compter que sur soi-même.

 

Le deuil

Shin adressa un sourire faible au jeune pasteur. Cinq ans plus tôt, le choléra avait emporté quatre de ses enfants ainsi que sa femme et, depuis, il avait compris qu’il ne pouvait plus parler du deuil – tout ce qu’une personne pouvait lui dire à ce sujet lui semblait désormais ridiculement sentimental et insensé. Avant de les perdre, il
n’avait jamais fait l’expérience de la douleur de cette manière, pas vraiment. Ce qu’il avait appris de Dieu et de la théologie lui avait paru plus concret après sa tragédie personnelle. Sa foi n’en avait pas été ébranlée, mais son tempérament avait changé pour toujours. Comme si une pièce chauffée s’était refroidie d’un coup.

La vertu de la femme

Pour autant, nous devons préserver ta vertu – elle est plus précieuse que ton argent. Ton corps est un temple sacré où repose le Saint-Esprit. Les inquiétudes de ton frère sont légitimes. La foi mise de côté, et pour parler avec pragmatisme : si tu devais te marier, ta pureté et ta réputation seraient essentielles. Le monde juge sévèrement une fille pour son inconvenance – même lorsqu’il s’agit d’un accident. C’est terrible, mais c’est ainsi

L’après guerre au Japon

Tous ces gens – les Japonais et les Coréens – sont dans la merde parce qu’ils pensent en termes de groupe. Mais je vais te dire la vérité : un leader bienveillant, ça n’existe pas. Je te protège parce que tu travailles pour moi.
Quant à tous ces partis de Coréens, il faut que tu te souviennes qu’au bout du compte, les dirigeants ne sont que des hommes, ce qui ne les rend pas plus intelligents que des porcs. Et les porcs, on les bouffe. Tu as vécu dans une ferme qui vendait des patates douces à des prix indécents aux Japonais affamés par la guerre. Tamagushi a violé les régulations gouvernementales, et je l’ai aidé, parce qu’il voulait faire de l’argent, et moi aussi. Il se voit probablement comme un Japonais respectable, honorable même, plein d’une fierté nationaliste – comme tous, pas vrai ? La vérité, c’est qu’il fait un très mauvais Japonais, mais un homme d’affaires avisé. Je ne suis pas un bon Coréen, et je ne suis pas japonais.

Le patriotisme

Le patriotisme n’est qu’un principe, comme le capitalisme, ou le communisme. Mais les principes font oublier aux hommes leurs propres intérêts. Et les types au pouvoir exploiteront toujours les hommes qui croient trop en leurs principes. Tu ne peux pas réparer la Corée. Des centaines d’hommes comme toi et des centaines d’hommes
comme moi ne suffiraient pas à la remettre sur pied. Les Japs sont partis, et maintenant la Russie, la Chine et les États-Unis se disputent notre petit pays de merde. Tu crois que tu peux rivaliser avec eux ? Oublie la Corée.
Concentre-toi sur ce que tu peux avoir. Tu veux l’épouse ? Parfait. Tu n’as qu’à te débarrasser du mari, ou attendre qu’il crève. Ça, c’est quelque chose que tu peux maîtriser.

 

Le savoir

Absorbe tout le savoir que tu pourras. Remplis ton cerveau de connaissances – c’est la seule forme de pouvoir que personne ne pourra jamais te reprendre. 

 

Édition folio poche . Traduit du tchèque par Barbora Faure.

Coucou Athalie, tu m’avais bien tentée avec ce roman, et je te remercie de me l’avoir fait lire. C’est une petite merveille ce livre de souvenirs d’un enfant tchèque de père juif et de mère chrétienne qui connaît une enfance aimée et riche en évènements avant la guerre, traverse les horreurs de la guerre et se reconstruit sous le communisme.
Raconté comme cela, vous pensez qu’il s’agit « encore » d’un roman sur la tragédie de la Shoa , mais pensez au titre ! Ce livre raconte la passion de cet enfant pour les rivières et les poissons et nous fait connaître son père Léo un personnage auquel rien ne résiste. Enfin presque . Dès la dédicace du livre le ton est donné et mon sourire était sur mes lèvres :

À ma maman

qui avait mon papa pour mari.

C’est vrai qu’il est un peu encombrant ce Léo , toujours prêt à gagner des millions et devenir très très riche. Seulement voilà, la vie est faite d’imprévus surtout quand on aime les jolies femmes, offrir des tournées à tous ses amis dans les bars, et surtout aller pêcher la carpe dans des endroits merveilleux plutôt que de vendre des aspirateurs. Pourtant cela avait bien commencé avec le titre de « Meilleur Vendeur du Monde » d’aspirateur Electrolux. La vie auprès de lui, pouvait être compliquée, elle n’était jamais ennuyeuse, il a fallu le nazisme pour ralentir sa fougue. Après la guerre, il s’enthousiasme pour le communisme jusqu’à ces terribles procès qui lui assène une si triste réalité :

Pour la première et la dernière fois de sa vie, il s’est blotti entre me bras comme le font les enfants. J’étais déjà un homme. Je le tenais dans mes bras et je regardais par-dessus sa tête ce « Rudé Oarvo » où il avait coché au crayon rouge

  • Rudolf Slansky, d’origine juive
  • Bedrich Germinder, d’origine juive
  • Ludvick Frejka, d’origine juive
  • Bedrich Reicin, d’origine juive
  • Rudolf Margolieus, d’origine juive

La série de Juifs continuait et elle était toute maculée de larmes. Lorsqu’il se fut calmé, il me regarda d’un air absent, comme s’il ne me reconnaissait pas et dit :

-Ils se remettent à tuer les Juifs. Ils ont de nouveau besoin d’un bouc émissaire.

Puis il se leva, il donna un coup dans ce ‘Rué Pravo » et il se mit à crier :

-Je pardonne les meurtres. Même judiciaires. Même politiques. Mais dans ce « Rudé Pravo » communiste, on ne devrait jamais voir « d’origine juive » ! Des communistes, et ils classent les gens en Juifs et non-juifs !

Ota Pavel a connu lui, aussi les affres de la dépression, mais grâce à tous ses souvenirs de pêches dans des endroits merveilleux, il a réussi à se reconstruire et il nous a laissé un livre qui nous fait sourire et aimer la vie. Son humour et sa pudeur en font un grand écrivain.
Bravo à cet auteur .

Citations

Que disent nos féministes ?

Vous ne peignez pas de femmes ? 
– Vous savez, mon petit bonhomme, je ne les apprécie pas tellement, vos bonnes femmes. Elles m’énervent terriblement. Quand elles posent pour se faire peindre, elles sont affreusement bavardes et quand elles se taisent, alors elles sont tout à fait fadasses.

Le talent de son père

Pour la firme Electrolux l’arrivée de papa fut une grande aubaine. Il s’avéra rapidement qu’il était un prodige en ce qui concerne la vente d’aspirateurs et de réfrigérateurs. Difficile de dire à quoi cela tenait, mais il était génial dans ce domaine et si le talent est déjà mal aisé à reconnaître chez les génies artistique, il est d’autant plus quand il s’agit de vendre des aspirateurs à poussière (…). Il était parvenu à faire acquérir des aspirateurs à des paysans de Nesuchyne où il n’y avait pas encore de courant électrique moi. Bien entendu, il leur avait promis qu’il allait les aider à faire venir l’électricité, mais il ne tint pas sa promesse. 

La pudeur du récit

Un autre homme heureux était le professeur Nechleba. Il s’était remis à peindre sa Lucrèce. Un jour, quelques années plus tard, papa vint le voir et lui dit à quel point il la trouvait belle, et le professeur, tout joyeux la lui donna. Pendant la guerre, un SS saoul, blond aux yeux bleus, l’arracha de notre mur et la fendit d’un coup de poignard, la tuant somme toute pour la deuxième fois. Ce jour-là papa en eut les larmes aux yeux car il avait depuis longtemps oubliée Mme Irma et il était secrètement amoureux de Lucrèce.

La guerre

À cette époque la chair grasse et goûteuse des carpes nous était indispensable, pour nous, comme pour le troc. Pour les échanger contre de la farine, du pain et les cigarettes pour maman. J’étais resté seul avec maman, les autres étaient en camp de concentration. Je ne connaissais pas encore très bien les carpes. Je devais apprendre à voire si elles étaient de bonne ou de mauvaise humeur, si elles avaient faim ou au contraire repues et si elles avaient envie de jouer. Je devais connaître leur lieu de passage et les endroits où il était vain de les attendre. Je te les prête une canne solide et court, une ligne, un bouchon et un hameçon. 

L’antisémitisme après la guerre

Ce monsieur commença à lui faire la cour et au milieu de la danse, il lui dit :
– Vous êtes tellement belle, en la mangeant des yeux. 
Maman sourit, quelle femme n’aurait pas été flatté ?
 Et alors ce beau monsieur ajouta :.
– Mais je voudrais savoir, qu’est-ce que vous avez de commun avec ce juif ? 
-Trois enfants, répondit maman qui termina la danse et revint s’asseoir auprès de papa.

 

 

Édition La table ronde . Traduit de l’Anglais par Christiane Armandet et Anne Bruneau

 

C’est sans doute pendant le mois anglais que j’ai vu le nom de cette auteure, je sais que Keisha et Katel l’apprécient. Si vous ne connaissez pas ce roman, je vous remets le sujet en tête : trois femmes britanniques très différentes sont volontaires pendant la deuxième guerre mondiale pour travailler dans une ferme. En effet, la mobilisation de jeunes hommes anglais privent l’agriculture de bras précieux. Elles sont très différentes et pourtant toutes les trois auront une aventure sexuelle avec le fils du fermier : Joe, réformé pour asthme. Prue, la jeune coiffeuse se lance immédiatement dans la séduction de Joe pourtant fiancé officiellement à Janet qui travaille dans une ville éloignée . Ag ne va utiliser les services de Joe que pour se débarrasser de sa virginité qui l’encombre, avant de pouvoir se lancer dans l’aventure amoureuse avec son collègue professeur à Cambridge Eliel. Stella est passionnément amoureuse d’un bel officier de la marine britannique Philip qu’elle n’a rencontré que trois fois. Lorsque son rêve rencontrera la réalité elle sera déçue et vers qui ses regards se tourneront ? et oui Joe, et ils finiront par s’aimer.

J’avoue ne pas avoir été enthousiaste par ce roman qui se centre trop les amours des uns et des autres, mais il est sauvé par la toile de fond : la guerre 39/45 sur le sol anglais.

 

Citations

Genre de remarques qui me fait aimer les romans anglais

Des années auparavant, sans s’extraire de sa somnolence, elle lui aurait réclamer un baiser. Il se serait exécuté et en aurait été remercié d’un sourire en sommeiller. À proprement parler, et tu dis tu n’avais pas souri depuis des années. Pas de bonheur. La seule chose qui faisait briller ses yeux, c’était le triomphe. Triompher de ses voisins, ses clients. Triompher de n’importe qui, et de Ratty lui-même. Il se demandait ce qui avait si vite transformer une jeune fille insouciante en une vieille femme revêche. Rien que Ratty pût clairement identifié, il faisait ce qu’il pouvait pour la satisfaire. Mais il avait appris que le mariage était une drôle d’affaire. À l’époque -jeune homme tout fou- il ne savait pas dans quoi il se lancer. Et il n’avait jamais envisagé d’abandonner sa stérile embarcation. Il avait fait des promesses au Seigneur et il ne Les romprait pas.

Deux conceptions de l’amour

Je suis si désespérément romantique que la seule idée de l’amour me suffit presque, bien que je sache, au fond de mon cœur, que l’essentiel n’est que chimère et que je serai déçue. Je le suis presque toujours. Et cette fois avec Philippe, je crois que c’est différent. 
-Je croiserai les doigts, dit Prue. Moi je ne marche pas dans tout ces romans fleur bleue. Surtout pas quand il y a une guerre, pas de temps à perdre,. Se déshabiller aussi vite que possible, voilà ma devise, avant que ces pauvres diables ne soient tués. Un peu de plaisir rapide, puis au suivant. À la fin de la guerre, quand nous serons tous un peu plus vieux et plus sage, il sera temps de chercher un mari. C’est là qu’un millionnaire sans méfiance sera le bienvenu. En attendant, je prends mon plaisir là où je le trouve.

 

Édition Acte Sud , traduit du néerlandais (Belgique) par Philippe Noble.

 

J’ai suivi pour cette lecture une de mes tentatrices habituelle : Keisha ! Mais me voilà bien ennuyée car ce petit livre m’a mise en colère. Comme Keisha le destin de ce petit territoire le village de Moresnet, capitale mondiale pendant un siècle de l’extraction du Zinc et qui fut aussi un « pays neutre » ni allemand, ni néerlandais ni belge m’intriguait.

Si vous avez, vous aussi cette curiosité, lisez l’article de Wipédia vous en saurez beaucoup plus , mais ma colère ne vient pas de là , sauf que quand même dans un livre de 60 pages cela prend beaucoup de place pour ce qui me semble être seulement de l’information. Keisha m’a répondu : oui … mais dans le roman, il y a Emil . Pour vous économiser l’achat de ce livre je vous livre la phrase de la quatrième de couverture et vous saurez tout :

Emil Rixen . Né en 1903, cet homme ordinaire changera cinq fois de nationalité sans jamais traverser de frontières : « Ce sont les frontières qui l’ont traversé ».

Avouez que là aussi on se dit voilà un destin intéressant, mais l’auteur n’a pas su nous rendre la vie du personnage intéressant. Il lui a manqué soit un talent romanesque pour faire vivre ce Emil, soit il a voulu rester si près de sa source sans rien déformer qu’il n’a pas pu en dire plus. Peu importe ma frustration était là, et j’ai regretté les huit euros cinquante ( le prix du livre que je veux bien envoyé à qui veut tenter cette expérience du vide !)

Citation

 

Une déclaration prémonitoire sur le contenu du livre

Mais depuis le temps, j’ai appris que les dernières années d’un être humain ne nous apprennent pas grand-chose de sa vie antérieure. De paisibles vieillards peuvent s’avérer avoir été, durant des décennies, de sinistres individus. Avec le temps, de joyeux drilles sont souvent de vieux grincheux. Et un suicide vient parfois mettre un terme à une vie pleine d’exubérance. 

Édition Pocket

Le bandeau me promettait une lecture inoubliable et un roman qui a connu un énorme succès. Même « la souris jaune » en avait dit beaucoup de bien, je dis même car il est très rare que je trouve chez elle des livres à grand succès. Je l’avais remarqué chez « Sur mes brizées« . J’ai été beaucoup plus réservée qu’elles deux. Je trouve que la première partie sur la montée du nazisme en Autriche est bien raconté mais je crois que j’ai tellement lu sur ce sujet que je deviens difficile. Il y a un aspect qui a retenu mon attention, c’est à quel point les Autrichiens ont été parfois pires que les Allemands dans le traitement des juifs. Ils n’ont pourtant été que peu jugés après la guerre pour ces faits. On comprend bien la difficulté de s’exiler, même quand l’étau antisémite se resserre, la famille que nous allons suivre a beaucoup de mal à laisser derrière elle leurs parents âgés et ils espèrent toujours au fond d’eux que cette folie va s’arrêter. Quand ils se décideront à partir au tout dernier moment, les frontières se sont refermées et les pays n’accueilleront plus les juifs. Ils passent donc un moment en Suisse dans un camp assez sinistre. Ils iront finalement dans le seul pays qui a accepté de recevoir des juifs : La République Dominicaine. C’est toute l’originalité du destin de ces juifs qui ont été accueillis dans ce pays si loin de leurs traditions autrichiennes. Dans ce gros roman l’auteure décrit avec force détails l’installation de ces intellectuels dans un kibboutz où chacun doit cultiver, élever les animaux, construire une ferme dans le seul pays qui a accepté officiellement d’accueillir jusqu’à la fin de la guerre des juifs chassés de partout. Nous voyons ces Autrichiens ou Allemands tous intellectuels de bons niveaux s’essayer aux tâches agricoles et de faire vivre un kibboutz et ensuite la difficulté de se reconstruire avec des origines marquées par la Shoa . Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas entièrement adhéré à ce roman. Je n’avais qu’une envie le de finir sans jamais m’intéresser vraiment à ces personnages.

 

Citations

 

Beau rapport père fils

Je ne pus retenir un soupir de soulagement : finalement il n’y avait eu ni affrontement ni querelle. Je lus dans les encouragements de mon père une grande ouverture d’esprit et une tolérance que je ne soupçonnais pas. Ses yeux perçants souriaient et je sentis une puissante vague d’amour déferler et m’envelopper tout entier. Je savais quel renoncement et quels regrets c’était pour lui. J’étais fier de mon père. Il m’aimait. Je ne le décevrais pas.

Vienne

Je ne me sentais pas juif, mais simplement et profondément autrichien. J’étais né dans cette ville, comme mon père et ma mère avant moi. C’était mon univers, dans lequel je me sentais en confiance et en sécurité, et qui devait durer éternellement. L’Autriche était ma patrie, et être juif n’avait pas plus d’importance qu’être né brun ou blond. Bien sûr nous étions juifs, mais notre origine ne se manifestait guère plus qu’une fois par an le jour du grand Pardon, quand mon père s’abstenait de fumer ou de se déplacer, plus pour ne pas blesser les autres dans leurs sentiments que par convention conviction religieuse.

Vienne et ses juifs

Malgré les signaux d’alerte qui ne cessaient de se multiplier, nous nous raisonnions : nous étions si nombreux, quelques 180000 rien qu’à Vienne, et tant de juifs occupaient des positions clés dans l’économie et la culture. Nous étions héros de guerre, artistes, scientifiques, universitaires, médecins, notre pays ne pouvait se passer de nous.

 

 

 

 Édition Seuil arte édition

Merci à Keisha de m’avoir fait découvrir ce livre que j’ai beaucoup, beaucoup aimé.

Ce livre est passionnant à plus d’un titre. Ce qui a guidé le projet de cette auteure est certainement le besoin de retrouver les traces des enfants juifs disparus qui habitaient pendant la guerre au 209 rue Saint-Maur. C’est la partie essentielle de ses recherches, mais cela l’a entraînée à en savoir plus sur cet immeuble qui avant la « gentrification » des quartiers populaires de Paris était habité par des ouvriers et des gens à peine sortis de la pauvreté. C’est le second intérêt de cet essai : un peu à la Perec et « la vie mode d’emploi », elle va retrouver les habitants qui se sont succédés dans un même immeuble et les rendre vivants. Le passage sur la commune est passionnant, bien sûr dans les année 30, cet immeuble abritera les plus pauvres donc des juifs qui fuient les persécutions nazies. L’auteure a recherché les descendants de ces familles détruites et les a retrouvés. C’est donc aussi un livre sur la mémoire, celle de ces enfants de plus de 80 ans qui avaient surtout voulu oublier. Oublier « pour ne plus être en colère » comme le dit un des enfants. Oublier pour construire une vie sans ces images si lourdes à porter. La mémoire de l’auteure, descendante de la shoah, l’aide à très bien comprendre les blocages qui empêchent les survivants ou leur descendants de parler . Comme le dit le sous-titre, elle cherche à faire l’autobiographie de cet immeuble, et c’est ainsi qu’elle arrivera à faire parler ceux qui y ont vécu et à nous rendre vivant leur existence à deux trois ou quatre dans une seule pièce. Avec l’eau et les WC à tous les étages. En dessinant leur intérieur, des noms et des souvenirs reviennent. Et après ? après la guerre, les logements ne sont pas restés vides, c’est une autre population qui est arrivée, ouvrière et souvent communiste, étrangère parfois , algérienne et portugaise ces gens se sentaient soudés par le même statut social. Et puis, dans les années 80, l’immeuble a été racheté par des gens plus riches qui ont réunis les petits appartement pour en faire des logements agréables à vivre.

Ma seule difficulté a été de ne pas mélanger tous les noms des personnes dont elle suit les histoires. Un beau travail, passionnant et qui en apprend beaucoup sur un Paris des gens simples qui, s’ils ne font pas l’histoire, la subisse sans pouvoir, hélas, se défendre .

J’ai trouvé sur Youtube le documentaire de Ruth Zylberman qu’elle a réalisé avant d’écrire cet essai dont le sujet est plus large que les « enfants du 209 car il s’intéresse à l’immeuble de sa construction à nos jours.

https://www.youtube.com/watch?v=RkXCtFHQBZM

Citations

J’adore la phrase sur la baignoire

Car depuis la commune, il n’y a pas eu à Paris cette expérience radical de la ruine. Comme se souvenait le polonais Czeslaw Milosz décrivant Varsovie après 1945 :  » L’homme s’arrête devant une maison coupée en deux par une bombe. L’intimité des logis humain est là, béante, les odeurs de famille s’évaporent avec la chaleur de ces cellules d’abeilles, tranchées et ouvertes à la vue du public la maison elle-même n’est plus un rocher ; c’est du plâtre, du ciment, des briques et des poutres ; et, au troisième étage, solitaire , accessible aux anges seuls, une baignoire blanche est suspendue, d’où la pluie va laver tous les souvenirs de ceux qui s’y sont lavés.  » Non, à Paris, pour l’essentiel, les pierres demeurent, la façade, comme une peau régulièrement ravalée, protège la course heurtée, la chute parfois, des vies qui se dérobent.

L’ambiance de l’immeuble avant la guerre

À écouter Odette, c’est tout un monde, où se mélangeait le français et le yiddish, qui ressuscite. Ma mère comme souvent les femmes, ne parlait que très mal le français parce qu’elle restait à la maison. Mon père par contre se débrouillait pas mal, il était plus en contact avec les Français, au travail par exemple. Ma mère parlait une sorte de « franish » qui nous faisait beaucoup rire. Par exemple, quand on descendait en courant les escaliers avec mes frères, ce que nous faisions très souvent, elle criait  » Tombe nicht in escaliers ».

Souvenir d’un enfant du 209 déporté

Pour Albert, parler c’est dénoncer un système qui l’a condamné à mort. Au camp de Buchenwald, Albert a été sauvé par les communistes. Il l’est longtemps resté après la guerre. Sa tragédie personnelle, ils veut la transmettre dans sa dimension collective, politique, universelle. « Plus jamais ça » n’est pas pour lui un mantra vide de signification, c’est une raison de vivre et c’est bien pour ça qu’il a accepté de me recevoir malgré la fatigue et la maladie.

J’aime beaucoup les plongées dans l’histoire du Paris populaire.

Comment a-t-on réagi rue Saint-Maur, quelques mois plus tard, en apprenant que dans la nuit du 17 au 18 mars, le chef de gouvernement, Adolphe Thiers, a envoyé des troupes à Montmartre pour en faire retirer les canons de la garde nationale, ces mêmes canons que les Parisiens avaient eux-mêmes payés par souscription ? Il a dû en être rue Saint-Maur comme dans tous l’est de Paris : le tocsin sonne, la garde nationale fédérée accourt au secours des Montmartrois, la troupe fraternise avec le peuple. C’est le début de l’insurrection.

La façon dont l’auteure rend vivant les acteurs du passé

J’attrape les éclats surgis de ces quelques lignes  : le portrait du tout jeune Ernest Badin , apprenti de l’atelier du 209 désormais fermé, sans argent, aux abois, attiré par la solde, si minime soit-elle, par l’uniforme et aussi par l’aventure que devait représenter ces barricades à portée de main, épaulé par son compagnon de travail, Payer, plus âgé de quelques années ; la blessure de Payer, sa course d’une barricade à l’autre, autour de Saint-Maur, et cette phrase où résonne la certitude de la défaite  :  » je préférais être tué dans la rue que d’être tué chez moi ».

Le travail de l’historienne

Une fois de plus, je suis naïvement fascinée par cet instant où, sous l’effet de la recherche ou du hasard, un nom commence à prendre vie, à se métamorphoser en une impressionnante ramification d’autres noms, de trajectoire, de détails qui sont autant de bornes me guidant vers l’envers du présent.

Être juif en 1941

Sait- elle que dès mai 1941 , presque tous les hommes étrangers juifs de l’immeuble ont reçu un billet vert les « invitant » à se présenter pour examen de leur situation ? A-t-elle alors entendu les hésitations, les raisonnements, les hypothèses sans doute déployées par les locataires convoqués qui ne savent pas s’il faut ou non « se présenter » ? Elle ne se souvient pas qu’Abel, son père, ait reçu cette convocation. Ce fut pourtant le cas et il a visiblement fait le choix de ne pas se rendre au commissariat. Le père d’Albert Baum, son oncle Isaak Goura, n’y sont pas allés non plus. Imaginaient-ils ce que risquaient ceux qui s’y sont présentés le 14 mai 1941 à 7h du matin

Derrière moi

« J’ai laissé tout ça loin derrière moi. Je m’efforce de ne pas me souvenir car si j’oublie je suis heureux. Si je me souviens, la colère monte en moi. Quand vous êtes en colère, vous êtes le seul à souffrir, donc je suis heureux quand je ne suis pas en colère, quand je ne me souviens pas. »

 

Édition Gallimard NRF

Un roman pudique qui exprime pourtant si bien la violence, la solitude, la peur, l’amour et surtout la force de la musique. On est loin des six cent pages obligatoires du moindre roman américain et pourtant, je suis certaine que ce texte restera dans ma mémoire autant par l’ambiance que ce romancier a su créer que par la force de l’histoire. C’est la deuxième fois que je rencontre ce romancier, je me souviens avoir déjà beaucoup aimé « Une langue venue d’ailleurs » .
Le récit commence par une scène de terreur. En 1938, au Japon, un groupe de quatre musiciens amateurs se réunit pour répéter Rosamunde de Schubert. Mais ils sont interrompus par un militaire qui les soupçonne de communisme . Le père du narrateur a juste le temps de cacher son fils dans une armoire avant d’être brutalisé par ce soldat qui va les arrêter tous les quatre , d’autant plus furieux que trois d’entre eux sont Chinois. L’enfant caché verra toute la scène, en particulier le soldat qui écrase de son pied botté, le violon de son père. Ensuite le roman passe quelques décennies et Rei l’enfant est devenu adulte, il est luthier et a épousé une archetière (un mot que ce roman a rajouté à mon vocabulaire). Nous apprendrons que cet enfant a été élevé par un couple de français ami de son père qui lui, a disparu dans les geôles de l’empire du Japon pendant la guerre. Le roman permet de retrouver les protagonistes ou leurs descendants de la scène initiale. C’est aussi un roman sur la musique, le travail du luthier, sur la langue japonaise. Rie a réussi à reconstruire le violon de son père, je ne peux sans divulgâcher la fin du récit, vous dire quelle virtuose jouera sur cet instrument de facture française. Je connaissais la tradition de luthiers de Richemont, petite ville des Vosges, mais je ne savais pas que, sans dépasser la tradition de Crémone, Richemont a donné des violons d’une qualité très recherchée, encore aujourd’hui. le père de Rei possède un Jean-Baptise Vuillaume.

Si je mets 5 coquillages à ce roman, c’est que j’aime tout dans la façon de raconter de Akira MIZUBAYASHI en particulier sa pudeur, son élégance et son goût pour la langue aussi bien japonaise que française.(Il écrit en français !)

 

 

Citations

 

Destruction du violon

Emporté par la haine féroce, il balança le violon par terre de toutes ses forces et l’écrasa de ses lourdes bottes de cuir. L’instrument à corde, brisée, aplati, réduit en morceaux, poussa d’étranges cris d’agonie qu’aucun animal mourant n’eût émis dans la forêt des chasseurs impitoyables.

Rei avait assisté, par le trou de la serrure, à toute cette scène insoutenable sans pouvoir suffisamment saisir les échanges entre son père et le militaire. Il était retourné par la violence que son père subissait. Pétrifié de peur, recroquevillé sur lui-même, dévasté par son impuissance d’enfant, il se morfondait dans l’obscurité de sa cachette. Seul vibrait au fond de son conduit auditif la monstruosité du mot « Hikokumin* »et les sons événements, plaintifs et dissonants du violon mourant de son père.
Hikokumin : antipatriote

Scène initiale

Plusieurs longues secondes passent. Je ne sais ce qu’il fait, le corps ne bouge pas d’un pouce. J’ai peur. Instinctivement, je ferme les yeux. Le silence persiste. Je rouvre les yeux à moitié. Il se penche alors lentement, très lentement, comme s’il hésitait, comme s’il n’était pas sûr de ce qu’il faisait. Une tête d’homme, coiffé d’un képi de la même couleur que l’uniforme, apparaît devant mes yeux. À contre-jour, elle est voilée d’une ombre épaisse. Du bord du képi descend par derrière jusqu’aux épaules une pièce d’étoffe également kaki. Les yeux seuls brillent comme ceux d’une chatte qui guette dans les ténèbres. Mes yeux, maintenant grands ouverts, rencontrent les siens. Je crois pouvoir reconnaître un discret sourire qui s’esquisse et qui se répand autour des yeux. Qu’est-ce qu’il va faire ? Il va me faire mal ? Il va me sortir de force de cette cachette ? Je me blottis davantage sur moi-même. Soudain, il se penche de côté et se baisse un peu, puis il se relève aussitôt avec, dans la main, le violon abîmé qu’il a posé sans doute, il y a quelques instants, sur le banc juste à côté de l’armoire où je suis réfugié.

Le thème de Rosamunde

Le thème que je vais jouer est d’après moi l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond avec l’enfance peut-être, un monde en tout cas paisible et serein, plus harmonieux que celui d’aujourd’hui dans sa laideur et sa violence. En revanche, j’entends le motif présenté par l’alto et le violoncelle « tâ…. takatakata……., tâ…. takatakata… », comme la présence obstinée de la menace prête à envahir la vie apparemment sans trouble. La mélodie introduite par Kang-san traduit l’angoissante tristesse qui gît au fond de notre cœur.

Le travail du Luthier

Le vieil homme était en tablier bleu marine recouvert, de-ci de-là, de quelques copeaux fins. Il retourna à son établi tout en longueur où se trouvait, à côté d’un violoncelle détablé et en restauration, un violon ou un alto en cours de fabrication dans son état de bois brut non vernis. L’instrument n’avait encore ni manche ni touche, mais son corps échancré était achevé, toutes ses parties constitutives bien assemblées, minutieusement montées. L’homme au tablier bleu marine contemplait son objet d’un air satisfait, en le tenant de la main gauche. Les ouïes lui firent penser comme souvent au long yeux bridés d’un masque japonais « Okame ». Elles transformaient alors la surface de la table d’harmonie gracieusement bombées en un visage de femme souriant et rayonnant. Sur le mur, en face de lui, étaient accrochés une variété incroyable d’outils de menuiserie et de lutherie. Plus haut, on voyait un diplôme encadré, celui de la « Cremona Scuola Internazionale di Liuteria ». Au bout de quelques minutes, ses yeux quittèrent son enfant encore à l’état de fœtus pour se porter sur les nombreux instrument à cordes verticalement accrochés à une planche en bois d’une dizaine de mètres qui, juste au-dessous du plafond, allait horizontalement d’une extrémité à l’autre de tout le mur peint en blanc. Il tourna sa chaise en direction de sa collection de violon et alto parfaitement alignés.

Sa femme est archetière

Hélène avait été frappée par le métier d’archetier, lorsqu’elle était entrée dans l’atelier d’un maître archetier. Une simple baguette en bois de pernambouc c’était transformée en un bel objet dans la courbe lui apparaissait pour la première fois -alors qu’elle avait vécu jusque-là tous les jours au contact des archets et de ses parents- sous l’aspect d’une mystérieuse beauté qui faisait penser à celle d’un navire céleste voguant sur les flots argenté des nuages. Ses parents lui avaient dit que la sonorité de leur instrument changeait sensiblement en fonction de l’archet qu’ils considéraient comme le prolongement naturel de leur bras droit.
et pour votre plaisir une des multiples version de Rosamunde

 

 

 

Édition Buchet/Chastel

Une auteure qui a un joli style tout en simplicité et pourtant, quel travail sur ses phrases ! Elles sont toutes ciselées et semblent couler de source. On reconnaît Marie-Hélène Lafon, un peu comme on reconnait Annie Ernaux. C’est une qualité que j’apprécie beaucoup : une écriture qui se reconnaît en restant simple. J’avais beaucoup aimé L’annonce, et eu plus de réserves sur Joseph . Mais ce roman m’a beaucoup plu. Il commence par une tragédie racontée de façon saisissante, la mort d’un enfant ébouillanté accidentellement par une femme qui en perdra la raison. Ensuite le roman se morcelle en suivant différents personnages. Le fil conducteur c’est ce « fils » mort de façon tragique, son jumeau suivra un parcours marqué par la collaboration et les conquêtes féminines. Il ne saura pas qu’il a eu un fils qui au contraire s’illustre par son courage de résistant pendant la guerre 39/45 . La mère de ce fils est un personnage étrange qui est en toile de fond du roman et que l’on ne comprend pas très bien. Sa plus grande sagesse a été de confier cet enfant à sa sœur et son mari qui lui donneront amour et tendresse. Comme il faut bien une fin , si ce fils n’a pas retrouvé ses racines paternelles, dans un dernier chapitre les deux familles finiront par se rejoindre.
Je n’ai pas toujours apprécié ce morcellement que Kathel appelle l’art de l’ellipse, mais ma réserve vient surtout des personnages , comme celui de la mère, pas assez approfondis. Si j’aime cette auteure, c’est pour son style et les ambiances qui règnent dans ces romans plus, sans doute, que ses histoires qu’elle suggère plus qu’elle ne les raconte.

 

Citations

J’aime le style de cet auteur

Une fois, elle lui avait demandé son âge, le vrai, et lui avait dit qu’il ressemblait beaucoup, en plus jeune, à son frère dont elle était sans nouvelles depuis octobre 1940. Il avait pensé, sans le dire, que c’était peut-être un critère discutable pour choisir un amant dans une troupe de mâles tous plus ou moins affamés et affûtés par le sentiment de vivre à la proue d’eux- mêmes.
Cette femme, Sylvia, disait ça, vivre à la proue, être affûté ; elle parlait souvent avec des images qui ne se comprenaient pas tout à fait du premier coup mais se plantaient dans l’os et y restaient.

Le catéchisme 1934

Il aime l’école le mettre la grammaire, et les autres matières, il est d’accord pour tout. Il aurait voulu suivre aussi le catéchisme avec les enfants de son âge ; mais sa mère n’y tenait pas, elle a dit, il est baptisé et ça suffit ; Hélène et Léon n’ont pas insisté et il croit comprendre que la dame du catéchisme et le curé, qu’il connaît, comme tout le monde à Figeac, ne doivent pas être très à l’aise avec les fils de pères inconnus. Inconnu est un adjectif qualificatif, il en est certain, il peut compter là-dessus, sur la grammaire. À père inconnu, fils inconnu. Ce père et lui aurait en commun un adjectif de trois syllabes dont la première est un préfixe de sens négatif et les deux suivantes un participe passé.

Édition Notabilia

 

J’ai beaucoup aimé son précédent roman « Le dernier gardien D’Ellis-Island » . J’apprécie beaucoup l’écriture de cette romancière entre poésie et narration. Elle décrit ici, le chagrin d’une mère qui n’a pas su retenir son fils Louis auprès d’elle. Mariée trop jeune avec un marin pêcheur, et veuve quelques années plus tard, elle accepte de devenir la femme du pharmacien du village qui lui promet d’aimer son fils. Hélas ! il ne saura pas être un père de substitution et il sera même violent avec Louis qui s’enfuira pour devenir marin comme son père. Rongée par la culpabilité et la souffrance Anne ne se remettra jamais de ce départ. Elle l’attend, elle ne peut plus faire que cela, même si elle remplit aussi son rôle de femme et de mère avec les enfants qu’elle a eus de son second mariage. Dans sa petite maison, proche de la grève, elle invente le festin qu’elle cuisinera pour son fils quand il lui reviendra.

À travers son chagrin, on revit la vie de cette femme simple et courageuse. Née dans une famille pauvre dans les années 1930, Anna est élevée à la paire de claques et sans amour. Elle se marie très vite et très vite a un fils Louis. Ce roman met en lumière des faits de guerre dont je n’avais jamais entendu parler : Anna est veuve pendant la guerre parce que son mari est parti pêcher alors que la Grande-Bretagne avait averti qu’elle coulerait tous les bateaux afin que l’occupant allemand ne puisse pas se nourrir des produits de la mer. Elle doit travailler à l’usine de conserves de sardines (je me suis demandée comment cette usine avait des poissons si la pêche était interdite !), elle vit la guerre dans la terreur et l’après guerre ne lui apporte que peu de joies jusqu’à l’arrivée d’Etienne qui lui déclare son amour et en fait sa femme. J’avoue avoir été très triste par la fin du roman tellement injuste ! Un beau roman dont l’écriture saisit le lecteur jusqu’à la dernière ligne.

 

Citations

Paroles de l’impossible réconfort

« Une fugue, ça arrive, vous savez, Madame, c’est un adolescent un peu difficile, dites-vous, mais il va sûrement revenir. Il est mineur, il n’a pas d’argent, où voulez-vous qu’il aille ? »
 Je n’ai pu que hocher la tête pour approuver ces paroles que j’aimerais tant croire, mais ce ne sont que les mots usés, épuisés, rapiécés, de l’impossible réconfort.

L’école pour une enfant misérable avant guerre

 On me trouvait sauvage , rebelle , alors qu un mot , un geste aurait suffi affaires céder toute cette tension qui me dévorait . J’étais lasse des moqueries des autres élèves, pour mes affaires oubliées, perdues ou cassées, pour ma blouse tachée ou déchirée, lasse des punitions. J’aimais apprendre, j’aimais lire surtout, j’aurais voulu des journées entières passées à vivre d’autres vies que la mienne, mais je haïssais l’école, tout autant que je désirais fuir un foyer ou seul des brutalité m’attendaient. Oui, fuir,mais où ?

Adolescence

Seize ans, le temps de tous les tourments, des désordres, des élans , des questions, des violences contenues qu’un mot heureux pourrait apaiser, des fragilités qui n’attendent qu’une main aimante. L’âge où tout est prêt à s’embraser, à s’envoler ou à s’abîmer. Je le sais, je suis passé par là. Les grandes marées du cœur. Louis a épousé la rage, la déception, la colère, et aussi une peine qu’il ne voulait pas s’avouer, face à tant d’inconnus qu’il découvrait en lui. Il faut du temps pour se déchiffrer à ses propres yeux. Son enfance a pris fin depuis longtemps, il ne reste une béance, celle de l’absence de son père, que je suis impuissante à combler.

Je ne savais pas cela

C’est la Royal Air Force qui avait bombardé le chalutier. Pour les Anglais, depuis le début de la guerre, depuis qu’en juin 1940 les Allemands étaient arrivés jusqu’en Bretagne, l’objectif était simple : il ne fallait pas nourrir l’ennemi. Alors, plus de pêche, ou si peu, pour affamer l’armée d’occupation. À tout prix. Londres y veillait, Churchill s’était montré intraitable. Intérêt supérieur des nations entendions nous. Les restrictions, les interdictions pleuvait sur les bateaux de pêche. Puis les avertissements, les intimidations, les menaces. Les sommations. Les tirs. Les bombes. Les mouillages de mines par les sous-marins. La guerre.

 

Édition JC Lattès, traduit de l’anglais par Freddy Michalski

Une histoire à deux voix, deux jeunesses , celle d’Odile qui a vingt ans en 1939 à Paris et Lily qui en a seize en 1988 à Froid dans le Montana. Lily rencontre Odile qui vit à Froid à l’occasion d’un exposé sur la France. Les deux vies vont se dérouler devant nos yeux. Odile réussit, grâce à l’énergie de sa jeunesse à être employée à la Bibliothèques américaine de Paris , et elle y a trouvé le bonheur au milieu des livres qu’elle aime tant. Elle est issue de la petite bourgeoisie parisienne, sa mère est prisonnière de toutes les convenances sociales, et son père, commissaire de police mène sa famille d’une main de fer. La bibliothèque est son espace de liberté dont elle a besoin pour devenir pleinement adulte. La guerre va détruire tout cela et détruira Odile en lui mettant devant les yeux ce qu’elle ne voulait pas voir. La vie de Lily est moins tragique même si elle perd sa mère trop tôt et se retrouve vivre avec une belle mère et deux petits frères aussi adorables que fatigants. Odile aidera, Lily à comprendre sa belle mère et surtout à ne pas perdre son amitié pour Mary-Louise. La solitude d’Odile loin de sa famille parisienne cache bien des drames qui ne sont révélés que peu à peu. Très vite on comprend que les juifs qui disparaissent peu à peu de l’univers de la bibliothèque vont hanter l’esprit d’Odile mais le pire est à venir et on le découvrira à travers la vie de Margaret son amie anglaise qui a réussi à rester vivre à Paris.

J’avoue ne pas avoir beaucoup apprécié cette lecture malgré l’importance donnée aux livres. Je ne crois pas aux personnages et je sens que tout l’intérêt vient du dévoilement progressif des horreurs de la guerre à Paris . Finalement le pire est une réaction de jalousie d’Odile vis à vis de Margaret. Quand j’ai lu ce roman, je me disais que lorsque les Français ont connu cette période ou que leurs descendants essaient de transcrire ce qu’ont vécu leurs aïeux, ils le font de façon beaucoup plus juste . Ici, on a le regard d’une américaine sur la France et cela se déroule comme dans un film américain où toutes les explications psychologiques sont si simples à comprendre et la réalité de la France occupée par les Nazis comme un décor pour un film à suspens.

 

 

Citations

 

L’amour d’un père dans le Montana

– Les gens sont maladroits, ils ne savent pas toujours ce qu’il faut faire ou dire. Essaie de ne pas leur en tenir rigueur. Tu ne sais jamais ce qu’ils ont dans le coeur. 

– Papa est trop souvent absent.
– Oh, quel dommage que les bébés ne gardent aucun souvenir de la manière dont ils ont été chéris. Ton papa t’a bercée dans ses bras des nuits durant.

En 1939 à Paris, dans une famille conventionnelle

Les hommes importants ont des maîtresses, poursuivit-il. C’est un symbole de statut social, comme une montre en or.
– Le divorce, avait répété maman d’une voix blanche. Mais qu’allons nous dire aux gens ?
Ma mère avait une tournure d’esprit bien à elle et sa première réaction était invariablement :  » Que vont penser les gens ? » Elle avait jeté un coup d’œil à Mgr Clément qui se tenait sur les marches de l’église. 
– C’est tout ce que tu trouves, à dire ? s’était exclamé tante Caro.
– Tu ne pourras pas assister à la messe.