lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard (thème exil)

Une femme d’origine géorgienne, Tamouna, va fêter ses 90 ans, elle a fui à 15 ans avec sa famille son pays natal en 1921. Atteinte aujourd’hui d’une maladie pulmonaire, elle ne peut vivre sans oxygène, sa vie est donc limitée à son appartement et aux visites de sa nombreuse et pétulante famille. Par bribes les souvenirs vont arriver dans son cerveau un peu embrumé. Sa petite fille qui doit ressembler très fort à Kéthévane Dawrichewi, l’oblige à regarder toutes les photos que la famille conserve pieusement. Bébia et Babou les grands parents sont là enfouis dans sa mémoire un peu effacés comme ces photos jaunies. Et puis surtout, il y a Tamaz celui qu’elle a tant aimé et qui n’a jamais réussi à la rejoindre à travers les chemins de l’exil. Ce livre m’a permis de rechercher le passé de la Géorgie qui a en effet connu 2 ans d’indépendance avant de tomber sous la main de fer de Staline. Ce n’est pas un mince problème pour un si petit pays que d’avoir le grand frère russe juste à ses frontières et encore aujourd’hui, c’est très compliqué. Mais plus que la réalité politique ce livre permet de vivre avec la minorité géorgienne en France, connaître leurs difficultés d’adaptation économiques, le succès intellectuel des petits enfants, les peurs des enfants qui attendent leur père parti combattre les soviétiques alors que la cause était déjà perdue,la honte d’avoir un oncle parti combattre l’armée russe sous l’uniforme nazi . Tous ces souvenirs sont là dans sa tête et dans cet appartement qu’elle ne quitte plus. Je suis toujours très sensible au charme de cette auteure, elle reste toujours légère même dans des sujets graves et j’ai aimé qu’elle partage avec des lecteurs français ses origines et sa famille.

Citations

Pudeur du récit

Le chien est resté en Géorgie. avec ses grands parents. Elle ne les a jamais revus. Aucun des trois. Elle ignore la date exacte de leurs morts.

Le géorgien avant 1918

Nous parlons géorgien entre nous. C’est la langue de la famille. Celle des vacances. À l’école, on doit parler le russe. C’est la règle. Le géorgien est une langue de chien, dit notre maître. Toute tentative de braver l’interdit est sévèrement punie.

Solidarité des exilés

Il vient du Maroc, il était cuisinier au palais du roi avant de venir en France, il évoque souvent l’exil et la famille qu’il a laissée derrière lui. Elle écoute, elle le force parfois à dire les mauvais traitements qu’il a subis au palais . Il le dit par bribes avec réticence. elle se reproche ensuite son insistance. elle-même ne parle jamais des raisons de son exil.

Les peurs des enfants

De nouveaux émigrés sont arrivés, mon père n’est pas revenu, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé. Il a peut-être été déporté, je crois que c’est le sort des opposante. Ou bien il est mort. Je dois te paraître cynique . Je te choque sans doute. Mais je meurs des mots que personne ne prononce.

 Je ne sais pas depuis quand ce roman était dans ma bibliothèque ni qui l’y a mis. Je n’ai pas souvenir d’avoir voulu le lire, mais c’est chose faite. Est-ce un roman ? un essai ? une autofiction ? Je ne peux pas répondre à ces questions, tout ce que je peux dire c’est que rarement un écrivain aura fait de lui-même un portrait plus déplaisant. En le lisant, je me disais : « quel est le malheur plus grand que de n’être pas aimé ?, de ne pas aimer soi-même ? » et bien j’ai trouvé la réponse « d’être aimé par un écrivain à l’esprit torturé ! ». Car ce « roman russe » raconte la vie d’Emmanuel Carrère, sa mère, son grand père russe et collaborateur des nazis, et l’amour d’ Emmanuel pour une pauvre Sophie qui doit être bien triste de l’avoir aimé. Lui qui, lorsqu’il est angoissé a de l’herpès sur le prépuce. Ne soyez pas étonné que je connaisse ce fait si important, il est dans son roman comme tant d’autres détails dont je me serai volontiers passée. Donc, on connaît tout de ses petitesses dans sa conduite amoureuse, le clou de l’ignominie c’est lorsqu’il lui offre exactement la même bague que Jean-Claude Romand avait offert à sa femme et qu’il l’emmène le soir même une adaptation de son livre « L’adversaire » qui raconte justement les meurtres de Romand. Est-ce que je rejette tout de ce livre ? je me dis qu’il lui a permis peut-être de se reconstruire en étalant ainsi les côtés les plus déséquilibrés de son être et des failles de sa famille. Je trouve aussi que la partie russe résonne assez juste, mais ce dont je suis certaine c’est que si j’avais commencé par la lecture de ce livre je n’aurais plus jamais ouvert un livre de cet auteur.

Citations

Autoportrait peu flatteur

La plupart de mes amis s’adonnent à des activités artistiques, et s’ils n’écrivent pas de livres ou ne réalisent pas de films, s’ils travaillent par exemple dans l’édition cela veut dire qu’ils dirigent une maison d’édition. Là où je suis, moi copain avec le patron, elle l’est avec la standardiste. Elle fait partie, et ses amis comme elle, de la population qui prend chaque matin le métro pour aller au bureau, qui a une carte orange, des tickets restaurants, qui envoie des CV et qui pose des congés. Je l’aime, mais je n’aime pas ses amis, je ne suis pas à l’aise dans son monde, qui est celui du salariat modeste, des gens qui disent « sur Paris » et qui partent à Marrakech avec le comité d’entreprise. J’ai bien conscience que ces jugements me jugent, et qu’ils tracent de moi un portrait déplaisant.

Jugement du principal protagoniste du film Retour à Kotelnitch

C’est bien : et ce que je trouve surtout bien, c’est que tu parles de ton grand père, de ton histoire à toi. Tu n’es pas seulement venu prendre notre malheur à nous, tu as apporté le tien.Ça, ça me plaît.


Ce livre a obtenu un coup de cœur de notre club et je comprends pourquoi. C’est un livre d’une lecture éprouvante car il met en scène, dans un essai romancé, certaines horreurs de notre humanité et le plus insupportable, c’est qu’on sait que cela continue encore et encore, la Corée du Nord est, en effet, capable du pire. C’est une partie du pire dont il s’agit ici : pour des raisons assez obscures, des assassins de Corée du Nord, en 1970, ont enlevé des Japonais pour les emmener et les retenir dans l’enfer de leurs pays. Certains seront employés pour apprendre le japonais à des terroristes qui séviront sous une fausse identité japonaise dans le monde entier. Une terroriste qui avouera la responsabilité du krach vol 858 en 1987  expliquera qu’une jeune japonaise lui avait appris la langue et la culture du Japon. Il y a aussi le cas du GI américain, Charles R. Jenkins, qui de son plein gré partira en Corée du Nord, il en reviendra 36 ans plus tard. Son témoignage a beaucoup aidé Eric Faye pour la rédaction de ce livre.

Avec un talent et une délicatesse incroyables l’auteur décrit la douleur de ceux qui ont vu disparaître leur proche au Japon et l’horreur du destin de ces pauvres Japonais qui ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait en arrivant aux pays des fous criminels. Et à travers tous ces drames, la vie en Corée du Nord nous apparaît dans son absurdité la plus cruelle que l’homme puisse imaginer. J’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi le monde entier ne se mobilise pas pour délivrer ce peuple de la main mise du plus féroce et implacable des dictateurs.

Citations

Le malheur de la mère dont on a enlevé la fillette de 12 ans

À chaque pas, il semblait à cette mère orpheline retrouver un nouveau mot de la dernière conversation avec sa fille. Et à chaque fois qu’elle pensait à un mot précis, elle le plaçait sous le microscope de la culpabilité.

C’était une coupable qui allait errant dans les rues de Niigata. Régulièrement, à l’heure de sortie des collèges, Elle voyait sa fille devant elle et pressait le pas pour la rattraper, puis dépassait une inconnue en concédant son erreur. Elle ne voulait laisser aucune place au doute, si bien qu’elle préférait mille de ces menues défaites à une seule incertitude.

L’horreur de la répression en Corée du Nord

Le camp couvre toute une région de montagnes, et dans les clôtures qui le délimitent circule un courant continu. Le camp recèle un centre de détention souterrain. Une prison dans la prison, ou plutôt sous la prison, dont les détenus ne voient jamais le jour et dont les gardiens ont ordre de ne jamais parler…. Le couloir que je devais surveiller comptait une quinzaine de cellules d’isolement, éclairées tout le temps par une ampoule au plafond et tout juste assez longues pour qu’un homme s’y tienne allongé, à une température constante, dans une humidité qui détériore tout, la peau, la santé.

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J’ai beaucoup apprécié « le cas Einstein » le précédent roman de cet auteur. J’ai reçu celui-ci en cadeau et je l’ai lu avec grand plaisir. J’ai aimé sa construction, la vie de Léna Kotev, serait incompréhensible sans l’évocation de tous les morts de médecins juifs qui peuplent son histoire. L’alternance des chapitres assez courts, permet de supporter la lecture des violences antisémites. Le fait de retrouver Léna, dans sa vie de femme chef de service en cancérologie dans un grand hôpital parisien en 2015, me permettait de reprendre ma respiration. Car du souffle, il en faut pour supporter la description des pogroms de Ludichev en 1904, puis la folie des Nazis à Berlin en 1934, puis a Nice en 1943, et enfin à Moscou en 1953, la folie antisémite des communistes staliniens.

J’ai aimé également que le roman soit elliptique et fasse l’impasse sur les détails des connexions de tous les personnages. On a l’impression de n’avoir que les temps forts de cette histoire dont on peut imaginer les passages non écrits. Quand on referme ce roman après la page 296, comme l’histoire se déroule de 1904 à 2015, on a l’impression d’avoir lu des milliers de pages.

Si j’ai mis ce livre dans une bibliothèque, c’est que le père de Léna, Tobias, est un fou amoureux des livres, qui ont une grande importance tout le long du roman. Laurent Seksik, médecin, écrivain et historien, parle d’une façon très riche de l’être humain. Celui qui souffre dans son corps, comme celui qui souffre dans son âme. Ses personnages traversent différentes périodes de l’histoire, et on vit intensément chaque moment car il a su rendre réels les événements dont il parle. Les pogroms de Ludichev sont une pure horreur dont je n’avais pas vraiment pris conscience. La nuit de Cristal, la persécution Nazie en France, le procès des médecins juifs sous Staline tout cela est plus présent dans la littérature comme dans notre mémoire collective. Mais on doit au talent de Laurent Seksik de savoir nous en parler avec un nouvel éclairage et sans aucune lourdeur. Chaque personnage est habité par une foi indestructible d’abord dans la foi juive dans la vieille russie, puis dans le progrès scientifique à Berlin et enfin dans l’humanité en 2015. C’est vraiment un roman superbe : quelle leçon de vie !

Citations

Réflexion du médecin le soir chez lui, jolie phrase

Son cerveau était un dispensaire à l’heure où les douleurs languissent.

Description de la vérole

Pavel n’avait pas été alerté par la petite écorchure sur le pénis que présentait son patient. Le chancre avait rapidement disparu, la maladie s’était éclipsée. La vérole était revenue de longs mois plus tard, sous d’autres masques, plaques rosées sur la peau, gorge enrouée puis, lentement, le mal avait ravagé chaque partie du corps, de la plante des pieds au cuir chevelu, jusqu’à pourrir les chairs, briser les os, boucher les artères, broyer le visage, rendre taré, débile, estropié, tordu ; les tourments de la peste et du choléra réunis dans une lenteur programmée. À la fin, le mal avait mordu le cœur, liquéfié l’encéphale. La mort seule mettrait un terme au supplice.

Condition juive du temps des pogroms, débats à l’infini sur la théologie

Dans le doute, chacun faisait à sa manière. Trois ou quatre heures ? Cette seule question résumait aux yeux de Pavel toute la condition juive, une interrogation permanente, un questionnement de tous les instants, un interminable, dérisoire et splendide voyage dans un infini et vain champ de réflexion.

La vérité est dans les romans

Moi, je me moque de la stricte vérité. Si je veux le vrai, je lis le journal. Si je veux de l’intelligence, je lis la philosophie. Mais la vérité de l’homme – qui n’a rien à voir, j’en conviens, avec la vérité des faits- est dans l’émotion. Je la trouve dans les romans. 

La plainte d’un hypocondriaque

Tu ne prends pas ma souffrance au sérieux. Personne n’a jamais pris ma souffrance au sérieux de toute façon. C’est à désespérer de souffrir.

Le communisme

Camarade Kotev, n’attends rien non plus de notre humanité. La compassion est au pouvoir communiste ce que l’autoritarisme est à la démocratie.

Citation du journal L’humanité de 1953

Un groupe de médecins terroristes vient d’être découvert en Union soviétique : ils ont été démasqués commis des agents des services de renseignement américains, certains d’entre eux avaient été recrutés par l’intermédiaire du Joint, organisation sioniste internationale.
Les médecins français estiment qu’un très grand service a été rendu à la causé de la paix par la mise hors d’état de nuire de ce groupe de criminels…

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Ces deux livres qui se suivent sur mon blog ont en commun plusieurs choses : Poutine veut revisiter l’époque stalinienne pour en retirer ce qui a été favorable à la Russie, Nicolas Werth accompli un remarquable travail d’historien pour mettre en lumière les horreurs de cette époque et montrer comment et pourquoi elles se sont produites. Poutine pense qu’il faut arrêter de penser au passé et oublier les crimes et les criminels de l’histoire de l’URSS, Nicolas Werth pense que la Russie irait mieux si elle se souvenait de ce qui a eu réellement lieu durant l’ère soviétique.

J’ai essayé plusieurs fois de lire ce livre et plusieurs fois, j’ai renoncé, tant l’effroyable vérité qui s’imposait à moi grâce au travail de Nicolas Werth me rendait littéralement malade. Mais après avoir lu l’essai de Michel Eltchaninoff « Dans la tête de Poutine » , je voulais aller jusqu’au bout du récit de l’horreur. Poutine veut réhabiliter quelques aspects du Stalinisme, déclarant dans une formule célèbre « Celui qui ne regrette pas la destruction de l’Union soviétique n’a pas de cœur. Et celui qui veut sa reconstruction à l’identique n’a pas de tête ». Il nous reste, donc, à lire le travail des historiens pour savoir ce qu’a été exactement cette période de l’histoire de ce malheureux pays.

Nicolas Werth fait un travail très sérieux, il donne toutes ses sources et s’appuie uniquement sur les documents officiels soviétiques . L’île de Nazino ou « l’île aux cannibales » est un des rares événements bien connus des autorités de l’époque. (Mais ne représente que 1 % des disparus des colonies de peuplement) Une enquête a été diligentée sur cette effroyable déportation  : en 1933, on a envoyé des milliers de déportés dans une île entourée de marécages, ils étaient pour la plupart des citadins en tenu de ville et n’avaient aucun outil pour survivre dans un milieu hostiles. Les plus féroces d’entre eux ont tué les plus faibles pour les manger.

Cela n’est pas arrivé par hasard, Nicolas Werth démonte tous les rouages qui ont permis d’en arriver là. On aurait pu penser que l’échec des colonies de peuplement dont le point culminant est Nazino, allait permettre une prise de conscience des dirigeants communistes et effectivement cela a servi de leçon mais pas dans le sens que des êtres humains auraient pu l’imaginer. 1933 n’est que le début de l’élimination des « parasites » qui ne comprennent pas les bienfaits de la grande cause prolétarienne. … et en 1937 commencera « la grande terreur », Staline aura bien retenu la leçon de Nazino, plus de colonies de peuplement , il a mis en place des exécutions très rapides après des jugements expéditifs, Nicolas Werth avance un chiffre de 800 000 personnes fusillées et les autres finirent au goulag au travail forcé.

Si j’étais Russe je manquerai certainement de cœur MONSIEUR Poutine, mais je ne voudrais pas que l’on me force à regretter L’URSS.

Citations

La grande famine en Ukraine : Holodomor

L’horreur des chiffres

Depuis l’instauration des camps de travail et « des villages spéciaux » pour paysans déportés, les prisons, dont la capacité maximale était de l’ordre de 180 000 places accueillaient en règle générale les condamnés à de courtes peines (inférieures à trois ans) et les individus arrêtés en attente de jugement. A partir de l’été 1932, sous l’effet des arrestations massives liées à la campagne de collecte, particulièrement tendue, le nombre des détenus incarcérés en prison augmenta de manières exponentielle pour atteindre le chiffre énorme de 800 000 personnes au printemps 1933. 

Toujours l’horreur

En trois ans, le cheptel sibérien fondit, selon les données officielles, des deux tiers, tandis que les rendements céréaliers baissaient des 45 .Les plans de collecte, quant à eux, augmentèrent durant ces années de plus de 30 % . Dès le printemps 1931, les rapports secrets de l’OGPU envoyés à la Direction régionale du Parti reconnaissaient l’existence de « foyers isolés de difficultés alimentaires » . Le plan de collecte de 1931, très élevé- plus de 1400 000tonnes de céréales et 450 000 tonnes de viande- , fut réalisé avec plusieurs mois de retard et au prix d’un abattage massif du cheptel et d’une confiscation d’une partie des semences pour la récolte de l’année suivante. Dans une quarantaine de districts agricoles du sud de la Sibérie occidentale, les disettes de 1931 evoluerent localement vers de véritable famines durant le printemps 1932

L’île aux cannibales

A Nazino, à la suite d’un faisceau de circonstances aggravantes – un groupe d’individus exceptionnellement démunis et inadaptés, expédiés sans la moindre intendance et débarqués dans des lieux particulièrement inhospitaliers -, ce sont les deux tiers des déportés qui disparaissent en quelques semaines. Exemple extrême, cas limite, cet épisode meurtrier s’inscrit non seulement dans la mise en œuvre d’une utopie , dans le fonctionnement d’un système bureaucratique et répressif-celui des Peuplements spéciaux- mais aussi dans un espace saturé de violence.
 
Les gardes et les commandants n’avaient – dans les premiers jours du moins- guère réagi ni décidé de mesure d’isolement vis- à-vis des individus interpellés en possession de chair humaine ou pris sur le fait d’en consommer. La plupart d’entre eux furent relâchés, au motif qu' »il n’avait pas été établi qu’ils avaient tué la personne dont ils avaient consommé certaines parties du corps » (….) et que « le code pénal soviétique ne prévoyait pas de peine pour les cas de nécrophagie ».

Conclusion

La famine de 1933 , dans les  » peuplements spéciaux » et l' »affaire de Nazino » contribuèrent, de façon décisive, à déplacer le centre de gravité du système du Goulag des villages spéciaux vers les camps de travail.

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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

2
Encore un roman construit avec de multiples retour en arrière, avec de multiples interpellations directes au lecteur qui ont le don de m’agacer prodigieusement . J’ai détesté ce roman, j’ai eu l’impression d’ouvrir les poubelles de l’histoire. Ce mélange de la vérité avec la fiction à propos du communisme des années 50 m’a totalement écœurée. Je comprends la démarche de Gérard Guégan, il était communiste à cette époque et il connaît donc bien les arcanes du grand Parti des travailleurs, l’exclusion de Marty et de Tillon en 1952, il en connaît tout le déroulement. Il se sent porteur de cette histoire et veut la transmettre.

Mais voilà comme l’auteur le dit lui-même, le parti communiste n’intéresse plus personne et pour les jeunes, « il fait figure d’inoffensive amicale », alors en y mêlant la vie amoureuse d’Aragon avec un émissaire du Komintern, Mahé, il espère intéresser un plus large public : on parle moins en effet, de la rigueur morale et rétrograde des communistes mais elle était très forte et sans pitié là où les communistes avaient le pouvoir. Mahé et Aragon ont quelques jours pour s’aimer, pendant que le congrès du parti fait subir des outrages dégradants à deux hommes entièrement dévoués à la Cause.

Les deux personnages se sont aimés passionnément, en se cachant comme Aragon a dû le faire tant qu’il était au Parti, car l’homosexualité était une tare punie d’une mort honteuse en URSS et d’exclusion du Parti en France ! Ils sont tous plus ou moins abjects ces personnages qui auraient pu prendre le pouvoir chez nous. Marty dit « le boucher d’Albacete », qui a réprimé dans le sang les anarchistes espagnols, Duclos qui ne pense qu’à bien manger, Jeannette Vermeersch, qui ne pense qu’à sa vengeance personnelle et dont les positions sur la contraception sont au moins aussi réactionnaires que celles de l’église catholique. Tous, ils sont petits et lâches et sans doute le plus lâche de tous c’est Aragon, même si le romancier en a fait un personnage lucide.

Comme le dit l’auteur en introduction ce roman est : « l’histoire d’un temps et d’un parti, où le reniement de soi était souvent le prix à payer pour échapper à l’exclusion ». Tout ce que je peux dire c’est que ça ne sent pas bon le reniement…

Citation

L’importance du Parti en 1952

Le Parti n’est pas qu’un idéal, pas qu’une vérité immuable, pas que l’expression de la transcendance historique, le Parti est aussi une famille où la critique du père, qu’il s’appelle Staline ou Thorez, est assimilé à une trahison méritant l’exclusion, le bannissement, ou la balle dans la nuque si l’on a la malchance de vivre de l’autre côté du Rideau de fer.

Les différentes épurations

Autant dire que les héros vénérés ne seront bientôt plus que des traîtres, la présomption d’innocence n’ayant jamais existé au sein d’un parti dans lequel celui qui tient les rênes du pouvoir doit tuer tous les Brutus s’il veut continuer de régner sans partage.

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3
Un ami m’a confié son livre paru en 2013, avec ces mots : « Je voudrais que la lecture de ce témoignage dure le temps d’une consultation ». Que se cache-t-il derrière ce désir de brièveté ? Une grande modestie, et, un paradoxe pour ce médecin qui avoue lui-même s’être mortellement ennuyé au lycée pendant les cours de français. Ni Flaubert , ni Balzac, n’ont su séduire ce futur amateur des sciences médicales. Alors pourquoi commettre un livre ? Sans doute un trop plein de souffrance humaine qu’il a voulu nous faire partager. Lui qui soigne les corps en prenant grand soin de soulager chacune des souffrances, comment ne pas être révolté par les sociétés humaines qui les massacrent à plaisir ? Deux patients roumains sont venus un soir lui confier leur parcours pour arriver jusqu’en France et vivre une vie « normale ». Nous voici, donc, plongés sous le régime de Ceaușescu , triste dictateur communiste, que nous avons peut être oublié mais qui a ravagé son pays et torturé de mille et une façon ses habitants.

Les deux patients sont originaires des Carpates de « Poiana » petite ville à côté de Brasov, régions qui semblent aujourd’hui entièrement tournées vers le tourisme. A l’époque , un des chantier fou du Conducator voulait faire de ce lieu un endroit réservé à un membre de sa famille, on a donc expulsé tous les paysans de cet endroit (beaucoup trop beau pour eux !). La famille paysanne roumaine est arrivée, comme tant d’autres, dans la sinistre banlieue de Bucarest et a été livrée au bon vouloir d’une milice si folle et si imprévisible que les parents ont compris que leur vie était menacée ; cette menace est devenue plus précise le jour où le chef de la milice les a fait recompter le nombre de poires sur leur arbre en leur prouvant qu’ils se trompaient, et que donc, ils voulaient dissimuler leur production pour faire des profits . Ces pauvres paysans ont donc décidé d’organiser l’exil de leur fils avec son épouse enceinte. Ils étaient, à l’époque, persuadés ne jamais les revoir. Ce témoignage nous replonge dans l’horreur communiste, avec des gens ordinaires, qui voulaient simplement vivre puis finalement, survivre.

Chaque époque invente son lot de souffrances, comme toujours face à ce témoignage on se demande : pourquoi ? L’idéologie ? la soif de pouvoir ? la folie d’un homme ? Peu importe les réponses, Xavier Guézénnec a voulu donner la parole à ces deux anciens paysans, ces gens qu’on entend si rarement et qui laissent si peu de traces dans l’Histoire. La sensibilité avec laquelle il a su rendre compte de leur récit, montre bien que si la littérature était éloignée de lui quand il avait seize ans, c’est, sans doute, plus la responsabilité de l’enseignement que celle des grands auteurs.

Citations

Lettre que les parents doivent lire à l’usine après le départ de leurs enfants en espérant, ainsi, ne pas être inquiétés par la milice

« Camarades,

Nous sommes les camarades X, et nous avons le devoir de vous annoncer la honte qui frappe notre famille. Notre fils et sa femme ont renié leur patrie et leur famille en fuyant à l’étranger. Ces traîtres sont une infamie pour notre grande République Socialiste de Roumanie. C’est un crime que de succomber aux sirènes des exploiteurs capitalistes pour des travailleurs de la classe ouvrière et prolétarienne. Ils ont trahi et renié la classe ouvrière et prolétarienne. Nous avons guidé ces enfants sur les pas de notre illustre Conducator, le Génie des Carpates, le Danube de la Pensée, le guide sublime que le monde nous envie ; à notre tour nous les renions et nous les chassons de notre mémoire. Camarades ouvriers, nous vous souhaitons de ne jamais connaitre la même infamie ! Nous sommes coupables de ne pas avoir su enseigner la Vérité Socialiste et nous ne sommes plus dignes d’être appelés camarades. avec votre aide nous essaierons de nous corriger et d’effacer la honte qui nous frappe. »

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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

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Je l’avais repéré en novembre chez Dominique. Je m’étais bien promis de le lire, et je suis ravie de ma lecture. Il a eu un coup de cœur au club de lecture, malgré les réticences de certaines lectrices qui m’ont étonnée. J’ai cru comprendre que le personnage du météorologue Alexexeï Féodossiévitch Vangenheim ne les a pas intéressées. « Ce n’est pas un héros » « Il n’a rien fait d’extraordinaire » … Mais ce sont exactement les raisons pour lesquelles j’ai aimé le travail d’Olivier Rollin. Il a choisi ce personnage parmi les millions de victimes du communisme. Je pense qu’il a été ému par les dessins que ce savant a envoyés à sa petite fille qui avait quatre ans quand il l’a vue pour la dernière fois. Ces dessins sont parvenus jusqu’à lui grâce au livre que sa fille lui a consacré .

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Ensuite, il a lu ses lettres , et toutes témoignent de sa foi en Staline, et dans le communisme. Il voulait qu’on lui redonne son honneur, comme tant d’autres, jusqu’au bout il s’est estimé victime d’une erreur et que si les « bons et loyaux communistes » pouvaient lire ses lettres, il serait immédiatement réhabilité. Ses lettres m’ont fait penser à celles que Dreyfus écrivait de l’île du Diable, lui aussi ne voulait qu’une chose : qu’on lui rende son honneur, lui aussi adressait ses suppliques à l’état major de l’armée qui avait ourdi le complot contre lui. Le météorologue, n’a donc pas vu ou pas voulu voir les excès du stalinisme, il n’a rien d’un héros. C’est un homme brillant, un véritable savant doué pour les arts, la musique, peinture, la sculpture…. Mais voilà , le communisme russe a inventé un système de terreur bien particulier, que l’on soit pour son régime ou contre lui, cela n’a vraiment aucune espèce d’importance, il faut remplir les quotas de prisonniers et de morts.

Heureusement, grâce à l’énergie des descendants, on a fini par retrouver les fosses communes et les circonstances de sa mort sont aujourd’hui complètement élucidées. Il ne s’agissait pas vraiment d’une appendicite comme on l’avait d’abord annoncé à son épouse. Olivier Rollin décrit sa mise à mort avec tous les détails qu’il a pu rassembler, se demandant à chaque fois à quel moment le météorologue a ouvert les yeux sur le système qui le broyait ainsi, pour finalement l’assassiner et jeter son corps dans une fosse cachée au cœur d’une forêt. Comme l’auteur, je me console en pensant que la plupart des commanditaires de ces meurtres abominable seront eux mêmes et fusillés, car lorsque la terreur s’emballe elle a beaucoup de mal à s’arrêter. A la fin de ce livre Olivier Rollin, remercie Nicolas Werth dont je veux lire depuis longtemps les livres, il a réussi à retrouver dans les archives russes ce qu’a représenté l’ordre opérationnel n° 04447 du NKVD qui a fait « disparaître » Alexexeï Féodossiévitch Vangenheim ainsi que 1111 personnes fusillées à Medvejégorsk.

Citations

Les saboteurs

Il y avait encore, à ma droite, du côté des saboteurs, le camarade (pour combien de temps ? ) Roussanov, directeur du chemin de fer Moscou-Bielomorsk (qu’emprunterait bientôt dans un wagon à bestiaux, Alexei Feodossievitch), qui se plaignait de ne pas avoir assez de matériel roulant alors qu’il en avait bien suffisamment, seulement il laissait prospérer les tire-au- flanc de telle façon que les trains n’étaient jamais prêts au départ. Et le camarade ou bientôt l’ex-camarade Joukov était dans le même cas. Et celui du chemin de fer du Sud, qui retardait le chargement du charbon du Donbass.Et les vauriens de la centrale électrique de Perm, alors, qui depuis le début de l’hiver désorganisaient la production par des coupures de courant intempestives.

Un Cadeau venant du Goulag

Aujourd’hui, jour de ton anniversaire, écrit-il le dix-sept décembre, j’ai pensé à t’envoyer un portrait du camarade Staline et une tête de cheval en éclat de pierre. Drôle de cadeau d’anniversaire.

La disparition de 1100 êtres humains

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Traduit du chinois par François Sastourné.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
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Un grand talent d’écrivain ce Mo Yan, d’ailleurs consacré par le prix Nobel de littérature en 2012, il arrive à nous faire revivre le monde rural chinois en racontant, de façon simple et apparemment naïve, la vie d’un village. Mo Yan part d’un acte fréquent à la campagne : la castration d’un petit veau, mais hélas celui-ci se passe mal, pour nous montrer toutes les forces qui sont en jeu dans le village où la survie alimentaire est à peine assurée. Lorsque la faim tenaille les gens, un plat de « couilles de veau » sautées à la ciboulette devient un plat de roi, pour lequel bien des passions vont se déchaîner. C’est drôle et tragique à la fois.

La deuxième nouvelle : le coureur de fond a ma préférence, le village apparaît dans toute sa variété. Comme le village est un lieu de rééducation des « droitiers » cela permet aux paysans d’être confrontés et parfois d’utiliser des compétences dont ils n’avaient aucune idée. C’est un monde absurde, où personne n’est à l’abri de l’arbitraire, un monde violent où la force physique a souvent le dernier mot. Souvent seulement, car au-dessus de tous les liens bons ou mauvais que les habitants peuvent tisser entre eux et parfois avec les « droitiers », il y a la police qui peut enfermer qui bon lui semble sur une simple dénonciation. Quel pays ! et en même temps quelle énergie pour vivre quand même de toutes les façons possibles. Ces récits m’ont fait penser aux images naïves dont la révolution culturelle relayée par les amitiés franco-chinoises ont inondé la France à une certaine époque.

Citations

la fin de la nouvelle « Le veau », c’est à prendre au deuxième degré

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 Traduit du finnois par Sébastien CAGNOLI.

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Livre terrible et éprouvant, mais livre à lire certainement. On comprend pourquoi des jeunes filles de l’est se font prendre aux pièges terribles de la prostitution. Le destin de la vieille Aliide et de la jeune Sara se réunissent dans l’horreur, jusqu’au bout on se demande si celle qui a connu les purges staliniennes (mais qui a collaboré) va aider celle qui est tombée dans les griffes d’un souteneur. Sara ne sait pas comment expliquer sa situation à la vieille femme et elle a tellement peur que les mafieux tortionnaires la retrouvent. Sara comprend l’Estonien mais le parle mal ce qui rajoute à son angoisse : la vieille femme va-t-elle la comprendre ?

Aliide la peur ça la connaît, cela fait plus de 60 ans qu’elle vit avec  : est-il possible qu’un membre de sa famille qu’elle a contribué à envoyer en Sibérie vienne lui demander des comptes… c’est si loin tout ça ! Sara et Aliide sont liées par l’angoisse et la peur qui rôde à la porte même de la maison : rien dans ce livre n’est léger ! La construction du roman est étonnante, comme des cercles qui se resserrent, comme un serpent qui entoure sa proie en l’étouffant peu à peu, la vérité se fera jour. Sara pourra-t-elle revivre et éloigner d’elle l’horreur. À lire donc (si on est en forme et si on a le moral !)

Citations

Pour le studio de tatouage, Pacha se faisait la main sur des filles hors d’usage. Comme avec Katia… Il avait piqué sur les seins de Katia : une femme à forte poitrine qui taillait une pipe à un diable… il avait orné le bras de Katia d’une deuxième image du diable. Ce dernier avait une grosse bite velue.
« Aussi grosse que la mienne ! » avait rigolé Pacha.

Après cela, Katia disparu.

 

Zara ouvrit un flacon de poppers et renifla. Quand Pacha la prendrait pour se faire la main, elle saurait que son heure était venue.

 

Mais la terreur de la fille était tellement vive qu’Aliide la ressentit soudain en elle-même…Mais maintenant qu’il y avait dans sa cuisine une fille qui dégoulinait de peur par tous les pores sur sa toile cirée … . La peur s’installait là, en faisant comme chez soi. Comme si elle ne s’était jamais absentée. Comme si elle était juste allée se promener quelque part et que, le soir venu, elle rentrait à la maison.

 

Alors que cette fille, avec sa jeune crasse, était ancrée dans le présent, ses phrases rigides sortaient d’un monde de papiers jaunis et d’albums mités remplis de photos.

 

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