Ces deux livres qui se suivent sur mon blog ont en commun plusieurs choses : Poutine veut revisiter l’époque stalinienne pour en retirer ce qui a été favorable à la Russie, Nicolas Werth accompli un remarquable travail d’historien pour mettre en lumière les horreurs de cette époque et montrer comment et pourquoi elles se sont produites. Poutine pense qu’il faut arrêter de penser au passé et oublier les crimes et les criminels de l’histoire de l’URSS, Nicolas Werth pense que la Russie irait mieux si elle se souvenait de ce qui a eu réellement lieu durant l’ère soviétique.
Nicolas Werth fait un travail très sérieux, il donne toutes ses sources et s’appuie uniquement sur les documents officiels soviétiques . L’île de Nazino ou « l’île aux cannibales » est un des rares événements bien connus des autorités de l’époque. (Mais ne représente que 1 % des disparus des colonies de peuplement) Une enquête a été diligentée sur cette effroyable déportation : en 1933, on a envoyé des milliers de déportés dans une île entourée de marécages, ils étaient pour la plupart des citadins en tenu de ville et n’avaient aucun outil pour survivre dans un milieu hostiles. Les plus féroces d’entre eux ont tué les plus faibles pour les manger.
Cela n’est pas arrivé par hasard, Nicolas Werth démonte tous les rouages qui ont permis d’en arriver là. On aurait pu penser que l’échec des colonies de peuplement dont le point culminant est Nazino, allait permettre une prise de conscience des dirigeants communistes et effectivement cela a servi de leçon mais pas dans le sens que des êtres humains auraient pu l’imaginer. 1933 n’est que le début de l’élimination des « parasites » qui ne comprennent pas les bienfaits de la grande cause prolétarienne. … et en 1937 commencera « la grande terreur », Staline aura bien retenu la leçon de Nazino, plus de colonies de peuplement , il a mis en place des exécutions très rapides après des jugements expéditifs, Nicolas Werth avance un chiffre de 800 000 personnes fusillées et les autres finirent au goulag au travail forcé.
Si j’étais Russe je manquerai certainement de cœur MONSIEUR Poutine, mais je ne voudrais pas que l’on me force à regretter L’URSS.
Citations
La grande famine en Ukraine : Holodomor
23 janvier 1933
Dès le lendemain, 23 janvier , le dispositif visant à empêcher toute fuite des affamés (et toute diffusion des nouvelles sur une famine niée par les autorités) est complétée par des directives suspendant la vente des billets de chemin de fer aux paysans. Au cours de la dernière semaine de janvier, quelque 25 000 fuyards sont arrêtés. Un bilan dressé deux mois après le début de l’opération faisait état de 225 000 personnes appréhendées.
Au Kazakhstan
Depuis 1930, le Kazakhstan avait été entraîné, comme le reste du pays, dans la tourmente de la collectivisation forcée et la « dékoulakisation » , auxquelles s’ajoutait ici un vaste plan de sédentarisation. …. En réalité, ici plus qu’ailleurs, la course aux records de collectivisation, ainsi que des livraisons obligatoires de viande d’une ampleur sans précédent, désorganisèrent totalement le cycle productif. Le cheptel kazakh, le plus important de l’URSS à la fin des années 1920, fondit de plus de 85 % en trois ans, entraînant une immense paupérisation de la population kazakhe qui, dans sa quasi totalité vivait de l’élevage.
L’horreur des chiffres
Depuis l’instauration des camps de travail et « des villages spéciaux » pour paysans déportés, les prisons, dont la capacité maximale était de l’ordre de 180 000 places accueillaient en règle générale les condamnés à de courtes peines (inférieures à trois ans) et les individus arrêtés en attente de jugement. A partir de l’été 1932, sous l’effet des arrestations massives liées à la campagne de collecte, particulièrement tendue, le nombre des détenus incarcérés en prison augmenta de manières exponentielle pour atteindre le chiffre énorme de 800 000 personnes au printemps 1933.
Toujours l’horreur
En trois ans, le cheptel sibérien fondit, selon les données officielles, des deux tiers, tandis que les rendements céréaliers baissaient des 45 .Les plans de collecte, quant à eux, augmentèrent durant ces années de plus de 30 % . Dès le printemps 1931, les rapports secrets de l’OGPU envoyés à la Direction régionale du Parti reconnaissaient l’existence de « foyers isolés de difficultés alimentaires » . Le plan de collecte de 1931, très élevé- plus de 1400 000tonnes de céréales et 450 000 tonnes de viande- , fut réalisé avec plusieurs mois de retard et au prix d’un abattage massif du cheptel et d’une confiscation d’une partie des semences pour la récolte de l’année suivante. Dans une quarantaine de districts agricoles du sud de la Sibérie occidentale, les disettes de 1931 evoluerent localement vers de véritable famines durant le printemps 1932
L’île aux cannibales
A Nazino, à la suite d’un faisceau de circonstances aggravantes – un groupe d’individus exceptionnellement démunis et inadaptés, expédiés sans la moindre intendance et débarqués dans des lieux particulièrement inhospitaliers -, ce sont les deux tiers des déportés qui disparaissent en quelques semaines. Exemple extrême, cas limite, cet épisode meurtrier s’inscrit non seulement dans la mise en œuvre d’une utopie , dans le fonctionnement d’un système bureaucratique et répressif-celui des Peuplements spéciaux- mais aussi dans un espace saturé de violence.
Les gardes et les commandants n’avaient – dans les premiers jours du moins- guère réagi ni décidé de mesure d’isolement vis- à-vis des individus interpellés en possession de chair humaine ou pris sur le fait d’en consommer. La plupart d’entre eux furent relâchés, au motif qu' »il n’avait pas été établi qu’ils avaient tué la personne dont ils avaient consommé certaines parties du corps » (….) et que « le code pénal soviétique ne prévoyait pas de peine pour les cas de nécrophagie ».
Conclusion
La famine de 1933 , dans les » peuplements spéciaux » et l' »affaire de Nazino » contribuèrent, de façon décisive, à déplacer le centre de gravité du système du Goulag des villages spéciaux vers les camps de travail.
Sans doute très intéressant mais aussi très dur ! J’hésite
Oui , comme je comprends, j’ai eu tellement de mal à le lire moi aussi, c’est le livre précédent , celui de Michel Eltchaninoff qui m’a redonné courage, il faut vraiment savoir honnêtement ce qu’était le stalinisme puisque Poutine veut le réhabiliter en partie. Je crois que je vais mettre Werth au programme de mon année prochaine.
C’est toujours intéressant d’approfondir un sujet ! Je vois que tu es en pleine Russie. C’est comme les livres sur les guerres mondiales, je fais parfois un blocage… Je verrais bien
Les livres de Werth sont à recommander absolument mais il faut avoir le moral. On ne sait jamais ce qui nous fait aller vers un auteur , mais on peut le garder en réserve en sachant que son travail est remarquable.
Nicolas Werth c’est vraiment un grand plaisir de lecture malgré les sujets abordés, son sérieux, sa docu, tout respire le vrai travail d’historien comme tu le dis très bien et en outre on y sent une empathie très forte pour tous ces destins brisés
Je comprends ta difficulté à le lire, j’ai eu la même gêne, un peu comme avec Terres de sang, on est plongé brutalement dans l’horreur que l’on a peine à enregistrer
J’avais croisé cet épisode de l’histoire avec de lire ce livre et j’y avais à cru avec peine et seulement parce que l’auteur était sérieuse et très reconnue. Ensuite le détail des faits m’avaient comme à toi sidérée au sens propre du terme
Voilà « sidérée » au sens fort du terme, on ne veut pas y croire, on ne peut pas y croire (comme aux atrocités commises par les islamistes de Daesch ) , mais c’est pourtant vrai!
j’aurais dû signaler que c’est dans un de tes commentaires, à propos « du divan de Staline » que je m’étais persuadée que je lirai un jour Nicolas Werth , je suis entièrement d’accord avec ton commentaire.
Une plongée au cœur de l’horreur on dirait. Comme je sors tout juste de la lecture de Maus, je vais passer mon tour pour l’instant.
j’ai hâte de lire ton commentaire sur « Maus » , pour moi cette BD est unique et indispensable tout en étant éprouvante . Werth t’attendra le temps qu’il faut un jour tu le liras c’est sûr , on a tous besoin de savoir et comprendre…..l’incompréhensible!
Je ne sais pas si je suis prête pour la plongée dans l’horreur, mais si ce qui s’est passé en Russie a été finalement peu raconté. Ce livre semble très complet et passionnant, je le note pour plus tard.
je sais que je lirai tous les livres de cet auteur mais doucement sans les accumuler car c’est vraiment trop dur , justement parce qu’il ne fait jamais dans l’exagération , la simple vérité se suffit à elle même !
je te trouve bien courageuse…
et tu vois j’en redemande car cet auteur écrit si bien que je lirai certainement ses autres livres. La qualité l’emporte sur le côté sombre du sujet.
Merci pour ce passionnant billet. On hésite bien sûr, à lire ce genre de texte : on est tellement bien aujourd’hui, chez nous, à regarder Koh Lanta (c’est une blague, hein : je n’ai pas la télé et jamais vu le moindre épisode de quelque série de télé réalité que ce soit…). Mais il est bon de s’interroger, surtout à la lumière de l’Histoire, ça me parait même essentiel. Il faut juste trouver le bon moment…
C’est un auteur indispensable, et incontournable lorsqu’on parle du communisme. Mais il est vrai que ce n’est pas une lecture de plage.