Édition Odile Jacob

Cet auteur fait partie des penseurs contemporains que je peux lire jusqu’au bout. Ce n’est pas forcément un gage de qualité pour sa pensée car je reconnais humblement que j’ai beaucoup de mal à lire les auteurs abstraits. Autant, quand ils expliquent leur pensée oralement, je suis parfois passionnée, je me procure alors leur livre mais je constate souvent que j’ai beaucoup de mal à les lire. Pour Cyrulnik ce n’est pas le cas, car il mêle toujours du narratif à l’abstraction et cela rend ses livres passionnants pour moi.

Dans ce livre-ci, il essaie de cerner ce qui fait qu’un être humain garde son libre arbitre où bien se soumet au groupe et peut alors commettre le pire.

Bien sûr, il démarre par cette pure horreur : pourquoi alors qu’il avait sept ans des allemands ont décidé de le tuer ? Et s’il a survécu, il lui faudra de nombreuses années pour oser dire devant l’opinion française ce qui s’est effectivement passé. Ensuite, il analyse sous plusieurs angles d’attaque toutes les circonstances qui ont permis à des hommes et des femmes de prendre des décisions qui iront dans le sens de la dignité humaine ou au contraire dans l’abjection.

Ce livre est très difficile à résumer, mais ce que l’on peut dire c’est qu’ensuite on a vraiment envie de faire partie des adultes qui n’accepteront pas d’obéir aux dogmes ambiants sans exercer leur pensée critique. Je trouve très intéressant qu’il se mette lui-même en cause en tant que médecin. Il était neuro psychiatre quand on faisait encore des lobotomies et s’il n’en a pas fait lui-même il a vu très peu de médecins s’y opposer. Comme nous venons de vivre une époque où la doxa médicale était très difficile à mettre en cause, j’ai été très sensible à ce qu’il décrit. Il prend un moment un exemple que j’ai trouvé tellement parlant, quand il était jeune médecin on était persuadé qu’il ne fallait pas endormir localement des plaies avant de les suturer, car cela risquait de moins bien cicatriser. Il a donc fait ainsi en faisant souffrir des enfants, alors que finalement il n’y a aucune raison médicale de ne pas anesthésier les plaies avant de les recoudre.

Comme vous le voyez ce que je retiens ce sont tous les exemples que cet auteur prend pour illustrer ses propos. mais j’ai noté beaucoup de passages pour que vous puissiez cerner sa pensée.

Je vous conseille vraiment la lecture de ce livre ou d’écouter ce penseur si humain que cela fait du bien de faire partie de la même humanité que lui.

 

Citations

Les enfants et les discours totalitaires.

 Les enfants sont les cibles inévitable de ces discours trop clairs parce qu’ils ont besoin de catégories binaires pour commencer à penser : tout ce qui n’est pas gentil est méchant, tout ce qui n’est pas grand est petit, tout ce qui n’est pas homme est femme. Grâce à cette clarté abusive ils acquièrent l’attachement sécurisant à maman et à papa à la religion aux copains d’école et au clocher du village. Cette base de départ permet d’acquérir une première vision du monde, une claire certitude qui donne confiance en soi et aide à prendre place dans sa famille et sa culture.

Des idées simples et intéressantes.

 Pour Darwin l’homme, mammifères proche du singe, peut s’arracher à la condition animale grâce a un cerveau qui lui donne accès au monde de l’outil et du verbe. Pour lui, les êtres vivants ne sont pas hiérarchisés, ils s’adaptent plus ou moins bien aux variations du milieu. C’est le plus apte à vivre et à se reproduire dans ce milieu qui sera favorisé par la sélection naturelle, ce n’est pas forcément le plus fort. Une telle pensée écosystémique ne pouvait pas satisfaire ceux qui aiment les rapports de domination. Quand Freud percevait une différence entre deux mondes mentaux, il éprouvait le bonheur des explorateurs ; Mengele au contraire y voyait la preuve d’une hiérarchie naturelle. Cette interprétation du monde faisait naître en lui un plaisir d’obéissance qui mène à la domination.

Des faits qui me révoltent.

Ernst Rüdin, psychiatre généticien suisse, avait fait passer à la demande de Hitler la loi de la stérilisation contrainte (1934) afin d’éliminer les schizophrènes, les faibles d’esprit, les aveugles, les sourds et les alcooliques. En 1939, il reçut la médaille Goethe pour son travail scientifique qui légitimait l’élimination des enfants de mauvaise qualité (…)
En 1945, à la fin de la guerre, Ernst Rüdin affirma qu’il s’agissait d’un simple travail académique. Il fut puni d’une amende de 500 marks et après avoir été décoré deux fois par Hitler, il poursuivit sa carrière aux États-Unis et rentra à Munich pour y mourir en 1952.

La banalité du mal.

 Je vais vous surprendre, mais je pense que ces crimes sans émotion ni culpabilité ne sont pas rares et que beaucoup d’êtres humains en sont capables. Il ne s’agit pas d’anhédonie, engourdissement de la capacité à éprouver du plaisir. Adolf Eichmann ressentait de grands bonheurs quand il envoyait à Auschwitz des trains bourrés de juifs. C’est le plaisir qu’on éprouve à bien faire son travail, à tamponner, à classer, à nettoyer la société de la souillure juive. Voilà, c’est simple, cette énormité est banal, c’est ainsi que je comprends « la banalité du mal » de Hannah Arendt.

Et pourtant c’est vrai.

 Aucune découverte scientifique, aucune idée philosophique ne peut naître en dehors de son contexte culturel. Beaucoup de nazis, comme beaucoup de lobotomiseurs , n’avaient aucune conscience du crime qu’ils commettaient. Ils habitaient une représentation où ils puisaient leurs décisions politiques ou thérapeutiques : donner mille ans de bonheur au peuple en extirpant la souillure juive et soigner la folie en découpant le cerveau. Quand la violence est banale, la culture légitime ce mode de régulation des rapports sociaux. Les médecins nazis étaient convaincus qu’ils contribuaient scientifiquement à l’anthropologie physique. C’est au nom de la morale qu’ils ont exterminé 300 000 malades mentaux en Allemagne, qu’ils ont réalisé de mortelles expérimentations médicales sur des enfants et ont assassiné en rigolant 6 millions de juifs en Europe.

L’importance du malheur.

Si par malheur nous pouvions supprimer le malheur de la condition humaine, nous fermerions les librairies et ruinerions les théâtres. Est-ce ainsi que nous pourrions expliquer la puissance du conformité quand nous cherchons à nous mettre en accord, en harmonie avec les inconnus qui participent au groupe auquel on désire appartenir ?

Penser ne peut être que complexe.

La pensée facile, le Diable et le bon Dieu, le bien et le mal, ça ne marche pas. Chez le même homme, il y a des pulsions contraires : la rage de détruire et le courage de reconstruire. C’est par empathie que Himmler a commandé la construction des chambres à gaz. Quand il a vu le malaise de ses soldats, blancs d’angoisse et obligés de boire de l’alcool pour se donner la force de mitrailler des femmes nues portant leur bébé dans les bras, il a compati avec eux et à proposer une technique propre pour tuer ces gens sans traumatiser les soldats. Quand la lobotomie a été inventée, les congrès ne parlaient que de techniques : faut-il faire un volet frontal, introduire une aiguille dans le creux sus-orbitaire, injecter de l’alcool, couper avec un scalpel ? Le succès technique arrêtait l’empathie et empêchait de voir que le prix humain était exorbitant, que la « guérison » apportait plus de troubles que la maladie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci aux éditions Plon

 

 

C’est un roman qui se lit très facilement mais qui pour autant ne m’a guère convaincue. C’est une sorte de fable, qui permet à l’écrivain de raconter (encore une fois) les horreurs de l’extermination des juifs.

Le personnage principal est un enfant qui décide de devenir président des États-Unis et qui rencontre un vieil homme qui perd la mémoire. Tout le roman est construit autour de ce personnage est-il un sauveur de juifs ou un allemand qui a voulu sauver sa peau en se faisant passer pour juif ? Finalement il y aura du vrai dans ces deux propositions.

J’aurais bien aimé que l’écrivain se penche sur la mémoire d’un ancien nazi qui transforme peu à peu la réalité pour pouvoir survivre à ce qu’il a fait. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit mais d’une vieille personne qui commence un Alzheimer et qui ne sais plus qui il est vraiment. En plus, il n’a pas fait que le mal et il n’était pas un acteur de l’extermination des juifs donc d’une certaine façon il peut se regarder en face, ce que quelqu’un comme Mendele devait avoir du mal à faire.

C’est un personnage de fiction, et sur le sujet de la Shoa, je suis particulièrement exigeante ; c’est sans doute, la raison pour laquelle je suis passée à côté du charme de cette histoire et j’espère que d’autres vont l’apprécier

Citation

Genre de phrases agaçantes.

La vérité sort de la bouche des enfants(…)
 Les enfants ne sont pas représentés au gouvernement, or, nous sommes concernés par les décisions qui sont prises aujourd’hui, car elles auront des conséquences demain .

Édition Autrement.  Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

C’est un premier roman d’Alain Mascaro qui semble lui avoir été inspiré par un grand voyage qu’il a entrepris en décidant de quitter son emploi de professeur de lettres. Le titre en dit beaucoup sur le sujet du roman : le peu de liberté qui est laissé aux populations de nomades qui décident de ne respecter aucune frontière et de vivre de spectacles qu’ils donnent de ville en ville. Le coeur même du roman raconte l’extermination du peuple tzigane par les nazis. Cela on le sait bien sûr, mais on lit beaucoup moins souvent les récits de la « Porajmos » que ceux sur la Shoa. Le seul survivant d’un petit clan (kumpania) des Thorvath , Anton le dresseur de chevaux, va devoir sa survie dans le ghetto de Łódź en se faisant passer pour un juif.(Ils ne doivent pas être nombreux à avoir fait cela !)

Le livre est rempli de toute la poésie des êtres libres qui aimaient sentir le vent de la steppe dans leurs cheveux quand ils chevauchent des montures aussi libres qu’eux. Le début commence avant la montée du Nazisme et la petite troupe vit au rythme des spectacles et des contes racontés par le violoniste Jag que nous retrouverons à la fin du roman. Malheureusement la petite troupe est en Europe et sera entièrement massacrée par les nazis. Je ne le savais pas mais à Łódź à coté du célèbre ghetto tenu par des juifs et qui ont été les derniers à être déportés, il y a eu un camp de concentration pour les Tziganes, il n’y a eu aucun survivants. J’avais lu le récit de ce ghetto particulier « Un monstre et le chaos« . Nous rencontrons là le portrait d’un médecin juif qui va enrichir la personnalité d’Anton, très vite, face au génocide sa famille le charge de survivre pour honorer la mémoire des morts. Dans le dernier camp, Anton rencontrera un juif grec qui enrichira ses connaissances philosophiques. Cet être solaire ne pourra pas survivre aux tortures des camps : que d’êtres d’exception dont l’humanité aurait eu tant besoin et qui ont disparu à jamais dans les fosses communes des camps de concentration. Anton va survivre mais sera brisé par ces drames atroces, il retient tous les noms de ces disparus qui lui appartiennent et qu’il ne veut pas oublier. Que de tristesse !

Après la guerre, il sera sauvé par l’américain qui sera le premier à ouvrir le camp de Mauthausen, son passage aux USA lui permettra de retrouver la santé mais pas son âme. Il reconstituera une « kumpania » avec des personnalités au passé marqué par la guerre et donnera des spectacles où les chevaux auront une place particulière. Anton retrouvera Jag qui vit en Indes. Là aussi la guerre entre les Hindous et les Musulmans fera douter Anton de l’humanité. La fin du roman se passe là où tout a commencé dans les plaines de Mongolie.

Tout ce roman est un hymne à la liberté qui s’est hélas, fracassée sur le nazisme ou le communisme et aujourd’hui sur les frontières qui se ferment et la bétonisation de la nature.

Citations

 

Joli conte tzigane.

« Papu Jag, demandait par exemple Nanosh, y a-t-il des hommes sur la Lune ?
– Il n’y en a plus qu’un seul, hélas, répondait Jag. Mais autrefois, il y en avait beaucoup ! Ils menaient une vie facile, leur seul travail était d’entretenir le feu pour que la Lune brille. À cette époque-là, elle était toujours pleine. Mais un mauvais homme, un « gadjo »qui n’aimait pas ses semblables les bannit de la lune. Depuis, le mauvais homme doit entretenir le feu tout seul, et il n’y parvient pas, c’est pourquoi la lune s’éteint régulièrement. Quand elle commence à se rallumer, c’est que le « gadjo » est en train de souffler sur les cendres. Quant aux hommes qu’il a chassés, ils se sont dispersés très loin dans le ciel et le « Devel » leur a donné la mission d’allumer chaque jour les étoiles. Si vous regardez bien, vous les verrez qui portent des fagots… »

Jolie fable.

 « Dis-moi, mon garçon, demandait Jag qui aimait les fables, qu’est-ce qui est mieux pour un mouton, le berger ou le loup ? 
– Le berger. 
 – Et qui tond le mouton ?
 – Le berger. 
– Et qui le tue pour le manger ? 
– Le loup !
– Non, Anton. c’est encore le berger. Il est bien rare qu’un loup parvienne à tuer un mouton, parce que le berger veille et il a de gros chiens. Mais qui donc protège le mouton quand le berger vient l’immoler ? 
– Personne. 
– Et pourtant de qui a peur le mouton : du berger ou du loup ? 
– du loup ! 
– Oui mon garçon, voilà bien tu le drame des hommes : ils sont exactement comme les moutons. On leur fait croire à l’existence de loups et ceux qui sont censés les protéger sont en fait ce qui les tondent et les tuent.

Rencontre avec les nazis.

 Ils semblaient si certains de leur force et de leur bon droit qu’il aurait été vain de protester, même lorsque l’un d’entre-eux avait pissé sur le marchepied d’une roulotte. Étrange comme la certitude hautaine de leur propre humanité peut amener certains hommes à se conduire comme des bêtes.

Le ghetto de Łódź.

Chaim Rumkowski n ‘est qu’un pantin qui se prend pour un ventriloque ! Il croit que nous sommes ses marionnettes. Il se joue de nous. Nous sommes ses choses. Mais qu’est-il lui-même ? Ne voit-il pas les fils qui partent de ses membres ? Ne sait-il pas qu’il est un jouet entre les mains des bourreaux ? Il est aveuglé par le pouvoir, ivre parce que les marks qui circulent au ghetto sont signés de son nom. Monnaie de singe en vérité ! Ce n’est qu’un tragique simulacre, un théâtre sordide et ridicule ! Un jour, tout ça s’effondrera, alors peut-être se verra-t-il tel qu’il est ! Le roi est toujours nu, mon garçon, toujours, ne l’oublie jamais !

Les survivants.

 Ci et là encore, il avait croisé quelques survivants, de Łódź ou de « Lager », la plupart marqués dans leur âme et leur chair, tourmentés par le simple fait d’avoir survécu là où tant d’autres étaient morts. Il les reconnaissait presque du premier coup d’œil. Il lui arrivait de se retrouver en présence d’un parfait inconnu et de se dire que si l’autre relevait la manche de sa chemise, de son bleu de travail, de son costume, on verrait apparaître un numéro de matricule tatoué comme celui que lui-même avait sur le bras droit. 
Seuls les bourreaux dormaient du sommeil du juste, c’était une constante, les victimes, elles continuaient à souffrir leur vie durant, jamais leur plaies ne cicatrisaient entièrement.

 

Jorj Chalandon est un habitué sur Luocine avec parfois d’excellent romans et parfois des déceptions.

Retour à Killiberg, le Quatrième Mur, Profession du père, sont pour moi de grands romans , un peu déçue par Le jour d’avant, et un petit flop par La Légende de nos pères, celui-ci rejoint mes préférences . Le sujet était particulièrement compliqué, Sorj Chalendon est journaliste et doit couvrir le procès Barbie en 1987 à Lyon où habite son père qui lui demande un passe droit pour suivre ce procès. C’est aussi l’occasion de rouvrir le dossier de son père qui a passé son temps à mentir à son fils sur son passé pendant la deuxième guerre . A-t-il été résistant ? Soldat SS ? Engagé dans la division Charlemagne ? a-t-il suivi les divisions allemandes pour lutter contre le communisme ? Son attitude lors du procès de Barbie est tellement désagréable, que son fils part à la recherche du procès pendant lequel son père a été condamné à un an de prison et à cinq ans d’indignité nationale.

Le roman débute par la visite du journaliste à Izieu, il visite cette colonie de vacances où des enfants juifs étaient cachés et semblaient en sécurité, ces pages sont d’une intensité rare et l’écrivain sait rendre ces enfants présents dans nos mémoires. Ce sera aussi un des moments les plus émouvants du procès.

Son père se comporte comme à son habitude, méprisant et bernant toutes les autorités : il se fait passer pour un héros de la résistance et obtient une place au procès car il veut absolument voir Barbie. Il méprise tous les témoignages des gens qui selon lui, ne sont bons qu’à pleurnicher. En revanche Barbie et Vergès lui plaisent bien ainsi que Klarsfeld car ces hommes lui semblent être d’une autre trempe. Son fils est excédé par son attitude et essaie de le confronter à son passé car il a pu obtenir le dossier judiciaire de son père grâce auquel il espère enfin le confronter à la réalité.

Les deux histoires se développent au rythme du procès officiel de Klaus Barbie, celui de son père est plus embrouillé mais implacable contre les mensonges de celui qui a gâché son enfance. Le procès de Barbie, ne permet pas d’obtenir la moindre repentance du bourreau de Lyon, mais la succession des témoignages de ceux qui ont eu à souffrir des conséquences de ses actes est à peu près insoutenables. Cela fait sourire son père , il ne voit le plus souvent qu’une machination d’une justice qui de toute façon condamnera Barbie. Son fils est écœuré, les bravades et rodomontades de son père ne l’ont jamais fait rire quand il était enfant, mais la différence c’est qu’il n’en a plus peur. La dernière scène est terrible laisser ce vieil homme face à toutes ses lâchetés lui qui s’est toujours présenté comme un héros sent la catastrophe possible. Le roman se termine là face à la Saône que son père veut traverser à la nage mais l’auteur tient à nous préciser que finalement son père est mort en 2014, Barbie en 1991 et que lui même a obtenu le dossier de son père en 2020. Donc ce livre est bien une fiction et pas une autobiographie, ce qui ne lui enlève aucune valeur à mes yeux, je dirai bien au contraire.

 

Citations

 

Conversation avec son grand-père qui donnera le titre à ce livre.

– Ton père, je l’ai même vu habillé en Allemand, place Bellecour.
À l’école primaire, pendant un trimestre, mon père m’avait obligé à porter la Lederhose la culotte de peau bavaroise, avec des chaussettes brunes montées jusqu’à la saignée des genoux. C’était peut-être ça, habillé en Allemands ? 
-Arrête donc avec ça ! a coupé ma marraine. 
Mon grand-père a haussé les épaules et rangé la pelle le long de la cuisinière. 
-Et quoi ? il faudra bien qu’il apprenne à jour ! 
– Mais qu’il apprenne quoi, mon Dieu, c’est un enfant ! 
– Justement C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! 
C’était en 1962, et j’avais dix ans.

Petite Remarque sur la personnalité de son père.

 Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu.

Le personnage son père

 -Mon père a été SS. 
J’ai revu mon père, celui de mon enfance, son ombre menaçante qui n’avait jamais eu pour moi d’autres mains que ses poings. Depuis toujours mon père me frappait. Il avait soumis son enfant comme on dresse un chien. Lorsqu’il me battait, il hurlait en allemand, comme s’il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldat. Quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais. Il était celui qui humiliait. Celui qui savait tout, qui avait tous vécu, qui avait fait cette guerre mais aussi toutes les autres. Qui racontait l’Indochine, l’Algérie. Qui se moquait de ceux qui n était pas lui. Qui les cassait par ces mêmes mots :
– Je suis bien placé pour le savoir !

La repentance qui ne vient pas.

 Il n’avait pas payé et je lui en voulais. Payer, ce n’était pas connaître la prison, mais devoir se regarder en face. Et me dire la vérité. Il a comparu devant des juges, pas devant son fils. Face à eux, il a hurlé à l’injustice. Face à moi, il a maquillé la réalité. Comme s’il n’avait rien compris, rien regretté jamais.

Édition « romanBelfond » . Lu dans le cadre de masse critique de Babelio

Mais pourquoi diable me suis-je laissée tenter par ce titre ? En lisant la présentation, j’ai cru que j’allais découvrir un aspect que je connaissais mal de la carrière de Clark Gable à savoir, son engagement dans l’aviation pendant la seconde guerre mondiale. J’ai été élevée par une mère qui adorait cet acteur et j’ai partagé son enthousiasme pour le célèbre film « Autant en emporte le Vent » , et à mon tour j’ai fait aimer ce film à mes filles. Je me suis pâmée d’amour pour Rhett Butller mais je dois dire plus dans le roman que dans le film. (Tant pis pour Clark !)
Bien sûr ce roman parle de Cark Gable, mais le principal sujet de ce récit c’est le projet qu’aurait eu Hitler de s’emparer de ce célèbre acteur pour renforcer le prestige du troisième Reich et de son Führer. Le début de l’engagement de l’acteur dans l’aviation américaine doit être assez proche de la réalité, mais son aventure en France et en Allemagne est de la pure fiction. Ce n’est là que pour permettre à l’auteur quelques chapitres sur la résistance française et tout le roman est construit ainsi, un mélange de la réalité historique avec une fiction digne d’un film de guerre Hollywoodien, c’est sans doute ce que voulait l’auteur, peut-être que d’autres que moi accepteront son parti pris.
L’auteur part dans une succession d’aventures avec, comme arrière fond, les horreurs de la guerre menée par les nazis. Le mélange de la réalité historique et de la fiction m’a mise très mal à l’aise. Les aventures d’Eva Braun avec un bel officier SS m’ont semblé être une entreprise de racolage pour pimenter un peu plus les récits habituels sur ce qu’il se passait dans l’entourage d’Hitler, les différentes scènes sexuelles n’ont pas d’autre intérêt selon moi.
À partir de ce moment, je me suis détachée du projet de l’écrivain et tout me semblait faux, je lui en voulais d’avoir pris ce cadre historique chargé des horreurs les plus insoutenables de l’histoire de l’humanité, pour donner vie à son imagination. Tout ce qu’il raconte : la bataille de Stalingrad, l’extermination des populations juives dans les pays baltes, la consommation de drogue par Hitler tout cela est vrai et est connu mais se servir de ce décor pour une histoire d’amour entre Eva Braun et son bel officier, pour imaginer la capture puis l’évasion de Clark Gable c’est pour moi à la limite de l’indécence.
Bref un flop total et je retrouve ma question du début : Pourquoi me suis-je laissée tenter ?

 

 

Citations

La pervitine

 Développée dès l’automne 1937 par la firme pharmaceutique Temmler, la Pervitine a d’abord été accessible à toute la population allemande sans restriction. On la trouve alors au coin de la rue, dans son officine habituelle. Par la suite, elle est massivement distribuée aux soldats de la Wehrmacht qui, en attaquant la Pologne puis la France avec une sauvagerie inouïe, ont prouvé son efficacité. Le concept de « guerre éclair » est né. Les troupes de choc parcourent des dizaines de kilomètres par jour, galvanisées par cette substance qui leur confère un sentiment d’invincibilité. Elles attaquent avec rage, comme possédées, terrorisent l’ennemi qui ne peut que battre en retraite devant tant de détermination et de violence .
 

Un peu ce que j’attendais de ce roman.

 Il se rappelle soudain une scène qui l’a marqué trois ans auparavant. Lors de la première mondiale d' »Autant en emporte le vent », au Fox théâtre d’Atlanta, l’actrice afro-américaine Hattie McDaniel, qui incarnait une domestique, n’a pas été autorisée à assister à la projection. Pour la soutenir, Gable a menacé de rester chez lui. Elle l’a supplié de revenir sur sa décision pour ne pas gâcher la soirée. L’acteur à obtempérer. Deux mois plus tard, le 29 février 1940, Hattie McDaniel remportait l’oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour sa prestation dans ce film qui deviendra le plus grand succès de tous les temps. Là encore, elle avait dû emprunter une entrée réservée aux gens de couleur pour participer à la cérémonie. Dans la salle, elle avait même dû s’asseoir au dernier rang , à bonne distance de l’équipe du film.

Édition Acte Sud. Traduit de l’allemand par Marie Claude Auger Depuis deux ans, je participe au mois de lecture allemandes organisé par « Et si on bouquinait un peu« . J’y ai fait de belles découvertes, cette année un peu moins mais j’avais retenu ce titre : les abeilles d’hiver, chroniqué par Patrice. Le voici donc sur mon blog, et moi aussi j’ai bien aimé cette lecture. Le billet de Patrice passe sous silence les pages qui m’ont ennuyée sans que je puisse en distinguer l’intérêt. Egidius Arimond est un ancien professeur de latin écarté de l’enseignement parce qu’il était épileptique, et que, sous le régime nazi, on écarte -voire on élimine- tous les handicapés. Il ne doit sa survie qu’aux exploits de son frère qui est un pilote émérite de l’armée de l’air allemande. Sa qualité de latiniste l’entraine à traduire de très anciens documents d’un certain Ambrosius Arimond (un de ces ancêtres ?) et j’ai trouvé ces textes sans grand intérêt, je trouve que ça alourdit inutilement le roman. En revanche, comme Patrice, j’ai été intéressée par tout ce qu’il raconte sur les abeilles. J’étais bien au milieu de ces reines et de ces ouvrières, tellement mieux que dans son village gangréné par la présence nazie. Egidius, doit gagner de l’argent pour se procurer ses médicaments contre son épilepsie, c’est une des raisons pour laquelle il accepte de faire traverser à des juifs, la frontière belge. Ses abeilles et ses ruches l’aideront à cacher les personnes à qui il doit faire passer la frontière : elles seront dissimulées dans les ruches et recouvertes d’abeilles. L’argent n’est pas sa seule motivation, il sait qu’il doit sa survie à la gloire de son frère, son handicap lui donne le recul nécessaire pour juger le régime. Le médicament qui lui permet de ne pas avoir de crises épileptiques graves est de plus en plus cher, Edigius se confronte au mépris du pharmacien un nazi convaincu qui ne souhaite que sa mort. Au village les hommes manquent, car ils sont au combat, et Egidius entretient avec leurs femmes qui lui plaisent des bons moments d’un érotisme très sensuel très bien raconté, mais ces relations le mettent en danger. Un roman assez lent -je retrouve souvent cette lenteur dans les romans allemands – mais je m’y suis sentie bien car le personnage principal est attachant, il m’a fait aimer les abeilles !  

Citations

Un joli souvenir

Mon frère avait toujours rêvé de s’élever loin au dessus de la terre d’une manière ou d’une autre ; autant que je me souvienne, il voulait devenir pilote d’étoiles.

On sait cela, mais c’est terrible de le lire :

 La loi nazie sur la prévention des maladies héréditaires de la progéniture comprend la débilité congénitale, la maladie maniaco-dépressive, l’épilepsie héréditaire, la danse de Saint-Guy héréditaire, la cécité héréditaire, la surdité héréditaire, les déformations physiques graves l’alcoolisme profond. Les décisions concernant la stérilisation forcée et l’euthanasie sont prises par le tribunal cantonal. J’ai été stérilisé dans l’hôpital voisin. Le fait que je n’aie pas été transféré dans une institution comme les autres pour y être exécuté est probablement dû à la position de mon frère. Avec son tableau de chasse, Alfons est un héros du national socialisme ; il est même passé une fois aux informations avec son escadron.

L’amour

Elle me dit des choses que je ne veux pas savoir, me parle d’amour. Je la blesse notamment quand je lui dis que l’amour, ça n’existe pas, qu’il n’y a que la séduction et le désir, et que notre désir n’a rien à voir avec la vertu.

Descriptions des cadres du parti Nazi

Je retourne au lit et je rêve de faisans dorés. Ils ont des visages pâles, une couronne de peau imberbe autour de leurs yeux couleur jaune d’œuf. Ils portent des huppes à longues plumes irisées qui tombent jusque dans leurs cous rasés, des pantalons et vestes d’uniforme, de larges lanières de cuir qui ont du mal à contenir leurs ventres. Ils se parent d’insignes et de médailles du parti et émettent des sons gutturaux stridents. Le dessous de leur plumage vire au brun. Les grandes plumes de leurs ailes aux reflets métalliques sont effilées aux extrémités. Ils s’imaginent qu’ils pourraient voler et dominer le monde pendant mille ans. Leurs pattes maigres sont écailleuses et couleur de corne, leurs longues serres recourbées sont dans des bottes de cuir bien astiquées.

De l’utilité des mâles

 Dans certaines colonies, j’ai déjà retiré des cadres le premiers couvain operculé de mâles. Trop de mâles ne sont pas bons pour la ruche, ils ne sont utiles que pour la reproduction, à part ça, ils ne sont bons qu’à se servir dans le miel et à salir la ruche avec leurs excréments. ce qui veut dire que les ouvrières, en plus de s’occuper des larves, doivent nettoyer leur saletés dans la ruche.

       

Éditions Points . Traduit de l’anglais par Jean Esch Après « la trilogie berlinoise » voici l’offrande grecque. Je retrouve avec plaisir cet auteur écossais qui cherche avec obstination pourquoi la réparation des horreurs commises par les nazis a épargné tant d’assassins allemands. Bernie Ghunter, le personnage principal, vit maintenant sous une autre identité à Munich pour faire oublier son passé de policier berlinois sous le régime nazi, il va se retrouver en Grèce où l’attend une enquête très compliquée et pleine de rebondissements sanglants et effrayants impliquant Aloïs Brunner, responsable de tant de crimes et entre autre de l’extermination des juifs de Salonique. (Aloïs Brunner a terminé sa vie en Syrie, il devient conseiller d’Haez el Assad qu’il aide à former les services de renseignement, et à organiser la répression et la torture dans les prisons. lisez l’article de Wikipédia qui lui est consacré). Ce qui m’a intéressée dans ce roman, c’est l’analyse de cet auteur face aux réactions -si peu nombreuses- suscitées par les crimes nazis en Grèce. Qui sait que 43 000 mille juifs furent déportés sous les ordres d’Aloïs Brunner ?. Pour l’auteur la façon dont l’Allemagne domine à l’heure actuelle l’Europe est une belle revanche pour les nostalgiques de la grandeur de l’Allemagne. L’enquête passionnera plus que moi les amateurs du genre .

Citations

Réflexions sur les atrocités nazies

Juste avant la guerre, j’étais un jeune avocat au ministère de la justice, ambitieux, obsédé par ma carrière. à cette époque, la SS et le parti nazi étaient le moyen le plus rapide de réussir. Au lieu de cela, je suis resté au ministère, Dieu merci. si vous ne m’aviez pas fait changer d’avis, Bernie, j’aurais certainement fini au SD, à la tête d’un groupe d’action de la SS dans les pays baltes, chargé d’éliminer des femmes et des enfants juifs, comme un tas d’autres avocats que j’ai connus, et aujourd’hui, je serais un homme recherché, comme vous, ou pire. J’aurais pu connaître le même sort que ces hommes qui ont fini en prison, ou pendus à Landsberg. Il secoua la tête, sourcils froncés. Très souvent, je me demande comment j’aurais géré ce dilemme… les massacres…. Qu’aurais-je fait ? Aurais-je été capable de faire. ça ? Je préfère croire que j’aurais refusé d’exécuter ces ordres, mais si je suis vraiment honnête avec moi-même, je n’en sais rien. Je pense que mon désir de rester en vie m’aurait persuadé d’obéir, comme tous mes collègues. Car il y a dans ma profession quelque chose qui m’horrifie parfois. J’ai l’impression qu’aux yeux des avocats tout peut se justifier, ou presque, du moment que c’est légal. Mais vous pouvez légaliser tout ce que vous voulez quand vous collez une arme sur la tempe du Parlement. Même les massacres.

Les fraudes( ?) à l’assurance : humour noir.

Sur la note du restaurant apparaissait deux bouteilles de champagne et une bouteille d’excellent bourgogne. Peut-être était-il ivre, en effet, je n’en savais rien, mais si l’assurance payait, Ursula Dorpmüller toucherait vingt mille marks, de quoi faire d’elle une authentique veuve joyeuse. Avec une telle somme, vous pouviez vous offrir des tonnes de mouchoirs et un océan de condoléances les plus sincères .

Descriptions qui me réjouissent .

 Je fus accueilli dans le hall par un gros type qui brandissait une pancarte MUNICH RE . Il arborait une moustache tombante et un nœud papillon qui aurait pu paraître élégant s’il n’avait été vert et, pire encore, assortie à son costume en tweed (et vaguement à ses dents aussi). L’impression générale -outre que le costume avait été confectionné- par un apprenti taxidermiste, était celle d’un Irlandais jovial dans un film sentimental de John Ford.

Je peux lire des romans polars quand l’écrivain possède cet humour :

 Située à une vingtaine de minutes en voiture d’Athènes, la ville ne possédait plus aucun monument ancien important, grâce aux Spartiates qui avaient détruit les fortifications d’origine et les Romains qui avaient détruit quasiment tout le reste. Voilà ce qui est réconfortant dans l’histoire : vous découvrez que les coupables ne sont pas toujours les Allemands.

   

Édition Robert Laffont Pavillons Poche . Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss participations au mois « les feuilles allemandes » « Si on bouquinait un peu » « Ingannmic » Surtout ne pas se fier à la quatrième de couverture qui raconte vraiment n’importe quoi :

En 1943 son père , officier de police , est contraint de faire appliquer la loi du Reich et ses mesures antisémites à l’encontre de l’un de ses amis d’enfance, le peintre Max Nansen.

Il y a deux choses de vraies dans cette phrase, le père du narrateur est bien chef de la police local, et nous sommes en 1943 . Deux choses fausses, le père policier n’applique pas des mesures antisémites à Max Nansen qui d’ailleurs n’est pas juif , mais il applique des mesures qui combattent l’art dégénéré . Il n’est pas « contraint » de le faire, et ce mot trahit complètement le sens du roman, le chef de la police de Rugbüll éprouve une joie profonde à appliquer toutes les mesures qui relève de son « DEVOIR » . (J’attribue à cette quatrième de couverture la palme de l’absurdité du genre) le roman se passe en deux endroits différents, le jeune Siggi Jepsen est interné dans une maison pour délinquants sur une île et doit s’acquitter d’une punition car il a rendu copie blanche à son devoir d’allemand sur le « sens du devoir ». Il explique que ce n’est pas parce qu’il n’a rien à dire mais, au contraire, parce qu’il a trop de choses à dire. Commence alors, la rédaction de ses cahiers qui nous ramènent en 1943 à Rugbüll un petit village rural du nord de l’Allemagne dans la province du Schleswig-Holstein. Une région de tourbières et de marais. Le père de Jens, le policier local est très fier de ses fonctions. Le devoir, c’est ce qui le fait tenir droit dans ses bottes comme tous les allemands de l’époque. Le deuxième personnage du récit c’est un peintre Max Ludwig Nansen dont les tableaux ne plaisent pas au régime en place. Tout ce qui est dit sur ce peintre nous ramène à Nolde qui effectivement a peint cette région et a été interdit de peindre en 1943, car sa peinture a été qualifiée d’art dégénéré, alors que lui même avait adhéré au partit Nazi et était très profondément antisémite, (Angela Merkel a fait enlever ses tableaux de la chancellerie à Berlin, pour cette raison) . Rien de tout cela dans le roman, mais une évocation saisissante de la peinture de Nolde qui a compris mieux que quiconque, sans doute, la beauté des paysages de cette région.

  Le roman voit donc s’opposer le père du narrateur un homme obtus et qui n’a qu’une raison de vivre : appliquer les ordres et ce peintre qui ne vit que pour la peinture, tout cela dans une nature austère et au climat rude. Sur la couverture du livre je vois cette citation de Lionel Duroy :

J’aurais rêvé être un personnage de Lenz, habiter son livre.

Cette phrase m’a laissée songeuse, car j’ai détesté tant de personnages de ce roman. Je pense que Lionel Duroy n’aurait pas aimé être le père de Jens qui est capable de dénoncer aux autorités son propre fils Klaas qui s’est tiré une balle dans la main pour fuir l’armée. La mère qui dit tout comme son mari et qui explique à son fils de ne pas s’approcher des enfants handicapés car ils sont porteur de tous les vices et les malheurs du monde. Tous les personnages se débattent dans un pays si plat que rien ne peut y être caché et se meuvent dans une lenteur proche du cauchemar. Le peintre a une force personnelle qui rompt avec cet académisme bien pensant sans pour autant remettre à sa place le policier même après la guerre sans que l’on comprenne pourquoi. Il y a une forme d’exploit un peu étrange dans ce roman, le mot Nazi n’y apparait jamais pas plus que la moindre allusion au sort des juifs, pas plus que le nom d’Hitler. Ce n’est sûrement pas un hasard mais je ne peux qu’émettre des hypothèses. Je pense que le but de Siegfried Lenz est de montrer qu’une certaine mentalité allemande est porteuse en elle-même de tous les excès du nazisme. Cette mentalité puise ses racines dans une nature où le regard se perd dans des infinis plats et gris auquel seul le regard d’un artiste peut donner du sens . Je vous conseille de regarder sur Arte un reportage sur Nolde, vous entendrez que ce roman de Siegfried Lens a contribué à effacer le passé antisémite du peintre et son engagement au côté du régime Nazi. Je comprends mieux les curieux silences de l’auteur qui m’avaient tant étonnée. Tout cela donne un roman de 600 pages au rythme si lent que j’ai failli plusieurs fois fermer ce livre en me disant ça va comme ça ! Assez de nature grise mouillée sans aucun relief ! Assez de ces personnages qui restent face à face sans se parler ! Assez des bateaux sur l’Elbe qui n’avancent pas ! Mais, je me suis souvenue du mois des feuilles allemandes chez Patrice et Eva alors j’ai tout lu pour vous dire que vous pouvez laisser ce roman dans les rayons de votre bibliothèque d’où on ne doit pas le sortir très souvent. Et si vous voulez comprendre cette région regardez les tableaux de Nolde (malgré son passé nazi et son antisémitisme) vous aurez plus de plaisir et vous aurez le meilleur de cette région.

   

Citations

 

Un passage pour donner une idée du style et du rythme très lent du roman

Toujours plus haut, plus vite, plus abrupt. Toujours plus vigoureuse les impulsions. Toujours plus près de la cime large et défrisée du vieux pommier planté par Frederiksen du temps de sa jeunesse. La balançoire émergeait avec un sifflement de l’ombre verdoyante, glissait dans un grincement d’anneaux le long des cordes tendues et vibrantes et engendraient au passage un fort appel d’air ; et, sur le corps arqué et tendu de Jutra passait les ombres effrangées des branchages. Elle grimpait vers le sommet, restait un instant suspendu dans l’air, retombait ; j’intervenais dans cette chute en poussant rapidement au passage la planche de la balançoire ou les hanches de Jutta ou son petit derrière ; je la poussais en avant, en haut, vers le sommet du pommier, elle grimpait là-haut comme projetée par une catapulte, la robe flottante, les jambes écartées, et le courant d’air sifflant lui modelait sans cesse une nouvelle apparence, tirait ses cheveux vers l’arrière ou donnait plus d’acuité encore à son visage osseux et moqueur. Elle avait décidé à faire un tour complet avec la balançoire et moi, j’étais décidé à lui fournir l’impulsion nécessaire, mais pas moyen d’y arriver, même quand elle se mit debout, jambes écartées sur la planche, pas moyen d’y arriver, la branche était trop tordu ou l’impulsion insuffisante : ce jour-là, dans le jardin du peintre, pour le soixantième anniversaire du docteur Busbeck. Et quand Jutta comprit que je n’y arriverai pas, elle se rassit sur la planche. Elle se laissa balancer en souriant sans l’ombre d’une déception et se mit à me regarder d’une façon bizarre. Et soudain elle m’enserra et me retint dans la pince de ses jambes maigres et brunes, je n’avais plus guère notion d’autre chose que de sa proximité. En tout cas je compris cette proximité, et j’ose l’affirmer, elle comprit que j’avais compris ; je décidai de rester absolument immobile et d’attendre la suite mais il n’y eut pas de suite : Jutta me donna un baiser bref et négligent, desserra ses jambes, se laissa glisser à terre et courut vers la maison.

Le sens du devoir du père policier et le peintre

Peut-être te renverra t-on les tableaux un jour, Max. Peut-être que la Chambre veut-elle seulement les examiner et te les renverra-t-on après.
Et dans la bouche de mon père une telle affirmation, une telle hypothèse prenait un air de vraisemblance tel qui ne serait venu à l’idée de personnes de mettre en doute sa bonne foi. Le peintre en resta interloqué et sa réponse mit du temps à venir. Jens, dit-il enfin avec une indulgence un peu amère , mon Dieu, Jens, quand comprendras-tu qu’ils ont peur et que c’est la peur qui leur inspire cette décision, interdire aux gens d’exercer leur profession, confisquer des tableaux. On me les renverra ? Dans une urne peut-être, oui. Les allumettes sont entrés au service de la critique d’art, Jens, de la contemplation artistique comme ils disent. Mon père faisait face au peintre ; il ne montrait plus le moindre embarras et son attitude exprimait même une impatience arrogante. Je ne fus donc pas surpris de l’entendre dire : Berlin en a décidé ainsi et cela suffit. Tu as lu la lettre de tes propres yeux, Max. Je dois te demander d’assister à la sélection des tableaux. Est-ce que tu vas mettre les tableaux en état d’arrestation ? demanda le peintre et mon père, d’un ton cassant, nous verrons quels tableaux doivent être réquisitionnés. Je vais noter tout ça et on viendra les chercher demain.

Heureusement que l’écrivain narrateur prévient de la lenteur…

Mais il faut maintenant que je décrive le matin, même si chaque souvenir appelle des significations nouvelles : il faut que je mette en scène une lente éclosion du jour au cours de laquelle un jaune irrésistible l’emporte peu à peu sur le gris et le brun ; il faut que j’introduise l’été, un horizon sans bornes, des canaux, un vol de vanneaux, il faut que je déroule dans le ciel des nappes de brume, et que je fasse résonner de l’autre côté de la digue le bourdonnement vibrant d’un cotre ; et pour compléter le tableau, il faut que je quadrille le paysage d’arbres et de haies, de fermes basses d’où ne se lève aucune fumée ; il faut aussi que, d’une main négligente, je parsème les prairies de bétail taché de blanc et de brun.

Toujours cette lenteur qui convient aux gens du Nord de l’Allemagne

Je dois patienter si je veux tracer de lui un portrait ressemblant ; je dois évoquer les entrée en matière des deux hommes, leur extraordinaire propension à larder la table de la cuisine de silences exagérément longs -ils parle il parlèrent d’avion volant en rase-mottes et de chambres à air- je dois supporter une fois encore le soin minutieux qu’ils mirent à s’informer de la santé de leurs proches et je dois aussi songer à leurs gestes lents mais calculés.

Le devoir dialogue avec le facteur

Il y en a qui se font du souci, dit-il, il y a des gens qui se font du souci pour toi parce qu’ils pensent que les choses peuvent changer un beau jour : tu sais qu’il a beaucoup d’amis. J’en sais encore plus, dit mon père, je sais qu’on l’estime aussi à l’étranger, qu’on l’admire même, je sais que chez nous également, il y en a qui sont fiers de lui, fiers, parce qu’il a inventé ou créé ou fait connaître le paysage de chez nous. J’ai même appris que dans l’Ouest et dans le Sud c’est à lui qu’on pense d’abord quand on pense à notre région. Je sais pas mal de choses crois-moi. Mais pour ce qui est du souci ? Celui qui fait son devoir n’a pas de souci à se faire -même si les choses devaient changer un jour.

Son père, est ce de l’humour ?

Il avait la réflexion besogneuse, la compréhension lente, une chance car cela lui permettait de supporter pas mal de choses et surtout de se supporter lui-même.

L’allure de son père

On n’entendait pas encore leurs pas traînants dans le couloir que déjà le policier de Rugbüll s’apprêtait à les recevoir et adoptait un maintien que nous qualifierons de martial. Dressé de tout son haut , des jambes légèrement écartées , solidement ancré au plancher, l’air décontracté mais néanmoins en éveil, il resta planté au centre de la cuisine, revendiquant ostensiblement l’obéissance dont on lui était redevable en tant qu’instructeur et actuel chef de notre milice populaire.

L’après nazisme

On se dit qu’ils vont rester terrés un bon moment, faire les morts, se tenir cois, en tête à tête avec leur honte, dans l’obscurité, mais à peine a-t-on eu le temps de respirer Que déjà ils sont de retour. Je savais bien qu’ils reviendraient, mais pas si vite, Teo, jamais je ne l’aurais cru. Quand on voit cela, on ne peut que se demander ce qui leur fait le plus défaut : la mémoire ou les scrupules.

La présence des tableaux

Peut-être cela commença-t-il ainsi : je remarquai que j’étais observé et non seulement observé mais reconnu. Les slovènes étaient assis autour de leur table ronde, la mine béate, l’ œil vitreux, plein de schnaps. Les marchands avaient d’intérêt que pour une vieille femme qui passait sans faire attention à eux et les paysans courbés par le vent avaient fort à faire avant l’orage imminent. Les acrobates ? Les prophètes ? Ceux-là ne faisaient que soliloquer.
 Ce devaient être les deux banquiers avec leurs mains vertes légèrement dorées et leur visage semblable à des masques, ils me regardaient. Ils avaient cessé de se mettre d’accord du coin de l’ œil sur l’homme prostré en face d’eux sur sa chaise. Son désespoir ne les intéressait plus, ils l’abandonnaient à sa douleur. Il me sembla qu’ils avaient levé le regard, toute trace de supériorité avait disparu de leurs yeux gris et froid. Je ne pouvais pas me l’expliquer, je ne cherchais pas non plus à me l’expliquer : la peinture se rétrécit , j’ai ressenti une douleur précise, comme un étau contre les tempes, quelque chose de clair se déplaçait vers la peinture germait très loin à l’arrière-plan et se rapprochait en vacillant.

Évocation de la nature qui peut faire penser aux tableaux de Nodle

Nous attendîmes jusqu’au crépuscule et il ne se passait toujours rien. Le soleil se couchait derrière la digue, exactement comme le peintre lui avait appris à le faire sur papier fort, non perméable : il sombrait, il s’égouttait pour ainsi dire dans la mer du Nord, en filaments de lumière rouges, jaunes, sulfureux ; de sombres lueurs fleurissaient des crêtes des vagues. Le ciel s’allumait de tons ocres et vermillons aux contours flous, aux formes imprécises, presque gauche ; mais le peintre lui-même le voulait ainsi : l’habileté, avait t-il déclarer un jour, ce n’est pas mon affaire. Donc, un long coucher de soleil, gauche d’allure, avec quelque chose d’héroïque malgré tout, plus ou moins bien, cerné au début comme noyé à la fin.

   

Édition folio poche . Traduit du tchèque par Barbora Faure. Coucou Athalie, tu m’avais bien tentée avec ce roman, et je te remercie de me l’avoir fait lire. C’est une petite merveille ce livre de souvenirs d’un enfant tchèque de père juif et de mère chrétienne qui connaît une enfance aimée et riche en évènements avant la guerre, traverse les horreurs de la guerre et se reconstruit sous le communisme. Raconté comme cela, vous pensez qu’il s’agit « encore » d’un roman sur la tragédie de la Shoa , mais pensez au titre ! Ce livre raconte la passion de cet enfant pour les rivières et les poissons et nous fait connaître son père Léo un personnage auquel rien ne résiste. Enfin presque . Dès la dédicace du livre le ton est donné et mon sourire était sur mes lèvres :

À ma maman qui avait mon papa pour mari.

C’est vrai qu’il est un peu encombrant ce Léo , toujours prêt à gagner des millions et devenir très très riche. Seulement voilà, la vie est faite d’imprévus surtout quand on aime les jolies femmes, offrir des tournées à tous ses amis dans les bars, et surtout aller pêcher la carpe dans des endroits merveilleux plutôt que de vendre des aspirateurs. Pourtant cela avait bien commencé avec le titre de « Meilleur Vendeur du Monde » d’aspirateur Electrolux. La vie auprès de lui, pouvait être compliquée, elle n’était jamais ennuyeuse, il a fallu le nazisme pour ralentir sa fougue. Après la guerre, il s’enthousiasme pour le communisme jusqu’à ces terribles procès qui lui assène une si triste réalité :

Pour la première et la dernière fois de sa vie, il s’est blotti entre me bras comme le font les enfants. J’étais déjà un homme. Je le tenais dans mes bras et je regardais par-dessus sa tête ce « Rudé Oarvo » où il avait coché au crayon rouge

  • Rudolf Slansky, d’origine juive
  • Bedrich Germinder, d’origine juive
  • Ludvick Frejka, d’origine juive
  • Bedrich Reicin, d’origine juive
  • Rudolf Margolieus, d’origine juive

La série de Juifs continuait et elle était toute maculée de larmes. Lorsqu’il se fut calmé, il me regarda d’un air absent, comme s’il ne me reconnaissait pas et dit : -Ils se remettent à tuer les Juifs. Ils ont de nouveau besoin d’un bouc émissaire. Puis il se leva, il donna un coup dans ce ‘Rué Pravo » et il se mit à crier : -Je pardonne les meurtres. Même judiciaires. Même politiques. Mais dans ce « Rudé Pravo » communiste, on ne devrait jamais voir « d’origine juive » ! Des communistes, et ils classent les gens en Juifs et non-juifs !

Ota Pavel a connu lui, aussi les affres de la dépression, mais grâce à tous ses souvenirs de pêches dans des endroits merveilleux, il a réussi à se reconstruire et il nous a laissé un livre qui nous fait sourire et aimer la vie. Son humour et sa pudeur en font un grand écrivain. Bravo à cet auteur .

Citations

Que disent nos féministes ?

Vous ne peignez pas de femmes ? 
– Vous savez, mon petit bonhomme, je ne les apprécie pas tellement, vos bonnes femmes. Elles m’énervent terriblement. Quand elles posent pour se faire peindre, elles sont affreusement bavardes et quand elles se taisent, alors elles sont tout à fait fadasses.

Le talent de son père

Pour la firme Electrolux l’arrivée de papa fut une grande aubaine. Il s’avéra rapidement qu’il était un prodige en ce qui concerne la vente d’aspirateurs et de réfrigérateurs. Difficile de dire à quoi cela tenait, mais il était génial dans ce domaine et si le talent est déjà mal aisé à reconnaître chez les génies artistique, il est d’autant plus quand il s’agit de vendre des aspirateurs à poussière (…). Il était parvenu à faire acquérir des aspirateurs à des paysans de Nesuchyne où il n’y avait pas encore de courant électrique moi. Bien entendu, il leur avait promis qu’il allait les aider à faire venir l’électricité, mais il ne tint pas sa promesse. 

La pudeur du récit

Un autre homme heureux était le professeur Nechleba. Il s’était remis à peindre sa Lucrèce. Un jour, quelques années plus tard, papa vint le voir et lui dit à quel point il la trouvait belle, et le professeur, tout joyeux la lui donna. Pendant la guerre, un SS saoul, blond aux yeux bleus, l’arracha de notre mur et la fendit d’un coup de poignard, la tuant somme toute pour la deuxième fois. Ce jour-là papa en eut les larmes aux yeux car il avait depuis longtemps oubliée Mme Irma et il était secrètement amoureux de Lucrèce.

La guerre

À cette époque la chair grasse et goûteuse des carpes nous était indispensable, pour nous, comme pour le troc. Pour les échanger contre de la farine, du pain et les cigarettes pour maman. J’étais resté seul avec maman, les autres étaient en camp de concentration. Je ne connaissais pas encore très bien les carpes. Je devais apprendre à voire si elles étaient de bonne ou de mauvaise humeur, si elles avaient faim ou au contraire repues et si elles avaient envie de jouer. Je devais connaître leur lieu de passage et les endroits où il était vain de les attendre. Je te les prête une canne solide et court, une ligne, un bouchon et un hameçon. 

L’antisémitisme après la guerre

Ce monsieur commença à lui faire la cour et au milieu de la danse, il lui dit :
– Vous êtes tellement belle, en la mangeant des yeux. 
Maman sourit, quelle femme n’aurait pas été flatté ?
 Et alors ce beau monsieur ajouta :.
– Mais je voudrais savoir, qu’est-ce que vous avez de commun avec ce juif ? 
-Trois enfants, répondit maman qui termina la danse et revint s’asseoir auprès de papa.

 

Édition Pocket Le bandeau me promettait une lecture inoubliable et un roman qui a connu un énorme succès. Même « la souris jaune » en avait dit beaucoup de bien, je dis même car il est très rare que je trouve chez elle des livres à grand succès. Je l’avais remarqué chez « Sur mes brizées« . J’ai été beaucoup plus réservée qu’elles deux. Je trouve que la première partie sur la montée du nazisme en Autriche est bien raconté mais je crois que j’ai tellement lu sur ce sujet que je deviens difficile. Il y a un aspect qui a retenu mon attention, c’est à quel point les Autrichiens ont été parfois pires que les Allemands dans le traitement des juifs. Ils n’ont pourtant été que peu jugés après la guerre pour ces faits. On comprend bien la difficulté de s’exiler, même quand l’étau antisémite se resserre, la famille que nous allons suivre a beaucoup de mal à laisser derrière elle leurs parents âgés et ils espèrent toujours au fond d’eux que cette folie va s’arrêter. Quand ils se décideront à partir au tout dernier moment, les frontières se sont refermées et les pays n’accueilleront plus les juifs. Ils passent donc un moment en Suisse dans un camp assez sinistre. Ils iront finalement dans le seul pays qui a accepté de recevoir des juifs : La République Dominicaine. C’est toute l’originalité du destin de ces juifs qui ont été accueillis dans ce pays si loin de leurs traditions autrichiennes. Dans ce gros roman l’auteure décrit avec force détails l’installation de ces intellectuels dans un kibboutz où chacun doit cultiver, élever les animaux, construire une ferme dans le seul pays qui a accepté officiellement d’accueillir jusqu’à la fin de la guerre des juifs chassés de partout. Nous voyons ces Autrichiens ou Allemands tous intellectuels de bons niveaux s’essayer aux tâches agricoles et de faire vivre un kibboutz et ensuite la difficulté de se reconstruire avec des origines marquées par la Shoa . Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas entièrement adhéré à ce roman. Je n’avais qu’une envie le de finir sans jamais m’intéresser vraiment à ces personnages.  

Citations

 

Beau rapport père fils

Je ne pus retenir un soupir de soulagement : finalement il n’y avait eu ni affrontement ni querelle. Je lus dans les encouragements de mon père une grande ouverture d’esprit et une tolérance que je ne soupçonnais pas. Ses yeux perçants souriaient et je sentis une puissante vague d’amour déferler et m’envelopper tout entier. Je savais quel renoncement et quels regrets c’était pour lui. J’étais fier de mon père. Il m’aimait. Je ne le décevrais pas.

Vienne

Je ne me sentais pas juif, mais simplement et profondément autrichien. J’étais né dans cette ville, comme mon père et ma mère avant moi. C’était mon univers, dans lequel je me sentais en confiance et en sécurité, et qui devait durer éternellement. L’Autriche était ma patrie, et être juif n’avait pas plus d’importance qu’être né brun ou blond. Bien sûr nous étions juifs, mais notre origine ne se manifestait guère plus qu’une fois par an le jour du grand Pardon, quand mon père s’abstenait de fumer ou de se déplacer, plus pour ne pas blesser les autres dans leurs sentiments que par convention conviction religieuse.

Vienne et ses juifs

Malgré les signaux d’alerte qui ne cessaient de se multiplier, nous nous raisonnions : nous étions si nombreux, quelques 180000 rien qu’à Vienne, et tant de juifs occupaient des positions clés dans l’économie et la culture. Nous étions héros de guerre, artistes, scientifiques, universitaires, médecins, notre pays ne pouvait se passer de nous.