Édition Liana Levi.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Mon club de lecture me conduit parfois vers des livres dont je n’avais pas entendu parler. Le thème du mois de février était l’Iran ? j’y ai découvert Négar Djavadi.
Du début jusqu’à (la presque) fin, j’ai suivi avec passion le récit tortueux et pourtant implacable de la vie de la famille Sadr, de grands notables iraniens. La narratrice Kimia Sadr, est dans la salle d’attente de l’hôpital Cochin, nous comprenons peu à peu le sens de sa démarche. Elle est dans le service de la fécondation assistée, elle est seule alors que tous les autres patients sont venus en couple. Elle s’adresse souvent à son lecteur et pour nous faire comprendre pourquoi elle est là, elle sent qu’elle doit dérouler toute l’histoire de sa famille. Nous passons de la famille d’un très riche propriétaire terrien dont le père est à la tête d’un harem, aux soubresauts de l’après guerre. Les intellectuels exilés iraniens sont, pour la plupart d’entre eux, les défenseurs de Mossammad Mossadegh qui a eu le courage de nationaliser le pétrole au dépend de l’Angleterre, le Shah, soutenu par les anglais et les américains l’a exilé sans l’emprisonner, et cela a été fini de la démocratie en Iran. Une répression de plus en plus sanglante, va s’abattre sur ce pays jusqu’à la révolution qui, hélas pour eux, sera captée par les religieux. On voit aujourd’hui que cette autre chape de plomb a bien du mal à se fissurer.
Sara et Darius, les parents de la narratrice sont engagés dans un combat très inégal qui les conduiront à un exil en France. Comment peut on construire une vie à travers tant de violence, Kimia aura d’autant plus de mal qu’elle ne se sent pas être féminine comme le sont ses deux soeurs.
Le mélange des deux temporalités , l’histoire de l’Iran et ce temps d’attente dans la salle de l’hôpital Cochin s’entrelacent et rajoutent à la tension du récit. Kimia, dit être née plusieurs fois, tout ce qui concerne la construction de son identité s’est passée dans la violence et on espère très fort pour elle que cet d’enfant à venir sera enfin une période pleinement heureuse.

Ce roman permet de mieux comprendre ce pays, du point de vue des classes favorisées et éduquées. On sent une coupure très grande entre eux et le peuple qui sans doute s’est plus reconnu dans les mollahs que dans ces intellectuels laïcs, descendants des seigneurs propriétaires de domaines grands comme des provinces. Je me suis laissée « désorienter » dans ce livre au titre tellment bien choisi, il dit si bien ce que la narratrice a dû vivre pour être enfin elle-même ;

 

Citations

Son père Darius et son grand père .

 Darius, je pense détestait son père pour lui même. Parce qu’il incarnait l’aveuglement et la crainte, et la ruine de ce bien précieux qu’est la pensée. Il le haïssait tous autant qu’il haïssait la religion dont Mirza-Ali était le premier des représentants. Toute sa vie, d’abord par ses lectures, puis par son engagement politique et son réveil révolutionnaire, il combattit des êtres comme lui, des figures autoritaires/conservatrices dont l’action principale consiste à protéger leur pouvoir en maintenant les peuples dans une hiérarchie sociale sclérosée et l’ignorance absolue dans un autre monde possible. À plusieurs reprises, je l’ai entendu dire que la religion, comme la tyrannie asséchait la capacité d’analyse dans le but d’imposer un unique sentiment : la peur. « La peur est leur seule arme et la révolution consiste à la retourner contre eux » insistait-il avec conviction.

Statut de la femme (pas sûre que ce soit seulement la femme iranienne).

 Je songe à une réflexion de Sarah au sujet de couple de voisins, les Hayavi, mariés de longue date, mais sans enfant. « Bien sûr que c’est lui qui est stérile. Si c’était elle, il aurait divorcé depuis longtemps. » Voilà toute la condition de la femme iranienne esquissée en deux phrases.

J’ai ri.

-Ton oncle lui a acheté un billet d’avion et ouste partie à l’autre du monde …
– Quel bout du monde ?
– Celui qu’on dit qui s’appelle « Amirika » !
– Il est parti en Amérique ? !
– C’est ce que je viens de dire.
– Et il fait quoi là-bas ?
– Qu’est-ce que tu veux qu’il fasse, c’est un Sadr… Il secoue son petit tuyau et fabrique des enfants.

La paternité.

 Si je devais utiliser une comparaison pour tenter de définir le rapport de Darius avec la paternité, je dirais qu’elle se révéla comme une de ces attractions qui excite la foule à la Foire du trône (Luna Park pour les Iraniens), mais qui d’emblée ne vous tente pas. Pourtant on vous y traîne de force et vous cédez. Vous en descendez plutôt enthousiaste, admettant que vous vous étiez trompé, cela valait vraiment le coup mais de là à y retournez… D’autant que si vous êtes Darius Sadr, des attractions autrement plus stimulantes vous interpellent de toute part. La guerre du Viêt Nam et l’intensification des bombardements sur le Nord, la réélection de Nasser et la chasse aux frères musulmans ; et en Iran rien de moi que l’assassinat du premier ministre Hassan Ali Mansour devant le Parlement et l’accession au pouvoir de « l’homme à la pipe » Amir Abbas Hoveyda. 

D’habitude je n’aime pas ce genre de clin d’œil au lecteur mais j’ai bien aimé ce bavardage avec cette auteure .

 Le tabou était telle que, même en son absence personne n’osait en parler (vous remarquerez que tous les tabous famille bisous avait un lien avec onze numéro 2). Pourtant patiente encore un peu cher lecteur, et je te révèlerai ce qu’aucun des Sadr n’a jamais su. Pour l’instant, il y a un bébé et sa mère a sauver.

Les filles iraniennes.

 Les filles étaient élevés pour être le ciment de la famille, la colle qui maintient ensemble des générations, les maisons et les traditions. Elles étaient façonnées pour rester auprès des parents vieillissants et s’accommoder de la vie comme d’un pont à traverser. La preuve en est que, cet été là, aucun des cousins adolescents n’étaient présents. Ils avaient tous été envoyés en « Amerika », loin des manifestations et des arrestations, poursuivent leurs études et se tailler un destin. L’un après l’autre, ils avaient laissé leurs sœurs derrière eux et avaient disparu de nos vies pour ne plus jamais réapparaître. Eux non plus n’ont pas eu le choix, mais au moins ils ont pu avoir des aventures et épouser qui ils voulaient.

Explication du titre.

 Tandis que tout en bas à l’orient rétrécit, devient anecdotique, puis disparaît, assise près du hublot Kimiâ Sadr, telle que vous l’avez connue, subit le même sort. Bientôt, je vais naître pour la seconde fois. Habituée à venir au monde dans le sang et la confusion, à réveiller la Mort et la convoquer à la fête, cette renaissance de la traversée du territoire indompté et violent du Kurdistan à la chambre d’hôtel de Karakoy – est indéniablement digne de la première. Bientôt, mon prénom ne sera plus prononcée de la même manière le « â » final de viendra « a » dans les bouches occidentales, se fermant pour toujours. Bientôt je serai une « désorientale ».

 

 


Édition Robert Laffont

deux cœurs au club de lecture de la médiathèque de Dinard 

J’avais tellement aimé « l’été des quatre rois » que je voulais absolument lire ce roman avant la réunion de notre club de lecture. Malheureusement, il était toujours sorti et je n’ai donc pu le lire qu’après. Je dois dire que j’aurais tout fait pour qu’il décroche ses trois cœurs même si j’ai bien compris ce que le seul homme du groupe en a dit : ce livre lui avait semblé raconter un épisode historique trop compliqué avec trop de détails dans lesquels il se perdait.

Ce récit raconte, en effet, un moment troublé de notre histoire en 1718, le régent Philippe d’Orléans doit faire face à un complot ourdit par la princesse du Maine qui veut rétablir les droit de son époux à être régent. Tout vient du fait que le duc du Maine, son mari, est le fils de Louis XIV mais un fils illégitime. Le roi lui avait donné titres et honneurs et l’avait inscrit dans l’ordre de la succession au trône. Mais le roi mort, le poids du sang prévaut à la volonté de l’ancien roi.

On est donc avec les courtisans et leur rivalité : rien ne les arrêtent quand il s’agit de pouvoir et de charges honorifiques. Le portrait de la duchesse du Maine est très bien dressé, on comprend à travers cette peinture combien les nobles de l’époque vivaient dans un monde qui n’avait absolument rien à voir avec la réalité des autres habitants de la France. Elle n’a aucune hésitation à entraîner la France dans une guerre pour assouvir sa soif de pouvoir. Elle n’a aucune idée de la valeur financière, par exemple elle est prête à payer plusieurs millions (qu’elle n’a pas !) la transformation d’un hôtel particulier pour que, dans la cour, deux carrosses puissent se croiser. Enfin, elle se séparera sans aucun scrupule de son bâtard de mari lorsque celui-ci perdra tous ses droits à la succession. C’est elle qui complote mais c’est lui qui paye ! Étant une petite fille du grand Condé, elle, cette petite femme presqu’une naine par la taille est certaine que rien ne peut lui arriver

En lisant les passages qui lui sont consacrés, on n’a aucun mal à comprendre le poids des rancœurs contre la noblesse qui amènera les paysans à brûler les châteaux en 1789.

Le portrait du régent m’a fait penser à Philippe Noiret dans « Que la fête commence » de Tavernier, on retrouve ce jouisseur intelligent mais peu déterminé

http://https://www.youtube.com/watch?v=2CG7pz-gJpA

 

On retrouve l’abbé Dubois, Saint Simon, les parlementaires qui veulent retrouver leur pouvoir muselé par Louis XIV, le banquier Law et bien d’autres personnages historiques tous fort intéressants.
Ce qui fait surtout le charme de ce roman c’est le style de l’écrivain, on a l’impression qu’il écrit comme Saint Simon. Cela donne un plaisir de lecture incroyable même si parfois je dois rechercher le mot dans un dictionnaire. Je ne savais pas qu’ « une fille de parties » désignait une prostituée mais j’aurais pu men douter car on « baise » beaucoup dans ce roman surtout quand on est prêtre .

Une époque bien décrite aussi dans le film de Tavernier et qui suivait la trop longue période d’austérité menée par Madame de Maintenon reléguée dans son couvent de Saint Cyr .

J’allais oublier de parler du premier chapitre, qui est d’une présence visuelle étonnante, on dirait que l’écrivain se transforme en cinéaste. Une pauvre femme retrousse ses jupes et part dans la boue du bord de la Seine à la recherche du corps de son fils disparu dans le fleuve. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle lance sur l’eau un tout petit esquif avec une image pieuse accompagnée d’une bougie. Un peu comme le battement de l’aile d’un papillon, les conséquences vont être cataclysmiques, la frêle embarcation heurte un bateau rempli de paille, le bateau se détache et heurte à son tour les piliers du pont neuf couvert d’habitations, l’incendie durera trois jours : L’air était tout en feu.

Un énorme plaisir de lecture que j’aimerais partager avec vous.

Citations

Exemple du style et de l’ambiance de l’époque .

 Le duc du Maine, le faux enfant et le vrai charmant de la Maintenon, ce petit bâtard déjà intégré dans l’ordre de succession par l’édit de juillet 1714, aussitôt enregistré par le parlement de Paris avec une veulerie aussi caressante que le col fourré de ces auguste magistrats, se voyait désigné comme régent de France en lieu et place du duc d’ Orléans, dans la violation la plus extravagante des droits du sang. Pour faire bonne mesure, le maréchal-duc de Villeroy, vieille baderne complaisante, obtenait la charge de gouverneur du futur Louis XV est le père Le Tellier celle de confesseur, qu’il exerçait du reste encore auprès de son aïeul.

La condition des femmes.

Rose Delaunay tremblait telle une feuille morte. Elle maudissaient sa condition de jeune fille ayant reçu l’éducation d’une demoiselle de qualité mais sans autres ressources que son esprit – situation peut enviable qui la maintenait dans la totale sujétion d’une princesse plus capricieuse qu’une fée et plus folle qu’une pensionnaires des Petites Maisons.

L’état et le besoin d’argent .

On imagina alors plusieurs de ces expédients dont l’État, en France, avait été souvent coutumier. Le plus courant revenait à faire condamner ses propres créanciers en les traînant devant les chambres ardente dont ils sortaient tondus comme des moutons pour peu qu’ils aient eu la maladresse de ne pas en appeler aux bons protecteurs. La méthode était aussi expéditive que rentables, mais elle avait pour fâché contre. de tuer aussitôt le crédit de l’état lui-même car, le plus souvent liées au parlement ou a la cour, les puissances financières, soigneusement dissimulées derrière ces hommes de paille et d’argent, devenaient méfiantes et se gardaient bien, ensuite de répéter l’opération.

J’adore ce genre de propos .

 L’esprit de l’abbé s’égarait toujours un peu à la messe, aussi n’y assistait-il que très rarement.

Humour.

 Si Philippe d’Orléans resta du marbre dont on fait les bustes, il n’en fut pas tout à fait de même des membres du conseil auxquels il avait expressément demandé de ne pas quitter la pièce avant l’arrivée des parlementaires. Le parlement étant venu se jeter lui-même dans la gueule du loup, il n’était plus nécessaire de tenir tous ces messieurs enfermés dans une pièce. C’est donc bruyamment qu’ils manifestaient leur joie de pouvoir enfin aller pisser, car la vessie de tout ces seigneurs entendait rien à la politique

 


Édition Pacifiques Au Vent des Îles. Traduit de l’anglais (Australie) par David Fauquemberg.

Ces gens étaient les survivants vaincus et dépenaillés de longs conflits. Ils avaient été épargnés par les fusils, les trous d’eau empoisonnés, la farine coupée à l’arsenic, la variole et les maladies vénériennes.

 

Il faut lire ce livre, l’offrir, le prêter, lui faire immédiatement une place dans vos bibliothèques ! Je rajoute que cela m’a fait un grand plaisir que ce roman soit traduit par David Fauquemberg dont j’avais tant aimé Bluff. 

Stan Grant est un journaliste très connu en Australie, est-il australien ? C’est toute la question qui est portée par cet essai autobiographique. Car il est avant tout Aborigène. Cela veut dire qu’il porte en lui toutes les souffrances de ces peuples qui étaient là bien avant que l’on plante un drapeau anglais sur ce pays grand comme un continent. La légende australienne a prétendu, pendant deux ou trois siècles, que les colons étaient arrivés dans des terres vierges ou si peu habitées qu’elles n’appartenaient à personne. Être « personne » c’est ce que deviendront les Aborigènes car ils n’ont pas pu se défendre contre des colonisateurs mieux armés qu’eux et surtout tellement convaincus qu’ils avaient en face d’eux « Une espèce d’hommes » mais pas des êtres humains comme eux. Alors, ils les ont massacrés, empoisonnés, violés et enfin, ils leurs ont arraché leurs enfants pour en faire des blancs à peau noire. Si Stan Grant réussi à se sortir de la misère, de la drogue, de l’alcool qui détruisent les 3/4 de la population aborigène, c’est qu’il a été élevé par des parents aimants et courageux. Mais victimes d’un racisme qui a marqué cet homme brillant au fer rouge.

Ce texte est un chef d’œuvre d’intelligence et de sensibilité , je me le suis tellement approprié que j’ai oublié de dire que j’ai trouvé ce titre chez Ingannmic merci beaucoup à elle.

Citations

Début du livre.

 Ma colère est éclate brusquement, à la moindre provocation ; quelques fois, elle me coupe le souffle. Je sais d’où elle vient. Je l’ai vu chez mon père et lui-même l’avait héritée de son père. Elle naît du poids de l’histoire.
 J’ai peur aussi. Et cette peur provient de la même source. J’ai connu cette peur toute ma vie. Quand j’étais petit elle me rendait malade, physiquement malade au creux de l’estomac. C’était la peur de ce qui pouvait nous atteindre -le sentiment d’impuissance, l’impression d’être à la merci de l’intrusion des policiers ou des agents des services sociaux faisant respecter les lois, ces lois qui entérinaient notre exclusion et nous condamnaient à la misère.(…)
 Nous craignons l’État et nous avions toutes les raisons de les craindre. L’État a été conçu pour nous terroriser .

Noirs et Blancs.

 L’Australie était dure avec nous. Nous étions issus d’une longue lignée d’hommes et de femmes qui avaient été maltraités. Les miens étaient les oubliés de ce pays et de la grande vague de progrès qui s’était emparé de lui. Nous étions noirs et l’Australie était blanche.

Difficultés d’être aborigène.

 Je me débattais depuis si longtemps avec l’histoire de mon pays, et le fait de vivre à l’étranger m’avait permis de desserrer un peu se joug qui m’étouffait. Mais quel que soit le pays où j’allais, j’étais constamment en train de chercher à valider l’identité de la personne que j’étais. L’identité implique une forme de réciprocité -nous avons besoin que les gens nous voient comme nous nous voyons. (…)
Je m’accrochais à qui j’étais : je restais un Aborigène mais au fil du temps, je me suis éloigné un peu plus de mon pays et des miens. Je n’ai jamais oublié qui j’étais. Mais, là-bas, dans le vaste monde, cela ne comptait plus autant.

Le racisme.

 Aucun élément génétique de nous sépare ; ce qui nous oppose c’est notre histoire – ce que nous nous sommes fait subir les uns aux autres au nom de la race. C’est ce racisme là qui subsiste encore, si puissamment dans nos imaginaires. Le racisme compare les civilisations et établit un ordre entre elles. Le racisme a servi de justification pour nous prendre tout ce que nous possédions. 

Fondement de L’Australie .

 Le racisme n’est pas en train de tuer le rêve australien. Dès le début, le rêve australien est fondé sur le racisme. Depuis que le premier drapeau britannique a été planté sur le sol de ce continent, les règles ont toujours été différentes pour nous. Un bagnard pouvait débarquer ici enchaîné, puis faire fortune et mourir en homme libre. La peine à laquelle nous condamnaient les lois britanniques était autrement plus longue.

 

 

 

 Je vous laisse avec Archie Roach le chanteur qui a su émouvoir l’Australie entière.

 

 

 


Édition Delcourt/Encrages

Je crois que tout le monde ressort un peu changé, sinon complètement bouleversé, après avoir lu les trois tomes du dessinateur Fabien Toulmé. À travers des entretiens que l’auteur dessine, il nous raconte une histoire (hélas, banale)  : celle de Hakim et de son bébé Hadi qui vont traverser l’Europe pour arriver en France. Ce qui m’a personnellement le plus émue c’est le courage de cet homme et à quel point je pouvais m’identifier à lui. Il avait un vie tellement « normale » avant le déferlement de violence en Syrie que cela me fait mal quand je lis ses dernières parole :

Ma famille, mes amis me manquent énormément. Ma pépinière aussi … J’ai mis tellement d’énergie pour la créer, mais bon, elle doit être détruite maintenant comme tant de chose en Syrie »

Tous les clichés volent en éclat :

  • Ils n’ont qu’à rester chez eux ! Parfois c’est sans doute audible mais pas pour les Syriens qui coincés entre Daesh, le régime de Bachar el-Assad et bombardé par l’aviation russe ne pouvaient que fuir.
  • Ils devraient prendre les armes chez eux, mais les Syriens ont essayé et ils ont été bombardés sans relâche.
  • Ils ne souhaitent vivre que des avantages sociaux. Hakim est un travailleur il avait réussi à monter une pépinière qui marchait bien en Syrie il a tout perdu et ne cherche maintenant qu’à travailler.

Mais le plus terrible c’est son parcours, il a échappé de peu à la mort dans un canot en face de la Grèce. Il a connu les camps dans le froid et la promiscuité et l’hostilité de la police et de la population hongroise. Les décisions compliquées pour faire confiance à des gens qui peuvent étre très malhonnêtes et dangereux. Sa femme avait réussi à venir en France avec sa famille et elle les attendait morte de peur qu’il leur arrive quelque chose. C’est une erreur de dates sur un papier officiel qui a empêcher Hakim de pouvoir arriver directement en France, et c’est ce qui permet à Fabien Toulmé de décrire toutes les difficultés des Syriens en situation de survie pour pouvoir arriver dans un pays d’accueil.

Je laisse à Habib les derniers mots :

Tu te souviens, à notre première rencontre j’ai dit que je te raconterai mon histoire pour Hadi, pour qu’il sache d’où il vient, ce qu’on a vécu.
Plus tard, quand mes enfants seront en âge de comprendre, je leur ferai lire ton livre ;

Et j’espère qu’ils seront fiers de nous, d’où ils viennent. »

je l’espère aussi et j’espère également qu’ils aimeront la France .


Édition Perrin collection Tempus 

Ce livre se lit très facilement et pourtant il plonge dans de nombreux aspects du gouvernement de Vichy. Le travail de cette historienne est remarquable et elle sait le rendre accessible à un grand public. Au lieu de suivre l’histoire de cette période de façon chronologique, en 12 chapitres, elle cerne au plus près ce que fut ce gouvernement. D’abord le choix très bizarre de Vichy . Pour l’anecdote cette ville avait des hôtels qui n’étaient pas chauffés car normalement fermés l’hiver. Dans le deuxième chapitre, on voit à quel point le vieux maréchal avait du mal à rédiger lui-même ses discours. Mais dans le troisième, elle attribue à Pétain le statut des juifs et on voit à quel point cela était important pour Pétain de débarrasser l’état français de l’influence juive. Il distinguera les juifs français des juifs étrangers mais en aucun cas on ne peut penser qu’il a voulu sauver des juifs. Dans le chapitre quatre on sourit aux difficultés du retour des cendres de l’aiglon envisagé comme une grande largesse d’Hitler à la France.

C’est dans le huitième chapitre qu’elle cerne le rôle de Vichy dans la solution finale, on le sait maintenant sans la collaboration active des français les Allemands auraient eu plus de mal à déporter les juifs même si, il est vrai, que c’était plus leur volonté que celle du Maréchal Pétain. Personne à Vichy ne s’y est opposé, pire ils ont même beaucoup aidé les occupants, à l’image de Bousquet dont le tardif engagement dans la résistance ne saurait occulté le rôle qu’i a joué dans l’arrestation et la déportation de très nombreux juifs. L’auteure s’intéresse aussi à la milice, aux difficultés de de Gaulle pour s’imposer à Alger, à l’assassinat d’Henriot, la vengeance de la milice, la personnalité étrange de leur chef Darnand, et cela termine par le procès de Pierre Laval.

Cette plongée dans cette période est fascinante, Vichy et sa clique de politiciens semblent tellement ridicule, c’st un véritable panier de crabes, tous les protagonistes sont prêts à s’entretuer, et se méprisent mutuellement. Ce ne serait pas si grave si, en même temps, pour plaire à l’occupant, ils n’avaient pas devancer le moindre de leurs désirs. C’est grâce à eux que les enfants juifs ont été déportés, grâce à eux que les étrangers ont été mis dans des camps en zone libre puis livrés aux Allemands. Ils pensaient sauver un peu d’autonomie de la France alors que les Nazis ne leur ont jamais laissé une parcelle de pouvoir. Sauf le pouvoir de donner une liste de noms pour que ceux ci aient leurs 300 otages à fusiller contre l’attentat qui avait coûter la vie à un de leur officier.

Ce qui est incroyable dans le procès de Laval c’est de voir à quel point celui-ci croira jusqu’à s amort qu’il a œuvré pour le « bien » de la France. Et sa fille créera une fondation pour réhabiliter la mémoire de son père !

J’ai lu un article où on voit qu’il y avait chez elle au moins un tableau volé à une famille juive, l’amitié de son père avec les autorités nazies étaient bien récompensées.
Ce qui est certain c’est que les procès de Pétain et de Laval , n’ont pas vraiment fait la lumière sur toutes les conséquences des lois raciales française écrites par eux. La Shoa n’était pas du tout au cœur des débats à l’époque.

Un livre à lire pour tous ceux et toutes celles qui souhaitent une information claire et précise ou qui ne veulent pas oublier un passé qui fait mal à la France.

Citations

 

 

 

Détail étonnant .

 Les conditions matérielles, passables en été, deviennent inutilement pénibles en hiver puisque les hôtels, généralement fermés hors saison, n’ont pas de chauffage. Le secrétaire général au ministère des colonies qui avait été le premier a évoqué les attributions de charbon s’était fait éconduire au motif qu’on aurait quitté Vichy avant les premiers frimas. On fut fort dépourvu quand la bise fut venue. Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1941, le thermomètre tombe à moins 23°C.
 L’ allier charrie des glaçons. Durant l’hiver 1941-1942 c’est une tempête de neige qui isole la ville. Le 9 janvier il fait moins 23° C.

Pétain et les juifs .

 Même si les Allemands ne sont pas demandeurs d’une législation antisémite française, Pétain et Laval anticipent la bonne impression qu’il pourrait créer en s’inscrivant volontairement dans cette antisémitisme qui sera, à n’en pas douter l’un des marqueurs de l’identité de la nouvelle Europe sous domination nazie.
 L’idée d’un statut des juifs est donc bien dans les esprits, statut dans la préparation doit logiquement être dévolue au ministre de la justice Raphaël Alibert. Ce qui explique la phrase à la fois ridicule et choquante que rapporte le ministre du travail Charles Pomaret, phrase dans laquelle Alibert se serait vanté d’être en train avec son chef de cabinet de « préparer un texte aux petits oignons ».

La responsabilité de Vichy dans la solution finale : Pétain a-t-il sauvé des juifs ?

 La xénophobie assumée de Pétain a livré à l’arbitraire policiers des personnes particulièrement vulnérables et dépourvues d’autres protection que celle qu’elles pouvaient espérer de la France. Et elles ont contribué à faire porter à l’État français une part de responsabilité dans la perpétration de la Solution finale. C’est contre le Maréchal et contre son gouvernement que des Français, que des fonctionnaires, que la hiérarchie de l’église catholique ont agi à leurs risques et périls, pour protester contre les persécutions et porter secours aux persécutés. Vichy s’est laissé entraîner par idéologie et par vanité, dans la logique qui consiste à obliger des complices, des témoins et parfois des victimes a participé au crime. Mais choisir l’ordre des mises a mort ou les justifier par le sacrifice de l’intérêt supérieur de la patrie, ce n’est pas le sens communément admis du verbe « sauver ».

 

Édition Seuil

 

Dicton syrien

 « En chaque personne que tu connais, il y a quelqu’un que tu ne connais pas. »

 

Je vais finir par croire que les apiculteurs sont des humains supérieurs après « les abeilles grises » et « les abeilles d’hiver » voici l’histoire de deux apiculteurs pris dans la tourmente de la guerre en Syrie. Le portrait de ces apiculteurs ont des points communs, ils résistent tous à l’ambiance totalitaire ou à la guerre. est-ce le fait qu’ils sont amenés à mieux comprendre le comportement des abeilles qui les conduit à relativiser les engagements politiques extrémistes ?

J’avais déjà bien aimé de la même auteure « Les oiseaux chanteurs » sur un drame se passant à Chypre le pays dont elle est originaire.

En tout cas le portrait de Nuri et de son cousin Mustapha, les deux apiculteurs d’Alep est de la même trempe que celui de Sergueï – héros involontaire ukrainien ou celui d’Egidius Arimond – cet homme qui cachaient des juifs dans ses ruches. Les deux cousins, non seulement récoltent le miel de leurs abeilles mais ils ont également crée une petite entreprise autour de l’exploitation des ruches : miel, cire et autres produits dérivés, leur affaire marche très bien. La guerre va hélas tout détruire et comme les deux cousins tardent à partir – pour ne pas abandonner leurs abeilles- leurs deux fils vont être tués. La douleur est trop intense, en particulier pour Afra, la femme de Nuri qui en état de sidération et ne veut plus quitter la Syrie alors que c’était encore assez facile de le faire. Elle finira par accepter et avec Nuri les voilà sur le chemin de cet exil si douloureux pour les syriens qui ne sont pas partis assez vite. Ils connaîtront la traversée vers la Grèce dans un canot pneumatique, les camps en Grèce. C’est d’ailleurs là que tous les deux rencontreront l’horreur absolue. On sent que l’écrivaine y a elle même séjournée longuement , car elle sait nous rendre palpable l’insoutenable. Puis finalement ils arrivent en Grande Bretagne où les attend le cousin Mustapha.
Ne vous inquiétez pas je ne divulgâche rien du récit , car Chrsty Leftery commence son récit en Grand Bretagne, dans la pension où Afra et Nuri attendent de recevoir un statut de réfugiés politiques. Cette écrivaine mêle avec talent les trois temps forts du récit : Alep et la guerre, les destructions par les bombardements russes, les meurtres gratuits de l’état islamique, et le parcours des exilés via la Grèce. Afra est devenue aveugle de trop de souffrance et Nuri a des crises de panique totale pendant lesquels il revit les horreurs de son passé récent.
Je ne dis rien d’un petit Mohammed de l’âge de leur fils (7 ans ) qui va les accompagner pendant leur fuite car je ne veux pas enlever l’effet de surprise que vous aimez tant.

Un livre d’une beauté totale grâce à une écriture très en finesse. On sent bien la retenue de Christy Lefteri face aux horreurs qu’elle a rencontrées en Grèce.

 

Citations

J’ai tout de suite aimé le style de cette écrivaine .

 Il y avait notamment un tableau du Qouiiq que j’aimerais revoir. Elle en avait fait un pauvre caniveau traversant le parc de la ville. Afra avait don. Elle révélait la vérité des paysages. Cette toile et sa rigole dérisoire représentent à mes yeux notre combat pour rester en vie. À une trentaine de kilomètres au sud d’Alep. Le Qoueiq renonce à lutter contre l’impitoyable steppe syrienne et s’évapore dans les marais.

Destruction d’Alep.

Je lui avais pourtant dit que le souk était vide, une partie des allées bombardée et incendiée. Ces ruelle qui grouillaient naguère de marchands et de touristes étaient devenues le territoire de l’armée, des chiens et des rats. Tous les étals étaient abandonnés, hormis un, où un vieil homme vendait du café aux soldats. La citadelle convertie en base militaire était entourée de chars.

Procédé de mise en forme , je n’ai pas trouvé le pourquoi de ce procédé sauf peut être que tout s’enchaîne ?

Chaque chapitre se termine avec un mot en moins
Qui est à la fois le nom du prochain chapitre
Exemple :
Mes yeux restent ouvert dans le noir, car j’ai peur de
Le Chapitre suivant s’appelle :
la nuit
et débute ainsi :
tombait ; nous étions à Bab al-Faradj, dans la vieille ville.

La mer, l’attente .

 Le bateau parti la veille avait chaviré et la plupart des gens à bord avaient disparu. Seules quatre personne avaient été repêchées et on avait retrouvé huit cadavres. Voilà le genre de conversations que j’entendais autour de moi.

Genre de pensées qui torturent les survivants.

 Souvent, je regrette d’être resté à Alep, de ne pas être parti avec ma femme et ma fille, car, alors, mon fils serait encore parmi nous. Cette pensée me donne envie de mourir. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, changer les décisions que nous avons prises. Je n’ai pas tué mon fils. Je m’efforce de m ‘en souvenir pour ne pas errer à jamais dans les ténèbres.

Les camps de réfugiés.

 C’était sale et, même à l’air libre, l’odeur était pestilentielle : un mélange de pourriture et d’urine. Mais notre guide poursuivit son chemin sans s’arrêter. Plus on s’enfonçait dans le parc, plus les sentiers étaient défoncés et envahis de mauvaises herbes cassantes. Quelques personnes promenaient leur chien, des retraités bavardaient sur des bancs. Plus loin des drogués préparaient leur dose. Enfin, nous débouchâmes sur un autre campement. Neil nous trouva un espace sur des couvertures entre deux palmiers. En face se dressait la statue d’un ancien guerrier. Un homme émacié était assis sur le piédestal. Ses yeux me rappelèrent ceux des jeunes dans la cour de l’école la veille.
 Cet endroit avait quelque chose de malsain, mais je ne m’en aperçu que bien plus tard, après le départ de Neil lorsque la nuit se referma sur nous . Les hommes se regroupaient en meutes, comme des loups. Les Bulgares, les Grecs, les Albanais. Ils regardaient et attendaient quelque chose : ça se voyait dans leurs yeux. Des yeux de prédateurs intelligents.
 Il faisait froid. Afra frissonnant. Elle n’avait quasiment rien dit depuis notre arrivée. Elle avait peur. Je l’enveloppais de couvertures. Nous n’avions pas de tente, seulement un grand parapluie qui nous protégeait du vent du nord. Quelqu’un avait allumé un feu à côté. Il nous réchauffait un peu mais pas assez pour nous procurer du confort


Édition Grasset

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Quand demain reviendra la lumière….

 

Ce roman raconte une journée très particulière dans la vie du narrateur : il est seul chez lui car il doit aller chercher sa femme et son fils nouveau né à la maternité. Il va devenir père et il se sent complètement bouleversé par ce changement de statut. Saura-t-il transmettre à cet enfant le lourd passé de sa famille à jamais marqué par la Shoa ? Se mêlent alors pour lui son enfance et ses jeux qui tournaient souvent autour de cette tante mythique Rosa, rescapée d’Auschwitz , la dernière encore en vie, qui a fui l’Europe pour monter un cabaret en plein désert. Cette femme a décidé de raconter dans un spectacle incroyable ses souvenirs et terminer par une litanie de noms de toutes les femmes qui sont mortes devant ses yeux.

Samuel son petit neveu a été élevé dans une famille qui ne pouvait pas parler car ils étaient trop malheureux, il dit dans son récit que ces silences l’ont névrosé. Il décrit cette journée où il va accueillir, dans sa maison, son bébé et sa femme, avec une délicatesse qui m’a émue et pourtant, ce qu’il raconte est parfois insoutenable, et il dit avec ses mots et ses difficultés de vivre combien la Shoah a marqué les générations suivantes, victimes ou pas, les survivants traînent en eux une culpabilité qu’ils ont transmise à leurs enfants et petits-enfants.

Un très beau texte, très émouvant.

 

Citations

Des souvenirs douloureux.

 Derrière la porte rouge qui s’ouvre sur son sanctuaire, parmi les statuettes, les habits en lambeaux et les pierres couleur brique, se trouvent deux gamelles de métal. La sienne, qui lui a permis de s’accrocher au jour, marquée d’une infinie culpabilité. D’avoir volé, de n’avoir pas partagé, d’avoir piétiné des corps pour survivre.

Promesse à son bébé .

 Quand demain reviendra la lumière, que nous entrerons dans l’appartement pour la première fois tous les trois, je lui raconterais. Il y aura les berceuses, les histoires récitées d’une voix grave, et puis la Shoah. Il faudra que je trouve les mots qu’on ne m’a pas dits, car c’est le silence qui a semé en moi toutes ses névroses -pas les atrocités de l’histoire.

L’indicible .

 Rosa était frigorifiée mais elle sentait qu’il n’avait pas le droit de trembler, son corps devait cacher ses faiblesses. Seule de sa main gauche avait du mal à résister, elle cherchait l’appui d’une paume maternelle. Son index avait commencé à bouger, d’abord lentement puis, comme pris de palpitations, il s’était mis à taper contre le pouce sans parvenir à s’arrêter, cet index gauche qui menaçait la dénoncer. Alors Jania avait saisi sa main -une femme sans âge, sans cheveux à qui ont aurait donné cinquante alors qu’elle n ‘en avait pas plus de trente. Rosa ne connaissait pas son prénom, elle ne savait rien d’elle mais toute les deux ressentiraient bientôt les douleurs insondables. Elles respireraient côte-à-côte l’odeur du génocide et scelleraient leur mémoire dans une gamelle.

Le passé.

 Qui sommes-nous quand les aînés ne sont plus là pour désigner le passé ? L’angoisse grandit à mesure que les jours passent, le décomptes des derniers rescapés comme au moment de l’appel matinal, dans les camps. J’entends les prénoms, les noms, les numéros. Des aboiements d’un autre temps qui se mêlent aux souvenirs et à l’angoisse. Au moment où la dernière voix s’éteindra, nous serons livrés aux obscurité.

 

 

 

Édition belfond. Traduit de l’anglais (Royaune-Uni) par Diane Meur

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

 La honte, ce n’est pas comme la culpabilité ; elle n’admet pas de réparation. Les juifs dont je parle sont morts. Ceux qui avaient mon âge à l’époque n’auront jamais donné le jour à des enfants, à des petits enfants. La honte ne s’expie pas ; elle est une dette impossible à s’acquitter

 

Ce roman, que j’ai lu avec un grand intérêt, se présente comme une longue lettre d’un grand-père allemand à son petit fils écossais. Le grand père était soldat de la Wehrmacht et a fait toute sa guerre sur le front de l’Est. Il raconte surtout la débâcle allemande de 1944 avec son lot d’horreurs insoutenables. Ce long récit est interrompu par les souvenirs du petit fils de ce grand-père qu’il a tant aimé.

Le grand-père a besoin de dire tout de suite qu’il n’a rien vu de la Shoa et explique très peu son adhésion au nazisme qui semble anecdotique par rapport à son engagement dans l’armée. Le nazisme est représenté par un des membres du petit commando dont nous allons suivre la progression à travers les plaines de l’Ukraine et de la Pologne, et c’est le personnage le plus odieux.
Ce roman, car c’est un roman, même si l’auteur a lui-même une ascendance allemande, on ne peut pas savoir s’il s’agit vraiment de son propre grand-père. En revanche tout ce qu’il décrit, comme horreurs du comportement de l’armée sur le front de l’est est véridique. Le grand père pense qu’à l’Est tout était permis et que rien n’était là pour arrêter la barbarie de l’armée. Il décrit aussi comment jusqu’au dernier moment la police militaire allemande tuait les déserteurs, aujourd’hui où cette région est de nouveau la proie de la guerre il y a des points communs si tristes, cela m’a fait penser au sort des déserteurs Russes de la divisions Wagner.

Un livre qui permet de comprendre la barbarie de l’armée mais pas l’adhésion au Nazisme, on pense quand même que ce bon soldat s’il avait dû assassiner des Juifs, il l’aurait fait par obéissance. D’ailleurs il décrit un épisode dans un café de Varsovie où il a eu une attitude peu glorieuse. Pour mieux comprendre l’engagement de toute une population dans le nazisme, je recommande deux livres qui m’ont bien aidé à ouvrir les yeux  : « un bon allemand » de Horst Krüger, et surtout « l’histoire d’un Allemand » de Sebastian Haffner.

 

Citations

Son grand père .

 Je n’ai pas été un nazi. Aucun tribunal, même omniscient, ne me jugerait coupable de quoi que ce soit. Ce que je peux te raconter ne concerne ni des atrocités, ni un génocide. Je n’ai pas vu les camps de la mort et je ne suis pas qualifié pour en dire un seul mot. J’ai lu le livre de Primo Levi sur ce sujet, une comme tout le monde. Sauf qu’en le lisant, nous les Allemands, nous sommes obligés de penser : Nous avons commis cela.

La boue, en Ukraine.

 Plus ils avançaient sur la pente, plus le camion s’embourbait dans la glaise mouillée, de sorte que les perches n’étaient plus qu’à la hauteur de leurs genoux. Les roues ont fini par se bloquer. Alors le lourd engin a commencé de glisser à reculons vers la file de véhicules massés derrière lui.
 Un cadavre était resté pris dans la glaise au bas de la pente, un des nôtres, un Allemand. Personne n’avait le temps ni le loisir de le retirer et chaque fois que le camion dans son va et vient passait sur ses jambes en partie enfouies, le torse raide se relevait au dessus du sol. Le camion allait, venait. Et à chaque passage, le visage gris à la peau fendue et le torse meurtri émergeait de la boue. Je me souviens d’avoir pensé : Nous sommes en enfer. C’est l’enfer ici, et nous sommes des damnés.

La responsabilité des Allemands.

 Il est difficile de séparer les circonstances et l’homme. Mais dire que j’ai été à la merci des circonstances serait trop simple. L’époque à laquelle je vivais m’a conduit dans ces potagers, la faim au ventre, une barre à mine dans la main, mais ce n’est pas pour autant que je n’ai pas agi ou que je n’ai pas mangé.
Quand je me pose la question de savoir si nous étions tous immoraux, ou si nos actes répréhensibles faisaient de nous des êtres mauvais, je me dis que nous avons été flétris par les conséquences de décisions prises par d’autres (…)
Et moi à titre personnel ? Telle est la question à laquelle je m’efforce ici de répondre.

Guerre à l’est .

Même aux moments dont je te parle, à l’automne 1944, quand le vent avait déjà tourné et que les Allemands en France fuyaient sous les bombardements américains comme des poux sous la flamme d’un briquet, il valait sans doute mieux se trouver à l’Ouest. Les lois de la guerre, ce paradoxe raffiné, y avaient encore cours. Des atrocités étaient commises aussi, mais c’était une violation des règles et non leur pure et simple abolition 
(…)
 Mais nous les Allemands nous savons dans notre chair -et les Polonais, les Ukrainiens, les Juifs et les Russes- le savent aussi que la guerre à l’Est était la seule vraie : nue, impitoyable, affranchie de toute loi, exempte de toute compassion, une pure affaire de haine et d’annihilation. Sur huit soldats allemands tués, sept l’ont été à l’est et à l’échelle des pertes russes on peut à peine dire que les puissances occidentales ont fait la guerre.
 Pendant de première année à l’Est, nous les Allemands, avons sciemment laissé mourir de faim un demi-million de prisonniers russes. Il m’est arrivé d’observer un homme dépérir ainsi, d’avoir été moi-même affamé, et cet état n’est pas indolore. Cela ne vous met pas dans un état de léthargie hébété. Cela vous rend fou. Cela seul, parmi tous les actes que nous avons commis était déjà un crime qui exigerait des monuments, des discours et des journées commémoratives, mais, parce qu’il a été perpétré à l’Est on s’en souvient à peine.

Essayer de comprendre.

Mais qu’est-ce qui au départ nous a fait commettre ce que nous avons commis, voilà ce qu’ils n’expliquent pas. Car enfin, le communisme s’est développée partout en Europe ; le nazisme, lui, ne s’est vraiment développé que chez nous.

 Je pense qu’il s’agissait en partie d’obéissance, que nous avons consentie pour nous laisser mener à l’abîme. Et je pense aussi qu’il y avait à l’œuvre une violence, quelque chose de dément. Une aspiration de puristes à la « tabla rasa ». Une fêlure dans notre psyché nationale sur laquelle nous avons réglé nos actes avec calme et méthode, je dirais même avec humanité. Je suis sûr que les Feldgendarmen se trouvaient très humains de pendre nos soldats plutôt que de les crucifier eux aussi.


Éditions de l’Observatoire 

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un des avantages du club de lecture de Dinard (et ce n’est le seul) c’est de chercher des titres dans les romans français, enfin surtout pour les nouveautés et cela me change un peu des auteurs étrangers.
Ce livre est un petit bijou tout en délicatesse et pourtant … Pourtant il traite d’un des sujets qui me révolte le plus, et je ne dois pas être la seule ! Les souffrances infligées aux enfants dans des institutions censées les protéger. Dans le genre le Canada doit être en première ligne avec le sort réservé aux enfants indiens arrachés à leurs familles pour les ré »éduquer » dans dans des maisons qui ont été pour nombre d’entre eux l’antichambre du cimetière. L’Irlande n’est pas mal non plus et voilà que nous sommes dans un endroit que j’adore : Jersey et les îles anglo-normandes. D’ailleurs on y parle de Serk et des Écrehous qui sont parmi les plus jolies îles que j’ai vues. Mais loin de ce tourisme ou de l’évasion fiscal, Jersey a eu son orphelinat à la tête duquel un directeur pervers à régner. Le malheur pour ces enfants c’est que l’île est loin de tout et qu’il a fallu bien du temps pour que les langues se délient. D’ailleurs les habitants de l’île ne veulent toujours pas parler de cette affaire bien réelle hélas ! La romancière a imaginé des personnages qui semblent tellement vrais, si eux n’ont pas existé leurs sosies ont bien souffert de tous les maux qu’elle nous décrit. Lily est une petite fille de 8 ans, et elle arrive à survivre dans cet enfer car elle aime les oiseaux et la nature mais le petit qu’elle protège (je peux dire sans divulgâcher que c’est son petit frère) lui n’a que quatre ans et ne peut pas se protéger. La fin est tragique, je vous laisse deviner. La narratrice du roman est une femme de 60 ans qui veut faire toute la lumière sur ce qui s’est passé car cela la concerne de près. Il y a aussi un personnage qui lui a existé : il vivait un peu en marge de la société et a été accusé de crimes à connotation sexuelle, il était innocent et on découvrira plus tard que le vrai coupable était employé à l’orphelinat c’est lui en particulier qui faisait le père Noël … Cet homme dégouté par ses concitoyens se réfugiera au Écrehous et se déclarera roi de ces îles. Vous pourrez vous renseigner sur lui dans cet article ce fait divers n’est vraiment pas à la gloire des habitants de l’île, c’est le moins qu’on puisse dire ! !
La si belle île de Jersey s’est refermée sur son silence et la narratrice n’apprendra pas grand chose d’autre que ce que l’enquête officielle n’avait découvert.
Comme je le disais au début un livre d’une délicatesse étonnante pour un sujet sordide . Bravo Maud Simonnot !

 

Citations

Les iliens.

 Les mimosas étaient en fleur et leur jaune d’or apportait une couleur de plus à une incroyable palette des végétaux qui se détachaient sur le bleu céruléen de l’eau. En temps normal j’aurais été séduite par la beauté de ce spectacle marin, mais depuis quelques jours je percevais la mer différemment : c’est elle qui avait permis à ces gens de vivre en paix avec leurs secrets et qui leur conférait cette arrogance. Coupés du reste du monde par l’immensité d’eau ils étaient entre eux.

La beauté mais aussi la prison .

 Après avoir longé le Trou du Diable, je m’approchais des bruyères bordant la falaise pour contempler la silhouette de la petite ils de Serk, aux contours indigo rendu flou par la brume comme ceux d’un royaumes disparu. J’avais toujours vu dans les îles de merveilleuses terres de liberté, pour Lily ça avait signifié l’inverse : il était doublement impossible de s’échapper de l’orphelinat puis de Jersey. Son purgatoire était une île dans l’île, une prison dans la prison…

C’est très triste.

 L’environnement qui avait permis autant de crimes, cette culture locale du silence, était presque aussi terrible que les personnes mêmes qui les avaient perpétrés. Parce que ces enfants étaient orphelins, pauvres, inoffensifs, il avait été facile de détourner le regard. Et même si, après une très longue procédure, la commission d’enquête avait fini par conclure en 2017 que « sans l’ombre d’un doute un nombre important d’enfants pris en charge par les autorités de l’île avait été victimes de violences physiques et sexuelles et de négligence émotionnelle ». Pour ces enfants il n’y aurait jamais ni justice ni consolation.