Édition : petite Biblio Payot. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Hinfray.

 

J’ai ri et même éclaté de rire. J’ai imposé à tous mes amis la lecture de certains passages de ce voyage de Bill Bryson à travers la Grande-Bretagne qu’il aime tant. Alors, cette fois (contrairement au livre précédent sur Luocine), un grand merci Keisha , je te rejoins dans un plaisir de lecture que j’ai savouré à petites doses. Je commence à avoir un petit rayon Bill Bryson dans ma bibliothèque :American rigolos, Motel Blues, Shakespeare une antibiographie, Une Histoire de tout ou presque, Une histoire du monde sans sortir de chez moi, Nos voisins du dessous. Si j’ai volontairement ralenti ma lecture, c’est parce que je freinais mon envie de cavaler dans un livre où c’est mieux de prendre son temps. Quel plaisir aussi de le lire avec une bonne connexion Internet ! Cela permet de vérifier les images suggérées par un Bill Bryson en grande forme. Comme le dit Keisha , le premier chapitre racontant son premier contact avec l’Angleterre et ses habitants est à mourir de rire. Je peux encore sourire en imaginant la scène. On y apprend que les habitants restent le plus souvent courtois en toute occasion. (À ce propos je recommande la série « Mom » sur Arte qui démontre très bien aussi ce fait). Ensuite nous partons dans un périple à travers la Grande -Bretagne avec un auteur dont l’humour me ravit toujours autant. C’est très agréable de lire ce livre en vérifiant sur Internet tous les petits détails qu’il raconte avec un sens aigue de l’observation. Comme tout adepte de l’humour, il est d’abord sa propre cible, il faut dire qu’il manie avec une constance rare l’art de se tromper dans le choix de son hôtel et qu’après avoir cherché, le plus souvent sous la pluie, le meilleur rapport qualité prix , cela se termine le plus souvent dans une chambre mal chauffée et tristounette. Bill Bryson réussit son pari, nous faire aimer son pays d’adoption ,

cet étrange pays qui a inventé « un sport comme le cricket, qui dure trois jours sans jamais donner l’impression de commencer. 

J’ai été un peu étonnée qu’il visite, l’Angleterre sans évoquer les compétitions sportives (foot ou rugby) et l’Écosse sans les golfs ni le Whisky. En revanche la bière et les pubs sont bien présents. J’ai bien aimé aussi le passage où il se rend compte qu’être trop longtemps tout seul à voyager le rend un peu bizarre. Ce livre, c’est aussi une découverte de la personnalité de Bill Bryson , cet écrivain fait partie de ceux qui me remontent le moral. Vous pourrez lire de nombreux extraits et je vous le dis, je suis loin d’avoir recopié tous ceux dont j’aimerais me souvenir.

 

Citations

 

Vision de Calais

Calais est une ville fascinante qui n’existe que pour fournir à des Anglais en survêtement un endroit où aller passer la journée . Ayant subi d’intenses bombardements pendant le conflit mondiale , elle est tombée au mains des humanistes d’après guerre et ressemble par conséquent au reste d’une exposition de 1957 sur le ciment. Un nombre alarmant d’édifices du centre-ville, notamment autour de la lugubre place d’armes, semblent avoir été copiés sur des emballages de supermarché. Certains enjambant même des rues – ce qui est toujours la marque des urbanistes des années 1950, entichés des nouvelles possibilités offertes par le béton.

 

L’humour de Bill Bryson

Pour moi, quand il y avait un L à l’arrière d’une voiture, cela pouvait très bien signifier que son conducteur était lépreux. Je ne savais pas du tout que GPO désignait le bureau de poste principal (General Post Office), LBW une obstruction passible d’élimination au cricket (Le Before Wicket), GLC le conseil du grand Ni.dres (Greater London Council) et OAP les retraités (Ils Age Pensioners). Je rayonnais littéralement d’ignorance.

Les habitudes

Après être resté assis une demi-heure dans un pub avant de me rendre compte qu’il fallait aller chercher soi-même sa commande, je voulus faire la même chose dans un salon de thé et l’on m’enjoignit de m’asseoir.

 

L’art de résumer une vie (depuis il y a eu une série TV sur la vie de cet homme)

Selfridge était un type singulier qui nous donna tous une leçon de morale salutaire. Cet Américain consacra ses années d’activité à faire de Selfridges le grand magasin le plus raffiné d’Europe, transformant du même coup Oxford Street en principale artère commerçante de Londres. Il menait une vie droite et austère, se couchait tôt et travaillait sans relâche. Il buvait beaucoup de lait et ne faisait jamais de bêtises. Mais en 1918 sa femme mourut, et le fait de se trouver soudain libéré des liens matrimoniaux lui monta quelque peu à la tête. Il se lia avec deux jolies américaines d’origine hongroise connues dans le milieu du music-hall sous le nom de Dolly Sisters, et se plongea dans la débauche. Une Dolly à chaque bras, il écuma les casinos d’Europe, où il joua et perdit avec prodigalité. Il se mit à dîner dehors tous les soirs, dépensa des sommes folles aux chevaux de course et en automobile, acheta Highliffe Castle et projeta de faire construire une demeure de 250 pièces à Hengistbury Head, une localité voisine. En dix ans il dilapida 8 millions de dollars, se vit retirer la direction de cette Selfridges perdit son château et sa résidence londonienne, ses chevaux de courses et ses Rolls-Royce, et se retrouva finalement à vivre tout seul dans un petit appartement de Putney et à prendre le bus, avant de mourir sans le sou et pour ainsi dire oublié le 8 mai 1947. Mais il avait eu le plaisir inestimable de s’envoyer en l’air avec des sœurs jumelles, c’est tout de même ça le principal.

Je me retrouve dans cette remarque :

Parmi des milliers de choses que je n’ai jamais réussi à comprendre, il en est une qui ressort particulièrement. C’est la question de savoir qui a dit le premier, alors qu’il se trouvait près d’un tas de sable :  » Je parie que si on prenait de ça, si on le mélangeait avec un peu de potasse et si on le faisait chauffer, on obtiendrait à matériaux solides mais transparent. On appellerait ça du verre. » Traitez-moi d’abruti si vous voulez, mais on aurait pu me mettre sur une plage de sable jusqu’à la fin des temps sans qu’ils me viennent à l’idée d’essayer d’en faire des vitres

Portraits d’ anglais

Je passais devant un alignement de cabines de plage disposées en arc de cercle, toutes de formes identiques mais peintes de différentes couleurs vives. La plupart étaient fermées pour l’hiver mais, au trois quarts de la rangée environ, il y en avait une d’ouverte, un peu à la manière d’un coffre de magicien, avec une petite terrasse ou un homme et une femme était assis sur des chaises de jardin, emmitouflés comme pour une expédition polaire, une couverture sur les genoux, souffleté par des bourrasques qui menaçaient à tout instant de les faire basculer à la renverse. L’homme essayait de lire le journal, mais le vent le lui rabattait sans cesse sur le visage. Ils avaient tous les deux l’air très heureux ou, sinon heureux à proprement parler, en tout cas extrêmement satisfaits comme s’ils étaient aux Seychelles en train de boire un gin-fizz sous des palmiers dodelinants, et non pas à moitié mort de froid sous des rafales anglaises.
Ils étaient satisfaits parce qu’ils possédaient un petit bout de terrain tellement prisé en bord de mer pour lequel il y avait sans doute une longue liste d’attente et que, là était le véritable secret de leur bonheur, ils pouvaient rentrer quand ils voulaient dans la cabine pour avoir un peu moins froid. Ils pouvaient se faire une tasse de thé et, s’ils étaient d’humeur à faire des folies, manger un sablé au chocolat. Après, ils pourraient passer une agréable demi-heure à ranger leurs affaires et à fermer les volets. Il ne leur fallait pas plus pour accéder à un état proche du ravissement.

Les prospectus publicitaires

Presque tous ces dépliant regorgeait tellement de fautes que c’en était déprimant, et ils avaient si peu à offrir que c’en était pitoyable. La plupart étoffait leur liste d’attractions grâce à des indications telles que « parking gratuit » ou « Boutique cadeaux et salon de thé », sans compter l’inévitable « terrain d’aventure », et ensuite, ils étaient assez bêtes pour montrer sur la photo que c’était juste un portique et deux animaux en plastique sur ressort. Qui peut bien aller dans des endroits pareils ? Je me le demande.

Logique britannique

Je priais l’employé du guichet de me donner un aller simple pour Barnstable. Il m’informa que l’aller simple coûtait 8,80 livre mais qu’il pouvait me faire un aller-retour pour 4,40 livres.
– Vous ne voudriez pas m’expliquer en quoi c’est logique ? lui demandai-je.
– Je voudrais bien si je pouvais monsieur, me répondit-il avec une louable franchise.

Autodérision

Et les voilà tous partis à me bombarder de questions. « Elle consomme beaucoup ? Combien de litres au 100 ? C’est quoi comme couple ? Tu as un double arbre à cames en tête ou un alternateur carburateur à deux canons avec baïonnette et sortie les pieds devant ? » Ça me dépasse que quelqu’un veuille savoir toutes ces conneries sur une machine. Aucun autre appareil ne suscite un tel intérêt. J’ai toujours envie de leur demander. « Alors comme ça il paraît que tu as un nouveau réfrigérateur ? Et elle contient combien de litres de fréon, cette petite merveille ? C’est quoi son IEE ? Et comment il réfrigére, hein ? »
 Cette voiture possédait l’assortiment habituel de touches et de boutons, tous ornée d’un symbole destiné à vous embrouiller (…)
 Au milieu de ce tableau de bord se trouvaient deux cadrans circulaires de la même taille. L’un d’eux indiquait clairement la vitesse, mais l’autre me laissait totalement perplexe. Il avait deux aiguilles, une qui avançait très lentement et une qui n’avait pas l’air de bouger du tout. Je la regardai pendant une éternité avant de m’apercevoir ( je vous jure que c’est vrai,) que c’était une pendule.

Les lords anglais

Je me rappelle avoir lu un jour que le dixième duc de Marlborough, alors qu’il séjournait dans l’un des châteaux de sa fille, était apparu consterné en haut de l’escalier pour déclarer que sa brosse à dents ne moussait pas convenablement. Il s’avéra que, son valet ayant toujours mis le dentifrice à sa place, le duc ignorait que ces instruments ne fabriquait pas spontanément de la mousse.

Bradford.

La mission de Bradford, dans la vie, c’est de faire paraître toutes les autres villes de la planète plus belles en comparaison, et elle remplit très bien ce rôle.

 Liverpool

J’ai pris le train pour Liverpool, où j’arrivais en plein Festival du détritus. Les habitants avaient pris le temps, malgré leurs nombreuses activités, de parsemer le décor, par ailleurs terne et mal entretenu, de sachets de chips, de paquets de cigarettes vides et de sacs en plastique. Ils voletaient gaiement dans des buissons, apportant couleur et relief aux trottoirs et au caniveaux. Et dire qu’ailleurs on met tout cela dans des sacs-poubelle.

Engager une conversation

Je ne sais pas moi, engager la conversation avec des inconnus en Grande-Bretagne. En Amérique, évidemment, c’est facile. Il suffit de tendre la main en disant : « Moi c’est Bryson. Vous avez gagné combien l’année dernière ? » Et ensuite le dialogue ne tarit plus.

La correspondance train/autocar

Bien que le dernier train eût effectué sa desserte depuis quelques temps, un homme se tenait toujours au guichet. J’allais donc le voir et l’interrogeait calmement sur le manque de coordination entre le train et les services d’autocar à Blaenau. Je ne sais pourquoi, vu que je fus l’amabilité même, mais il fut visiblement vexé, comme si je critiquais sa femme, et répondit d’un ton irrité.
– « Si la société Gwynned Transport veut que les gens prennent le train de la mi-journée à Blaenau, elle n’a qu’à faire partir les cartes plutôt.
– Mais vous aussi, insistai-je, vous pourriez faire partir le train quelques minutes plus tard. »
Il me regarda comme si j’étais outrageusement impertinent et riposta.
– » Mais pourquoi nous ? »

Les animaux , les enfants, les ouvriers.

Savez-vous que la Société nationale de prévention de la cruauté envers les enfants a été fondé soixante ans après la Société royale de prévention de la cruauté envers les animaux dont elle n’était qu’une émanation ? Savez-vous qu’en 1994 la Grande-Bretagne a voté pour une directive européenne exigeant des périodes de repos statutaire pour les animaux transportés, mais contre des périodes de repos statutaires pour les ouvriers d’usine ?

Bryson a beaucoup utilisé les trains en Angleterre donc en 1994 on pouvait dire ceci

Voici pour vous quelques chiffres singuliers, qui sont un peu barbants mais qu’il faut connaître. En Europe, les frais affectés par personne et par an aux infrastructures ferroviaires sont de 20 livre en Belgique et en Allemagne, 31 livre en France, plus de 50 livre en Suisse, et en Grande-Bretagne elles atteignent royalement 5 livres. La Grande-Bretagne débourse moins par tête de pipe pour améliorer les voies ferrées que n’importe quel autre pays de l’Union européenne à part la Grèce et l’Irlande. Même le Portugal dépense plus. Et, malgré ce manque de soutien financier, le pays possède vraiment un excellent service de chemin de fer, tout compte fait. Aujourd’hui les trains sont beaucoup plus propres qu’autre fois, le personnel globalement plus patient et plus serviable. Les gentils guichetiers disent toujours s’il vous plaît et merci, et la nourriture est mangeable.

Une différence entre le Middle West et le Yorkshire

Là d’où je viens, dans le Middle West, lorsqu’on est emménage dans un village ou une petite ville, tout le monde passe vous voir pour vous souhaiter la bienvenue comme si c’était le plus beau jour du quartier, et tout le monde vous apporte une tarte. Vous vous retrouvez avec des tartes aux pommes, des tartes aux cerises et des tartes au chocolat. Dans le de Middle West, il y a des gens qui déménagent tous les six mois rien que pour les tartes.
Dans le Yorkshire, cela ne risque pas d’arriver. Mais progressivement, petit à petit, les autochtones vous font une place dans leur cœur et se mettre, lorsqu’il passe en voiture, à vous faire un signe de reconnaissance que j’appelle le salut de Malhamdale. C’est un jour mémorable dans la vie de tout nouvel arrivant. Pour effectuer le salut de Malhamdale, faites d’abord semblant de tenir un volant de voiture. Puis, très lentement, tendez l’index de votre main droite comme si vous aviez un petit spasme involontaire. Voilà. Ça n’a l’air de rien, mais ça en dit long, croyez-moi et cela va beaucoup me manquer.

L’amour de l’Angleterre

Tout à coup, en un éclair, je compris ce que j’aimais en Grande-Bretagne, tout. Absolument tout, le bon et le mauvais, la pâte à tartiner Marmite, les fêtes de village, les chemins de campagne, les gens qui disent :  » Faut pas se plaindre », et « Je vous demande pardon, mais », ceux qui me présentent leurs excuses, à moi quand je leur donne un grand coup de coude sans faire exprès, le lait en bouteille, les haricots sur du pain grillé, les foins au mois de juin, les orties qui piquent, les jetées-promenades en bord de mer, les cartes d’état-major, les crumpets, le fait d’avoir toujours besoin d’une bouillotte, les dimanches pluvieux – tout, je vous dis.

 

 Édition Seuil arte édition

Merci à Keisha de m’avoir fait découvrir ce livre que j’ai beaucoup, beaucoup aimé.

Ce livre est passionnant à plus d’un titre. Ce qui a guidé le projet de cette auteure est certainement le besoin de retrouver les traces des enfants juifs disparus qui habitaient pendant la guerre au 209 rue Saint-Maur. C’est la partie essentielle de ses recherches, mais cela l’a entraînée à en savoir plus sur cet immeuble qui avant la « gentrification » des quartiers populaires de Paris était habité par des ouvriers et des gens à peine sortis de la pauvreté. C’est le second intérêt de cet essai : un peu à la Perec et « la vie mode d’emploi », elle va retrouver les habitants qui se sont succédés dans un même immeuble et les rendre vivants. Le passage sur la commune est passionnant, bien sûr dans les année 30, cet immeuble abritera les plus pauvres donc des juifs qui fuient les persécutions nazies. L’auteure a recherché les descendants de ces familles détruites et les a retrouvés. C’est donc aussi un livre sur la mémoire, celle de ces enfants de plus de 80 ans qui avaient surtout voulu oublier. Oublier « pour ne plus être en colère » comme le dit un des enfants. Oublier pour construire une vie sans ces images si lourdes à porter. La mémoire de l’auteure, descendante de la shoah, l’aide à très bien comprendre les blocages qui empêchent les survivants ou leur descendants de parler . Comme le dit le sous-titre, elle cherche à faire l’autobiographie de cet immeuble, et c’est ainsi qu’elle arrivera à faire parler ceux qui y ont vécu et à nous rendre vivant leur existence à deux trois ou quatre dans une seule pièce. Avec l’eau et les WC à tous les étages. En dessinant leur intérieur, des noms et des souvenirs reviennent. Et après ? après la guerre, les logements ne sont pas restés vides, c’est une autre population qui est arrivée, ouvrière et souvent communiste, étrangère parfois , algérienne et portugaise ces gens se sentaient soudés par le même statut social. Et puis, dans les années 80, l’immeuble a été racheté par des gens plus riches qui ont réunis les petits appartement pour en faire des logements agréables à vivre.

Ma seule difficulté a été de ne pas mélanger tous les noms des personnes dont elle suit les histoires. Un beau travail, passionnant et qui en apprend beaucoup sur un Paris des gens simples qui, s’ils ne font pas l’histoire, la subisse sans pouvoir, hélas, se défendre .

J’ai trouvé sur Youtube le documentaire de Ruth Zylberman qu’elle a réalisé avant d’écrire cet essai dont le sujet est plus large que les « enfants du 209 car il s’intéresse à l’immeuble de sa construction à nos jours.

https://www.youtube.com/watch?v=RkXCtFHQBZM

Citations

J’adore la phrase sur la baignoire

Car depuis la commune, il n’y a pas eu à Paris cette expérience radical de la ruine. Comme se souvenait le polonais Czeslaw Milosz décrivant Varsovie après 1945 :  » L’homme s’arrête devant une maison coupée en deux par une bombe. L’intimité des logis humain est là, béante, les odeurs de famille s’évaporent avec la chaleur de ces cellules d’abeilles, tranchées et ouvertes à la vue du public la maison elle-même n’est plus un rocher ; c’est du plâtre, du ciment, des briques et des poutres ; et, au troisième étage, solitaire , accessible aux anges seuls, une baignoire blanche est suspendue, d’où la pluie va laver tous les souvenirs de ceux qui s’y sont lavés.  » Non, à Paris, pour l’essentiel, les pierres demeurent, la façade, comme une peau régulièrement ravalée, protège la course heurtée, la chute parfois, des vies qui se dérobent.

L’ambiance de l’immeuble avant la guerre

À écouter Odette, c’est tout un monde, où se mélangeait le français et le yiddish, qui ressuscite. Ma mère comme souvent les femmes, ne parlait que très mal le français parce qu’elle restait à la maison. Mon père par contre se débrouillait pas mal, il était plus en contact avec les Français, au travail par exemple. Ma mère parlait une sorte de « franish » qui nous faisait beaucoup rire. Par exemple, quand on descendait en courant les escaliers avec mes frères, ce que nous faisions très souvent, elle criait  » Tombe nicht in escaliers ».

Souvenir d’un enfant du 209 déporté

Pour Albert, parler c’est dénoncer un système qui l’a condamné à mort. Au camp de Buchenwald, Albert a été sauvé par les communistes. Il l’est longtemps resté après la guerre. Sa tragédie personnelle, ils veut la transmettre dans sa dimension collective, politique, universelle. « Plus jamais ça » n’est pas pour lui un mantra vide de signification, c’est une raison de vivre et c’est bien pour ça qu’il a accepté de me recevoir malgré la fatigue et la maladie.

J’aime beaucoup les plongées dans l’histoire du Paris populaire.

Comment a-t-on réagi rue Saint-Maur, quelques mois plus tard, en apprenant que dans la nuit du 17 au 18 mars, le chef de gouvernement, Adolphe Thiers, a envoyé des troupes à Montmartre pour en faire retirer les canons de la garde nationale, ces mêmes canons que les Parisiens avaient eux-mêmes payés par souscription ? Il a dû en être rue Saint-Maur comme dans tous l’est de Paris : le tocsin sonne, la garde nationale fédérée accourt au secours des Montmartrois, la troupe fraternise avec le peuple. C’est le début de l’insurrection.

La façon dont l’auteure rend vivant les acteurs du passé

J’attrape les éclats surgis de ces quelques lignes  : le portrait du tout jeune Ernest Badin , apprenti de l’atelier du 209 désormais fermé, sans argent, aux abois, attiré par la solde, si minime soit-elle, par l’uniforme et aussi par l’aventure que devait représenter ces barricades à portée de main, épaulé par son compagnon de travail, Payer, plus âgé de quelques années ; la blessure de Payer, sa course d’une barricade à l’autre, autour de Saint-Maur, et cette phrase où résonne la certitude de la défaite  :  » je préférais être tué dans la rue que d’être tué chez moi ».

Le travail de l’historienne

Une fois de plus, je suis naïvement fascinée par cet instant où, sous l’effet de la recherche ou du hasard, un nom commence à prendre vie, à se métamorphoser en une impressionnante ramification d’autres noms, de trajectoire, de détails qui sont autant de bornes me guidant vers l’envers du présent.

Être juif en 1941

Sait- elle que dès mai 1941 , presque tous les hommes étrangers juifs de l’immeuble ont reçu un billet vert les « invitant » à se présenter pour examen de leur situation ? A-t-elle alors entendu les hésitations, les raisonnements, les hypothèses sans doute déployées par les locataires convoqués qui ne savent pas s’il faut ou non « se présenter » ? Elle ne se souvient pas qu’Abel, son père, ait reçu cette convocation. Ce fut pourtant le cas et il a visiblement fait le choix de ne pas se rendre au commissariat. Le père d’Albert Baum, son oncle Isaak Goura, n’y sont pas allés non plus. Imaginaient-ils ce que risquaient ceux qui s’y sont présentés le 14 mai 1941 à 7h du matin

Derrière moi

« J’ai laissé tout ça loin derrière moi. Je m’efforce de ne pas me souvenir car si j’oublie je suis heureux. Si je me souviens, la colère monte en moi. Quand vous êtes en colère, vous êtes le seul à souffrir, donc je suis heureux quand je ne suis pas en colère, quand je ne me souviens pas. »

 

Édition Gallimard NRF

Un roman pudique qui exprime pourtant si bien la violence, la solitude, la peur, l’amour et surtout la force de la musique. On est loin des six cent pages obligatoires du moindre roman américain et pourtant, je suis certaine que ce texte restera dans ma mémoire autant par l’ambiance que ce romancier a su créer que par la force de l’histoire. C’est la deuxième fois que je rencontre ce romancier, je me souviens avoir déjà beaucoup aimé « Une langue venue d’ailleurs » .
Le récit commence par une scène de terreur. En 1938, au Japon, un groupe de quatre musiciens amateurs se réunit pour répéter Rosamunde de Schubert. Mais ils sont interrompus par un militaire qui les soupçonne de communisme . Le père du narrateur a juste le temps de cacher son fils dans une armoire avant d’être brutalisé par ce soldat qui va les arrêter tous les quatre , d’autant plus furieux que trois d’entre eux sont Chinois. L’enfant caché verra toute la scène, en particulier le soldat qui écrase de son pied botté, le violon de son père. Ensuite le roman passe quelques décennies et Rei l’enfant est devenu adulte, il est luthier et a épousé une archetière (un mot que ce roman a rajouté à mon vocabulaire). Nous apprendrons que cet enfant a été élevé par un couple de français ami de son père qui lui, a disparu dans les geôles de l’empire du Japon pendant la guerre. Le roman permet de retrouver les protagonistes ou leurs descendants de la scène initiale. C’est aussi un roman sur la musique, le travail du luthier, sur la langue japonaise. Rie a réussi à reconstruire le violon de son père, je ne peux sans divulgâcher la fin du récit, vous dire quelle virtuose jouera sur cet instrument de facture française. Je connaissais la tradition de luthiers de Richemont, petite ville des Vosges, mais je ne savais pas que, sans dépasser la tradition de Crémone, Richemont a donné des violons d’une qualité très recherchée, encore aujourd’hui. le père de Rei possède un Jean-Baptise Vuillaume.

Si je mets 5 coquillages à ce roman, c’est que j’aime tout dans la façon de raconter de Akira MIZUBAYASHI en particulier sa pudeur, son élégance et son goût pour la langue aussi bien japonaise que française.(Il écrit en français !)

 

 

Citations

 

Destruction du violon

Emporté par la haine féroce, il balança le violon par terre de toutes ses forces et l’écrasa de ses lourdes bottes de cuir. L’instrument à corde, brisée, aplati, réduit en morceaux, poussa d’étranges cris d’agonie qu’aucun animal mourant n’eût émis dans la forêt des chasseurs impitoyables.

Rei avait assisté, par le trou de la serrure, à toute cette scène insoutenable sans pouvoir suffisamment saisir les échanges entre son père et le militaire. Il était retourné par la violence que son père subissait. Pétrifié de peur, recroquevillé sur lui-même, dévasté par son impuissance d’enfant, il se morfondait dans l’obscurité de sa cachette. Seul vibrait au fond de son conduit auditif la monstruosité du mot « Hikokumin* »et les sons événements, plaintifs et dissonants du violon mourant de son père.
Hikokumin : antipatriote

Scène initiale

Plusieurs longues secondes passent. Je ne sais ce qu’il fait, le corps ne bouge pas d’un pouce. J’ai peur. Instinctivement, je ferme les yeux. Le silence persiste. Je rouvre les yeux à moitié. Il se penche alors lentement, très lentement, comme s’il hésitait, comme s’il n’était pas sûr de ce qu’il faisait. Une tête d’homme, coiffé d’un képi de la même couleur que l’uniforme, apparaît devant mes yeux. À contre-jour, elle est voilée d’une ombre épaisse. Du bord du képi descend par derrière jusqu’aux épaules une pièce d’étoffe également kaki. Les yeux seuls brillent comme ceux d’une chatte qui guette dans les ténèbres. Mes yeux, maintenant grands ouverts, rencontrent les siens. Je crois pouvoir reconnaître un discret sourire qui s’esquisse et qui se répand autour des yeux. Qu’est-ce qu’il va faire ? Il va me faire mal ? Il va me sortir de force de cette cachette ? Je me blottis davantage sur moi-même. Soudain, il se penche de côté et se baisse un peu, puis il se relève aussitôt avec, dans la main, le violon abîmé qu’il a posé sans doute, il y a quelques instants, sur le banc juste à côté de l’armoire où je suis réfugié.

Le thème de Rosamunde

Le thème que je vais jouer est d’après moi l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond avec l’enfance peut-être, un monde en tout cas paisible et serein, plus harmonieux que celui d’aujourd’hui dans sa laideur et sa violence. En revanche, j’entends le motif présenté par l’alto et le violoncelle « tâ…. takatakata……., tâ…. takatakata… », comme la présence obstinée de la menace prête à envahir la vie apparemment sans trouble. La mélodie introduite par Kang-san traduit l’angoissante tristesse qui gît au fond de notre cœur.

Le travail du Luthier

Le vieil homme était en tablier bleu marine recouvert, de-ci de-là, de quelques copeaux fins. Il retourna à son établi tout en longueur où se trouvait, à côté d’un violoncelle détablé et en restauration, un violon ou un alto en cours de fabrication dans son état de bois brut non vernis. L’instrument n’avait encore ni manche ni touche, mais son corps échancré était achevé, toutes ses parties constitutives bien assemblées, minutieusement montées. L’homme au tablier bleu marine contemplait son objet d’un air satisfait, en le tenant de la main gauche. Les ouïes lui firent penser comme souvent au long yeux bridés d’un masque japonais « Okame ». Elles transformaient alors la surface de la table d’harmonie gracieusement bombées en un visage de femme souriant et rayonnant. Sur le mur, en face de lui, étaient accrochés une variété incroyable d’outils de menuiserie et de lutherie. Plus haut, on voyait un diplôme encadré, celui de la « Cremona Scuola Internazionale di Liuteria ». Au bout de quelques minutes, ses yeux quittèrent son enfant encore à l’état de fœtus pour se porter sur les nombreux instrument à cordes verticalement accrochés à une planche en bois d’une dizaine de mètres qui, juste au-dessous du plafond, allait horizontalement d’une extrémité à l’autre de tout le mur peint en blanc. Il tourna sa chaise en direction de sa collection de violon et alto parfaitement alignés.

Sa femme est archetière

Hélène avait été frappée par le métier d’archetier, lorsqu’elle était entrée dans l’atelier d’un maître archetier. Une simple baguette en bois de pernambouc c’était transformée en un bel objet dans la courbe lui apparaissait pour la première fois -alors qu’elle avait vécu jusque-là tous les jours au contact des archets et de ses parents- sous l’aspect d’une mystérieuse beauté qui faisait penser à celle d’un navire céleste voguant sur les flots argenté des nuages. Ses parents lui avaient dit que la sonorité de leur instrument changeait sensiblement en fonction de l’archet qu’ils considéraient comme le prolongement naturel de leur bras droit.
et pour votre plaisir une des multiples version de Rosamunde

 

 

 

Édition livre de poche. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Moreau

Fil conducteur du roman

Je voulais faire quelque chose de bien. Alors j’ai pensé, bon, que font les infirmières ? Elles aident les gens, ceux qui souffrent. Pourquoi ils souffrent ? Parce qu’ils ne savent pas ce qui va leur arriver. Et si je les soulageais ? S’ils ont des réponses, ils seront libres, c’est ce que je me suis dit. S’ils connaissent la date de leur mort, ils pourront vivre.

J’avais dit à Gambadou, le 12 octobre 2019, que ce livre m’attirait . Il m’a fallu du temps mais finalement j’ai satisfait l’envie qu’elle m’avait donnée de lire ce roman que j’ai beaucoup aimé. Il fait partie d’un genre assez répandu : « les grandes saga américaines ». J’en ai lu beaucoup, parfois avec intérêt parfois en m’ennuyant un peu. Ce n’est pas le cas ici, car l’auteur a su trouver un ressort qui a tenu mon intérêt en haleine pendant les quelques 500 pages du roman. L’idée de départ est simple quatre enfants vont, un jour d’été, consulter une voyante qui peut prédire le jour de leur mort. Et voilà, le roman est lancé et mon esprit capté par cette lancinante question : qu’est ce que je changerai à ma vie si je connaissais la date de ma mort ? Ce roman nous permet de revivre aussi les dates marquantes aux USA. Les années du début du SIDA sont particulièrement bien décrites, puisque le plus jeune d’entre les enfants Gold assumera son homosexualité et ira vivre à San Francisco pour y mourir, comme tant d’autres, du SIDA . Le fait troublant c’est qu’il est mort exactement à la date prédite par la voyante le le 21 novembre 1982. Sa sœur Klara est dans la culpabilité car c’est elle qui l’a poussé à fuir sa famille pour vivre sa vie telle qu’il la souhaitait au fond de lui. Elle a même utilisé cet argument terrible pour elle maintenant , « puisque tu penses mourir jeune, pourquoi ne vis tu pas au grand jour ta sexualité » . Si elle l’avait laissé vivre auprès de sa mère aurait-il franchi le pas et serait-il en vie ? Elle même a une vie étrange attirée par le monde du spectacle et de la magie elle vit avec Raj une ascension dans ce monde qui ne l’équilibre guère, malgré la naissance de son adorable bébé Ruby. Le frère le plus équilibré semblait, au départ, être Daniel qui devient médecin militaire et grâce à qui nous découvrons la guerre en Afghanistan et ses ravages chez les jeunes recrues qu’il doit sélectionner comme étant aptes au combat. Enfin la dernière c’est Vayra, c’est avec elle que nous terminons ce roman. Et nous découvrons l’univers des laboratoires et des expérimentations animales. C’est une femme malheureuse qui a été confrontée à la mort de son père, ses deux frères et sa sœur et qui pour combattre cette malédiction s’est plongée dans la recherche sur le vieillissement. Pour se protéger, elle s’est construit une carapace faite d’interdits et surtout de T.O.C qui, s’ils ne la font pas mourir à son tour, l’empêche de vivre. Les quatre enfants mériteraient chacun un roman, mais les avoir réunis donnent un survol intéressant sur ce pays qui me fascine toujours autant. Si j’ai mis cinq coquillages, c’est surtout pour les pages consacrées au début du SIDA. J’avais un peu oublié à quel point les réactions contre les malades du Sida homosexuels avaient été violentes, certains sont même aller jusqu’à assassiner ceux qui essayait de lutter contre cette épidémie : Harvey Milk a été abattu avec le maire de San Francisco, George Moscone, le 27 novembre 1978 . Et … leur meurtrier, Dan White, a été condamné à sept ans et huit mois de prison, pour homicide involontaire….

J’ai pensé en lisant ce livre que les auteurs français avait là, la matière pour quatre ou cinq romans d’une centaine de pages. Autre pays, autres habitudes littéraires.

 

Citations

Humour

Simon retient alors sa respiration : Madame Blumenstein avait alors une haleine fétide comme si elle exhalait, à quatre-vingt-dix ans, l’air qu’elle avait inhalé bébé.

 

La violence contre un homosexuel noir aux USA dans les année 70

Ils l’ont frappé au visage, lui ont fracassé le dos avec une batte. Puis ils l’ont traîné dans un champ et l’ont attaché à la clôture. Ils ont dit qu’il respirait encore quand ils sont partis, mais quel genre d’enculés pourrait croire un truc pareil ?
Simon secoue la tête. Il en a la nausée.
– Le juge, voilà qui, poursuit Robert.

Croire

Tu ne crois pas en Dieu non plus, maman, répond t-il, mais tu as décidé que si.

La puissance des mots

 Elle était agnostique depuis son doctorat, mais s’il y avait un aspect du judaïsme avec lequel elle était en accord, c’était bien cela, la puissance des mots. Ils s’immisçaient sous les portes, par les trous de serrures. Ils s’accrochaient à l’intérieur des individus et rampaient à travers les générations.

Bonne description du journalisme

Ce ton taquin est anxiogène pour Vayra. Mais c’est ainsi que procèdent les journalistes, il crée une fausse impression d’intimité, entre dans vos bonnes grâces jusqu’à ce que vous vous sentiez assez à l’aise pour leur confier des informations que vous auriez sinon le bon sens de taire.

La guerre

 Selon lui, dit-elle, il était impossible de survivre sans déshumaniser l’ennemi, sans créer tout d’abord cet ennemi. La compassion était l’apanage des civils pas des militaires. L’action requiert qu’on donne la priorité à une chose par rapport à une autre.

Vivre vieux

Il est impossible de communiquer le plaisir de la routine à une personne qui n’en tire aucun contentement, aussi Varyra n’essaie-t-elle même pas. Un plaisir qui ne provient pas du sexe ni de l’amour, mais de la certitude. Si elle était plus religieuse, et chrétienne, elle aurait pu devenir bonne : quel confort de savoir la prière ou la tâche que l’on effectuera pendant quarante ans à 14h, le mardi.
-J’améliore leur santé déclare-t-elle. Grâce à moi, ils vivent plus longtemps.
– Mais pas mieux.
Luc se plante devant elle, et elle se radosse au canapé.
– Les singes n’ont pas envie d’être en cage ni de manger des croquettes. Ils veulent de la lumière, des jeux, de la chaleur, de la consistance et du danger. C’est quoi ces conneries de préférer la survie à la vie, à supposer qu’on puisse contrôler l’une ou l’autre ? Pas étonnant que tu n’éprouves rien quand tu les vois en cage. Tu ne ressens rien pour toi-même.

 

Édition Le Serpent à Plumes

Merci Lyvres sans toi je n’aurais pas repéré ce roman qui est pour moi un vrai coup de cœur. J’espère à mon tour entraîner quelqu’un à lire ce livre triste et merveilleux à la fois. Cet auteur Kurdo-Syrien sait de façon unique – à mon avis- nous faire toucher du doigt ce que représente l’exil quand le pays d’origine est saccagé par la folie des hommes. Même la façon dont le roman est construit rend bien compte de ce que vit Fawas Hussain, il mêle la vie de tous les jours, donc les habitants de son HLM dans le 20° arrondissement de Paris, aux actualités télévisées qui racontent en détail l’effondrement et toutes les horreurs qui ont ravagé son pays . Avec, parfois, des souvenirs heureux du temps de son enfance. Deux rencontres avec des Kurdes, comme lui feront le lien avec ce qu’il vit aujourd’hui et son pays. J’ai souri, car c’est aussi un roman plein d’humour à la façon dont les Kurdes se saluent quand ils ne se sont pas vus depuis longtemps :

« Alors, kurde syrien, tu arrives encore à bander ou tu t’en sers uniquement pour pisser ? »

 Fawas Hussain, présente tous ses personnages par leur origine ethnique, la femme qu’il a aimé est toujours nommée comme Japonaise ou Nippone et elle est partie avec « son » Breton. Il faut dire que ces appartenances ont eu tellement d’importance dans les haines réciproques entre les Chiites et les Sunnites qui détestent les Kurdes et tous veulent chasser les Chrétiens… Pour ne pas parler des Yazidis ! Dans son HLM, on sent que les difficultés de la vie, l’argent, l’alcool les infidélités prennent le pas sur ces différences d’origines. Mais il y a une entité qui rassemble tout le monde : « la Société des HLM parisiens ». Les travaux dans sa tour HLM sont des hauts moment d’humour et d’absurdité. 

Sur le sol français et dans ce HLM les différents communautés arrivent à cohabiter et parfois à s’entre-aider. Je lisais dans un des commentaires laissé chez Lyvres que c’était peut-être une vision trop idyllique. Je ne le crois pas, car ces HLM sont dans Paris et ne constituent pas des zones de non-droit. C’est parfois violent mais rien à voir avec les phénomènes des quartiers de banlieues péri-urbaines.

Ce roman permet de se plonger dans la réalité des quartiers populaires de Paris et les souffrances crées par la destruction du Moyen-Orient. Et tout cela avec une belle dose d’humour !

 

 

 

Citations

La voisine désespérée 

Le sourire de connivence de la mère cède la place à une tristesse dévastatrice et l’inquiétude déforme ses traits. Elle m’avoue hésiter avant de monter car elle ne sait pas si on lui ouvrira la porte. Elle se débat comme une mouche prise dans la toile de quelques grosses araignées nommé Angoisse.

J’aime le style de cet écrivain 

Malgré un ciel Parisien constamment squatté par des nuages ténébreux et menaçants, je décide de quitter l’écran de la télévision pour prendre quelques vacances. Depuis le début des catastrophes à répétition en Syrie, je vis la violence qui s’exerce sur mon pays à distance, ce qui la rend encore plus cruelle que si j’y étais en chair et en os.
 

Une si grande tragédie !

L‘autocar climatisé faisait un premier arrêt dans l’oasis de Palmyre. Les passagers pouvaient acheter de quoi se restaurer tandis que le chauffeur et son aide mangeaient à l’œil en tant qu’ apporteurs de clients. Moi, par peur de tomber malade, je n’avalais rien et je me dirigeais chaque fois vers la grande colonnade, principale voie de circulation de la ville antique qui s’étire sur plus d’un kilomètre. Je passais sous l’arc monumentale où des gamins Bédoins proposaient aux touristes des promenades sur la bosse unique de leurs dromadaires. Je me pressais vers le temple de Bêl, le dieu du soleil, et me recueillais devant le sanctuaire de Baalshamin, le dieu du ciel, sans imaginer alors qu’ils seraient bientôt plastiqués par le groupe État islamique et complètement rayé du patrimoine archéologique de l’humanité.

Des destins tragiques 

Mon compatriote me ramène à notre première rencontre devant le restaurant universitaire Albert Châtelet. C’était dans les années 80, et il avait fui Saddam Hussein comme moi Assad, le père, son homologue et ennemi juré. …. Mais avec Saddam Hussein au pouvoir, il n’osait pas, à la fois comme kurde n’ayant pas fait son service militaire, et comme ressortissant d’une petite communauté comme les yézidis qu’on appelait les fayliz.. Musulmans chiites, ils avaient été déportés par le parti Baas est condamné à vivre aux alentours de Bassora. 
 

Faire venir sa mère discussion avec son ami Kurde titulaire d’une thèse sur la place de l’adjectif épithète. 

 
Si les jeunes peuvent s’adapter à leur nouvel environnement et apprendre plusieurs langues étrangères, ma mère ne supportera pas la vie en Europe. Elle vit en Syrie depuis quatre-vingts ans et elle n’a toujours pas appris l’arabe, pourtant la langue de la nation. Alors comment se mettra-t-elle au français et pourra-t-elle maîtriser le comportement de l’épithète ? Elle mourra d’ennui loin de ses filles puisqu’elle continue de les diriger d’une main de fer. Elle impose sa volonté à tout le monde autour d’elle car elle a toujours vécu comme ça et ce n’est pas Daech et un quart de million de morts en Syrie qui lui feront changer de caractère. 
Mon ami constate que je n’ai pas oublié le sujet de sa thèse et en sourit. Il passe sa main devant son visage comme pour effacer un souvenir écrit sur un tableau invisible :
« Nos deux pays sont devenus ce qu’on appelle des zones de guerre dans le jargon militaire. Comment laisser la famille à quelques kilomètres des fous d’Allah qui ne pensent qu’à une chose, égorger ? Ces hystériques s’entraînent sur des moutons et des chèvres pour mieux décapiter les hommes, tu te rends compte ?
 
 

Les passages qui m’enchantent 

Ce soir, je ne vais pas me mettre devant le vieux poste de télévision, non, je ne têterai pas le lait noir des deux mamelles déversant le malheur que sont France 24 et Al Jazeera. Oui, dimanche prochain, j’irai faire le marché, non pas pour les deux Suédoises, mais pour voir le vendeur des quatre saisons et le couvrir d’éloges à propos de la qualité de ses clémentines. Je lui demanderai comment il s’appelle pour de vrai et me présenterai à mon tour, le Syrien du 7e étage. J’espère de tout cœur que d’ici-là l’ascenseur sera réparé, non pas pour moi, mais pour tous les gens de l’immeuble. Je pense en particulier à la Kabyle nourri au miel et au couscous, avec ses pleurs de tragédie grecque et au français du quatrième, celui qui doit vérifier toutes les deux heures s’il a du courrier.

Édition 10/18 traduit du japonais par Jean-Baptiste Flamin Je dois cette lecture à Dasola et mes cinq coquillages seront, je l’espère, une incitation pour que ce livre extraordinaire trouve un large public parmi mes amies blogueuses et amis blogueurs. Ce roman remplit trois fonctions, décrire avec minutie les ressorts de la justice japonaise (depuis l’affaire Carlos Gohn, on a tous l’idée que ce n’est pas facile de sortir de ses griffes), une réflexion très fournie sur la peine de mort, et enfin un thriller bien construit. Pour moi, c’est ce dernier aspect que j’ai trouvé le moins intéressant, mais sans doute parce que je suis peu adepte du genre. En revanche la description de la justice japonaise m’a absolument passionnée. Le roman débute dans le couloir de la mort, à neuf heures du matin, c’est l’heure où, lorsque l’on entend des pas se rapprocher de la cellule où on est enfermé, cela peut être ceux des gardiens qui viennent chercher le condamné qui doit alors être exécuté. Ryô Kihara écoute et on imagine sa souffrance puisqu’il est condamné à la pendaison, puis les pas passent et ce n’est pas pour lui pas cette fois… Après cette scène, il est impossible que vous ne vouliez pas en savoir plus ; alors vous suivrez la levée d’écrou de Jun’ichi qui part en conditionnelle après avoir fait deux ans de prison pour avoir tué accidentellement un homme dans un bar. Ce départ se fait selon un rituel où le condamné ne doit son départ vers la liberté qu’à une attitude où il montre à quel point il se repent pour tout le mal qu’il a fait. Toute la justice japonaise est là, il ne sert à rien de clamer son innocence, il faut montrer qu’on a changé, que la prison vous a changé et que vous ne recommencerez jamais. C’est pour cela que l’on voit à la télévision, s’humilier devant le pays des grands patrons ou des dirigeants politiques. Ils peuvent repartir libres car ils reconnaissent à la fois leur culpabilité et les bienfaits de la justice japonaise qui a œuvré pour leur bien et celui de la société. (Tout ce que Carlos Gohn n’a jamais voulu faire.). Enfin grâce à Shôgi Nangô, le gardien de prison qui va recruter Jun’ichi pour essayer d’innocenter Ryô Kihara avant qu’il ne soit trop tard, le lecteur est plongé dans une réflexion approfondie sur ce que représente la peine de mort pour celui qui l’administre. Depuis « L’Étranger » je n’ai rien lu d’aussi marquant. Je ne dirai rien du thriller car je sais bien qu’il ne faut surtout pas divulgâcher ce genre d’intrigue. Un des aspects qui joue un grand rôle dans le roman, ce sont les sommes d’argent qui sont en jeu. Les parents du jeune Jun’ichi ont versé aux parents de la victime une somme si colossale qu’ils sont réduits à la misère. C’est d’ailleurs pour cela que ce jeune acceptera de partir dans l’enquête de Shôgi Nangô car il espère, grâce à l’argent gagné, aider ses parents à sortir de la pauvreté où il les avait plongés. Je ne voudrais pas que vous pensiez que ce roman est uniquement une charge sévère contre la justice japonaise, il s’agit plus exactement d’un questionnement sur son fonctionnement et cela amène le lecteur à réfléchir sur ce que la société recherche en emprisonnant des délinquants. Si c’est les écarter de la société, ils ressortiront et recommenceront, si c’est les réadapter alors on s’intéressera au système japonais qui veut être certain que l’individu a changé et ne recommencera pas parce qu’il a compris les conséquences de ses actes. Enfin pourquoi treize marches : d’abord il semblerait que dans les premiers temps il y ait eu treize marches pour monter à l’échafaud , ensuite Ryô Kihara qui souffre d’une amnésie et ne se souvient de rien se rappelle soudain avoir gravi treize marches, et enfin il faut treize signatures successives pour valider la condamnation à mort avant de l’exécuter. Et évidemment, avant cette treizième signature, nos deux enquêteurs doivent boucler leur enquête. Voilà pour le suspens qui est très prenant. C’est peu de dire que j’ai aimé ce livre, j’ai été passionnée de bout en bout.     PS Vous pouvez vous informer sur l’horreur de la peine de mort au Japon, en tapant le nom de Sakae Menda ou Iwao Hakamada  

Citations

 

Le procureur tout puissant

Pour avoir été lui-même jugé, Jun’ichi n’avait pas beaucoup de sympathie pour les procureurs. Leur réussite au concours national de la magistrature faisait d’eux l’élite de la nation. Ils agissaient au nom de la justice, avec la loi pour seule arme, sans aucune place pour les sentiments.

 

La sortie de prison en conditionnelle

Une lumière diffuse , filtrée par le verre dépoli des fenêtres , conférait au surveillant un air plus humain , que Jun’ichi découvrait pour la première fois . Mais la sérénité que ce tableau inspirait au jeune homme fut balayée par la phrase suivante.
– Je m’engage à prier pour le repos de l’âme de ma victime, et m’efforcer en toute bonne foi de l’apaiser.
Il blêmit.
« Prier pour l’âme de sa victime et s’efforcer de l’apaiser… »
Jun’ichi se demanda si l’homme qu’il avait tué se trouvait à présent au ciel ou en enfer.

La prison japonaise

Après une altercation avec un maton qui l’avait dans le collimateur, il avait été envoyé dans cette cellule individuelle, minuscule et puante, où on l’avait laissé croupir une semaine, les bras immobilisés par des sangles de cuir. Sa nourriture, déposée dans une assiette à même le sol, il avait dû la laper comme un chien, et quant à ses besoins il n’avait eu d’autre choix que de se faire dessus -une expérience atroce.

La peine de mort

Si jamais son propre enfant avait été tué, et que son meurtrier se trouvât devant ses yeux, il lui réserverait à coup sûr le même sort. Cependant, autoriser à rendre justice soi-même plongerait la société dans le chaos. C’est pourquoi l’État se posait en tiers entre les parties et s’arrogeait le droit de punir, d’infliger des peines à leur place. Le cœur humain était en proie au sentiment de vengeance, un sentiment né de l’amour porté à la personne décédée. Ainsi, la loi étant faite par les Hommes et pour les Hommes, la justice rétributive et l’idée de peine de mort qu’elle implique n’étaient-elles pas naturelles ?

 

Édition Notabilia   J’ai beaucoup aimé son précédent roman « Le dernier gardien D’Ellis-Island » . J’apprécie beaucoup l’écriture de cette romancière entre poésie et narration. Elle décrit ici, le chagrin d’une mère qui n’a pas su retenir son fils Louis auprès d’elle. Mariée trop jeune avec un marin pêcheur, et veuve quelques années plus tard, elle accepte de devenir la femme du pharmacien du village qui lui promet d’aimer son fils. Hélas ! il ne saura pas être un père de substitution et il sera même violent avec Louis qui s’enfuira pour devenir marin comme son père. Rongée par la culpabilité et la souffrance Anne ne se remettra jamais de ce départ. Elle l’attend, elle ne peut plus faire que cela, même si elle remplit aussi son rôle de femme et de mère avec les enfants qu’elle a eus de son second mariage. Dans sa petite maison, proche de la grève, elle invente le festin qu’elle cuisinera pour son fils quand il lui reviendra. À travers son chagrin, on revit la vie de cette femme simple et courageuse. Née dans une famille pauvre dans les années 1930, Anna est élevée à la paire de claques et sans amour. Elle se marie très vite et très vite a un fils Louis. Ce roman met en lumière des faits de guerre dont je n’avais jamais entendu parler : Anna est veuve pendant la guerre parce que son mari est parti pêcher alors que la Grande-Bretagne avait averti qu’elle coulerait tous les bateaux afin que l’occupant allemand ne puisse pas se nourrir des produits de la mer. Elle doit travailler à l’usine de conserves de sardines (je me suis demandée comment cette usine avait des poissons si la pêche était interdite !), elle vit la guerre dans la terreur et l’après guerre ne lui apporte que peu de joies jusqu’à l’arrivée d’Etienne qui lui déclare son amour et en fait sa femme. J’avoue avoir été très triste par la fin du roman tellement injuste ! Un beau roman dont l’écriture saisit le lecteur jusqu’à la dernière ligne.  

Citations

Paroles de l’impossible réconfort

« Une fugue, ça arrive, vous savez, Madame, c’est un adolescent un peu difficile, dites-vous, mais il va sûrement revenir. Il est mineur, il n’a pas d’argent, où voulez-vous qu’il aille ? »
 Je n’ai pu que hocher la tête pour approuver ces paroles que j’aimerais tant croire, mais ce ne sont que les mots usés, épuisés, rapiécés, de l’impossible réconfort.

L’école pour une enfant misérable avant guerre

 On me trouvait sauvage , rebelle , alors qu un mot , un geste aurait suffi affaires céder toute cette tension qui me dévorait . J’étais lasse des moqueries des autres élèves, pour mes affaires oubliées, perdues ou cassées, pour ma blouse tachée ou déchirée, lasse des punitions. J’aimais apprendre, j’aimais lire surtout, j’aurais voulu des journées entières passées à vivre d’autres vies que la mienne, mais je haïssais l’école, tout autant que je désirais fuir un foyer ou seul des brutalité m’attendaient. Oui, fuir,mais où ?

Adolescence

Seize ans, le temps de tous les tourments, des désordres, des élans , des questions, des violences contenues qu’un mot heureux pourrait apaiser, des fragilités qui n’attendent qu’une main aimante. L’âge où tout est prêt à s’embraser, à s’envoler ou à s’abîmer. Je le sais, je suis passé par là. Les grandes marées du cœur. Louis a épousé la rage, la déception, la colère, et aussi une peine qu’il ne voulait pas s’avouer, face à tant d’inconnus qu’il découvrait en lui. Il faut du temps pour se déchiffrer à ses propres yeux. Son enfance a pris fin depuis longtemps, il ne reste une béance, celle de l’absence de son père, que je suis impuissante à combler.

Je ne savais pas cela

C’est la Royal Air Force qui avait bombardé le chalutier. Pour les Anglais, depuis le début de la guerre, depuis qu’en juin 1940 les Allemands étaient arrivés jusqu’en Bretagne, l’objectif était simple : il ne fallait pas nourrir l’ennemi. Alors, plus de pêche, ou si peu, pour affamer l’armée d’occupation. À tout prix. Londres y veillait, Churchill s’était montré intraitable. Intérêt supérieur des nations entendions nous. Les restrictions, les interdictions pleuvait sur les bateaux de pêche. Puis les avertissements, les intimidations, les menaces. Les sommations. Les tirs. Les bombes. Les mouillages de mines par les sous-marins. La guerre.

Souvent, le mercredi, je passe sur vos blogs pour dire que je lis peu, ou pas, de BD. Il m’arrive aussi de trouver des trésors comme « Le Chanteur Perdu » et cette fois, c’est moi qui vous suggère une lecture qui m’a beaucoup touchée. L’auteur a écrit cette BD car en peu de temps, il a dû faire face à l’Alzheimer de sa mère et à l’annonce de la trisomie de son fils :

À quelques mois d’intervalles, il me faut faire le deuil de la mère que j’avais connue et celui de l’enfant que j’avais attendu.

Morvandiau est rennais et cela a sûrement joué dans mon plaisir de lecture car c’est la ville où je suis née et où j’ai travaillé. Je reconnais bien les lieux qu’il décrit, j’apprécie qu’il ne fasse pas des dessins du Rennes touristique très connu mais plutôt des quartiers habités par les gens ordinaires, on sent que son œil de dessinateur est attiré par la transformation d’un quartier de petits pavillons avec jardin laissant la place à des immeubles. Morvandiau raconte ces années qui ont été douloureuses pour lui, il passe d’anecdotes de sa vie à l’expression de ses sentiments et de ses cauchemars, les réflexions des gens autour d’eux. Que de pudeur dans cette BD ! Il ne s’agit pas d’un récit linéaire, et c’est ce que j’ai aimé : par petites touches, Morvandiau nous fait participer à tout ce qui a fait sa vie. Je vous laisse avec ma planche préférée, mais surtout ne croyez pas que cette BD ne raconte que cela : la vie d’Emile et de ses progrès, c’est toute une période de la vie de l’auteur dans tous ses aspects, enfin ceux que le dessin peut exprimer  :

Merci Jérôme , Merci Noukette . Ce Noël sans mes enfants et petits enfants était un peu tristounet. Ils ont tous eu peur de me passer ce sale virus, alors j’ai convoqué mes amis des blogs qui lisent des BD et j’ai mis celle-ci sous mon sapin. Quelle bonne idée, j’ai passé une très bonne soirée et je n’ai pas vu le temps passé. Pour Jérôme « le chanteur perdu » est dans le top du top et pour Noukette dans son « Panthéon » . Je comprends bien leur choix, car il y a tout dans cette BD, de l’humour, de la tendresse, beaucoup de vérités sur l’être humain et une enquête fort intéressante. Notre « médiathécaire », fait un burn-out, pourtant sa profession n’est pas tellement à risques. Donc, pour échapper à sa dépression , il part à Morlaix ; idée étrange car c’est l’hiver, il pleut, et, en plus, le viaduc qui passe au dessus de la ville est un des hauts lieux pour les suicides des Bretons … Il veut retrouver sa jeunesse ou plus exactement le souvenir d’un chanteur dont il a beaucoup aimé les chansons : Rémi Bê. Et là, on se rend compte que la fiction et la réalité se mêlent. Il existe bien ce chanteur, il s’appelle Jean-Claude Rémy et il a bel et bien disparu de la scène médiatique, pourtant à ses début il avait été salué par les meilleurs chanteurs de son époque, en particulier par Pierre Perret qui l’aidera à publier son unique disque. Cette quête met en scène des personnalités dont l’humanité a construit notre époque et lorsque, enfin, Jean retrouvera Rémi Bê, il ne recevra aucune réponse au pourquoi du destin de Jean-Claude Rémy, mais ce qui est certain c’est qu’il aura donné du sens à sa vie. La postface permet de connaître un peu mieux le personnage réel. Il faut lire cette BD en écoutant les chansons cela permet de ralentir la lecture et de la savourer un peu plus longtemps.

Citation

Le début

En arrivant à Morlaix le TGV emprunte le viaduc C’est parait-il le rendez-vous des candidates au suicide Un bref instant, je les imaginais se jetant dans le vide ; sans doute par grappes Après tout, à quoi occuper son temps à Morlaix en décembre

Édition Stock La cosmopolite. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mireille Vignol

Rien au monde n’est plus lourd que le cercueil d’un enfant et jamais d’adulte ayant ployer sous ce fardeau ne sera en mesure de l’oublier.

  Je dois cette lecture à Krol, vous vous souvenez sans doute de son enthousiasme ? Et bien je vais vous faire partager le mien. Keisha me rappelle dans son commentaire qu’elle a beaucoup aimé aussi, je lui avais bien dit que mon billet allait venir, mais je ne dis plus jamais quand ! Je ne sais pas si c’est très utile mais l’auteur a eu besoin de nous avertir par ces mots :

Ce roman a été en partie inspiré par des faits qui se sont produits à Weston, dans le Wisconsin le 23 mars 2008.

Est-ce que cela rajoute quelque chose au roman ? En réalité , je n’en sais rien, tout parent qui a connu un de ses enfants s’éloigner de l’amour familial pour aller vers une dérive sectaire et y entraîner ses petits enfants peuvent se retrouver dans ce roman. Ici, il s’agit donc d’une dérive particulière, reliée aux églises pentecôtistes, les adeptes pensent que la prière peut remplacer les soins médicaux. C’est terrible pour les grands parents et il leur faudra tout leur amour pour essayer de sauver et d’arracher leur petit fils aux griffes de la secte tout en ne coupant pas les ponts avec leur fille. Ce qui rend ce roman si attachant , c’est la description de la vie dans une petite ville du Wisconsin. Tout sonne juste, le magasin d’Électroménager qui a fermé ses portes, l’église traditionnelle qui se vide, les formes nouvelles de religion qui font le plein avec à leur tête des pasteurs peu scrupuleux. Les vieux amis qui disparaissent et le travail dans un verger qui est un des points forts du roman. Lyle le grand-père, impuissant devant les choix de sa fille s’y sent bien et aime y venir le plus souvent possible avec le petit Isaac. Mais sa fille est persuadée que ce grand-père a une influence satanique sur son fils, et Steven le pasteur malhonnête que l’enfant a des dons de guérisseur. La foi religieuse a une grande importance dans ce roman, et personne n’a de réponses toutes faites, sauf les sectaires qui ne doutent de rien et qui font tant de mal autour d’eux. Le personnage du pasteur traditionnel Charlie est tellement plus humain. Mais son église n’attire plus grand monde, dommage ! Une plongée dans l’Amérique religieuse qui va très mal avec des personnages très attachants. Lyle le grand père qui a lui-même perdu un enfant de neuf mois est très crédible et très attachant. On ne l’oublie pas facilement, je pense qu’en France il aurait eu plus facilement les autorités avec lui pour sauver plus vite son petit Isaac. Mais cela ne veut pas dire grand chose car, cela voudrait peur être dire que les sectaires se cachent mieux qu’aux USA. Il ne faut pas oublier qu’en France de très nombreux parents ne font pas vacciner leurs enfants.

Citations

Prémisses de radicalisation religieuse

Depuis qu’Isaac et Shiloh étaient revenus vivre à la maison, elle assistait poliment à la messe dominicale avec ses parents mais se rendait ensuite à une autre église abritée dans un ancien cinéma de la Crosse. Elle y passait tout l’après-midi jusqu’en début de soirée, en « confrérie », disait-elle. Lyle comprenait le concept de confrérie religieuse, certes, mais il se limitait pour lui à deux ou trois tasses de café trop léger et à quelques bavardages polis .

Le vieillissement de l’église traditionnelle

La messe à Sainte Olaf était un rappel hebdomadaire et mélancolique de cette perte. Car au fil des ans, les cheveux des paroissiens avaient grisonné, blanchi, puis complètement disparu, et les bancs s’étaient progressivement clairsemé. Il y avait assurément beaucoup moins d’enfants, si bien que le dimanche matin le prêche à la fois désuet et provoquant du pasteur Charlie résonnait dans le vide ; la chaire sur laquelle il se dressait semblait de plus en plus fragile et artificielle. Lyle s’était souvent demandé s’il n’aurait pas mieux valu former un grand cercle et parler. Quant au pasteur Charlie, que pensait-il face à cette longue salle rectangulaire, bondée deux décennies plus tôt, elle accueillait maintenant quelques dizaines de paroissiens …

Vivre dans une petite ville

Lyle et Charlie avaient grandi ensemble dans des fermes voisines ; ils s’acquittaient de leurs corvées, allaient à l’école, jouaient au football et assistaient à l’école du dimanche ensemble. C’est la bénédiction et la malédiction la plus flagrante d’une petite ville : votre famille, vos amis, vos voisins, vos collègues de travail et votre paroisses ne cessent, semble-t-il, de vivre dans votre poche, de vous observer par la fenêtre, ils sont assez proches de vous pour deviner si vous êtes heureux, triste, distrait, amoureux ou si vous avez une furieuse envie de disparaître à tout jamais.

Le cancer de son vieil ami

Le cancer, mon vieux. On dirait qu’on m’a renversé un sachet de M&M’s sur la poitrine. Sauf qu’ils sont tous de la même couleur merdique. Tout un tas de vilaines petites tumeurs blanches. Le médecin m’a même présenté des excuses. Pour avoir cru que c’était une pneumonie(….) En même temps il y a aussi une bonne nouvelle.
 Lyle le regarda.
– Ah bon ?
– Plus besoin d’arrêter de fumer, dit Hoot avec un sourire mélancolique.

Évolution du commerce

C’est pour ça que Redford-Électroménager a fait faillite, tu sais. À cause de magasins comme ça. Les petits commerces peuvent pas faire le poids.
– C’est bien triste, si tu veux mon avis.
– Peut-être mais c’est l’Amérique, non ? La main invisible et tout ce bazar. Le libre marché. Personne se soucie des commerces de proximité. Je crois qu’on a eu de la chance jusqu’à maintenant. On était protégés de tout ça dans notre petite ville. Mais c’était juste une question de temps avant qu’on nous découvre.

Un dimanche dans le Midwest

Il est des jours dans le Midwest américain où rien ne semble plus naturel que de parcourir de longues distances, ne serait-ce que pour quitter votre ville une poignée d’heures ; cette expédition incompréhensible au reste du monde représente un simple loisirs dominical : photographier des feuilles automnales ; suivre le cours du Mississippi ou de la rivière Sainte-Croix, des rivages du lac supérieur ou du lac Michigan (qui sont de véritables océan intérieur en vérité ) ; emprunter un sentier menant à quelques cascades ou peut-être entreprendre une longue excursion en en cas d’une chose aussi simple qu’une part de tarte. Quand il n’y a rien à faire -en route !