Édition Gallimard, 412 pages, juin 2024.

Comment mettre des coquillages à un tel livre ? Mais ne pas en mettre, ce serait aussi envoyer un message qui ne vous conseillerait pas de le lire ou qu’il serait mal écrit.
Ce livre sur l’horreur aura donc quatre coquillages (j’expliquerai pourquoi pas cinq) , mais je le dis aussi : il n’est pas facile à lire, et il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir peur de tourner les pages en me demandant ce qui m’attendait au prochain chapitre !

Les horreurs en Algérie sont commémorées et ont leurs monuments aux morts, il s’agit de celles que les Français ont commises lors de la guerre pour l’indépendance de ce pays. L’ennemi était facile à identifier : les colonisateurs français. Mais les années de guerre civile lorsque le gouvernement algérien a stoppé le processus démocratique qui allait mettre au pouvoir le FIS et qui a déclenché une guerre civile faisant plus de 200 000 morts qui en parle ? Personne ou presque surtout depuis cette loi :

Art. 46 – Est punie d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq(5) ans et d’une amende de 250000 DA à 500000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.
 Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive la peine prévue au présent article est portée au double.
 Chartre pour la paix et la réconciliation plus nationale. 
Kamel Daoud veut briser ce tabou et il le fait dans ce roman, « Houris », les houris, ce sont les femmes vierges qui attendent les valeureux combattants de la foi musulmane au paradis d’Allah . Pour cela, il nous fait entendre la voix intérieure de Aube une jeune algérienne rescapée d’un massacre de village où les enragés islamistes ont assassiné plus de deux mille personnes dont son père sa mère et sa soeur . Elle aussi, a été égorgée, mais mal, ses cordes vocales ont été coupées et malgré une cicatrice qui lui coupe le visage en un affreux sourire, elle a survécu. Elle vit et est est aimée par Khadija qui l’a sauvée et s’occupe d’elle. Elle a vingt ans, et elle est enceinte.
Aube parle à son fœtus, qu’elle pense être une fille sa « houri » et elle a décidé d’avorter pour qu’elle ne connaisse pas la vie des femmes algériennes. Cette vie où le regard des hommes vous colle à la peau et cherche toujours à savoir si vous êtes vierge ou pas. Sa cicatrice sur le bas de son visage est si énorme, qu’elle est comme un reproche vivant au régime algérien actuel, qui veut tout oublier .
Deux horreurs différentes se croisent dans le récit : l’ évocation des massacres, certaines scènes sont insoutenables. J’ai entendu Kamel Daoud dire qu’il n’avait mis que vingt pour cent des horreurs qu’il avait vues ! La seconde horreur c’est le fait qu’on a arrêté de chercher les coupables, qu’on leur a pardonné et qu’ils vivent parmi les descendants des victimes. Et comme, ils sont totalement lavés de leurs crimes, ils peuvent réimposer leur idéologie islamiste. Il ne faut pas oublier que le FIS allait gagner les élections, donc en Algérie aujourd’hui , les règles de vie de la religion musulmane deviennent de plus en plus intolérantes, et les rares voix (comme Kamel Daoud) qui ne sont pas d’accord, ne peuvent vivre qu’en exil.
La jeune femme entreprend un voyage vers son village natal pour comprendre ce qu’il s’est passé et décider si elle donnera la vie à son tour. Elle est attaquée en chemin, et ramassée par un libraire qui va de ville en ville pour déposer ses livres. La censure est tellement forte qu’il ne vend plus que des livres de cuisine. Lui aussi est une victime et surtout se souvient de tous les faits qui se sont passés pendant les années noires.
Tout le récit se passe pendant l’Aïd et les évocations d’égorgements des animaux rappellent sans cesse les égorgements d’humains pendant la guerre.
J’arrête de raconter le récit , je vous le laisse découvrir la fin . Le roman est découpé en trois partie : » la voix », celle d’Aube vers le fœtus, « le labyrinthe » retrouver le chemin vers son village, et « le couteau » celui qui sert à égorger . Les chapitres sont assez courts et cela aide à reprendre son souffle.
Pourquoi ai-je une réserve ? En dehors même de l’horreur, ce n’est vraiment pas facile de passer d’un personnage à l’autre sans savoir ce qu’il s’est passé avant. On retrouve par exemple Aube, pieds nus, dans la camionnette du libraire, mais on n’apprendra son agression sur la route que plusieurs chapitres plus loin. Tous les personnages monologuent dans un flot de paroles continu, que ce soit une voix intérieure ou un discours qui s’adressent à un autre personnage , c’est très particulier Je m’y suis habituée mais sans vraiment apprécier complètement. C’est le style de cet auteur dans « Meursault contre-enquête » il s’adressait aussi à quelqu’un dans son roman, un peu de la même façon.
À vous de juger, vous pouvez lui reprocher son style, mais pas le sérieux de son travail sur la guerre civile et l’état actuel de l’Algérie où l’islam le plus intolérant gagne du terrain afin, surtout, de réprimer les velléités de liberté des femmes algériennes.
J’apprends ce jour que le gouvernement algérien a décide d’interdire à la maison d’édition française Gallimard de venir au salon du livre d’Alger pour ne pas voir le roman de Kamel Daoud exposé , cela peut être une raison suffisante pour le lire puisque nous avons la chance d’habiter un pays ou cette censure n’existe pas encore !

Extraits

Début

La nuit du 16 jui. 2018 à Oran
 Le vois tu ?
 Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S’accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu’un homme invisible m’étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer.

La place des femmes

Que veux tu ? Venir ici et devenir une chair morte ? Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Fieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », les femmes sont comme moi même si elles ne possèdent pas de trou dans la gorge ou de sourire stupide sur le visage, ou de langue étranglée dans l’agonie. C’est ça être femme ici. Le veux tu vraiment ?
Certaines femmes choisissent leur camp très vite. Elles croient que le seul moyen de survivre dans une prison, c’est de s’en faire les gardiennes.

La photo

 Une seule photo, pour toute une guerre, je te la montrerai ce soir au retour.
 Ma mère l’a agrandie et l’a exposée dans l’entrée, en face des masques rapportés du Sénégal. Tu y verras une femme qui crie, bouche ouverte au delà des mots, visage tordu comme quand la douleur vous plonge dans le vide. La femme hurle où semble au bout d’un long hurlement, tout est desséché sur son visage. Sur sa tête elle porte un foulard. Il dévoile une chevelure soyeuse qui suggère sa féminité et son malheur de mère, sauf que ce n’est plus une mère. On l’appelle la « Madone de Bentalha ». Benthala, c’est le quartier d’Alger où dans la nuit du 22 septembre 1997, on massacra et égorgea 400 personnes.

Ce chapitre qui commence ainsi est insoutenable

 C’était au printemps 1992, le lundi 2 mars. Ce jour-là mon père rentra tôt de la librairie et , avec lui, une nuit tomba pour nous éviter le pire. Cette année-là on comptait déjà les morts par centaines dans toutes les villes algériennes. Les barbus, on les appelait les « Tangos » étaient pourchassés par les « Charlie », c’est-à-dire les militaires. Dans notre rue de l’Indépendance, on trouva un matin la tête de notre commissaire de quartier dans une poubelle. Il avait été kidnappé quelques jours plus tôt. Une autre fois sur la porte de la mosquée, à l’aube, les fidèles découvrirent une longue liste de personnes condamnées à mort par « Dieu ». Chacun tentait de ne pas y trouver son nom ou celui d’un proche.


Édition Rivages/noir, 444 pages, août 2016

Traduit de l’anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau

Encore une lecture que je dois à la blogosphère pour faire un cadeau à une amatrice de polars. Mais cette fois-ci je vais l’offrir car dans le genre je le trouve très intéressant. Le titre « Ratline » est le nom qu’on donnait aux filières d’exfiltration pour mettre les nazis à l’abri de la justice, surtout en Amérique latine, mais aussi et cela on le sait moins en Irlande Je raconte rapidement le propos (rassurez-vous, je n’en dévoilerai pas trop !) : un espion irlandais, Albert Ryan qui est le héros de cette histoire se trouve mêler à une enquête de meurtres d’ancien Nazis en 1963, quelques mois avant l’arrivée de Kennedy en visite officielle en Irlande. L’histoire est très embrouillée et très violente, trop pour moi, mais ce que j’ai aimé c’est qu’on découvre l’après guerre 39/45 en Irlande, ce pays n’a pas pris part au conflit car il ne voulait pas aider l’Angleterre son ennemi de toujours, et après la guerre, il a servi de refuges à des anciens Nazis mais aussi aux dirigeants du mouvements autonomistes bretons. J’ai aimé aussi la peinture de l’Irlande avec ses intolérances religieuses, le héros Ryan est protestant et surtout s’est engagé dans l’armée anglais pour lutter contre Hitler. Cela explique à quel point il se sent seul dans son propre pays. On découvre aussi le personnel politique irlandais vu sous un aspect peu sympathique : corruption en tout genre !

La peinture de ces personnages peu reluisants a suffit à mon bonheur de lectrice, ensuite pour l’intrigue, je vous en laisserai juge . J’ai trouvé un peu compliqué de comprendre qui manipule qui. Et je déteste les scènes de tortures, et il y en a beaucoup. Qui est le puissant ? L’ancien Nazi ? le ministre de la justice irlandaise ? les anciens espions anglais qui veulent récupérer l’or des nazis ? le Mossad ? Un vrai panier de crabes où tous les coups sont permis, mais c’est le genre qui veut ça.

C’est Sandrine qui m’avait donné envie de lire et d’offrir ce livre et son billet est beaucoup plus détaillé que le mien car elle aime le genre policier et a su voir en celui-ci une originalité que d’autres romans du même genre n’ont pas. Je suis d’accord avec elle, le principal intérêt de ce roman, c’est l’analyse de l’Irlande d’après guerre, et l’auteur s’appuie sur une recherche historique sérieuse et fouillée.

 

Extraits

Début.

 « Vous ne ressemblez pas à un Juif » dit Helmut Krauss à l’homme qui se réflétait dans la vitre.
 De l’autre côté de la fenêtre les vagues furieuses de l’atlantique lançaient leur écume contre les rochers de la baie de Galway. La maison d’hôte offrait un confort rudimentaire mais c’était propre. Les pensions et hôtels de Salthill, petite ville proche de Galway accueillait en été des familles venues de toutes l’Irlande pour profiter de quelques jours d’air salé et de soleil.

Les divisions des Irlandais.

 « Je sais pas de quoi tu parles. Si ton vieux ne supporte pas la concurrence il n’a qu’à faire ses valises et fiche le camp. » Prenant de l’audace, Lahon se dressa de toute sa hauteur.  » Il aurait dû partir depuis longtemps. On n’apprécie pas trop les gens comme vous par ici.
– Les gens comme nous ? c’est-à-dire ?
Mahon s’humecta les lèvres, déglutition, tira sur sur sa cigarette. « Les protestants, répliqua-t-il, en envoyant sa fumée au visage de Ryan. Surtout quand leur rejeton copine avec les anglais. »

Les autonomistes bretons.

 L’avènement du Reich était apparu comme un baiser de Dieu. Un cadeau offert, le moyen de parvenir à l’objectif que les Bretons n’avaient pas le pouvoir d’atteindre seuls. Aussi tandis que la France tombait devant l’offensive ennemie, Lainé organisa ses hommes, leur procura des armes fournies par les allemands et prit la tête des opérations.
 Bientôt Lainé se découvrit un talent qu’il ne soupçonnait pas. Ingénieur chimiste de formation, il avait déjà mis à profit son savoir en fabriquant des engins explosifs, mais sa nouvelle vocation surprit tout le monde, à commencer par lui-même : il excellait à soutirer les informations aux prisonniers.

Une autre autonomiste .

– Vous avez collaboré ?
 Elle ramena son regard sur Ryan, ses yeux comme des aiguilles qui lui transportaient la peau. « Appelez ça comme vous voudrez. Moi je me considère comme patriote et socialiste. Les Allemands nous promettaient notre indépendance, notre propre gouvernement nous les avons crus. Nous étions naïfs, peut-être, mais n’est-ce pas l’apanage de la jeunesse ? »

Paroles d’un espion du Mossad.

 La guerre ne finit jamais. Je me bats pour un minuscule territoire entouré d’une douzaine de pays qui veulent le mettre à feu et à sang jusqu’à ce qu’ils ne restent plus aucune trace de nous sur cette terre. S’ils ne se haïssaient pas entre eux autant qu’ils nous haïssent, ils nous auraient poussé dans la mer il y a dix ans.

 

 

 


Édition Viviane Hamy, 276 pages, avril 1996

 

J’avais acheté ce roman policier, après la lecture d’un de vos blogs, pour l’offrir à une de mes sœurs qui est fan du genre. J’ai pu le lire avant et je ne lui offrirai pas ce roman qui me déplaît autant. On est dans la caricature totale, tous les hommes sont des salauds sauf deux, le barman homosexuel, et le vétérinaire. Toute la ville de Boulder est sous la coupe d’un homme richissime qui a, à sa botte, un shérif qui ne veut pas enquêter de peur d’accuser un membre de sa famille des nombreuses disparitions qui ont eu lieu dans sa ville.

Pour une fois le suspens de la découverte de l’assassin n’est pas le principal ressort de l’intrigue car dès le début on le voit assassiner une famille bien tranquille et on sait que ce cousin du shérif est l’assassin. On connaît ses motivations, c’est un fou qui veut dominer son univers sa femme et ses enfants au nom de sa folie teintée de religion.

Le suspens vient de la journaliste une belle rousse homosexuelle et juive, traits qu’elle partage avec l’autrice, Maud Tabachnik, : est ce qu’elle va réussir son enquête sans être tuée par ce pervers qui a déjà au moins une dizaine de meurtres à son actif ? Le suspens est limité puisque la belle Sonia est l’héroïne d’une série de huit romans dont celui-ci est le troisième.

Rien n’est crédible dans cette histoire, et surtout pas la façon dont elle se met tout le temps en danger, la façon dont son rédacteur en chef ne la protège pas, j’aurais pu l’accepter en me disant que vraiment je n’y connais rien au plaisir que l’on peut prendre en lisant ce genre de littérature, mais mon plus grand rejet du livre c’est le regard de française de l’autrice sur la société américaine qui s’arrête souvent aux clichés et jamais à l’analyse plus fouillée des personnages. Seule la chaleur de cet endroit m’a semblé réelle et bien décrite. Elle dit elle-même qu’elle situe ses intrigues en Amérique parce que c’est la société la plus violente qu’elle connaisse. Autant quand les écrivains américains parlent de leur propre pays cela m’intéresse autant quand c’est une française qui les caricature de cette façon cela me gêne. On sent aucune nuance dans ses propos tous des salauds, culs bénis, et compagnie : non ce n’est certainement pas aussi simple et au moment où plus de la moitié de la population de ce grand pays s’apprête à voter Donald Trump, j’ai besoin de propos nuancés pour comprendre ce qu’il se passe. Mais il fallait peut-être ces caricatures pour faire un récit dans le genre bien noir, comme l’araignée qui a failli la tuer.

C’est Lecturissime qui m’avait donné envie d’offrir ce roman.

 

Extraits.

Début .

 San Francisco est une cité épatante. Le climat, les langoustes, le « Golden Gate ». Les couples de filles qui convolent et les garçons qui s’aiment. Le tout bercé par les chants de Noël entonnés à plein poumon dans les tramways par les bénévoles de l’Armée du Salut coiffées de leurs drôles de cornettes.

Les routes américaines.

Après Henderson c’est comme avant Henderson. Une coulée d’asphalte rectiligne entre deux surfaces lunaires, adoucie à l’est par le lointain oisement de la forêt de « National Recreation Area ». Je croise peu de voitures (deux), par contre j »écrase sans le vouloir un grand serpent qui ne semble pas particulièrement incommodé par le traitement.
 Je trouve l’embrassement que m’a indiqué le cafetier et j’emprunte une plus petite routes en direction de Boulder.
 Je m’arrête à l’entrée devant la pancarte d’identité. 
BOUDER CITY . 6000 habitants. Altitude 10 mètres. Bienvenue au pays des serpents.


Édition Actes Sud , 133 pages, Avril 2024

 

Un autre livre de cet auteur à l’écriture si belle et si forte que j’ai eu du mal à m’en remettre (Le premier livre de lui, sur Luocine, était « le soleil des Scorta« ) . J’avais dit à Gambadou que j’hésitais à lire cet essai, mais parfois il faut savoir ouvrir les yeux et son cœur. La délicatesse de cet écrivain pour parler des attentats de Paris du 13 novembre 2015 , est absolument remarquable. Il réussit un tour de force difficile à expliquer, il parle de tout le monde, il individualise chacun, et les rend universels. Quand on referme le livre, on est celle qui est morte dans la fosse du Bataclan, celui qui a choisi la chaise qui tourne le dos à la rue sur la terrasse, l’infirmière qui travaille non-stop pendant six heures, le médecin qui trie les urgences, les policiers qui sont arrivés les premiers dans la salle du Bataclan, la mère qui attend que sa fille reponde au téléphone…

Nous sommes tous ceux là , la seule personne que nous ne serons jamais ce sont ceux qui arrivent triomphant pour assassiner, ceux là même qui jouaient au ballon avec une tête d’un otage qu’ils venaient de décapiter dans un autre pays.

Chaque moment est parfaitement rendu , celui qui m’a le plus touché est celui où les parents commencent à se rendre compte que cette tragédie peut les concerner. Ce moment où, ils laissent un petit SMS, puis un autre, puis ils commencent à appeler et appeler encore, puis refusent absolument de faire partie de ceux qui iront peut-être dans un groupe de parole pour raconter ce dont personne ne peut se remettre. Mais comment oublier la jeunesse et la fraîcheur de ces jeunes qui étaient venus boire un verre entre amis, comment oublier le médecin qui doit trier les urgences, l’équipe du Raid qui doit sécuriser avant de sauver des vies .

Merci Monsieur Gaudé d’avoir écrit ce livre et j’espère ne choquer personne en disant que le 7 octobre en Israël 1200 personnes dont 37 enfants , ont été assassinés de cette façon là. Je ne cherche pas à minimiser les souffrances des habitants de Gaza, mais le Hamas est une organisation terroriste dont les membres ont utilisé les mêmes méthodes que ceux qui ont fait 129 morts à Paris le 13 novembre 2015.

 

Extraits

Début.

 J’ouvre les yeux. Je me dis que cette journée est belle puisque nous allons nous voir ce soir. Je souris à l’idée de ce rendez-vous et sens, dès le matin cette boule dans le ventre qui dit que je t’aime peut-être plus que je ne le pensais. Une longue attente s’étale devant moi jusqu’à te voir. Aurons-nous le temps de nous aimer ? Je me prépare. Je veux que tu tombes à la renverse en me voyant et tu tomberas. Je m’habille. Je ne mets pas de soutien-gorge. Puis je change d’avis. J’en mets un en me promettant de l’enlever plus tard dans la journée, lorsqu’il sera temps d’aller te rejoindre Je prends plaisir à imaginer cette fin de journée.

Un moment parmi d’autres.

 Il faut s’asseoir. Trouver une table. Choisir une place. Décider de qui prend quelle chaises. Dos au bar ou à la rue ? Personne ne se doute que ce sera si important, que c’est une question de vie ou de mort. Certains d’entre nous renoncent, jugent la terrasse déjà trop bondée, n’aime pas cela : être si proche de gens qu’on ne connaît pas, dont on entend toute la conversation, qui vous rejette la fumée de leur cigarette dans les cheveux et font trembler votre chaise à chaque fois qu’ils bougent. Certains vont plus loin, disparaissent à la recherche d’un peu de calme. Ils vivront. N’en reviendront pas d’avoir échappé à cette histoire
 À peu de chose près. Si peu de chose près. Pour ceux qui restent il faut choisir. Premier rang de terrasse ou deuxième ? Côte à côte ou face à face ? Nous choisissons. Sans nous douter que nous nous asseyons sur la trajectoire de balles qui vont bientôt être tirées.

Les parents.

 Nous ne savons pas encore que nous sommes si nombreux à vivre une soirée si semblable. Les appels répétés. La voix de la messagerie. Téléphoner. Essayer d’avoir des nouvelles des uns et des autres. Et puis cette sensation que ce qui se passe à la télévision a à avoir avec notre enfant. Cette sensation qui se mue en certitude et les jambes qui se dérobent … Je ne veux pas … Je ne veux pas… On sent ce qui vient mais on voudrait encore y échapper… Je ne veux pas, moi, faire partie de tout ça, vous connaître, partager avec vous, bien plus tard, le souvenir de cette nuit, dans les groupes de parole qui feront renaître le vertige. Je ne veux pas être sur la liste de celles et ceux qu’un policier va devoir appeler parce que le corps de mon enfant a été identifié. Je ne veux pas être parmi vous, comme vous. Laissez-moi. Je n’ai rien à voir avec vous. Je ne vous connais pas, ne veut pas vous connaître, je veux juste entendre la voix de mon enfant. Je n’irai pas à la mort pour identifier son corps et récupérer ses effets. Je ne je n’irai pas au procès pour voir le visage de ceux qui ont déchiré sa vie. Je ne veux pas être avec vous, laissez-moi, laissez-moi !

Le médecin d’urgence sur le terrain.

 Je suis le premier médecin à être entré, celui qui n’a pas pu prendre le temps de soigner, qui a essayé de faire au mieux, mais cela voulait dire abandonner certains, passer vite aux autres, aller d’un corps à l’autre pour que le moins possible d’entre eux meurent de leur blessure, mais il y en a eu, il y en a eu, malgré tout, et tant, et trop, je le sais qui sont morts seuls, sans aide, sans voix penchées sur eux, parce que j’étais débordé, parce que l’urgence m’imposait de ne m’arrêter sur aucun, et ils étaient tant, je n’en voyais pas la fin… Toute ma vie… Toute ma vie pour être le médecin qui secourt sans avoir le temps de soigner, le médecin qui dessine d’un chiffre sur le front le destin des victimes, le médecin qui sera désormais mangé par l’incertitude, la hantise de s’être trompé, le souvenir d’un corps qu’on a d’abord vu vivant puis mort lorsqu’on est repassé, toute ma vie, pour arriver à cette journée, courte au regard du nombre de jours que j’ai vécus, mais qui durera une éternité, et je le sais, et jusqu’au bout en moi le doute embrassera la fierté.

 

 

 


Édition Gallimard NRF, 508 pages, juillet 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 Ne t’a-t-on pas appris que l’innocence est la pire des fautes ?

J’avais beaucoup aimé « le secret de l’empereur » déjà proposé par notre Club de lecture, mais j’ai encore moins de réserve sur ce roman historique. La catégorie « Roman Historique » est vaste et recouvre des livres très différents, pour celui-ci on pourrait presque parler d’un essai historique et lui enlever le mot roman, tant le travail de l’historienne est sérieux, fouillé et pratiquement complet, mais les personnages discutent entre eux, nous font part de leurs émotions, nous voilà donc dans le romanesque et rend le livre beaucoup plus facile à lire.
Comme moi, je suppose que vous aviez juste l’idée que dans les années 1400/1500 au Vatican sous la domination des Borgia, on était pape de père en fils ! cette phrase je l’ai souvent entendue mais je ne savais pas à quel point elle contenait une part de vérité. Nous voilà donc à cette époque, et dans ce premier tome nous suivons l’ascension d’Alessandro Farnèse (illustre ancêtre de l’auteure). Il s’échappera de la terrible prison papale de « Saint Ange « , grâce à la complicité d’une nonne dont il tombera amoureux : Sylvia Ruffini. Dans sa prison il pourra parler avec un personnage que l’on retrouvera par la suite : Castellesi.

Il se cache à Florence où règne les Médicis, protecteur des arts, des lettres et de la philosophie. Quelques années plus tard il revient à Rome pour satisfaire son ambition : être cardinal pour cela il devient très proche des Borgia. Seule son intelligence, et sa façon de ne se fier à personne lui permettent de garder la vie sauve et de vivre son grand amour avec Sylvia qui d’abord mariée deviendra veuve assez rapidement. On croisera plusieurs personnages tous historiques mais certains plus célèbres que d’autres en particulier Machiavel qui va faire de César Borgia le personnage qui lui inspirera « le Prince ».

Tout cela peut sembler un peu compliqué : aucun doute, c’est affreusement compliqué ! Mais l’auteure, en se concentrant sur un seul personnage, Alessandro Farnese, nous permet de suivre et de comprendre ce qu’il se joue. En réalité sous toutes ces apparentes complications, les ressorts sont simples

  • la satisfaction sexuelle avec une femme ou des prostituées ou un homme , l’important c’est de jouir.
  • La création d’un domaine à léguer à ses enfants.
  • Obtenir du Pape des charges lucratives permettant d’entretenir de somptueux palais .
  • Le Pouvoir

Et la religion dans tout ça ? Elle permet d’assurer le salut de son âme quels que soient les procédés qu’on a mis en œuvre pour obtenir tous les points cités avant : meurtre, empoisonnement, coup de couteau, condamnation à mort avec la confiscation de tous les biens du condamné, séduction des femmes mariées, reconnaissance des enfants pour qu’ils puissent hériter, différentes formes d’orgies, et les victoires militaires grâce à des alliances avec les ennemis d’hier, trahir un puissant pour un autre moins puissant que l’on dominera plus facilement. Vraiment tout est permis et la réputation des Borgia est la hauteur de ce que décrit Amélie de Bourbon Parme. J’apprécie beaucoup son style car elle ne prend pas partie , elle ne s’offusque pas, elle suit l’ambition d’Alessandro et nous permet de bien comprendre cette période.

On ne peut que s’étonner que le grand schisme du protestantisme ne soit pas arrivé plus vite, bien sûr elle nous parle de Savonarole mais ses prêches sont bien isolés dans cet océan de turpitude, le peuple lui a faim, subit la guerre et doit croire aveuglement à des principes auxquels les grands de l’église croient si peu . J’ai hâte de lire les deux autres tomes.

 

Extraits

 

Début.

En prison ?
 Un léger frisson avait parcouru le dos du pape qui, maintenant redressé, donnait à voir son visage : des yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, des paupières lourdes, un nez long et aquilin, une bouche petite est pincée, le menton fuyant. Son front fortement arrondi était surnommé d’un « camauro » de velours rouge bordé d’hermine, duquel, en dépit de la tonsure s’échappait une nuée de cheveux blancs. Le regard de Giovanni Battista Cibo, devenu pape sous le nom d’Innocent VIII, vibrait d’une lueur curieuse, vaguement gourmande, entre inquiétude et fascination coupable, l’ivresse d’un pouvoir sans limite.

Que cela est bien dit !

 Un reste de fierté empêchait cependant le pape de se ranger trop vite à ses recommandations : Innocents VIII exerçait une sorte de liberté transitoire à travers son indécision.

Le problème ? se retrouver au milieu de tous ces noms et intrigues.

 Puccio Pucci était un homme influent à la cour de Laurent de Médicis. Il était le fils du premier conseiller de Cosme de Médicis, le grand-père de Laurent. Depuis la mort de Pier Luigi Farnese, son beau-père avait pris l’ascendant sur la destinée des Farnese. D’une loyauté sans faille ans à l’égard de Laurent de Médicis, il mettait un point d’honneur à entraîner son entourage dans les pas de son maître et à défendre les intérêts de la cité avant toute chose. Ceux-ci étaient clairement du côté de Ferdinand de Naples que Laurent soutenait afin d’empêcher le pape de gagner en influence au frontière de la république de Florence

Florence.

 À Florence chaque citoyen si riche et important fût-il, s’habillait sans ostentation, pour ne pas choquer l’esprit républicain de la ville.

Florence et Rome.

(Castellesi a été son voisin de cellule à la prison du pape)

 La voix de Castellesi résonnait encore dans le conduit en pierre, qui parlait de la cour de Laurent de Médicis : une Olympe peuplée d’érudits, d’hommes de lettres et autres philosophes. Il avait retenu ses paroles :  » À Rome nous sommes environnés de ruines ; à Florence l’antiquité est vivante : les hommes mettent en pratique ses concepts philosophiques et leur donnent de nouveaux développements. »

Laurent de Médicis à Florence.

Ce sont les idées qui gouvernent le monde, ce ne sont plus les dogmes qui ont figé les peuples dans l’ignorance la peur et la soumission.

Scène érotique papale.

 La tête posée sur l’oreiller, il regardait Giulia disséminer adroitement ses baisers sur son ventre, ses épaules, entre ses jambes, selon une sorte de parcours sacré qui menait à ce lieu unique où se rejoignent les puissances terrestres et célestes.
 Le pape soupira en respirant son odeur, mélange de miel et de musc. En la voyant aller se servir un verre de vin, et marcher pieds nus sur les tapis tressés d’or et de soie, avec son ventre bombé porteur de vie, il était reconnaissant à ses cheveux blonds, à ses hanches si parfaites, à ses courbes infinies, à sa peau soyeuse, à ses yeux aussi lumineux qu’un vitrail en plein soleil, de l’accompagner dans cette aventure. Giulia Farnese n’avait que dix-huit ans mais elle semblait la plus expérimentée des maîtresses, la plus charmante des concubines, la plus sainte des amantes.

 Portrait d’un cardinal à la cour du pape en 1493 (humour !).

 Le cardinal Sforza est d’une vénalité sans limite : il évalue la moindre conversation en écus. Combien pèse celui à qui je m’adresse ? Il n’a qu’une idée en tête : satisfaire sa vanité en faisant valoir les intérêts de sa famille ….un vrai sacerdoce

Savonarole.

Dialogue entre Alessandro et son ancien compagnon de captivité.

– Ne me dis pas que tu penses comme Savonarole ? ! Ce moine assoiffé de pouvoir et d’intrigues a bâti sa fortune et son autorité sur des calomnies. Il ne faut rien céder à ce fou qui envie nos œuvres et nos palais. Si tu veux savoir ce que je pense, je crois qu’il a raison : nous ne sommes que des trafiquants d’éternité ! Des marchands de salut, et rien d’autre ! Et cela dure depuis près de mille cinq cents ans.
 Les yeux exorbités, la barbe menaçante le prisonnier du château Saint-Ange était de retour. Mais il avait touché juste. Savonarole faisait se lever un vent mauvais d’obscurantisme et de pénitence. Il avait fait dresser sur la place de la seigneurie un bûcher des vanités avec des peintures lascives, des livres obscènes, des luths, des parfums, des miroirs, des poupées et des tables à jouer, bref tout ce qui était lié à un plaisir quel qu’il soit. Ces objets avaient été entassés et brûlés. Sa promesse n’était pas la rémission des péchés, mais la menace de damnation éternelle, le malheur et la délation.

 

 


Édition L’Iconoclaste 135 pages janvier 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je n’avais encore lu aucun livres de cette écrivaine prolifique, poétesse et romancière, je ne suis pas certaine de revenir vers elle.

Ce livre décrit l’horreur, l’horreur pour l’horreur, on ne sait pas de quelle horreur il s’agit, en tout cas pas moi car je n’ai pas le don de divination du fils toujours écrit en italique comme sa mère.

Tous les deux ont des dons de guérisseur, mais sa mère est trop vieille pour les exercer, alors elle envoie son fils dans le village du Fond du puits (quel nom charmant !) où des choses horribles se sont passées autrefois.
Le fils ressent dans son corps toutes les souffrances des femmes violentées par des hommes cruels. Celui qui vient de faire appel à ses dons a un fils beau comme un ange mais qui se meurt. Grâce à ses dons l’enfant vivra, mais le fils ayant découvert aussi tous les crimes du père, punira celui-ci en rendant son fils hideux
L’histoire a assez peu d’importance tout l’intérêt de ce tout petit livre vient de l’écriture au service de l’horreur et du mal absolu. Mais, hélas pour moi, j’ai trouvé les effets poétiques à la limite du ridicule .

Extraits

Début après le prologue.

 À mi- pente, l’odeur du sang et des trembles mouillés lui parvint. Il avait marché longtemps : la journée finissait à mesure que la colline, derrière lui, s’arrondissait et qu’une autre, devant lui, s’élevait. Le hameau gisait là, sous ses yeux abîmés par la bruine, il voyait un filet de maisons gris et noir de part et d’autre de ce qui ressemblait à une rivière, si étroite qu’elle disparaissait presque dans les arbres.

Le fils voit les horreurs du passé.

 L’arche est criblé de lucioles : le « fils » voit qu’ici, sous cette orbe scintillant, des hommes ont été pendus, trois ou quatre. Les pieds nus et les dents arrachées. Il perçoit un vieillard aux mains brisées par d’autres hommes, deux garçons aux épaules larges et solides pour qui on a doublé les cordes, et un jeune de presque dix-huit ans à l’allure chétive, celui-là ressemble à une poupée, il est maigre et ses jambes, bleuies par les coups se balancent au-dessus de l’eau comme des branches sans fleurs.

Ridicule ou poétique ? comme vous voulez.

La femme aux fusils : ses yeux flamboient. Le « fils » à devant lui la colère, la vraie, vivante et vivace, furieuse et superbe. Il se noie dans les deux trous verts de plume, verts de feuillage et d’orage, luisant au-dessus du canon. Une masse de cheveux bruns, plus clairs que ceux de la vieille, plus épais aussi, encadrant le regard, des mèches sèches et noueuses tournent sur elles-mêmes, on y perdrait sa main comme dans des ronces.

 

 

Édition Noir sur Blanc, 229 pages, janvier 2024

Traduit du russe (Biélorusse) par Marina Skalova 

 

Que de dire de ce livre entre le roman et la biographie ? Qu’il est absolument insoutenable. Je pense que c’est la meilleure réponse que je puisse faire. L’écrivain Bliélorusse raconte la vi, plus ou moins fictionnelle, d’un personnage qui a existé (ou aurait pu exister) Piotr Nesterenko, qui est directeur du crématorium de Moscou. Il est arrêté en 1941 et accusé d’espionnage

À travers six interrogatoires, l’enquêteur de la Tcheka, le KGB de l’époque, essaie d’étayer la thèse du complot et veut faire de cet homme un espion. C’est alors l’occasion pour l’écrivain de mêler le passé aventureux de ce personnage avec tout ce que lui a appris son travail au crématorium. Pour être rapide disons qu’il sait que tout le monde, absolument tout le monde peut finir avec une balle dans la tête , il les a tous vous défiler dans son crématorium, les acteurs célèbres, les poètes, les généraux, les bourreaux d’hier assassinés par de nouveaux bourreaux qui ne sont à l’abri de rien !

Son passé est celui d’un noble russe pris dans la tourmente de la révolution. On découvre que l’armée blanche ne valait guère mieux que l’armée rouge. Les populations qui ont subi les deux ont vu défiler des assassins et ont perdu confiance dans les valeurs de l’humanité. Et ce qui restait d’illusions au personnage principal est parti en fumée dans son crématorium ?

Cette lecture est éprouvante, on passe d’une horreur à l’autre avec un ton faussement dégagé qui m’a été souvent insupportable, si je ne m’était pas engagée à lire ce livre pour en parler à la bibliothécaire de Dinard, j’aurais abandonné cette lecture. Cela ne veut pas dire que ce roman ne soit pas intéressant, mais il est très difficile à lire car nous devons passer à travers les cerveaux tortueux de l’enquêteur et de Piotr Nestrenko qui connaît son sort mais joue avec les nerfs de son tortionnaire et hélas les miens aussi. Comment la Russie peut devenir autre chose qu’une usine à horreurs ? Il ont vraiment tout imaginé et hélas Poutine n’est qu’un avatar des dirigeants de ce pays d’où rien de bon ne semble possible de venir !

Extraits

Début.

 La perquisition et l’arrestation ont lieu le 23 juin 1941. En six heures l’affaire est pliée. Un travail de routine, mais tout le monde est sur les nerfs. La guerre a été déclarée depuis à peine vingt-quatre heures. Tandis que la forte terrestre de Brest résiste à la déferlante inouïe de la machinerie nazie la capitale de l’Union Soviétique est touchée par une vague de disparitions secrètes.

Exemple de purges.

 Le sort de la plupart ayant été réglé dès 1937, où le seul soupçon de travailler pour la Pologne a condamné plus de cent mille personnes à être fusillées (très exactement cent onze mille quatre quatre-vingt-onze citoyens).

Réussite en URSS en 1941.

 À l’heure où ses pairs partent mourir en rangs serrés dans les boucheries à venir, cette souris grise tamponne assidûment une condamnation à mort après l’autre. L’enquêteur Perepelitsa vient d’être récompensé par un appartement à Moscou rue Gorki. Il ne s’est pas battu pour rien.

Des horreurs présentées comme banales.

 Certains rapportent qu’après les exécutions il organise des beuveries (ce qui est vrai), d’autres qu’il s’approprie quelquefois les vêtements des condamnés (ce qui l’ est aussi). Quoi qu’il en soit, je ne vois rien de répréhensible ni dans le premier ni dans le deuxième cas de figure. Même en Union Soviétique, chaque produit a un coût. Tout travail mérite salaire. Il faut bien comprendre que, d’une part, Vassili Mikhaïlovitch fait un travail pénible (parfois il doit fusiller plusieurs centaines de personnes en une nuit) et d’autre part …est-ce vraiment si grave qu’un imperméable ou, disons, un joli gilet vivent leur meilleure vie sur ses épaules ou celle de sa femme ? « Pourquoi faire toute une histoire pour les affaires des autres ? ».me dis-je parfois.
S’il faut se soucier de quelque chose, c’est plutôt de la pénurie qui règne dans notre pays. Si Blokhine pouvait acheter ses jolis vêtements dans les magasins, les soustrairait-il aux cadavres pour les offrir à sa femme ?

 


Édition les Arènes, décembre 2023, 185 pages.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Voici un roman que je vous recommande sans aucune réserve , il m’a complètement séduite. Encore plus que « les loups » du même auteur qui était, pourtant, déjà passionnant. Ce court récit se passe au moment de la disparition de l’URSS, dans l’enclave de Kaliningrad. Un jeune délinquant sort de prison et veut retrouver sa mère. Ce trajet ressemble à un conte initiatique et de formation pour cette petite frappe. Au début, il ne comprend pas ce mot de « changement » que tout le monde prononce autour de lui. Le premier groupe qu’il rencontre ce sont des jeunes hippies qui vivent sur la plage et qui se permettent de tenir des propos d’une liberté qui le surprend, ils l’accueillent très bien sans lui demander d’où il vient, une jeune femme accepte facilement de faire l’amour avec lui, mais cela ne l’empêchera pas de leur voler tout leur alcool. Il repart et un paysan kolkhozien l’héberge, il y rencontrera le directeur qui est communiste et qui lui explique que les dirigeants communistes sauront très bien s’en sortir que tout est prêt pour l’après. Le Gris (c’est ainsi qu’il s’appelle lui-même) s’en ira en volant d’abord les économies du pauvre paysan kolkhozien qui l’avait aidé.

J’arrête de vous raconter l’histoire et des différentes rencontres de son trajet, je vous laisse découvrir, mais vous avez, je l’espère compris le principe, le jeune délinquant qui s’était formé dans les prisons soviétiques va au gré de ses rencontres se transformer peu à peu, sans jamais devenir un homme bon, la fin m’a surprise et désespérée. Il semble , un moment, aller vers la rédemption en sauvant un jeune garçon orphelin des griffes d’une bande de malfrats, il écoutera la sagesse d’un philosophe sur la liberté et la fameuse âme russe. Cela permet à l’auteur d’évoquer les différents aspects de la Russie actuelle. Le roman a été écrit en 2023, donc on ne peut pas parler parler d’un roman prémonitoire, mais d’une analyse exacte du régime poutinien.

Un livre efficace, prenant et qui fait beaucoup réfléchir.

(PS. Je pense que la couverture de ce roman aurait plu à notre regretté Goran)

 

 

Extraits

Début.

 Le Gris fait ses adieux en silence. Il se faufile entre les couchettes, tend la main à chacun des détenus, sans effusion. On entend tout juste quelques mots, le claquement des paumes qui se rencontrent. Les saluts sont virils, l’émotion absente. Le Gris ne sourit pas – dangereux, pas dans les mœurs. Pour les hyènes , les petites frappes qui forment le gros des troupes, sourire c’est déjà se faire baiser un peu. Si tu ouvres la bouche pour montrer tes dents c’est bien que quelqu’un a le droit d’y fourrer sa queue … Le Gris s’est adapté. Il a toujours su faire, il est malin. Pas assez pour éviter le trou – suffisamment pour deviner quel visage on attend de lui à chaque instant. 

Le changement .

 Il comprend le paysan : l’autre ne nie pas que des changements puissent advenir, il sait seulement qu’en pareil cas le mieux est de rentrer la tête dans les épaules et d’attendre de voir. Comme par mimétisme le Gris se tasse sur son siège. Il a appris la leçon depuis longtemps : lorsque les coups pleuvent, il n’y a rien d’autre à faire que de protéger sa tête. Seuls ces cons de hippies s’imaginent assez malin pour changer ça.

Les communistes et le changement .

– Le communisme n’est plus vraiment à la fête… Mais qui a dit que c’était un problème pour les communistes ? Tu crois qu’on n’a rien vu venir qu’on se retrouve à poil ? L’avenir comme tu dis, appartient à ceux qui ont des idées claires et un peu de capitale …
– Du capital, vous ?
– L’autre rigole encore
– Eh quoi ! Tu crois qu’on passe nos soirées à étudier Engels ? Ça fait des années qu’elle marche bizarrement, notre Union soviétique. Gorbatchev a lancé ses réformes depuis un moment. C’est permis, maintenant, de s’enrichir, d’épargner, d’investir … Et encore, le capital, ce n’est rien ! Qu’est-ce que nous possédons, nous, les communistes ? Des connexions, des réseaux. Qui tient les banques ? Qui sont les directeurs d’usine, les juges, les responsables des achats dans les municipalités. Nous ne sommes pas le passé, fils détrompe-toi ! 

Le philosophe et la liberté.

 Notre pays reçoit la liberté, mais existe-t-il des gens libres pour la recevoir ? Nos compatriotes savent-ils seulement ce qu’est la liberté ? Savent-ils la protéger, la faire vivre ? La soumission est beaucoup plus simple et confortable… Être libre à de quoi désemparer les âmes les plus faibles et les moins préparées. Il est bien plus aisé de s’en remettre à un chef, à une idéologie, à des illusions, à des habitudes, aux limites bien connues de son petit potager. Tout plutôt que l’inconnu. Imagine ce qu’on demande à nos concitoyens, en ce moment : ils doivent accepter que toutes leurs vieilles croyances soient mises au rebut et accueillir avec autant de conviction les nouveaux dogmes du moment -et dans le même temps apprendre à gérer les mille exigences que requiert la liberté. Il y a de quoi devenir fou ..

 


Édition Minuit, 138 pages, mars 2006.

J’avais bien aimé « la fille qu’on appelle » du même auteur, je savais qu’avec lui on ne doit pas s’attendre à des sujets agréables ni à beaucoup d’optimisme. Mais là c’est tout ce que je n’aime pas ! Sauf parfois les trouvailles de style.

Dès le début on sent que, cette histoire va très mal tourner, dès le début, on est avec des gens minables et plus méchants les uns que les autres, et tout s’enchaîne effectivement allant du pire à encore « plus » pire ..

Sam et Lise ont décidé d’arnaquer un homme très riche, un commissaire priseur, Henri. Pour cela Sam se fait passer pour le frère de Lise qui va épouser Henri . L’arnaque tourne mal et c’était sans penser à Edouard le frère d’Henri .

Comme je sais que vous aimez le suspens, j’arrête là, et si vous avez le courage de passer du temps avec des personnages méchants et manipulateurs uniquement motivés par l’argent facile, ce livre est pour vous !

Extraits

Début .

 Il y avait la nappe blanche qui recouvrait la table et dont avec effort maintenant on pouvait se souvenir qu’elle avait été blanche, lumineuse sous l’effet du soleil quelques heures plus tôt, dressée de cristal et d’argenterie sur pourtant de simples planches de bois posées sur de simples tréteaux avec lesquels toute la soirée il avait fallu que les pieds composent pour ne pas écrouler l’édifice.

Une image d’un certain monde.

 L’égalité dans le silence, ai-je toujours pensé de ces soirées, que c’est cela qu’ils partageaient en vrai et pour toujours, quand s’effaçait pour quelques heures l’infranchissable séparation des mondes, de ces hommes grossis par l’âge et le trop bon vin contre ces filles souriantes et comme tenues en laisse par leur maquillage et la lumière de tables. Il y avait les élus de la ville et les vieux riches autour, les parvenus et les bandits locaux, il y avait ce qu’on imagine de ce monde, répondant comme à l’image archétypale, parfaitement établie de l’argent sale et du stupre 


Édition Lepassage juillet 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une horreur de plus dans mes lectures et même si c’est très bien écrit je ne peux pas dire que j’ai vraiment apprécié : c’est trop horrible. Et, je n’ai pas besoin de ce genre de récit pour imaginer les horreurs des pogroms.

C’est cela que raconte ce roman une petite fille de huit ans vit quelque part dans l’est (Pologne ?, Ukraine ? plus certainement Russie) au début du XX° siècle. Son bonheur est construit autour des liens familiaux, en particulier l’amour de son père. Sa mère est étrange, elle « sert » essentiellement à nourrir les bébés qui arrivent très régulièrement dans cette famille juive. Henni la petite fille a un grand frère Lev qui fuit sa famille et le Shtetl entouré de populations qui leur sont hostiles. Henni a aussi une grande soeur, Zelda qui est son modèle et la rassure beaucoup.

Le jour de la catastrophe, des brigands (des cosaques ou des paysans autour du Shtetl) envahissent le village, ils brisent tout, pillent, violent et tuent tout ce qui semble vivant. La petite fille voit, le jour d’après, des paysannes des alentours venir se servir dans les maisons éventrées et piller ce qui reste d’utilisable. Son instinct de survie la guide dans ce chaos pour trouver qui peut vraiment l’aider à survivre, et elle a eu bien raison de se cacher de ces paysannes qui certainement ne lui voulaient aucun bien .

Henni fuit avec sa soeur, ses parents sont tués et les bébés aussi , l’auteure suit pas à pas la fuite de cette petite fille de huit ans qui essaie de trouver des solutions face à la folie des « furieux ». C’est terrible et tellement sans espoir.

La question que je me pose c’est le pourquoi d’un tel livre, qui pouvait imaginer que les pogroms soient autre chose que cela ? Est ce que cela rajoute quelque chose que ce soit vu par une petite fille ? Je crois que je répondrais non à ces deux questions. Il reste que cette écrivaine a un très beau style qu’elle a mis au service d’une cause dont il faut se souvenir. Car l’antisémitisme profond de ces régions permettra aux nazis cinquante ans plus tard d’assassiner massivement les populations juives des Shtetl, aidés pour le faire par les populations locales qui, de tout temps, avaient organisé des pogroms contre ces villages, en toute impunité.

 

Extraits

Début du prologue.

Au moment précis où, enfin, Henny s’apprête à s’enfuir ou dehors dans la neige, c’est le plus grand, le plus maigre des hommes entrés dans la maison qui arrache le dernier bébé du sein de Pessia et le soulève au dessus de lui. Lel cri qui monte avec l’enfant emplit l’air de faisceaux, de fumées, de roches explosives.

Début du chapitre 1.

 Elle a cinq ans lorsque son père lui fabrique un tabouret à sa taille. Assise ou perchée dessus, les pieds écartés et le corps grandit d’impatience, elle fait les lits, elle fait la poussière, elle frotte le chaudron ou Zelda tout à l’heure cuira le bouillon gras du poulet.

Début du pogrom.

Il y a alors un grand bruit du côté de la porte, un grand froid, plusieurs vitres tombent comme la glace qui finit par céder à la lisière du toit, mais pas vraiment pareil. Des hommes, on ne sait pas qui ni combien de temps ils semblent pressés envahissent la pièce tels des chevaux furieux.
 À leurs pieds ils apportent la boue que fait la neige fondue, triste et molle sur le bois du plancher. Ils renversent tout, la machine à coudre, la marmite, les plats, la théière, la bonne lampe qui brûlait sans jamais fumer. Ils cassent, ils arrachent ce qui tenait à cœur dans un fracas épouvantable. Ils sont l’orage annoncé.

Des enfants essaient de comprendre le pogrom.

Ensuite, il dit un ton plus bas, avec une torche ils ont mis le feu à ses cheveux.
À qui ? Dit Henni, intriguée. Les cheveux de qui ?
D’une femme. Une femme qui était là. Je l’ai vue sortir dans la cour en chemise et ils l’ont attrapée.
Il s’interrompt, cherche ses mots. Ou alors il attend que l’image se déroule dans sa tête, polisse et soit moins difficile à donner.
Elle a couru, ils l’ont frappée et puis elle est tombée là-bas, elle n’a même pas crié. 

L’après .

 Là-bas, différents objets sont éparpillés sur la terre détrempée. On identifie un morceau de violon, par exemple, un chapeau d’homme, un livre grand ouvert, une bouteille, une petite chaussure.