Édition Fleuve

 

Moi qui croyais être née dans une famille normale !

Elle est normale justement . Tu en connais beaucoup des familles où tout le monde s’aime, se parle sans hypocrisie ni jalousie, et ne cache rien à personne ?

Je dois à Gambadou l’achat et donc la lecture de ce roman, et si contrairement à mes habitudes je le fais paraître ce billet le lendemain du livre d’Anne-Marie Garat « Chambre noire », c’est pour souligner à quel point deux récits de secrets de famille peuvent donner des récits différents. Cette auteure écrit souvent pour l’adolescence mais je dois avoir gardé un côté ado , car j’aime toujours lire ses romans. Ici il s’agit d’un roman adulte, mais que les adolescents aimeront lire, j’en suis certaine. Donc après, « le temps des miracles« , « pépites »  » Et je danse aussi« , « l’aube sera grandiose , voici donc » Valentine, ou la belle saison ». Autant dans le roman d’Anne-Marie Garat , on sentait l’engagement de l’écrivaine pour obtenir un style recherché, poétique et littéraire, au point de parfois devenir difficile à comprendre, autant Anne-Laure Bondoux cherche à faire passer ses sentiments et son récit dans une langue d’une simplicité qui me va bien. Autant l’une est sûre de ses postions idéologiques de gauche , autant l’autre est dans le doute ce qui me va bien aussi. Et pourtant ce roman se situe en 2017, au moment de l’élection présidentielle qui verra la vctoire d’Emmanuel Macron et divisera autant la droite que la gauche. Ce n’est que la toile de fond du roman, qui décortique un secret de famille à travers une femme de cinquante ans qui est obligée de prendre un tournant dans sa vie : elle a du mal à rester dans le monde de l’écriture, elle doit déménager, car son ex un certain Kostas dont elle est divorcée, avait obtenu grâce à se amis du PS un logement social qu’elle doit quitter. Car depuis l’affaire Fillon, les journalistes seraient plus regardants pour ce genre de passe droit, ses enfants sont pratiquement adultes et elle vient de perdre sa mère.

Elle retourne donc chez sa mère dans un village rural, (que j’ai situé en Aveyron) et là on comprend peu à peu que Valentine n’accepte pas la mort de sa mère qui revient vers elle sous forme d’hallucinations. Le passé de Valentine est douloureux, même si elle ne s’en souvient pas très bien, elle a oublié ou refoulé des souvenirs traumatisants à propos de son père.

Peu à peu les fils de l’histoire vont se remettre en place et la fin est surprenante. Bien sûr, c’est un peu idyllique mais tout à fait dans l’air du temps  : la vie en communauté intergénérationnelle est sans doute une des solutions pour aider les personnes âgées. à supporter la solitude.

Son frère Fred, le champion cycliste au cœur tendre, part lui aussi dans un divorce qui va être compliqué. Le retour au village de sa sœur va sans doute l’aider. Toute la petite communauté du village où ils ont grandi, crée une société d’entraide ambiance sympathique que l’on peut trouver un peu facile, mais parfois on a besoin de romans où tout n’est pas noir ni glauque ! Les secrets de la famille viennent de la vie de leur parents ! ah la génération de 68 et la libération sexuelle : ça laisse des traces et des problèmes à résoudre aux enfants, ce n’est pas toujours faciles pour eux

Bref un roman agréable et qui permet de passer des soirées loin des problèmes si graves de notre planète.

 

Extraits

 

Début.

Encore reçu un appel du cabinet Praquin et Belhomme ce matin. J’étais sur la route, vent de face au beau milieu d’une côte, il commençait à pleuvoir, ça glissait, impossible de décrocher. Maître Paquin m’a laissé un message. C’était ce que je craignais  : il voulait savoir si j’avais mis Valentine au courant. Évidemment, depuis le temps que je lui promets de le faire….

Un des problèmes de Valentine .

 – Cette histoire d’appartement est tellement ancienne, tu parles, je n’y pensais plus… Mais là, toute l’équipe de campagne a été briefée : c’est opération mains propres. Avec ce qui arrive à Fillon on ne peut pas se permettre de risquer notre image, tu comprends ? Les journalistes sont des hyènes. S’ils enquêtent sur moi, ils vont remonter jusqu’à toi l’histoire du HLM ne passera pas.
 Pour Valentine, c’était le steak de thon qui ne passait plus. Espérant retrouver la parole, elle avait vidé son verre de vin puis la bouteille de Badoit. Mais que pouvait-elle faire ? Crier à l’injustice alors qu’elle abusait depuis vin en danois comment sociale obtenue par passe-droit ? 

Un groupe d’amis.

Hélène et elle s’étaient connues au sein du syndicat étudiant, alors que Valentine arrivait tout juste de sa province. Elles avaient milité ensemble, au milieu d’une petite bande parmi lesquels Kostas et Simon le futur mari d’Hélène faisaient figure de meneurs. Par la suite Simon et Hélène avaient suivi un chemin, Valentine une autre, la fracture idéologique s’élargissait et elle devinait que ces élections allaient achever de les éloigner. À moins que ce soit à cause de ce moment d’égarement qui l’avait conduite a coucher avec Simon -trois fois de suite quand même- l’été dernier ? Difficile de faire la part des choses 

Édition Babel Acte Sud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce mois de janvier 2024,le thème du club de lecture, autour des photos, permet à la bibliothécaire de ressortir des romans peu lus et pourtant intéressants. Cette écrivaine Anne-Marie Garat, a été récompensée par des prix littéraires et a connu un succès certain mais pas tellement pour ce roman. Spécialiste de l’image, elle rend hommage aux artistes de la photographie et dans ce roman, elle cherche à faire comprendre le poids de la photo pour celui qui la prend comme pour celui qui la regarde. Évidemment, en 1990, quand elle écrit ce roman, on en est au début du numérique, la photo d’art aujourd’hui existe-t-elle encore ? De toute façon la photographe professionnelle qui est décrite vit en 1986, elle prend donc des photos avec des pellicules et les tire elle-même avec les procédés argentique. Tout le roman tourne autour d’une famille de la région de Blois, qui possède une belle propriété, et le personnage important c’est une certaine Constance, mère de Madeleine (qui fête ses 96 an en 1986), et de Romain qui mourra en 1914, victime de la guerre alors qu’il n’a pas combattu : il est tombé et ne s’est jamais relevé !.
Tout est vraiment bizarre dans cette famille, Constance avait 14 ans en 1885 quand un juge lui a parlé gentiment. Elle déclare qu’il va l’épouser. À partir de là tout va dérailler, elle n’épousera pas le juge mais elle fera tout pour que son fils le devienne (juge !). Elle aura deux filles dont elle ne s’occupe absolument pas, trouvera une technique pour avorter de tous les bébés que son mari lui fera à chaque retour de voyage sauf de ce petit garçon qu’elle aimera d’un amour fusionnel. Celui-ci a une passion prendre des photos de sa maison au même endroit tous les ans. Constance a deux sœurs et Madeleine la plus jeune élèvera son petit neveu Jorge qui est amoureux de Milena la photographe professionnelle. Elle même vient d’un pays communiste et ses parents ne veulent pas lui raconter leur fuite. Fuite qui l’a beaucoup marquée. Ses parents ont été des ouvriers exploités, sa mère en usine et elle mourra d’une infection causée par un outil de l’usine, son père n’a pratiquement pas de retraite car il n’a pas été déclaré correctement. Jorge est le fils de Thérèse, la petite fille de Constance, et elle a sauvé un enfant juif pendants la guerre. Toutes les histoires se mêlent car l’auteure ne respecte pas la chronologie et il y a de quoi se perdre. Je trouve que l’auteur a voulu parler de tous les faits de société qui sont importants pour elle, et l’ont révoltée mais c’est trop touffu : la condition des femmes du début du siècle, la guerre de 14/18, la femme bourgeoisie qui s’ennuie en province, les enfants juifs cachés, l’exploitation des ouvriers, la condition sociale des émigrés, et la création artistique à travers la photographie. (et j’en oublie)

Le livre tient surtout pour son style, Anne-Marie Garat aime faire ressentir l’angoisse et les situations tendues à l’extrême, elle a un style très recherché parfois trop, et, même dans ses phrases, on peut se perdre.

Extraits

Début.

 Constance a rencontré le juge un dimanche de juin dans le parc de Mme Seuvert. Elle a quinze ans à peine et remplit sans effort apparent, avec l’indolence charmante, un peu froide avec la complaisance appliquée des jeunes filles d’alors son rôle de figurante dans les visites de voisinage.

Un portrait (et un peu d’humour , c’est rare).

 Et puis maigre, très propre, toute lustrée de deuil soyeux, et le front encore jeune et perdu sous sa mantille de dentelle noire armée par coquetterie de la canne à pommeau de feu Seuvert ; la figure fraîche, rose de joue, l’œil comme un grand café et l’oreille très fine, affectant un air de complaisance détachée, d’indulgente ignorance pour les liens et les plans qui se trament chez elle.

La vieille dame de 96 ans.

 « Alors tu es venue juste pour me souhaiter mon anniversaire. Tu fais bien, c’est le dernier. Je dis ça tous les ans, remarque. Je finirai par avoir raison. »

J’ai du mal avec ce genre de phrases poétiques (sans doute) mais que je ne comprends pas !

 Elle a froid , elle a mal au ventre, là où sont entrées les photographies, comme d’une déchirure froide. Elle a mal des images qui se fixent lentement dans sa chambre noire.

Les ronces.

 Le roncier semble inerte, cependant il est mû d’une puissance de guerre souveraine qui arme les rameaux d’épines redoutables, les allonge et les déploie en tous sens, hors de toute logique, dans une ignorance insultante de son désir enfantin. Planté là, le roncier pousse. Il puise dans la terre noire sa force vitale, sa méchanceté native. Il dresse devant l’enfant le mur de sauvagerie incompréhensible, la vésanie* hostile, insensée des choses qui existent. Indépendantes, naturelles. Indestructibles, insensibles, qui le rejettent à sa solitude impuissante.
(vésanie* veut dire folie)

L’importance du titre.

 Rendue à ce seuil, elle se souvient d’une image de porte noire ouverte sur les cris, l’indicible souffrance. Celle dont ni le père ni la mère ne révèlent ce qu’on trouve au delà. Parce que chacun a sa chambre noire. Apprends à y entrer, jusqu’au plus profond de son obscurité. Dans une totale solitude à en admettre l’obscurité. À y survivre.


Édition Taillandier

 

Je connaissais cet auteur à travers des articles à propos de l’Algérie, j’ai été passionnée par son effort de mémoire et le récit qu’il nous livre sur son passé. Il a douze ans quand, avec ses parents en 1962, il doit quitter Constantine car l’Algérie indépendante ne semble pas vouloir faire de la place aux différentes minorités religieuses, alors que la famille de Benjamin Stora vient d’une famille juive qui est présente en Algérie dans ce pays depuis deux millénaires.

Il raconte très bien le déchirement de ses parents qui se ne se retrouvent pas sous l’appellation « pieds noirs », et doivent supporter le mépris des Français plus ou moins de gauche contre ces gens-là qui devaient être tous des riches : colons exploiteurs de pauvres algériens. L’enfant fera tout ce qu’il peut pour cacher son origine, surtout que la première année, comme il vit dans un garage dans le XVI° arrondissement, il fréquente le lycée Janson de Sailly et l’antisémitisme est encore très présent chez les bourgeois de ce quartier . La famille obtiendra un logement HLM à Sartrouville et le petit Benjamin découvrira le monde ouvrier et la chaleur des copains tous encadrés par des animateurs communistes avec qui il se plaît bien mais à qui il cache encore une fois ses origines pour ne pas être considéré comme « colonisateur » .
Ses parents sont malheureux car ils se sentent trahis et la chaleur de la famille leur manque beaucoup. Ce sont des gens courageux son père a repris une carrière de courtier d’assurance à 50 ans, et sa mère travaille comme ouvrière chez Peugeot.

Benjamin grandit, peu à peu se politise et il trouve dans le mouvement trotskyste l’idéologie qui lui convient le mieux. Enfin, ses études lui permettront de retrouver son identité grâce à sa recherche universitaire sur la guerre d’Algérie. Sa thèse sur le MNA de Messali Hadj lui permettront de revivre et de mieux comprendre la guerre d’Algérie, du côté d’une minorité que le FLN a exterminée. Le jeune étudiant sera passionné par les études historiques et il est très reconnaissant à ses professeure qu’il a trouvés remarquables. Mais ce ne sont pas ses études qui lui permettront de renoncer à son idéologie mais plutôt le fait que, peu à peu, il retrouve son identité et qu’il perd le sentiment de honte qui l’avait obligé à refouler sa judéité.

C’est une période que j’ai bien connue et je me suis beaucoup retrouvée dans ce qu’il raconte sur la politisation de la jeunesse de cette époque . C’est un des aspect passionnant de cette biographie, mais l’essentiel n’est pas là mais sur l’appartenance à une identité qu’on veuille en sortir ou non. Mais ce qui m’a le plus interrogée c’est le rôle et l’importance de l’historien. Est ce qu’un témoin est le mieux placé pour écrire sur cette période historique ? Toutes ces questions Benjamin Stora se les pose et nous avec lui.

 

 

Extraits

Début.

J’avais presque douze ans. L’âge où l’on vous autorise parfois, exceptionnellement, à assister aux conversations entre adultes. L’âge où l’on imagine tout comprendre du monde des grands. L’âge où, en réalité, on en saisit à peine quelques bribes… et encore.

Son adolescence.

 Mon adolescence a d’abord été marquée par la volonté d’une dissimulation entretenue, affirmée. Après le départ de juin 1962, j’ai caché mon histoire algérienne, parce qu’il m’est très vite apparu que nous étions du mauvais côté de l’histoire française. Tout n’était pas encore très clair dans mon esprit d’enfant, mais je sentais confusément que nous étions étiquetés dans le camp des « colons » et des exploiteurs (malgré le fait que nous habitions un petit appartement d’à peine cinquante mètre carrés et que mon père travaillait tous les jours dans sa petite boutique pour vendre de la semoule). Longtemps j’ai été contraint de vivre dans la dissimulation, voire dans l’absence d’histoires algériennes. Quelques années plus tard, j’ai découvert les grands appartements et des maisons particulières de mes camarades militants révolutionnaires français qui regardaient tous les pieds noirs comme des « colons  » et qui se lançaient dans d’interminables tirades « contre le colonialisme en Algérie et l’impérialisme américain ».

Intéressant.

 De plus, la plupart des révolutionnaires russes de 1917 étaient d’origine juive. Les trois-quarts du comité central, les Zinoviev, Kamenev, Rakovski l’étaient. D’un coup sans que je l’aie particulièrement recherché, j’entrais dans un processus d’identification. Je m’ouvrais au monde sans pour autant renier mes origines. C’était comme une forme de généalogie retrouvée. Un réenracinement. La révolution russe m’offrait de surcroît une passerelle extraordinaire vers le monde de l’Est. J’étais fier d’entrer dans une culture portées par des Juifs révolutionnaires, les austro-marxistes inspirés par les grands théoriciens comme Rosa Luxemburg ou Otto Bauer. Ce dernier expliquait qu’à l’intérieur de l’Empire, toutes les minorités doivent être respectées et traitées à égalité y compris les minorités religieuses.

Questions tellement importantes.

 Dans quelle mesure peut-on légiférer sur la mémoire, le pardon, la réconciliation ? Faut-il défendre un droit à l’oubli, et qu’en est-il dès lors d’un droit à la mémoire ? Quels rôles peuvent jouer les lois incitant à reconnaître des crimes passés, dans la protection et la promotion des droits de l’homme ? Autant de questions qui envahissent le champ culturel, politique, médiatique et dépassent, de loin la seule compétence des historiens.

 


Éditions Allary. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

Un roman très étonnant dont le sujet est la souffrance des jeunes adolescents soignés dans des centres psychiatriques.
On commence le récit avec Jérôme, un trentenaire que sa femme Léa va quitter car il ne veut pas d’enfants.
Il lui faut retourner vers son enfance pour expliquer pourquoi il ne peut pas avoir d’enfant et pourquoi « une fille ce serait pire ». Lorsqu’il a dû être interné dans un centre, il y a rencontré une jeune fille Colette dont il est immédiatement tombé amoureux. Hélas ! elle se suicidera et lui devra continuer sa vie. Il a réussi à vaincre ses démons et à vivre.
La souffrance de ces jeunes, est très bien racontée . On ressort de ce livre avec plein d’interrogations et une série de citations dont on voudrait se souvenir à jamais.
L’auteur dans une interview dit que le système capitaliste est responsable de cette souffrance . Je n’en suis pas du tout sûre mais même si cela le semble inexact cela ne m’a pas empêchée pas d’avoir été très intéressée par ce texte.
Citations que j’aime et qui ont aidé Jérôme à se sortir de son mal être d’adolescent
Romain. Gary :
La tendresse a des secondes qui battent plus lentement que les autres.
Mark Twain :
Chaque fois que vous vous retrouvez du côté de la majorité, il est temps de vous, arrêter et de réfléchir.
Steinbeck :
La force est d’aimer le faible

Extraits

Début .

Le mot le plus utilisé dans une conversation entre deux êtres humains est « Je . La photo la plus likée sur Instagram est celle d’un œuf. Selon Amazon, les livres les plus consultés sont la bible et la biographie de Steve Jobs.

Un moment très fort du livre quand il décrit les cinq « dragons voici le premier , ils commencent tous parce ne savais pas » :

 Je les jugeais parce que j’ignorais tout.
Je ne savais pas que la rousse famélique qui regarder ses pieds s’appelait Vinciane, qu’elle avait seize ans et de bonnes raisons de ne pas lever les yeux. J’ignorais qu’après la mort de sa mère, son père pressé de pouvoir baiser sa nouvelle copine sans avoir a étouffer ses soupirs, lui avait construit une cabane au fond du jardin pour qu’elle y emménage. Je ne savais pas que, lorsque cette femme l’avait quitté, son père l’avait rapatriée dans la maison pour faire la bouffe et qu’un soir sur deux, lorsque la nuit tombait, il passait dans sa chambre. Je ne savais pas que cet enculé lui mettait un sac en plastique sur la tête pendant qu’ils la violait parce qu’il ne la trouvait pas assez joli.

Une réflexion intéressante .

 Avant les parents étaient heureux d’annoncer la naissance de la petite Joséphine. Il y avait une filiation de haut en bas. On venait de quelque part. Maintenant, sur les faire-part, il y a la photo de la petite Joséphine et il est écrit : « Me voilà ! » comme si la gamine était tombée d’un arbre. Qu’elle ne venait finalement de nulle part. Qu’elle naissait hors de tout arbre généalogique. C’est ça que le monde veut créer  : des générations d’êtres humains isolée qui ne viennent de nulle part. Et sont donc incapable de collaborer pour savoir où aller.

 


Édition Babel Actes Sud

 

On a si peu de raison de se réjouir dans ces endroits qui n’ont ni la mer ni la tour Eiffel, ou Dieu est mort comme partout, et où les soirées s’achèvent à vingt heures en semaine et dans les talus le week-end.

 

J’ai lu beaucoup d’avis positifs sur ce roman qui me tardait de découvrir. J’avais bien aime « leurs enfants après eux » et donc j’avais hâte de me plonger dans cette lecture. Ce ne fut pas chose aisée, car plusieurs fois j’ai laissé tomber la lecture pour y revenir et finalement je suis ravie de m’être accrochée à cette histoire.

Nicolas Mathieu ne juge pas ses personnages, ils les laissent grandir et évoluer dans la région qu’il connaît bien autour de Nancy. Hélène et Christophe sont de la même petite ville, l’une a été une élève brillante et fait une carrière exceptionnelle dans un cabinet d’audit. L’autre après avoir été un hockeyeur reconnu (et la coqueluche des lycéennes) est resté dans sa ville et est commercial pour une boîte d’aliment pour animaux de compagnie.

Aucun des deux n’est vraiment heureux, Christophe voit sa femme qui l’a déjà quittée partir loin de son lieu de vie et donc le séparer de son petit garçon Gabriel qu’il adore. Hélène n’aime plus son mari et après avoir fait une dépression (dans ce milieu on dit » burn-out ») a demandé de revenir vivre près de son lieu de naissance. Son cabinet d’audit est chargé de réorganiser la région « Grand- Est » qui résulte de la fusion de l’Alsace, de la Lorraine et de la Champagne-Ardenne. C’est une femme de dossiers et qui connaît parfaitement son affaire, elle espère devenir associée dans son cabinet d’audit.

À travers leur enfance, l’auteur décrit la classe moyenne qui s’en sort tant bien que mal, plutôt mal pour le père de Christophe à la tête d’un magasin de sport. Des vacances à la Grande Motte pour Hélène et ses parents, et un été à l’île de Ré avec son amie de coeur dont le père a les mains baladeuses.

Ils sont adultes maintenant et le travail d’Hélène nous permet de plonger dans les rouages de l’administration et le roman est alors très intéressant et très bien documenté. C’est pour moi la grande réussite de ce livre. On sent très bien d’où viennent les cadres qui ont entouré Emmanuel Macron. D’ailleurs si je me souviens bien , on lui a reproché d’avoir usé et abusé de cabinet de conseils. L’auteur n’en fait nullement une caricature, mais on sent très bien que ces hommes très compétents sont peu solubles dans la réalité française et laisse une place confortable au Rassemblement National de Marine Le Pen.

Christophe et Hélène auront une histoire commune qui leur fera du bien même si elle ne dure pas très longtemps.

C’est un roman sérieux et bien construit mais je m’y suis souvent ennuyée, mais, paradoxalement, à cause de ses qualités. Comme l’auteur veut rester objectif et ne pas embraquer son lecteur dans des jugements trop facile, cette neutralité empêche l’empathie de s’installer entre moi et ses personnages. Mais quand je vois le nombre de passages que j’aimerais retenir je me dis qu’il y a beaucoup d’excellentes choses dans ce roman et de trois je suis passé à quatre cooquillages.

 

Citations

Début.

La colère venait dès le réveil. Il lui suffisait pour se mettre en rogne de penser à ce qu’il attendait, de toutes ces tâches à accomplir, tout ce temps qui lui ferait défaut.
Hélène était pourtant une femme organisée. 

Le problème du couple.

 Depuis qu’ils étaient revenus vivre en province, Philippe semblait considérer qu’on n’avait plus rien à lui demander. Après tout, il avait laissé tombé pour elle un poste en or chez Axa, ses potes du badminton et, globalement, des perspectives sans commune mesure avec ce qui existait dans le coin. Tout ça, parce que sa femme n’avait pas tenu le coup. D’ailleurs, est-ce-qu’elle s’était seulement remise d’aplomb ? Ce départ forcé restait entre eux comme une dette. C’est en tous cas l’impression qu’Hélène avait.

Une quadragénaire qui va mal.

Pourtant, sur le papier elle avait tout, la maison d’architecte, le job à responsabilités, une famille comme dans « Elle », un mari plutôt pas mal, un dressing et même la santé. Restait ce truc informulable qui la minait, qui tenait à la fois de la satiété et du manque. Cette lézarde qu’elles se trimballait sans le savoir.

Les illusions de l’amour .

 Elle avait eu quinze ans, et comme n’importe qui, sa dose de lettres et de flirts hésitants. On lui avait tenu la main, on l’avait emmenée au ciné. On lui avait dit je t’aime, je veux ton cul, par texto et à mi-voix dans l’intimité d’une chambre à coucher. À présent Jenn était grande. Elle savait à quoi s’en tenir. L’amour n’était pas cette symphonie qu’on vous serinait partout, publicitaire et enchantée.
 L’amour c’étaient des listes de courses sur le frigo, une pantoufle sous un lit, un rasoir rose et l’autre bleu dans la salle de bain.

Le point de vue des parents.

 Ils sont pris dans cette tenaille des parents qui encouragent leurs gosses et sans bien que chaque pat accompli les laisses un peu plus loin derrière. Sur le quai de la gare, ils voient le train rapetissé au loin et prendre de la vitesse. Parfois c’est plus fort qu’elle, Mireille a envie de mettre un coup d’arrêt à cette épouvantable accélération.

L’adolescence .

 L’adolescence est un assassinat prémédité de longue date et le cadavre de leur famille telle qu’elle fut gît déjà sur le bord du chemin. Il faut désormais réinventer des rôles, admettre des distances nouvelles, composer avec les monstruosités et les ruades. Le corps est encore chaud. Il tressaille mais ce qui existait, l’enfance et ses tendresses évidentes, le règne indiscuté des adultes et la gamine pile au centre, le cocon est la ouate, les vacances à la Grande-Motte et les dimanches entre soi, tout cela vient de crever. On y reviendra plus.

Portrait peu flatteur.

 Elle connaissait vaguement le premier, un jeune type déjà chauve qui portait des Church’s et une veste cintrée. Aurélien Leclerc. II prétendait occuper le poste de dircom adjoint. Les mauvaises langues assuraient qu’il n’était en réalité qu’adjoint du dircom. Quoi qu’il en soit, il avait fait Sciences Po. Il ne fallait en général pas attendre dix minutes avant qu’ils le rappelât.

L’informatique et une municipalité.

 Après tout, elle n’avait jamais eu besoin que de cent cinquante heures pour remettre à plat l’épouvantable imbroglio des services informatiques de cette ville, un bordels digne d’un roman russe ou l’argent et l’énergie se perdaient dans d’invraisemblables circuits de décisions qui superposaient pas moins de trois organigrammes distincts. Tout au long de son audit, elle s’était étonnée de voir cette Babel tenir encore debout. Les paresses empilées, le flou des hiérarchies, les haines immémoriales entre chefferies administratives avaient accouché d’un véritable Tchernobyl digital. Quand on pensait que les habitants confiaient leur numéro de carte bleue à ce système digne des soviets pour payer la cantine des gosses ou leur carte de résident, ça laissait songeur.

Sortir de son milieu social.

 Quand ses parents font l’apologie de la simplicité, lui donne ses cousins en exemple, quand ils critiquent les ambitieux, les parvenus, ceux qui exhibent leur réussite, quand ils vantent le mérite des bosseurs, des manuels, des bricolos, des débrouillards, de ceux qui passent entre les gouttes, mamailleurs et autres contrebandiers du jour le jour. Quand ils lui disent on va t’envoyer à la campagne, ça t’apprendra à vivre, quand ils mettent l’article défini devant un prénom, le Dédé, la Jacqueline, le Rémi, alors Hélène sent un câble se tendre en elle. D’instinct, sans savoir, elle refuse tout cela en bloc. Chaque signe de cette manière d’être la gifle. Elle préfère encore crever que vivre comme ça, modeste et à sa place. Elle a la grosse tête. Une petite bêcheuse.

La création du grand Est.

 Car avant que n’advienne ce Grand Est qui devait faire la fortune des cabinets de consulting en général et d’Elexia en particulier, les anciennes régions disposaient naturellement de leurs propres organisations, lesquelles résultaient d’années d’usage , de replâtrages divers et de particularismes indigènes. Surtout, au sommet de chacune des dites organisations trônait un chef qui n’entendait pas céder sa place. Au départ, nul n’avait jugé utile de solliciter une expertise extérieure pour pour mener à bien cette fusion ordonnée depuis Paris, les ressources étant évidemment disponibles en interne. Mais après si mois de réunions improductive, de coups fourrés entre comités directeurs, et face à la menace une reprise en main par l’autorité administrative,le recours à un tiers avait fini par s’imposer.
Hélène débarquait donc en pleine guerre picrocholine et trouvait dans chaque organisme où elle intervenait des équipe irréconciliables et une poignée de cadres au bord de la crise de nerf 

Le monde des cabinet d’audit.

 Depuis qu’elle est rentrée chez WKC, Hélène a parfois l’impression que la planète toute entière est aux mains de ces petits hommes en costume bleu qui viennent dans chaque entreprise, dans les grands groupes et les administrations, pour démonter à coups de diagnostics irrévocables l’inadéquation des êtres et des nombres, expliquer aux salariés ce qu’ils font, comment il faudrait le faire mieux, accompagner les service du RH toujours à la ramasse et apporter leurs lumières à des décideurs invariablement condamnés aux gains d’efficacité, forçats de la productivité, damnés du résultat opérationnel.

 

 


Édition Folio

Faute de réparer, écrire c’est rétablir. C’est rendre dicible ce que l’on pense, ce que l’on ressent, ce que l’on est. 

 

Quel plaisir de rencontrer à nouveau cet auteur qui m’a si souvent enchantée à travers ses récits . Sur Luocine vous ne trouverez que « Homo Erectus », « Romanesque » qui m’avait un peu étonnée et la BD « le guide mondial des records » , parce que tous les autres je les ai lus avant Luocine.

Il était temps que je connaisse un peu mieux sa vie et d’où lui vient cette extraordinaire faculté de m’embarquer dans ses histoires. Je me doutais bien qu’il était d’origine italienne mais pour le reste … Ses parents sont d’une tristesse infinie, son père alcoolique et sa mère profondément malheureuse de vivre en France n’ont pas su donner du bonheur à leurs enfants. En revanche ce juron italien, « Porca Misera » que l’on peut traduire par « putain de vie » ou « chienne de vie », il a l’impression de l’avoir entendu à longueur de journée dès le réveil de son père. En plus Tonino est le dernier enfant, né bien après les autres, il n’a donc pas vécu avec la fratrie qui aurait pu égayer ses journées. Le plus surprenant pour moi c’est qu’il n’aimait pas lire alors qu’il le dit lui-même cela lui aurait permis de s’évader de cet univers gris et même souvent très noir ! Il n’empêche que lorsqu’il s’accroche à la lecture de Maupassant « Une vie » il comprend bien mieux que n’importe quel analyste distingué le drame de Jeanne ! Cet enfant qui a adopté la langue française, alors que ses parent n’ont fait que « subir » la vie en France, a su lui rendre un grand hommage. J’ai aimé aussi ce qu’il raconte de ses voisins qui sont d’une si grande gentillesse avec lui et toute sa famille ce qui l’empêchera toujours de penser que les Français sont racistes

 

Son art à lui, c’est d’inventer des histoires, trouver des personnages et de les faire vivre, il ne puise pas dans les livres ses intrigues et ses caractères mais dans le sens de l’observation des autres. J’ai été contente de mieux le connaître et j’ai souffert avec lui lorsqu’il a connu une période de dépression doublée d’agoraphobie sévère. On comprend mieux en lisant ce livre pourquoi tous ses personnages ont des des fêlures énormes et restent toujours humains. Benaquista, c’est un rire un peu triste en connaissant mieux sa vie on se dit qu’il aurait pu être tragique. Mais c’est avant tout un conteur prodigieux.

Citations

Début du livre.

Je revois mon père à table, lancé dans une litanie haineuse contre la terre entière, pendant que nous ses enfants, attendons qu’il boive son dernier verre. Parce qu’il l’a rempli à ras bord, il procède sans la main, et le voilà penché, les lèvres posées sur le rebord du verre pour en espérer la première gorgée, puis il le vide d’un trait. Il entreprend alors un périlleux parcours vers son lit, seul. ou soutenu par ma mère les soirs ou il a forcé la dose.

L’inspiration d’un écrivain.

 En proie aux plaisir risqué de la réminiscence, je peux rester des heures dans cet immense labyrinthe sans savoir où il va me conduire. J’y éprouve le sentiment illusoire mais plaisant de n’avoir rien oublié de la multitude d’interactions humaines qui me constituent comme une mosaïque. C’est dans cet aéropage que je puise pour créer les personnages de fiction, volant à celui-ci un détail physique, à celle-là un trait de caractère, que j’agrège selon mes besoins et mes envies.

Pour moi cette phrase exprimé la richesse de cet auteur.

 Aujourd’hui encore, sur l’idée de culture, j’envie ceux qui savent si bien séparer le bon grain de l’ivraie. J’en suis toujours incapable.

La télévision.

 J’entends dire que la télévision a pour vocation d’informer, d’instruire et de divertir. J’en vois une autre bien plus précieuse : le soir elle crée un bruit de fond qui couvre les ressassements comme elle offre un point de mire qui nous évite de croiser les regards à table. Elle vit, s’exprime, donne à voir. Elle est la quatrième présence.

On retrouve bien là l’auteur, nous sommes en 1968.

 Un graffiti sur un mur du réfectoire me rappelle chaque jour que si je ne m’occupe pas de politique, la politique s’occupe de moi. Autant d’injonctions produisent sur moi l’effet opposé : une méfiance à vie pour toute pensée dogmatique.

L’épisode du chien qui l’a mordu.

 J’ai laissé la sidération m’envahit, il a senti la peur monter en moi, comme son maître a senti d’instinct qu’il aurait le dessus sur mon père, il l’a lu dans ses yeux.
Faute de réparer, écrire c’est rétablir. C’est rendre dicible ce que l’on pense, ce que l’on ressent ce que l’on est.

Édition Gallimard NRF. Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary

 

Ce livre ne reçoit que d’excellentes critiques, Dominique en a parlé avec enthousiasme et comme cet auteur m’avait enchanté avec Olga et le « Liseur » je savais que je lirai celui-ci. Il a évidemment toute sa place dans le mois consacré à la littérature allemande.

(Ma sixième participation pour l’année 2023)organisé par Eva et de livr’escapade 

Dans les deux précédents romans que j’ai lus de Bernhard Shlink, j’ai apprécié son regard intransigeant et lucide sur le passé de son pays. Nous sommes dans le présent avec « la petite fille ». Kaspar, fils de pasteur, fait ses études à Berlin en 1965, il est libre de fréquenter le milieu universitaire de l’est (l’inverse n’était pas possible : les étudiants de Berlin Est n’étaient pas libres de leurs mouvements) il fait la connaissance de Birgit dont il tombe amoureux et qu’il va aider à passer à l’ouest.

Le roman débute par la mort de Brigit, femme dépressive et alcoolique. Kaspar est désespéré, il retrouve les carnets de sa femme qu’il lit. Dans cette autre partie nous apprenons le lourd secret de Brigit : elle a eu un enfant d’un homme qui l’a abandonnée avant la naissance du bébé pour ensuite lui demander qu’elle lui donne ce bébé car il ne peut pas avoir d’enfant avec sa femme. Brigit refuse et demande à sa meilleure amie de laisser son bébé sur le parvis d’une église. Toute sa vie, cet abandon lui pèsera et expliquera sa neurasthénie et son alcoolisme.

La deuxième partie ainsi que la troisième sont consacrés à Sigrun la petite fille de Brigit et dont Kaspar voudrait être le grand père.

Chaque partie du roman nous permet de cerner un aspect de l’Allemagne contemporaine : l’Allemagne de l’est et le déséquilibre des anciens de l’Est qui ont bien du mal à s’adapter dans un pays qui ne reconnaît aucune des valeurs qui les ont construits dans une autre vie. Puis nous voyons les errances de leurs enfants qui cherchent à s’opposer à leurs parents en retrouvant des mouvements violents et, évidemment, le plus interdit en Allemagne  : le mouvement néo-Nazi. Pour finalement s’incarner dans un vieux parti le « völkisch » pas très loin des idées Nazi. Il prône la fierté d’être allemand, le retour à la terre, nie les atrocités du Nazisme en particulier la Shoa : Hitler ne voulait que la paix !

Dans un premier temps, toute la difficulté de Kaspar est de maintenir un lien avec cette petite fille, sans heurter les idées de ses parents, il va y arriver grâce à la musique qui ouvrira un nouveau monde à cette petite fille très douée, elle découvre, grâce à son grand père, le piano. Une très belle scène : le grand père lui fait écouter différentes musiques et la met au défit de reconnaître celle des compositeurs allemands ou étrangers. Leur rapport seront interrompus car les parents se méfient de son influence.

Quelques années plus tard, une catastrophe va arriver, liée à la révolte de Sigrun, sa violence l’entrainera trop loin. On espère quand on referme ce roman que la musique continuera à sauver la jeune Sigrun dans l’ailleurs qu’elle s’est choisie .

Un excellent roman !

Citations

 

La jeunesse de Kaspar.

 Il a vécu jusque là dans une rhénanie tranquillement catholique. Son père était un pasteur protestant ; Kaspar avait grandi avec Luther et Bach et Zinzendorf, et pendant les vacances chez ses grands parents avec des livres sur l’histoire patriotique où l’Allemagne devait sa complétude à la Prusse.

La RDA.

 Si l’on vit dans un pays sous un mauvais régime, on espère un changement, et un jour il advient. À la place du mauvais régime, un bon se met en place. Quand on a été contre, on peut de nouveau être pour. Si l’on a dû s’exiler, on peut revenir. Le pays pour ceux qui sont restés et pour ceux qui sont partis est à nouveau leur pays, le pays dont ils rêvaient. La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n’existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent pas y revenir ; leur exil est sans fin. D’où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement.
Discours lors de la fête du mouvement « Völkish » 
« Qui le sait encore, à part nous, ce sont les clans, les musulmans et les femmes voilées et leur familles. Ils veulent s’emparer de l’Allemagne, ils veulent faire de notre pays leur pays. Mais nous ne les laisserons pas faire. Nous somme prêts au combat. Sur le sol allemand nous croisons. Du sol allemand nous tirons notre force. À notre communauté allemande appartient l’avenir allemand. »

Un allemand ordinaire .

Kaspar c’était toujours tenu à l’écart de tout. Il était membre de l’église, qu’il fréquentait parfois sans croire en Dieu, mais sans jamais se charger d’une tâche. Sans endosser aucune responsabilité, il était membre de la chambre de commerce et d’industrie, et de l’Union des éditeurs et libraires allemands. La politique l’avait quelquefois irrité au point qu’il l’envisage d’adhérer à un parti. Il avait été parfois invité à s’engager dans l’association Citoyens pour le parc. Mais à part des votes rassurants et quelques ramassages occasionnels de papiers, gobelets et bouteilles en traversant ledit parc, il en était resté là. 

Dialogue incroyable .

 « Tu as bien un livre sur Rudolf Heβ. Il est plein de mensonges. Tous ces livres ici son plein de mensonges. Hitler ne voulait pas la guerre. Il voulait la paix. Et les Allemands n’ont pas tué les juifs . »
Kaspar s’assit par terre face à elle.
« Ce sont des livres d’historiens qui ont fait des recherches pendant des années. Comment peux-tu savoir ?
– Ils sont achetés. Ils sont payés . Les occupants veulent rabaisser l’Allemagne. Il faut qu’on ait honte et qu’on courbe l’échine. Alors, ils pourront nous nous opprimer et nous exploiter.

Le grand père et sa petite fille.

 « Mais je peux quand même être fiers d’être allemande. »
Kaspar à nouveau tourna dans un chemin et stoppa. 
« Je ne sais pas. Je trouve qu’on ne peut être fier que de quelque chose qu’on a fait. Mais peut-être qu’on peut voir les choses autrement. »
Il montra du doigt le paysage de collines, des champs, le bois et le village sur le quel tombait le soleil et un autre village dans un creux, dont on ne voyait que le clocher et quelques tpits. Le soleil était déjà bas, cela allait donner un magnifique crépuscule.
« J’aime mon pays, je suis heureux de parler sa langue, de connaître les gens que ce pays me soit familier. Je n’ai pas besoin d’être fier d’être un Allemand, il me suffit d’être heureux. »


Édition « les Éditions de Minuit »

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Deuxième lecture réussie pour le club de cette année. Un livre qui se lit très vite mais qui ne s’oublie pas. L’auteur grâce à une écriture très sensible, raconte le destin d’un enfant appelé « M. » fils d’un soldat français et d’une femme allemande.

Ce n’est pas lui qui nous raconte cette histoire mais le petit fils du soldat français : Malcusi époux d’une femme de 86 ans, Imma. Il apprend le jour de l’enterrement de ce patriarche au caractère peu commode l’existence de cet enfant. Il va partir à la recherche de ses souvenirs et des souvenirs des siens. Imma ne veut pas entendre parler de cette histoire et exige de son petit-fils qu’il cesse cette recherche.
Peu à peu le voile qui cache ce secret de famille se déchire et la vérité à la fois simple et tragique va apparaître.

J’ai appris qu’il y a eu beaucoup d’enfants ayant un père français en Allemagne et tous auraient bien voulu retrouver leur père qui, pour la plus part, ont fui à toute jambe leurs responsabilités.

Parlons du style : d’abord ce que j’aime moins, je n’arrive pas à comprendre le pourquoi de l’absence de majuscule au début des paragraphes. Je ne comprends pas pourquoi non plus le personnage de l’enfant est appelé « M. », j’ai quelques hypothèses mais pas de réponse. De la même façon la femme dont il est en train de se séparer s’appelle aussi « A ».

Mais ce n’est rien par rapport à mon plaisir de lecture, on sent à quel point la révélation de l’existence de cet enfant a transformé la vie du narrateur. Le récit de l’oncle âgé qui a reçu « l’enfant dans le taxi » est bouleversant. Peu à peu, le portrait du grand-père Malcusi s’enrichit mais pas à son avantage ! Je trouve très fort de démarrer le récit avec un personnage positif et de finir avec un homme si peu sympathique ! D’ailleurs sa propre femme revit après son décès : cette veuve très joyeuse fait tout ce qu’elle n’avait pas pu faire du temps de son mariage : apprendre à nager et voyager dans des endroits les plus pittoresques.

Le narrateur, qui est écrivain, est sans doute plus sensible aux malheurs de « M » qu’il est lui-même en pleine séparation avec la mère de ses deux enfants. Les salons du livre auxquels il participe ne suffiront pas à lui remonter le moral.

Un beau roman bien servi par une écriture à laquelle j’ai été très sensible, malgré quelques partis-pris de style que je ne comprends pas.

 

 

Citations

Le début.

 Ce matin-là, elle aide son père à fendre le bois dans la cour. Il a neigé toute la nuit, le sol est blanc, maculé de boue aux endroits qu’ils piétinent. Depuis une heure elle lui présente l’une après l’autre les bûches, ramasse chaque fois le coin dans la neige pour le replacer à l’aplomb d’un nouveau rondin, le buste penché en avant le bras crédit dans l’attente du coup de masse.

Ne pas faire de vagues.

 À l’éternel impératifs de « ne pas faire de vagues » : quelque chose comme un ordre supérieur aux allures de glacis, chape de silence devenue invisible à force d’habitude, d’autant plus puissante que paisible, sans aspérité, sans prise, puisque tous les secrets sont faits de cette pâte innocente, habillée des meilleures intentions, parée de souci du prochain : si je ne t’ai rien dit c’était pour ton bien. Puisque depuis toujours dans l’ordre des familles le crime c’est de vous parler, jamais de se taire.

La vieillesse triomphante.

 Souriant comme chaque fois qu’elle constatait par contraste le délitement de tel ou tel cousin pourtant de vingt ans plus jeune qu’elle.
 Ah oui toi aussi tu l’as vu récemment.
 Baissant brusquement la voix pour chuchoter. 
Tu as vu ce coup il a pris.
Un de ces coups le pauvre, ça m’a fait de la peine. Rien à voir avec moi.
Cela dit avec un sérieux soudain qui manquait me faire éclater de rire. 

Portrait d’une femme efficace .

 La mère qui n’avait jamais voulu voir M., jamais voulu entendre parler de M., jamais voulu se demander si son refus de le rencontrer était légitime ou non, simplement c’était ainsi, cela lui coûtait trop de repenser à tout ça, elle ne voulait repenser à rien et pourquoi aurait-il fallu qu’elle se force. La mère dont l’inclination en tout, toujours, consistait à faire place nette. Des ronces. Des vieux objets. Des blessures. Des souvenirs 

L’enfant du taxi qui voulait voir son père et à été reçu par un oncle.

 Trois jour remplis de douceur et d’amour au terme desquels je l’ai d’un commun accord remis dans le train en sens inverse, si bien qu’il est reparti, avait continué Louis, la fameuse erreur de jeunesse de Malusci est reparti renvoyé à sa mère qui a pensé quoi du récit rapporté par le gamin, pensé quoi de le voir revenir si vite quand elle croyait peut-être lui avoir dit adieu pour des années. 
trois jours forts gravés dans la mémoire de Louis qu’il avait dû retenir son l’émotion, attendre que le tremblement de sa voix cesse avant de raconter la lettre que Jacqueline et lui avaient une semaine plus tard reçue, écrite dans un français maladroit qui la rendait encore plus belle, une lettre dans laquelle M. nous remerciait joyeusement, avait dit Louis une lettre dans laquelle il racontait avec humour qu’il mettait tout le temps ma chemise, dormait dans mon pyjama
grâce à vous je me suis senti comme un fils terminait le bref courrier qui ne disait pas un mot de l’humiliation infligéee par Malusci, ne formulait les pas une plainte, pas avoir un regret, ne montrait pas un seul signe d’amertume
 grâce à vous je me suis senti.comme un fils.

 

 



Édition Pocket . Traduit de l’anglais par Nathalie Cunnington

 

En regardant ce que cet auteur avait écrit, je me suis rendu compte qu’on lui devait «  L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » que je n’ai pas lu, mais j’ai aimé le film qui en a été tiré. Ce roman parle de la passion de l’auteur pour le Far-West américain vu à travers le cinéma et les feuilletons tournés pour la télévision. L’enfance du jeune héros, Tommy, a été bercée par les héros au grand cœur qui sauvent les pures jeunes filles blanches des griffes des méchants indiens.
Mais avant de raconter (le moins possible) le fil narratif de ce récit, j’explique sa construction. L’auteur, dans des chapitres assez courts donnent des aperçus de la vie de Tommy, en ne respectant pas la chronologie . Il faudra lire tout le roman pour remettre dans l’ordre la vie du personnage principal qui donne l’impression d’un puzzle. Lorsque la dernière pièce sera mise en place alors tout sera tellement clair pour le lecteur qui pourtant n’a jamais été perdu (en tout cas, je ne l’ai jamais été)
Le premier chapitre est une des clés du roman. Tommy a 13 ans, il rend visite à sa mère qui est condamnée à mort. Le deuxième chapitre, il est enfant à Bristol et suit avec passion son feuilleton télévisé dans le quel Red McGraw « se dresse seul contre l’injustice ». La construction parcellaire du roman sert l’intrigue car la vie de Tommy est construite sur un énorme mensonge, celle qui prend pour sa sœur est en réalité sa mère, et ses parents sont en réalité ses grands parents. Sa mère l’arrache à une pension anglaise où il était très malheureux et l’emmène avec lui à Hollywood.
Il y rencontre l’acteur Ray qui sera l’amant puis le mari de sa mère mais aussi l’acteur qui jouait Red McGraw dans son feuilleton préféré.
Un autre mensonge aussi énorme que le premier viendra troubler le passage de Tommy dans la vie adulte. Et il ne saura pas être le père de son fils. Celui-ci sera accusé de meurtre de civils pendant la guerre en Irak et c’est alors que père et fils se retrouveront en se dévoilant réciproquement leurs propres mensonges.
Les réflexions sur le poids de la culpabilité sonnent très justes et la façon dont est traité le rapport à la vérité est passionnant. Je pense que le thème principal du roman c’est cela  : le poids que représente pour un enfant un mensonge sur lequel il a construit sa vie.
Mais les thèmes annexes sont tout aussi passionnants, par exemple le passage du travail d’acteur de la télévision au cinéma et du poids de son image qui passe de mode et comment cela peut devenir insupportable pour lui. On retrouve aussi les indiens qui sont si loin de l’image qu’en donnait la télévision, Tom le découvrira grâce à Cal, un indien blackfoot, qui sera son père adoptif. Autre blessure invisible celle avec les quelles reviennent les marines américains qui ont tué des civils en Irak ou qui ont vu tuer les meilleurs d’entre eux.
Un roman foisonnant qui sonne très juste qui se lit d’une traite même si certains passages méritent une lecture plus attentive car ils révèlent des comportements humains très intéressants.

 

Citations

Passage plein d’humour .

 « Vous ne seriez pas Thomas Bedford, par hasard ?
– Si, c’est moi. Je m’excuse mais… »
Elle tendit la main et il la serra, un peu trop fort. Comme le documentaire qu’il avait fait cinq ans auparavant sur l’histoire et la culture des indiens blackfoot avait été récemment diffusé sur PBS, il se dit qu’elle l’avait reconnu à cause de cela. Ou peut-être avait-elle assisté à l’une des conférences qu’il donnait de temps en temps à l’université. La jeune femme était une beauté discrète. Elle devait avoir une trentaine d’années au plus, elle avait la peau pâle, des taches de rousseur, une épaisse chevelure rousse enserrée dans un foulard vert en soie,. Tom rentra le ventre et sourit
« Je me présente : Karen O’Keefe. Nous avons le même dentiste. Je vous ai vu chez lui il y a deux ou trois semaines.
-Ah !

Le mensonge.

 Un mensonge raconté plusieurs fois à cette faculté étrange d’acquérir une sorte de consistance. À mesure qu’on se le répète, il devient aussi solide et rassurant que la vérité. Tom s’était parfois demandé, après le départ de Gina, si les choses se seraient passées différemment, s’il lui avait dit la vérité à propos de Diane. Cela l’aurait peut-être aidée à comprendre ses difficultés de père et de mari. Ou bien n’aurait fait que lui inspirer de la pitié. Et pour Tom la pitié, c’était pire que la honte.

Être américain sous Kennedy .

C’est ainsi qu’il se joignit à ses camarades comme s’il était un vrai petit américain. Ce qu’il avait toujours souhaité être. Parce que ça lui semblait plus moderne – plus cool comme dirait Wally- que d’être anglais. Il n’y avait qu’à voir le président qu’ils venaient d’élire ! Jeune, toujours souriant, avec ses enfants et sa jolie femme, tandis que le premiers ministre britannique ce vieux Macmillan, devait avoir au moins cent ans et ressemblait à un morse qui aurait perdu ses défenses.

Les fragilités du métier d’acteur.

– Dans mon type de boulot, si quelque chose se passe mal, on l’arrange, on se débrouille pour faire mieux la fois suivante. Mais vous autres, les acteurs, vous n’avez pas le droit à l’erreur. Vous êtes seuls. Si vous vous trompez, ça vous touche au cœur. Désolé, je n’arrive pas à exprimer ce que je veux dire.
– Je comprends.
– Je ne suis pas en train. De dire qu’il n’y a aucune technique, aucun talent là-dedans . Il y en a, bien sûr. Vous devez savoir vous placer, repérer la caméra, et tout et tout. Mais au bout du compte, l’essentiel, c’est vous, ce que vous êtes. Et si quelqu’un critique ça, vous dit que ça ne va pas, ce n’est pas votre travail qu’il critique, c’est vous. Ce qui est déjà difficile à accepter pour n’importe qui. Alors pour les acteurs, c’est pire encore parce que… Bon sang, qu’est ce qui me prend de vous parler comme ça. ?
– Je vous en prie continuez.
– Ce que je voulais dire, c’est qu’ils ont très peu confiance en eux. Ils veulent qu’on les approuve, qu’on les aime. Comme nous tous bien entendu, mais chez certains acteurs, c’est comme une sorte de faim. Et s’ils n’obtiennent pas ça, ils sont complètement défaits.
– Quand même, Cal, il y a des métiers bien plus dur que celui-là.
– Peut-être, mais pas beaucoup qui peuvent à ce point blesser un homme dans l’image qu’il a de lui même. 

Toujours le mensonge.

 Le mensonge lui parut usé. Il ne s’était pas entendu le raconter depuis longtemps. Il fut soudain pris de l’envie d’avouer comment Diane était réellement morte. Mais mais pouvait-il raconter à cette quasi inconnu ce qu’il n’avait jamais réussi à dire à quiconque ? Même pas à son psy, même pas à Gina. Ce serait une véritable trahison. Le problème avec le mensonge, c’était cela. Tels les pins tout tordus et noueux qui poussaient dans les montagnes, plus ils étaient vieux plus ils devenaient résistants.

Dernière phrase (on imagine avec un soleil couchant..) happy end .

 Elle le regarda longuement puis se pencha vers lui et l’embrassa tendrement sur la joue. Alors, Tom passa le bras autour de sa taille. Ils firent demi-tour et traversèrent la pelouse ensoleillée vers la maison.

Le train des enfants

Édition Albin Michel . Traduit de l’italien par Laura Brignon

J’avais lu l’an dernier ce roman sans le mettre sur Luocine, et je ne sais pas pourquoi, en revanche je me souvenais très bien de cette lecture. Et j’ai retrouvé mes mêmes sensations . Ce roman, raconte un fait historique : les Italiens, sous la houlette du parti communiste, ont organisé après la deuxième guerre mondiale, le transport d’enfants du sud de l’Italie vers les région du nord plus riche. Nous suivons le destin de Amerigo Esperanza petit garçon de six ans au début du livre qui doit prendre ce train.

Cette première partie est très belle, nous voyons ce voyage à travers les yeux d’un enfant qui souffre de se séparer de sa mère et dont la compréhension de ce qu’il se passe ne dépasse pas ce qu’un enfant de sept ans peut comprendre. C’est drôle et émouvant. Il est très attaché à sa mère mais souffre de la faim et ses conditions de vie, sont plus proches de la survie. Il trouve dans le Nord des gens accueillants et qui, surtout, lui révèlent son don pour la musique. Son retour chez lui est brutal, car il y retrouve la misère et sa mère vend son violon pour le nourrir. Trop malheureux il repart vers sa famille d’accueil. La deuxième partie on le retrouve adulte lors de la mort de sa mère.

Cette deuxième partie, fait que j’ai quelques réserves sur ce roman. Pour éviter un roman trop long, Viola Ardone suggère plus qu’elle ne nous raconte comment s’est passé le reste de la vie d’Amerigo Benvutti (on comprend, alors, qu’il a pris le nom de sa famille d’accueil) qui est aujourd’hui un violoniste connu. On comprend aussi que sa mère a eu un autre fils et même un petit fils. Amerigo décidera d’aider ce petit garçon. Le petit violon vendu par sa mère dans son enfance jouera un rôle important dans l’épanouissement de la personnalité d’Amerigo Esperanza-Benvutti. La personnalité de sa mère est difficile à cerner complètement. Quand l’enfant est petit, il aime sa mère mais sait qu’elle est incapable d’exprimer le moindre sentiment affectueux. On croit comprendre aussi qu’elle ne veut accepter la charité de personne, ce qui explique qu’elle n’a pas voulu que son fils reçoive le courrier de sa famille du Nord. Tout cela le petit ne peut le comprendre mais l’adulte lui pardonnera car on voit qu’il a essayé de l’aider financièrement.

Malgré ces réserves, je ne peux que recommander cette lecture qui permet de mieux connaître les difficultés de l’Italie du Sud d’après guerre.

 

Citations

 

Le jeu de l’enfant .

 Je regarde les chaussures des gens. Si elles sont en bon état, je gagne un point ; si elles sont trouées, je perds un point. Pas de chaussures : zéro point. Chaussures neuves : étoile bonus. Moi, des chaussures neuves je n’en ai jamais eu, je porte celles des autres et elles me font toujours mal. Maman dit que je marche de travers. C’est pas ma faute. C’est à cause des chaussures des autres. Elles ont la forme des pieds qui les ont utilisées avant moi. 

La leçon de vie du chef mafieux.

 Mon petit gars. il m’a dit, les femmes et le vin c’est pareil. Si tu te laisses dominer, tu perds la tête, tu deviens un esclave, et moi j’ai toujours été un homme libre et je le resterai.

Fin du livre : le destin de son neveu.

Je lui ai offert mon violon, celui que tu as fait en sorte que je retrouve. Il est exactement à la bonne taille pour lui, on verra s’il a envie d’apprendre. Il pourra le faire ici sans avoir à s’échapper, sans avoir à troquer ses désirs contre tout ce qu’il a. 

 

 

 

Le choix

Édition Albin Michel traduit de l’Italien par Laura Brignon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Une femme sans mari est comme une moitié de ciseaux : elle ne sert à rien.

Nous sommes à Martorana, en Sicile dans les années 60, et l’histoire connaîtra un épilogue en 1981. Ce roman est une illustration tragique d’une loi italienne incroyable qui ne sera abolie qu’en 1980 qui voulait que : lorsqu’un violeur accepte d’épouser la femme qu’il a violée, il n’y ait alors aucune suite pénale pour lui, et l’honneur de la femme sera rétablie ! !

La partie la plus importante du récit se passe avant le viol et décrit avec une minutie passionnante l’adolescence d’une jeune fille qui a la tête remplie des interdits de sa mère pour rester sans tâche jusqu’à son mariage. Pour cela, elle a tout accepté : arrêter ses études, se marier avec un homme aveugle qu’elle ne connaît pas et surtout résister au sale petit voyou qui se prend pour un Don Juan irrésistible. Malheureusement, celui-ci est riche et réussit à organiser son enlèvement et à la violer. Les rapports entre elle et ses parents montrent une toute jeune fille qui voudrait à la fois s’extraire de son milieu, ne pas accepter les clichés de sa mère sur les femmes, mais en même temps essayer de s’adapter à la vie qu’on lui propose, qu’elle imagine comme la seule possible. J’ai bien aimé le personnage du père qui semble être un homme effacé et inconsistant, mais qui, dès le début, soutient sa fille Pour sa mère, il lui faudra pour pendre conscience du drame de ses deux filles, le choc du procès. Elle admirera alors le courage d’Olivia et soutiendra enfin, Fortunata l’aînée pour divorcer du mari qu’elle lui avait imposé, pour que sa fille retrouve son honneur car elle était enceinte, du fils du maire qui ne voulait pas l’épouser contrairement à cet homme qui, pendant quatre ans, lui fera vivre un véritable enfer, elle a perdu son bébé à la suite des coups qu’elle reçus. Au début du roman, la mère essaye de faire entrer à toute force dans la tête d’Oliva tous les préjugés sur le comportements des filles : elles ne doivent pas courir, elles ne doivent pas regarder les garçons, elles ne doivent pas faire d’études et surtout, surtout rester sans tâches. Elle a si peur, cette mère qui n’est pas originaire de Sicile qu’elle en devient méchante. Je trouve ce point de vue intéressant car je pense que si les femmes sont des victimes dans les civilisations traditionnelles, elles le doivent avant tout aux préjugés des mères ou à leur peur. (Je n’oublie pas que l’excision pour parler du pire est fait par des femmes sous l’ordre des mères)

C’est un roman qui se lit facilement, l’histoire est un peu trop exemplaire pour mon goût. L’autrice (il faut que je rajoute ce mot à mon vocabulaire puisqu’il a gagné contre auteure que je lui préférais !) raconte bien les histoires et sait captiver son lectorat. La photo choisie pour la couverture du livre reflète bien le roman, on sent toute la peur de la femme âgée qui pourrait être la mère d’Olivia devant la beauté de sa fille.

Citations

La peur de la jeune adolescente.

 Je ne sais pas si le mariage, je suis pour, je ne peux pas finir comme Fortunata, qui s’est fait mettre enceinte par Musiciacco pendant que je mangeais des pâtes aux anchois chez Nardina. C’est pour ça que je cours tout le temps dans la rue : l’air expire le garçon est comme celui d’un soufflet qui aurait des mains et pourrait toucher ma chair. Alors je cours pour devenir invisible, je cours avec mon corps de garçon et mon cœur de fille, je cours pour toutes les fois ou je ne pourrai plus, pour mes camarades qui portent des chaussures fermées et des jupes longues, qui ne peuvent marcher qu’à petit pas lents, et puis aussi pour ma sœur qui est enterrée chez elle, comme une morte mais vivante.

L’honneur des hommes et des femmes.

 Don Vito est devant le café de la place au milieu d’un groupe d’hommes, ils commentent les tenues des femmes en prenant garde à ne pas se faire entendre par leurs maris. Je le vois rire, il a une belle bouche et des yeux couleur de mer, mais il a comme un chagrin sur son visage. J’imagine qu’il est obligé de faire ce cinéma pour ne pas apporter de l’eau au moulin des langues-coupantes qui l’appellent « moitié d’homme » dans son dos. Les hommes souffrent eux aussi :leur honneur réside dans les femmes qu’ils ont prises, l’honneur des femmes réside dans leur chair même. Chacun défend comme il peut ce qu’il possède.

Débat dans la réunion organisée par un sympathisant communiste.

 – » Donc si j’ai bien compris, la femme doit rester à la maison et obéir à la volonté de son mari. Vous êtes d’accord ? Les dames ici présentes partagent cet avis ?
– Moi je pense que ce n’est pas juste » intervient femme entre deux âges. L’assemblée se retourne pour la regarder.  » Ce n’est pas juste, mais c’est nécessaire, précise-t-elle. Dans la rue, les filles doivent être accompagnées, parce que si elles sont seules, les gens se demandent où elles vont. Les hommes sont en chasse, c’est leur nature, et les agneaux se font manger par le loup.

La gentillesse de son père.

« Tout à l’heure tu m’as demandé ce que je fais. Eh bien voilà, conclut-il une fois son tri achevé quand tu trébuches je te soutiens »

Et c’était dans la loi.

« Article 544 du code pénal :  » pour les délits prévus par le chapitre premier et par l’article 530, le mariage, que l’auteur du délit contracte avec la personne offensée, éteint le délit, également pour les personnes ayant contribué au même délit ; et, s’il y a eu condamnation, l’exécution et les effets pénaux cessent « 
– Qu’est ce que ça veut dire ? Parle simplement, Pippo, lui enjoint mon père.
– Ça veut dire : après le mariage, délit éteint pour la loi, honneur réparé pour la fille.