Édition Stock, le Cosmopolite, 378 pages, janvier 2024.

Traduit de l’anglais par Mathilde Bach

 

Voici un livre que j’ai commencé plusieurs fois, et laissé tomber plusieurs fois aussi. Il faut dire que je l’ai lu pendant l’été et que l’ambiance joyeuse des jeux de plage des enfants ne correspondait en rien à l’atmosphère de ce roman. Claire Fuller nous plonge dans une Angleterre que je ne connaissais pas : la pauvreté extrême en milieu rural britannique.

Julius et Jeanie ont plus de cinquante ans, ils vivent dans un cottage avec leur mère Dot. Le récit commence par la mort de crise cardiaque de Dot. Et avec sa mort, le fragile équilibre que Dot avait construit autour d’elle et cette maison s’effondre.

Tout le roman suit alors les raisonnements de Jeanie et parfois de Julius pour faire face à cette disparition et aux énormes difficultés financières dans lesquelles ils sont immédiatement plongés. Ils n’ont pas assez d’argent pour enterrer leur mère, leur solution est pour le moins étrange : ils l’enterreront dans le jardin ! Cela ne peur pose pas tant de problèmes que cela ! en revanche les rapports de leur mère avec le propriétaire du cottage , un certain Spencer Rawson les amènent à prendre des décisions qui vont tourner au désastre pour Julius. Peu à peu, la personnalité de Dot’ par qui tous leurs malheurs sont arrivés, va se découvrir et la vérité qu’elle a si soigneusement cachée à ses enfants va nous permettre de comprendre le pourquoi de leurs difficultés de vie. Je l’ai trouvée terrible cette mère et d’un égoïsme incroyable et elle a fait le malheur de Jeanie à qui elle a interdit tout parcours scolaire simplement pour la garder auprès d’elle !

« Terre Fragile » est une description émouvante d’un milieu social qui apparaît peu dans la littérature contemporaine, on a l’habitude des dérives violentes dans le milieu urbain, mais on oublie souvent que l’isolement du monde rural peut donner lieu à des tragédies silencieuses tout aussi terribles.

J’ai des réserves par rapport à cette lecture, mais elles sont l’expression de ma difficulté à me plonger dans cette narration, je m’ennuyais ferme avec Jeanie, je me doutais dès le départ qu’elle ne pouvait pas prendre les bonnes décisions et son cerveau embrumé ne m’aidait pas à m’attacher à elle.

 

Extraits

Début comme tant de romans celui-ci débute par des considérations météorologiques.

 Le ciel du matin se dégage la neige tombe sur le cottage. Elle tombe sur le chaume, recouvre la mousse et les trous de souris, lisse les ondulations, comble les creux et les fissures, fond en se posant sur les briques de la cheminée. Elle se dépose sur les plantes et la terre nue du jardin de façade, dessine un monticule parfait comme moulé sous une tasse au-dessus du portail moisi. Elle dissimule le toit du poulailler, ainsi que ceux des cabinets et de l’ancienne laiterie, laisse une fine couche sur l’établi et le sol, à l’aplomb d’une fenêtre dont la vitre est brisée depuis longtemps.

La mort de Dot et le mensonge.

 Dans un dernier éclair de lucidité, le cerveau de Dot s’inquiète : le fracas de la poêle et de la brosse métalliques risque d’avoir perturbé les battements réguliers du cœur de sa fille, jusqu’à ce qu’elle se souvienne que c’est bien là le plus gros mensonge de tous. Le tisonnier, tombé lui aussi, roule sous la table, oscille une fois, deux fois, puis s’immobilise.

La pauvreté extrême.

 À mesure qu’elle s’affaire, elle ne cesse de se demander pourquoi Dot ne leur avait pas dit qu’elle était malade. Elle était têtue et fière, c’est vrai. Elle leur avait appris à ne jamais accepter de cadeau de quiconque parce que d’un jour à l’autre ils -en particulier si ce « ils » était le gouvernement- pouvait revenir frapper à la porte et réclamer qu’on le leur rende avec des intérêts. Jeanie n’est pas étonnée que sa mère ne soit pas allée chercher ses médicaments gratuits, elle n’est pas non plus choquée outre mesure qu’il y ait si peu d’argent dans la boîte, mais elle ne peut s’empêcher de calculer les dépenses encore et encore dans sa tête : l’enterrement ou la crémation, un cercueil, les croque-morts, le corbillard, les fleurs. Qu’est-on censé faire quand on ne peut pas se permettre toutes ses chose -enterrer sa mère dans le jardin ?

 


Édition Quai Voltaire La table Ronde, 467 pages, paru en 1950 et réédité en mars 2022 .

Traduit de l’anglais par Denise Van Moppes

C’est un livre qui a enchanté plusieurs d’entre vous, si vous me le signalez, je mettrai un lien vers vos blogs.

Pour une fois, je peux raconter la fin, sans m’attirer le moindre reproche, puisqu’elle fait l’objet du premier chapitre. Une maison transformée en hôtel, a été complètement ravagée par l’effondrement d’une falaise qui la surplombait à l’arrière. Le pasteur qui doit écrire une homélie à la mémoire des disparus nous annonce que, le récit de ce qu’il s’est passé dans cet hôtel, lui a été fait par les survivants. Le récit, qui s’étale sur une semaine, suit les différents occupants de cette maison-hôtel,(on dirait chambre d’hôtes aujourd’hui) jour après jour, jusqu’à la catastrophe finale.

Un petit tour des différents protagonistes acteurs de cette histoire :

Mr. et MRS Siddal et leurs quatre garçons., Mr. Siddal est le propriétaire de la maison mais n’a jamais voix au chapitre, il est relégué au second plan dort dans un placard à chaussures parce qu’il n’ouvre jamais son courrier, il portera une lourde responsabilité dans la catastrophe que, pourtant, les autorités lui avaient annoncée.
Mrs. Siddal veut absolument avoir assez d’argent pour envoyer son plus jeune fils dans une bonne université. Elle n’aime pas son aîné, Gerry, médecin qui semble le seul à vraiment l’aider.

Nancibel une jeune fille du village qui vient aider.

Fred un homme à tout faire légèrement débile.

Ellis la cuisinière femme de chambre, colporteuse de ragots, la méchanceté personnifiée

Lady Gifford son mari Sir Henry Gifford et leurs enfants. La femme se prétend malade et veut être servie uniquement dans sa chambre, elle a visiblement quelque chose à cacher. Son mari a de plus en plus de mal à la supporter, leurs enfants, l’ainée Hebe, enfant adoptée jouera un rôle important dans l’histoire, Caroline leur fille, Luke et Mikael adoptés également

Mr Paley et sa femme Christina. Ils ont perdu un enfants et se sont enfermés dans une tristesse sans fond.

Mrs Cove et ses trois filles, Blanche, Beatrix et Maud , cette femme horrible martyrise ses enfants et ne pense qu’à l’argent

Mrs Wraxton le chanoine irascible et odieux avec sa fille Evangeline

Bruce secrétaire et amant de la vieille écrivaine Mrs Anna Lechene une femme aux mœurs dépravés et qui jouera un bien vilain rôle dans cette histoire.

Le drame va se nouer autour des enfants Cove qui rêvent de faire partie de la bande des enfants Gifford, les trois filles ont failli périr noyées pour le plus grand soulagement de leur mère qui ne rêve que d’une chose s’en débarrasser. Pour les consoler Christine Parley sortant enfin de son deuil et aidée par Evangeline Wraxton, va organiser pour les pauvres petites un festin (d’où le titre) en haut des falaises . Tous les gentils (ou presque gentils) de l’histoire s’y retrouveront et assisteront à l’effondrement d’une partie de la falaise sur l’hôtel tuant d’un seul coup les plus horribles des protagonistes du drame. L’intrigue du roman est remplie d’anecdotes tragiques, la pire sans doute est celle qui concerne Hebe que l’écrivaine aide à s’enfuir pour aller dans une communauté avec un vieux pervers qui veut abuser de la petite fille en la saoulant tout d’abord. L’horrible Mrs. Cove cette femme sans cœur essaie de faire de l’argent avec tout sans aucun scrupule, elle a essayé de rouler la grand-mère de Nancibel en lui rachetant pour trois sous un objet qui aurait pu en valoir 2000. Mais cette fois c’est elle qui sera trompée, sur la valeur de l’objet.

J’ai lu sans déplaisir ce roman, mais je me souviens d’avis enthousiastes, je suis beaucoup plus mesurée. D’abord cela m’a profondément agacée que les femmes soient celles par lesquelles tous les malheurs arrivent. La méchanceté voire la cruauté est essentiellement féminine, Ellis là colporteuses de ragots agit par pure méchanceté sans qu’on comprenne bien pourquoi, Mrs Siddal favorise outrageusement un de ses enfants au dépend de celui qui semble le seul prêt à l’aider, Lady Gifford est malhonnête et fait le malheur de son mari et de ses enfants, l’écrivaine célèbre est dépravée mais la pire de toutes c’est bien sûr Mrs. Cove.

Pour équilibrer, il y a le chanoine qui est colérique et empêche Evangeline d’être heureuse, et Mr. Siddal qui est paresseux et négligent.
Comme tous les méchants resteront sous les tonnes de cailloux on peut se dire que l’histoire finit bien.
Je n’ai pas pu croire à aucun des personnages proposés dans cette histoire, sauf Nancibel, qui est la jeune fille la plus sensée de ce récit. Le style de l’auteure est vieillot tout est exposé dans des dialogues et des réflexions intérieures des personnages sans nuance. J’ai eu parfois eu l’impression de lire un roman pour adolescent dans la forme et dans l’absence de nuance pour décrire la méchanceté. Un aspect m’a bien intéressé : les réalités économiques de l’Angleterre à la sortie de la guerre 39/45. Mais ce n’est vraiment pas le cœur du roman.
Bref, je suis contente d’avoir sortie ce roman de mes étagères, mais j’ai regretté de n’avoir pas ressenti l’enthousiasme que j’avais lu dans vos billets.

 

Extraits

Début du prologue.

En septembre 1947, le révérend Gérald Seddon, de St Frideswide, Roméo s’en fut comme chaque année passer quelques semaines chez le révérend Samuel Bott, de St Sody, Cornouailles.
 C’étaient de vieux amis et leurs vacances ensemble constituaient leur plus grand plaisir. Car Bott, qui n’avait pas les moyens de s’absenter, s’accordait une espèce de congé pendant que Seddon était chez lui. Il troquait alors la soutane qu’il portait en tout autre temps contre un vieux contagnel et un chandail et il s’en allait observer les oiseaux sur les falaises. Le soir, ils jouaient aux échecs. 

Les Paley.

 Les Paley donnaient toujours cet impression de tragédie momentanément suspendue Ils prenaient chaque matin leur petit déjeuner dans un silence farouche et concentré, comme pour se préparer à soutenir quelque énorme effort au cours de la journée. Quelques instants après, on pouvait les voir traverser la plage portant des livres, des coussins, et un panier de pique-nique. Ils marchaient l’un derrière l’autre, Mr Paley en tête. Ils montaient le sentier de la colline et disparaissait sur le promontoire. À quatre heures,caprès s’être, comme le disait l’impertinent Duff Siddal, débarrassé du cadavre, ils rentraient, toujours l’un derrière l’autre, prendre le thé sur la terrasse. On avait peine à croire qu’ils n’avaient rien fait d’autre de la journée que lire et manger des sandwichs.

La gouvernante , l’horrible Ellis.

 – Bon. Quand vous aurez fini le salon, vous irez aider à la cuisine. je descends tout de suite. »
 Ce questionnaire se répétait tous les matins et son caractère offensant était très net. Il sous-entendait que Nancibel n’avait ni assez d’intelligence pour se rappeler l’emploi du temps quotidien, ni assez de conscience pour le suivre sans qu’on l’y obligeât. Cela s’appelait Être-après-cette-fille et constituait, selon miss Ellis, sa principale fonction une tâche qu’on ne pouvait accepter pour moins de quatre livres par semaine.

Richesse et pauvreté après la guerre .

 Dans le wagon, les autres voyageurs se sentaient solidaires de la veuve, et l’image que renvoyaient les Gifford ne risquaient pas de les faire changer d’avis. Ils paraissaient particulièrement bien nourris, et aucune famille ne pouvait être aussi impeccablement habillée grâce aux seuls coupons de rationnement. De toute évidence, ils faisaient partie de ces gens qui se ravitaillement au marché noir, portaient des bas de contrebande et ne faisaient aucun scrupule, en temps de pénurie de prendre plus que leur part.
(…)
 Les nouvelles occupantes ne respiraient ni les dents rées du marché noir ni les cartes de rationnement textiles achetées à quelques femmes de ménage dans le besoin. Elles avaient l’air d’une illustration de propagande pour la campagne « Sauvez l’Europe ». Tout en elles était maigre. Les trois fillettes étaient longues et pâles comme des plantes poussées dans l’obscurité. Elles avaient des dents en avant mais ne portaient pas d’appareil dentaire ; leurs yeux bleu clair étaient myopes, mais elles n’avaient pas de lunettes. On leur avait coupé les cheveux au bol, et leurs robes de coton râpé couvraient à peine leurs genoux osseux.

La championne des ragots : la gouvernante miss Ellis.

 « Un jour, promit miss Ellis, je dirai à la jeune Hebe Gifford d’où elle vient. Gifford ! Elle ne s’appelle pas plus Gifford que moi. Ils l’ont adoptée. C’est une bâtarde, l’enfant d’une bonne probablement. Et c’est moi qui vide ses pots de chambre ! »

 

 

 

 


Édition Albin Michel,406 pages, septembre 2022

Traduit de l’anglais par Marina Boraso

 

Quel livre  ! Quelle famille ! Embarquez-vous, avec ce roman, dans une lente déambulation dans le passé, de 1870 à nos jours, pour retrouver non pas « le temps » mais la mémoire d’Edmund de Waal descendant de la famille Ephrussi et céramiste connu. Il a hérité de son oncle une collection de « netsukes ». Ce sont de très petites sculptures venant du Japon qui servaient à bloquer une pochette qu’autrefois le Japonais portait à sa ceinture quand il était habillé de façon traditionnelle. Ce sont de tout petits objets mais souvent merveilleusement sculptés et expressifs. C’est en suivant l’histoire de cette collection qu’Edmund de Waal va raconter l’histoire de sa famille.
Celui qui l’a constituée, Charles Ephrussi, est un très très riche dandy de la fin du XIX ° siècle, collectionneur d’art, il est certainement l’homme qui a inspiré Proust pour construire le personnage de Swann. Dans cette première période, on se croit dans l’oeuvre de Proust qui a effectivement connu Charles Ephrussi. Cette période en France est marquée par un antisémitisme de « bon ton » mais cela n’empêche pas les juifs de faire des affaires et de vivre assez bien. On voit la construction près du parc Monceau de merveilleuses maisons , dont la demeure des Camondo qui est un des musées parisiens que j’aime visiter. (La famille Camondo finira à Auschwitz.)

Ensuite, nous irons à Vienne du temps de la grandeur des Ephrussi, les banquiers les plus riches de l’Europe avec les Rothschild . Leur fortune vient d’Odessa et s’est faite avec le commerce du blé. La collection de Charles a été un des cadeau de mariage pour Emmy et Viktor qui ont construit le palais Ephrussi sur le Ring à Vienne. C’est une période faste de presqu’un siècle. La famille est immensément riche et se sent heureuse à Vienne. Cette période est passionnante, l’empire s’effondre après la guerre 14/18 et la famille est pratiquement ruinée mais il se relèveront. L’antisémitisme autrichien est virulent, alors que l’empereur avait décidé de protéger les juifs. Les juifs des pays de l’est qui ont été victimes de pogroms avant la guerre se sont réfugiés en Autriche et en Allemagne, l’antisémitisme en était d’autant plus fort, (l’accueil en grand nombre de gens fuyant la misère et les persécutions est un problème brûlant d’actualité en Europe aujourd’hui). D’un côté il y avait ces riches banquiers et de l’autre ces miséreux que l’on méprisait. Comme l’Autriche a du mal à se relever de la guerre et a perdu sa grandeur, il est facile de chercher des boucs émissaires. Les enfants dont la grand-mère de l’auteur se souviennent bien d’avoir jouer avec ces petits Netsukes.
Et puis, il y a le nazisme et la famille est entièrement spoliée aussi bien leur banque que leurs biens immobiliers et leurs collections. Les Netsukes seront sauvés par une domestique, Anna, qui va les cacher dans son matelas et les rendra à la famille après la guerre. Elle est bien la seule à avoir voulu protéger les biens de la famille et pourtant l’histoire ne connaîtra que son prénom.
La famille est maintenant éclatée entre le Mexique, les USA, l’Angleterre et le Japon. Nous suivons la collection de Netsuke qui est repartie au Japon avec Ignace. Cette partie sur le Japon permet de comprendre d’où viennent ces petites statuettes. La vie au Japon sous la domination américaine est rapidement évoquée, on voit à quel point le démarrage de l’économie a été difficile au début et puis a fini par s’envoler.

La recherche d’Edmund de Waal est très intéressante, même si c’est parfois un peu lent, sans aucune surprise le moment le plus douloureux c’est le nazisme en Autriche et la façon dont après la guerre, les Autrichiens, contrairement aux Allemands, n’ont pas voulu analyser leurs responsabilités dans l’extermination des juifs. Evidemment les réparations pour la famille Ephrussi est totalement ridicule ! La grand mère de l’écrivain, Elisabeth, a recherché les biens de sa famille et comme c’est une juriste elle a su parfois arracher quelques tableaux à une administration autrichienne très peu coopérative. J’adore cette femme remarquable qui a lutté toute sa vie, pour suivre des études universitaires à Vienne, et qui a réussi à arracher son père aux Nazis. Emmy, sa mère, s’est sans doute suicidée.

C’est un livre assez long et très fouillé, je m’y suis sentie très bien, surtout n’imaginez pas que l’antisémitisme est l’aspect le plus important de ce roman, même si mes extraits ont tendance à le montrer, c’est un sujet auquel je suis très sensible . J’ai été triste de refermer ce roman et de laisser cette famille continuer sa vie, je l’espère de façon heureuse

 

Extraits

 

Le début.

 Je pars à la rencontre de Charles sous le soleil d’une après-midi d’avril. La rue de Monceau est une longue rue parisienne coupée par le boulevard Malesherbes, qui monte tout droit vers le boulevard Pereire, où se dressent des immeubles de pierres chaudes une succession d’hôtels particuliers aux façades rustiquées qui jouent discrètement avec des motifs néoclassiques, petits palais florentins décorés de têtes sculptées de caryatides et de cartouches. Voici celui je cherche, juste après le siège de Christian Lacroix. Je découvre accablé qu’il est occupé aujourd’hui par une compagnie d’assurances médicales.

Les frères Goncourt.

C’est dans les salons de Paris que Charles se fait remarquer pour la première fois. Edmond de Goncourt, romancier, diariste et collectionneur connu pour sa plume acerbe, le mentionne dans son Journal, dégoûté que des personnages tels que lui puissent y être conviés. Il note que les salons sont désormais « infestés de juifs et de juives  » et qualifie les jeunes Ephrussi de « mal élevés » et d' »insupportables ». Il insinue que Charles omniprésent, n’a aucune conscience de la place qui est la sienne ; recherchant le contact à tout prix, il est incapable de masquer ses aspirations et de s’effacer au moment opportun.

L’influence japonaise en 1870 à Paris.

 Voilà une évocation saisissante de ce que signifie être un étranger au sein d’une nouvelle culture, remarquable seulement par votre mise ultra-soignée. Le passant jette un second coup d’œil, et votre déguisement ne vous dénonce que parce qu’il est trop complet.
 Cela trahit également le caractère d’étrangeté de cette rencontre avec le Japon. Bien que les japonais fussent très rares à Paris dans les années 1870 – quelques délégations, des diplomates et un principe de temps à autre -, l’art de leur pays était omniprésent. Tout le monde se précipitait sur les « japonaiseries ».

Drumont.

 Cependant les Ephrussi se pensent indéniablement chez eux à Paris, ce qui n’est pas l’opinion de Drumont. Celui-ci déplore en effet de voir « des juifs vomis par tous les ghettos, installés maintenant en maîtres dans les châteaux historiques qui évoquent les plus glorieux souvenirs de la vieille France…des Rothschild partout  : à Ferrières et au Vaux-de-Cernay .. Ephrussi à Fontainebleau à la place de François 1er « . L’ironie de Drumont devant ces aventuriers sans sou rapidement enrichis, qui se piquent de chasse à courre et s’inventent des armoiries, se change en colère vindicative lorsqu’il juge le patrimoine national souillé par les Ephrussi et leurs pareils.

1914.

La situation ne manque pas de cruauté. Les cousins français, autrichiens et allemands, les citoyens russes, les tantes britanniques -toute cette consanguinité redoutée, cette mentalité nomade soi- disant dénuée de patriotisme- se trouvent contraints de prendre parti. À quel point une famille peut-elle se diviser ? Oncle Pips est mobilisé superbe dans son uniforme à col d’astrakan, et devra se battre contre ses cousins français et anglais.

Deux voix discordantes dans le concert pro-guerre à Vienne.

Schnitzler, en revanche, exprime son désaccord. Le 5 août, il écrit simplement : « Guerre mondiale. Ruine mondiale. » Karl Kraus, lui, souhaite à l’empereur une « agréable fin du monde ».
 Vienne est en fête. Par groupes de deux ou trois les jeunesse se rendent au bureau de recrutement, un petit bouquet fixé à leur chapeau. La communauté juive est d’humeur optimiste. Les juifs, affirme Josef Samuel Bloch, « sont non-seulement les plus fidèles champions de l’empire, mais aussi les seuls Autrichiens inconditionnels ».

Vienne après la guerre 14/18.

Vienne qui compte près de deux millions d’habitants, a cessé d’être la capitale d’un empire de cinquante-deux millions de sujets pour faire partie d’un minuscule pays de six millions de citoyens. Il lui est impossible de s’adapter à un tel cataclysme. On débat intensément sur la viabilité de l’Autriche en tant qu’état indépendant, d’un point de vue tant économique que psychologique. L’Autriche paraît incapable de faire face à pareil amoindrissement. Les conditions de la « paix carthaginoise » dures et punitives définies par le traité de Saint-Germain-en-laye en 1919, prévoient un démembrement de l’empire. Il ratifie l’indépendance de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et de la Yougoslavie, et de l’État des Slovènes, Croates et Serbes. L’Istrie et Trieste ne font plus partie de l’empire, amputé également de plusieurs îles de Dalmatie. L’Autriche-Hongrie devient l’Autriche un pays de 750 km de long. Des réparations sont exigées. L’armée réformée rassemble trente mille engagés. Pour citer une boutade de l’époque, Vienne ressemble à un « Wasserkopf », chef hydrocéphale d’un corps atrophié.

Sa grand-mère Elisabeth Ephrussi.

 Je sais qu’Elisabeth n’avait pas vraiment le goût des objets -netsukes ou porcelaine- pas plus qu’elle n’aimait des complications de la toilette. Dans son dernier appartement, elle avait un mur tapissé de livres alors que les bibelots, un chien en terre cuite chinoise et trois pots à couvercle, n’occupaient qu’une petite étagère. Elle m’encourageait dans mon travail de céramiste et m’envoya même un chèque pour m’aider à financer mon premier four, mais cela ne l’empêchait pas de trouver assez drôle que je gagne ma vie en fabriquant des objets. Elle n’aimait rien tant que la poésie, ou l’univers des choses, dense, défini et vivant, est transformé en chant. Elle aurait détesté le culte dont j’entoure ses livres.

Le jour de l’Anschluss.

 Dans toute la ville, on défonce les portes et les enfants se cachent derrière leurs parents et se réfugient sous les lits ou dans les placards, essayant d’échapper au bruit pendant qu’on arrête et qu’on moleste leurs pères et leurs frères avant de les pousser dans des camions, pendant que l’on abuse de leur mère ou de leur sœur. Dans toute la ville des gens font main basse sur ce qui devrait leur appartenir sur ce qui leur vient de droit.
Il n’est pas question de dormir, on ne songe même pas à aller se coucher. Quand ces hommes s’en vont, quand ces hommes et ces garçons finissent par partir, ils promettent qu’ils reviendront et il est clair qu’ils disent vrai. Ils emportent le collier de perles qu’Emmy porte autour de son cou et ses bagues. L’un d’eux s’arrête pour lancer un gros crachat à leurs pieds. Il dévale l’escalier à grand bruit, hurlant jusque dans la cour. Un homme prend son élan pour taper dans les débris à coups de pied, puis ils sortent sur le Ring par la grande porte, l’un d’eux tenant sous le bras une grosse pendule.

L’émotion du petit fils (l’auteur) .

 Le palais Ephrussi, la banque Ephrussi ont cessé d’exister à Vienne. La ville a été « nettoyée » de cette famille.
 C’est pendant ce séjour que je me rends aux archives juives de Vienne – celles qu’Eichmann avait saisies- afin de vérifier certains détails sur un mariage. Cherchant Viktor dans un des registres, je découvre un tampon rouge officiel par-dessus son prénom : « Israël ». Un décret a imposé aux juifs un changement de nom. Quelqu’un a passé en revue tous les prénoms de la liste des juifs de Vienne pour y apposer ce tampon : « Israël » pour tous les hommes, « Sara » pour toutes les femmes.
 Je me trompais la famille n’a pas été effacée, elle a été recouverte. Et c’est cela finalement qui me fait pleurer.

L’après.

 Très peu de juifs choisiront de retourner à Vienne. Sur les 185000 juifs d’Autriche au moment de l’Anschluss, seulement 4500 y reviendront, tandis que 65459 ont trouvé la mort.
 Après la guerre personne n’a eu répondre de cela. En 1948 la république démocratique d’Autriche instaurée à l’issue du conflit a accordé l’amnistie à 90 % des anciens adhérents du parti nazi, et en a fait autant dès 1957 pour les SS et les membres de la Gestapo

 


Édition Seuil, 334 pages, paru en mai 2024

lu dans le cadre de Masse Critique de Babelio

Je dois déjà à Babelio la lecture de « Les oiseaux chanteurs » , qui m’avait ensuite conduite à lire « l’agriculteur d’Alep » qui est certainement mon roman préféré de cette écrivaine.

Dans ce récit à plusieurs temporalités, l’auteure nous raconte la terrible tragédie d’un incendie meurtrier en Grèce en 2017 ou 2021. Elle choisit pour cela une famille, un peu à son image, à la fois grecque et anglaise. La mère est d’origine grecque, ses parents avaient été chassés de Turquie en 1920. Le père, lui, est grec et toute la famille vit dans une région montagneuse tout proche de la mer. Le grand-père vit de la récolte de la résine des pins et prédit depuis plusieurs années une catastrophe à cause de la sécheresse de l’été qu’il sent de plus en plus extrême, chaque année.

Le roman repose aussi sur un sentiment de culpabilité. Qui est vraiment responsable ?

Pour la population, c’est celui-ci qui a allumé le feu.

C’est simple ! D’autant plus que, celui qui a fait cela, est un homme peu aimé dans le village, il avait décidé de construire un grand hôtel au sommet de la colline, la mairie le lui a refusé car il y avait de très beaux arbres sur ce terrain, il a donc décidé de les brûler .

Oui, mais, il faut dire qu’en Grèce tout le monde fait cela ! Mais alors pourquoi ce feu a-t-il pris un tour aussi tragique ?

  • Le vent !
  • Les pompiers qui n’ont pas réagi à temps !
  • La police qui n’a su ni aider ni protéger la population !
  • Les habitants qui n’entretiennent plus correctement les sous-bois !
  • Mais surtout, la forêt était devenue aussi inflammable que de l’amadou avec ces étés de plus en plus secs.

L’incendiaire est retrouvé par la femme qui a réussi à survivre et à sauver sa fille qui a le dos brûlé, et dont le mari peintre a les mains brûlées et ne se remet pas de ne pas avoir pu sauver son père. Elle se rend compte que l’homme est vivant mais avec une corde autour du cou et une branche d’arbre cassée à côté de lui. Elle repart en le laissant puis reviendra, mais trop tard, elle se sent très, très, coupable.

Une des temporalité, c’est justement le sentiment de culpabilité de la mère qui n’a pas tout fait pour sauver cet homme qui a détruit son bonheur.
L’autre temporalité c’est la façon dont cette mère a réussi à sauver sa vie et celle de sa fille, en particulier en la maintenant en vie dans l’eau après avoir réussi à atteindre la mer, malgré les grillages des propriétés qui bordent la mer.

Christy Lefteri raconte aussi la rencontre qui unira Irini, professeur de musique à Tasso peintre, et leur amour pour cette région qui leur donne une énergie que rien ne semble pouvoir atteindre. Rien ? Sauf cet incendie qui ravage toute forme de vie sur son passage et risque d’éteindre l’espoir, mais l’humain est ainsi fait que la vie et le sourire reviendra à la fin du roman.

C’est très bien raconté, et le suspens au moment de la fuite devant le feu est insoutenable. Pourtant, j’ai une petite réserve un peu difficile à expliquer, on sent trop la volonté de l’auteure de montrer tous les aspects du problème posé par les incendies incontrôlables. Par exemple, le personnage qui a allumé le feu est détesté par tout le village, mais Irini recevra sa fille et l’ex-femme de cet homme et l’amour de cette petite pour son père (qui en plus est sourde et muette), met mal à l’aise Irini, cet homme n’était donc pas seulement un monstre ? Les vraies responsabilités sont donc peut-être ailleurs, et personne n’est vraiment innocent en ne faisant pas tout ce qu’il faut pour bien protéger notre planète.

 

Extraits

 

Début.

 Ce matin j’ai vu l’homme qui a allumé le feu. 
 Il a fait quelque chose d’horrible, mais au bout du compte moi aussi.
Je suis partie.
Je suis partie, et à présent il est peut-être mort. Je me le représente parfaitement, tel qu’il était quand je l’ai trouvé sous le vieil arbre. Ses yeux aussi bleus qu’un ciel d’été.

La mythologie grecque.

 La mythologie grecque raconte que Zeus confia à Hermès deux dons destinés à l’humanité : la honte et le sens de la justice. Lorsque Hermès lui demanda s’il devait accorder ces qualités à certains plus à d’autres, Zeus répondit que non : tous les hommes devaient les posséder pour apprendre à vivre ensemble. Déjà en ces temps reculés on comprenait l’importance de la communauté. Les récits et les légendes permettaient de transmettre ses valeurs. Zeus ajouta même que celui qui n’éprouvait ni honte ni conscience d’avoir mal mal agi devait être mis à mort par la collectivité.
Mais c’était il y a des siècles, et depuis nous avons fait des progrès n’est-ce pas ?

La mer pour fuir le feu.

 D’abord la fraîcheur. C’est ce que ressentit la femme lorsque son corps toucha l’eau. La fraîcheur bleue sur sa peau qui la submergeait, l’enveloppait, chassait la chaleur. Elle ouvrit les yeux et vit les bulles de son souffle remonter vers la surface. Puis elle sentit la main de sa fille dans la sienne. Jamais elle ne l’abandonnerait et surtout pas dans un moment pareil.
 Lorsqu’elle émergea pour respirer, elle se tourna immédiatement vers le visage luisant de l’enfant. Sur sa peau, sur ses joues et dans sa bouche haletante, sur ses paupières fermées, partout rougeoyait le feu, comme si elle était faite de flammes. Cette image la hanterait toute sa vie : sa fille en flammes, l’eau et le feu qui scintillait sur son visage.

Responsabilités.

 Et aussi : où est le début, où est la fin ?
 Les gens d’ici ont construit tout le long de la côte des villas bloquant l’accès à la mer. Les gens d’ici n’ont pas ramassé le bois mort dans la forêt, ils ne l’ont pas entretenue, non pas veillé sur elle, n’ont pas pris soin d’elle. Et pourtant nous nous posons en justiciers, face à l’homme qui a allumé le feu, face à la police et aux pompiers.
 La terre était desséchée, plus assoiffée qu’elle ne l’avait jamais été . Qui est responsable de cette situation ?

Avant et Après l’incendie .

 Il y avait très, très longtemps, la forêt était vivante. Il fallait la voir !.Du sol poussaient des fleurs sauvages et des herbes aromatiques. Elle était belle et généreuse. Les oiseaux survolaient les bois, des animaux se glissaient à l’ombre des arbres vénérables et l’eau ruisselait du sommet de la montagne jusqu’à la mer. Mais depuis le feu, la forêt avait perdu ses contours. 
Avant il y avait des pins, des sapins, des peupliers, des platanes et des chênes. Ici vivaient des bellettes et des visons, des chats sauvages et des blaireaux, des lapins et des lièvres et des hérissons et des taupes et des rats et des lézards et des scarabées. Un beau cerf élaphe parcourait les plaines.
Il ne restait que le néant.
 À la place des couleurs de la forêt, les ténèbres avaient recouvert la terre.

Édition la Table Ronde, collection la petite Vermillon, 1937 puis 1999 et Janvier 2024, 410 pages.

Traduit de l’anglais par Frédérique Daber

 

Dès que je saurai qui a été ma tentatrice (ou, mais cela m’étonnerait, mon tentateur) , je mettrai un lien vers son blog.

Je me réjouissais tellement de lire ce roman et de partir loin des horreurs mêmes bien décrites de l’antarctique, mais, malgré mon envie de me plaire chez les nobles anglais habitant l’Irlande, j’ai été déçue par ce roman.

Comme le dit Nathalie Crom dans sa préface , il fallait bien connaître de l’intérieur la noblesse protestante qui vit en Irlande pour décrire avec autant de minutie leur quotidien. Cela est certainement vrai, mais voilà, est ce que cette vie est intéressante ? pour moi à l’évidence la réponse est … pas trop !

Le roman commence dans une maison genre manoir aux apparences d’un château au bord d’une rivière aux eaux sombres, Garonlea. Les habitants au début du XX° siècle y sont particulièrement malheureux, car ils vivent sous l’autorité de la femme d’Ambrose un mari falot qui ne conteste jamais les décisions, même les pires, de son épouse Lady Charlotte McGrath. Leur fils, Desmond vit en pension loin de cet endroit qui suinte l’ennuie et la méchanceté mais les quatre filles sont tyrannisées par cette mère sans même penser à se révolter, sauf la petite dernière Diana. Muriel restera tout sa vie au service de son horrible mère, Enid sera mal mariée à Arthur qu’elle a cru aimer, Violette aura un vrai mariage .
La deuxième partie, voit l’arrivée de Cynthia la fiancé puis l’épouse de Desmond qui s’installe en face à Rathglass, voilà une jeune femme lumineuse qui va éteindre peu à peu le règne de Lady Charlotte. Hélas la guerre 14/18 verra la mort de Desmond mais aussi le bonheur de Diana qui vient vivre avec Cynthia et fuit l’horrible demeure de Garonlea. elle sera d’un grand secours pour sa belle soeur et ses neveux Simon et Sue pour qui la belle Cynthia n’a aucune tendresse, d’autant plus qu’ils ont tous les deux peur de monter à cheval ! Pourtant seule occupation digne d’un noble anglais

La boucle du roman se termine quand Simon hérite de Garonlea et que Cynthia arrache à cette demeure toutes les traces du passé, en luttant contre son fils qui pour s’opposer à sa mère qui n’a pas su l’aimer, ni lui ni sa soeur, veut redonner à cette demeure l’allure qu’elle avait sous le règne de sa grand-mère la méchante Lady Charlotte. Au grand désespoir de Diana qui a été si malheureuse quand elle était enfant à Garonlea.

À quoi s’occupent ces gens dont les revenus semblent sans limite ? La chasse et les fêtes , voilà tout. Dans cette Irlande où dans ces famille-là on passe son temps à se moquer des balourds d’Irlandais, on vit entre soi sans aucun rapport ni avec les domestiques ni avec la population. Le roman se concentre sur les décors des demeures, les détails des vêtements des femmes, et toutes les péripéties de la chasse et les chevaux. Pour faire une comparaison de la célèbre série Downton Abbey, ce serait les Crawley sans les domestiques ni le village. On passerait notre temps de réception en réception et la série n’aurait assurément aucun succès. Malgré les histoires d’amour de la belle Cynthia.

C’est le cas pour ce roman, avec, il est vrai une analyse très poussée des sentiments de chaque personnage, mais comme ils ne sont pas ancrés dans une réalité , leurs personnalités semblent venir ex nihilo, comme des données intangibles : Lady Charlotte est méchante, Cynthia est brillante, Diana est gentille et sera dévouée à Cynthia toute sa vie …

Bref un roman que j’ai lu sans grand intérêt , il faut dire que ma passion pour le belles robes et les bals est limitée, je reconnais quand même à cette écrivaine une honnêteté sans faille à propos de les description de la vie oisive et superficielle de la noblesse protestante qui vit au milieu d’Irlandais qui, un jour, les chasseront avec violence de leur pays.

 

Extraits

Début.

Comme nous connaissons mal les premières années du xxe siècle. 1901, 1902, 1903 et jusque 1914 : les années de brume. Loisirs, richesse, espace, premiers automobilistes en cache- poussière, courage des pionniers de l’aviation, certes tout cela nous impressionne. Mais nous ne ressentons pas vraiment cette époque, du moins pas comme nous ressentons celle de la guerre mondiale. Là, nous sommes véritablement conscients.

Portrait de la mère tyrannique.

Lady Charlotte French-McGrath, qui marchait derrière ses filles, était un abominable tyran, littéralement bouffi de vanité familiale et d’un effroyable orgueil de caste. Elle avait une vision étrange de sa propre puissance, vision qu’elle avait bel et bien réalisée en vivant surtout à Garonlea, en compagnie d’un époux dévoué, d’enfants terrorisés et de nombreux fermiers et serviteurs. Elle avait vécu à Garonlea, elle y avait souffert, elle en était le chef suprême.

Le père.

Ambrose French-McGrath, l’homme qui avait conçu ces jeunes filles, était un être triste et inquiet qui préférait nettement la compagnie de ses inférieurs à celle de ses égaux par la naissance et la position sociale.
Il était terriblement fier de sa maison et de sa terre et sa fierté était émouvante : c’était celle de locataire à vie (…)
Il y avait si peu de choses à dire lorsqu’on voulait parler d’Ambrose, cet homme falot, triste et tendre. Sa personnalité était comme camouflée dans les circonstances de sa vie : « fils du vieux Desmond McGrath, le type le plus drôle du monde », « sa femme est étonnamment efficace », « meilleure chasse à la bécasse de toute l’Irlande », voilà ce qu’on disait d’Ambrose. De sa personne jamais rien.

Tenir son rang.

 Cynthia, la vie et l’âme de ces lieux. Cynthia, l’hôtesse modèle. La mère accomplie. La châtelaine vénérée de Garonlea, accusée d’avoir l’indécence de paraître malheureuse. Le malheur était un attribut de l’échec. C’était une incorrection envers ses invités que de laisser voir de la tristesse en une si joyeuse occasion. On ne devait pas se laisser aller un seul instant.

Les tenues de la jeunesse des filles de Lady Charlotte.

 Comment se faisait-il que ce temps de leur jeunesse pût paraître à présent comique ? À l’époque romantique où elles les portaient, ces vêtements leur avaient semblé parfaits. Tout ce que l’on trouvait à dire pour leur défense maintenant, c’était qu’ils ne différaient pas tellement de ceux d’aujourd’hui. Il était impossible de dire ; « Nous étions ravissantes dans ces vêtements. Les hommes n’avaient d’yeux que pour nos seins rebondis. Nous avions des principes auxquels nous croyions dur comme fer. Nous n’étions pas grossières, malheureuse, et plates comme le sont nos filles. »
Pas malheureuse ? Cette façon de nier l’évidence, aussi, était typique de l’époque.

Bon résumé de la vie de cette noblesse

Elle avait beaucoup aimé ses vêtements. Elle les avait choisis avec un goût sûr et original, les avait portés avec le plus grand succès et les avait appréciés bien au-delà de tout de utilitaire. Parce qu’ils faisaient partie d’elle, de sa beauté, de son prestige et de sa puissance, la moindre intrusion dans cette garde-robe de fantômes et de souvenirs l’eût enragé. Toutes ces robes étaient à elle, elles étaient sa vie. Pas un passé vague et indistinct. Elles avaient souligné sa beauté, lui avaient été chaudes ou légères, avaient vécu avec elles des heures d’amour, de terrible solitude, de vive satisfaction.

Je n’aime pas ce genre de procédé.

( en plus on attend évidemment la suite, mais en réalité ici rien ne va se passer autrement que la continuité roman)

Supporter cette première éclipse de son autorité. Tout cela l’épuisait. Mais elle eût souffert plus encore si elle avait su où cela allait la mener.

 


Édition Stock août 2023. Traduit de l’anglais par Carine Chichereau

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce livre qui raconte l’exode des Vietnamiens après la fin de la guerre et l’installation du régime communiste, m’a beaucoup marquée .Ma génération n’a sans doute pas oublié les « boat-people » et les différents drames qu’ils ont connus. Les camps, les attaques des pirates Thaïlandais, le peu d’empressement des pays occidentaux à les accueillir. Mais la mémoire est ainsi faite, un drame en chasse l’autre et même si on se souvient, on est moins dans l’émotion.

Le livre de Cécile Pin qui se fonde sur l’histoire de sa propre famille, incarne cette immense tragédie et nous ramène dans ces temps horribles où si peu de gens leur venaient en aide. En France, la victoire des communistes semblait une cause juste et il a fallu du temps pour ouvrir les yeux sur la répression qui s’abattait sur une population déjà meurtrie par la guerre.

C’est un récit à plusieurs voix : une voix narrative qui suit le parcours de Anh et de ses deux plus jeunes frères Minh et Thanh . Les parents les ont envoyés vers Hong Kong quelques jours avant leur propre départ. La voix de l’écrivaine Cécile Pin quand elle décrit différents faits historiques qui ont marqué son pays d’origine, et enfin la voix du petit Bao qui tel un fantôme hante cette histoire.

Anh a seize ans quand elle quitte son village et sa famille, hélas ! le bateau qui devait conduire ses parents à Hong-Kong a coulé. Ses parents, le bébé et le jeune Dao sont morts noyés. On retrouvera leur corps sur une plage, alors, à 16 ans, elle devient chef de famille et nous fait découvrir au plus près de la réalité le destin des Vietnamiens, on les suit dans différents camps de réfugiés à Hong Kong puis au camp qui les attendait à Londres et enfin dans le petit logement social qui leur a été attribué à Londres. Son malheur , c’est qu’elle ne sait jamais si elle en fait assez pour ses deux frères : Minh ne réussira pas l’école et Thanh ne sera pas pris à l’université. Elle même reprendra ses études et se mariera avec Tom un homme originaire de Chine. Elle va fonder une famille solide, unie, bien insérée socialement, mais pour autant le poids des morts pèsera beaucoup sur ses épaules.

Dans sa recherche historique, l’auteur rappelle des faits horribles qui se sont peut-être éloignés dans notre mémoire. Mais pourtant, c’est si important de se souvenir ! Dans ces textes nous trouverons l’origine du titre, lors de la guerre du Vietnam les américains n’ont pas manqué d’imagination morbide. Ils ont par exemple fait peur aux habitants en amplifiant des sons des mourants et en les envoyant dans la jungle. Mais aussi ce qui s’est passé avec les pêcheur Thaïs qui ont assassiné et violé des gens sans aucune défense .
Enfin la voix de Dao ce petit frère qui erre effectivement comme une âme qui ne trouve pas le repos.

Ainsi ce livre est un tout qui mélange le narratif et le récit historique et fait comprendre au plus près de la réalité ce que les Vietnamiens ont subi, le dernier épisode des 25 personnes mortes étouffées dans un camion sur une route anglaise montre que leur calvaire n’est pas terminé et rejoint celui des migrants contemporains.

 

Extraits

Début.

Novembre 1978- Vung Tham, Vietnam

Il y a les adieux, et puis on repêché les corps- entre les deux, tout est spéculation.
Dans les années à venir. Thi Anh laisserait les souvenir atroce du bateau et du camp s’en aller, goutte à goutte, jusqu’à n’être plus que murmures.

 

Le titre.

 Il leur a présenté un système de sonorisation en désignant la jungle toute proche. « Il faut aller là-bas poser l’engin pas trop loin du camp et appuyer sur lecture . » Il a sorti une cassette de sa poche avec une étiquette sur la tranche : « Cassette fantôme n° 10 » . Smith l’a insérée dans l’appareil et a jeté un coup d’œil aux deux soldats riant de leur perplexité.
« Opération Âme Errante » a-t-il dit pour foutre une trouille de tous les diables à ces niakoués. »

Les pêcheurs thaïs …

Il semblerait qu’environ cinq-cents pêcheurs Thaïs aient violé à tour de rôle trente-sept femmes sur Ko Kra pendant vingt-deux jours consécutifs ce mois-ci. Ces femmes étaient à bord de quatre bateaux différents et elles ont été amenées sur Ko Kra par les pêcheurs qui ont pris d’assaut leurs embarcations pour les empêcher de fuir.

Ce qui a aidé son frère en Angleterre.

Son voisin ne connaissait que le début, et bientôt il passa à « Yesterday » et « Hey Jude » puis une fois son répertoire des Beatles épuisé, il retourna dans le bungalow en disant à Thanh de l’attendre. Quelques minutes plus tard, il revint avec un morceau de papier où il avait noté des mots en anglais dont Thanh ignorait le sens : Pink Floyd, Led Zeppelin, Fleetwood Mac.
« Quand tu seras en Angleterre, il faut que tu trouves les disques de ces groupes-là. »

Le poids qui pèse sur les épaules de l’écrivain.

Je m’aperçois qu’il y aurait encore beaucoup à dire.
Je pourrais raconter aux gens les viols, les meurtres, les rumeurs de cannibalisme.
J’ai lu des témoignages, des livres, des journaux, des encyclopédies, et toute ces connaissances sont devenues un fardeau que je porte. Mais dans quelle mesure dois-je en parler ?

Les inquiétudes d’une mère .

 Elle s’était inquiétée à propos des drogues et de l’alcool, du racisme et de la violence, mais elle n’avait jamais craint que Platon et Aristote, Kant et Marx puissent lui ravir sa fille. Anh imaginait Jane traînant avec ses amis défoncés, débattant du sens de l’existence, de la vie après la mort, et elle songeait :  » Quelle perte de temps incroyable ». À ses yeux, la vie c’était la vie ; ce qu’il y avait après, c’était ce que vous vouliez. Mais elle taisait ses craintes. Elle n’avait pas envie de tomber dans le cliché – la mère immigrée, la mère-tigre. Ainsi encouragée par son mari, Android avait donné à Jane sa bénédiction pour aller faire ses études à Leeds, se préparant mentalement à ce qu’elle soit au chômage pour le restant de ses jours. 

 

Édition Gallimard NRF, novembre 2022, 200 pages

Traduit de l’anglais par Blandine Longre

 

Un roman que je n’ai pas réussi à finir et pourtant je le mets sur Luocine car j’espère que certains ou certaines auront apprécié ce roman et pourront m’expliquer son succès. Dès le début, j’ai eu du mal avec cette vision du diable dans un train

J’aimerais mon revenir avec toi, Jeffers, à cette matinée parisienne avant que je ne monte dans ce train où se trouvait le diable bouffi aux yeux jaunes : j’aimerais te la faire voir.

La narratrice s’adresse tout le temps à Jeffers que l’on ne connaît pas et je ne comprends pas pourquoi. Elle semble torturée et ses pensées sont tortueuses comme ses phrases.

Alors j’ai laissé ce roman au bout d’une centaine de pages, et puis courageusement je l’ai repris et cette fois je suis tombée en arrêt devant les pommes de terre plus savantes que les humains et j’ai pris une grande décision : je referme ce livre et je vous laisse avec les pommes de terre et leurs « petits bras charnus » !

À cette époque de l’année -le printemps-, les tubercules que nous y entreposons commencent à germer, même si nous les conservons dans une complète obscurité. Il leur pousse ces petits bras blancs et charnus car elles savent que la saison nouvelle est là et, parfois quand j’en observe une, je me rends compte qu’une pomme de terre en sait davantage que la plupart des humains. 

 


Édition Albin Michel. traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff

 

C’est chez la Souris Jaune que j’ai trouvé cette lecture (je remarque que peu d’entre vous allez sur ce blog, j’espère que vous irez voir, il y a beaucoup de bonnes idées à piocher.)

J’ai eu au début du roman un peu de mal à me mettre dans ce récit car l’auteure a décidé d’utiliser le dialogue pour nous faire comprendre ce qui arrivait à Nicola qui vient de se faire plaquer sèchement par Jonathan après plusieurs années de vie commune. Elle était heureuse avec lui et cette nouvelle lui arrache le coeur . Peu à peu, ce roman, m’a touchée sans doute pour quelques résonnances personnelles. Cette femme qui pleure tous les jours, pendant un moi, sans comprendre le fameux « Pourquoi ? » « Qu’ai-je fait ? » est très bien décrite et peu à peu reprend vie. Madeleine St John décrit bien aussi ses amies et la vie londonienne. Le portrait de l’ami radin et profiteur est sans doute très proche de la réalité. Mais c’est surtout le chemin de Nicola qui est prenant on espère qu’elle arrivera à prendre conscience de sa propre valeur. Jonathan est moins intéressant on ne le comprend pas bien, et la fin est très insatisfaisante , en tout cas pour moi. Pour créer une tel séisme chez une personne qu’on a aimé il faut avoir des raisons très forte or il semble complètement incapable d’expliquer sauf par la peur de s’engager. Je n’ai absolument pas vue le côté jubilatoire que décrit La souris Jaune, l’ensemble est plutôt triste et peu réconfortant sur la nature humaine.

Une excellente analyse de la rupture vue du côté de la femme moins du côté masculin.

Extraits

Incipit.

 Nicola était encore sur le seuil quand Jonathan commença à parler : elle n’avait même pas eu le temps d’enlever son manteau. C’était un soir de printemps plutôt froid : on avait encore besoin d’un manteau quand on sortait après la nuit tombée.

Portrait.

Ce n’est qu’un juriste de plus. Un de ces crétins bien conventionnels et surpayés qui se la pètent et qui ne veulent surtout pas se mouiller. Pas mon genre mais c’est pas grave … je boirai volontiers son pinard chaque fois que l’occasion se présentera.

Sexe et amour.

 Il avait toujours été évident pour Nicola que l’on ne pouvait pas avoir de rapports sexuels avec quelqu’un qu’on n’aimait pas. C’était une impossibilité physique et spirituelle, et plus elle constatait l’empressement d’autres êtres humains à infirmer cette assertion, plus son incrédulité augmentait, au point qu’elle ne pouvait que hausser les épaules en se disant : Soit ! Elle n’arrivait même pas à imaginer comment – physiquement spirituellement – on pouvait oser enlever tous ses vêtements devant, c’est-à-dire pour, un homme (ou le cas échéant une femme) qu’on ne connaissait pas, en qui on ne croyait pas et qu’on aimait pas sincèrement, profondément et de tout son cœur.

 



Éditions 10/18 . traduit de l’anglais par Marcelle Sibon

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un roman qui prend toute sa place dans le thème « Espionnage à l’anglaise » du club de lecture et qui m’a fait découvrir un aspect de Graham Greene que je ne connaissais pas. Délicieusement « british » c’est à dire avec un humour sans pareil, l’auteur se moque des services secrets britanniques. Mais un peu comme dans l' »Opération Sweet Tooth », il fait comprendre combien il est aisé pour un homme ayant un peu d’imagination de créer des espions, plus vrais que nature, mais totalement fictifs qui peuvent tromper les services secrets. On pense au roman le plus connu de Graham Green « le troisième homme », et celui-ci apparait comme une parodie des romans sérieux sur l’espionnage et le contre espionnage, quel humour tourné vers lui-même en tant qu’auteur et l’Angleterre qui est bien ridiculisée ici ! Notre pauvre Mr Wormold vendeur d’aspirateur à La Havane n’aurait jamais dû accepter d’être être recruté comme agent secret. Seulement voilà, il a une fille, Milly qui a des goûts de luxe, notre pauvre Wormod va devoir inventer de faux espions et de faux documents que les services de Londres vont avaliser sans broncher et pour lesquels ils vont lui verser de l’argent.

C’est drôle et cela donne bien l’ambiance à La Havane avant la révolution.

L’écriture est gentiment désuète mais très agréable, un bon moment de lecture pour un soir d’hiver avec une tasse de thé ou un verre de Whisky .

 

Extraits

Début.

 

-Ce noir qui descend la rue, dit le docteur Hasselbacher debouts dans le « Wonder Bar », il me fait pense à vous Mr Wormod.

Réponse d’un Anglais au « Buenos dias » !

 – Je ne parle pas leur baragouin, répondit l’inconnu.
 Le mot trivial faisait tache sur son costume comme une bavure de jaune d’œuf après le déjeuner.
– Vous êtes anglais …
– Oui

Recrutement d’un espion (humour) .

 Il se demandait comment l’on recrute un agent. n’arrivait pas à se rappeler exactement comment Hawthorne l’avait recruté, lui, sauf que toute l’histoire avait commencé dans les water-closets, mais cela ne devait pas être une condition essentielle. 

Petite leçon sur les torturables .

-Qui fait partie de la classe torturable ?
– Les pauvres de mon propre pays … et de toute l’Amérique latine. Les pauvres d’Europe centrale et d’Orient. Bien entendu, dans vos « États providence » vous n’avez pas de pauvres… aussi êtes-vous intorturbables. À Cuba la police peut traiter avec autant de brutalité qu’elles le désirent les émigrés venus d’Amérique latine ou des pays baltes, mais pas les visiteurs de votre pays ou de Scandinavie. C’est une question d’instinct, de part et d’autre. Les catholiques sont plus torturables que les protestants, de même qu’ils sont de plus grands criminels. 

 

 

Éditions Pocket . traduit de l’anglais par France Camus-Pichon

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Voilà un livre dont la critique est pour le moins compliquée. Je vous explique pourquoi : la plupart de mes critiques négatives sont tombées lors du dernier chapitre. Et évidemment le clan des anti-divulgâcheuses va me tomber dessus à bras raccourcis si je vous en explique davantage.

Alors tant pis je suis la chronologie du récit, sinon vous ne le lirez pas ce billet !

Sachez quand même qu’à la page 153 vous lirez ceci :

En un sens c’est là que l’histoire commença, lorsque je pénétrai dans ce bureau et que l’on me l’expliqua en quoi consistait ma mission.

Pauvre lecteur ! 153 pages où il ne se passe pas grand chose , enfin si, la vie de Serena une jeune fille de la classe moyenne Britannique qui aurait voulu étudier la littérature anglaise, pour assouvir sa passion de la lecture. Mais sa mère, une maîtresse femme, qui gère sa famille de main fer, son mari pasteur anglican puis évêque et ses deux filles décide que, puisque Serena est très bonne en mathématiques, elle ira étudier cette matière à Cambridge. Elle y passera une licence sans prestige mais rencontrera, d’abord Jeremy qui s’avérera préférer les hommes aux femmes et son premier grand amour un professeur plus âgé qu’elle qui la fera rentrer au service du contre-espionnage anglais.

la voici donc espionne et c’est particulièrement ennuyeux jusqu’à ce qu’on lui propose de participer à l’opération « Sweet Tooth » qui consiste à encourager des auteurs à écrire si possible des livres anti-communistes. Nous sommes en pleine guerre froide. Elle rencontrera alors Tom Haley à qui elle proposera de l’argent d’une fondation (qui est en réalité une officine des services secrets britanniques) pour écrire un roman. Elle en tombera follement amoureuse et sera tourmentée par le fait de dévoiler ou non son appartenance au service secret. Malheureusement à l’intérieur du service un homme est aussi amoureux d’elle et cherchera à lui nuire.

C’est donc un roman qui parle beaucoup du plaisir de la lecture et de la création littéraire. Serena est une dévoreuse de livres, on peut se retrouver dans ses réactions face aux personnages de romans. Il permet aussi de décrire les services secrets et la misogynie qui y règne.

Classer ce roman dans la catégorie roman policier (comme il l’était dans une bibliothèque que je fréquente parfois) risque d’induire les amateurs du genre en erreur. La création littéraire, voilà le thème principal. D’abord à travers les lectures de Serena qui décortique un roman et nous en fait comprendre les ressorts très rapidement, et à travers le travail de Tom Haley qui s’attelle à l’écriture de son premier grand roman.

Et c’est aussi un roman d’amour, car une des clés de l’intrigue ce sont les sentiments amoureux de Serena pour Tom Haley. Bien sûr le cadre dans lequel cela se passe c’est le contre espionnage, et l’auteur en fait une description qui n’est pas à l’honneur des services britanniques. Les femmes sont tenues à des rôles de subalternes quelles que soient leurs diplômes ou leur qualité. Qui enverra-t-on faire le ménage dans une planque qui a été occupée pendant des mois par un homme qu’on voulait cacher ? Serena et son amie bien sûr !
Pourquoi est ce que j’ai des réserves sur ce roman ? Même si j’en ai l’explication au dernier chapitre, je n’ai pas réussi à oublier l’impression d’ennui que m’a procuré les cent cinquante trois premières pages. Les personnalités des membres de la famille de Serena sont plus esquissées que réelles, on verra à la fin que c’est tout à fait normal. Mais bon, c’est aussi un procédé et je n’aime pas trop qu’un livre se construise de cette façon.

Je suis certaine que ce romans sera chaudement défendu à notre club de lecture, je suis souvent toute seule à ne pas aimer le suspens. Ici il n’y en a pas vraiment mais un superbe renversement de situation. J’espère ne pas en avoir trop dit pour vous.

 

 

 

Extraits.

Début.

 Je m’appelle Serena Frome (prononcer « frume » comme dans plume) et, il y a près de quarante ans, on m’a confié une mission pour les services secrets britanniques. Je n’en suis pas sorti indemne. Dix-huit mois plus tard j’étais congédiée, après m’être déshonorée et avoir détruit mon amant, bien qu’il eût certainement contribué à sa propre perte.

Les portraits comme je les aime.

 Elle représentait la quintessence ou la caricature de l’épouse de pasteur, puis d’évêque anglican : une mémoire phénoménale des noms, visages et tourments des paroissiens, une façon bien à elle de descendre une rue en majesté avec son foulard Hermès, une attitude à la fois bienveillante et inflexible envers la femme de ménage et le jardinier. Une courtoisie sans faille qui s’exerçait à tous les échelons de la société dans tous les registres.

Encore un portrait comme je les aime.

Il était mal habillé intelligent sans ostentation, et d’une politesse extrême. J’avais remarqué plusieurs spécimens du genre dans mon entourage. Tous semblaient descendre d’une seule et unique famille et venir d’école privée du nord de l’Angleterre, où on leur avait fourni les mêmes vêtements. Ils étaient les derniers hommes sur terre à porter des veste de tweed avec des parements et des coudières en cuir. J’appris mais pas de sa bouche, qu’il aurait sûrement sa licence avec mention très bien et avait déjà publié un article dans une revue universitaire sur la Renaissance.

Comparaison amusante.

 De même qu’à l’armée on initie les jeunes recrues à l’heure nouvelle vie en leur faisant éplucher des pommes de terre et récurer la cour avec une brosse à dents avant un défilé, je passai mes premiers mois à compiler les liste des membres de toutes les sections du parti communiste de Grande-Bretagne et à créer des dossiers sur ceux qui n’apparaissaient pas encore sur nos fichiers.

On entend souvent le même genre d’arguments.

 C’est un déshonneur collectif de n’avoir pas localisé ces cellules terroristes ni démantelé leurs circuits d’approvisionnement. Et – thèse principale du général- cet échec s’expliquait avant tout par le manque de coordination entre les différents services de renseignement. Trop d’agences, trop d’administrations défendant leurs prérogatives, trop de conflits d’attributions, un commandement insuffisamment centralisé.

Portrait de la sœur ex- hippie.

 Elle pointait au chômage, fumait du haschich, et, trois heures par semaine, elle vendait des bougies arc-en-ciel sur le marché du centre ville. Lors de ma dernière visite chez nos parents, elle évoqua ce monde névrosé, concurrentiel, « formaté » qu’elle avait laissé derrière elle. Quand j’indiquais que c’était également le monde qui lui permettait de mener une existence oisive, elle avait ri et répondu :  » Ce que tu peux être de droite, Serena ! »

L’heure d’hiver.

 Avec la fin du mois d’octobre revint le rite annuel de la mise à l’heure d’hiver des pendules, qui referma le couvecle de l’obscurité sur nos après-midi, assombrissant encore l’humeur de la nation

Regard sur une génération.

 Luke tombait dans le travers inexcusable des fumeurs de cannabis, qui ne parlent de rien d’autre et donnent tous les détails une résine célèbre provenant d’un petit village de Thaïlande, la terrifiante descente de police à laquelle ils avaient échappé de justesse un soir, la vue sur un lac sacré au coucher du soleil après avoir fumé, un malentendu désopilant dans une gare routière et autres anecdotes assommantes. Qu’arrive-t-il à notre génération ? Nos parents nous avaient ennuyé avec la guerre. Pour nous, voilà ce qui la remplaçait.