Édition, Quebec-Amérique

Merci Aifelle pour cette superbe suggestion. Quel beau roman ! sur un sujet si triste ! Tout vient de l’écriture de cet écrivain que je connais grâce à toi Aifelle et donc, j’ai aussitôt acheté « le jour des corneilles » et cela permet de voir l’étendue du talent d’écrivain de Jean-François Beauchemin.

Dans le roitelet l’auteur évoque la vieillesse d’un écrivain qui doit beaucoup lui ressembler, il aime sa femme son jardin, ses promenades dans une nature dont il savoure les différents aspects et surtout son amour pour son frère. Celui-ci est schizophrène, il souffre beaucoup, surtout quand ses démons l’envahissent. Sa souffrance bouleverse le narrateur et on comprend si bien pourquoi. L’auteur a choisi d’exprimer son affection pour ce frère blessé par une maladie que l’on de sait pas soigner (ou si mal : en abrutissant le malade de médicaments), il le fait grâce à de cours chapitres qui sont autant de petits poèmes en prose. J’ai adoré ce livre, et comme Aifelle je ne peux que vous inciter à le lire, j’espère mes extraits vous en donneront envie.

 

Citations

Début de la maladie de son frère.

 Mon frère n’était pas aussi confiant. Je sentais la présence en lui d’une menace, d’un traumatisme naissant. L’adolescence est une période de remodelage du cerveau : le programme de maturation qui bientôt fournira les codes de l’âge adulte fait l’objet d’importants bouleversements. De nouvelles connexions neuronales se mettent en place, tandis que d’autres s’évanouissent. Des accidents se produisent, paraît-il, lors de cette grande période de reconfiguration qui rendent certaines jeunes personnes particulièrement fragiles inaptes à gérer les situations émotionnellement éprouvantes.

Première scène traumatisante et titre du livre.

 Passant en quelques secondes de l’optimisme le plus vrai à une sorte de neurasthénie prophétique, il a eu cette formule à vous glacer les os :  » Je suis de moins en moins réel. C’est atroce. » Un fulgurant éclair de compréhension semblait le traverse. Accablé tout à coup, pleurant presque, il s’est ensuite appuyé sur un arbre et a prononcé ces mots funestes : « J’ai cessé d’être tout à fait dans cette vie. Je sens que s’ouvre devant moi les portes d’un pays terrible, et que j’y suis repoussé comme à la périphérie des choses et du Monde. »
 A ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête.

Humour .

 Il est venu ce matin encore frappé à ma porte. Je n’avais pas versé le café dans les tasses que déjà il me disait ces mots. « Tu devrais écrire un livre dans lequel rien n’arrive. » J’ai trouvé l’idée d’autant plus séduisante que j’ai sous la main, avec ma vie très banale, une grande quantité de matière à partir de laquelle travailler.

Souffrance du schizophrène.

Je notais cependant que la lumière changeait, et devinais que, de l’autre côté des feuilles d’aluminium, le soleil lentement commençait à descendre. J’ai senti petit à petit mon frère reprendre le dessus sur les démons qui depuis cinquante heures l’assaillaient. Puis je l’ai vu se détendre enfin, se défaire de l’emprise terrible de son angoisse, s’allonger et s’endormir, épuisé, comme s’il venait de combattre à mains nues un fauve, ou un dragon crachant le feu par les narines. 

Confidences de son frère schizophrène.

 Toi, si tu es pourchassé par un malfaiteur tu as toujours la possibilité de courir te mettre à l’abri. Moi je ne le peux pas. Le malfaiteur est dans mon cerveau et je ne peux pas m’enfuir..

Les questions sur Dieu.

 Pourquoi Dieu ne m’aime il pas ? Après tout c’est son métier d’aimer les gens
 Je crois en Dieu. Je n’ai d’ailleurs pas le choix : dans cette vie il n’y a pas moyen de faire autrement. Mais lui ne me paraît pas tellement croire en moi.

Le sens de la vie.

« À quoi sert l’art, aujourd’hui, dans ce monde où nous vivons ? » Elle achevait d’enfiler sa robe lorsqu’elle m’a dit : « Il me semble que c’est une sorte d’acte de résistance. Rien de prodigieux. Pour tout dire, je crois que la peinture, la littérature, la photographie, la musique ou le cinéma, de toutes ces choses-là, pour la plupart, ne contribuent que très modestement à la bonne marche du Monde. Les œuvres d’art de sont qu’un signal, un phare émettant une faible lueur au milieu de la nuit. Faible, oui. Mais c’est la seule dont nous disposions. »
Édition, libretto
Toujours recommandé par Aifelle,  j’ai enchaîné avec cette lecture complètement différente pour l’écriture. Mais pas tant que ça pour le thème. Parlons d’abord de l’écriture, dans un style absolument original qui rappelle la langue du XVI° siècle, (Rabelais ou Montaigne), un jeune raconte à des juges que nous entendrons jamais sa vie incroyable avec un père maltraitant et malade mental. Et voilà la schizophrénie qui revient. Car son père est habité par des démons qui le pousse à torturer son fils. Si on raconte l’histoire cela ne vous conduira peut-être pas à lire ce texte et ce serait dommage. je raconte rapidement, l’histoire : un père vivant dans une forêt canadienne avec son petit garçon. La raison de cet homme a sombré quand sa femme est morte en couche et il n’arrive pas à aimer cet enfant qui lui recherche sans cesse l’amour de son père. Son père déteste aussi les habitants d’un village pas si loin de leur forêt. On comprendra plus tard ce qui a poussé cet homme à fuir le village avec sa femme. On situe mal cette histoire dans le temps et on ne lui demande pas non plus d’être vraisemblable. Tout l’intérêt du livre vient du style et de la façon de raconter. J’ai adoré ce livre pourtant aux limites du fantastique ce qui d’habitude me fait fuir.
J’espère que mes extraits vont vous plaire.

Citations

Style de l’auteur et folie du père.

 Après l’enfouir de mère et mon breuvement de lait, père, moulu par le chagrin, s’allongea pour la nuit, non sans avoir bien refait le capiton de ma propre paillasse et établi ci-dessus. C’est à l’aube suivante que ces gens parurent en son casque pour la première fois. Après déjeuner, à peine avions-nous avalé le gruau de joubarbe que voilà père qui gesticule et commence de se débattre avec ses visiteurs cependant aussi invisibles que pet de mosquée Ça dure, ça dure, la sueur ruisselle sous la liquette de père, car il arpente la cabane, et s’agite et grogne et semonce, et rouspète et menace ses gens. Puis vient un moment d’allumettes, et père s’établit sur le taboureau. Sa conversation, toutefois, persévère. Quoique fort-vert, j’avais déjà l’œil ouvert et l’aptitude agile. Aussi traduisis-je vivement le sens de cette émeute : quelque part sur le chemin séparant la tombe de mère et le seuil de la cabane, père avait égaré l’entendement.

J’accepte facilement les mots que je ne comprends pas car j’aime cette façon d’écrire.

 Il nous tardait, en effet, non seulement d’assurer le repas du soir, mais aussi de regarnir notre magasin d’accoutres. Car nos cache-esgourdes, excuse-train, mitaines, godillots-de-poil, tapisse-parties,escorte-blair et pousse-cuisses habituels menaçaient d’usure

 Je le talonnai long de temps, le pied rêveur, le casque résonnant de ses paroles. Surtout, je remuai la question posée par grand matin. En effet que contenait donc le cœur de mère ? Plus tard lorsque je perçais notre première bête puis que j’en retirais discrètement la flèche, je crus concevoir le répons que j’appelais. Oui, mère était ainsi que le déchirement de l’aube ; son corps pourrait bien passer et tomber sous la brossée de la mort. Mais son cœur ne se résignait guère au trépas. 

La question que le lecteur se pose pendant tout le livre.

 D’où me venait que malgré ses cruels mouvement à mon endroit, je le chérissais cependant plus que l’existence même ? Était-ce là l’effet puissant et impénétrable de la lignée ? Le sang qui courses dans nos veines est-il à ce point porteur de sentiment ? Mystère de nos jours ! Diableries de la naissance, de la souche et de la famille !

 


Édition de l’Observatoire

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une vraie déception pour ce roman écrit pas la soeur de …  ! La quatrième de couverture annonce une écriture d’une grande force poétique. Je me méfie souvent de ce genre d’affirmation. La poésie ça ne se décrète pas, c’est un ressenti, une émotion et une langue que l’on ne peut pas oublier. Il y a ici plusieurs freins au partage, d’abord la langue québécoise qui n’est pas traduite, donc, parfois, à peu près incompréhensible pour des français. Ensuite la volonté de tout écrire du point de vue d’une jeune adolescente qui, peu à peu, apparaît comme retardée mentale. La poésie de cette naïveté là, est pour moi, difficilement acceptable. J’ai beaucoup de compassion pour elle et sa solitude, mais je ne peux pas partager sa conception des relations humaines.
Je vous explique rapidement ce que j’ai compris : une très jeune fille vit avec sa soeur au bord du fleuve Saint Laurent. Elle se sent différente des autres et sait que cela vient de son manque d’intelligence. Elle souffre car ses parents l’ont abandonnée avec sa soeur. Une femme leur vient en aide, mais c’est très difficile de vivre dans cette région où l’hiver est si froid. Elle croisera un jeune homme qui l’émeut beaucoup. Je ne peux pas vous en dire plus, non pas parce que je ne veux pas divulgâcher le livre mais parce que l’histoire n’a pas plus d’importance que ça. Ce qui est raconté tout au long de ces pages c’est la façon dont cette enfant perçoit le monde et voudrait par dessus tout être aimée.

Citations

Genre de phrases dont j’aimerais avoir la traduction.

Mais cette fois, c’est juste sa voix qui m’a miellée, qui m’a abrillée correctement.

La langue du Québec.

 L’autre soir, l’école a encore appelé à notre demeure. Après ça, Titi a dit que j’étais une cancre, elles étaient énormément en colère et ses cheveux se mouillaient sur sa tête. Je suis peut-être nulle à l’école, mais je sais au moins ce qu’est une cancre, et je sais que c’est triste à mourir. Je sais aussi que quand on change une lettre de place dans le mot « cancre » ça donne « cancer », et que ça non plus ce n’est pas propre propre. J’étais en beau fusil, j’ai fait une crise, j’ai commencé à courir autour de la table en grognant, en tapant mes mains ensemble et en tapant ma figure avec.
 Flatter ma branche m’a fait du bien.

Phrase que j’aime bien.

Ça n’est pas facile d’être à l’intérieur de moi, et des fois je préférais plutôt être à côté pour pouvoir me sauver en criant

 

 

 

Édition Acte Sud

et participation au mois du Québec de Yueyin et Karine

J’aime cet auteur autant pour son style que pour les histoires qu’il nous raconte. J’ai déjà chroniqué « La traversée du continent » mais j’en ai lu beaucoup d’autres (je dois les relire pour leur faire une place sur Luocine). Michel Tremblay raconte sa famille, mais au-delà de sa famille nous fait comprendre la vie au Québec au siècle dernier. C’est une vie de misère et de rudesse dominée par une église catholique toute puissante qui se mêle du moindre recoin de la vie de ceux et celles qu’elle veut intimement contrôler. Cela va de la vie sexuelle à la liberté de s’instruire.

Les deux personnages Victoire et Josaphat sont frère et sœur. Ils sont unis par un drame atroce, le jour de Noël leurs parents ainsi qu’une grande partie de la population du village meurt dans l’incendie de l’église lors de la messe de minuit. Le curé et le bedeau se sont enfuis par la sacristie sans chercher à sauver leurs paroissiens. Josaphat qui déjà avait perdu la foi, est fou de douleur. Sa sœur Victoire revient vers lui après avoir passé sept années dans un couvent pour y être éduquée par des sœurs qui feront tout pour qu’elle le devienne, elle aussi, mais sans succès. La voilà de retour près de son frère, dans son village natal. C’est l’occasion pour l’auteur de nous faire ressentir la force et la beauté de la nature, les ragots du village, l’absurdité de l’éducation catholique. Michel Tremblay s’amuse aussi à souligner les différences entre le français des sœurs cultivées et le français « d’icitte » : de Duhamel autrefois Preston, le village de Victoire et de Josaphat. Et puis peu à peu nous comprenons le lien qui se tisse entre ses deux orphelins mais si vous avez déjà lu les autres livres de Michel Tremblay seule la façon dont il le raconte sera une nouveauté .

Tout est dans le style de cet auteur, on le lit avec intérêt sans sauter une seule ligne pour en savourer le moindre mot.

 

Citations

Tout le charme de la langue du Québec discours de son père quand sa fille part au couvent.

 Prends tout ça, cette belle chance-là, pour toé. Pour toué tu-seule, Victoire. Fais-le pas pour nous autres, pour nous sauver, écoute-les pas, laisse-les pas te pousser à choisir des choses que tu veux pas. Y vont te donner ce qu’on aurait pas pu te donner, nous autres, une éducation complète. fait leur des accroires si y faut, conte-leur des mensonges, ça sera pas grave d’abord que tu vas apprendre des affaires qu’on connaîtra jamais nous autres… Deviens la fille la plus savante de Preston, pas une bonne sœur. Pis après, va-t-on d’icitte ! Explorer le vaste monde. Si des prêtres venaient m’offrir la même chose pour Josaphat, je dirais oui tu-suite. J’s’rais prêt à me briser le cœur une deuxième fois…

Les réalités du corps et le couvent

 Au couvent, ça s’appelait les cabinets d’aisances, ou les latrines, c’était situé à l’autre bout de l’immense bâtisse et c’était un sujet tabou. Quand nous avions besoin de nous y rendre, nous devions sortir le petit mouchoir glissé dans la manche gauche de notre uniforme et le montrer à une religieuse qui, chaque fois fronçait les sourcils comme si nous commettions une grave faute de bienséance avant de nous faire signe de nous retirer. Il ne fallait « jamais » en faire mention à haute voix. « Les basses fonctions », comme les appelaient les religieuses en plissant le nez, étaient honteuses et devaient être tues. Quant aux religieuses elles-mêmes, je n’ai jamais su où elles faisaient ça.

La cuisine de l’enfance

 Je n’ai pas touché au dessert, mais Josaphat a enfourné une énorme portion de poutine au pain -quel plaisir de retrouver le mot poutine après le mot « pudding » imposé par les religieuses, arrosée de sirop d’érable. Ce que j’avais devant moi n’était pas un pudding au pain, mais bien une poutine au pain, improvisée sans recettes, l’invention de plusieurs générations de femmes qui ne savaient pas lire et qui avait cependant une grande capacité d’improvisation. Rien de ce que j’avais mangé durant mon enfance ne venait d’un livre.

Sourire

Manger de la graisse de rôti en compagnie de quelqu’un qui sent le pipi ce n’est pas la chose la plus agréable du monde

 

 

Édition Gallimard NRF

Un roman pudique qui exprime pourtant si bien la violence, la solitude, la peur, l’amour et surtout la force de la musique. On est loin des six cent pages obligatoires du moindre roman américain et pourtant, je suis certaine que ce texte restera dans ma mémoire autant par l’ambiance que ce romancier a su créer que par la force de l’histoire. C’est la deuxième fois que je rencontre ce romancier, je me souviens avoir déjà beaucoup aimé « Une langue venue d’ailleurs » .
Le récit commence par une scène de terreur. En 1938, au Japon, un groupe de quatre musiciens amateurs se réunit pour répéter Rosamunde de Schubert. Mais ils sont interrompus par un militaire qui les soupçonne de communisme . Le père du narrateur a juste le temps de cacher son fils dans une armoire avant d’être brutalisé par ce soldat qui va les arrêter tous les quatre , d’autant plus furieux que trois d’entre eux sont Chinois. L’enfant caché verra toute la scène, en particulier le soldat qui écrase de son pied botté, le violon de son père. Ensuite le roman passe quelques décennies et Rei l’enfant est devenu adulte, il est luthier et a épousé une archetière (un mot que ce roman a rajouté à mon vocabulaire). Nous apprendrons que cet enfant a été élevé par un couple de français ami de son père qui lui, a disparu dans les geôles de l’empire du Japon pendant la guerre. Le roman permet de retrouver les protagonistes ou leurs descendants de la scène initiale. C’est aussi un roman sur la musique, le travail du luthier, sur la langue japonaise. Rie a réussi à reconstruire le violon de son père, je ne peux sans divulgâcher la fin du récit, vous dire quelle virtuose jouera sur cet instrument de facture française. Je connaissais la tradition de luthiers de Richemont, petite ville des Vosges, mais je ne savais pas que, sans dépasser la tradition de Crémone, Richemont a donné des violons d’une qualité très recherchée, encore aujourd’hui. le père de Rei possède un Jean-Baptise Vuillaume.

Si je mets 5 coquillages à ce roman, c’est que j’aime tout dans la façon de raconter de Akira MIZUBAYASHI en particulier sa pudeur, son élégance et son goût pour la langue aussi bien japonaise que française.(Il écrit en français !)

 

 

Citations

 

Destruction du violon

Emporté par la haine féroce, il balança le violon par terre de toutes ses forces et l’écrasa de ses lourdes bottes de cuir. L’instrument à corde, brisée, aplati, réduit en morceaux, poussa d’étranges cris d’agonie qu’aucun animal mourant n’eût émis dans la forêt des chasseurs impitoyables.

Rei avait assisté, par le trou de la serrure, à toute cette scène insoutenable sans pouvoir suffisamment saisir les échanges entre son père et le militaire. Il était retourné par la violence que son père subissait. Pétrifié de peur, recroquevillé sur lui-même, dévasté par son impuissance d’enfant, il se morfondait dans l’obscurité de sa cachette. Seul vibrait au fond de son conduit auditif la monstruosité du mot « Hikokumin* »et les sons événements, plaintifs et dissonants du violon mourant de son père.
Hikokumin : antipatriote

Scène initiale

Plusieurs longues secondes passent. Je ne sais ce qu’il fait, le corps ne bouge pas d’un pouce. J’ai peur. Instinctivement, je ferme les yeux. Le silence persiste. Je rouvre les yeux à moitié. Il se penche alors lentement, très lentement, comme s’il hésitait, comme s’il n’était pas sûr de ce qu’il faisait. Une tête d’homme, coiffé d’un képi de la même couleur que l’uniforme, apparaît devant mes yeux. À contre-jour, elle est voilée d’une ombre épaisse. Du bord du képi descend par derrière jusqu’aux épaules une pièce d’étoffe également kaki. Les yeux seuls brillent comme ceux d’une chatte qui guette dans les ténèbres. Mes yeux, maintenant grands ouverts, rencontrent les siens. Je crois pouvoir reconnaître un discret sourire qui s’esquisse et qui se répand autour des yeux. Qu’est-ce qu’il va faire ? Il va me faire mal ? Il va me sortir de force de cette cachette ? Je me blottis davantage sur moi-même. Soudain, il se penche de côté et se baisse un peu, puis il se relève aussitôt avec, dans la main, le violon abîmé qu’il a posé sans doute, il y a quelques instants, sur le banc juste à côté de l’armoire où je suis réfugié.

Le thème de Rosamunde

Le thème que je vais jouer est d’après moi l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond avec l’enfance peut-être, un monde en tout cas paisible et serein, plus harmonieux que celui d’aujourd’hui dans sa laideur et sa violence. En revanche, j’entends le motif présenté par l’alto et le violoncelle « tâ…. takatakata……., tâ…. takatakata… », comme la présence obstinée de la menace prête à envahir la vie apparemment sans trouble. La mélodie introduite par Kang-san traduit l’angoissante tristesse qui gît au fond de notre cœur.

Le travail du Luthier

Le vieil homme était en tablier bleu marine recouvert, de-ci de-là, de quelques copeaux fins. Il retourna à son établi tout en longueur où se trouvait, à côté d’un violoncelle détablé et en restauration, un violon ou un alto en cours de fabrication dans son état de bois brut non vernis. L’instrument n’avait encore ni manche ni touche, mais son corps échancré était achevé, toutes ses parties constitutives bien assemblées, minutieusement montées. L’homme au tablier bleu marine contemplait son objet d’un air satisfait, en le tenant de la main gauche. Les ouïes lui firent penser comme souvent au long yeux bridés d’un masque japonais « Okame ». Elles transformaient alors la surface de la table d’harmonie gracieusement bombées en un visage de femme souriant et rayonnant. Sur le mur, en face de lui, étaient accrochés une variété incroyable d’outils de menuiserie et de lutherie. Plus haut, on voyait un diplôme encadré, celui de la « Cremona Scuola Internazionale di Liuteria ». Au bout de quelques minutes, ses yeux quittèrent son enfant encore à l’état de fœtus pour se porter sur les nombreux instrument à cordes verticalement accrochés à une planche en bois d’une dizaine de mètres qui, juste au-dessous du plafond, allait horizontalement d’une extrémité à l’autre de tout le mur peint en blanc. Il tourna sa chaise en direction de sa collection de violon et alto parfaitement alignés.

Sa femme est archetière

Hélène avait été frappée par le métier d’archetier, lorsqu’elle était entrée dans l’atelier d’un maître archetier. Une simple baguette en bois de pernambouc c’était transformée en un bel objet dans la courbe lui apparaissait pour la première fois -alors qu’elle avait vécu jusque-là tous les jours au contact des archets et de ses parents- sous l’aspect d’une mystérieuse beauté qui faisait penser à celle d’un navire céleste voguant sur les flots argenté des nuages. Ses parents lui avaient dit que la sonorité de leur instrument changeait sensiblement en fonction de l’archet qu’ils considéraient comme le prolongement naturel de leur bras droit.
et pour votre plaisir une des multiples version de Rosamunde

 

 

 

J’ai lu tous les livres de cette auteure, Jai rédigé un billet pour « Ru » et « Man ». J’aime beaucoup ses textes et celui-ci m’a donné envie de relire « RU » qui a connu un si grand succès. Vi explore encore une fois ses origines vietnamiennes et son adaptation à la culture occidentale . Cela passe par l’histoire de sa famille qui était une famille de riches notables intellectuels du Vienam . Sa mère est issue d’une famille de commerçants aisés et très travailleurs. C’est cet aspect qui la sauvera elle et ses enfants. (Le père n’a pas fui avec eux.) À Montréal sa mère avec un courage incroyable réussira dans la restauration. Vi, pourra faire des études et retournera au Vietnam dans le cadre d’actions humanitaires. Ce roman fait la part belle aux sentiments amoureux, de sa mère d’abord qui souffrira des infidélités de son mari sans jamais se plaindre, et puis de la jeune fille qui associe liberté intellectuelle et liberté amoureuse. On sent très bien dans ce livre que les traditions vietnamiennes ne résistent pas au monde occidental. Encore une fois ce roman se divise en de courts chapitres qui sont autant de courtes nouvelles qui dévoilent peu à peu les strates de la personnalité de Vi. Une lecture dépaysante et très émouvante comme tous les livres de cette auteure, on peut sans doute lui reprocher de se répéter un peu, mais, quand, comme moi on l’apprécie, c’est un plaisir à chaque fois renouveler.

 

 

Citations

 

 

Les « boat people »

Mon prénom ne me prédestinait pas à faire face aux tempêtes en haute mer et encore moins à partager une paillote dans un camp de réfugiés en Malaisie avec une dame âgée qui pleura jour et nuit pendant un mois sans nous expliquer qui étaient les quatorze jeunes enfants qui l’accompagnaient. Il fallut attendre le repas d’adieu à la veille de notre départ vers le Canada pour qu’elle nous raconte soudainement sa traversée. Ses yeux avaient vu son fils se faire trancher la gorge parce qu’il avait osé sauter sur le pirate qui violait sa femme enceinte. Cette mère s’est évanouie au moment où son fils et sa bru avaient été jetés à la mer. Elle ne connaissait pas la suite des événements. Elle se souvenait seulement de s’être réveillée sous des corps, au son des pleurs des quatorze enfants survivants.

 

Le Québec

 Nous sommes arrivés dans la ville de Québec pendant une canicule qui semblait avoir déshabillé la population entière. Les hommes assis sur les balcons de notre nouvelle résidence avez tous le torse nu et le ventre bien exposé, comme les Putai, ces bouddhas rieurs qui promettent aux marchands le succès financier et, aux autres, la joie s’ils frottaient leur rondeur. Beaucoup d’hommes vietnamiens rêvaient de posséder ce symbole de richesse, mais peu y parvenaient. Mon frère Long n’a pas pu s’empêcher d’exprimer son bonheur lorsque notre autobus s’est arrêté devant cette rangées de bâtiment où l’abondance était personnifiée à répétition : « Nous sommes arrivés au paradis au paradis.

 

Édition Poche Folio

 

Après avoir lu de cette auteure, grâce au club de lecture, « Le Ciel par dessus les Toits » j’ai eu très envie de découvrir un peu plus cette écrivaine mauricienne. Si l’île Maurice est synonyme pour beaucoup d’entre nous de vacances sur des plages de sable blanc, de mer bleu azur, sous un soleil toujours présent, cette île a représenté pour des populations noires un lieu d’esclavage et lorsque celui-ci a pris fin, une terre d’immigration pour des Indiens fuyant une misère absolue dans leur pays.

Loin de ces impressions paradisiaques, ce roman se situe en 1890 : l’île Maurice est alors sous domination britannique, depuis une trentaine d’années, mais les plantations restent la propriété de riches planteurs français qui recherchent à tout prix une main d’œuvre bon marché pour remplacer leurs anciens esclaves. Les noirs habitent aussi cette île mais refusent de se faire maltraiter par les propriétaires blancs, peu d’entente sont possibles avec les Indiens qui acceptent des conditions de travail dont eux mêmes ne veulent plus. En peu de chapitres, les problèmes sont très bien posés. On comprend d’autant mieux tous les problèmes qui assaillent dès leur arrivée ces malheureux Indiens sur l’île Maurice que chaque personnage nous est présenté avant leur départ dans leur lieu de vie d’origine. On comprend alors, pourquoi ils partent, mais aussi comment ils vont être forcément déçus car trop de fables irréalistes, comme ces pièces d’or que l’on trouve en soulevant des rochers, leur obscurcissent le cerveau !

Ce roman nous permet de comprendre la situation des Indiens en 1890, certains sont accablés par les dettes que leurs parents ont contractées, un des personnage est seulement joueur de poker et perd tout l’argent de ses parents aux cartes, une jeune femme de sang royal doit brûler sur le bûcher de son mari mort à la chasse, un autre croit rejoindre son frère… Tous se retrouvent sur un bateau : l’Atlas qui après des mois de navigation d’autant plus éprouvante que les Indiens craignent beaucoup la mer, ils débarquent apeurés sur l’île « Meuriche » et trouvent une condition qui se rapproche plus de l’esclavage que celle de travailleurs pauvres et précaires.

J’ai beaucoup aimé ce livre, certainement parce que je ne savais pas grand chose de cette immigration mais aussi parce que cette auteure sait très bien raconter, j’ai quitté à regret ses personnages et j’aurais aimé les suivre un peu plus longtemps. Il y a un aspect qui m’a beaucoup intéressée : à quel point l’enfermement dans les traditions de l’Inde asservit la population et empêche les plus pauvres de s’émanciper, mais à quel point également, ces carcans représentent un lieu rassurant face à un inconnu encore plus menaçant que la servitude que l’on connaît bien. Le roman l’annonce mais ne le décrit pas, visiblement les Indiens sauront grâce à leur courage et à leur force de travail devenir une partie très importante de la population active de l’île et à finalement s’enrichir même sans trouver les fameuses pièces d’or qui ont fait briller les yeux de leurs ancêtres.

 

Citations

Les dettes des paysans pauvres

Quand il emprunta cinquante roupies au zamindar, les deux hommes étaient convenus d’un kamia C’était un contrat où l’on troquait sa sueur, son labeur et parfois la chair et le labeur de ses enfants contre de l’argent. Tant que les cinquante roupies et les intérêts sur le prêt n’étaient pas remboursés, Devraj Lal s’engageait à travailler les terres du zamindar pour la moitié d’un salaire. Il s’engageait aussi à ce que son fils reprenne le kamia s’il décédait avant d’avoir remboursé les cinquante roupies. Ce qui arriva moins d’un an après et son fils, Chotty se trouva en devoir d’honorer une dette qu’il n’avait pas contractée.
Cela faisait dix années que Chotty travaillait pour le zamindar. Les intérêts sur le prêt avaient grandi comme le blé : vite. Et Chotty, semblait–il, ne travaillait pas aussi vite que le blé. Il avait amassé quelques roupies mais plusieurs fois son fils était tombé malade ou le zamindar décrétait qu’il n’avait pas bien fait son travail ou encore ce qui arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps, la bibi se plaignait.

Être veuve

Il n’y avait rien de pire que de survivre à son mari. Donner naissance à une fille en premières couches ou toucher un paria étaient des manquements terribles mais être veuve était innommable. Ici, depuis des siècles, dans les familles de sang royal, les femmes montaient sur le bûcher avec leur mari. C’était une tradition comme une autre. De toute façon, que ferait une femme sans son mari ? Qui voudrait d’une veuve quand les jeunes filles vierges ne manquaient pas ? Surtout, qui prendrait le risque d’accueillir une femme qui porte tellement le mauvais œil qu’elle finit veuve ?

Les rapports des noirs anciens esclaves et les indiens nouvellement arrivés

« Je t’ai eu, Malbar. Vous croyez supérieur, hein, tous, tous autant que vous êtes ? Vous venez ici, vous léchez le cul des blancs, vous faites vos village, vous amassez de l’argent, vous achetez des terrains et ensuite, vous vous prenez pour des blancs. Vous nous crachez dessus. Nous sommes des êtres inférieurs pour vous. Vous aussi, vous fouettez vos employés … Tu vas voir, Malbar. Tu vas voir ce que c’est que pourrir en prison. Tu travailleras sous le soleil et comme nous, tu soulèveras les pierres et tu pourriras loin des tiens. »

Édition Gallimard. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une belle découverte que cette auteure qui a un style très particulier, entre poésie et réalisme.
L’histoire se résume en peu de mots, une femme d’abord prénommé Éliette et qui deviendra Phénix, est trop, mais, mal aimée par ses parents et ne saura pas, à son tour, aimer ses deux enfants : sa fille Paloma et son fils Loup. Éliette était une enfant d’une beauté incroyable et un début de talent de chanteuse, ses parents d’un milieu populaire en font, naïvement et sans penser la détruire, une petite poupée qui chante en public en particulier au Noël de l’usine devant tout le village. Ce corps trop beau et vieilli avant l’âge attire les convoitises des hommes, et détruira l’âme d’Éliette. Paloma, sa fille quittera, à 18 ans, le domicile de sa mère, un garage pour pièces détachées dans une zone péri-urbaine, pour se construire une vie plus calme mais elle abandonne son frère Loup à ce lieu sans amour. Loup prendra la fuite en voiture sans permis et blessera d’autres automobilistes, il fera huit jours de prison. Il y a bien sûr un incident qui peut expliquer la conduite d’Éliette, mais l’auteur n’insiste pas, elle montre à quel point l’enfant était mal dans sa peau d’être ainsi montrée en public à cause de sa beauté et de sa façon de chanter. Pour punir ses parents elle s’enlaidira au maximum, et sa voix deviendra désagréable. Bref de trop, et mal aimée elle passe au stade de rebelle et entraîne dans cette rébellion ses deux enfants. Le roman se situe quand Loup est en prison et que Paloma et sa mère essaie de comprendre leur passé respectif. Tout le charme de ce texte tient à la langue de Natacha Appanah, on accepte tout de ce récit car elle nous donne envie de la croire, elle ne décrit sans doute qu’une facette de la violence sociale et la poétise sans doute à l’excès mais c’est plus agréable de la lire comme ça, cette violence sociale, que dans le maximum du glauque et du violent qui me fait souvent très peur. Et pour autant elle n’édulcore pas la misère du manque d’amour maternel et des dégâts que cela peut faire.

 

Citations

L’art du tatouage

Son biceps gauche est encerclé de trous lignes épaisse d’un centimètre chacune, d’un noir de jais. Sur son poignet droit, elle porte trois lignes du même noir mais aussi fine qu’un trait de stylo. Une liane de lierre, d’un vert profond, naît sous la saillie de la malléole, entoure sa cheville gauche, grimpe en s’entortillant le long de sa jambe et disparaît sur sous sa robe. Entre ses seins, que l’ouverture de sa chemise de nuit laisse entrevoir, il y a un oiseau à crête aux deux ailes déployées, à la queue majestueuse. C’est le premier tatouage qu’elle s’est fait faire à dix huit ans, pour inscrire à jamais le prénom qu’elle a qu’elle s’était choisi : Phénix. 

Impression que je partage même si, moi, j aime la ville

Georges n’a jamais aimé la ville mais il aime bien les gares. Celle-ci n’est pas trop grande, pas encore en tout cas. Il a l’impression que tous ce qui était à taille humaine, reconnaissable, inoffensif, est aujourd’hui cassé, agrandi, transformé. Les cafés, les cinémas, les magasins, les stations services, les routes, à croire que tout est fait pour que les hommes se sentent mal à l’aise, tournent en rond et se perdent.

Portrait amusant

D’habitude, elle est de ces femmes à ne jamais cesser de bavarder, grandes histoires, petits détails,un véritable moulin à paroles, et le docteur Michel soupçonne que c’est le genre de femme à commenter, seule chez elle, sa vie.

Bien observé

Il y a donc ce gâteau dont l’emballage précisait « transformé en France et assemblé dans nos dans nos ateliers »

 

 

 

Édition Acte Sud

 

J’avais beaucoup aimé le roman d’Emmanuel Dongala « Photo de groupe au bord du fleuve », et ce roman-ci avait été chaudement défendu à une de nos rencontre au club de lecture. Cet auteur est un grand conteur et excellent écrivain. Il raconte cette fois, la vie du jeune George Brigetower, celui-ci vient en France au printemps 1789, avec son père . En suivant les traces de Léopold et Wolfgang Mozart, le jeune George va se faire connaître à la cour du roi Louis XVI parce que, à 9 ans, il joue déjà comme un grand virtuose. George et son père sont noirs, son père a connu esclavage dans les îles des Caraïbes, a réussi à venir en Grande Bretagne puis en Europe à la cour d’un prince polonais. Il a épousé une jeune Polonaise. George est donc métissé et malgré la couleur de sa peau, son talent va lui permettre de s’imposer en France, en Angleterre puis en Autriche où il rencontrera Ludwig Van Beethoven . Il se lie d’amitié avec Beethoven qui lui dédiera dans un premier temps une sonate … qui deviendra « la Sonate à Kreutzer ». Cette époque incroyablement féconde et violente traversée par le père et le fils permet à Emmanuel Dongala de faire revivre l’esclavage mais aussi la condition des femmes. Cet auteur sait parler des femmes et cela le rend très sympathique à mes yeux.
J’ai aimé cette lecture mais j’ai été un peu plus réservée que pour son premier roman, j’ai trouvé que le prétexte du roman se noyait un peu dans toutes les histoires diverses et variées que l’auteur nous raconte. Entre Olympe de Gouge, Lavoisier, la révolte de Toussaint Louverture, le sort des esclaves irlandais avant l’utilisation de la main d’oeuvre africaine, la révolution française…. Bref ce n’est pas un roman mais une dizaine qui se côtoient dans ce roman. Cela n’enlève rien au talent de l’auteur, mais par moment George et son père semblent moins intéressants que les événements qu’ils traversent.

Voici un portrait de George Bridgetower :

 

Citations

Le public parisien 1789

Ici, les amateurs de musique, en particulier les habitués du Concert Spirituel, venaient autant pour se montrer que pour apprécier la musique. En grande tenue, ils ne se gênaient pas pour jaser pendant l’exécution d’un morceau ou même pour exprimer leur opinion à haute et intelligible voix.

Portrait des Viennois

Ne te fais pas d’illusions sur les Viennois. Ces gens-là sont superficiels. Tant qu’on leur donne de la bière et de la saucisse, ils se tiennent tranquilles.

Dispute à propos du violon

Et cette vogue du violon ! Un instrument au son criard, dur et perçant. Qui n’a ni délicatesse ni harmonie et contrairement à la viole, à la flûte ou au clavecin, est fatigante autant pour l’exécutant que pour celui qui écoute. 
-Désolé, monsieur, lui rétorqua son jeune contradicteur, cette prédominance du violon est là pour rester. Vous savez pourquoi ? Parce qu’à lui tout seul, il peut être l’instrument principal d’un orchestre.

Portrait d’Olympe de Gouge

Elle est folle, celle-là. Je ne vois pas vraiment pourquoi Etta l’admire tant ! Trouvez-vous normal qu’elle demande l’abolition du mariage, qu’elle qualifie de « tombeau de l’amour » ? Qu’elle prône sans vergogne le vagabondage sexuel en demandant de prendre en compte les penchants naturels des partenaires à nouer des liaisons hors mariage ? Qu’elle exige que la loi institue un droit au divorce ? Pas étonnant qu’elle demande aux enfants nés hors mariage, je veux dire les bâtards, soient octroyés les mêmes droits qu’aux enfants légitimes. Rendez-vous compte ! Une femme qui ignore l’ordre naturel des choses et veut politiquer comme un homme, voilà l’Olympe de Gouge qu’admire tant notre cher Etta .

Un des aspects de l’esclavage

Avant de les vendre, on castrait les garçons et les hommes dans des conditions effroyables. L’opération était si barbare que très peu y survivaient : pour un rescapé, une douzaine trépassait (… ) 
Frédérick de Augustus était médusé. Il connaissait les horreurs de l’esclavage transatlantique, mais personne auparavant ne lui avait raconté l’esclavage arabo-musulman, tout aussi horrible, pire peut-être, sur certains aspects. Surtout, il ne trouvait aucun sens économique à cette castration qui provoquait la mort de tant d’esclaves. Il avait posé la question à Soliman qui lui avait répliqué :
– Vois-tu, ces esclavagistes-là ne raisonnent pas comme ce que ton père a connu dans les Caraïbes. Pour ces derniers, que les esclaves se reproduisent est souhaité et même encouragé car essentiel pour leur prospérité. C’est comme avoir du cheptel ; plus il se multiplie, plus le propriétaire devient riche. Cette logique économique n’existe pas chez les négriers arabo-musulmans, obnubilés qu’ils sont par la crainte de voir ces Noirs prendre souche et avoir des relations sexuelles avec les femmes des harems dont ils sont les gardiens et les serviteurs. Il fallait donc en faire des eunuques, c’est-à-dire les castrer. Pire encore, comme eux-mêmes ne se privaient pas de violer les esclaves noirs, les enfants qui en résultaient étaient systématiquement éliminés ! (…)
Pose-toi la question mon cher Frédérick, comment expliques-tu aujourd’hui la présence d’une population noire aussi nombreuses dans les Amériques alors que dans les sultanats et les candidats, malgré la masse innombrable qui y a été importée, ce n’est pas le cas ? Où sont passés tous ces Noirs qui ont traversé la mer Rouge en direction de la péninsule arabique, entassés dans des boutres dans les conditions les plus atroces ? Crois-tu qu’ils ont tout simplement disparu comme ça dans un immense trou noir ? Non. C’est le résultat de ces pratiques ignominieuses. Castration et infanticide !

 

Édition Flammarion. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Vous connaissez certainement « Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise », mais aussi « L’évangile selon Yong Sheng » . Ici dans trois nouvelles plus tragiques les unes que les autres Dai Sijie raconte trois destins pratiquement ordinaires dans ce terrible pays. Cela se passe dans une région entièrement polluée par le recyclage des appareils tels que les ordinateurs , téléviseurs ou électro-ménagers. Les gens deviennent fous, soit par la pollution soit par l’extrême pauvreté qui les réduisent à des gestes contre nature. C’est terrible et à peine supportable, la cruauté des hommes est sans limite, j’ai détesté le sort réservé à la femelle pangolin. Animal protégé qui a peu près disparu de Chine et cela parce qu’on lui attribue des vertus aphrodisiaques. La femelle pangolin a lutté de toutes ses forces car elle portait un petit sans pouvoir sauver sa vie. Le feu aura raison de sa résistance. (Peut-être cette race s’est-elle vengée en transmettant à l’homme le trop fameux virus !)

Trois destins tragiques marqués par l’extrême pauvreté , la pollution et la cruauté humaine. J’avoue avoir été saisie par la tristesse et le dégoût de cette humanité et je n’ai pas réussi à me sentir bien dans cette lecture. Dai Sijie écrit en français son pays d’adoption, et il a un goût pour l’imparfait du subjonctif qui rend son texte un peu vieillot mais cela lui donne,aussi, un charme certain.

 

Citations

Propagande maoïste

Seul notre État tout-puissant était capable d’organiser ce type de travaux pharaoniques pour répondre aux nécessités urgentes, indispensables, d’une région agricole moderne, et que le mot « réservoir d’eau », si ordinaire en chinois -et encore plus dans la vie quotidienne de ma famille-, était synonyme, sur le plan politique et économique, de bonheur du peuple. « C’est dans les climats où il pleut le moins que l’eau est le plus nécessaire aux cultures ». À en croire l’auteur de l’article, ce mot était quasi absent du vocabulaire des langues occidentales, des millions et des millions de malheureux Européens ou Américain ne le connaissaient pas, sinon ceux qui étudiaient l’histoire des jardins de Versailles, car il désignait les bassins construits par le roi de France afin de surprendre les dames de la cour par la beauté des jets d’eau.

Médecine chinoise

Il serait impossible de comprendre l’extinction de cette espèce (le pangolin) s’en rendre compte d’une particularité poétique de la médecine chinoise : par exemple, si les chauves-souris volent dans le noir, on peut être certain que leur fiente guériront de la cécité humaine, ; puisque le concombre de mer ressemble à un phallus , on affirme qu’il est aphrodisiaque et que, s’il en consomme, l’homme obtiendra un sexe d’une taille aussi pharaonique que l’est cette plante aquatique. Dans le cas du pangolin, c’est sa capacité à creuser dans la montagne qui fascine les Chinois. Et qu’est-ce qui ressemble plus à une montagne percée de grottes profondes, de ravins sombres, sinon un corps de femme ? Ainsi, manger sa chair est l’assurance de pouvoir pénétrer, aussi profondément qu’un pangolin, les mystérieux tunnels féminins.

Édition P.O.L.Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Ce roman démarre dans la légèreté : Vicente et ses amis, des juifs parfaitement assimilées à la vie en Argentine, regardent de loin ce qui se passe en Europe. Leurs conversations sont marquées par l’humour juif qui leur donnent tant de saveur. Vicente est beau garçon , un peu hâbleur et propriétaire d’un magasin de meubles que son beau-père fabrique. Il est heureux en ménage, et a des enfants qu’il aime beaucoup. Sa mère, son frère médecin et sa sœur sont restés à Varsovie. En 1938, il leur conseille sans trop insister de venir à Buenos Aires. Il est content de son exil et des distances qu’il a mises entre sa mère qu’il juge envahissante et lui qui se trouve bien dans sa nouvelle vie. Et, les années passent, l’angoisse s’installe, il va recevoir trois lettres de sa mère et il prend conscience de l’horreur qui s’est abattue sur les juifs européens. Il se sent coupable de n’avoir pas su insister pour que sa famille le rejoigne, il va s’installer dans un mutisme presque complet. Sa femme comprend le drame de son mari et fait tout ce qu’elle peut pour le ramener vers la vie, mais sans grand succès. Vicente est dans son « ghetto intérieur » , comme son cauchemar récurrent qui l’angoisse tant. Il rêve d’un mur qui l’enserre peu à peu jusqu’à l’étouffer, il se réveille en prenant conscience que ces murs c’est sa peau : il est emmuré vivant en lui-même. (D’où le titre)

L’auteur est le petit fils de ce grand père qui n’a pas réussi à parler. Santiago Amigorena comprend d’autant mieux son grand-père que sa famille a dû quitter l’Argentine en 1973, l’exil et l’adaptation à un nouveau pays, il connaît bien. Cela nous vaut de très belles pages sur l’identité et une réflexion approfondie sur l’identité juive. Le thème principal de ce roman, c’est : la Shoah, qu’en savait-on ? Comment s’en remettre et que transmettre aujourd’hui ?. Rien que nommer ce crime contre l’humanité fait débat , ne pas oublier que pendant des années on ne pouvait pas nommer autrement que « Solution finale » avec les mots que les Allemands avaient eux-mêmes donnés à leurs crimes monstrueux. Crime ? mais ce mot suffit-il quand il s’agit de six millions de personnes ? Génocide ? certes ; mais il y en a eu plusieurs en quoi celui-ci est-il particulier ? Holocauste ? mais ne pas oublier qu’alors il s’agissait d’offrir des victimes innocentes à un dieu. Qui était le Dieu des Nazis ? Et finalement Shoah qui ne s’applique qu’au génocide des juifs par les nazis. C’est si important d’avoir trouvé un mot exact. Un livre très émouvant qui fait revivre l’Argentine dans des années ou ce pays allait bien et qui apporte une pierre indispensable à la construction de la mémoire de l’humanité.

 

Citations

Le genre de dialogue qui me font sourire

– Les Juifs me font chier. Ils m’ont toujours fait chier. C’est lorsque j’ai compris que ma mère allait devenir aussi juive et chiante que la sienne que j’ai décidé de partir.
-Comparée à la mienne, ta mère n’est pas si chiante, lui avez répondu Sammy, un œil toujours rivés sur les tables de billard. (…)
 – Le pire, c’est que quand elle avait 20 ans, elle rêvait d’une seule chose, quitter le shtetl pour aller vivre en ville. Elle trouvait ma grand-mère chiante pour les mêmes raisons que moi, je la trouve chiante aujourd’hui…
-Et pourtant, chiante ou pas chiante, tu lui as fait traverser l’Atlantique pour l’avoir à tes côtés.
– Oui… même les pires choses nous manquent.

Leçon de vie

C’est ce qu’on fait depuis la nuit des temps, non ?
– On aime nos parents, puis on les trouve chiants, puis on part ailleurs… C’est peut-être ça être juif…
– Oui… Ou être humain.

La culpabilité

Mais Vicente n’avait rien fait . Il avait même avoué que depuis qu’il était arrivé en Argentine, il avait compris que l’exil lui avait permis , aussi , de devenir indépendant, et qu’il n’était pas sûre de vouloir vivre de nouveau avec elle. S’éloigner de sa mère, en 1928, l’avait tellement soulagé-être loin d’elle, aujourd’hui, le torturait tellement.

Être juif

Une des choses les plus terribles de l’antisémitisme est de ne pas permettre à certains hommes et à certaines femmes de cesser de se penser comme juif, c’est de les confiner dans cette identité au-delà de leur volonté -c’est de décider, définitivement qui ils sont.