Un livre que ma sœur m’a prêté en me disant : « Ce roman raconte parfaitement, ce qui se passe quand une famille nombreuse a la chance d’avoir une grande maison de vacances. ». Dans ma ville, je connais bien ce genre de maisons et de familles qui s’y retrouvent l’été et que je croisent tous les étés sur ma plage. Le roman se passe dans les régions des abers, une Bretagne plus sauvage que la côte d’émeraude dinardaise. Mais les comportements sont les mêmes. Réunis ces familles forment des clans et se sentent intouchables. Ils ont leurs rituels, se savent observés sans que cela ne les dérange. Dans ce récit l’auteur raconte très bien le poids et le charme de la maison, on sent aussi que celle-ci devient un peu lourde financièrement pour chacun, elle ne restera peut-être pas dans la famille dans une autre génération. Il décrit aussi le bonheur des enfants, ce sont eux qui vivent le mieux ce genre de vacances. La plage et les jeux d’enfants dans le grand jardin ont marqué l’écrivain et il pense qu’il en sera de même pour les enfants de la nouvelle génération. Un enfant le touche particulièrement, un petit Jean qui lui fait penser à lui, enfant ? C’est grâce à lui qu’il comprendra que c’est à son tour maintenant de passer du côté des adultes et de transmettre aux enfants les savoirs importants : faire du vélo, la pêche aux crabes … pour les jeux, les enfants n’ont besoin de personne.
Le hasard de mes lectures, font que je rapproche l’histoire de deux maisons de famille, qui se ressemblent dans ce qu’elles disent des joies et des souvenirs d’enfance heureuse. Mais ce roman est plus léger, sauf bien sûr la tragédie qui touchera le petit Jean. J’en ai aimé la lecture, et l’évocation d’une Bretagne que je connais bien. La volonté de l’auteur de ne pas nous faire connaître davantage la vie du narrateur rend le récit un peu vide. On ne sait pas pourquoi il a détesté cette famille ni pourquoi il est revenu. Il veut que ce mois d’août soit celui de son retour vers une maison et des rituels familiaux dont un m’a semblé bien cruel : chaque enfant, l’été de ses six ans, doit jeter son doudou dans la mer … Quand on sait ce qui arrive au petit Jean quinze jours plus tard, on peut imaginer que sa mère aura trouvé cette violence bien inutile !

En réalité on ne connaît très bien personne de cette famille, on reste à la surface des gens, nous avons le décor et un film qui nous permet de voir ces gens de loin sans qu’ils ne nous deviennent familiers. Comme le dit l’auteur, cette famille sait appartenir à une forme d’aristocratie qui reste sur son quant à soi. Les personnages du peuple ont eux plus de consistance , comme l’ostréiculteur qui vend ses huîtres en Italie, mais ils n’appartiennent pas au clan .

Un roman qui décrit bien les vacances d’été pour les enfants, dans un cadre dont l’auteur sait nous décrire tout le charme. Mais un roman qui m’a aussi agacée par son côté « grande famille comme il faut » qui regarde un peu de haut le brave peuple dont je fais partie.

 

Citations

Ceux qui ont eu la chance d’avoir une grande maison de vacances se reconnaîtront dans ce passage.

Quand on croisait un nouveau parent ou des amis de passage, la discussion s’engageait toujours de la même façon : Quand es-tu arrivé ? Quand repars-tu  ? Les grandes vacances signifiaient la succession des arrivées et des départs des uns et des autres. On ne retenait jamais. Mais quand un visage disparaissait, on devinait qu’il était parti pour de bon. On ne le reverrai plus avant l’année prochaine. Et on acceptait de ne pas le revoir pendant si longtemps seulement parce qu’il était aussi la promesse du prochain été. Il y a comme ça des gens qu’on ne peut voir à aucune autre époque. Ils sont d’août. 

Ceux qui viennent d’une famille nombreuse se reconnaîtront .

 Je subissais un paradoxe familial, balançant entre la joie des retrouvailles et le soulagement du départ prochain. Nous formions un monde à part autosuffisant, suffisant, envié par d’autres sûrement. Mais le cercle familial excluait autant qu’il rapprochait.

Le déclin religieux .

Des messes, il y en avait dans chacune des trêves de la paroisse et tous les dimanches. Désormais, il n’y avait plus qu’un seul office dominical pour le canton., deux peut-être, en plus de la messe anticipée du samedi soir il fallait lire la feuille paroissiale pour se tenir au courant. Ce pays de prêtres en était devenu orphelin. Ce pays de fidèles les voyait disparaître ; ils s’étaient pourtant tassés en foule, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, sur les bancs en bois aujourd’hui clairsemés. 

Genre de comparaison pas terrible, si ?

 La maison était comme le corps d’une femme aimée dans la nuit totale ; sans en distinguer l’épiderme j ‘en savais tous les contours

Je suis d’accord avec cette remarque.

 J’avais de la sympathie pour lui mais je savais qu’il était de ceux qu’il vaut mieux ne pas trop connaître pour continuer à les aimer. 

Édition Les Escales. Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Le portrait du père violent et dominant sa famille de toute ses colères et de ses mots assassins est criant de vérité. Il s’agit certainement d’une part de l’enfance de l’autrice qui par se livre se libère du poids de son enfance à Bari capitale des Pouilles italiennes. On sent tout le poids de la souffrance des femmes italiennes qui subissent leur sort avec courage. La petite Rosa vit dans l’amour de sa mère et la terreur que son père éclate d’une colère incontrôlée. Elle s’éveille à la sexualité dans un quartier où règne la prostitution. Elle reproduira , hélas le schéma familial et son Marco s’avèrera un homme dur et violent. Mais à la différence de sa mère elle réussira à s’en séparer.
Le roman décrit bien la pauvreté des villes du Sud de l’Italie et la difficulté de mener une vie correcte quand la misère vous tient dans ses filets. C’est vraiment le meilleur aspect du roman.
Mais je suis peu sensible au côté « rédemption par l’écriture », cette impudeur me gêne surtout dans la deuxième partie quand on voit cette jeune femme s’accrocher à un homme qui ne lui apporte rien. L’écrivaine n’a pas réussi à m’intéresser , mais cela vient du peu de goût que j’ai pour l’auto -apitoiement sur son propre sort. C’est sans doute vrai que c’est compliqué de ne pas reproduire le schéma parental mais cela ne justifie pas pour autant le fait d’en faire le récit. Je sauve de ce roman toute la première partie de son enfance à Bari dans les quartiers miséreux, on vit au plus près de ces familles qui cherchent par tous les moyens de s’en sortir. C’était mon dernier roman italien proposé par mon club de lecture, j’ai lu de bien beaux romans même si celui-ci m’a moins intéressée.

Citations

J’aime bien ce passage :

 Il s’est bien habillé pour l’occasion il a plaqué ses cheveux en arrière pour dégager son front large et il porte un parfum agréable, nouveau. Moi aussi, j’ai fait un effort, j’ai sorti une vieille robe à fleurs qui me serre un peu, je me suis coiffée et j’ai mis des chaussures neuves. Sans véritable raison, en réalité. Peut-être que les amours terminées méritent encore une belle tenue.

Alors que son père vient d’être cruel avec son amoureux :

Ne t’inquiète pas Rosa. S’il t’aime il ne se laissera pas impressionner par les discours de papa, m’as-tu dit. 
T’en souviens-tu maman ? Moi, très bien, de même que de la douceur de ta main qui me caressait les cheveux d’un geste prudent et léger ; peut-être avais-tu peur que je te repousse. Tu parlais toujours avec une émotion qui te ramenait aux mêmes sujets : le mauvais caractère de papa,  » Il est comme ça on y peut rien », le sort inéluctable du quartier, « C’est comme ça, on ne peut pas le changer « . Tu tressais les fils de notre destin dans un mouvement circulaire auquel on n’échappait jamais

Éditions Seuil

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Un livre de 85 pages qui se lit comme un grand article de magazine sur la mort du père d’Édouard Louis que j’avais connu grâce à « En finir avec Eddy Bellegueule » . On retrouve dans ce roman la description sans concession de la misère qui a vaincu son père. J’aime beaucoup l’écriture de cet écrivain et il permet de cerner de près le pourquoi de la déchéance physique de cet homme dont il a eu tant peur avant de penser qu’il l’a sans doute aimé. Son fils remonte dans le temps et essaie de retrouver celui dont le principal crédo était de ne pas être une femmelette et le pire de l’injure était d’être un pédé. Tout le long de ce petit texte Édouard Louis se souvient d’un spectacle qu’il avait monté avec ses cousins où lui même jouait le rôle de la chanteuse. De façon obstinée, il cherche à savoir pourquoi son père n’a pas été fier de lui : est ce parce qu’il était déguisé en fille ? Sans doute, mais son père ne lui a rien dit. Cet auteur se souvient aussi du jour ou un de ses frères a essayé de tuer ce père, tout cela parce que lui a dénoncé le fait que sa mère donnait de l’argent à un délinquant qui ne cherche qu’à boire et à se droguer. L’auto-analyse de la mauvaise conscience est bien à l’image de ce que j’ai déjà lu de cet auteur. Dans sa recherche de la cause de la mort de son père les 10 dernières pages (sur 85, je le rappelle !) sont consacrées à tous les responsables politiques qui ont pris des décisions qui ont appauvri son père donc qui lui a rendu la vie plus difficile. J’avoue que ce ne sont pas mes passages préférés. Je trouve que dénoncer des hommes politiques en distribuant les mauvais points comme un maître d’école à l’ancienne, sans dénoncer Ricard, alors que son père est capable d’en boire une bouteille entière certains soirs, ce n’est pas très juste dans la distribution de ceux qui ont tué son père.

 

 

Citations

Noël .

 Toute la famille est autour de la table. Je mange beaucoup trop, tu as acheté trop de nourriture pour le réveillon. Tu avais toujours cette peur d’être différent des autres à cause du manque d’argent, tu le répétais, Je ne vois pas pourquoi on serait différent des autres à cause du manque d’argent, et pour cette raison, pour ça tu voulais avoir sur la table tout ce que tu imaginais que les autres avaient et mangeaient pour Noël, du foie gras, des huîtres, des bûches, ce qui fait que paradoxalement plus nous étions pauvres elt plus on dépensait d’argent à Noël, par angoisse de ne pas être comme les autres.

École et masculinité .

Pour toi, construire un corps masculin, cela voulait dire résister au système scolaire, ne pas te soumettre aux ordres, à l’Ordre, et même affronter l’école et l’autorité qu’elle incarnait. Au collège, un de mes cousins avait giflé un professeur devant toute sa classe. On parlait toujours de lui comme d’un héros. La masculinité, -« ne pas se comporter comme une fille, ne pas être un pédé »-, ce que ça voulait dire, c’était sortir de l’école le plus vite possible pour prouver sa force aux autres, le plus tôt possible pour montrer son insoumission, et donc, c’est ce que j’en déduis, construire sa masculinité, c’est se priver d’une autre vie, dans un autre futur, dans un autre destin social que les études auraient pu permettre. La masculinité t’a condamné à la pauvreté, à l’absence d’argent.

 

 

Jorj Chalandon est un habitué sur Luocine avec parfois d’excellent romans et parfois des déceptions.

Retour à Killiberg, le Quatrième Mur, Profession du père, sont pour moi de grands romans , un peu déçue par Le jour d’avant, et un petit flop par La Légende de nos pères, celui-ci rejoint mes préférences . Le sujet était particulièrement compliqué, Sorj Chalendon est journaliste et doit couvrir le procès Barbie en 1987 à Lyon où habite son père qui lui demande un passe droit pour suivre ce procès. C’est aussi l’occasion de rouvrir le dossier de son père qui a passé son temps à mentir à son fils sur son passé pendant la deuxième guerre . A-t-il été résistant ? Soldat SS ? Engagé dans la division Charlemagne ? a-t-il suivi les divisions allemandes pour lutter contre le communisme ? Son attitude lors du procès de Barbie est tellement désagréable, que son fils part à la recherche du procès pendant lequel son père a été condamné à un an de prison et à cinq ans d’indignité nationale.

Le roman débute par la visite du journaliste à Izieu, il visite cette colonie de vacances où des enfants juifs étaient cachés et semblaient en sécurité, ces pages sont d’une intensité rare et l’écrivain sait rendre ces enfants présents dans nos mémoires. Ce sera aussi un des moments les plus émouvants du procès.

Son père se comporte comme à son habitude, méprisant et bernant toutes les autorités : il se fait passer pour un héros de la résistance et obtient une place au procès car il veut absolument voir Barbie. Il méprise tous les témoignages des gens qui selon lui, ne sont bons qu’à pleurnicher. En revanche Barbie et Vergès lui plaisent bien ainsi que Klarsfeld car ces hommes lui semblent être d’une autre trempe. Son fils est excédé par son attitude et essaie de le confronter à son passé car il a pu obtenir le dossier judiciaire de son père grâce auquel il espère enfin le confronter à la réalité.

Les deux histoires se développent au rythme du procès officiel de Klaus Barbie, celui de son père est plus embrouillé mais implacable contre les mensonges de celui qui a gâché son enfance. Le procès de Barbie, ne permet pas d’obtenir la moindre repentance du bourreau de Lyon, mais la succession des témoignages de ceux qui ont eu à souffrir des conséquences de ses actes est à peu près insoutenables. Cela fait sourire son père , il ne voit le plus souvent qu’une machination d’une justice qui de toute façon condamnera Barbie. Son fils est écœuré, les bravades et rodomontades de son père ne l’ont jamais fait rire quand il était enfant, mais la différence c’est qu’il n’en a plus peur. La dernière scène est terrible laisser ce vieil homme face à toutes ses lâchetés lui qui s’est toujours présenté comme un héros sent la catastrophe possible. Le roman se termine là face à la Saône que son père veut traverser à la nage mais l’auteur tient à nous préciser que finalement son père est mort en 2014, Barbie en 1991 et que lui même a obtenu le dossier de son père en 2020. Donc ce livre est bien une fiction et pas une autobiographie, ce qui ne lui enlève aucune valeur à mes yeux, je dirai bien au contraire.

 

Citations

 

Conversation avec son grand-père qui donnera le titre à ce livre.

– Ton père, je l’ai même vu habillé en Allemand, place Bellecour.
À l’école primaire, pendant un trimestre, mon père m’avait obligé à porter la Lederhose la culotte de peau bavaroise, avec des chaussettes brunes montées jusqu’à la saignée des genoux. C’était peut-être ça, habillé en Allemands ? 
-Arrête donc avec ça ! a coupé ma marraine. 
Mon grand-père a haussé les épaules et rangé la pelle le long de la cuisinière. 
-Et quoi ? il faudra bien qu’il apprenne à jour ! 
– Mais qu’il apprenne quoi, mon Dieu, c’est un enfant ! 
– Justement C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! 
C’était en 1962, et j’avais dix ans.

Petite Remarque sur la personnalité de son père.

 Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu.

Le personnage son père

 -Mon père a été SS. 
J’ai revu mon père, celui de mon enfance, son ombre menaçante qui n’avait jamais eu pour moi d’autres mains que ses poings. Depuis toujours mon père me frappait. Il avait soumis son enfant comme on dresse un chien. Lorsqu’il me battait, il hurlait en allemand, comme s’il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldat. Quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais. Il était celui qui humiliait. Celui qui savait tout, qui avait tous vécu, qui avait fait cette guerre mais aussi toutes les autres. Qui racontait l’Indochine, l’Algérie. Qui se moquait de ceux qui n était pas lui. Qui les cassait par ces mêmes mots :
– Je suis bien placé pour le savoir !

La repentance qui ne vient pas.

 Il n’avait pas payé et je lui en voulais. Payer, ce n’était pas connaître la prison, mais devoir se regarder en face. Et me dire la vérité. Il a comparu devant des juges, pas devant son fils. Face à eux, il a hurlé à l’injustice. Face à moi, il a maquillé la réalité. Comme s’il n’avait rien compris, rien regretté jamais.

 

 

Éditions Stock 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Dans cette autofiction, Emmanuelle Lambert retrace la personnalité de son père en suivant les six derniers jours de sa vie. J’avais choisi cette lecture grâce à ces deux phrases qui sont sur la quatrième de couverture :

Mélancolique sans le poids du pathos. Poignant et solaire.

Seulement, c’est bien de mort dont il s’agit, et je suis à l’âge où je vois partir les miens et mes amis et je n’ai pas eu le courage de lire les derniers instants de son père. C’est moi qui ai remis du « pathos » et ma sensibilité m’a empêchée de profiter du côté « solaire » pour le « poignant », j’ai été plus que bien servie, j’ai bien revécu mes proches qui ont récemment disparu avec des cancers en phase terminale.

Pour les lecteurs plus jeunes que moi et moins nostalgiques, je pense qu’ils auront plaisir à connaître ce père qui a mordu dans la vie et toutes ses nouveautés avec une force et une détermination peu communes. Avec trois amis scientifiques comme lui, ils ont été très actifs en mai 68. L’un est devenu médecin, l’autre mathématicien de génie et emporter par la folie et lui qui est au début de sa vie programmeur mais surtout le père de deux filles, l’auteure et Magalie sa cadette.

Le couple parental sera emporté par la tempête d’un divorce que la mère aura tant de mal à vivre, elle qui avait mis toutes ses forces dans la survie de cellule familiale beaucoup trop étroite pour ce père dont l’énergie était sans limite.

On sent que la narratrice a du mal à supporter cet aspect de la vie de son père, elle nomme sa nouvelle femme « l’épouse » il y a d’ailleurs un jeu sur les prénoms que j’ai eu du mal à comprendre, elle ne donne les prénoms que des personnes qui lui ont fait du bien mais ni de son père ni de sa mère.

Pour vous donner envie de lire ce livre, je dirai que son père m’a rappelé « les vieux fourneaux » . Je pense que vous pourrez alors sourire quand elle décrit sa façon de conduire et de faire du sport sans jamais prendre de leçons.

 

Citations

Le style de l’écrivaine.

Il suintait la solitude d’un enfant grandi sans mère, et la conscience douloureuse de la différence sociale lorsqu’on l’expédia dans une autre des écoles du groupe des Frères des écoles chrétiennes, les Francs-Bourgeois de Paris. Ils était la bonne œuvre brillante et perdue parmi les grosses de riches. On dit que certaines personnes portent leur embryon mort de leur jumeau dans leur corps, dans des endroits incongrus. Il me semble que, pour certains, l’enfance désolée s’accroche à leur corps comme l’embryon mort à son double.

le dernier jour .

Le vendredi matin ma sœur et moi sommes arrivés en même temps. Dans la chambre de l’épouse nous attendait sa douleur et son épuisement m’ont attendrie, bien que j’ai toujours été trop vieille et mal aimable pour avoir une belle-mère de mon âge.

 

 

 

Édition Jacqueline Chambon. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilbert Cohen-Solal.

Un livre d’apparence légère mais qui exhale aussi un parfum de tristesse : Arthur Mineur essaie de se remettre d’une rupture amoureuse en faisant le tour des invitations pour écrivains à travers le monde. Nous suivons donc la tristesse d’un homme amoureux américain qui est souvent maladroit et fait de mauvais choix. Arthur Mineur se raconte lui-même de façon très drôle à l’image de son apprentissage de la langue allemande et la joie d’être,enfin, dans un pays dont l’auteur parle la langue – du moins le croit-il- ses propos se terminent ainsi :

Toujours est-il que Mineur arrive à Berlin et se rend en taxi jusqu’à son appartement provisoire à Wilmerdorf en se jurant de ne pas parler un seul mot d’anglais durant son séjour. Bien sûr, le vrai défi est de parler un mot d’allemand.
Il s’amuse beaucoup et nous fait sourire à propos de toutes ses approximations dans la langue de Goethe, il n’hésite jamais à souligner le ridicule dans lesquelles ses différentes maladresses le mettent souvent. Comme l’image de la couverture  : sa carte magnétique n’ouvrant plus la porte de son appartement, il entreprend de passer par le balcon ! Il scrute avec précision la moindre de ses réactions en particulier sur sa place en tant qu’écrivain. Est-il un écrivain important ? Il n’en est absolument pas certain, d’autant qu’il a vécu pendant longtemps avec un génie de la poésie américaine et qu’il sait bien que lui n’est pas un génie. Et puis il y a cette barre des cinquante ans qu’il doit franchir pendant son périple, on voit alors le problème du vieillissement pour un homme dont la jeunesse a été le principal atout de séduction. La lecture est rendue plus difficile par le changement de narrateur, sans prévenir le lecteur on ne sait jamais si c’est Arthur d’aujourd’hui qui prend la parole ou Mineur l’écrivain connu pour un premier roman et à qui a-t-il donné la parole au dernier chapitre ? je ne peux vous le dire sans dévoiler la fin. Je ne suis pas enthousiaste à propos de ce roman et contrairement aux lectrices du club, je n’aurais certainement pas mis de coup de cœur mais c’est un roman original très agréable à lire.

Citations

Humour

Mineur n’est pas vraiment connu en tant que professeur, de même que Melville ne l’était pas vraiment en tant qu’un inspecteur des douanes. Et pourtant, les deux hommes occupent respectivement ces fonctions.

Un hommage à la traductrice

Mineur se met à imaginer (tandis que le maire marmonne toujours son discours en italien) qu’on a mal traduit, où – comment dire ?- qu’on a comme « super-traduit » son roman, confié à un poète de génie méconnue (elle s’appelle Giulliana Monti), qui a réussi à faire de son pauvres anglais un italien stupéfiant. Son livre a été ignoré en Amérique, on en a à peine rendu compte, sans qu’un seul journaliste ait demandé à l’interviewer (son attaché de presse lui a dit : « L’automne est une mauvaise période »). Mais ici, en Italie, il se rend compte qu’on le prend au sérieux. Et en automne, de surcroît. Pas plus tard que ce matin, on lui a montré des articles de la « Républica », du « Corriere della Serra », de journaux locaux et de revues catholiques, avec des photos de lui dans son costume bleu, fixant l’appareil du même regard bleu saphir, naturel et inquiet, qu’il avait lancé à Robert sur cette plage. Mais la photo devrait être celle de Giuliana Monti, c’est elle, en fait, qui a écrit ce livre .

L’humour et la sexualité

Mais leurs rapports sexuels n’était pas idéaux : Howard était trop directif.  » Pince-moi là ; oui c’est ça ! Maintenant, touche-moi là ; non, plus haut ; mais non, plus haut ! Non, plus haut, je te dis. » Mineur avait presque l’impression de passer une audition pour une comédie musicale.

Je vois bien la scène

Pendant qu’il patiente, une jeune femme en robe de lainage marron pollinise l’un après l’autre des groupes de touristes, avec les mouvements circulaires d’une sorte d’oiseau-mouche vêtu de tweed. Elle se penche sur un bouquet de chaises, pose une certaine question et, mécontente de la réponse, s’élance à tire-d’aile vers un autre groupe.

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition Grasset

Je sais que cette écrivaine ravit Dominique et qu’elle a bien aimé ce roman ; pour ma part, j’ai beaucoup de réserves. Je le dis en avant propos, j’ai du mal avec les romans ayant pour objet le retour à la nature sauvage et sans doute encore plus aujourd’hui où il est de bon ton de ne parler que de ça. Je suis gênée, aussi, par le style et le propos du livre. Claudie Hunziger aime l’accumulation des phrases courtes, sans verbe, parfois réduite à un seul mot. Moi, moins. J’aime bien les phrases où je sens la pensée se construire avec des hésitations et des retours sur soi. Pour cela il faut douter, et l’auteure ne doute pas, elle sait qu’elle est du bon côté celui des animaux et tous les autres sont des assassins de la pire espèce. (On est bien loin du roman, d’Olag Tokarczuk qui pourtant défend la même cause). Elle construit son roman comme une œuvre de la nature, il faut du temps pour construire une harde de Cerfs il en faut aussi pour écrire son roman. La narratrice se fond dans sa forêt au service d’une cause. Celle de défendre ces superbes animaux :

 

Dans les Vosges, le cerf n’a plus de prédateur naturel, les forestiers estiment qu’ils sont en surnombre et abîment les arbres. L’ONF prend donc la décision d’en appeler aux chasseurs pour diviser par quatre la population de cervidés. C’est là que se situe ce roman : est-ce que cette décision ne fait pas trop la part belle aux seuls exploitants forestiers ? Est-ce que l’on tient compte du bien être animal et de la beauté de la nature ? Vous devinez les réponses de l’auteure qui voit même une collusion de l’ONF avec la boucherie qui vend la viande de cerf.

Il y a de très beaux passages dans ce roman auxquels, j’en suis certaine, toutes celles et tous ceux qui aiment les évocations de la nature seront sensibles. Et depuis que j’ai écrit ce billet j’ai lu le billet de Keisha beaucoup plus séduite que moi.

 

Citations

Genre de passage qui m’agace

Il était temps de passer à mon premier affût. Chacun une aventure. 
Les phrases aussi, chacune une aventure.

De combien de morts est responsable l’homme qui fait tant pleurer son ami ?

C‘était l’été de la première sécheresse, et celle-ci s’était conclue par la mort de Mao. À son annonce, je le vois encore s’écrouler sous un arbre du verger, gisant face contre terre, et je crois bien qu’il pleurait, soudain orphelin, tandis que les petites mirabelles des Hautes-Huttes précocement mûres, le bombardaient d’une pluie d’or.

Mélange évolution de la nature et création d’un livre

La repousse peut atteindre un centimètre par nuit. 
La tige d’une ronce peut, elle, bondir de cinq centimètres la même nuit.
Une ruche, pesée le matin, repesée le soir, peut avoir pris un kilo de miel. 
Tôt le matin, quand on surprend les aubépiniers sortant en fleur de la nuit, gonflés d’humidité, on ne sait pas tout de suite si on voit des cumulo-nimbus d’orage ou des amas de vaches aux mufles blancs. 
En une semaine, les cerfs ont allongé de dix centimètres. Mon livre, de quelques pages.

Je ne savais pas ça

(Remarquez les phrases réduites aux mots que je n’aime pas beaucoup.)

C’est à la mi-juillet exactement que les cerfs se mettent à « frayer », c’est-à-dire à fracturer l’enveloppe de velours qui enrobe leurs bois solidifiés. Quand elle sèche , on dirait qu’elle les brûle comme une tunique de Nessus, et que fou de douleur ils cognent leur bois contre les arbres, allant au même arbre chaque année. Et cette peau velue , brisée, ensuite, il la mange. Oui, il mange les lambeaux de ce velours sanguinolent qu’ils se sont fendus et qui pend devant leurs yeux. Impossible d’en trouver des débris, ils les font disparaître. J’ai beaucoup cherché sur les troncs blessés, dégoulinant de résine.. Pas un petit bout resté collé. Pas un indice traînant sous un buisson. On dirait que c’est hautement réservé. Animal. Interdit. Pour initié. Un moment de métamorphose sanglante. Nocturne et bref.
(PS je ne comprends pas ce « qu’ils se sont fendus » est ce qu’il faut lire « qu’ils ont fendu » )

Édition Verdier

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Anne Pauly perd son père éprouve le besoin de le raconter et d’en faire un livre. Elle se rapproche de celui qui n’a pas été un homme facile. Si, dans le voisinage et dans la famille, le monde a de bons souvenirs de sa mère très pieuse et cherchant à faire le bien autour d’elle son père alcoolique et très violent dans ses propos n’est pas très attirant. Il laisse une maison qui est véritable Capharnaüm dans lequel l’auteure se perd . Elle comprend que ce père qui lui manque tant est un être à plusieurs facettes. Elle raconte la violence du deuil et combien il est difficile de gérer l’absence. Elle écrit bien et, si le sujet vous touche, vous pourrez avoir de l’intérêt à lire ce récit. J’avoue ne pas trop comprendre l’utilité de tels livres même si, parfois, au détour d’une phrase ou d’une révélation, je peux être très émue.

 

 

Citations

Charmante famille

Je revoyais papa couteau à la main, immense et ivre mort, courir après maman autour de la table en éructant, Lepelleux, arrête de péter dans la soie et occupe-toi de ton ménage plutôt que de sauter au cou du curé. C’est indéniable : bourré, il avait vraiment le sens de la formule, même si, dans la réalité, personne ne portait de culotte de soie ni ne sautait au cou du curé. Prodigue et ample, ma mère, tardive dame patronnesse en jupe-culotte denim, c’était, il est vrai, investi dans les activités de paroisse, qui au fond ne lui ressemblait guère, pour échapper à ses excès à lui d’alcool, de colère et de jalousie.

Alcoolisme

Au fond, on ne sait jamais vraiment si quelqu’un boit pour échouer ou échoue parce qu’il boit.

Le pouvoir des chansons

Et puis là, sans prévenir, le refrain m’a sauté à la figure comme un animal enragé : « Mais avant tout, je voudrais parler à mon père. » Dans mon cœur, ça a fait comme une déflagration et je me suis mise à sangloter sans pouvoir m’arrêter. Félicie est remontée en voiture juste après, effarée, se demandant ce qui avait bien pu se passer entre le moment où elle était parti payer et le moment où elle était revenue. Comme je n’arrivais pas à lui répondre, elle a redémarré toutes fenêtres ouvertes dans le vent du soir et c’est en entendant le reste de la chanson qu’elle a fini par comprendre. Mes toutes dernières larmes sont sorties ce jour-là. J’avais enfin accepté. Si on m’avait dit que Céline Dion m’aiderait un jour dans ma vie à passer ce style de cap, je ne l’aurais pas cru. La catharsis par la pop-check.
(Je me suis retrouvée en pleurs en entendant Serge Réggiani chanter « ma liberté » dans des circonstances analogues.)