20160307_145754Traduit de l’américain par Françoise Cartano.

Quand j’ai appris la nouvelle de la mort de Pat Conroy, je me suis sentie triste, et ne pouvant pas participer ni de près ni de loin au deuil qui doit toucher profondément ses proches, j’ai décidé de relire « le prince des Marées » ; roman qui m’avait profondément marquée en 2002.

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Ma relecture attentive de ce gros roman (600 pages) m’a remis en mémoire tout ce que j’aime chez cet auteur. Tout d’abord, son formidable humour et j’ai encore bien ri à la lecture de la scène où sa grand mère entraîne ses petits enfants dans le choix de son cercueil, au milieu de tant de souffrances d’une enfance ravagée par la violence d’un père et de l’insatisfaction de sa mère, ce petit passage où Tholita (la grand-mère) finira par faire pipi de rire sur les azalées du centre ville est un excellent dérivatif aux tensions créées par les drames dans lesquels la famille Wigo est plongée.

J’ai de nouveau apprécié la construction romanesque : nous connaîtrons peu à peu les drames successifs de la famille à travers l’effort que doit faire le personnage principal, Tom, pour aider la psychiatre de sa sœur jumelle, Savannah, à s’y retrouver dans le délire psychotique de celle qui est aussi une poétesse admirée du tout New-York des lettres. Ce procédé permet de rompre la chronologie et de croiser plusieurs histoires. « Le prince des marées » est un roman foisonnant et généreux le drame est toujours mélangé à une énergie vitale qui permet de supporter les pires vilenies des humains. C’est peut être le reproche qu’on peut faire à ce livre , cette famille est vraiment touchée par une série de drames trop horribles. Parfois on se dit : c’est trop ! mais peu importe, c’est si extraordinaire de découvrir le Sud des États Unis sous plusieurs facettes : le racisme ordinaire, la religion, le côté bonne éducation, la force des éléments.

Enfin ce livre est un hymne à la nature et les descriptions vous emportent bien loin de votre quotidien. C’est le genre de roman que l’on quitte avec regret chaque soir et que l’on voit se terminer avec tristesse. Bravo Monsieur Part Conroy d’avoir su écrire sur l’enfance martyrisée en gardant la tête haute et votre merveilleux sens de l’humour ; et merci, vos livres ont fait voyager tant de gens vers un pays dont vous parlez si bien.

Citations

Sa rage contre les parent destructeurs

Les parents ont été mis sur terre dans le seul but de rendre leurs enfants malheureux.

Un des portrait de sa mère

Ma mère se baladait toujours comme si elle était attendue dans les appartements privés d’une reine. Elle avait la distinction d’un yacht – pureté de ligne, efficacité, gros budget. Elle avait toujours été beaucoup trop jolie pour être ma mère et il fut un temps où l’on me prenait pour son mari. Je ne saurais vous dire à quel point ma mère adora cette période… Maman donne des dîners prévus plusieurs mois à l’avance et n’a pas le loisir de se laisser distraire par les tentatives de suicide de ses enfants.

Folie de sa sœur

Depuis sa plus tendre enfance, Savannah avait été désignée pour porter le poids de la psychose accumulée dans la famille. Sa lumineuse sensibilité la livrait à la violence et au ressentiment de toute la maison et nous faisions d’elle le réservoir où s’accumulait l’amertume d’une chronique acide . Je le voyais, à présent : par un processus de sélection artificiel mais fatal, un membrure de la famille est élu pour être le cinglé et toute la névrose, toute la fureur, toute la souffrance déplacées s’incrustent comme de la poussière sur les parties saillante de ce psychisme trop tendre et trop vulnérable.

Portrait d’une méchante femme de sa ville natale

Ruby Blankenship pénétra dans la pièce, royale et inquisitoriale, ses cheveux gris brossés sévèrement en arrière, et les les yeux fichés comme des raisins secs dans la pâte molle de sa chaire. C’était une femme immense, gigantesque, qui faisait naître une terreur immédiate dans le cœur des enfants. À Colleton, elle était perçue comme « une présence », et elle se tenait sur le pas de sa porte d’où elle nous observait avec cette intensité singulièrement ravageuse que les personnes âgées qui détestent les enfants ont su élever au rang des beaux-arts. Une partie de sa notoriété locale était due à l’insatiable curiosité que lui inspirait la sante de ses concitoyens. Elle était l’hôte omniprésente de l’hôpital autant que du funérarium.

Dialogue avec sa mère

Je n’aurais pas dû avoir d’enfants, dit ma mère. On fait tout pour eux, on sacrifie sa vie entière à leur bonheur, et ensuite ils se retournent contre vous. J’aurais dû me faire ligaturer les trompes à l’âge de douze ans. C’est le conseil que je donnerais à n’importe quelle fille que je rencontrerais.
– Chaque fois que tu me vois, Maman, tu me regardes comme si tu voulais qu’un docteur pratique sur toi un avortement rétroactif.

Humour

Les enseignants américains ont tous des réflexes de pauvres, nous avons un faible pour les congrès et foire du livre tous frais payés, avec hébergement gratuit et festin de poulet caoutchouteux, vinaigrette douceâtre et petits pois innommables.

34 Thoughts on “Le Prince des Marées – Pat CONROY

  1. Je n’ai lu que Le grand Santini mais tu m’as convaincu de lire celui-ci. A bientôt.

  2. Un auteur qu’il me reste à découvrir. Et tu donnes vraiment envie de faire sa connaissance !

    • simplement je te préviens, c’est un de ces romanciers qui ont besoin d’espace et non de concision, qualité que tu sembles préférée à toute autre

  3. En voilà une belle critique… Je n’ai jamais lu Pat Conroy, est-ce que je peux commencer avec ce livre ou bien tu m’en conseillerais plutôt un autre ? Merci.

    • merci , Goran, je conseillerai de commencer par celui-là , ensuite les autres sont souvent des reprises de ce premier roman. En tout cas, tous les thèmes abordés sont dans celui-là.

  4. Un de mes livres cultes … Je te rejoins mot pour mot, exactement !

  5. OK, merci ! Je note ce titre…

  6. J’en ai lu deux, mais avec tendance à les mélanger (dans les années 90, c’est dire!)

    • je comprends qu’on les mélange car il fait de sa vie la substance de ses romans. Je trouve que dans ce premier on a l’essentiel de ce qu’il racontera dans les autres mais il se focalisera sur un aspect , celui que j’ai le moins aimé c’est celui consacré au football américain.

  7. Mais comment se fait-il que je ne connaisse pas cet auteur ? Oh la la je mesure la grandeur de mon inculture à lire les blogs !

    • c’est ce que je me dis à chaque fois que je me promène sur la blogosphère, tout le monde est inculte, et ce n’est pas grave du tout, il faut garder le plaisir de la découverte et si tu ne connais pas Pat Conroy je pense que tu as de bons moments de lecture en perspective

  8. J’avais déjà lu un billet positif sur cet auteur, je me demande même si je n’ai pas acheté ce roman… Il va falloir que je cherche parmi mes piles de romans…

  9. Margotte on 4 avril 2016 at 20:25 said:

    J’aime bien la mise en scène de ta photo… même si je ne me sens pas de partir pour 600 pages ! En ce moment, je suis en période « romans courts » ;-)

    • je m’amuse beaucoup à le faire .. je me donne deux contraintes si possible un rapport avec le roman et une touche de bleue pour Luocine . Un bon roman, très long c’est vrai.

  10. Un auteur que je ne connais pas… Merci pour la découverte !

    • Un auteur qui a eu beaucoup de succès dans les années 2000, il est très connu aux USA . J’aime beaucoup mais je ne sais pas si son côté roman fleuve plaira encore à la jeune génération.

  11. Je l’ai lu il y a longtemps. J’avais aimé, mais sans plus.

    • Il m’a fait découvrir les états du sud de l’Amérique , il est d’une honnêteté qui fait du bien. Contrairement à toi j’en avais gardé un souvenir si fort que l’annonce de sa mort m’a touchée . Je craignais la relecture à cause du côté « roman fleuve » mais la magie a de nouveau fonctionné.

  12. ah que je suis heureuse de lire ton billet, tu me donnes envie de relire ce roman, je l’avais lu à sa sortie et bien entendu fait lire à mes trois filles et relu pour l’occasion pour pouvoir papoter avec elles
    c’est un excellent roman dense et charnu au possible, l’auteur y fait le portrait d’un père qui ressemblait beaucoup au sien question violence
    j’avais beaucoup aimé l’aspect de non dit familial qui finit par détruire plus ou moins tout le monde
    allez je vais le relire cet été

    • je suis contente que tu réagisse comme moi à ce roman, je n’ose pas trop le conseiller à la jeune génération qui préfère les romans courts et incisifs. Le côté roman fleuve m’avait vraiment embarquée avec cette famille Wigo sur l’embouchure du fleuve et les marées de tout genre .

  13. et au fait connais tu le film ? pas trop mal même s’il n’a pas la puissance du roman

    • non , je suis très réticente aux films adaptés de mes livres préférés, ils tuent la magie des images que j »avais produites en les lisant.

  14. enfance martyrisée et humour? Chapeau alors! Je note!

    • De cet humour particulier qu’on parfois les gens qui souffrent quand ils ne s’apitoient pas sur eux mêmes alors qu’ils le pourraient.

  15. Quelle histoire ! J’avais été très marquée, j’étais ado quand je l’ai lu; Je veux le relire, merci de m’y faire penser !

  16. De rien. Si je l’ai relu, c’est parce qu’il est mort. C’est triste mais relire son oeuvre, c’estune façon de lui redonner vie.

  17. Je n’avais jamais lu Pat Conroy, je vais donc noter ce titre et commencer par lui, comme tu le conseilles dans les réponses. Dommage d’attendre le décès d’un auteur pour se plonger enfin dans son oeuvre (et ce n’est pas la première fois que je me dis ça cette année…). Merci beaucoup !

    • On peut aussi se dire qu’ils ont choisi ce mode d’expression pour cela , nous toucher au delà de leur mort. J’ai hâte de lire ce que tu en penseras.

  18. J’avais adoré ce livre, et le passage qui m’a le plus plu, que j’ai lu et relu, c’est celui dans lequel le héros (je ne me souviens plus de son nom…) menace de jeter hors de la fenêtre le Stradivirus d’un homme infernal avec sa femme…

    Je déteste relire, mais… je me laisserais bien tenter…

    Bonne soirée!
    lulu

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