Éditions J’ai lu, 406 pages, juillet 2025.

J’avais adoré « l’art de perdre« , et je n’ai donc pas hésité à choisir ce roman. Je me suis accrochée de toutes mes forces à ce récit, et puis quand je suis arrivée au moment où une re-visitation du passé de ce territoire à travers une expérience magique qui permet au personnage principal de retrouver tous ses ancêtres , l’auteure m’a complètement perdue. Je pense que pour comprendre ce qu’il se passe en Calédonie et écrire un roman sur ce sujet, il ne suffit pas de travailler sérieusement sur la partie historique. Il faut pour cela comprendre de l’intérieur ce pays, et sans doute, on attend encore le grand écrivain Kanak, qui réveillerait la mauvaise conscience française. Pour la Nouvelle Calédonie, la colonisation se double de la présence du bagne. Et à ce moment là je me suis sentie une nouvelle fois flouée : Alice se sert de son origine Kabyle, pour s’approprier l’histoire de la Nouvelle Calédonie. En effet, des rebelles arabes ont été déportés sur cette île au bagne qui a existé de 1864 jusqu’en 1924.

 

Tass le personnage principal est à la recherche d’elle même et se remet difficilement d’une rupture amoureuse en France. En retournant vers ces racines, elle cherche à comprendre les Kanaks et leur volonté de s’approprier leur territoire. Au bout de 200 pages assez laborieuses, elle part enfin à la recherche de deux de ses élèves jumeaux qui ont disparu. Et c’est là qu’elle rencontre un petit groupe qui cherche à faire prendre conscience aux Blancs de Nouvelle Calédonie qu’ils leur ont volé leur île et leur façon de vivre en harmonie avec la nature. C’est dans cette démarche qu’elle retrouvera ses racines « arabes » et que le personnage principal du roman rejoint la vie de l’auteure. J’ai déjà dit en introduction ce que j’en pensais.

Bref, ce roman ne m’a pas appris grand chose sur ce pays et la façon dont l’auteure le raconte m’a vraiment déçue. Je ne suis pas la seule (à être déçue) Géraldine me rejoint et son avis est très intéressant.

Extraits

Début.

 C’est une distance qui ne s’avale pas. D’ailleurs aucune distance ne s’avale. Il faudrait qu’elle arrête d’utiliser cette expression, elle ne sait pas d’où elle vient, elle ne sait pas à qui elle l’emprunte quand elle pense dans ces termes – peut-elle même prétendre qu’elle pense ? Au mieux, elle fait du patchwork avec des vieux chiffons de mots qui lui traînent dans les coins du crâne.

La nouvelle Calédonie et la destruction de la nature.

Quand son père racontait la vie de la Grande Terre, elle paraissait inépuisable. Tass est persuadée qu’il n’aurait pas supporté de la découvrir si fragile, menacée, au bord de l’extinction. La lenteur nécessaire à l’écosystème ne s’est révélé que récemment, elle a été lente à se montrer où peut-être que les humains ont été lents à comprendre  :
pour qu’une tortue atteigne la maturité sexuelle, il lui faut trente ou trente-cinq ans,
pour qu’une forêt repousse, ces forêts-là, celles qui peuvent croître dans des sols saturés de fer et de métaux lourds, il faut sept cent cinquante ans,
pour qu’une espèce évolue de manière à se défendre contre des prédateurs, il faut un temps si long et si aléatoire que personne ne peut vraiment l’estimer. 

Les grands immeubles peu adaptés au pays.

 L’état français a répondu au problème local de manière automatique, comme chaque fois qu’il a fallu traiter en urgence une question de logement social depuis la Seconde Guerre mondiale : avec des tours (il aurait aussi pu proposer des barres, bien sûr, mais pour des raisons que Tass ignore la Calédonie n’a hérité que des tours). Les immeubles de Magenta beiges ou gris en fonction de la lumière, ressemblent à un petit morceau de banlieue française qu’on aurait planté là, tout seul, en rase campagne, en ignorant qu’il ne répond à aucune des caractéristiques d’un mode de vie océanien. Les premières années, les tours avaient au moins le charme de la modernité, l’attrait du neuf. Mais depuis des décennies, les associations d’habitants se plaignent de leur dégradation, les jeunes désœuvrés qui y mettent le bazar et des appartements vacants dont les balcons sont pris d’assaut par des oiseaux diarrhéiques et bruyants.

Introduction de l’écrivain dans son propre roman.

 Imaginons ici que Tass, en tombant dans le trou d’eau, soit non seulement entrée dans une version du temps qui lui permette de voir ses ancêtres, mais qu’elle soit aussi entrée dans une dimension qui lui permette de basculer hors de ce roman. Imaginons que, chaussures mouillées et peau fripé, elle puise entrevoir les raisons pour lesquelles le livre qui la raconte, elle, a été écrit.
 Elle me verrait alors, moi, à Bouraï ou à Nouméa, en 2019, rencontrant à plusieurs reprises des hommes ou des femmes qui me disent  : nous sommes peut-être cousins. Elle me verrait rire de façon un peu embarrassée trop aiguë ou trop fort, comme une personne qui n’est pas sûre de comprendre la blague. J’ai appris, deux jours avant seulement, que des Kabyles avaient été déportés, transportés et relégués en Nouvelle-Calédonie.
 Mais la question est posée est-ce que nous pourrions être cousin ?

28 Thoughts on “Frapper l’épopée – Alice ZENITER

  1. J’ai lu plusieurs avis mitigés sur ce roman. Pourtant, j’aime beaucoup l’écriture d’Alice Zeniter d’habitude, mais là, je ne m’y suis pas risquée.

  2. keisha on 15 septembre 2025 at 08:36 said:

    Mouais, tu as raison, quid des auteurs de cette ile?

  3. Pour une fois que la Nouvelle-Calédonie est mise en lumière, et même si c’est par le prisme d’autres origines, il est dommage que ce ne soit pas plus convaincant et en effet qu’on n’entende pas plus parler de romans écrits pas des Néo-Calédoniens eux-mêmes.

    • Je n’ai pas assez souligné que c’était une très bonne idée de parler de cette région. Elle l’a fait à sa façon, et je n’ai pas été convaincue mais d’autres ont sûrement apprécié. Je vais regarder sur Babelio.

  4. Cette lecture fut une déception pour moi également. Je m’attendais à mieux de la part de l’auteure.

  5. Je n’étais pas très tentée par son roman, donc je vais passer sans regret. C’est dommage vu la qualité habituelle de l’autrice.

  6. Il me semble avoir lu des critiques assez élogieuses… peut-être pas sur ce roman là mais sur l’œuvre de l’autrice d’une manière générale

  7. J’ai « l’art de perdre » dans ma PAL. Je le lirai en priorité !

    • oh oui, « l’art de perdre » m’a marquée et appris beaucoup de choses sur les Harkis méprisés par les Algériens et si mal accueillis par les Français.

  8. J’ai entendu des avis qui qui allaient dans le sens du tien et le grand écart entre la colonisation algérienne et celle qui a eu lieu en Nouvelle Calédonie m’avait laissée perplexe … Une amie m’a prêté ce titre, il y a un an … Je vais le lui rendre sans regrets, je pense !

    • bon je ne suis donc pas la seule à avoir pensé qu’elle faisait un amalgame un peu étrange, comme si elle avait besoin d’une justification grâce à son origine Kabyle pour se donner le « droit » d’écrire à propos de la Nouvelle Calédonie.

  9. Je n’ai jamais lu Alice Zeniter. Une lacune à combler. Plutôt avec L’art de perdre, si j’ai bien compris.

  10. Lu. Extrait de mon billet : « Comment un roman peut-il être aussi intéressant et instructif tout en étant aussi peu passionnant et captivant. »
    J’ai appris des choses, mais dieu que cette lecture fut laborieuse et plutôt vide de plaisir.

  11. Ah zut. J’ai beaucoup aimé aussi « l’art de perdre ». A voi.

  12. J’en ai appris pas mal pour ma part, c’est surtout l’insistance faite sur le groupe indépendantiste qui m’a un peu ennuyée.

    • je savais certaines choses sur la colonisation de Nouméa et ce qu’elle en dit me semble juste et intéressant, c’est son point de vue qui me gêne : le rapprochement entre la destinée de sa propre famille.

  13. Tu n’es pas la première à être déçue; Je n’ai encore jamais lu Zeniter, mais plus ça va moins j’ai d’enthousiasme… à tort peut-être, mais elle n’est clairement pas dnas mes priorités dans la catégorie « auteurs à découvrir ».

  14. Je n’ai pas réussi à retrouver l’élan de « L’art de perdre » dans les romans suivants de l’autrice. Je l’ai écoutée à une rencontre et elle expliquait qu’elle avait essayé au maximum d’éviter de s’approprier l’histoire de la Nouvelle-Calédonie en discutant avec des kanaks mais bon visiblement ce n’est pas si convaincant.
    Par contre, je trouve ça bien qu’un roman évoque ce lieu si peu connu et reconnu.

    • Je n’ai pas compris pourquoi elle se cherchait un lien avec la Nouvelke Calédonie à travers une ascendance Kabyle.
      Et puis la façon de mêler la magie et la civilisation casaque ne m’a pas intéressée.

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