Édition Le livre de Poche Traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides

Bien conseillée par Keisha et Katell , j’ai lu avec grand plaisir ce gros roman : comme quoi, de gros pavés peuvent me plaire ! Cet auteur m’avait, pourtant, rendue si triste avec « L’audacieux Monsieur Swift » : John Boyne a vraiment une plume particulière et beaucoup de comptes à régler avec son pays natal.

Ce roman s’étend de 1945 à 2015 et nous décrit une Irlande bien différente de la vision folklorique que l’on pouvait avoir (musique, bière danse …et paysages !). Cette vision avait déjà été bien abimée par les révélations sur la puissance malfaisante de l’église catholique en particulier sur les jeunes femmes qui avaient le malheur d’avoir des enfants sans être mariées. C’est encore cette puissance perverse qui a fait le malheur des homosexuels. L’hypocrisie de ceux qui se réjouissent que l’homosexualité soit un crime, que les filles mères soient bannies et qui satisfont leurs désirs de façon variées est répugnante. Comme dans tous les pays où l’homosexualité est pénalisée cela laisse la place à une prostitution qui doit se cacher donc terriblement dangereuse.

La première scène est inoubliable : la jeune Catherine Goggin, âgée de seize ans est traitée de putain par un prêtre d’une violence inouïe, car elle attend un bébé et est bannie de l’église et de son village. Arrivée à Dublin, elle connaitra au terme de sa grossesse une deuxième scène violente. Elle avait, en effet, trouvé deux hommes qui avait accepté de la loger, c’est très intéressant de voir combien cette jeune femme est totalement incapable d’imaginer l’homosexualité, hélas ce n’est pas le cas du père d’un des deux jeunes hommes. Dans une scène à peine soutenable celui-ci tuera son fils et ratera de peu son amant et Catherine qui accouchera ce jour là d’un bébé qu’elle fera adopter. Elle ne reverra ce fils qu’en 2008 . Cet enfant, Cyril qui va être le fil conducteur de tout le roman, sera élevé par une famille pour le moins originale qui ne saura pas l’aimer mais qui ne le rendra pas malheureux. Son père adoptif est accusé de fraude fiscale et fera de la prison et précise à chaque fois qu’il présente son fils qu’il est adopté et qu’il n’est pas un vrai « Avery » . Sa mère vit enfermée dans son bureau et écrit des romans et fuit toute célébrité. Après sa mort, elle deviendra une des plus grande écrivaine irlandaise. Cyril, vivra une passion amoureuse avec Julian, cette passion n’est pas partagée mais Julian reste son ami. Il finira par épouser sa soeur mais prendra la fuite le soir de ses noces. Sa jeunesse irlandaise sera d’une tristesse sordide car il ne pense qu’à assouvir ses pulsions sexuelles sans connaître l’amour, adulte en Hollande il connaitra une période de bonheur en vivant un amour partagé avec un médecin qui consacrera sa vie à soigner des malades du SIDA.

J’arrête de vous raconter tout ce roman qui saute d’époque en époque et de pays en pays ce qui permet – mieux qu’un essai sur le sujet- de comprendre combien les homosexuels ont souffert de ne pas pouvoir vivre leur sexualité normalement. Quand on sait que certains pays vivent encore sous cette condamnation morale cela fait peur, comme les homosexuels sont considérés comme des malades ou des êtres anormaux on peut tout leur faire subir, si la condamnation est religieuse ce qui est souvent le cas, alors tout devient très dangereux pour le jeune qui perd tous ses repères.

L’aspect romanesque est bien construit, même si les hasards romanesques font se rencontrer des personnages qui avaient vraiment peu de chance de se retrouver, on accepte cette fiction littéraire car le second plan sociétal est riche et très bien argumenté. Je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans ce roman et tant pis s’il dégrade encore un peu plus l’image de l’Irlande Catholique. La religion y a joué un bien vilain rôle dans ce domaine là, l’église fera certainement un jour des excuses, il faut espérer que cela permettra aux mentalité de vraiment changer. Ce roman en tout cas peut y contribuer mais sera-t-il lu par des gens qui ont des idées bien arrêtées sur le sujet, à plusieurs reprises l’auteur se plaît à rapporter des propos « ordinaires » sur « ces gens là » de personnes qui imaginent qu’ils sont eux « normaux » et cela est criant de vérité et permet de nous rendre compte qu’il faut être attentifs sur ce genre de sujets.

 

 

Citations

Discours du prêtre pour condamner la jeune fille enceinte.

« Quitte ces lieux, espèce de gourmandise, quitte Goleen, emporte ton infamie ailleurs. Il y a des maisons à Londres qui sont faites pour les filles comme toi, avec des lits où tu pourras te coucher et écarter les jambes pour que tout le monde puisse satisfaire tes besoins licencieux. »

 

Enfant adopté.

« Vois ça plutôt comme un bail, Cyril, me dit-il – ils m’avaient appelé Cyril en souvenir d’un épagneul qu’il avaient eu autrefois et qu’ils avaient beaucoup aimé- , un bail de dix huit ans. Mais pendant tout ce temps, il n’y a aucune raison qu’on ne s’entende pas tous bien, n’est ce pas ? Même si je me plais à penser que si j’avais eu un fils, il aurait été plus grand que toi. Et il aurait montré un peu plus d’aptitudes sur le terrain de rugby. Mais tu n’es pas ce qu’il y a de pire. Dieu seul sait sur qui nous aurions pu tomber. À un moment, on nous a même suggéré de prendre un bébé africain. »

Un homme « galant », qui trompe sa femme.

«  Chérie, prends un amant si tu veux, cela ne fait aucune différence pour moi. Si tu as besoin d’un coup de queue. Il y en a plein, là, dehors. Des grosses, des petites, des jolies, des biscornues. Des tordues, des courbées, des droites. Les jeunes hommes sont essentiellement des queues en érection sur pattes, et n’importe lequel d’entre eux serait ravi de fourrer la sienne dans une femme aussi belle que toi. »

L’homosexualité .

 Nous étions en 1959, après tout. Je ne savais presque rien de l’homosexualité, en dehors du fait que succomber à ce genre de désir était un acte criminel en Irlande qui donnait lieu à une peine de prison. À moins que j’entre dans les ordres, dans ce cas, il s’agissait d’un avantages en nature de la profession.

L’homosexualité 1966.

 C’était une période difficile, pour un Irlandais âgé de vingt-et-un ans attiré par les hommes. Quand on possédait ces trois caractéristiques simultanément, on devait se situer à un niveau d’hypocrisie et de duplicité contraire à ma nature.

Visite chez le psychiatre en 1966.

 Il faut que vous reteniez ceci : il n’y a pas de homosexuels en Irlande. Vous vous êtes peut-être fourré dans la tête que vous en étiez un, mais vous avez tort. C’est aussi simple que ça. Vous avez tort. 
– Je n’ai pas l’impression que ce soit aussi simple, docteur, avançai-je prudemment. Je pense vraiment qu’il est très possible que j’en sois un.
 – Vous ne m’avez donc pas écouté ? fit-il, avec un sourire, comme si j’étais un crétin fini. Est-ce que je ne vous ai pas dit qu’il n’y avait pas d’homosexuels en Irlande ? Et s’il n’y a pas d’homosexuels en Irlande, comment diable pourriez-vous en être un ? »

24 Thoughts on “les fureurs invisibles du coeur – John BOYNE

  1. keisha on 24 octobre 2022 at 08:25 said:

    Un bon gros roman, je n’en lis plus beaucoup, mais là ça m’a entrainée, je suis ravie qu’il t’ait tant plu aussi!

  2. Noté aussi, mais j’ai d’abord « L’audacieux Mr Swift » à lire. J’ai une amie qui a longtemps vécu en Irlande, et le portrait qu’elle m’en a brossé m’avait atterrée (elle a notamment évoqué ce puritanisme hypocrite qui est aussi l’une des cibles de l’auteur, à lire ton billet…).

  3. Je survole ton article car c’est le prochain titre de cet auteur que je veux lire. Je retiens juste les quatre coquillages et je suis bien contente que tu te sois « réconciliée » avec cet auteur dont je découvre la richesse de l’oeuvre.

    • Ce qu’il décrit de l’Irlande et du pouvoir de la religion catholique est absolument horrible. On le savait déjà pour les filles qui avaient des enfants hors mariage. Dans ce roman la critique concerne l’homosexualité. Et l’hypocrisie de l’église est absolument insupportable.

  4. Ce roman a été un coup de coeur pour moi, et je suis bien contente que tu l’aies aimé ! Par contre, rien à voir avec L’audacieux Mr Swift qui m’était tombé des mains.

    • Je ne suis donc pas la seule à ne pas avoir aimé « l’audacieux monsieur Swift » merci pour celui ci qui est vraiment très bien même si la réalité qu’il décrit est horrible.

  5. Grace à vous toutes j’ai une liste de romans irlandais longue comme le bras et celui là est tout en haut de la liste
    je t’ai lu un rien en diagonale pour ne pas en savoir trop, mais tes coquillages sont là pour tout me dire

    • Je n’en dis pas trop dans mon récit assez pour que je me souvienne moi-même du fil narratif car il se passe beaucoup de choses dans un roman qui couvre à peu près 70 ans .

  6. C’est un un roman souvent recommandé lorsqu’il s’agit de l’homosexualité. Je vais me le noter pour le challenge pavé de l’an prochain, à moins que j’arrive à le lire d’ici là.

  7. Je le note, j’aime bien les pavés en poche pour les vacances.

  8. Je le note tout de suite !

  9. krol on 25 octobre 2022 at 09:52 said:

    Et bien en fait, je l’avais déjà noté…

  10. J’aime beaucoup cet auteur. Tant en littérature jeunesse qu’en littérature générale, j’ai toujours passé de bons moments dans ses romans. Je n’ai pas lu celui-ci mais ce que tu en dis me donne très envie de m’y plonger prochainement.

  11. c’est le même auteur que celui du Garçon au pyjama rayé? Tu m’intrigues et je vais essayer d’en savoir plus…

  12. Mais oui, c’est bien le même auteur ;-D (d’ailleurs, sais-tu qu’il y a une « suite » au Garçon au pyjama rayé ?)
    Côté romans pour « adultes », j’ai lu et beaucoup aimé Le Secret de Tristan Sadler et L’audacieux Monsieur Swift que je te recommande chaudement.

  13. Je ne me suis jamais fait d’illusion sur l’Irlande… et les événements « récents » ne vont pas m’y inciter. Hélas, pour livre ce genre de roman, il faut déjà être ouvert. C’est dommage, mais ce genre de lecture n’arrive que rarement je pense dans les mains des persécuteurs, qui sont bien ancrés dans leurs idées conservatrices…

    • Évidemment tu as raison, mais moi je n’avais une idée si négative de la religion catholique face à l’homosexualité et ce roman m’a permis de mieux comprendre, je pense qu’un jour l’église de mandera pardon . Elle est très forte pour ça, ce n’est peut-être pas suffisant mais c’est déjà ça.

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