Édition Gallimard NRF

Voici la première phrase
J’ai vingt-huit ans et j’arrive à Rennes avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre.

J’avais acheté ce livre suite à une avalanche de commentaires élogieux, je me souviens d’un billet de Jérôme, Ingannmic Athalie et de Kathel mais je sais qu’il y en a eu d’autres. Le problème c’est que j’avais accepté de prêter ce roman avant de l’avoir fini. Il est revenu mais je l’avais un peu oublié. Je l’ai relu avec plus de plaisir que la première fois et je n’ai pas lâché ma lecture car je ne voulais pas qu’il disparaisse encore une fois dans mes piles de livres. Depuis, j’ai écouté les différentes prises de paroles de Velibor Čolić et l’auteur est tout aussi intéressant que son roman. Il raconte son arrivée à Rennes avec le statut de réfugié : le choc ! Est-ce qu’un être humain peut se résumer en un mot : »réfugié » . Il veut être écrivain, et j’imagine l’enseignante langue étrangère (que j’ai été autrefois) qui s’arrache les cheveux lorsqu’il remplit sa fiche, à la rubrique « que voulez vous faire plus tard » Velibor Čolić écrit : « Goncourt », alors que la leçon du jour est de répéter et écrire « Où est la poste » …. Son humour, son sens de l’observation particulièrement aiguisé parce qu’il est illettré en français, ses rencontres diverses et variées de gens qui ont le même statut que lui, lui ont permis d’écrire ce manuel à mettre dans toutes les mains. Les nôtres d’abord, nous les Français qui ne savons pas souvent comment faire pour aider ces gens qui sont d’abord des êtres souffrants d’avoir perdu leur identité, et dans les mains des réfugiés pour les aider à se redresser et à redevenir les hommes ou les femmes qu’ils sont au delà de ce statut qui les écrase. Ce livre n’a rien de tragique et pourtant on y croise la tragédie tout est sauvé par le style d’un grand écrivain . Velibor Čolić arrive dans la langue française avec son accent, mais à l’écrit ça ne se sent pas trop, avec aussi sa propre façon d’écrire sans pathos et sans la fameuse logique cartésienne. Il y a de la poésie même dans ses beuveries et dans les locaux un peu crasseux où il doit habiter, mais surtout il y a cet humour ravageur qui le sauve de toutes les situations les plus scabreuses. Je pense que oui, un jour, il l’aura le Goncourt même s’il a gardé un accent pour dire : « Où est la poste » .

(PS les hortensias c’est pour sa nouvelle identité bretonne !)

 

Citations

Sa langue

Je murmure une complainte, stupide et enfantine, tout en sachant que les mots ne peuvent rien effacer, que ma langue ne signifie plus rien, que je suis loin, et que ce « loin  » est devenu ma patrie et mon destin…

La France vu par des exilés

– Quel drôle de pays la France, radote Alexandre, ici le pain blanc est moins cher que le pain noir. 
-Et en plus, dis Volodya, il mange de la salade avant la viande, et pas comme nous en même temps…. 
– Oui, oui j’ajoute avec un air sérieux, les Français et leur mille sortes de fromages qui puent… Chez nous on a deux sortes de fromages -salé et demi salé- et pour le reste débrouille-toi camarade. 
Ensuite nous trinquons et buvons au goulot, à la slave.

Deux leçons pour survivre dans l’exil :

Comment faire ses courses

Tu sors dans la rue piétonne, la rue principale, la rue la plus fréquentée et tu attends que la première grosse mama africaine arrive. Ensuite tu te faufiles derrière elle, discrètement, telle une ombre. Là où elle fait ses courses c’est garanti moins cher en ville.

Comment mener une bagarre

Il faut toujours que tu tapes en premier. Peu importe la situation, peu importe l’adversaire il faut que tu le cognes d’abord, après seulement tu peux discuter. Pour la bagarre il faut éviter, dans la mesure du possible, les petits mecs. Les grands sont plus faciles à prendre. La plupart du temps le grand bonhomme est tranquille, tout le monde s’écarte devant lui, il n’a pas l’habitude de se battre,. Tandis que le petit, et bien lui s’est battu toute sa foutue vie, pour se faire une place, pour se faire entendre, pour prouver qu’il existe. Donc, attention aux petits, ils sont à éviter ! 

Concours des horreurs de guerre : l’Africain a gagné

D’accord, sourit un Africain, une fois un copain a été blessé à la jambe. Il criait et criait tellement fort, qu’au bout d’une demi-heure j’ai été obligé de lui dire. « Écoute mon vieux, toi tu es blessé à la jambe et tu pleures comme une gonzesse, mais regarde, ton camarade de combat, il a reçu un obus sur la tête et il ne dit rien. »

Histoires de guerre dans l’ex Yougoslavie

Un beau jour, narre Omer, on était 1992 avec mon copain Asim le plongeur, on s’arrête sous un vieux pont en bois pour se soulager un peu, tu vois. Et c’est justement à ce moment-là que l’armée serbe décide de bombarder le pont. Les obus pleuvaient et nous on était en bas, le pantalon baissé en train de vider, tu vois, nos ventre. « Je demande à mon cousin. Tu as peur ? Il me dit : « Mais non pas du tout. Pourquoi ? » Alors je réponds : « Si tu n’as pas peur pourquoi tu essayes de me torcher les fesses ? « 
Voilà une autre histoire vraie, j’ajoute, pendant la guerre l’armée serbe entra dans une maison bosniaque. Ils trouvèrent juste une grand-mère assise près de la fenêtre. « Écoute la vieille, dit-leur commandant, dis-moi rapidement où est ton fils. » Et la mamie. « Où est ton fils, où est ton fils, où est ton fils… Ce n’est pas assez rapide ? Sinon je peux encore aller plus vite. Et ton fils, où est ton fils, où est ton fils… »

La langue française

Les bottes jadis noires, sont dans un piteux état. Je ne me rappelle plus comment je les ai eues. Je m’interroge : peut-on dire pour les chaussures aussi qu’elles sont de « deuxième main » ? Ou de « deuxième pied ?

 

18 Thoughts on “Manuel d’Exil – Velibor Čolić

  1. Je l’avais noté chez les copines blogueuses, tu enfonces le clou là :-)

  2. keisha on 7 juin 2021 at 11:25 said:

    Mais comment je n’ai pas encore lu ce livre? ^_^

    • Parce que Keisha il faut que tu te fasses une raison on ne peut JAMAIS tout lire et donc il reste de bonnes surprises que tu découvriras un jour!

  3. J’ai beaucoup aimé ce témoignage plein d’humour, et oui, les copines, il faut le lire !
    J’ai écouté Velibor Colic au festival Étonnants Voyageurs il y a quelques années, une rencontre avec Dany Laferrière, tu imagines comme c’était savoureux !

  4. Merci pour le lien, quel beau souvenir que cette lecture ! Et il faut lire ses autres romans, aussi..

    • J »aime bien mettre des liens, pour plusieurs raisons , l’une est de me souvenir où j’ai trouvé cette lecture . Et oui « il faut » lire les autres mais bon je préfère l’envie à l’obligation car je lis tous les jours avec plaisir mais je ne peux jamais tout lire ce qui me fait envie. Donc : j’en lirai d’autres de lui mais je ne dis pas quand!

  5. je ne connais pas du tout l’auteur ni son histoire, mais j’ai très envie de la lire, ton billet y invite vraiment… Et ce sujet semble vouloir rester hélas très contemporain pour encore longtemps…. puisque si un jour les guerres s’arrêtent, ce seront les réfugiés climatiques. Bon et puis il y a Rennes , donc !

  6. un auteur que j’ai plusieurs fois noté alors c’est comme Aifelle le clou s’enfonce un peu plus !!! merci à toi tu nous donnes une furieuse envie de lire cet homme je suis tellement admirative de ces gens qui sont capables ainsi de reconstruire une vie, de donner forme à leur talent malgré les vicissitudes Quel courage et quelle leçon

    • Je comprends ton admiration, c’est vraiment dur de se reconstruire surtout quand on sent que l’on ne pourra jamais revenir dans son pays natal.

  7. Je me souviens des articles des personnes que tu cites qui m’avaient largement incitée à lire ce livre. Merci pour le rappel.

  8. à Rennes en plus ! Jamais entendu parler. Je le note tout de suite

  9. Un témoignage à lire et à savourer pour l’humour bien noir ! j’aime bien ce que tu dis de l’accent de l’auteur, qui ne se sent pas trop à l’écrit … Quoique, j’ai l’impression de l’entendre parfois, dans certaines tournures de phrases.

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