Traduit de l’anglais par Élodie LEPLAT. Lu grâce au club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Notre Club s’est donné une tradition pour clore ses lectures. Au mois de juin, nous élisons « notre coup de cœur des coups de cœur », pour cela, la vingtaine des participants – remarquez le masculin, cette année deux hommes nous ont rejointes !) doivent lire les dix livres en lice pour pouvoir participer au vote autour d’agapes faites maison. « Le chagrin des vivants » avait connu un tel succès que je n’avais pas pu le lire l’an dernier , et depuis il est toujours sorti de la médiathèque. Comme je comprends son succès ! je pense que ce roman va être un concurrent sérieux pour notre prix en juin 2017.
Le roman se déroule essentiellement à Londres, sur cinq jours, du 7 novembre 1920 au 11 novembre où toute cette grande ville et tout le pays lui-même se souviendra de ceux qui sont morts pendant la guerre 14-18 sur le sol de France. Nous suivons également la dépouille du « combattant inconnu » qui sera inhumé à Westminster. Le début du roman est un peu compliqué, car c’est un roman choral, nous suivons le destin d’Hettie une jeune fille d’origine très modeste, de 19 ans qui veut danser et vivre à tout prix alors que son frère mort vivant n’arrive pas à retrouver le goût de la vie après son retour du front. Puis à Evelyn d’origine aristocrate qui a travaillé dans une usine d’armement pendant la guerre pour oublier la mort de son fiancé, et se sent devenir une vieille fille acariâtre et enfin à Ada dont le fils est mort à Albert avant d’envoyer cette carte postale de l’église tristement célèbre à sa mère.
À partir de ces quatre femmes dont les destins se croisent, l’après guerre à Londres se dessine devant nos yeux de lecteur encore surpris de tant d’horreurs. Est-ce qu’il faut attendre 100 ans pour que tout soit dit sur une guerre ? J’ai beaucoup lu sur celle-ci, mais évidemment du côté français, il me semble qu’en France on a mieux traité les anciens combattants qu’en Grande Bretagne. Les hommes mutilés sont réduits à la mendicité. J’aimerais en savoir plus sur ce sujet mais déjà, dans la célèbre série Downton Abbey, on voit que les anciens soldats ont besoin de la charité publique pour se nourrir. La force du roman vient de ce que peu à peu comme beaucoup de Londoniens nous sommes attirés par la cérémonie du 11 novembre 1920 où beaucoup de Britanniques, dont nos quatre personnages, trouveront dans cette cérémonie en l’honneur du « combattant inconnu » un peu de consolation pour des maux si multiples et si profonds que rien ne semblait pouvoir les apaiser. L’auteure a très bien rendu compte de la variété des destins brassés dans un même creuset, celui de la guerre qui a tué, mutilé, ravagé une génération d’hommes jeunes et donc par voies de conséquences de leurs proches.
Citations
Les souffrances d’une mère
L’automne vint, les journées commençaient à raccourcir, la conscription à s’imposer. Alors elle commença à prier, ce qu’elle n’avait pas fait depuis des années. Elle priait égoïstement, désespérément, pour elle, pour Michael, pour que la guerre s’arrête à sa porte. Elle ignorait à qui elle adressait ces prières, elle ignorait qui était le plus puissant : un Dieu distant, qui écoutait ou pas ; la guerre affamée elle-même, qui grondait sur leur seuil.
Ceux qui sont revenus
Pourquoi ne peut-il pas passer à autre chose ?
Pas seulement lui. Tous autant qu’ils sont. Tous les anciens soldats qui font la manche dans la rue, une planche accrochée autour du cou. Tous vous rappellent un événement que vous voudriez oublier. Ça a suffisamment duré. Elle a grandi sous cette ombre pareille à une grande chose tapie qui lessive la vie de toute couleur et toute joie.
La guerre est terminée, pourquoi ne peuvent-ils donc pas tous passer à autre chose, bon sang ?
Payer pour une inscription sur les tombes des soldats morts en France
Ils m’ont demandé quelle inscription mettre sur la tombe. C’était six pence la lettre, rien que ça. On aurait pu croire qu’ils payeraient pour ça non ?
Qui a gagné la guerre
L’Angleterre n’a pas gagné cette guerre. Et l’Allemagne ne l’aurait pas gagnée non plus
– Qu’est ce que tu veux dire ?
– C’est la guerre qui gagne. Et elle continue à gagner, encore et toujours.