Édition Gallimard NRF

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Se souvenir de cette phrase

 La seule arme qu’a un pauvre pour conserver sa dignité est d’instiller la peur.

Quel livre ! Comment peut-on ensuite avoir la moindre confiance dans la conduite des affaires de la Russie en Poutine, appelé le Tzar dans tout ce roman ? Et comment ne peut on faire autrement que de chercher à se défendre de lui ? Ce roman prend pour sujet des confidences que Vadim Baranov, personnage réel qui a été l’éminence grise de Poutine pendant vingt ans, auraient faites à l’écrivain qui connaît mieux que personne les dessous du pouvoir du Kremlin dirigé par Poutine de main de fer.

Nous découvrons que tout ce que l’Europe connaît comme conflits les plus horribles sont dues au désir de Poutine de redonner la fierté aux Russes que ce soit la guerre en Tchétchénie ou la guerre en Ukraine. Tout est venu de la fin du communisme période pendant laquelle la Russie a connu une période où tout était permis mais où, surtout, les dirigeants internationaux, en particulier les américains, méprisaient de façon ouverte les dirigeants russes. Il raconte comment le fou rire de Clinton devant les propos incohérents d’Elstine lors d’une conférence de presse à New York en 1995 a humilié toute une nation. Toute la conduite de Poutine est de faire peur aux occidentaux et peu importe les prix humains que cette folie de grandeur coûtera.
Ce roman, ou essai car on se demande ce qui est romancé dans cette histoire, est absolument passionnant. Le style de cet auteur est agréable à lire, on sent qu’il connaît très bien son sujet. On retrouve tous les évènements dont a plus ou moins entendu parler, la montée des oligarques et leur chute voire leur suicides « assistés » . La Russie s’est trouvé le maître qui lui convient, il flatte leur sentiment de supériorité et en les obligeant à se soumettre ils retrouvent la conduite de leurs grands-parents de ne plus rien critiquer et d’absorber la propagande servie par des médias au main de leur Tzar préféré . C’est d’une tristesse incroyable

 

 

Citations

J’ai envie de lire cet auteur que je ne connaissais pas.

Depuis que je l’avais découvert, Zamiatine était devenu mon obsession. Il me semblait que son œuvre concentrait toutes les questions de l’époque qui était la nôtre. « Nous » ne décrivait pas que l’Union soviétique, il racontait surtout le monde lisse, sans aspérités, des algorithmes, la matrice globale en construction et, face à celle-ci l’irrémédiable insuffisance de nos cerveaux primitifs. Zamiatine était un oracle, il ne s’adressait pas seulement à Staline : il épinglait tous les dictateurs à venir, les oligarques de la Silicone Valley comme les mandarins du parti unique chinois.

Les élites russes.

 Voyez-vous, l’élite soviétique au fond ressemblait beaucoup à la vieille noblesse tsariste. Un peu moins élégante, un peu plus instruite, mais avec le même mépris aristocratique pour l’argent, la même distance sidérale du peuple, la même propension à l’arrogance et à la violence. On échappe pas à son propre destin et celui des Russes est d’être gouvernés par les descendants d’Ivan le terrible. On peut inventer tout ce qu’on voudra, la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet il y a les « opritchniki » des chiens de garde du tsar.

Moscou 1990.

 Moscou au milieu des années 90, était le bon endroit. Vous pouviez sortir de la maison un après-midi pour aller acheter des cigarettes, rencontrer par hasard un ami surexcité pour je ne sais quelle raison et vous réveiller deux jours plus tard, dans un chalet à Courchevel, à moitié nu entouré de beautés endormies, sans avoir la moindre idée de comment vous est-il arrivé là. Ou bien, vous vous rendiez à une fête privée dans un club de strip-tease, vous commenciez à parler avec un inconnu, gonflé de vodka jusqu’aux oreilles, et le lendemain vous vous retrouviez propulsé à la tête d’une campagne de communication de plusieurs millions de roubles.

Comprendre Moscou .

Tout contribuait à alimenter la bulle radioactive de Moscou. Les aspirations accumulées de tout un pays, immergé depuis des décennies dans la sénescente torpeur communiste, convergeaient ici. Et au centre, il n’y avait pas la culture, comme le croyait les intellectuels convaincus d’hériter du sceptre et qui n’avaient rien hérité du tout. Au centre, il y avait la télévision. Le cœur névralgique du nouveau monde qui, avec son poids magique, courbait le temps et projetait partout le reflet phosphorescent du désir. 
Convertir mon expérience théâtrale en carrière de producteur de télévision fut comme passer du carrosse à vapeur à la Lamborghini.

Humour Soviétique.

 « Sais-tu ce que disaient les Moscovites de la Loubianka à l’époque de L’URSS ? Que c’était l’immeuble le plus haut de la ville car de ses caves on voyait la Sibérie… »

 Staline dans les souvenirs des Russes.

 Vous, les intellectuels, vous êtes convaincus que c’est parce que les gens ont oublié. D’après-vous, ils ne se souviennent pas des purges, des massacres. C’est pourquoi vous continuez à publier article sur article, livre sur livre à propos de 1937, des goulags, des victimes du stalinisme. Vous pensez que Staline est populaire malgré les massacres. Eh bien, vous vous trompez, il est populaire à cause des massacres. Parce que lui au moins savait comment traiter les voleurs et les traîtres. »
 Le tzar fit une pause. 
« Tu sais ce que fait Staline quand les trains soviétiques commencent à avoir une série d’accidents ?
-Non.
– Il prend Von Meck, le directeur des chemins de fer, et le fait fusiller pour sabotage. Cela ne résout pas le problème des chemins de fer, en fait cela peut même l’aggraver. Mais il donne un exutoire à la rage. La même chose se produit chaque fois que le système n’est pas à la hauteur. Quand la viande vient à manquer Staline fait arrêter le commissaire du peuple pour l’agriculture. Tchernov, l’envoie au tribunal et celui-ci, comme par magie confesse que c’est lui qui a fait abattre des milliers de vaches et de cochons pour déstabiliser le régime et fomenter une révolte.

Remarque que je trouve juste.

 J’ai pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent de joie une fois passé le seuil. Contrairement aux notables, qui cachent parfois des pulsions anarchique sous l’habitude des dorures, les rebelles sont immanquablement éblouis comme les animaux sauvages face au phare des routiers.

 

 


Édition Feryane (gros caractères) traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Ce roman a eu un tel succès que je n’ai pu le trouver qu’en gros caractère dans une petite bibliothèque assez loin de chez moi. Ce n’est ni agréable ni gênant de lire ainsi. (Je me demande si cela aide vraiment les gens qui ne voient pas très bien). J’avais déjà lu « le pingouin » du même auteur, je me souviens que l’aspect déjanté du roman ne m’avait qu’à moitié plu.

Mes cinq coquillages disent que pour ce roman je n’ai aucune réserve. Et ceci pour plusieurs raisons :

  • Que savions nous vraiment de l’Ukraine avant que les Russes ne décident d’envahir ce pays ?
  • En 2014, certaines provinces sont tombées sous la coupe de « pro » russes et la Crimée a été rattachée à la Russie, mais qu’en était-il des populations ? Se sentaient-elles russes ou ukrainiennes ?
  • Comment vivent les citoyens ordinaires dans des villages coupés du monde sans électricité la plupart du temps ?
  • Que peuvent apporter les abeilles aux hommes ?

À travers un personnage étonnant Sergueï Sergueïtch, apiculteur, qui est resté vivre dans son village sur la zone de front, Starogradivka, j’ai mieux compris que par les multiples reportages ce qui ce passait dans cette région de l’Ukraine. Son village ne compte plus que deux habitants : lui et son pire ennemi Pachka . Sergueï n’est pas un héros ni un personnage très sympathique, il va le devenir au cours de ce roman. Sa femme l’a quitté et on devine parce qu’elle n’en pouvait plus de vivre avec un homme si casanier qui ne supportait pas que l’on puisse appeler une petite fille Angélica (trop original pour le village !). La solitude lui pèse, mais pas tant que ça, il va devoir se rapprocher de son ennemi d’école primaire et une forme d’entente va se créer entre eux. Tous les deux vivent au grès des bombardements qui passent au dessus de leur tête, ils sont habitués ! ! De temps en temps, Sergueï va dans un village un peu plus loin et prend du ravitaillement. Il va essayer aussi d’enterrer un soldat tué sur cette ligne de front, il ne pourra que le recouvrir de glace. C’est un véritable acte de bravoure car il sait que les deux camps observent cette zone où personne ne doit passer.

L’été arrive et avec l’été, il lui faut trouver un endroit propice pour ses abeilles. Il trouve d’abord un lieu parfait dans la campagne ukrainienne , mais sans s’en rendre compte, il va attiser la jalousie des hommes du villages car il plait beaucoup à l’épicière du village. La guerre le rattrape, un des villageois, revenu complètement traumatisé de la guerre, a des accès de violence incontrôlés et vandalise la voiture de Sergueï à coups de hachette, il décide donc de partir en Crimée.

Là encore le quotidien de la guerre va le rattraper. Il doit passer différentes « frontières » et ça prend beaucoup de temps et d’interrogatoires très pénibles. En Crimée il ne connaît qu’un homme apiculteur, c’est un Tatar et ses ennuis vont s’aggraver.
En voulant aider cette famille, il va réveiller les vieux démons racistes des autorités russes et la famille tatar paiera très cher sa présence ainsi que ses abeilles. Il ne pourra que s’enfuir en aidant la fille de la famille à franchir la frontière pour se rendre en Ukraine faire des études.

Voilà pour la trame du récit, en ne vous inquiétez pas pour le « divulgachâge » ce ne sont pas les événements qui font la puissance de ce récit. C’est la compréhension que, peu à peu, se fait Sergueï de ce qui l’entoure et l’impossibilité d’agir sur la vie lorsque ceux qui ont le pouvoir sont complètement corrompus et qu’aucune logique ne semble être à l’oeuvre dans leur conduite. On peut trouver que cet homme est trop passif et limité intellectuellement, mais je pense que rester à ce niveau du personnage permet à l’écrivain de faire comprendre aux lecteurs ce que vit exactement la population. Je pense que la Russie va obtenir exactement le contraire de ce que voulaient les dirigeants à savoir créer un sentiment national qui était loin d’exister en 2014. Les habitants n’avaient aucune envie de se sentir Russes ou Ukrainiens mais ils voulaient simplement vivre tranquillement dans leurs villages. Déjà, l’esprit de clocher ne portait pas à l’ouverture d’esprit mais les pires sentiments vont être exacerbés par la guerre et donc le nationalisme semble une solution toute simple.

Un roman qui sert de base pour comprendre le conflit actuel et est servi par un grand écrivain ukrainien russophone qui doit être bien triste de voir son pays détruit de fond en comble par des Russes persuadés qu’ils sont dans leur bon droit.

 

Citations

Sergueï et Pachka.

En un instant, il s’était rappelé les vacheries commises par l’autre, ses coups par en dessous, ces cafardages auprès des profs, ses refus de laisser copier. Dites : après 40 ans, il aurait pu avoir déjà pardonné et oublié tout ça ! Eh bien, pardonner, ça oui ! Mais comment les oublier quand leur classe comptait sept greluches et seulement deux gamins : Pachka et lui ? Et qu’en conséquence Sergueï n’avait jamais eu d’amis à l’école, mais seulement un ennemi. Même si le mot « ennemi » avait quelque chose de trop sérieux et pesant. Au village on aurait dit qu’il était « chtit » le terme convenaient mieux un « petit ennemi » en somme, dont personne n’avait peur. 

La vie et la mort dans un village.

 Quand on vit longtemps dans un endroit, on a toujours plus de familles enterrées qu’en bonne santé à côté de soi.

Le poids du silence et de la solitude.

 Cinq jours passèrent, tous identiques, tels des corbeaux. Pareille comparaison ne serait pas venue à l’esprit de Sergueïtch si au cours de ces journées tranquilles et monotones, le seul bruit à remplir de temps à autre les alentours n’eût été le croassement de ces oiseaux. 
« Peut-être annoncent-ils le printemps ? » songeait l’apiculteur tendant vainement l’oreille en quête d’autres bruits dans le monde environnant.

Humour.

 « Et vous avez fabriqué ce grand coffret spécialement pour des chaussures ? 
– Bon, ce n’est pas tout à fait un coffret, c’est un chaussurier, corrigea Sergueïtch. Un coffret, c’est plus petit.
– Un chaussurier ? répéta Petro. Ça existe un mot pareil ?
– Il y a bien des cendriers, non ? des sucriers ? répondit l’apiculteur. pourquoi il n’y aurait pas des chaussurier ?

Le sort des abeilles.

 Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu simplement l’habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l’aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles ne comprenaient pas ce qu’était la guerre ! Les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, comme les humains.

 


Édition P.O.L

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Iegor Gran connait bien la Russie parle parfaitement le russe (sa langue maternelle) et y a de nombreux amis. C’est donc de l’intérieur qu’il peut nous décrire l’état de l’opinion des Russes et c’est absolument terrifiant. Tout le monde devrait lire ce livre avant de penser quoi que ce soit sur l’Ukraine. Pour Iegor Gran, les Russes sont dans leur immense majorité devenus des « Zombies » et boivent comme du petit lait les paroles du grand Zombie chef Poutine. Iegor Gran a un style très particulier dans d’autres livres, il m’a fait beaucoup rire (l’écologie en bas de chez moi , les services compétents, un peu moins drôle Ipso facto) mais ici il ne rit pas du tout et nous non plus !.

Il commence par nous citer les propos de Madame tout le monde qui reprend mot à mot les discours de Poutine et qui sera fière d’envoyer ses enfants à la mort pour sauver la Russie de la mainmise de l’OTAN et du Nazisme. Ensuite, il explique combien il était insupportable pour les Russes d’imaginer que les Ukrainiens pouvaient mieux vivre qu’eux. Car les Russes connaissent la misère, il raconte des faits incroyables, cela ne les gène pas plus que ça. Ils y trouvent même une source de fierté de pouvoir supporter cette vie si difficile. Et quand on leur montre leurs oligarques qui s’enrichissent ils sont fiers d’eux car ils les jugent plus malins que les occidentaux. Iegor Gran termine son essai sur cette idée, les Russes nous méprisent profondément car ils nous jugent mous et incapables de défendre nos valeurs.

La guerre en Ukraine n’a sans doute que cette simple motivation, il ne fallait pas que les Ukrainiens sortent de la domination russes et que surtout ce pays fasse la preuve qu’alors elle obtient un niveau de vie correcte pour sa population contrairement à son immense voisin victime de la corruption de ses dirigeants et d’une misère incroyable pour les gens ordinaires.

Citations

Un exemple de zombie.

– De quelle guerre tu me parles ? se braque Anna. il n’y a pas de guerre, c’est une opération militaire, ça n’a rien à voir. 
Son euphémisme ne la gêne en rien. 
– Pour ta gouverne, la Russie n’a jamais attaqué personne, poursuit-elle. C’est un fait historique.
 Celle qui me parlait naguère du printemps de Prague a brusquement purgé sa mémoire. Le 24 février à l’aube, l’hypnotiseur suprême a claqué les doigts et Anna s’est réveillée en zombie. Désormais elle est capable de repérer un « nazi » dans Zelinski (alors qu’il est juif), de prétendre que la petite Ukraine est une menace existentielle pour la culture russe « que les nazis cherchent à éliminer » de diagnostiquer des « fake news » dans chaque article de média occidentaux. Elle dit noir là où le blanc crève les yeux et elle rejette les faits avec cette assurance tranquille de camion-citerne face à une trottinette. Mon désarroi est d’autant plus grand que je ne m’y attendais pas. Anna est sur diplômée. Elle a beaucoup voyagé. Au Louvre, elle aime particulièrement Clouet et Georges de La Tour. Elle adore Amsterdam et le zoo de Berlin Ce qui ne l’empêche pas de m’asséner : 
– C’est le moment de régler la question de l’Ukraine qui a toujours été comme un furoncle. Ces types nous poussent à la guerre ! La preuve tu l’as dit toi-même : « guerre » …ils sont trop heureux d’être au centre de l’attention médiatique avec ces drapeaux bleus et jaunes que l’Occident s’empresse de pavoiser. 
J’en ai le tournis.

Paradoxe .

 Vous ne trouverez pas un seul zombie qui militerait pour la décroissance ou la limitation volontaire de la consommation personnelle pour protéger les ressources naturelles, limiter la souffrance animale ou réduire l’empreinte carbone. On vomit l’occident et on bave devant ses produits avec un élan identique et une sincérité que l’on pourrait qualifier d’enfantine, tellement la contradiction, pourtant flagrante, entre ces deux positions restent dans l’angle mort de la plupart des Russes.

Moqueries sur la France .

 Le cuir, réputé mince, de l’occident est un prétexte à une infinité de sarcasmes. « Privé de sa marque de PQ préférée, un soldat français ne tient pas une semaine au front ! » me disait un vieil ami peintre. Il n’était pas le seul. Que n’ai-je entendu ces dernières années ! « Au moindre petit soldat qui meurt au Mali toute la France défile avec une tronche triste alors que Poutine, lui gouverne »,  » Il suffit d’un islamiste avec un couteau de cuisine, et ça y est, l’Europe est paralysée par la peur »,  » Un flic a tabassé un manifestant – vite, ouvrons trois cellules d’aide psychologique, une pour le flic, une pour le manifestant, une pour le chien qui pissait pas loin ! »

 

Édition Gallimard . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Si j’avais eu quelques réserves pour le premier roman que j’avais lu de et auteur : « l’enterrement de Serge » ; celui-ci m’a vraiment beaucoup plu. Surtout parce qu’il dit de façon très claire que Proust n’appartient pas aux intellectuels mais à tous ceux et toutes celles qui veulent bien se donner le mal de le lire.

Clara est coiffeuse, dans le salon « Cyndi coiffure » , Madame Habib en est la propriétaire et Nolwenn la deuxième employée. Un jour un bel homme oublie son livre au salon, Clara qui est malheureuse en ménage espère que cet homme reviendra chercher son livre. Il ne revient pas et Clara commence à lire « la recherche du temps perdu ». Ce n’est pas une lecture facile mais Clara s’accroche et peu à peu elle s’empare de ce texte qui va à tout jamais changer sa vie.

Ce qui est bien fait dans ce roman, c’est le cheminement de Clara vers l’oeuvre de Proust qui peu à peu transforme sa perception de la vie. Les citations de Proust parsèment ce roman et permettent de retrouver des passages connus de Proust, Clara commence à bien connaître les personnages de la recherche. J’admire le travail de Stéphane Carlier d’avoir ainsi rendu accessible l’oeuvre de Proust. Et je trouve que d’avoir situé son roman dans un petit salon de banlieue de Châlon sur Saône est une très bonne idée. D’abord pour montrer qu’il n’y a pas de frontières sociales pour aimer cette oeuvre, et en plus un salon de coiffure c’est vraiment le lieu des potins de la ville un peu comme la salon de la Verdurin en son temps. Carlier se permet alors des petites remarques humoristiques qui montrent son talent d’analyste de notre société.

Je garde en souvenir un petit livre qui m’avait (dans un tout autre genre) beaucoup touché de Joseph Czapski « Proust contre la déchéance »

Le roman de Stéphane Carlier est un très bel hommage au plus grand des romanciers français du 20° siècle.

Citations

Bien vu.

Il y a Nolwenn, l’autre employée du salon. Sa figure n’a pas vraiment de contours et change rarement d’expression. Qu’elle raconte que sa belle sœur a fait une fausse couche ou qu’elle tende un petit un petit cadeau à Clara pour son anniversaire, ses traits restent neutres, ils ne s’animent que lorsqu’elle regarde des vidéos sur son téléphone. Un grand sourire fend le bas de son visage quand elle voit un chimpanzé promener un porcelet en laisse ou un jeune golden retriever s’essayer à gravir la première marche des escaliers.

L’apport de Proust.

Avec Proust, elle a l’impression de tout voir. Forcément, puisqu’il lui montre le monde visible dans ces détails infinis et un autre, derrière, caché mais vaste et puissant, qui impose sa loi, sa volonté aux premiers la réalité psychique, psychologique des êtres. Et ce n’est pas tout. En l’initiant au principe de la mémoire involontaire, comme s’il posait ses mains sur ses épaules il la faisait légèrement pivoter, il enrichit son point de vue en y ajoutant une dimension qu’elle avait ignoré jusque là, celle du temps. Le passé, en surgissant dans le présent ne s’y prolonge-t- il pas ? Le souvenir n’a-t-il pas plus d’existence que l’épisode qu’il relate ? Pourquoi semble-t-il qu’à mesure qu’on vieillit on se souvienne de mieux en mieux ?

Ce nom mythique.

  Avant, ce nom mythique était pour elle comme celui de certaines villes – Capri, Saint-Pétersbourg, où il était entendu qu’elle ne mettrait jamais les pieds. 


Édition livre de poche

J’ai vu ce roman sur de nombreux blogs en particulier, un billet que j’avais remarqué de Dominique, (désolée pour les blogs que j’oublie de citer). J’ai déjà beaucoup lu sur les quêtes de mémoire quand il ne reste plus que des lambeaux de souvenirs de familles décimées par la Shoa. Anne Berest est la petite fille de Myriam qui est elle même la fille d’Ephraïm et d’Emma et la sœur de Noemie et Jacques tous les quatre morts à Auschwitz et dont les noms ont été écrits sur une carte postale envoyée à sa mère en janvier 2003.

Anne est donc juive par sa mère et bretonne par son père. Élevée loin de toute religion par des parents intellectuels et attentionnés, elle accorde que peu d’importance à cette origine. Jusqu’au jour où elle veut savoir et transmettre à ses enfants ce passé. La première partie du livre, nous permet de découvrir le destin de la famille Rabinovitch, originaire de Russie, Ephraïm devient un fervent défenseur du socialisme mais très vite il déchante sur le régime communiste et est obligé de s’enfuir. Sa femme Emma Wolf est originaire de Lodz et aimera toute sa vie son mari malgré quelques divergences en particulier sur la religion, elle est pieuse et respecte les fêtes juives.
1019 date de naissance de Myriam à Moscou, c’est la la grand mère de l’auteure et avec ses parents elle commence une pérégrination à travers une Europe qui ne veut plus de Juifs. La Lituanie puis Israël d’où ils repartiront (hélas) pour la France. Ils ont eu le temps d’aller à Lotz où la famille d’Emma très aisée sent monter l’antisémitisme polonais sans pour autant tenter de fuir.

Enfin, ils arrivent en France avec leurs trois enfants et Ephraïm veut absolument devenir français . La suite on l’imagine : leurs deux enfants seront déportés avant eux Myriam était alors mariée à un français et n’était pas sur la liste du maire d’Evreux, mais elle était là ce jour là, son père l’a obligée à se cacher dans le jardin. Et ensuite Ephraïm et Emma seront à leur tour déportés.

Histoire trop banale , mais si bien racontée avec des allers et retours vers le temps présent et les recherche d’Anne qui s’appuient sur le travail très approfondi de sa mère Leila qui avait déjà trouvé et classé un très grand nombre de documents.
La deuxième partie du récit a pour but de nous faire découvrir la vie de Myriam pendant et après la guerre et finalement au dernier chapitre l’explication de la carte postale.

Le fil conducteur du roman, serait à mon avis de se demander ce que veut dire d’être juif et pourquoi même aujourd’hui l’antisémitisme peut donner lieu à des injures comme « sale juif ! » ou une exclusion d’une équipe de foot car dans la famille d’un petit Hassan de sept ans, on ne joue pas avec les juifs !

Ephraïm a tellement confiance dans la France, le pays des droits de l’homme que jusqu’à la fin il restera persuadé qu’il est à l’abri et ne veut pas entendre les messages d’inquiétude qu’il reçoit. Myriam gardera espoir le plus longtemps possible d’un éventuel retour de sa famille ou au moins de son jeune frère et de sa sœur. Elle s’enfermera dans un mutisme tel que sa propre fille aura bien du mal à comprendre l’horrible réalité et à remonter les fils de l’histoire familiale si intimement liée à celle des pires atrocités du siècle.

Quand Anne Berest part à la recherche de ce qui reste des traces de la présence de ses parents dans le petit village des Forges, j’ai retrouvé ce que j’avais senti en Pologne : la peur que l’on demande des comptes à des descendants de gens qui n’ont pas toujours bien agi voire pire. Comme cette famille chez qui elle retrouve les photos de sa famille et le piano de son arrière grand-mère.

Je n’ai pas lâché un instant cette lecture et je relirai ce livre certainement car je le trouve parfaitement juste et passionnant de bout en bout. Il va faire partie des indispensables et je vais lui faire une place chez moi car comme le dit un moment Anne Berest c’est important que les juifs envahissent nos bibliothèques, on ne peut plus faire comme si l’antisémitisme n’avait été que l’apanage des Nazis même si ce sont eux qui ont créé la solution finale celle-ci n’a pu exister que parce que chez bien des gens on ne voulait pas savoir ce qui arrivait à « ces gens là » quand on les parquait dans des camps puis quand on les faisait monter dans des trains pour l’Allemagne.

 

 

Citations

Un moment de notre histoire.

 Ephraïm suit de près l’ascension de Léon Blum. Les adversaires politiques, ainsi que la presse de droite, se répandent. On traite Blum de « vil laquais des banquiers de de Londres », « ami de Rothschild et d’autres banquiers de toute évidence juifs ». « C’est un homme à fusiller, écrit Charles Maurras, mais dans le dos »

Dialogue du petit fils avec son grand père juif et croyant .

– Tu es triste que ton fils ne croit pas en Dieu ? demande Jacques à son grand-père. 
– Autrefois oui j’étais triste. Mais aujourd’hui, je me dis que l’important est que Dieu croit en ton père.

La liste Otto.

Tout à fait, la La liste « Otto » du nom de l’ambassadeur d’Allemagne à paris, Otto Abetz. Elle établit la liste de tous les ouvrages retirés de la vente des librairies. Y figurait évidemment tous les auteurs juifs, mais aussi les auteurs communistes, les français dérangeants pour le régime, comme Colette, Aristide Bruant, André Malraux, Louis Aragon, et même les morts comme Jean de la Fontaine …

L’importance de porter un nom juif.

Mais petit à petit, je me rend compte qu’à l’école, s’appeler Gérard « Rambert » n’a vraiment rien à voir avec le fait de s’appeler Gérard « Rosenberg » et tu veux savoir quelle est la différence ? C’est que je n’entendais plus de « sale juif » quotidien dans la cour de l’école. La différence c’est que je n’entendais plus des phrases du genre « C’est dommage qu’Hitler ait raté tes parents ». Et dans ma nouvelle école, avec mon nouveau nom, je trouve que c’est très agréable qu’on me foute la paix.
(…)
– Moi aussi je porte un nom français tout ce qu’il y a de plus français. Et ton histoire, cela me fait penser que…
– Que ?
– Au fond de moi je suis rassurée que sur moi cela ne se voie pas.

Je trouve cette remarque très juste.

 Myriam constate que Mme Chabaud fait partie de ces êtres qui ne sont jamais décevants, alors que d’autres le sont toujours. 
– Pour les premiers, on ne s’étonne jamais. Pour les seconds, on s’étonne chaque fois. Alors que ça devrait être l’inverse, lui dit-elle en la remerciant.

Le sens du livre .

 Interroger ce mot dont la définition s’échappe sans cesse
– Qu’est ce qu’être juif ?
Peut-être que la réponse était contenue dans la question :
– Se demander qu’est-ce qu’être juif
(…) Mais aujourd’hui je peux relier tous les points entre eux, pour voir apparaître, parmi la constellation des fragments éparpillés sur la page, une silhouette dans laquelle je me reconnais enfin : je suis fille et petite fille de survivants.

 

 

 


Édition J’ai lu

Ce livre est la biographie des deux grand-mères de l’auteure qui sont toutes les deux nées en 1902 et meurent en 2001. Elles ont été amies toute leur vie depuis l’âge de six ans jusqu’à leur mort. elles ont réalisé leur vœu le plus cher : le fils de Martha épousera la fille de Mathilde et elles seront donc non seulement liées par des liens amicaux mais aussi familiaux.

Je sais, ce livre est écrit par une auteure française mais le sujet concerne tellement les rapports de l’Allemagne et de la France que je le propose pour ce mois de novembre 2022 si vous l’acceptez.

Ce récit se passe en Alsace à Colmar (Kolmar) et quand on voit les dates on comprend tout de suite que nous allons connaître cette région sous la domination allemande jusqu’en 1918 puis française et de nouveau allemande en 1940 sous le joug nazi jusqu’en 1945.

Tout l’intérêt de cette biographie vient de l’amitié de ces deux femmes que beaucoup de choses opposent. Marthe est originaire d’une famille alsacienne classique et pour Mathilde c’est plus compliqué : son père Karl Georg Goerke est allemand et est venu s’installer en Alsace, son épouse est Belge leur première fille Mathilde est née en Allemagne.

Jusqu’en 1914, les deux petites filles grandissent dans des familles à qui tout réussit, elles cultivent une amitié sans faille, elles habitent dans le même immeuble et fréquentent les mêmes écoles. La guerre 14/18 vient compliquer les choses car les Allemands se méfient de l’absence de patriotisme des Alsaciens. Nous suivrons la guerre de Joseph le futur mari de Mathilde, il est enrôlé dans l’armée allemande et est envoyé d’abord loin du front de l’ouest, il n’a le droit à aucune permission tellement les autorités craignent les désertions des alsaciens.

Et puis arrive 1918 et le retour de l’armée française triomphante et commence alors dans ce moment de liesse pour une grande partie de la population le drame qui marquera à tout jamais Mathilde. Son père souhaite devenir français et vit alors jusqu’en 1927 année où il le deviendra, une période de peur : il craint à tout moment d’être chassé du pays qu’il s’est choisi . C’est la petite histoire mais cela a dû concerner un grand nombre d’alsaciens d’origine germanique. Du coup Mathilde aura tendance à s’inventer une famille extraordinaire en maltraitant parfois la vérité historique. La période nazie est une horreur pour toutes les deux Marthe est veuve d’un officier français et Mathilde est mariée avec Joseph Klebaur fabriquant de porcelaine. Elles seront séparées pendant quatre longues années mais se retrouveront après la guerre.

La façon dont leur petite fille fouille à la fois leur passé et leur caractère est très intéressant , avec comme toile de fond la grand histoire qui a tant bouleversé les vies des familles alsaciennes. On comprend peu à peu à quel point Mathilde a été déstabilisée par le fait qu’elle a dû cacher ses racines germaniques et la peur que son père lui a transmis de pouvoir être expulsé. Marthe a un caractère plus heureux et c’est elle qui construit ce lien amical qui les soutiendra toutes les deux malgré les périodes lunatiques de Mathilde . Tous les personnages qui gravitent autour d’elles sont aussi très intéressants : la tante Alice confite en religion et qui a peur de tout, le père de Matilde qui a transmis à sa fille la peur d’être expulsé, Georgette la soeur tant aimée de Mathilde institutrice dans un quartier populaire de Berlin qui prendra partie pour les spartakistes en 1920 et tant d’autres personnages qui croisent leur vie. Une lecture que je vous recommande : cela fait du bien de retrouver la vie de gens ordinaires traversant les tragédies de la grande histoire sans pour autant avoir connu une vie dramatique.

 

Citations

Le revers de la médaille de la victoire.

 Mon arrière-grand-père allemand en veut aux alsaciens de ne pas reconnaître que la période du Reichsland a été pour eux une grande phase d’expansion économique. Oubliées les lois sociales de Bismarck qui comptent parmi les plus progressistes d’Europe. Le chancelier allemand a doté l’Alsace du premiers système complet d’assurances sociales obligatoires. Oublié le grand degré d’autonomie octroyée à l’alsace. En 1911 Alsace lorraine devient un vingt-sixième état confédéré. L’Alsace-Lorraine a sa Constitution et son parlement comme les autres Länder du Reich. L’Alsace a ses lois propres. Jamais plus elle ne sera aussi autonome. Oublié aussi le formidable essor urbain que connaissent les villes alsaciennes. Strasbourg devient une véritable capitale régionale. Henri Réling doit aux Allemands le quartier Saint-Joseph, la nouvelle gare, les canalisations toute neuves, l’eau potable, l’électricité et ses deux belles maisons.

Lettre du grand père 19 août 1918.

 Chère maman, un de mes amis lorrains vient de partir pour sa permission. Et j’ai été pris soudain d’un tel cafard que j’ai besoin de bavarder un peu avec toi à distance. Bientôt ce sera mon tour, peut-être déjà au début du mois de septembre. tous ceux qui m’écrivent me demandent quand je pars en permission. Après toutes ces aventures en Russie et dans le nord de la France, comme je serais heureux de vous revoir, toi, ma chère mère, et vous, mes sœurs adorées ! Les jours de temps clair j’aperçois les belles Vosges au loin. Et je pense avec nostalgie à toi, ma chère petite mère. Vous allez trouver un peu ridicule qu’un jeune homme de vingt deux ans ans écrivent des choses aussi sentimentales. Mais quand on sait la vie que nous avons eue sur le champ de bataille, quand on sait les horreurs dont nous avons été témoins, il est facile de comprendre notre état d’esprit. Prie pour que Dieu me protège, pour que nous puissions bientôt mener ensemble une vie heureuse.

Portrait d’une femme d’une autre époque

 Cette sœur craintive avait peur de tout : de l’orage, des voleurs, des dépenses inutiles, des courants d’air, des chiens, de l’imprévu, de la vie toute entière. Elle avait toujours habité au rez-de-chaussée de l’immeuble de l’avenue de la liberté dans l’appartement de ses parents. À leur mort, elle avait simplement quitté sa chambre de jeune fille au bout du couloir pour occuper la chambre conjugale, plus spacieuse, sur le devant.

Le bilinguisme.

 Ma grand mère avait attribué à chacune de ses de langue une fonction bien définie. L’allemand était la langue des émotions graves et des jugements définitifs. Une langue morale et sombre chargée de toutes les misères du monde. le français était la langue légère des petits sentiments affectueux. Mathilde m’appelait « Ma chérie » et jamais « Mein Schatz » ou « Mein kind » Jamais, avant mon arrivée en Allemagne, elle ne m’avait d’ailleurs adressé la parole en allemand. jamais elle ne m’avait aidé à faire mes devoirs. Jamais elle ne m’avait fait réciter les « Gedichte », les poèmes que nous apprenions au lycée. Je n’ai compris que bien plus tard combien elle était heureuse de m’entendre parler allemand.

 

 

 


Édition Livre de poche. Traduit de l’allemand par Anne Georges

 

Lors d’une discussion pendant les vacances de la toussaint, mes petits enfants ont exprimé toute leur passion pour Harry Potter, ma soeur leur a demandé : – Connaissez-vous « Émile et les détectives » ?

Toutes les deux, nous avons partagé, alors nos souvenirs : ce roman avait enchanté notre enfance. Dans ce mois de « feuilles allemandes », ne manquait-il pas un livre jeunesse ? Celui-ci écrit en 1929 , victime de la censure nazie a, selon moi, toute sa place et je pense qu’il rappellera de bons souvenirs à beaucoup d’entre vous. Je viens de le relire, je crois qu’il va plaire aussi à mes petits enfants. Je rappelle le sujet : Émile Tischbein âgé de dix ans, part seul à Berlin, en train, pour retrouver sa grand-mère et la famille de sa tante. Sa maman est veuve et travaille comme coiffeuse chez elle, elle gagne tout juste de quoi vivre avec son petit garçon. Émile est intelligent et débrouillard son but principal est d’aider sa maman. Dans le train, il est victime d’un homme qui lui vole l’argent qui lui avait été confié pour sa grand-mère.
Arrivé à Berlin, Émile grâce à une bande d’enfants aussi débrouillards que lui prend en chasse son voleur, ensemble ils arriveront à le faire arrêter.
Ce qui fait tout l’intérêt du livre c’est le côté très vivant de la bande d’enfants, les différentes personnalités des petits lascars sont très attachantes. L’écrivain a beaucoup d’humour et je suis certaine que les enfants d’aujourd’hui peuvent sourire et se retrouver dans les dialogues de ces enfants. C’était un très bon roman jeunesse qui a presque un siècle et je parie qu’il peut encore plaire aux enfants.

Et … incroyable, j’ai trouvé un point commun avec Harry Potter  ! ! Dans le premier tome Harry, Ron et Hermione se couvrent de gloire grâce à leur courage dans des actions téméraires et courageuses. Mais Dumbledore félicite aussi le petit Neville Londubat qui est resté à son poste de veilleur toute la nuit. Dans « Émile et les détective », le policier félicite évidemment Émile et ses amis pour leur courage dans cette course haletante à travers Berlin pour attraper le voleur, mais il souligne aussi le courage du petit Vendredi qui loin des actions d’éclat est resté à son poste devant son appareil de téléphone et a permis le succès de l’opération en informant en temps et en heure du mouvement des troupes. Le courage des petits est donc mis à l’honneur dans ces deux récits.

L’adulte que je suis aujourd’hui a été étonnée par la description réaliste des difficultés sociales en Allemagne en 1920 et l’admiration pour les réalisations technologiques des villes modernes. J’ai retrouvé intact mon souvenir du rêve cauchemardesque qui bouleverse Émile dans le train : c’est vraiment bizarre de constater que des livres d’enfance peuvent rester graver dans les souvenirs à tout jamais me semble-t-il.

Citations

Genre de phrases que l’on aime bien lire dans un livre jeunesse.

Admettons que la malchance reste toujours la malchance. mais quand on a des amis qui spontanément vous viennent en aide, disons que ça fait du bien au moral.

Humour.

 – Vous jacassez pendant des heures sur des problèmes de nourriture, de téléphone, de nuits passées hors de chez nous. Par contre, sur la manière d’attraper le voleur, pas un mot. À vous écouter, on se croirait… on se croirait dans un conseil de prof ! 
Aucune injure plus forte ne lui était venue à l’esprit.

 

 

 


Édition Le livre de Poche Traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides

Bien conseillée par Keisha et Katell , j’ai lu avec grand plaisir ce gros roman : comme quoi, de gros pavés peuvent me plaire ! Cet auteur m’avait, pourtant, rendue si triste avec « L’audacieux Monsieur Swift » : John Boyne a vraiment une plume particulière et beaucoup de comptes à régler avec son pays natal.

Ce roman s’étend de 1945 à 2015 et nous décrit une Irlande bien différente de la vision folklorique que l’on pouvait avoir (musique, bière danse …et paysages !). Cette vision avait déjà été bien abimée par les révélations sur la puissance malfaisante de l’église catholique en particulier sur les jeunes femmes qui avaient le malheur d’avoir des enfants sans être mariées. C’est encore cette puissance perverse qui a fait le malheur des homosexuels. L’hypocrisie de ceux qui se réjouissent que l’homosexualité soit un crime, que les filles mères soient bannies et qui satisfont leurs désirs de façon variées est répugnante. Comme dans tous les pays où l’homosexualité est pénalisée cela laisse la place à une prostitution qui doit se cacher donc terriblement dangereuse.

La première scène est inoubliable : la jeune Catherine Goggin, âgée de seize ans est traitée de putain par un prêtre d’une violence inouïe, car elle attend un bébé et est bannie de l’église et de son village. Arrivée à Dublin, elle connaitra au terme de sa grossesse une deuxième scène violente. Elle avait, en effet, trouvé deux hommes qui avait accepté de la loger, c’est très intéressant de voir combien cette jeune femme est totalement incapable d’imaginer l’homosexualité, hélas ce n’est pas le cas du père d’un des deux jeunes hommes. Dans une scène à peine soutenable celui-ci tuera son fils et ratera de peu son amant et Catherine qui accouchera ce jour là d’un bébé qu’elle fera adopter. Elle ne reverra ce fils qu’en 2008 . Cet enfant, Cyril qui va être le fil conducteur de tout le roman, sera élevé par une famille pour le moins originale qui ne saura pas l’aimer mais qui ne le rendra pas malheureux. Son père adoptif est accusé de fraude fiscale et fera de la prison et précise à chaque fois qu’il présente son fils qu’il est adopté et qu’il n’est pas un vrai « Avery » . Sa mère vit enfermée dans son bureau et écrit des romans et fuit toute célébrité. Après sa mort, elle deviendra une des plus grande écrivaine irlandaise. Cyril, vivra une passion amoureuse avec Julian, cette passion n’est pas partagée mais Julian reste son ami. Il finira par épouser sa soeur mais prendra la fuite le soir de ses noces. Sa jeunesse irlandaise sera d’une tristesse sordide car il ne pense qu’à assouvir ses pulsions sexuelles sans connaître l’amour, adulte en Hollande il connaitra une période de bonheur en vivant un amour partagé avec un médecin qui consacrera sa vie à soigner des malades du SIDA.

J’arrête de vous raconter tout ce roman qui saute d’époque en époque et de pays en pays ce qui permet – mieux qu’un essai sur le sujet- de comprendre combien les homosexuels ont souffert de ne pas pouvoir vivre leur sexualité normalement. Quand on sait que certains pays vivent encore sous cette condamnation morale cela fait peur, comme les homosexuels sont considérés comme des malades ou des êtres anormaux on peut tout leur faire subir, si la condamnation est religieuse ce qui est souvent le cas, alors tout devient très dangereux pour le jeune qui perd tous ses repères.

L’aspect romanesque est bien construit, même si les hasards romanesques font se rencontrer des personnages qui avaient vraiment peu de chance de se retrouver, on accepte cette fiction littéraire car le second plan sociétal est riche et très bien argumenté. Je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans ce roman et tant pis s’il dégrade encore un peu plus l’image de l’Irlande Catholique. La religion y a joué un bien vilain rôle dans ce domaine là, l’église fera certainement un jour des excuses, il faut espérer que cela permettra aux mentalité de vraiment changer. Ce roman en tout cas peut y contribuer mais sera-t-il lu par des gens qui ont des idées bien arrêtées sur le sujet, à plusieurs reprises l’auteur se plaît à rapporter des propos « ordinaires » sur « ces gens là » de personnes qui imaginent qu’ils sont eux « normaux » et cela est criant de vérité et permet de nous rendre compte qu’il faut être attentifs sur ce genre de sujets.

 

 

Citations

Discours du prêtre pour condamner la jeune fille enceinte.

« Quitte ces lieux, espèce de gourmandise, quitte Goleen, emporte ton infamie ailleurs. Il y a des maisons à Londres qui sont faites pour les filles comme toi, avec des lits où tu pourras te coucher et écarter les jambes pour que tout le monde puisse satisfaire tes besoins licencieux. »

 

Enfant adopté.

« Vois ça plutôt comme un bail, Cyril, me dit-il – ils m’avaient appelé Cyril en souvenir d’un épagneul qu’il avaient eu autrefois et qu’ils avaient beaucoup aimé- , un bail de dix huit ans. Mais pendant tout ce temps, il n’y a aucune raison qu’on ne s’entende pas tous bien, n’est ce pas ? Même si je me plais à penser que si j’avais eu un fils, il aurait été plus grand que toi. Et il aurait montré un peu plus d’aptitudes sur le terrain de rugby. Mais tu n’es pas ce qu’il y a de pire. Dieu seul sait sur qui nous aurions pu tomber. À un moment, on nous a même suggéré de prendre un bébé africain. »

Un homme « galant », qui trompe sa femme.

«  Chérie, prends un amant si tu veux, cela ne fait aucune différence pour moi. Si tu as besoin d’un coup de queue. Il y en a plein, là, dehors. Des grosses, des petites, des jolies, des biscornues. Des tordues, des courbées, des droites. Les jeunes hommes sont essentiellement des queues en érection sur pattes, et n’importe lequel d’entre eux serait ravi de fourrer la sienne dans une femme aussi belle que toi. »

L’homosexualité .

 Nous étions en 1959, après tout. Je ne savais presque rien de l’homosexualité, en dehors du fait que succomber à ce genre de désir était un acte criminel en Irlande qui donnait lieu à une peine de prison. À moins que j’entre dans les ordres, dans ce cas, il s’agissait d’un avantages en nature de la profession.

L’homosexualité 1966.

 C’était une période difficile, pour un Irlandais âgé de vingt-et-un ans attiré par les hommes. Quand on possédait ces trois caractéristiques simultanément, on devait se situer à un niveau d’hypocrisie et de duplicité contraire à ma nature.

Visite chez le psychiatre en 1966.

 Il faut que vous reteniez ceci : il n’y a pas de homosexuels en Irlande. Vous vous êtes peut-être fourré dans la tête que vous en étiez un, mais vous avez tort. C’est aussi simple que ça. Vous avez tort. 
– Je n’ai pas l’impression que ce soit aussi simple, docteur, avançai-je prudemment. Je pense vraiment qu’il est très possible que j’en sois un.
 – Vous ne m’avez donc pas écouté ? fit-il, avec un sourire, comme si j’étais un crétin fini. Est-ce que je ne vous ai pas dit qu’il n’y avait pas d’homosexuels en Irlande ? Et s’il n’y a pas d’homosexuels en Irlande, comment diable pourriez-vous en être un ? »

 


Édition Arthaud. Traduit de l’italien par Béatrice Vierne.

En ce trois octobre, ma meilleure amie a 80 ans et comme cette auteure, elle aime par dessus tout créer des jardins, comme elle, elle lutte aussi contre des maladies graves mais heureusement qui la laisse en vie permettant à ses amis de profiter de son incroyable optimisme . C’est aussi une photographe de talent et j’avais parlé d’un de ses livres sur le pain sur Luocine.

Le titre du livre vient d’un poème d’Emily Dickinson :

« Je ne l’ai pas encore dit à mon jardin

Tant je redoute ma défaillance.

Pour le moment, je n’ai pas tout à fait la force

De mettre l’abeille dans la confidence »

Pia Pera est connue pour ses livres sur les jardins et elle écrit ce dernier livre en luttant contre une maladie qui va finalement l’emporter. Tout le long des années où elle a senti son corps la trahir, elle a cherché du réconfort auprès des plantes dont elle s’était occupée dans son merveilleux jardins. Elle a aussi cherché auprès de la médecine, si impuissante dans son cas, une guérison qui n’est pas venue. Elle a accepté de trouver dans des médecines non conventionnelles un peu de réconfort, elle a beaucoup espéré hélas, en vain. Elle a trouvé aussi dans les lectures des points d’appui, plus sans sans doute que dans la science médicale. Mais ce qui fait le charme de ce livre qui a tant plu à Dominique -au point de me donner envie de le lire et de l’offrir- ce sont tous les passages sur les merveilles de la nature. Autant elle sent l’inutilité des souffrances qu’on lui impose pour soi-disant la soigner, autant on sent qu’elle se regénère à chaque fois qu’elle peut se fondre dans le paysage qu’elle a su créer.

Comme ce livre suit ses pensées, il fourmille de petits passages merveilleux qui enlèvent la tristesse du propos. Par exemple savez vous qu’à Détroit les habitants créent des jardins potagers et des fermes sur des terrains arrachés aux friches industrielles ou aux barres d’immeubles vidés de leurs habitants par la délocalisation des industries métallurgiques et automobiles. De nombreux jardins sont évoqués que j’aimerais bien aller visiter, et tant de livres que je n’ai pas lus et où elle trouve des propos qui correspondent à son état physique et mental. Car évidemment son corps souffre et trahit la femme active qu’elle a toujours été. C’est triste mais pas tragique car dès qu’elle peut adapter son corps à des plaisirs physiques, on la sent heureuse. Comme ce dernier bain de mer à l’île d’Elbe dans une voiture adaptée. Mais, ce sont les passages sur les plantes qui font tout le charme de ce livre et pourtant ce n’est pas mon sujet de prédilection. Je vous ai recopié le passage sur les rose pour vous donner une petite idée du style de Pia Pera.

Finalement que dire de plus : un très beau livre et un hymne à la vie. Comme le dit la mère de José Saramago

« Le monde est si beau, quel dommage d’être obligé de mourir. »

 

 

Citations

On a envie de s’y promener.

J’ai tenté de raconter comment j’avais transformé une ferme austère en lieu où l’on pouvait, par une transition progressive entre le spontané apparent et le champêtre, entre le fortuit et le délibéré, assez discrète par une transition imperceptible côtoyer des bosquets, des oliviers, un verger, un potager, jusqu’au jardin des buis, derrière la maison. Mon intention avait été d’effacer ou pour le moins d’estomper mes propres traces, tous les indices risquant de laisser deviner un projet, une attention. 

Les plantes et les ruines.

 Ce qui émeut, dans les plantes superbes poussant telle de courageuses pionnières, parmi les ruines archéologiques, ce n’est pas la mort, mais la vitalité.

J’espère que mon amie arrivera à cette sagesse .

 La canne à la main, me dis-je, je ne me laisserai plus dominer par personne. Je tiendrais tête. Vraiment, elle me met en joie. Elle favorise ma vocation de despote. J’adore dire aux autres ce qu’ils doivent faire. Il a fallu que je tombe malade pour découvrir à quel point donner des ordres est plus gratifiant, au fond, qu’une pénible autonomie. Au début, je m’obligeais pour des raisons morales, à tout faire toute seule. Maintenant, malade, je peux profiter en secret d’un privilèges suspect sur le plan éthique.

Les roses.

Depuis leur premières apparition, j’appelle les boutons de rose minuscules et serrés, comme des écrins en miniature tantôt ronds, tantôt allongés, avec parfois des pétales disposés capricieusement, par petites Gilles. Chacun d’eux m’inspire une tendresse poignante, mêlée de curiosité envers les nuances, les formes comprimées jusqu’à l’invraisemblable. Et puis enfin, quelque chose transparaît : l’étreinte des sépales se relâche tandis que la fleur pousse afin de s’ouvrir à la lumière. Pour le bouton c’est la capitulation , et alors les rôles s’inversent : on voit la petite couronne de sépales ployer, vaincue, au pied de la fleur triomphante, tantôt dessinée selon des lignes Art nouveau, tantôt fluide comme la tache de couleur d’un impressionniste, tantôt avec des pétales disposées en corolle simple, comme dans un codex enluminé.

Une autre amoureuse de jardin.

Aussi longtemps qu’elle (Vitæ Sackville-West) l’a pu, elle a vécu avec et pour son jardin. Elle n’était pas femme à sacrifier un seul instant pour penser à cette goujate qu’est la mort .

J’ai aimé tant de passages comme celui-ci :

José Saramago, dans son discours pour le Nobel, évoque l’homme le plus sage qu’il est connu – son grand-père maternel, qui ne savait ni lire ni écrire. Pressentant qu’il ne reviendrait pas du voyage qui d’Azinhaga allait le conduire jusqu’à un hôpital de Lisbonne, il a pris congé, en larmes, des arbres de son jardin, les étreignant un par un. quant à sa grand-mère maternelle, elle a déclaré : « Le monde est si beau, quel dommage d’être obligé de mourir.

 

 

 


Édition l’olivier

Quel beau livre ! Et aussi, un roman qui permet de découvrir un fait totalement inconnu de la deuxième guerre mondiale et de connaître un peu mieux l’Île Maurice. Après « les rochers de poudre d’or » qui décrivait la pauvreté des familles indiennes qui étaient venues en croyant s’enrichir sur l’île Maurice, nous voici, en 1944, dans une de ces familles exploitée de façon éhontée par un planteur de cannes à sucre. Cette famille de trois garçons pourraient être moins malheureuse si le père n’était pas un homme que l’alcool rend mauvais et qui tape alors sans aucune retenue sa femme et ses enfants. Ses trois fils s’entendent bien et leur plus grand bonheur est d’aller chercher l’eau de la journée à la rivière. Ils ramènent tous les jours six seaux qui remplissent la citerne de leur pauvre masure. Un jour, une pluie extrêmement violente fait déborder la rivière et celle-ci devient un torrent si impétueux que deux frères sont emportés dans des flots charriant boue et énormes cailloux.

La famille déménage, on comprend bien que les parents ne peuvent plus vivre si près d’un lieu marqué par la mort de leurs deux enfants. Le père est devenu gardien de prison, il est toujours aussi violent et frappe toujours aussi fort sa femme et son dernier fils. La deuxième partie du roman permet de comprendre qui étaient les gens que son père gardait, parmi eux un enfant David. Les deux enfants tisseront un lien d’amitié alors qu’ils ne parlent pas la même langue mais ces deux petits de neuf ans presqu’aussi malheureux vont se comprendre et Raj le petit Mauricien voudra sauver David « le petit juif de Prague ».

J’aime la langue de Natacha Appanah et sa façon de construire ses récits, le seul roman qui m’avait moins convaincue était « la noce d’Anna » mais là je retrouve toute la violence contenue de « le ciel par dessus les toits « .

Je pense que cette écrivaine a connu de près la misère et les violences familiales que cela peut engendrer, elle connaît bien aussi l’île Maurice et je trouve extraordinaire la façon dont elle nous a fait connaître le drame des ces juifs refoulés d’Israël et dont l’Angleterre s’est débarrassée sur une île sans leur permettre de vivre dignement. Le petit Raj ne connaissait rien évidemment à la guerre qui se passait si loin de chez lui et le mot « juif » ne voulait rien dire pour lui. Mais ce seul mot faisait que David vivait en prison et lui était libre de ses mouvements (quand il pouvait échapper aux coups de son père !). Or c’est à travers ses yeux que nous voyons le drame se tisser, tel que le vieux monsieur qu’il est devenu essaie de se le rappeler. Une tragédie adoucie un peu par le personnage de la mère qui aime son fils et le sauve de la poliomyélite, car elle connaît les plantes qui guérissent.

J’ai beaucoup aimé la façon dont le récit est construit, le vieil homme connaît maintenant les raisons pour lesquelles il y avait des prisonniers juifs sur son île, mais quand il avait neuf ans il n’en avait aucune idée, et la mort brutale de ses frères l’avait tellement perturbé qu’il a voulu que David les remplace et, des conséquences que cela a entraînées, il se sent coupable encore aujourd’hui.

 

Citations

La misère des coupeurs de canne à sucre.

À la lisière de l’immense champs de cannes d’un vert ondulant sur la propriété sucrière de Mapou, commençait une série dégingandée de boxes, de huttes, de soi-disant maisons faites de tout ce qui tombait entre les mains de nos aînés et que l’on appelait le « camp ». Branche, bûches, bout de bois, souches, feuille de canne, brindilles, bambous, paille, palets de bouse de vache séchée, l’imagination de ces gens-là étaient infinie. Je ne sais pas comment j’ai survécu à la vie dans le camp, comment le petit garçon frêle et peureux que j’étais a pu traverser ces huit longues années. Ici, dès qu’un enfant tombait malade, la famille préparait tout de suite son lit mortuaire et, en règle générale, elle avait raison, la mort suivait la maladie, systématiquement, inexorablement.

La pluie tropicale.

À Mapou, la pluie était un monstre. on la voyait prendre des forces, accrochée à la montagne, comme une armée regroupée avant l’assaut, écouter les ordres de combat et de tueries. les nuages grossissaient de jour en jour, si lourds et goulus que le vent qui nous faisait tituber, au sol, n’arrivait plus à les chasser. Nous levions les yeux vers la montagne, quand la poussière nous donnait un répit et les soupirs de nos aînés nous préparait au pire.

Son père .

Mon père n’était pas meilleur ou pire que les autres. Il hurlait des choses que nous ne comprenions pas, chantait des chansons devenues incompréhensibles tant sa langue était lourde et gonflée d’alcool et nous prenions des coups si nous ne chantions pas comme il le souhaitait. Souvent, nous nous retrouvions dehors serrés contre ma mère et nous n’étions pas la seule famille dans ce cas-là. 
Que dire de plus sur ces nuits au camp ? Je n’avais pas l’impression d’être plus malheureux qu’un autre, mon univers commençait et s’arrêtait ici, pour moi, le monde était fait ainsi, avec des père qui travaillaient du matin au soir et rentraient chez eux, saouls , pour malmener leur famille.

La culpabilité du survivant.

Les yeux de mon père sur moi, ce regard qui noircissait de plus en plus, contre qui pouvait-il hurler, qui pouvait-il taper pour exorciser sa colère ? Et cette question au bout de sa langue, cette question qu’il n’a jamais pu prononcer tout haut mais que j’entendais à chaque fois que je passais à côté de lui, à chaque fois que sa main s’abattait sur moi, sur ma mère. Pourquoi toi ? Pourquoi toi, Raj, petit vaurien frêle, as-tu survécu ? Pourquoi toi ? Pourquoi toi ?

Découverte de David .

 Je ne sais pas si je dois avoir honte de le dire mais c’est ainsi. Je ne savais pas qu’il y avait une guerre mondiale qui durait depuis quatre ans, quand David avait demandé, à l’hôpital, si j’étais juif, je ne savais pas ce que ça voulait dire, j’ai dit non parce que j’avais la vague impression que juif désignait une maladie parce que j’étais dans un hôpital, je n’avais jamais entendu parler de l’Allemagne, je ne savais pas grand chose en réalité. J’avais trouvé David, un ami inespéré, un cadeau tombé du ciel et en ce début d’année 1945, c’est tout ce qui comptait pour moi.

 

L’étoile de David.

C’est aussi ce jour-là qu’il m’a montré sa médaille et qu’il m’a parlé de l’étoile de David et moi, pauvre idiot, pauvre naïf, pauvre gosse né dans la boue, moi, vexé comme un pou. et puis quoi encore ? peut-être que la forêt s’appelle la forêt de Raj ? Comment une étoile pouvait porter son nom, hein, pouvait- il me le dire ? Il me prenait pour un gaga ou quoi ? 
Mon ami serra son étoile et me dit que ce David-là était un roi. Et alors ? Raj aussi voulait dire roi !