Édition Perrin collection Tempus 

Ce livre se lit très facilement et pourtant il plonge dans de nombreux aspects du gouvernement de Vichy. Le travail de cette historienne est remarquable et elle sait le rendre accessible à un grand public. Au lieu de suivre l’histoire de cette période de façon chronologique, en 12 chapitres, elle cerne au plus près ce que fut ce gouvernement. D’abord le choix très bizarre de Vichy . Pour l’anecdote cette ville avait des hôtels qui n’étaient pas chauffés car normalement fermés l’hiver. Dans le deuxième chapitre, on voit à quel point le vieux maréchal avait du mal à rédiger lui-même ses discours. Mais dans le troisième, elle attribue à Pétain le statut des juifs et on voit à quel point cela était important pour Pétain de débarrasser l’état français de l’influence juive. Il distinguera les juifs français des juifs étrangers mais en aucun cas on ne peut penser qu’il a voulu sauver des juifs. Dans le chapitre quatre on sourit aux difficultés du retour des cendres de l’aiglon envisagé comme une grande largesse d’Hitler à la France.

C’est dans le huitième chapitre qu’elle cerne le rôle de Vichy dans la solution finale, on le sait maintenant sans la collaboration active des français les Allemands auraient eu plus de mal à déporter les juifs même si, il est vrai, que c’était plus leur volonté que celle du Maréchal Pétain. Personne à Vichy ne s’y est opposé, pire ils ont même beaucoup aidé les occupants, à l’image de Bousquet dont le tardif engagement dans la résistance ne saurait occulté le rôle qu’i a joué dans l’arrestation et la déportation de très nombreux juifs. L’auteure s’intéresse aussi à la milice, aux difficultés de de Gaulle pour s’imposer à Alger, à l’assassinat d’Henriot, la vengeance de la milice, la personnalité étrange de leur chef Darnand, et cela termine par le procès de Pierre Laval.

Cette plongée dans cette période est fascinante, Vichy et sa clique de politiciens semblent tellement ridicule, c’st un véritable panier de crabes, tous les protagonistes sont prêts à s’entretuer, et se méprisent mutuellement. Ce ne serait pas si grave si, en même temps, pour plaire à l’occupant, ils n’avaient pas devancer le moindre de leurs désirs. C’est grâce à eux que les enfants juifs ont été déportés, grâce à eux que les étrangers ont été mis dans des camps en zone libre puis livrés aux Allemands. Ils pensaient sauver un peu d’autonomie de la France alors que les Nazis ne leur ont jamais laissé une parcelle de pouvoir. Sauf le pouvoir de donner une liste de noms pour que ceux ci aient leurs 300 otages à fusiller contre l’attentat qui avait coûter la vie à un de leur officier.

Ce qui est incroyable dans le procès de Laval c’est de voir à quel point celui-ci croira jusqu’à s amort qu’il a œuvré pour le « bien » de la France. Et sa fille créera une fondation pour réhabiliter la mémoire de son père !

J’ai lu un article où on voit qu’il y avait chez elle au moins un tableau volé à une famille juive, l’amitié de son père avec les autorités nazies étaient bien récompensées.
Ce qui est certain c’est que les procès de Pétain et de Laval , n’ont pas vraiment fait la lumière sur toutes les conséquences des lois raciales française écrites par eux. La Shoa n’était pas du tout au cœur des débats à l’époque.

Un livre à lire pour tous ceux et toutes celles qui souhaitent une information claire et précise ou qui ne veulent pas oublier un passé qui fait mal à la France.

Citations

 

 

 

Détail étonnant .

 Les conditions matérielles, passables en été, deviennent inutilement pénibles en hiver puisque les hôtels, généralement fermés hors saison, n’ont pas de chauffage. Le secrétaire général au ministère des colonies qui avait été le premier a évoqué les attributions de charbon s’était fait éconduire au motif qu’on aurait quitté Vichy avant les premiers frimas. On fut fort dépourvu quand la bise fut venue. Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1941, le thermomètre tombe à moins 23°C.
 L’ allier charrie des glaçons. Durant l’hiver 1941-1942 c’est une tempête de neige qui isole la ville. Le 9 janvier il fait moins 23° C.

Pétain et les juifs .

 Même si les Allemands ne sont pas demandeurs d’une législation antisémite française, Pétain et Laval anticipent la bonne impression qu’il pourrait créer en s’inscrivant volontairement dans cette antisémitisme qui sera, à n’en pas douter l’un des marqueurs de l’identité de la nouvelle Europe sous domination nazie.
 L’idée d’un statut des juifs est donc bien dans les esprits, statut dans la préparation doit logiquement être dévolue au ministre de la justice Raphaël Alibert. Ce qui explique la phrase à la fois ridicule et choquante que rapporte le ministre du travail Charles Pomaret, phrase dans laquelle Alibert se serait vanté d’être en train avec son chef de cabinet de « préparer un texte aux petits oignons ».

La responsabilité de Vichy dans la solution finale : Pétain a-t-il sauvé des juifs ?

 La xénophobie assumée de Pétain a livré à l’arbitraire policiers des personnes particulièrement vulnérables et dépourvues d’autres protection que celle qu’elles pouvaient espérer de la France. Et elles ont contribué à faire porter à l’État français une part de responsabilité dans la perpétration de la Solution finale. C’est contre le Maréchal et contre son gouvernement que des Français, que des fonctionnaires, que la hiérarchie de l’église catholique ont agi à leurs risques et périls, pour protester contre les persécutions et porter secours aux persécutés. Vichy s’est laissé entraîner par idéologie et par vanité, dans la logique qui consiste à obliger des complices, des témoins et parfois des victimes a participé au crime. Mais choisir l’ordre des mises a mort ou les justifier par le sacrifice de l’intérêt supérieur de la patrie, ce n’est pas le sens communément admis du verbe « sauver ».

 

Édition Seuil

 

Dicton syrien

 « En chaque personne que tu connais, il y a quelqu’un que tu ne connais pas. »

 

Je vais finir par croire que les apiculteurs sont des humains supérieurs après « les abeilles grises » et « les abeilles d’hiver » voici l’histoire de deux apiculteurs pris dans la tourmente de la guerre en Syrie. Le portrait de ces apiculteurs ont des points communs, ils résistent tous à l’ambiance totalitaire ou à la guerre. est-ce le fait qu’ils sont amenés à mieux comprendre le comportement des abeilles qui les conduit à relativiser les engagements politiques extrémistes ?

J’avais déjà bien aimé de la même auteure « Les oiseaux chanteurs » sur un drame se passant à Chypre le pays dont elle est originaire.

En tout cas le portrait de Nuri et de son cousin Mustapha, les deux apiculteurs d’Alep est de la même trempe que celui de Sergueï – héros involontaire ukrainien ou celui d’Egidius Arimond – cet homme qui cachaient des juifs dans ses ruches. Les deux cousins, non seulement récoltent le miel de leurs abeilles mais ils ont également crée une petite entreprise autour de l’exploitation des ruches : miel, cire et autres produits dérivés, leur affaire marche très bien. La guerre va hélas tout détruire et comme les deux cousins tardent à partir – pour ne pas abandonner leurs abeilles- leurs deux fils vont être tués. La douleur est trop intense, en particulier pour Afra, la femme de Nuri qui en état de sidération et ne veut plus quitter la Syrie alors que c’était encore assez facile de le faire. Elle finira par accepter et avec Nuri les voilà sur le chemin de cet exil si douloureux pour les syriens qui ne sont pas partis assez vite. Ils connaîtront la traversée vers la Grèce dans un canot pneumatique, les camps en Grèce. C’est d’ailleurs là que tous les deux rencontreront l’horreur absolue. On sent que l’écrivaine y a elle même séjournée longuement , car elle sait nous rendre palpable l’insoutenable. Puis finalement ils arrivent en Grande Bretagne où les attend le cousin Mustapha.
Ne vous inquiétez pas je ne divulgâche rien du récit , car Chrsty Leftery commence son récit en Grand Bretagne, dans la pension où Afra et Nuri attendent de recevoir un statut de réfugiés politiques. Cette écrivaine mêle avec talent les trois temps forts du récit : Alep et la guerre, les destructions par les bombardements russes, les meurtres gratuits de l’état islamique, et le parcours des exilés via la Grèce. Afra est devenue aveugle de trop de souffrance et Nuri a des crises de panique totale pendant lesquels il revit les horreurs de son passé récent.
Je ne dis rien d’un petit Mohammed de l’âge de leur fils (7 ans ) qui va les accompagner pendant leur fuite car je ne veux pas enlever l’effet de surprise que vous aimez tant.

Un livre d’une beauté totale grâce à une écriture très en finesse. On sent bien la retenue de Christy Lefteri face aux horreurs qu’elle a rencontrées en Grèce.

 

Citations

J’ai tout de suite aimé le style de cette écrivaine .

 Il y avait notamment un tableau du Qouiiq que j’aimerais revoir. Elle en avait fait un pauvre caniveau traversant le parc de la ville. Afra avait don. Elle révélait la vérité des paysages. Cette toile et sa rigole dérisoire représentent à mes yeux notre combat pour rester en vie. À une trentaine de kilomètres au sud d’Alep. Le Qoueiq renonce à lutter contre l’impitoyable steppe syrienne et s’évapore dans les marais.

Destruction d’Alep.

Je lui avais pourtant dit que le souk était vide, une partie des allées bombardée et incendiée. Ces ruelle qui grouillaient naguère de marchands et de touristes étaient devenues le territoire de l’armée, des chiens et des rats. Tous les étals étaient abandonnés, hormis un, où un vieil homme vendait du café aux soldats. La citadelle convertie en base militaire était entourée de chars.

Procédé de mise en forme , je n’ai pas trouvé le pourquoi de ce procédé sauf peut être que tout s’enchaîne ?

Chaque chapitre se termine avec un mot en moins
Qui est à la fois le nom du prochain chapitre
Exemple :
Mes yeux restent ouvert dans le noir, car j’ai peur de
Le Chapitre suivant s’appelle :
la nuit
et débute ainsi :
tombait ; nous étions à Bab al-Faradj, dans la vieille ville.

La mer, l’attente .

 Le bateau parti la veille avait chaviré et la plupart des gens à bord avaient disparu. Seules quatre personne avaient été repêchées et on avait retrouvé huit cadavres. Voilà le genre de conversations que j’entendais autour de moi.

Genre de pensées qui torturent les survivants.

 Souvent, je regrette d’être resté à Alep, de ne pas être parti avec ma femme et ma fille, car, alors, mon fils serait encore parmi nous. Cette pensée me donne envie de mourir. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, changer les décisions que nous avons prises. Je n’ai pas tué mon fils. Je m’efforce de m ‘en souvenir pour ne pas errer à jamais dans les ténèbres.

Les camps de réfugiés.

 C’était sale et, même à l’air libre, l’odeur était pestilentielle : un mélange de pourriture et d’urine. Mais notre guide poursuivit son chemin sans s’arrêter. Plus on s’enfonçait dans le parc, plus les sentiers étaient défoncés et envahis de mauvaises herbes cassantes. Quelques personnes promenaient leur chien, des retraités bavardaient sur des bancs. Plus loin des drogués préparaient leur dose. Enfin, nous débouchâmes sur un autre campement. Neil nous trouva un espace sur des couvertures entre deux palmiers. En face se dressait la statue d’un ancien guerrier. Un homme émacié était assis sur le piédestal. Ses yeux me rappelèrent ceux des jeunes dans la cour de l’école la veille.
 Cet endroit avait quelque chose de malsain, mais je ne m’en aperçu que bien plus tard, après le départ de Neil lorsque la nuit se referma sur nous . Les hommes se regroupaient en meutes, comme des loups. Les Bulgares, les Grecs, les Albanais. Ils regardaient et attendaient quelque chose : ça se voyait dans leurs yeux. Des yeux de prédateurs intelligents.
 Il faisait froid. Afra frissonnant. Elle n’avait quasiment rien dit depuis notre arrivée. Elle avait peur. Je l’enveloppais de couvertures. Nous n’avions pas de tente, seulement un grand parapluie qui nous protégeait du vent du nord. Quelqu’un avait allumé un feu à côté. Il nous réchauffait un peu mais pas assez pour nous procurer du confort


Édition Grasset

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Quand demain reviendra la lumière….

 

Ce roman raconte une journée très particulière dans la vie du narrateur : il est seul chez lui car il doit aller chercher sa femme et son fils nouveau né à la maternité. Il va devenir père et il se sent complètement bouleversé par ce changement de statut. Saura-t-il transmettre à cet enfant le lourd passé de sa famille à jamais marqué par la Shoa ? Se mêlent alors pour lui son enfance et ses jeux qui tournaient souvent autour de cette tante mythique Rosa, rescapée d’Auschwitz , la dernière encore en vie, qui a fui l’Europe pour monter un cabaret en plein désert. Cette femme a décidé de raconter dans un spectacle incroyable ses souvenirs et terminer par une litanie de noms de toutes les femmes qui sont mortes devant ses yeux.

Samuel son petit neveu a été élevé dans une famille qui ne pouvait pas parler car ils étaient trop malheureux, il dit dans son récit que ces silences l’ont névrosé. Il décrit cette journée où il va accueillir, dans sa maison, son bébé et sa femme, avec une délicatesse qui m’a émue et pourtant, ce qu’il raconte est parfois insoutenable, et il dit avec ses mots et ses difficultés de vivre combien la Shoah a marqué les générations suivantes, victimes ou pas, les survivants traînent en eux une culpabilité qu’ils ont transmise à leurs enfants et petits-enfants.

Un très beau texte, très émouvant.

 

Citations

Des souvenirs douloureux.

 Derrière la porte rouge qui s’ouvre sur son sanctuaire, parmi les statuettes, les habits en lambeaux et les pierres couleur brique, se trouvent deux gamelles de métal. La sienne, qui lui a permis de s’accrocher au jour, marquée d’une infinie culpabilité. D’avoir volé, de n’avoir pas partagé, d’avoir piétiné des corps pour survivre.

Promesse à son bébé .

 Quand demain reviendra la lumière, que nous entrerons dans l’appartement pour la première fois tous les trois, je lui raconterais. Il y aura les berceuses, les histoires récitées d’une voix grave, et puis la Shoah. Il faudra que je trouve les mots qu’on ne m’a pas dits, car c’est le silence qui a semé en moi toutes ses névroses -pas les atrocités de l’histoire.

L’indicible .

 Rosa était frigorifiée mais elle sentait qu’il n’avait pas le droit de trembler, son corps devait cacher ses faiblesses. Seule de sa main gauche avait du mal à résister, elle cherchait l’appui d’une paume maternelle. Son index avait commencé à bouger, d’abord lentement puis, comme pris de palpitations, il s’était mis à taper contre le pouce sans parvenir à s’arrêter, cet index gauche qui menaçait la dénoncer. Alors Jania avait saisi sa main -une femme sans âge, sans cheveux à qui ont aurait donné cinquante alors qu’elle n ‘en avait pas plus de trente. Rosa ne connaissait pas son prénom, elle ne savait rien d’elle mais toute les deux ressentiraient bientôt les douleurs insondables. Elles respireraient côte-à-côte l’odeur du génocide et scelleraient leur mémoire dans une gamelle.

Le passé.

 Qui sommes-nous quand les aînés ne sont plus là pour désigner le passé ? L’angoisse grandit à mesure que les jours passent, le décomptes des derniers rescapés comme au moment de l’appel matinal, dans les camps. J’entends les prénoms, les noms, les numéros. Des aboiements d’un autre temps qui se mêlent aux souvenirs et à l’angoisse. Au moment où la dernière voix s’éteindra, nous serons livrés aux obscurité.

 

 

 

Édition belfond. Traduit de l’anglais (Royaune-Uni) par Diane Meur

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

 La honte, ce n’est pas comme la culpabilité ; elle n’admet pas de réparation. Les juifs dont je parle sont morts. Ceux qui avaient mon âge à l’époque n’auront jamais donné le jour à des enfants, à des petits enfants. La honte ne s’expie pas ; elle est une dette impossible à s’acquitter

 

Ce roman, que j’ai lu avec un grand intérêt, se présente comme une longue lettre d’un grand-père allemand à son petit fils écossais. Le grand père était soldat de la Wehrmacht et a fait toute sa guerre sur le front de l’Est. Il raconte surtout la débâcle allemande de 1944 avec son lot d’horreurs insoutenables. Ce long récit est interrompu par les souvenirs du petit fils de ce grand-père qu’il a tant aimé.

Le grand-père a besoin de dire tout de suite qu’il n’a rien vu de la Shoa et explique très peu son adhésion au nazisme qui semble anecdotique par rapport à son engagement dans l’armée. Le nazisme est représenté par un des membres du petit commando dont nous allons suivre la progression à travers les plaines de l’Ukraine et de la Pologne, et c’est le personnage le plus odieux.
Ce roman, car c’est un roman, même si l’auteur a lui-même une ascendance allemande, on ne peut pas savoir s’il s’agit vraiment de son propre grand-père. En revanche tout ce qu’il décrit, comme horreurs du comportement de l’armée sur le front de l’est est véridique. Le grand père pense qu’à l’Est tout était permis et que rien n’était là pour arrêter la barbarie de l’armée. Il décrit aussi comment jusqu’au dernier moment la police militaire allemande tuait les déserteurs, aujourd’hui où cette région est de nouveau la proie de la guerre il y a des points communs si tristes, cela m’a fait penser au sort des déserteurs Russes de la divisions Wagner.

Un livre qui permet de comprendre la barbarie de l’armée mais pas l’adhésion au Nazisme, on pense quand même que ce bon soldat s’il avait dû assassiner des Juifs, il l’aurait fait par obéissance. D’ailleurs il décrit un épisode dans un café de Varsovie où il a eu une attitude peu glorieuse. Pour mieux comprendre l’engagement de toute une population dans le nazisme, je recommande deux livres qui m’ont bien aidé à ouvrir les yeux  : « un bon allemand » de Horst Krüger, et surtout « l’histoire d’un Allemand » de Sebastian Haffner.

 

Citations

Son grand père .

 Je n’ai pas été un nazi. Aucun tribunal, même omniscient, ne me jugerait coupable de quoi que ce soit. Ce que je peux te raconter ne concerne ni des atrocités, ni un génocide. Je n’ai pas vu les camps de la mort et je ne suis pas qualifié pour en dire un seul mot. J’ai lu le livre de Primo Levi sur ce sujet, une comme tout le monde. Sauf qu’en le lisant, nous les Allemands, nous sommes obligés de penser : Nous avons commis cela.

La boue, en Ukraine.

 Plus ils avançaient sur la pente, plus le camion s’embourbait dans la glaise mouillée, de sorte que les perches n’étaient plus qu’à la hauteur de leurs genoux. Les roues ont fini par se bloquer. Alors le lourd engin a commencé de glisser à reculons vers la file de véhicules massés derrière lui.
 Un cadavre était resté pris dans la glaise au bas de la pente, un des nôtres, un Allemand. Personne n’avait le temps ni le loisir de le retirer et chaque fois que le camion dans son va et vient passait sur ses jambes en partie enfouies, le torse raide se relevait au dessus du sol. Le camion allait, venait. Et à chaque passage, le visage gris à la peau fendue et le torse meurtri émergeait de la boue. Je me souviens d’avoir pensé : Nous sommes en enfer. C’est l’enfer ici, et nous sommes des damnés.

La responsabilité des Allemands.

 Il est difficile de séparer les circonstances et l’homme. Mais dire que j’ai été à la merci des circonstances serait trop simple. L’époque à laquelle je vivais m’a conduit dans ces potagers, la faim au ventre, une barre à mine dans la main, mais ce n’est pas pour autant que je n’ai pas agi ou que je n’ai pas mangé.
Quand je me pose la question de savoir si nous étions tous immoraux, ou si nos actes répréhensibles faisaient de nous des êtres mauvais, je me dis que nous avons été flétris par les conséquences de décisions prises par d’autres (…)
Et moi à titre personnel ? Telle est la question à laquelle je m’efforce ici de répondre.

Guerre à l’est .

Même aux moments dont je te parle, à l’automne 1944, quand le vent avait déjà tourné et que les Allemands en France fuyaient sous les bombardements américains comme des poux sous la flamme d’un briquet, il valait sans doute mieux se trouver à l’Ouest. Les lois de la guerre, ce paradoxe raffiné, y avaient encore cours. Des atrocités étaient commises aussi, mais c’était une violation des règles et non leur pure et simple abolition 
(…)
 Mais nous les Allemands nous savons dans notre chair -et les Polonais, les Ukrainiens, les Juifs et les Russes- le savent aussi que la guerre à l’Est était la seule vraie : nue, impitoyable, affranchie de toute loi, exempte de toute compassion, une pure affaire de haine et d’annihilation. Sur huit soldats allemands tués, sept l’ont été à l’est et à l’échelle des pertes russes on peut à peine dire que les puissances occidentales ont fait la guerre.
 Pendant de première année à l’Est, nous les Allemands, avons sciemment laissé mourir de faim un demi-million de prisonniers russes. Il m’est arrivé d’observer un homme dépérir ainsi, d’avoir été moi-même affamé, et cet état n’est pas indolore. Cela ne vous met pas dans un état de léthargie hébété. Cela vous rend fou. Cela seul, parmi tous les actes que nous avons commis était déjà un crime qui exigerait des monuments, des discours et des journées commémoratives, mais, parce qu’il a été perpétré à l’Est on s’en souvient à peine.

Essayer de comprendre.

Mais qu’est-ce qui au départ nous a fait commettre ce que nous avons commis, voilà ce qu’ils n’expliquent pas. Car enfin, le communisme s’est développée partout en Europe ; le nazisme, lui, ne s’est vraiment développé que chez nous.

 Je pense qu’il s’agissait en partie d’obéissance, que nous avons consentie pour nous laisser mener à l’abîme. Et je pense aussi qu’il y avait à l’œuvre une violence, quelque chose de dément. Une aspiration de puristes à la « tabla rasa ». Une fêlure dans notre psyché nationale sur laquelle nous avons réglé nos actes avec calme et méthode, je dirais même avec humanité. Je suis sûr que les Feldgendarmen se trouvaient très humains de pendre nos soldats plutôt que de les crucifier eux aussi.


Éditions de l’Observatoire 

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un des avantages du club de lecture de Dinard (et ce n’est le seul) c’est de chercher des titres dans les romans français, enfin surtout pour les nouveautés et cela me change un peu des auteurs étrangers.
Ce livre est un petit bijou tout en délicatesse et pourtant … Pourtant il traite d’un des sujets qui me révolte le plus, et je ne dois pas être la seule ! Les souffrances infligées aux enfants dans des institutions censées les protéger. Dans le genre le Canada doit être en première ligne avec le sort réservé aux enfants indiens arrachés à leurs familles pour les ré »éduquer » dans dans des maisons qui ont été pour nombre d’entre eux l’antichambre du cimetière. L’Irlande n’est pas mal non plus et voilà que nous sommes dans un endroit que j’adore : Jersey et les îles anglo-normandes. D’ailleurs on y parle de Serk et des Écrehous qui sont parmi les plus jolies îles que j’ai vues. Mais loin de ce tourisme ou de l’évasion fiscal, Jersey a eu son orphelinat à la tête duquel un directeur pervers à régner. Le malheur pour ces enfants c’est que l’île est loin de tout et qu’il a fallu bien du temps pour que les langues se délient. D’ailleurs les habitants de l’île ne veulent toujours pas parler de cette affaire bien réelle hélas ! La romancière a imaginé des personnages qui semblent tellement vrais, si eux n’ont pas existé leurs sosies ont bien souffert de tous les maux qu’elle nous décrit. Lily est une petite fille de 8 ans, et elle arrive à survivre dans cet enfer car elle aime les oiseaux et la nature mais le petit qu’elle protège (je peux dire sans divulgâcher que c’est son petit frère) lui n’a que quatre ans et ne peut pas se protéger. La fin est tragique, je vous laisse deviner. La narratrice du roman est une femme de 60 ans qui veut faire toute la lumière sur ce qui s’est passé car cela la concerne de près. Il y a aussi un personnage qui lui a existé : il vivait un peu en marge de la société et a été accusé de crimes à connotation sexuelle, il était innocent et on découvrira plus tard que le vrai coupable était employé à l’orphelinat c’est lui en particulier qui faisait le père Noël … Cet homme dégouté par ses concitoyens se réfugiera au Écrehous et se déclarera roi de ces îles. Vous pourrez vous renseigner sur lui dans cet article ce fait divers n’est vraiment pas à la gloire des habitants de l’île, c’est le moins qu’on puisse dire ! !
La si belle île de Jersey s’est refermée sur son silence et la narratrice n’apprendra pas grand chose d’autre que ce que l’enquête officielle n’avait découvert.
Comme je le disais au début un livre d’une délicatesse étonnante pour un sujet sordide . Bravo Maud Simonnot !

 

Citations

Les iliens.

 Les mimosas étaient en fleur et leur jaune d’or apportait une couleur de plus à une incroyable palette des végétaux qui se détachaient sur le bleu céruléen de l’eau. En temps normal j’aurais été séduite par la beauté de ce spectacle marin, mais depuis quelques jours je percevais la mer différemment : c’est elle qui avait permis à ces gens de vivre en paix avec leurs secrets et qui leur conférait cette arrogance. Coupés du reste du monde par l’immensité d’eau ils étaient entre eux.

La beauté mais aussi la prison .

 Après avoir longé le Trou du Diable, je m’approchais des bruyères bordant la falaise pour contempler la silhouette de la petite ils de Serk, aux contours indigo rendu flou par la brume comme ceux d’un royaumes disparu. J’avais toujours vu dans les îles de merveilleuses terres de liberté, pour Lily ça avait signifié l’inverse : il était doublement impossible de s’échapper de l’orphelinat puis de Jersey. Son purgatoire était une île dans l’île, une prison dans la prison…

C’est très triste.

 L’environnement qui avait permis autant de crimes, cette culture locale du silence, était presque aussi terrible que les personnes mêmes qui les avaient perpétrés. Parce que ces enfants étaient orphelins, pauvres, inoffensifs, il avait été facile de détourner le regard. Et même si, après une très longue procédure, la commission d’enquête avait fini par conclure en 2017 que « sans l’ombre d’un doute un nombre important d’enfants pris en charge par les autorités de l’île avait été victimes de violences physiques et sexuelles et de négligence émotionnelle ». Pour ces enfants il n’y aurait jamais ni justice ni consolation.

 


Édition Gallimard NRF

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Se souvenir de cette phrase

 La seule arme qu’a un pauvre pour conserver sa dignité est d’instiller la peur.

Quel livre ! Comment peut-on ensuite avoir la moindre confiance dans la conduite des affaires de la Russie en Poutine, appelé le Tzar dans tout ce roman ? Et comment ne peut on faire autrement que de chercher à se défendre de lui ? Ce roman prend pour sujet des confidences que Vadim Baranov, personnage réel qui a été l’éminence grise de Poutine pendant vingt ans, auraient faites à l’écrivain qui connaît mieux que personne les dessous du pouvoir du Kremlin dirigé par Poutine de main de fer.

Nous découvrons que tout ce que l’Europe connaît comme conflits les plus horribles sont dues au désir de Poutine de redonner la fierté aux Russes que ce soit la guerre en Tchétchénie ou la guerre en Ukraine. Tout est venu de la fin du communisme période pendant laquelle la Russie a connu une période où tout était permis mais où, surtout, les dirigeants internationaux, en particulier les américains, méprisaient de façon ouverte les dirigeants russes. Il raconte comment le fou rire de Clinton devant les propos incohérents d’Elstine lors d’une conférence de presse à New York en 1995 a humilié toute une nation. Toute la conduite de Poutine est de faire peur aux occidentaux et peu importe les prix humains que cette folie de grandeur coûtera.
Ce roman, ou essai car on se demande ce qui est romancé dans cette histoire, est absolument passionnant. Le style de cet auteur est agréable à lire, on sent qu’il connaît très bien son sujet. On retrouve tous les évènements dont a plus ou moins entendu parler, la montée des oligarques et leur chute voire leur suicides « assistés » . La Russie s’est trouvé le maître qui lui convient, il flatte leur sentiment de supériorité et en les obligeant à se soumettre ils retrouvent la conduite de leurs grands-parents de ne plus rien critiquer et d’absorber la propagande servie par des médias au main de leur Tzar préféré . C’est d’une tristesse incroyable

 

 

Citations

J’ai envie de lire cet auteur que je ne connaissais pas.

Depuis que je l’avais découvert, Zamiatine était devenu mon obsession. Il me semblait que son œuvre concentrait toutes les questions de l’époque qui était la nôtre. « Nous » ne décrivait pas que l’Union soviétique, il racontait surtout le monde lisse, sans aspérités, des algorithmes, la matrice globale en construction et, face à celle-ci l’irrémédiable insuffisance de nos cerveaux primitifs. Zamiatine était un oracle, il ne s’adressait pas seulement à Staline : il épinglait tous les dictateurs à venir, les oligarques de la Silicone Valley comme les mandarins du parti unique chinois.

Les élites russes.

 Voyez-vous, l’élite soviétique au fond ressemblait beaucoup à la vieille noblesse tsariste. Un peu moins élégante, un peu plus instruite, mais avec le même mépris aristocratique pour l’argent, la même distance sidérale du peuple, la même propension à l’arrogance et à la violence. On échappe pas à son propre destin et celui des Russes est d’être gouvernés par les descendants d’Ivan le terrible. On peut inventer tout ce qu’on voudra, la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet il y a les « opritchniki » des chiens de garde du tsar.

Moscou 1990.

 Moscou au milieu des années 90, était le bon endroit. Vous pouviez sortir de la maison un après-midi pour aller acheter des cigarettes, rencontrer par hasard un ami surexcité pour je ne sais quelle raison et vous réveiller deux jours plus tard, dans un chalet à Courchevel, à moitié nu entouré de beautés endormies, sans avoir la moindre idée de comment vous est-il arrivé là. Ou bien, vous vous rendiez à une fête privée dans un club de strip-tease, vous commenciez à parler avec un inconnu, gonflé de vodka jusqu’aux oreilles, et le lendemain vous vous retrouviez propulsé à la tête d’une campagne de communication de plusieurs millions de roubles.

Comprendre Moscou .

Tout contribuait à alimenter la bulle radioactive de Moscou. Les aspirations accumulées de tout un pays, immergé depuis des décennies dans la sénescente torpeur communiste, convergeaient ici. Et au centre, il n’y avait pas la culture, comme le croyait les intellectuels convaincus d’hériter du sceptre et qui n’avaient rien hérité du tout. Au centre, il y avait la télévision. Le cœur névralgique du nouveau monde qui, avec son poids magique, courbait le temps et projetait partout le reflet phosphorescent du désir. 
Convertir mon expérience théâtrale en carrière de producteur de télévision fut comme passer du carrosse à vapeur à la Lamborghini.

Humour Soviétique.

 « Sais-tu ce que disaient les Moscovites de la Loubianka à l’époque de L’URSS ? Que c’était l’immeuble le plus haut de la ville car de ses caves on voyait la Sibérie… »

 Staline dans les souvenirs des Russes.

 Vous, les intellectuels, vous êtes convaincus que c’est parce que les gens ont oublié. D’après-vous, ils ne se souviennent pas des purges, des massacres. C’est pourquoi vous continuez à publier article sur article, livre sur livre à propos de 1937, des goulags, des victimes du stalinisme. Vous pensez que Staline est populaire malgré les massacres. Eh bien, vous vous trompez, il est populaire à cause des massacres. Parce que lui au moins savait comment traiter les voleurs et les traîtres. »
 Le tzar fit une pause. 
« Tu sais ce que fait Staline quand les trains soviétiques commencent à avoir une série d’accidents ?
-Non.
– Il prend Von Meck, le directeur des chemins de fer, et le fait fusiller pour sabotage. Cela ne résout pas le problème des chemins de fer, en fait cela peut même l’aggraver. Mais il donne un exutoire à la rage. La même chose se produit chaque fois que le système n’est pas à la hauteur. Quand la viande vient à manquer Staline fait arrêter le commissaire du peuple pour l’agriculture. Tchernov, l’envoie au tribunal et celui-ci, comme par magie confesse que c’est lui qui a fait abattre des milliers de vaches et de cochons pour déstabiliser le régime et fomenter une révolte.

Remarque que je trouve juste.

 J’ai pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent de joie une fois passé le seuil. Contrairement aux notables, qui cachent parfois des pulsions anarchique sous l’habitude des dorures, les rebelles sont immanquablement éblouis comme les animaux sauvages face au phare des routiers.

 

 


Édition Feryane (gros caractères) traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Ce roman a eu un tel succès que je n’ai pu le trouver qu’en gros caractère dans une petite bibliothèque assez loin de chez moi. Ce n’est ni agréable ni gênant de lire ainsi. (Je me demande si cela aide vraiment les gens qui ne voient pas très bien). J’avais déjà lu « le pingouin » du même auteur, je me souviens que l’aspect déjanté du roman ne m’avait qu’à moitié plu.

Mes cinq coquillages disent que pour ce roman je n’ai aucune réserve. Et ceci pour plusieurs raisons :

  • Que savions nous vraiment de l’Ukraine avant que les Russes ne décident d’envahir ce pays ?
  • En 2014, certaines provinces sont tombées sous la coupe de « pro » russes et la Crimée a été rattachée à la Russie, mais qu’en était-il des populations ? Se sentaient-elles russes ou ukrainiennes ?
  • Comment vivent les citoyens ordinaires dans des villages coupés du monde sans électricité la plupart du temps ?
  • Que peuvent apporter les abeilles aux hommes ?

À travers un personnage étonnant Sergueï Sergueïtch, apiculteur, qui est resté vivre dans son village sur la zone de front, Starogradivka, j’ai mieux compris que par les multiples reportages ce qui ce passait dans cette région de l’Ukraine. Son village ne compte plus que deux habitants : lui et son pire ennemi Pachka . Sergueï n’est pas un héros ni un personnage très sympathique, il va le devenir au cours de ce roman. Sa femme l’a quitté et on devine parce qu’elle n’en pouvait plus de vivre avec un homme si casanier qui ne supportait pas que l’on puisse appeler une petite fille Angélica (trop original pour le village !). La solitude lui pèse, mais pas tant que ça, il va devoir se rapprocher de son ennemi d’école primaire et une forme d’entente va se créer entre eux. Tous les deux vivent au grès des bombardements qui passent au dessus de leur tête, ils sont habitués ! ! De temps en temps, Sergueï va dans un village un peu plus loin et prend du ravitaillement. Il va essayer aussi d’enterrer un soldat tué sur cette ligne de front, il ne pourra que le recouvrir de glace. C’est un véritable acte de bravoure car il sait que les deux camps observent cette zone où personne ne doit passer.

L’été arrive et avec l’été, il lui faut trouver un endroit propice pour ses abeilles. Il trouve d’abord un lieu parfait dans la campagne ukrainienne , mais sans s’en rendre compte, il va attiser la jalousie des hommes du villages car il plait beaucoup à l’épicière du village. La guerre le rattrape, un des villageois, revenu complètement traumatisé de la guerre, a des accès de violence incontrôlés et vandalise la voiture de Sergueï à coups de hachette, il décide donc de partir en Crimée.

Là encore le quotidien de la guerre va le rattraper. Il doit passer différentes « frontières » et ça prend beaucoup de temps et d’interrogatoires très pénibles. En Crimée il ne connaît qu’un homme apiculteur, c’est un Tatar et ses ennuis vont s’aggraver.
En voulant aider cette famille, il va réveiller les vieux démons racistes des autorités russes et la famille tatar paiera très cher sa présence ainsi que ses abeilles. Il ne pourra que s’enfuir en aidant la fille de la famille à franchir la frontière pour se rendre en Ukraine faire des études.

Voilà pour la trame du récit, en ne vous inquiétez pas pour le « divulgachâge » ce ne sont pas les événements qui font la puissance de ce récit. C’est la compréhension que, peu à peu, se fait Sergueï de ce qui l’entoure et l’impossibilité d’agir sur la vie lorsque ceux qui ont le pouvoir sont complètement corrompus et qu’aucune logique ne semble être à l’oeuvre dans leur conduite. On peut trouver que cet homme est trop passif et limité intellectuellement, mais je pense que rester à ce niveau du personnage permet à l’écrivain de faire comprendre aux lecteurs ce que vit exactement la population. Je pense que la Russie va obtenir exactement le contraire de ce que voulaient les dirigeants à savoir créer un sentiment national qui était loin d’exister en 2014. Les habitants n’avaient aucune envie de se sentir Russes ou Ukrainiens mais ils voulaient simplement vivre tranquillement dans leurs villages. Déjà, l’esprit de clocher ne portait pas à l’ouverture d’esprit mais les pires sentiments vont être exacerbés par la guerre et donc le nationalisme semble une solution toute simple.

Un roman qui sert de base pour comprendre le conflit actuel et est servi par un grand écrivain ukrainien russophone qui doit être bien triste de voir son pays détruit de fond en comble par des Russes persuadés qu’ils sont dans leur bon droit.

 

Citations

Sergueï et Pachka.

En un instant, il s’était rappelé les vacheries commises par l’autre, ses coups par en dessous, ces cafardages auprès des profs, ses refus de laisser copier. Dites : après 40 ans, il aurait pu avoir déjà pardonné et oublié tout ça ! Eh bien, pardonner, ça oui ! Mais comment les oublier quand leur classe comptait sept greluches et seulement deux gamins : Pachka et lui ? Et qu’en conséquence Sergueï n’avait jamais eu d’amis à l’école, mais seulement un ennemi. Même si le mot « ennemi » avait quelque chose de trop sérieux et pesant. Au village on aurait dit qu’il était « chtit » le terme convenaient mieux un « petit ennemi » en somme, dont personne n’avait peur. 

La vie et la mort dans un village.

 Quand on vit longtemps dans un endroit, on a toujours plus de familles enterrées qu’en bonne santé à côté de soi.

Le poids du silence et de la solitude.

 Cinq jours passèrent, tous identiques, tels des corbeaux. Pareille comparaison ne serait pas venue à l’esprit de Sergueïtch si au cours de ces journées tranquilles et monotones, le seul bruit à remplir de temps à autre les alentours n’eût été le croassement de ces oiseaux. 
« Peut-être annoncent-ils le printemps ? » songeait l’apiculteur tendant vainement l’oreille en quête d’autres bruits dans le monde environnant.

Humour.

 « Et vous avez fabriqué ce grand coffret spécialement pour des chaussures ? 
– Bon, ce n’est pas tout à fait un coffret, c’est un chaussurier, corrigea Sergueïtch. Un coffret, c’est plus petit.
– Un chaussurier ? répéta Petro. Ça existe un mot pareil ?
– Il y a bien des cendriers, non ? des sucriers ? répondit l’apiculteur. pourquoi il n’y aurait pas des chaussurier ?

Le sort des abeilles.

 Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu simplement l’habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l’aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles ne comprenaient pas ce qu’était la guerre ! Les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, comme les humains.

 


Édition P.O.L

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Iegor Gran connait bien la Russie parle parfaitement le russe (sa langue maternelle) et y a de nombreux amis. C’est donc de l’intérieur qu’il peut nous décrire l’état de l’opinion des Russes et c’est absolument terrifiant. Tout le monde devrait lire ce livre avant de penser quoi que ce soit sur l’Ukraine. Pour Iegor Gran, les Russes sont dans leur immense majorité devenus des « Zombies » et boivent comme du petit lait les paroles du grand Zombie chef Poutine. Iegor Gran a un style très particulier dans d’autres livres, il m’a fait beaucoup rire (l’écologie en bas de chez moi , les services compétents, un peu moins drôle Ipso facto) mais ici il ne rit pas du tout et nous non plus !.

Il commence par nous citer les propos de Madame tout le monde qui reprend mot à mot les discours de Poutine et qui sera fière d’envoyer ses enfants à la mort pour sauver la Russie de la mainmise de l’OTAN et du Nazisme. Ensuite, il explique combien il était insupportable pour les Russes d’imaginer que les Ukrainiens pouvaient mieux vivre qu’eux. Car les Russes connaissent la misère, il raconte des faits incroyables, cela ne les gène pas plus que ça. Ils y trouvent même une source de fierté de pouvoir supporter cette vie si difficile. Et quand on leur montre leurs oligarques qui s’enrichissent ils sont fiers d’eux car ils les jugent plus malins que les occidentaux. Iegor Gran termine son essai sur cette idée, les Russes nous méprisent profondément car ils nous jugent mous et incapables de défendre nos valeurs.

La guerre en Ukraine n’a sans doute que cette simple motivation, il ne fallait pas que les Ukrainiens sortent de la domination russes et que surtout ce pays fasse la preuve qu’alors elle obtient un niveau de vie correcte pour sa population contrairement à son immense voisin victime de la corruption de ses dirigeants et d’une misère incroyable pour les gens ordinaires.

Citations

Un exemple de zombie.

– De quelle guerre tu me parles ? se braque Anna. il n’y a pas de guerre, c’est une opération militaire, ça n’a rien à voir. 
Son euphémisme ne la gêne en rien. 
– Pour ta gouverne, la Russie n’a jamais attaqué personne, poursuit-elle. C’est un fait historique.
 Celle qui me parlait naguère du printemps de Prague a brusquement purgé sa mémoire. Le 24 février à l’aube, l’hypnotiseur suprême a claqué les doigts et Anna s’est réveillée en zombie. Désormais elle est capable de repérer un « nazi » dans Zelinski (alors qu’il est juif), de prétendre que la petite Ukraine est une menace existentielle pour la culture russe « que les nazis cherchent à éliminer » de diagnostiquer des « fake news » dans chaque article de média occidentaux. Elle dit noir là où le blanc crève les yeux et elle rejette les faits avec cette assurance tranquille de camion-citerne face à une trottinette. Mon désarroi est d’autant plus grand que je ne m’y attendais pas. Anna est sur diplômée. Elle a beaucoup voyagé. Au Louvre, elle aime particulièrement Clouet et Georges de La Tour. Elle adore Amsterdam et le zoo de Berlin Ce qui ne l’empêche pas de m’asséner : 
– C’est le moment de régler la question de l’Ukraine qui a toujours été comme un furoncle. Ces types nous poussent à la guerre ! La preuve tu l’as dit toi-même : « guerre » …ils sont trop heureux d’être au centre de l’attention médiatique avec ces drapeaux bleus et jaunes que l’Occident s’empresse de pavoiser. 
J’en ai le tournis.

Paradoxe .

 Vous ne trouverez pas un seul zombie qui militerait pour la décroissance ou la limitation volontaire de la consommation personnelle pour protéger les ressources naturelles, limiter la souffrance animale ou réduire l’empreinte carbone. On vomit l’occident et on bave devant ses produits avec un élan identique et une sincérité que l’on pourrait qualifier d’enfantine, tellement la contradiction, pourtant flagrante, entre ces deux positions restent dans l’angle mort de la plupart des Russes.

Moqueries sur la France .

 Le cuir, réputé mince, de l’occident est un prétexte à une infinité de sarcasmes. « Privé de sa marque de PQ préférée, un soldat français ne tient pas une semaine au front ! » me disait un vieil ami peintre. Il n’était pas le seul. Que n’ai-je entendu ces dernières années ! « Au moindre petit soldat qui meurt au Mali toute la France défile avec une tronche triste alors que Poutine, lui gouverne »,  » Il suffit d’un islamiste avec un couteau de cuisine, et ça y est, l’Europe est paralysée par la peur »,  » Un flic a tabassé un manifestant – vite, ouvrons trois cellules d’aide psychologique, une pour le flic, une pour le manifestant, une pour le chien qui pissait pas loin ! »

 

Édition Gallimard . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Si j’avais eu quelques réserves pour le premier roman que j’avais lu de et auteur : « l’enterrement de Serge » ; celui-ci m’a vraiment beaucoup plu. Surtout parce qu’il dit de façon très claire que Proust n’appartient pas aux intellectuels mais à tous ceux et toutes celles qui veulent bien se donner le mal de le lire.

Clara est coiffeuse, dans le salon « Cyndi coiffure » , Madame Habib en est la propriétaire et Nolwenn la deuxième employée. Un jour un bel homme oublie son livre au salon, Clara qui est malheureuse en ménage espère que cet homme reviendra chercher son livre. Il ne revient pas et Clara commence à lire « la recherche du temps perdu ». Ce n’est pas une lecture facile mais Clara s’accroche et peu à peu elle s’empare de ce texte qui va à tout jamais changer sa vie.

Ce qui est bien fait dans ce roman, c’est le cheminement de Clara vers l’oeuvre de Proust qui peu à peu transforme sa perception de la vie. Les citations de Proust parsèment ce roman et permettent de retrouver des passages connus de Proust, Clara commence à bien connaître les personnages de la recherche. J’admire le travail de Stéphane Carlier d’avoir ainsi rendu accessible l’oeuvre de Proust. Et je trouve que d’avoir situé son roman dans un petit salon de banlieue de Châlon sur Saône est une très bonne idée. D’abord pour montrer qu’il n’y a pas de frontières sociales pour aimer cette oeuvre, et en plus un salon de coiffure c’est vraiment le lieu des potins de la ville un peu comme la salon de la Verdurin en son temps. Carlier se permet alors des petites remarques humoristiques qui montrent son talent d’analyste de notre société.

Je garde en souvenir un petit livre qui m’avait (dans un tout autre genre) beaucoup touché de Joseph Czapski « Proust contre la déchéance »

Le roman de Stéphane Carlier est un très bel hommage au plus grand des romanciers français du 20° siècle.

Citations

Bien vu.

Il y a Nolwenn, l’autre employée du salon. Sa figure n’a pas vraiment de contours et change rarement d’expression. Qu’elle raconte que sa belle sœur a fait une fausse couche ou qu’elle tende un petit un petit cadeau à Clara pour son anniversaire, ses traits restent neutres, ils ne s’animent que lorsqu’elle regarde des vidéos sur son téléphone. Un grand sourire fend le bas de son visage quand elle voit un chimpanzé promener un porcelet en laisse ou un jeune golden retriever s’essayer à gravir la première marche des escaliers.

L’apport de Proust.

Avec Proust, elle a l’impression de tout voir. Forcément, puisqu’il lui montre le monde visible dans ces détails infinis et un autre, derrière, caché mais vaste et puissant, qui impose sa loi, sa volonté aux premiers la réalité psychique, psychologique des êtres. Et ce n’est pas tout. En l’initiant au principe de la mémoire involontaire, comme s’il posait ses mains sur ses épaules il la faisait légèrement pivoter, il enrichit son point de vue en y ajoutant une dimension qu’elle avait ignoré jusque là, celle du temps. Le passé, en surgissant dans le présent ne s’y prolonge-t- il pas ? Le souvenir n’a-t-il pas plus d’existence que l’épisode qu’il relate ? Pourquoi semble-t-il qu’à mesure qu’on vieillit on se souvienne de mieux en mieux ?

Ce nom mythique.

  Avant, ce nom mythique était pour elle comme celui de certaines villes – Capri, Saint-Pétersbourg, où il était entendu qu’elle ne mettrait jamais les pieds.