J’ai lu ce livre lors d’un séjour à Ouessant et malgré les beautés de la nature offertes par le vent et la mer, je ne pouvais m’empêcher d’être saisie d’effroi par tant de souffrances imposées à un enfant qui ne pouvait pas se défendre contre la folie de son père. Je me suis souvenue de la discussion de notre club, le livre a reçu un coup de cœur, mais plusieurs lectrices étaient choquées par l’attitude de la femme. En effet, celle-ci va passer sa vie à faire « comme si » : comme si tout allait bien, comme si tout était normal, et avec la phrase que le petit Émile a entendu toute sa vie « Tu connais ton père », elle croit effacer toutes les violences et tous les coups reçus.

Oui son père est fou et gravement atteint, il entraîne son fils dans sa folie, en faisant de ce petit bonhomme de 12 ans asthmatique et fragile un vaillant soldat de l’OAS, mais oui aussi, je suis entièrement d’accord avec mes « co »-lectrices sa mère est largement complice du traitement imposé par ce fou furieux à sa famille. Lorsque son père sera enfin interné et que le fils adulte révèle aux psychiatres ce qu’il a subi enfant, sa mère quitte son fils sur cette question incroyable :

Et c’est quoi cette histoire ? Tu étais malheureux quand tu étais enfant ?

L’autre question que pose ce roman, c’est la part de la fiction et de la réalité. C’est évident que l’auteur raconte une partie de son enfance, et nous fait grâce à cela revivre ce qu’a représenté la guerre d’Algérie pour une partie de la population. À cause de ce livre, j’ai relu la déclaration de Salan lors de son procès, il exprime à quel point lui, le général le plus décoré de l’empire colonial français a souffert de voir ses conquêtes disparaître peu à peu dans le déshonneur des promesses non-tenues aux populations qui soutiennent ses idée. La grandeur de la France et de son drapeau c’était, pour lui, de tenir face aux barbares, c’est à dire ceux qui ne veulent pas être français. Le père d’Émile use et abuse de ce genre de discours et dans cette tête de malade cela lui donne tous les droits. Comme tout paranoïaque, il a raison contre tout le monde et invente une histoire mensongère et folle de plus quand il risque d’être mis devant ses contradictions.

Bien sûr, il y a toujours une forme d’impudeur à faire de sa souffrance un roman lu par un large public, et je suis souvent critique face au genre « auto-fiction », mais lorsque l’écrivain sait donner une portée plus large à ses souvenirs au point de nous faire comprendre les mécanismes de ce qui rend une enfance insupportable, je ne ressens plus l’impudeur mais au contraire une sorte de cadeau fait à tous ceux qui tendent la main aux enfants malheureux car on peut donc s’en sortir sans répéter les mêmes erreurs. Et puis il y a le style, j’apprécie beaucoup celui de Sorj Chalandon, tout en retenu même quand on est aux limites du supportable.

Citations

Style de Sorj Chalandon

Il y avait un mort avant le nôtre, des dizaines de voiture, un deuil en grand. Nous étions le chagrin suivant. Notre procession à nous tenait à l’arrière d’un taxi.

la vie de famille

Il l’a regardée les sourcils froncés. Ma mère et ses légumes. Il était mécontent . Il annonçait la guerre, et nous n’avions qu’une pauvre soupe à dire.

Après des actes de violence de son père un mensonge de paranoïaque

J’étais bouleversé. Je n’avais plus mal. Mon père était un compagnon de la Chanson. Sans lui, jamais le groupe n’aurait pu naître. Et c’est pourtant sans lui qu’il a vécu. Ils lui avaient volé sa part de lumière. Son nom n’a jamais été sur les affiches, ni sa photo dans les journaux . Il en souffrait . Ceux qui ne le savaient pas étaient condamnés à dormir sur le palier.

C’était il y a trois ans. Depuis, maman n’a plus allumé la radio. Et plus jamais chanté.

Rôle de la mère

Ce jour-là, en allant voter contre l’autodétermination, il avait écrit « Non » sur les murs. Le soir, il avait perdu. Il a hurlé par la fenêtre que la France avait trahi l’Algérie. Et aussi lui, André Choulans. Il est ressorti à la nuit tombée . Il est rentré plus tard, avec du sang sur son imperméable kaki et les mains abîmées.
Le regard épouvanté de ma mère, visage caché entre ses doigts. Elle a gémi
– Mon Dieu, ta gabardine !
– T’inquiète pas la vieille, c’est du sang de bicot.
Elle a secoué la tête.
– Le sang c’est comme le vin, c’est dur à ravoir, a-t-elle dit simplement.

Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard et coup de cœur de mon club

Je le mets dans la catégorie « Roman qui font du bien », avec ces quatre coquillages, il est aussi dans « mes préférences », parce qu’il raconte un très bel amour qui a duré tout le temps d’une vie de couple, brisé seulement par la mort trop précoce due à la chorée de Huntington. Il y a tellement d’histoires de couples qui n’arrivent pas à s’aimer dans la littérature actuelle. Certes, (et hélas !) la mort précoce de la jeune femme, est peut-être un facteur de réussite de cet amour, mais Tristan Talberg sous la plume de Patrick Tudoret raconte si bien cette relation réussie, pleine de passion, de tendresse, d’attention à autrui que cela m’a fait vraiment du bien au creux de cet hiver très gris. Ce roman n’est pas non plus un texte de plus sur le pèlerinage de Compostelle, mais plutôt un chemin vers la sortie du deuil.

Cette longue marche à pied, permet grâce à l’effort physique souvent solitaire, un retour sur soi et une réflexion sur la foi. Les bruits du monde sont comme assourdis, s’ils parviennent aux marcheurs c’est avec un temps de réflexion salutaire. Ce n’est pas un livre triste, au contraire, il est souvent drôle, les différents marcheurs sont bien croqués, cela va de l’athée militant aux confits en religion. Tristan est un agnostique dans lequel je reconnais volontiers plusieurs de mes tendances. Beaucoup plus cultivé que moi, il se passionne pour les auteurs comme Pascal, Chateaubriand, Saint Augustin mais c’est pour réfléchir sur ses doutes et fuir tous les sectarismes. Et le prix Nobel dans tout cela ? disons que c’est un beau prétexte pour réfléchir sur la notoriété et la médiatisation du monde actuel. Un roman agréable à lire et j’ai déjà en tête bien des amies à qui je l’offrirais volontiers.

Citations

Ceux qui ont refusé le Nobel

Sartre en 1960, vexé peut-être que Camus l’eût devancé de trois ans… ; Beckett aussi, ascète incorruptible des Lettres (….) Beckett n’avait pas un rond vaillant et la gentillette somme attachée au prix l’eût sans doute bien aidé, mais sa soupente d’étudiant éternel était plus vaste que tous les palais

Ce portrait m’enchante

Fervent sectateur du guide Michelin, son ingénieur de père, pour qui la poésie du monde résidait davantage dans un roulement à billes que dans les vers impairs de Verlaine, en vantait sans fléchir l’objectivité et le sérieux .

La mort de l’aimée

Elle ne vit qu’une masse sombre effondrée sur le lit. Une masse sombre tranchant sur le drap clair, dans cette chambre étouffante et blanche. Un homme couché sur une femme aimée, ploye sur elle, la couvrant de tout son corps comme si elle avait froid. Mais elle n’avait plus froid

Agnostique et Athée

Mais, tu le sais, j’ai toujours eu les fondamentalistes en horreur, qu’ils fussent croyants ou athées. Leurs idées arrêtées en font des statues de sel, des cerveaux en jachère. Leurs certitudes m’emmerdent. Cette pensée enkystée me fait honte et m’effraie à la fois. Fondamentalisme athée, gonflé de prétention sur rationalistes, tenant dans le plus insupportable mépris les 9/10° de l’humanité pour qui Dieu et le sacré sont au coeur de tout, mais aussi fondamentalisme religieux qui nous fait le coup de la certitude « informée », fermée à toute autre forme de pensée

20161206_113108Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard et coup de cœur de mon club

4Un coup de cœur également de ma part pour ce livre témoignage entre fiction et réalité. Ce roman m’a beaucoup intéressée, et pas seulement pour la découverte de la vie d’Albert Achache-Roux qui s’arrête à Auschwitz en 1943. Ce livre permet de découvrir l’Algérie, les effets des décret Crémieux sur la population juive de ce pays, les violences antisémites de la part des colons pendant l’affaire Dreyfus. Comme Brigitte Benkemoun découvre, à sa grande surprise, assez vite, que son grand-oncle était homosexuel, cela lui permet de réfléchir sur l’homosexualité dans une famille juive à la fin du XIXe siècle.

En plus de tous ces différents centres d’intérêts, on suit avec passion l’enquête de l’auteure. Quelle énergie ! Elle ne laisse rien passer, dès qu’une petite fenêtre s’entrouvre, elle fonce pour en savoir un peu plus. Elle tire sur tous les fils, elle suit toutes les pistes qui l’amène à mieux connaître Albert, ce richissime homme d’affaire adopté par un certain Monsieur Roux. Elle finit par comprendre ce que cache cette adoption : la solution que trouvait, parfois, des homosexuels à cette époque pour vivre tranquillement leur vie à deux. Elle cherche obstinément qui a pu dénoncer son oncle et finalement nous donne un portrait saisissant de la tragédie des homosexuels qui se mêle ici au nazisme et à la chasse aux juifs à Nice menée par l’horrible Aloïs Brunner (qui a sans doute tranquillement fini ses jours à Damas en 2010). Il est aidé dans cette chasse par des Russes blancs qui ont retrouvé là, les habitudes des tsaristes. Elle ne fait pas qu’une œuvre de biographe, elle remplit les nombreux blancs de la vie d’Albert par tout ce qu’elle connaît de la vie de sa famille, c’est pourquoi son livre se situe entre le roman et la biographie. Et nous la découvrons elle, une femme passionnée et passionnante.

Citations

Ashkénaze et Sépharade

Ces Ashkénaze d’Alsace Lorraine, dépêchés par le Consistoire de Paris pour « civiliser » leurs coreligionnaires, s’échinent à transmettre la décence et l’orthodoxie. Mais ils adressent des rapports accablés à leur hiérarchie , émouvantes par les youyous et le bazar oriental

Découverte de son homosexualité en 1908

Qui qu’il soit, il est « anormal », quoi qu’il dise, il est condamnable. Est-il en train de devenir fou, ou serait-ce plutôt une maladie ? Entre toutes, la plus honteuse : une perversion, une inversion, une erreur épouvantable qui l’a fait homme … Par moments, il se force, il se blinde, espérant se soigner ainsi comme d’une fièvre qui finira par passer. Il réprime les pulsions et les émotions, et il se mûre en lui-même , dans cette prison intime où les désirs sont interdits.

La famille juive en Algérie

Sans doute étouffé par la famille et la communauté, dans ce monde où l’individu n’existe que dans le groupe et où chacun se comporte forcément comme les autres, sous le regard de tous

Richesse

Et cette propriété sur les hauteurs de Nice illustre son ascension sociale : les bourgeois vivent près de la mer, les aristocrate la surplombent.

Dernière phrase du livre

Je suis l’héritière de ton monde. Et ce livre est le petit caillou qu’une mécréante croit laisser sur une tombe qui n’existe pas.

20161125_185110Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard

4
Surtout que cette photo ne vous induise pas en erreur, ce roman n’est pas à jeter aux toilettes. Il fallait que j’évoque, soit le RER, soit la machine à broyer les livres, soit une « dame pipi » .
J’avais très envie, de rendre hommage aux « Dames-pipi » , car Julie qui nettoie tous les jours les WC dans une galerie marchande, est un des rayons de soleil de ce roman. Je trouve particulièrement compliqué de parler de ce métier sans tomber dans la grossièreté ou la condescendance. Julie est gaie, a plein d’idées, attend son prince charmant en comptant les carreaux de faïences des toilettes qu’elle nettoie avec ardeur et conscience. Le personnage principal Guylain Vignol que le surnom de Vilain Guignol poursuivra toute sa vie, a bien besoin de rayons de soleils dans sa vie lui l’amoureux des livres qui travaille dans une usine on les pilonne, les livres !

7438643-11462508Pour lutter contre cette destruction qui lui déchire le cœur, le personnage principal du livre vole quelques page à la monstrueuse machine, et il les lit à haute voix dans son RER de 6 heures 27 créant ainsi, peu à peu, un public attentif. Il est entouré de personnages sympathiques, un Italien qui a perdu ses jambes dans cette broyeuse de livre et un concierge fou d’alexandrins , heureusement qu’il a ses amis car son patron est horrible et son poisson rouge pas très bavard. Je vous laisse découvrir comment Julie rencontrera Guylain et comment ce doux rêveur enchantera les pensionnaires plus très jeunes de la résidence des Glycines.
Le charme de ce roman vient beaucoup de la langue de l’auteur on a l’impression parfois de petits morceaux de douces poésies un peu désuètes. Je vais mettre une nouvelle catégorie : romans qui font du bien et ce sera le premier de la liste. J’ai vraiment envie de lire de tels romans en ce moment , cela me fait du bien de le mettre sur Luocine un 26 décembre après un Noël où tant de gens luttent pour leur survie.

Citations

Quel joli début

Guylain Vignolles, lui, était entré dans la vie avec tout fardeau la contrepèterie malheureuse qu’offrait le mariage de son patronyme avec son prénom : Vilain Guignol, un mauvais jeu de mots qui avait retentit à ses oreilles dès ses premiers pas dans l’existence pour ne plus le quitter.

Jolie façon de parler de l’alcoolisme

Il savait de quoi il parlait le vieux, lui qui n’avait rien trouvé de mieux que le rouge étoilé pour se donner le courage de continuer.

Les énumérations évocatrices

La chose était née pour broyer, aplatir, déchiqueter, malaxer, pétrir, ébouillanter.

Une évocation parlante du christianisme

Arrosé d’un Lacryma Christi, Giuseppe se plaisait à lui rappeler que s’enivrer avec des larmes du Christ était la plus belle chose qui puisse arriver à un chrétien.

Petit moment de poésie (selon moi)

Mes attentions vont plutôt aux éclopées, aux fendillées, aux jaunies, aux ébréchées, à toutes celles que le temps a estropiées et qui donnent à l’endroit, outre ce petit cachet vieillot que j’ai fini par aimer une touche d’imperfection qui étrangement me rassure. « C’est dans les cicatrices des gueules cassées que l’on peut lire les guerres, Julie, pas dans les photos des généraux engoncés dans leurs uniformes amidonnés et tout repassés de frais. » M’a dit un jour ma tante tandis que toutes les deux briquions les carreaux à grands coups de peau de chamois pour leur rendre leur lustre d’antan.

J’ai ri

Si avec ça l’habit ne fait pas le moine, alors comme disait ma tante : « Que Sainte Aude-Javel, la patronne des dames pipi soit damnée ! »

Auto-portrait du personnage principal

Non tout ne va pas si bien que ça, eut envie de rétorquer Guylain. J’attends le retour d’un père mort depuis vingt huit ans, ma mère me croit cadre dans une société d’édition,. Tous les soirs je raconte ma journée à un poisson, mon boulot me dégoûte à tel point qu’il m’arrive de dégueuler tripes et boyaux, et enfin pour couronner le tout, je suis en train de tomber amoureux d’une filles que je n’ai jamais vue. En résumé pas de problème, sauf que je suis quand même dans tous les domaines un petit peu « à la limite inférieure de la courbe ».

Sourire

On peut s’attendre à tout d’un constipé même à rien.

20161112_145710Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard.

4Il pleuvait ce soir là, mais dès que j’ai lu les dix premières pages, j’ai su que j’allais passer un très bon moment, qui me ferait oublier la pluie, les jours qui raccourcissent et toutes les mauvaises nouvelles du monde réel. Un policier honnête qui croit encore que son rôle est de défendre les victimes quelles que soient leurs origines : prostituées, noirs, drogués, pauvres ou riches découvre tout au long de sa carrière que toute la société américaine est gangrenée par une corruption soutenue par le trop rapide enrichissement des nouvelles entreprises liées aux nouvelles technologies. Il se trouve chargé d’une enquête : il doit retrouver Ada, création d’une société immensément riche qui travaille sur l’intelligence artificielle.

C’est l’occasion pour ce romancier de retrouver ses thèmes favoris : le monde virtuel, les complots, l’intelligence artificielle. Une simple recherche sur Internet nous montre que le créateur d’Ubiqus, Antoine Bello,connaît bien ce nouveau monde. L’enquête de Frank Logan permet d’explorer les différentes sociétés qui peuplent et font vivre la Silicon Valley. On le sait maintenant ce sont des jeunes qui ont réussi à gagner des sommes absolument folles sans pour autant que leurs richesses ne soient fondées sur la production de biens mais sur des compétences virtuelles qui fournissent des informations qui seront utilisées à des fins que nous ne maîtrisons pas.

Ce qui rend ce roman à la fois drôle et intrigant, c’est que Ada a été conçue pour devenir écrivain. Cela nous amène à réfléchir sur l’écriture et sur ce que pourrait faire en matière d’écriture l’intelligence artificielle. C’est drôle mais très inquiétant, pas tant d’ailleurs pour la création romanesque que pour la formation intellectuelle. Comment lutter sur le copier/coller dans les recherches universitaires, dans ce roman Antoine Bello décrit des logiciels qui vont chercher des informations dans tout internet et qui seront bientôt capables d’en faire la présentation, niveau collège, lycée, université, et pourquoi pas de thèses, en 10 mots en 100 mots, en 1000 mots et plus. Bien sûr nous voyons tous les métiers de l’écriture disparaître les logiciels sont déjà bien meilleurs que n’importe quel « trader », mais bientôt les articles de la presse sportive ne seront pas écrits par des journalistes mais par des robots.

Toutes les activités humaine qui laissent des traces sur un ordinateur, peuvent être analysées par des logiciels et le grand collecteur de tous ces DATA prendront le pouvoir sur l’homme si faillible. J’ai apprécié que l’auteur face une place particulière à l’amour qui semble échapper encore à l’intelligence artificielle contrairement à la création littéraire puisque voilà Ada qui a écrit un premier roman dans la collection Arlequin mais qui peut certainement s’améliorer, d’ailleurs qui sait, n’est-ce pas elle qui se cache derrière le pseudo Antoine Bello ?

Citations

Humour d’Antoine Bello

Frank avait vu « Black Runner » à sa sortie en 1982 . Il en gardait deux souvenirs :

  1. Harrison Ford pourchassait des robots d’apparence humaine
  2. Il n’avait rien compris au film.

La prostitution aux États-Unis

On estime que 1500 travailleurs du sexe entrent chaque année aux États-Unis contre leur gré, le plus souvent sans savoir à quelles fins ils seront utilisés. Torture, pédophilie, trafic d’organes : les rares affaires rendues publiques offrent un aperçu terrifiant des turpitudes de l’âme humaine. Là encore, la Californie, capitale mondiale de l’industrie pornographique, paie un tribut particulièrement lourd.

L’évolution commercial dans le monde

Les coiffeurs à 1 dollar de l’époque (1950) avaient cédé la place à des salons de soins capillaires où le prix des coupes démarrent à 250 dollars

Humour sur les succès littéraires

les éléments qui tirent les livres vers le succès ; en vrac : les échanges de vœux, les chatons, la tour Eiffel, la paille, la marée montante, les brouettes, les cartomanciennes, les promenades en gondole, les miroirs en pied, les porte-jarretelles et l’huile solaire.

D’autres éléments à l’inverse tirent les ventes à la baisse : l’aïoli, les verrues plantaires, les tortues, les voyages en classe économique, la bière brune, la couleur jaune, les jardiniers mexicains, le basket-ball et la tectonique des plaques.

L’accueil dans les grandes firmes

Trois réceptionnistes qui auraient pu constituer le podium de Miss Danemark étudiaient leurs ongles derrière un comptoir en verre dépoli

Trait de caractère toujours négatif

Ambitieux et paresseux à la fois : le plus dangereux des cocktails …

Starbuck

N’en déplaise à ses porte-parole, Starbuck avait esquinté le tissu économique de l’Amérique en remplaçant les entrepreneurs par des employés et, accessoirement, en imposant à tous ses restaurants de diffuser la même musique insipide du mépris des coutumes locales.

La religion

Nos compatriotes donnent chaque année 100 milliards à des associations religieuses pour réserver leur place au Paradis ! Sans garanti, évidemment- personne ne les remboursera en cas de publicité mensongère.

20161021_095128Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard,

4
Benaquista est un auteur qui me fait du bien, j’aime qu’il me raconte des histoires et quels que soient les sujets, je pars avec lui sur les chemins de l’imaginaire pas si loin de la réalité que cela. Je n’ai pas hésité, grâce à ce roman, à fréquenter le Moyen-âge et ses deux amants valent bien Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, Héloïse et Abélard dans mon panthéon personnel des histoires où l’amour dépasse le tragique de la destinée des mortels. Avec son talent habituel, Benaquista à travers l’histoire d’un couple à l’amour indestructible, met en scène toute notre civilisation, ses horreurs ainsi que ses rares moments de bonheur. Cela lui permet de promener son lecteur dans le temps et dans l’espace , et comme l’imagination de cet écrivain a bien du mal à se contraindre nous passons également au Paradis où le couple si injustement condamné par la justice dite humaine rencontrera Dieu et en Enfer ou il sera confronté à Satan …. Et tout cela, pour nous permettre d’assister à la création d’un mythe littéraire à la hauteur (ou presque) de ses illustres prédécesseurs.

Et pour finir, car il faut finir et donner une fin à une histoire qui a bien du mal à trouver une chute, les deux amants seront réincarnés dans un couple en cavale du XXI°siècle. J’ai cru que nous allions terminer dans un parking de supermarché construit à l’emplacement de la forêt, lieu qui a abrité leur amours. Mais non, nous repartons à travers le continent américain et là je dois l’avouer je me suis sentie un peu larguée. C’est pour cela que j’ai gardé dans ma main un coquillage, je ne suis pas sentie embarquée jusqu’au bout et puis, il m’a manqué aussi l’humour habituel de cet auteur. Pour finir un bon roman surtout si on s’amuse à démêler tous les fils qui se croisent et s’entrecroisent et forment le substrat de notre culture, mais la magie de l’écriture ne m’a, donc, pas tenue jusqu’à la fin.

Citations

Le temps quand on est amoureux

Temps.

Toi qui m’oppresses depuis mon premier jour, toi qui me rappelles à chaque instant que tu m’octroies combien je suis mortel. Sache que dorénavant je serai lent quand tu voudras me hâter, et je ne perdrai plus mes heures à t’attendre quand je voudrai me hâter. J’ai depuis ce jour bien plus de temps que tu n’en aurais jamais.

Phrase avec une résonance particulière aujourd’hui

Exil. Le mot lui-même les plongea dans une profonde mélancolie. Quel être au monde est préparé à quitter la terre qui l’a vu naître ?

La fidélité

Ah la fidélité ! ce curieux sentiment qu’on prétend assez puissant pour guérir l’insatiabilité des hommes, et dont les femmes semblent s’accommoder faute de s’octroyer les mêmes privilèges.

La médiocrité oeuvre de Satan : thème cher à Benaquista

Mais l’une de ses créations majeures avait été la médiocrité et ses dérivés car, à l’inverse des affections extrêmes, c’était selon lui dans la petitesse que résidait la vérité des êtres et la vanité de leurs désirs . Le sournois n’était-il pas plus inventif que le véhément ? …… La médiocrité , son arme redoutable, savait viser au plus bas, créer d ordinaires objectifs à la portée du premier incapable, favoriser les petits arrangements, pieux mensonges, compromis et pis-aller.

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Ce livre a accompagné un voyage en TGV, je l’ai lu grâce à Aifelle qui m’avait donné envie de découvrir cette auteure. Je lirai certainement « Suite byzantine » ainsi que « l’Angoisse d’Abraham ». J’aime beaucoup les récits qui font une part belle à la langue, pour Rosie Pinhas-Delpuech, écrivaine et traductrice, qui parle le turc, le français, l’hébreux et sans doute bien d’autres langues, la recherche de l’identité prend un sens que je comprends si bien, car pour moi ma patrie est autant ma langue que ma nationalité.

Après son enfance qui est peu décrite dans ce tome, l’auteure cherche à comprendre cette tante Anna qui a perdu et son mari et son fils pendant la guerre 39-45. C’est l’occasion de vivre un épisode si banal dans l’après guerre mais si peu glorieux, comment des juifs se sont fait spolier de tous leurs biens, par des gens en qui ils avaient confiance. Mais si Anna souffre tant c’est aussi sans doute que la femme qui a dénoncé son mari était aussi sa maîtresse. Anna fera tout pour devenir une catholique française, elle ne pourra pas empêcher son fils unique de s’engager dans l’armée du général Leclerc et mourir en 1945 en combattant. Cette histoire centrale du livre, l’auteure ne peut la comprendre qu’en reprenant le parcours de sa famille depuis la Turquie. Toute sa famille avec ses lourds secrets et ses peines tragiques viennent hanter sa mémoire et permettent peu à peu de comprendre ce que cela veut dire d’être juive aujourd’hui dans un style absolument superbe.

Citations

Son enfance

C’était après la guerre, dans les années cinquante, au temps du chewing-gum, du swing et de la modernité. Etre juif représentait une maladie mortelle à laquelle on avait réchappé de justesse et dont il ne fallait pas trop parler.

La Turquie et les juifs

Lentement, subtilement, gentiment même, au fils des années d’école primaire, de l’apprentissage des rudiments d’histoire et de géographie, le turc m’avait débarqué sur le rivage : ma religion, mentionnée sur mon acte de naissance, « musevi », qui signifie mosaïque, s’interposait entre moi et la communauté nationale.

Son amour du français et de son orthographe

J’ignore jusqu’à aujourd’hui la cause de cet amour fou pour cette orthographe, de cette jubilation enfantine à conquérir l’arbitraire souverain de la langue. Peut-être que l’écriture phonétique du turc me paraissait d’une facilité enfantine et que la difficulté du français était à la mesure de celle de grandir ?

Une belle phrase tellement chargée de sens

Un destin de deuils et de chagrins avait balayé ce chatoiement crépusculaire de l’Entre-deux guerres, dans les Balkans ottomans voisins de l’Empire austro-hongrois.

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4Merci Krol, je suis à la recherche de textes courts pour mes lectures à haute voix au Foyer Logement de Dinard. Je ne lisais pas beaucoup de nouvelles, je m’y intéresse de plus en plus et grâce aux blogs je fais de très bonnes rencontres. Ces quatre nouvelles sont, à l’image de leur auteur, Patrice Franceschi, très fortes ancrées dans les drames et les choix les plus cruels que la vie peut nous conduire à faire. J’ai une très nette préférence pour la première nouvelle, mon goût pour la mer et récemment pour la navigation, me permet de vivre avec angoisse et fascination les récits de tempête. Et celle que doit affronter Flaherty, en décembre 1884, est un pur moment d’horreur et d’effroi.

Lire ces pages bien calée dans un fauteuil arrive quand même à donner un sentiment d’insécurité tant les mots sonnent justes et que les images sont fortes. Ensuite, il y a le thème qui est le même dans les quatre récits : des circonstances exceptionnelles amènent à faire des choix que rien n’y personne ne peut faire à votre place et qui vous marqueront à jamais. Après le capitaine de « la Providence », on retrouve un sous-lieutenant qui ne veut pas s’avouer vaincu et qui seul résistera à l’avancée allemande en mai 1940, puis un autre marin, Wells, qui ne veut pas voir des réfugiés sur un bateau de fortune mourir en pleine mer sous les yeux d’un équipage indifférent et enfin, Pierre-Joseph qui rencontre Madeleine en 1943, sur un quai d’une gare parisienne avant de monter dans un train avec leurs enfants pour être déportés vers la mort décidée par des Nazis qui jouent de façon sadique une dernière fois avec leurs victimes.

Oui, tous ces choix sont terribles et interpellent le lecteur. Ils vont bien à la carrure d’aventurier De Patrice Franceshi qui les raconte très bien. Mais, il se passe quelque chose dans les nouvelles, c’est que, malgré soi, on compare les récits : je me suis totalement embarquée avec Flaherty, et beaucoup moins dans les deux dernières nouvelles qui sont pourtant parfaitement racontées. Une seule explication : je m’attendais à leur contenu. Et j’ai déjà lu ces récits dans d’autres romans, ce n’est pas une critique suffisante, les exilés qui meurent sur les mers dans l’indifférence la plus totale, comme la cruauté des Nazis peuvent être mille fois traités. Mais le raccourci de la nouvelle fait que le lecteur est plus exigeant, il exige quelque chose en plus que le récit des bassesses humaines qu’il a si souvent lues. Je l’ai trouvé dans « le fanal arrière qui s’éteint » et aussi dans « carrefour 54  » qui d’ailleurs traite d’un moment moins connu de notre histoire : comment ont réagi sur le terrain les soldats français en 1940 qui ne voulaient pas accepter la déroute de l’armée mais moins dans les deux autres.

Citations

L’entente du second et du capitaine

L’estime réciproque que se portaient Mackney et Flaherty était l’une des légendes de la « Providence ». Les deux hommes avaient affronté ensemble d’innombrables coups durs sur tous les océans et ne s’en étaient sortis que par leurs savoirs mutuels ; cependant, ils n’auraient su donner un nom aux liens que ces épreuves avaient tissés entre eux et on ne se souvenait pas que Flaherty ait jamais adressé le moindre compliment à Mackney, ni que celui-ci ait félicité un jour son capitaine pour quoi que ce sot. En vérité, cela ne se faisait pas entre gens de cette sorte ; de toute façon, comme le disait Klavensko, ces deux là n’avaient pas besoin de mots pour se dire ce qu’ils pensaient.

Le début de l’angoisse

Ils se sentirent envahis soudain par une inquiétude sourde et entêtante qu’ils n’avaient encore jamais connue ; c’était comme une bête malsaine qui venait de prendre naissance quelque part dans leurs corps et enflait maintenant tout doucement, se nourrissant de ce qu’il y avait de meilleur en eux.

Le poids des responsabilités

Flaherty reconnut dans ses yeux cette drôle d’espérance qui persiste dans l’adversité tant qu’il existe un ultime recours. Et voilà, songea-t-il avec une morne pensée ; en vérité, les capitaines ne servent à rien en temps ordinaires … Mais quand plus rien ne va… Alors, bien sûr… Tout sur leurs épaules… Et pour eux, pas de recours… Personne au-dessus… Ah, je suis peut-être trop prétentieux.

L’ouragan

Dix heures ne s’étaient pas écoulées que, le 24 décembre au petit matin – dans l’aube infiniment triste qui se levait sur l’océan déchaîné – , le vent, tout en restant plein sud se mit à forcir comme on ne pensait pas que ce fût possible. Il hurlait avec une telle hargne qu’il devint presque impossible de s’entendre à moins de deux mètres ; l’aiguille de l’anémomètre se bloqua au-delà de 11 Beaufort. Cette fois, l’ouragan était-là -et il écrasa littéralement la houle et les vagues (…) Le vent était si assourdissant qu’il n’entendait rien que son sifflement aigu – et tous les autres sons étaient annihilé : il y avait de quoi terroriser les plus téméraires. Il eut la prémonition que la mer venait de s’emparer de toute sa personne, avec tout le mal qu’elle contenait et tout ce que cette « faiseuse de veuves » pouvait apporter de malheur- et il eut peur pour la première fois de sa vie.

20160914_104257-1Traduction de l’anglais par Pierre CLINQUART entièrement revue et corrigée

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Je suppose que cette remarque « entièrement revue et corrigée » veut dire qu’il existe une première traduction un peu moins fidèle au texte ? Je suis restée quelques jours en compagnie d’un groupe de lapins dirigés par Hazel, un chef par qui beaucoup de groupes humains aimeraient être eux-mêmes guidés : il est intelligent, éprouve de la compassion et est ouvert à tous les conseils qui peuvent aider sa petite meute de lapin à survivre dans un milieu qui ne veut que leur destruction. Merci Keisha, ton enthousiasme est communicatif et je comprends d’autant mieux ton plaisir qu’enfant, tu avais déjà lu ce roman. Parce qu’il fait partie des rares livres qui peuvent être lus à tout âge. Les enfants adoreront ces histoires de lapins confrontés à des aventures absolument extraordinaires racontées de façon palpitantes. Ils auront peur pour Hazel et son jeune frère qui sait prédire l’avenir, Fyveer. Ils seront séduits par le courage de leurs amis Bigwig et le talent de conteur de Dandelion. Les adultes aimeront cet hymne à la nature , même si comme moi il leur faudra souvent rechercher des jolis noms aussi étranges que : les « mercuriales vénéneuses »

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ou » la jacobée »

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mais le nom que je préfère est : « eupatoire pourpre »

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en plus de son amour de la nature que le lecteur est prêt à partager avec le militant Richard Adams, on est absolument saisi par la prouesse d’écriture qui fait qu’à travers les différentes garennes et organisations des lapins, on retrouve toutes les conduites humaines. Il n’y a pas de message à proprement parler, mais quelque que soit la façon dont ils s’organisent, il s’agit toujours de résoudre le terrible sort des lapins de garenne :

La terre tout entière sera ton ennemie. Chaque fois qu’ils t’attraperont, ils te tueront. Mais d’abord ils devront t’attraper…

Les solutions varient pour échapper à la mort :

  • accepter que des hommes vous protègent en acceptant qu’ils prélèvent au hasard de leurs envie leur pourcentage de lapins afin de les manger.
  • organiser un système très bien caché de tous les prédateurs sous la houlette d’un tyran impitoyable.
  • Devenir lapin domestique dans un clapier
  • et enfin comme dans la garenne d’Hazel trouver un lieu suffisamment reculé et à l’abri du regard des hommes pour mener une vie de lapin sauvage qui doit se protéger de tous les « vilous ».

J’oubliais de dire que peu à peu nous apprenons le langage des lapins, nous « farfalons » nous suivons les exploits des Hourdas, nous craignons que les « shaar-tchoun » les plus faibles des lapins soient abandonnés par les autres. Comme toute société , les lapins ont leur mythe fondateurs et Dandelion raconte ces histoires soit pour donner du courage soit pour distraire la compagnie. On y retrouve Shraavilsa intelligent et rusé et son fidèle lieutenant Primsault, tous les deux se sortent toujours d’affaire mais ils mettent aussi leur vie en grand danger. Ce n’est pas très juste de ne mettre que 4 coquillages à un tel livre, car c’est une oeuvre originale, je n’ai rien lu de tel depuis longtemps, c’est évident que si j’avais gardé totalement mon âme d’enfants je lui mettais 5 coquillages sans hésiter.

Citations

un moment de bonheur

Voir s’achever le temps de l’angoisse et de la crainte ! Voir se lever puis se dissoudre les nuées lugubres suspendues au-dessus de nous – ces sombres nuages qui attristent le cœur et réduisent le bonheur en vague souvenir ! rares sont les êtres qui n’ont jamais éprouvé cette joie-là.
L’enfant qui attend sa punition et que voilà, à sa grande surprise, pardonné, et le monde retrouve aussitôt ses couleurs, ses exquises promesses.

Changer ses habitudes pour mieux s’adapter

Tu dis que les mâles ne creusent pas. C’est vrai. Mais ils le pourraient s’ils le voulaient. ça ne te plairait pas de dormir au fond de terriers bien douillets ? D’être sous terre par mauvais temps ou lorsque la nuit tombe ? Nous serions en sécurité. Et rien ne nous en empêche, à part le fait que les mâles ne sont pas censés creuser. Pas parce qu’ils n’en sont pas capables, mais parce qu’il en a toujours été ainsi.

Les lapins et la peur

Les lapins étaient mal à l’aise, désorientés. Ils s’aplatirent, respirant les parfums émanant de l’eau dans l’air frais du crépuscule. Puis ils se regroupèrent, chacun espérant ne pas déceler chez son voisin l’angoisse qu’il éprouvait lui même.

20160730_151921Traduit de l’italien par Elsa DAMIEN

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J’ai commencé la lecture soutenue par vos commentaires à propos de « L’Amie Prodigieuse » . Quand on a beaucoup aimé un roman, on aborde le second tome avec plus de réticences, mais très vite, j’ai été happée par le style d’Elena Ferrante. Voici une auteure qui rend l’Italie du sud tellement vivante ; elle nous fait comprendre de l’intérieur ce que cela veut dire d’être femme dans une société machiste donc violente et de plus dominée par un clan qui ressemble fort à la mafia. Nous retrouvons les mêmes personnages que dans le premier tome, ils ont vieilli et ne sont plus confrontés aux mêmes difficultés. Lila se bat dans son quartier contre un mari qu’elle n’aime pas et contre tous ceux qui veulent la dominer. Elle essaie de vivre comme une femme libre dans un pays où cela n’a aucun sens. Elle est rouée de coups mais ne plie jamais. Elena sort tant bien que mal de sa misère initiale en réussissant brillamment ses études.

Ses amours ne la rendent pas toujours heureuse mais lui permettent de se rendre compte qu’elle a beau se donner beaucoup de mal pour se cultiver, le fossé entre elle et ceux qui sont bien nés est infranchissable. Les liens très forts qui unissent les deux jeunes femmes n’ont pas résisté aux passions amoureuses qui se sont entrecroisées le temps d’un été. Même si Lila lui vole sous son nez son amoureux et malgré sa peine, Elena restera lucide et ne lui enlèvera pas totalement son amitié. Grâce à un jeu d’écriture, (les cahiers de Lila lui ont été confiés) , l’écrivaine peut décrire la vie de cette femme farouche si peu faite pour vivre sous la domination des hommes napolitains.

Raconter les intrigues risque de faire perdre tout le sel de ce roman qui vaut surtout par le talent de cette auteure. Elena Ferrante décrit dans le moindre recoin de l’âme les ressorts de l’amitié, de l’amour et des conduites humaines et donc, comme les grands écrivains, elle nous entraîne d’abord dans une compréhension de l’Italie du sud et puis au delà des frontières terrestres dans ce qui constitue l’humanité dans toutes ses forces et ses faiblesses.

Citations

Portraits des femmes de Naples

Ce jour-là, en revanche, je vis très clairement les mères de famille du vieux quartier. Elles étaient nerveuses et résignées. Elles se taisaient, lèvres serrées et dos courbé, ou bien hurlaient de terribles insultes à leurs enfants qui les tourmentaient. Très maigres, joues creuses et yeux cernés, ou au contraire dotées de larges fessiers de chevilles enflées et de lourdes poitrines, elles traînaient sacs de commissions et enfants en bas âge, qui s’accrochaient à leurs jupes et voulaient être portés.

Le mur infranchissable de l’origine sociale

Je n’avais pas véritablement réussi à m’intégrer. Je faisais partie de ceux qui bûchaient jour et nuit, obtenaient d’excellents résultats, étaient même traités avec sympathie et estime, mais qui ne porteraient jamais inscrits sur eux toute la valeur, tout le prestige de nos études. J’aurais toujours peur : peur de dire ce qu’il ne fallait pas, d’employer un ton exagéré, d’être habillé de manière inadéquate, de révéler des sentiments mesquins et de ne pas avoir d’idées intéressantes.