Cet auteur fait partie de ceux que je lis avec grand plaisir. Brize était enthousiaste, mais Aifelle avait un peu refroidi mon envie, pas assez tout de même pour que je ne le réserve pas à ma médiathèque. Tous les lecteurs de ce roman constatent que le récit de la catastrophe de Liévin en 1974 rend parfaitement compte de l’horreur de cette accident qui aurait pu être évité, et raconte très bien la vie des mineurs et les terribles conséquences de la silicose. J’ai relu quelques archives de l’époque, qui permettent de se rendre compte que Sorj Chalandon n’a pas exagéré. Oui, cette catastrophe était évitable et oui, ces hommes sont morts au nom du rendement du charbon, alors que les mines avaient déjà perdu leur rentabilité, elles allaient bientôt fermer les unes après les autres. Sorj Chalendon, en ancien journaliste, a sûrement vérifié la véracité des détails révoltants comme le fait que les houillères retiennent sur le salaire du mineur mort au fond de la mine, les deux jours qu’il n’a pas pu faire pour finir son mois, et encore plus sordide le prix de la tenue qu’il n’a pas pu rendre….

L’autre centre d’intérêt c’est le destin personnel de Michel, le petit frère survivant et totalement hanté par cette catastrophe. On ne peut sans divulgâcher l’intrigue, en dire trop sur ce personnage. Pour Aifelle il n’est pas crédible et cela enlève du poids au roman. Je dois être une véritable inconditionnelle de cet auteur, car si comme elle j’ai des doutes sur la vraisemblance du personnage, j’ai trouvé que grâce à lui, Sorj Chalendon avait réussi à nous rendre présent l’horreur des accidents dans les mines. Et puis cela permet de tenir en haleine le lecteur jusqu’à la dernière page. Lors du procès final, j’ai beaucoup apprécié le réquisitoire et la plaidoirie de la défense. Tout est dit dans ces quelques pages. À la fois un pays qui, en 2014, ne comprend plus la vie des mineurs, l’absurdité des destins qui finissent dans des râles de respirations étouffées par les poussières de charbon, ou dans des accidents d’une violence inimaginable, et les gens qui eux sont restés à Lens ou à Liévin et qui se sentent marqués à jamais par les tragédies du charbon.

C’est donc une quatrième fois que Luocine accueille un roman de cet auteur et même si j’ai un peu plus de réserves que pour « Retour à Killyberg » , « le quatrième mur » prix Goncourt lycéen 2013,et « Profession du père » il m’a quand même beaucoup plu.

 

Citations

Tous les bricoleurs de mobylettes se reconnaîtront

À vingt sept ans, mon frère avait aussi abandonné son vieux vélo pour le cyclomoteur.

– La Rolls des gens honnête, disait-il aussi.

Une tragédie évitable

La presse l’avais compris, le juge Pascal l’avait découvert. Rien n’avait été dégazé. Le système pour mesurer le grisou n’était pas achevé. La machine qui servait à dissiper les poches de méthane fonctionnait dans un autre quartier. Les gaziers n’avaient pas mal travaillé. Pas leur faute, les pauvres gars. Ils n’étaient que deux mineurs à effectuer des mesures manuelles .Un seul, pour inspecter des kilomètres de galeries. Par mesure d’économie, les Houillères avaient pris le risque de l’accident.

 

Je suis mort. C’est pas le pire qui pouvait m’arriver.


J’ai besoin de cet auteur, j’ai besoin de son humour, il me fait tellement de bien depuis sa « Grammaire impertinente » jusqu’à « Mon autopsie ». Il me fait éclater de rire même si je suis seule, et dans mon blog, peu de livres ont eu ce pouvoir. Evidemment, après, je partage les extraits de son livre avec tous ceux et toutes celles qui ont ri avec Pierre Desproges, un exemple des grands amis de cet auteur.

Dans « Mon autopsie », Jean-Louis Fournier répond à la critique qu’on lui a sans doute faite de s’être moqué de toute sa famille sauf de lui. Dans ce livre, il se passe donc lui-même sur le grill de son esprit caustique, il ne s’épargne guère, après son père alcoolique, sa mère du Nord , ses deux enfants handicapés, sa fille religieuse, sa femme qu’il a tant aimé, le voilà, lui l’écrivain. Lisez ce roman vous saurez tout sur Jean-Louis Fournier, disséqué par une jeune étudiante en médecine. Évidemment, l’auteur a besoin que cette jeune femme soit belle et émouvante. Au fur et à mesure qu’elle s’arrête sur telle ou telle partie de son corps, des souvenirs lui reviennent. Il cherche aussi à comprendre cette jeune femme et sa vie amoureuse. Les dialogues sont savoureux. Le livre ne se raconte pas vraiment, j’ai recopié quelques passages pour vous donner envie de l’ouvrir. Il réussit même à nous faire accepter que lui aussi va mourir et que ce n’est peut-être pas si triste (personnellement son humour me manquera).

Citations

Un chapitre entier pour vous

Laissez moi rire
 
Égoïne a découvert sur mon torse un tatouage au niveau du cœur,  » S’il vous plaît ne me ranimer pas do not disturb ».
 Il était destiné à mon dernier médecin, il a compris le message. Elle a ri. Toute ma vie j’ai voulu faire rire. Le faire encore, après ma mort, m’est délicieux.
 Petit, je me déguisais, j’improvisais des sketchs. À l’école, mon goût de faire rire m’a coûté cher. En retenue tous les dimanches, j’étais le mauvais exemple de la classe. Pour me faire remarquer je n’étais jamais à cours d’idées, jusqu’à mettre une statue de la Sainte Vierge plus grande que moi dans les chiottes. Là, je fus mis à la porte. Mais j’avais fait rire ma mère.
Pour un bon mot, j’étais prêt à tout. Pour éviter des poursuites judiciaires, j’ai même utiliser l’humour. Poursuivi pour avoir stationné dans la cour des départs de la gare du Nord, j’ai reçu un courrier m’enjoignant de payer pour arrêter les poursuites. J’ai écrit à Madame la SNCF que je refusais l’arrêt des poursuites, je tenais à être châtier pour expier. Je lui demandais une dernière faveur, être déchiqueté par le Paris Lille en gare d’Arras.
Les poursuites se sont arrêtées.
 Pour moi l’humour était un dérapage contrôlé, un antalgique, une parade à l’insupportable, une écriture au second degré, une arme à double tranchant, un détergent. Il nettoie, comme la pyrolyse, brûle les saletés, efface les tâches, les préjugés, les rancœurs et les rancunes.
Plus tard, dans mes livres, j’ai essayé de rire de tout.
De la grammaire, de l’alcoolisme de mon père, de l’hypocondrie de ma mère, de mes enfants handicapés, de ma vieillesse et j’ai voulu rire de ma mort…

J’en connais d’autres, tous élevés chez les curés

 Quand j’étais petit, un curé, à la confession, avant de me donner l’absolution, m’avait dit que la nuit il fallait prier avec ses mains, ça évitait de tripoter ses « parties honteuses ».
 Ça ne m’a pas empêché de continuer.
Je me sortirais. Les pensées impures étaient-elles des péchés mortels ? Évidemment, je n’osais le demander à personne.
Ma jeunesse a été empoisonnée par le péché mortel, et la peur d’aller en enfer.

Si drôle

Plus de mille fois j’ai récité  » Ne nous laissez pas succomber à la tentation ».

 Heureusement, Dieu ne m’a jamais exaucé

On pleure quand on arrive sur terre, pourquoi on râle quand on doit partir ?

Jamais content.

J’appelais pour donner des nouvelles, rarement pour en demander, et il ne fallait pas que ça dure longtemps.

 » Ce qui m’intéresse le plus chez les autres c’est moi » a écrit Francis Picabia.
Cette phrase me va comme un gant.

Et pour vous faire « mourir » de rire son ami si drôle

Traduit de l’anglais (américain) par Jean Esch.

Deux livres qui se suivent traduits par le même traducteur, j’aimerais tant confronter mon opinion à la sienne. Autant je me suis sentie enfermée dans le bon roman « les filles au lion » autant je me suis sentie libre dans celui-ci. Libre d’aimer , libre de croire à l’histoire , libre d’imaginer les personnages. La cuisine et la recherche (parfois très compliquée) des bons aliments sont à le mode visiblement dans tous les pays. L’avantage de prendre comme fil conducteur la cuisine , c’est de traverser toutes les couches de la société américaine. Entre le grand bourgeois raffiné qui peut payer un repas d’exception et le petit mitron qui épluche les légumes l’éventail des personnalités et des situations est assez large. L’avantage aussi, c’est que comme pour toute forme d’art, seul le travail paye. Et devenir une chef mondialement connue comme le personnage Eva Thorvald est une tension de tous les instants entre les exigences de la vie et celle du créateur.

Dans ce roman, la très bonne cuisine n’est pas tant une sophistication de la cuisson que l’exigence de la qualité des produits. Toute création cache une souffrance et celle d’Eva vient de sa naissance , abandonnée par sa mère , orpheline trop tôt d’un père qui a juste eu le temps de lui donner le goût de la bonne nourriture, elle rame pour survivre d’abord au lycée. Ah ! les lycées américains la violence qui y règne est d’autant plus surprenante que ce n’est pas l’image que j’en avais. Souvent quand j’interrogeais les étudiants américains sur leurs années lycée, ils me disaient que cela représentait pour eux un grand moment de bonheur, alors que les jeunes Français détestent presque toujours leur lycée. Le roman s’intéresse ensuite à différents personnages, l’on croit quitter Eva mais on suit son parcours et sa progression comme chef d’exception à travers les rencontres qu’elle est amenée à faire, elle n’est plus alors le personnage principal, et cela nous permet de comprendre un autre milieu à travers une autre histoire.

On passe du concours de cuisine consacré aux barres de céréales où toutes les mesquineries habituelles dans ce genre de compétition sont bien décrites, à l’ouverture de la chasse aux cerfs d’une violence que je ne suis pas prête d’oublier. La scène finale rassemble les éléments du puzzle de la vie d’Éva dans un moment d’anthologie romanesque et culinaire. Finalement c’est au lecteur de réunir tous les personnages, j’ai relu deux fois ce roman pour être bien sûre d’avoir bien tout compris. Un grand moment de plaisir dans mon été qui était plutôt sous le signe de romans plus tristes et je le dois à Aifelle qui avait été tentée par Cuné et Cathulu.

Citations

Légèreté et d’humour explication du lutefisk

Peu importe que ni Gustaf ni sa femme Elin, ni ses enfants n’aient jamais vu, et encore moins attrapé, assommé, fait sécher, trempé dans la soude, retrempé dans l’eau froide, un seul poisson à chair blanche, ni accompli la délicate opération de cuisson nécessaire pour obtenir un aliment qui, quand il était préparé à la perfection, ressemblait à du smog en gelée et sentait l’eau d’aquarium bouillie.

 Toujours le lutefisk

Lars, quant à lui, fut stupéfait par ces vieilles scandinaves qui vinrent le trouver à l’église pour lui dire :  » Un jeune homme qui prépare le lutefisk comme toi aura beaucoup de succès auprès des femmes ». Or, d’après son expérience, la maîtrise du lutefisk provoquait généralement du dégoût, au mieux de l’indifférence, chez ses rencards potentiels. Même les filles qui prétendaient aimer le lutefisk ne voulaient pas le sentir quand elles n’en mangeaient pas, mais Lars ne leur laissait pas le choix.

Rupture amoureuse

« – Mais en attendant, contentons-nous d’être amis. »
Will avait déjà entendu cette phrase et il avait appris à ne plus écouter ce que disait la fille ensuite parce que c’était du baratin.

Le maïs

Anna Hlavek cultivait un produit rare, presque inouï : une variété de maïs à pollinisation libre qui n’avait pas changé depuis plus de cent ans. D’après ce qu’elle savait, Anna avait hérité d’un stock de semences ayant appartenu à son grand-père, qui les avait achetés par correspondance ….en 1902. C’était exactement le même maïs que mangeait les arrières-grands-parents d’Octavia dans leur ferme près de Hunter dans le Dakota du Nord : des grains charnus, fermes et juteux qui explosaient dans la bouche, si sucrés qu’on aurait pu les manger en dessert.

Classe aisée américaine

 Octavia qui avait grandi à Minnetonka, entouré de gens fortunés au goût sûr, qui avait obtenu des diplômes d’anglais et de sociologie à Notre-Dame, dont le père était avocat d’affaires et la belle-mère un ancien mannequin devenue représentante dans l’industrie pharmaceutique, était destinée à épouser un homme comme Robbe Kramer. Elle n’aspirait pas à une vie meilleure que celle qu’elle avait connue dans son enfance ; elle n’avait pas besoin d’être plus riche, juste aisée, auprès d’un ami comme Robbe, attaché au même style de vie. Elle serait heureuse, elle le savait, de l’accompagner dans ses dîner de bienfaisance politique, et de charmer les épouses moins intelligentes de ces futurs associés. Elle avait même appris à jouer au golf, elle savait confectionner vingt sept cocktails différents, elle pouvait regarder un match des Minnesota Vikings et comprendre ce qui se passait sans poser de questions.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Bisseriex. Livre lu grâce à Babelio et offert par les éditions « le nouveau pont ».


Pat Conroy fait partie des auteurs qui savent me transporter dans un autre monde et dans un autre genre de vie. J’ai lu tous ses romans et sa mort m’a touchée. Le monde dans lequel il me transporte, c’est la Louisiane ou l’Alabama. Il sait me faire aimer les états du Sud, pourtant souvent peu sympathiques. Il faut dire qu’il vient d’une famille pour le moins non-conventionnelle  : sa mère qui se veut être une « parfaite dame du Sud », n’est absolument pas raciste, car si elle est en vie, c’est grâce à une pauvre famille de fermiers noirs qui l’a nourrie alors qu’elle et ses frères et sœurs mouraient de faim pendant la grande dépression. Le racisme, l’auteur le rencontrera autant à Chicago dans la famille irlandaise qu’à Atlanta mais sous des formes différentes. L’autre genre de vie, c’est sa souffrance et sans doute la source de son talent d’écrivain : une famille « dysfonctionnelle », un père violent et des enfants témoins d’une guerre perfide entre parents dont ils sont toujours les premières victimes.

Ce livre est donc paru (en France ?) après la mort de son auteur et explique à ses lecteurs pourquoi malgré cette enfance absolument abominable il s’est réconcilié avec ses deux parents. Il montre son père « le grand Santini » sous un jour différent grâce au recul que l’âge leur a donné à tous les deux. Cet homme aimait donc ses enfants autant qu’il les frappait. Il était incapable du moindre mot de gentillesse car il avait peur de les ramollir. Plus que quiconque le « grand Santini » savait que la vie est une lutte terrible, lui qui du haut de son avion a tué des milliers de combattants qui menaçaient les troupes de son pays. Un grand héros pour l’Amérique qui a eu comme descendance des enfants qui sont tous pacifistes.

Pat Conroy a fait lui même une université militaire, et il en ressort écœuré par les comportements de certains supérieurs mais aussi avec une certaine fierté de ce qu’il est un … « Américain » . Il décrit bien ces deux aspects de sa personnalité, lui qui pendant deux ans est allé enseigner dans une école où il n’y avait que des enfants noirs très pauvres. Il dit plusieurs fois que l’Amérique déteste ses pauvres et encore plus quand ils sont noirs. Mais il aime son pays et ne renie pas ses origines.

On retrouve dans cette biographie l’écriture directe et souvent pleine d’humour et dérision de cet écrivain. Il en fallait pour vivre chez les Conroy et s’en sortir. On reconnaît aussi toutes les souffrances qu’il a si bien mises en scène dans ses romans. On peut aussi faire la part du romanesque et de la vérité, enfin de la vérité telle qu’il a bien voulu nous la raconter. Ce livre je pense sera indispensable pour toutes celles et tous ceux qui ont lu et apprécie Pat Conroy

Citations

Un des aspect de Pat Conroy son estime pour certains militaires

À la dernière minute de ma vie surmilitarisée, j’avais rencontré un colonel que j’aurais suivi n’importe où, dans n’importe quel nid de mitrailleuse et avec lequel j’aurais combattu dans n’importe quelle guerre. Ce colonel, dont je n’ai jamais su le nom, me permit d’avoir un dernier aperçu du genre de soldat aux charmes desquels je succombe toujours, dévoués, impartiaux et justes. C’est lui qui me flanqua à la porte et qui me renvoya dans le cours de ma vie.

Genre de portrait que j’aime

Sa relation avec la vérité était limitée et fuyante -mais son talent pour le subterfuge était inventif et insaisissable par nature.

Toute famille a son barjot

 Autant que je sache, chaque famille produit un être marginal et solitaire, reflet psychotique de tous les fantômes issus des enfers plus ou moins grands de l’enfance, celui qui renverse le chariot de pommes, l’as de pique, le chevalier au cœur noir, le fouteur de merde, le frère à la langue incontrôlable, le père brutal par habitude, donc qui essaie de tripoter ses nièces, la tante trop névrosée pour jamais quitter la maison. Parler moi autant que vous voulez des familles heureuses mais lâchez-moi dans un mariage ou dans un enterrement et je vous retrouverai le barjot de la famille. Ils sont faciles à repérer.

Son père

Les années les plus heureuse de mon enfance étaient celles où Papa partait à la guerre pour tuer les ennemis de l’Amérique. À chaque fois que mon père décollait avec un avion, je priais pour que l’avion s’écrase et que son corps se consume par le feu. Pendant trente et un ans, c’est ce que j’ai ressenti pour lui. Puis j’ai moi-même déchiré ma propre famille avec mon roman sur lui, « Le grand Santini ».

Humour que l’on retrouve dans les romans de Pat Conroy

-Ton oncle Joe veut te voir. Il habite dans un bus scolaire avec vingt-six chiens.
-Pourquoi ?
– Il aime les chiens, je crois. Ou alors les bus scolaires

La sœur poète et psychotique

Ma sœur Carole Ann a vécu une enfance vaillante et sans louange mais surtout une enfance d’une solitude presque insupportable. Elle aurait été un cadeau pour n’importe quelle famille mais passa inaperçue la plupart du temps. À tout point de vue, c’était une jolie fille qui n’arrivait pas à la hauteur des attentes des mesures et de sa mère. Malgré elle, Peg Conroy avait le don insensé de faire croire à ses filles qu’elles étaient moches.

Son rapport à l’Irlande

Dans mon enfance, tout ceux qui me frappaient était irlandais, depuis mon père, ses frères et ses sœur, jusqu’aux nonnes et aux prêtres qui avaient été mes enseignants. Je percevais donc l’Irlande comme une nation qui haïssait les enfants et qui était cruelle envers les épouses.

L’éloge funèbre de Pat Conroy à son père

Il ne savait pas ce qu’était la mesure, ni même comment l’acquérir. Donald Conroy est la seule personne de ma connaissance dont l’estime de soi était absolument inébranlable. Il n’y avait rien chez lui qu’il n’aimait pas . Il n’y avait rien non plus qu’il aurait changé. Il adorait tout simplement l’homme qu’il était et allait au devant de tous avec une parfaite assurance. Papa aurait d’ailleurs aimé que tout le monde soit exactement comme lui.

 Son obstination été un art en soi. Le grand Santini faisait ce qu’il avait à faire, quand il le voulait et malheur à celui qui se mettait en travers de son chemin.

Traduit par André Fayot post face de Bertrand Fillaudreau.


La lecture de ce livre de mémoires me prouve que la blogosphère a permis à mes goûts littéraires d’évoluer. J’ai pris un grand plaisir à cette lecture que je dois à Dominique ( elle même remercie Keisha). Je voulais connaître cet homme qui est considéré comme le « père des parcs nationaux aux USA » . Mes enfants y font des balades extraordinaires chaque été et leurs photos donnent envie de s’y rendre. J’ai toujours cet étonnement face à ce paradoxe, le pays le plus pollueur de la planète est aussi celui qui semble adorer le plus la nature vierge. Plusieurs lectures récentes convergent pour me donner l’impression que l’homme agriculteur est devenu le plus grand prédateur des espèces végétales et animales. Faire pousser du blé ne peut se faire qu’aux prix de souffrances infinies pour l’homme et la nature.
John Muir, les souffrances, il connaît, élevé par un père d’une rigueur qui frise le tortionnaire, il a connu les pires brimades physiques dès son enfance : coups, engelures, travaux de forçat ; il a tout accepté au nom d’un respect filial qui lui vient, on se demande pourquoi ? et comment ?
Toute son enfance, surtout son émerveillement de la nature qui s’offre à lui quand il arrive dans le Wisconsin, est très agréable à lire et on suit avec attachement les péripéties de chaque découverte qu’offrent ces lieux souvent encore vierges. La fin est beaucoup moins passionnante, il est vrai qu’il ne s’agit plus de son enfance. Cet enfant à 10 ans est capable de comprendre la trigonométrie tout seul avec des livres, à 14 ans de construire des horloges sans plan préalable, il a vraiment une intelligence totalement hors norme. Il a appris à lire et à écrire seul ou presque à 4 ans. Il parle latin et allemand. J’aurais aimé qu’il raconte mieux son adaptation au monde des adultes quand il ne vit plus sous la férule de ce père que j’ai détesté tout au long du livre.

Citations

Éducation écossaise fin du XIXe

 Je ne vois rien qui puisse me pousser aujourd’hui à concentrer plus fort mon attention que quand j’étais enfant, ce que réussissait le fouet -une gigantesque raclée le plus souvent. Les instituteurs écossais de la vieille école ne passaient pas leur temps à tenter de trouver des chemin raccourcis vers la connaissance, ni d’expérimenter les dernières trouvailles en matière de méthode psychologique, tellement en vogue de nos jours. Il n’était pas question de rendre nos bancs confortables, ni nos leçons faciles. On nous collait seulement de but en blanc devant nos livres, comme des soldats face à l’ennemi, en nous ordonnant d’un ton sans réplique : « Allez au travail ! Apprenez vos leçons ». Et à la moindre erreur, si minime fût-elle, c’était le fouet, car avait été fait cette extraordinaire découverte, aussi simple que définitive, et tellement écossaise, qu’il existait une relation directe entre la peau et la mémoire, et qu’irriter celle-là stimulait celle-ci au degré souhaité quel qu’il fût.

 Les bagarres

Quand on avait la chance de finir un combat sans un œil au beurre noir, on échappait généralement à une dégelée à la maison et une autre le lendemain matin à l’école, car les autres traces de l’échauffourée pouvaient être lavées facilement au puits près de l’église, ou bien dissimulées, ou mise au compte des aspérités du terrain ; tandis qu’un œil poché ne pouvait trouver d’autre explication qu’une bagarre en règle. La double correction en était la sanction inéluctable mais sans aucun effet  : les bagarres se continuaient sans la moindre accalmie, comme les ouragans, car aucune autre punition que la mort n’aurait pu supprimer la vieille agressivité atavique qui brûlait dans nos veines de païens, pas plus qu’on arrivait à nous faire admettre que père et maître pouvaient légitimement nous étriller aussi laborieusement pour notre bien, tout en refusant le plaisir de nous castagner les uns les autres pour le même bien.

Genre de livres où Wikipédia rend bien des services ….

Et il en allait tout de même avec les calopogons, les pogonies, les spiranthes et quantité d’autres populations végétales. Le magnifique turban de Turc ( Lilium superbum), qui croît sur les berges des cours d’eau, était rare chez nous, alors que le lis orangé poussait en abondance en terrain sec sous les chênes à gros fruits et nous rappelait bien souvent la plate-bande de tante Ray en Écosse. Grâce à ses fleurs rouge écarlate, l’asclépiade tubéreuse ou herbe à ouate attirait des volées de papillons et produisait de superbes masses de couleur.

Une éducation à la dure

 Mes aventures me remettent en mémoire l’histoire de ce garçon qui, en escaladant un arbre pour voler un nid de corbeau, tomba et se cassa la jambe, mais qui, sitôt guéri, se força à grimper jusqu’au sommet de l’arbre du haut duquel il avait culbuté.

La prégnance de la morale

 Comme à l’ensemble des petits écossais, on nous enseignait la plus stricte abnégation, à propos et hors de propos, à faire fi de la chair et à la mortifier, à veiller à garder nos corps soumis aux préceptes de la Bible et à nous punir sans merci pour toute faute commise ou simplement imaginée. Lorsque, en aidant sa sœur à ramener les vaches, un gamin usa un beau jour d’un terme défendu : « faudra que je l’dise à papa, fit la jeune fille horrifiée. J’le lui dirai, qu’t’as dit un vilain mot…
-J’ai pas pu l’empêcher d’me v’nir répondit l’enfant par manière d’excuse. C’est pas pire de le dire tout haut que de l’ penser tout bas ! »

Après avoir décrit le Wisconsin comme le paradis des oiseaux , il décrit cette scène horrible (cette espèce de pigeons a complètement disparu, on comprend pourquoi !)

Les pigeons, à ce moment-là, étaient rares un grand nombre de personnes, équipées de chevaux et de chariot, et armées de fusil, de longues perches, de pots à soufre, torches de poix, etc, avaient déjà planté leur camp sur le pourtour deux fermiers installés à plus de cent milles de là avaient amené quelques trois cents porcs pour les faire engraisser sur les pigeons massacrés. Un peu partout, des gens employés à plumer et à saler ce qui avait déjà été mis de côté étaient assis au milieu de monceaux d’oiseaux. La terre était couverte d’une couche de fiente de plusieurs pouces d’épaisseur. Quantité d’arbre de deux pieds de diamètre étaient brisés guère au-dessus du sol, et les branches de beaucoup d’autres parmi les plus hauts et les plus étendus avaient cédé, comme si un ouragan avait balayé la forêt.
Au coucher de soleil, pas un pigeon n’était encore arrivé. Mais un cri général s’éleva tout à coup :  » Les voilà ! ». Ils étaient encore loin, mais le bruit qu’ils faisaient me rappelait, en mer, un violent coup de vent qui passe à travers les gréements d’un navire dont on a serré les voiles. Des milliers furent bientôt abattus à coups de perche, mais les oiseaux ne cessaient pas pour autant d’affluer. Puis les feux s’allumèrent et un tableau aussi terrifiant que superbe se mit en place. Les pigeons qui se déversaient à flots se posaient partout, les uns sur les autres, si bien qu’il se formait des masses compactes sur toutes les branches. Ça et là des perchoirs roulaient avec fracas, et, dans leur chute en abattaient des centaines d’autres, précipitant les groupes extrêmement serrés d’oiseaux dont étaient chargé le moindre rameau, spectacle de conflit et de tumulte. Je m’aperçus qu’il était parfaitement inutile de parler ou même de crier au gens qui m’entouraient. Les coups de fusil, on les entendait rarement, et ce n’est qu’en voyant les hommes recharger leurs armes que je comprenais qu’ils avaient tiré. Personne n’osait s’aventurer à l’intérieur du périmètre du carnage. On avait parqué les cochons en temps utile, le ramassage des morts et de blessés étant remis au lendemain matin. Les pigeons affluaient toujours, et ce ne fut qu’après minuit que je perçus une diminution du nombre des arrivants. Le vacarme dura toute la nuit.
Vers les premières lueurs du jour, le bruit s’atténua quelque peu ; longtemps avant qu’on pût distinguer les formes, les pigeons commencèrent à s’en aller dans une direction différente de celle où ils étaient venus la veille, de sorte que quand le soleil se leva tout ce qui était capable de voler avait disparu. Ce fut alors le hurlement des loups qui se fit entendre, et l’on vit arriver furtivement renards, lynx, couguar, ours,raton laveur, opossum et putois, tandis que des aigles des éperviers de différentes espèces, accompagnés d’une armée de vautour, approchaient pour tenter de les évincer et d’avoir leur part de butin.
Les auteurs du carnage se mirent alors à avancer parmi les morts, les mourants et les mutilés et à ramasser les pigeons et aller mettre en tas, ce jusqu’à ce que chacun ait autant qu’il voulait, après quoi les cochons furent laisser libres de dévorer les restants.

L’inconfort total

 Dans toute la maison, il n’y avait en fait de feu que le fourneau de la cuisine, avec son foyer de cinquante centimètres de long sur vingt cinq de large et autant de haut – à peine de quoi y mettre trois ou quatre petites bûches-, autour duquel, lorsqu’il faisait – 20 dehors, les dix personnes que nous étions dans la famille grelottaient, et sous lequel nous trouvions, le matin, nos chaussettes et nos grosses bottes imprégnées d’eau gelée en bloc. Et nous n’avions pas même le droit de ranimer ce misérable petit feu dans sa boîte noire pour les dégeler. Non, nous devions y comprimer nos pieds endoloris et tout palpitant d’engelures, au prix de douleurs pires qu’une rage de dent, et filer au travail.

Je crois relire homo sapiens : le malheur de la révolution agricole

Dans ces temps reculés, longtemps avant l’arrivée des machines qui nous épargnent tant de peine, tout (ou presque) ce qui touchait à la culture du blé imposait des travaux éreintant – faucher sous la chaleur des longues journées de la canicule, râteler et lier des gerbes, faire les meules et battre le grain -, et je me disais bien souvent que la façon brutale, frénétique, que nous avions de faire sortir le grain de terre ressemblait trop à une excavation de tombes.


Vous avez été nombreux à parler en bien de ce roman, je vous ai donc suivis et je l’ai trouvé très instructif. Il fait réfléchir sur le trafic de drogue en France et le fonctionnement de la justice. J’ai moins aimé le côté roman policier mais je ne suis pas adepte du genre. L’auteure est avocate et connaît bien son sujet, on peut supposer qu’à part les exagérations imposées par le genre, ce qu’elle nous décrit est assez proche de la réalité. Je ne sais pas pourquoi elle fait un portrait aussi terrible de ses parents, qui engraissent leur jardin à coups de cadavres, et ce n’est certainement pas cette partie qui m’a fait mettre quatre coquillages. Cette auteure a un style enlevé et souvent drôle, voire très drôle. Quand son personnage principal devient interprète pour la justice, l’auteure qui en sait long sur la question nous fait découvrir le monde de la drogue en France qu’elle décrit ainsi :

Quatorze millions d’expérimentateurs de cannabis en France et huit cent mille cultivateurs qui vivent de cette culture au Maroc. Les deux pays sont amis et pourtant ces gamins dont j’écoutais à longueur de journée les marchandages purgeaient de lourdes peines de prison pour avoir vendu leur shit aux grosses des flics qui les poursuivent, à ceux des magistrats qui les jugent ainsi qu’à tous les avocats qui les défendent.

Je me suis fait ma philosophie personnelle à la lecture de ce roman, pour lutter contre la drogue et les mafias qui en vivent, il n’y a que deux solutions :

  • légaliser toutes les drogues, et voir immédiatement toute une partie de la jeunesse mourir devant nos yeux.
  • Où comme en Thaïlande ou au Maroc (où elle est cultivée !) punir de 20 ans de prison tous les consommateur et de mort tous les trafiquants.

Sinon, toutes les autres solutions apporteront des situations bancales laissant place à la création littéraire de bons romans policiers !

Citations

Le nerf de la guerre et depuis si longtemps !

L’argent est « le Tout » ; le condensé de tout ce qui s’achète dans un monde où tout est à vendre. Il est là réponse à toutes les questions. Il est la langue d’avant Babel qui réunit tous les hommes.

Humour

 À l’époque on parlait beaucoup du créationnisme aux États-Unis et on pouvait lire des conneries du genre : les dinosaures ont disparu parce qu’ils étaient trop lourds pour monter sur l’arche de Noé.

Regard sur les années 70

Dans les années 70 ça se disait PDG . Ça allait avec le canard à l’orange, les cols roulés jaunes sur des jupes-culottes et les protège-téléphones fixes en tissu galonné.

Ses parents

En couvrant sa femme des yeux avec fierté, mon père, qu’au passage toutes les prostituées du quartier de la Madeleine appelaient par son prénom, disait d’elle qu’elle était comme une oeuvre d’art : très belle, mais d’une valeur d’usage absolument nulle.

Vision réaliste du trafic de drogue en France. Point de vue de la traductrice

Quoi qu’il en soit le trafic de stups m’a fait vivre pendant pratiquement vingt cinq ans au même titre que les milliers de fonctionnaires chargés de son éradication ainsi que les nombreuses familles qui sans cet argent n’auraient que les prestations sociales pour se nourrir.

Les dealers la plupart Marocains en France

En semaine, leurs journées commencent vers quatorze heures et se terminent à trois heures du matin. Elles se résument à des va-et-vient en scooter ou en Smart entre leur point de réapprovisionnement et de deal et leur bureau sis au kebab du coin ou à la salle de sport.
Si j’avais à les filmer dans leurs activités, je mettrais en fond sonore « What a wonderful world » de Louis Armstrong.
Toutes leurs conversations tournent autour de l’argent : celui qu’on leur doit, celui qu’ils auraient dû toucher, celui qu’ils rêvent d’avoir… Cet argent, ils le claquent le weekend en boîte de nuit -les mêmes que les cadres de la Défense… Qui sont aussi leurs clients – sauf que eux, la bouteille de champagne à mille euros, lorsqu’elle arrive sur leur table, ils la vident en la retournant dans son seau car ils ne boivent pas d’alcool. Souvent, à la sortie de la boîte, ils se battent et sont systématiquement arrêtés et condamnés sans que l’on cherche même à savoir si ce sont où les cadres de la Défense qui ont commencé.
 Leur hiver, ils le passent comme leurs clients en Thaïlande, notamment à Phuket mais dans un autre quartier : à Patong, rebaptisé « Les 4000 » du nom de la cité de La Courneuve en Seine-Saint-Denis. Les Thaïlandais les appellent les « French Arabics ».
 Là-bas, c’est les vacances, ils ne dealent pas parce que le simple usage de stups est puni de vingt ans. L’été, ils se tapent le bled avec la famille. Là non plus il ne dealent pas pour les mêmes raisons.
Leurs films préférés sont « Fast and Furious » 1, 2, 3 … 8 et « Scarface ». Ils sont tout sur les réseaux sociaux – libres ou en taule, c’est selon ou ils s’affichent comme travaillant chez Louis Vuitton et fréquentant Harvard University. Ils y échangent de grandes vérités où l’islam sunnite (la partie qui a trait à la polygamie, principalement), se mele aux répliques cultes de Tony Montana et aux textes des rappeurs qui dépassent les cinq cents millions de vues sur YouTube.
Ils sont en matière d’introspection comme tous les mes commerçants du monde… D’une pauvreté crasse.
….And I think tout myself Whatsap à Wonder full world ..
Je sais, ça n’a pas l’air, mais j’ai pour certains d’entre eux comme de l’affection car ils me rappellent l’anarchisme de droite pratiqué par mon père et ils parlent comme lui la langue universelle : « l’argent ».

 

Une idée de lecture que je dois à Dominique. Je conseille ce livre à tous les amoureux et amoureuses de Paris et de Modiano. J’ai déambulé dans le XVI° en lisant ce court essai et j’ai cru mettre mes pas dans ceux de Béatrice Commengé et de Modiano. Ce n’est pas un guide touristique même si cela permet de visiter Paris d’une façon originale, cette auteure sait surtout nous faire comprendre la vie de Modiano et son impérieux besoin d’écrire. Rien n’était très net dans la vie de ce jeune fils d’un juif au passé trouble et d’une actrice qui laissait souvent son fils en garde dans des lieux insolites. Quand ses parents se sont rencontrés, ils habitaient en face de cet endroit rue Sheffer dans le XVI° :

 

Ils ont connu un semblant de vie familiale au 15 quai Conti, et aussi les rigueurs de pensionnats dans lesquels il n’était pas heureux. Il a eu le malheur de perdre un frère qui semblait plus fait pour le bonheur que lui. Sinon on peut dire que son oeuvre est le reflet d’une ville dont il a connu les beaux quartiers mais aussi les quartiers populaires puisque à l’époque, il en existait encore : sa véritable demeure c’est Paris .

 

Un Paris citadin mais avec des lignes de fuites qui ont complètement disparu vers une zone entre campagne et banlieue. Enserré dans son corset périphérique Paris a perdu ce charme-là et surtout une réelle possibilité de s’agrandir. Il nous reste les livres de Modiano, cet auteur qui s’est approprié ses souvenirs et ceux de ses parents au point où il le dit lui-même

Il n’y a jamais eu pour moi ni présent, ni passé. Tout se confond.

Citations

Le Paris occupé les parents de Modiano

J’avance jusqu’à l’autre bout de la rue sans passer devant la moindre vitrine -je suis donc forcément passer, me dis-je, devant ce restaurant ou un jeune juif de trente ans (fils d’un toscan émigrés à Paris après avoir transité par Salonique, Alexandrie et le Venezuela) et une jeune actrice blonde venu d’Anvers, de six ans sa cadette, apprenaient à faire connaissance dans un Paris occupé par les Allemands, un Paris favorable aux amour précaires, un Paris insolite, où la vie semblait continuer « comme avant », avec les mêmes rengaines à la radio et du monde dans les cinémas.

 

Traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse , d’ailleurs j’ai une petite remarque à propos de la traduction, que penser de cette phrase : »John Berger accompagne John Sassal, un médecin de campagne un ami à lui » ? 

 

Je savais pour avoir lu les critiques sur de nombreux blogs, que je lirai ce roman, La souris jaune, Keisha, Dominique, Krol, Aifelle (et sans doute, bien d’autres encore) en ont parlé avec enthousiasme . Je partage avec Aifelle l’agacement à propos des #hashtag malgré la justification que j’ai lue. Je ne trouve pas du tout que cela crée un réseau souterrain au roman, mais ce qui est sûr c’est que ça freine désagréablement la lecture. Ce roman est un travail de deuil pour l’auteure qui vient de perdre un compagnon, Pablo, tendrement aimé et qui raconte celui que Marie Curie a été amenée à faire lors de la mort accidentelle de Pierre. Les deux souffrances se mêlent pour nous donner ce roman dont j’ai eu envie de recopier des passages entiers pour vous faire partager mon plaisir et aussi retenir ce que Rosa Montero nous dit de façon si simple et si humaine. J’ai beaucoup lu à propos de Marie Curie, en particulier, il y a bien longtemps, le livre d’Ève Curie, et je me souviens très bien de la souffrance de Marie, la scène où elle brûle les effets tâchés du sang de Pierre sont gravés dans ma mémoire. J’aime cette femme de tout mon être , elle correspond à un idéal qui a marqué la génération de mes parents. Mais c’est aussi un idéal impossible à atteindre, comme tous les génies elle est hors de portée des autres femmes. Mais cela fait tant de bien qu’elle ait existé. Je connaissais aussi l’épisode où la presse s’est évertuée à la détruire car elle a été la maîtresse de Paul Langevin . De tout temps la presse a été capable de s’amuser à détruire la réputation d’une personne surtout si elle est célèbre. Mais l’accent que met Rosa Montero sur la personnalité de Paul Langevin montre les petitesses de ce personnage. Il a trompé sa femme et il l’a fait jusqu’au bout de sa vie mais il n’est victime d’aucun jugement de la part de la presse ni de l’opinion publique. Bien sûr il ne défendra pas Marie qu’il laissera tomber, mais finalement il se rappellera à son bon souvenir en lui demandant une place dans de chercheuse dans son laboratoire pour une fille qu’il a eu avec une de ses étudiantes . Quel galant homme !

Ce roman nous entraîne donc dans une réflexion sur le deuil et la condition de la femme dans le couple. Cette superbe énergie que l’on connaît chez Marie Curie, on sait qu’elle habite Rosa Montero qui roman après roman nous livre le plus profond de son imagination. Rien ne peut l’arrêter d’écrire, comme rien n’a pu arrêter Marie d’aller vérifier ses expériences dans son laboratoire. Seulement ce sont aussi des femmes de chaires et de sang et elles peuvent flancher. Marie après la mort de Pierre s’est enfermée dans un silence mortifère et après la cabale de la presse à propos de son amour avec Paul Langevin, elle est restée un an loin du monde et de ses chères recherches. Est-ce la façon de cette auteure de nous dire que sa souffrance a failli, elle aussi, la faire trébucher vers la non vie ?

Citations

l’écriture

Je me sens comme le berger de cette vieille blague qui sculpté distraitement un morceau de bois avec son couteau, et qui, quand un passant lui demande : « Mais vous faites la figure de qui ? » répond : « Eh bien, s’il a de la barbe saint Antoine, sinon la Sainte Vierge. « 

 Autobiographie ou roman ?

Même si, dans mes romans, je fuis l’autobiographie avec une véhémence particulière, symboliquement je suis toujours en train de lécher mes blessures les plus profondes. À l’origine de la créativité se trouve la souffrance, la sienne et celle des autres.

La féminité dans les années 70

J’appartiens à la contre-culture des années 70 : nous avions banni les soutiens-gorge et les talons aiguilles, et nous ne nous épilions plus sous les bras. J’ai recommencé à m’épiler par la suite, mais quelque part j’ai continué de lutter contre le stéréotype féminin traditionnel. Jamais je n’ai porté de talons (je ne sais pas marcher avec). Jamais je ne me suis mis du vernis à ongle. Jamais je ne me suis maquillée les lèvres.

Réflexions sur le couple

« Le problème avec le mariage, c’est que les Femme se marient en pensant qu’ils vont changer, et les hommes se marient en pensant qu’elles ne vont pas changer. »Terriblement lucide et tellement bien vu ! L’immense majorité d’entre nous s’obstine à changer l’être aimé afin qu’il s’adapte à nos rêves grandioses. Nous croyons que, si nous le soignons de ses soi-disantes blessures, notre parfait bien-aimé émergera dans toute sa splendeur. Les contes de fées, si sages le disent clairement : nous passons notre vie à embrasser des crapauds , convaincues de pouvoir en faire des princes charmants. ….. quand Arthur dit que les hommes croient que nous n’allons pas changer, il ne veut pas parler du fait que nous prenions un gros cul et de la cellulite, mais que notre regard se remplit d’amertume, que nous ne les bichonner plus et ne nous occupons plus d’eux comme si c’étaient des dieux, que nous pourrissions notre vie commune par des reproches acerbes.
Tant de fois, nous menton aux hommes. À tant d’occasions, nous faisons semblant d’en savoir moins que nous n’en savons, pour donner l’impression qu’ils en savent plus. Ou nous leur disons que nous avons besoin d’eux pour quelque chose alors que ça n’est pas vrai. Juste pour qu’ils se sentent bien. Ou nous les adulons effrontément pour célébrer la moindre petite réussite. Et nous allons jusqu’à trouver attendrissant de constater que, si exagérée soit la flatterie, ils ne s’aperçoivent jamais que nous sommes en train de leur passer de la pommade, parce qu’ils ont véritablement besoin d’entendre ces compliments, comme des adolescents auxquels il faut un soutien extérieur afin qu’ils puissent croire en eux

Le cadeau de Pierre à son amoureuse

Avec Marie il avait trouvé son âme sœur. En fait, au début de leur relation, au lieu de lui envoyer un bouquet de fleurs ou des bonbons, Pierre lui avait envoyé une copie de son travail, intitulé  » Sur la symétrie des phénomènes physiques. Symétrie d’un champ électrique et d’un champ magnétique » : on convient que ce n’est pas un sujet qui fascine toutes les jeunes filles.

J’ai souri

On se mit tout de suite à utiliser les rayons x pour diagnostiquer les fractures des os, comme maintenant, mais aussi à des fins absurdes comme par exemple pour combattre la chute des cheveux : on dirait que chaque nouveauté inventée par l’être humain est testé contre la calvitie, cette obsession terrible attisée par le fait que ceux qui perdent leurs cheveux, ce sont des hommes.

La mort

Je suis sûre que nous parlons tous avec nos morts  : moi bien évidemment je le fais, et pourtant je ne crois pas du tout à la vie après la mort. Et j’ai même senti Pablo à mes côtés de temps à autre ……. Marie s’adresse à Pierre parce-qu’elle n’a pas su lui dire au revoir, parce-qu’elle n’a pas pu pu lui dire tout ce qu’elle aurait dû lui dire, parce qu’elle n’a pas pu achever la narration de leur vie commune.

Paul Langevin le grand homme !

Quelques années plus tard Paul Langevin eut une enfant illégitime avec une de ses anciennes étudiantes ( un vrai cliché) et il demanda à Madame Curie de donner à cette fille un travail dans son laboratoire. Et vous savez quoi ? Marie le lui donna.

 Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard, où il a obtenu un coup de cœur. Traduit de l’américain par Josette Chicheportiche.


Véritable emballement de la blogosphère, ce livre mérite les coups de cœur qu’il a reçu chez Krol, Dominique, Aifelle, Jérôme et Noukette et beaucoup d’autres dont je mettrai les noms au fur et à mesure des commentaires. J’avais une réserve à cause de la référence à « La Route« , roman que j’avais peu apprécié. Ici l’apocalypse supposée est beaucoup plus crédible, et elle ne constitue pas l’essentiel du roman. D’ailleurs avant même que le monde s’effondre, on ne sait pas trop pourquoi, cette famille avait choisi de vivre au cœur d’une forêt. les deux filles Neil et Eva ne vont pas à l’école et sont éduquées par leurs parents, l’une sera danseuse et l’autre prépare son entrée à Harvard. Mais peu à peu le monde s’arrête et tout le confort que notre société nous procure disparaît, et finalement les deux jeunes filles doivent vivre seules au milieu d’une forêt et de rencontres pas toujours amicales. On retrouve un peu les efforts de survie que doit faire l’héroïne du « mur invisible » pour assurer sa survie mais le message est différent. Ce n’est pas, en effet, le savoir de l’homme qui va sauver les deux filles mais la connaissance de la nature. Et si ce roman, s’appelle « dans la forêt », c’est parce que leur salut viendra de ce que la forêt peut leur apporter. Comme avant elles, les rares indiens qui ont pu échapper à l’extermination programmée de leurs peuple.

Je relis en ce moment « Sapiens une brève Histoire de l’humanité » on y retrouve ce même message, la révolution agricole nous dit Yuval Noah Harari est la plus grande escroquerie de l’histoire et elle a asservi l’homme au lieu de le libérer. Nos deux héroïnes vont donc revenir au stade des « chasseurs cueilleurs » beaucoup plus adapté à la survie en forêt. Je pense que les écologistes vont adorer ce roman qui a tout pour leur plaire, de plus l’écrivaine vit au fond des bois de l’écriture de ses livres et de l’apiculture. Mais ce n’est pas qu’un roman à messages, c’est aussi une intrigue bien menée et les personnages sont intéressants et crédibles. J’ai vu le film qui a été tiré de cette histoire, il insiste beaucoup sur la rivalités et le lien entre les deux sœurs, encore un film qui est beaucoup mins intéressant que le roman. Si j’ai une petite réserve, c’est que je garde, malgré moi, un certain agacement vis à vis des Américains qui sont les plus farouches défenseurs de l’environnement et en même temps les plus grands pollueurs de la planète.

Citations

Le plaisir d’habiter un lieu isolé ,un plaisir que je ne partage pas

Voilà le vrai cadeau de Noël, nom de Dieu -la paix, le silence de l’air pur. Pas de voisins à moins de six kilomètres , et pas de ville à moins de cinquante. Bénis soient Bouddha, Shiba, Jéhovah et le service des Forêts de Californie, nous vivons tout au bout de la route !

Nell et Eva s’approprient la forêt

Petit à petit , la forêt que je parcours devient mienne, non parce que je la possède, mais parce que je finis par la connaître. Je la vois différemment maintenant. Je commence à saisir sa diversité -dans la forme des feuilles, l’organisation des pétales, le millions de nuances de verts. Je commence à comprendre sa logique et à percevoir son mystère. Où que j’aille, j’essaie de noter ce qu’il y a autour de moi – un massif de menthe, une touffes de fenouil, un buisson de manzanita ou d’amarante à ramasser maintenant ou plus tard quand je reviendrai, quand le besoin se fera sentir ou que ce sera la saison.


Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thè­que de Dinard, thème le Maroc

Lors du mois consacré au Maroc, il se devait d’y avoir au moins un livre de ce grand écrivain à la langue si belle. Ce roman correspond exactement au thème : il raconte la vie d’un travailleur marocain. La vie ou plutôt toutes les vies de ces ouvriers recrutés dans les années 50 dans le bled marocain et qui restent attachés de toutes leurs forces à leur village dont ils sont issus. Mohammed » Limmigré » comme on l’appelle aussi bien au Maroc qu’en France est le sympbole de tous ces hommes qui prennent comme identité le fait d’être « Immigré » c’est à dire coincé en France dans des quartiers où il ne fait pas bon vivre et rêvant de leur village natal où ils ne reviennent que l’été. Ses seuls moments de bonheur sont ceux où ils se sent musulman où il peut faire ses prières et respecter les principes d’une religion qu’on lui a apprise dans sa petite mosquée de son village. Ils sont simples ces principes : « fait le bien autour de toi sur terre et tu iras au paradis pour être heureux, fais le mal et tu ne connaîtras que le malheur dans l’au-delà ». Alors bien sûr, il ne comprend pas grand chose aux versions violentes de l’islam, pas plus qu’il ne comprend ses enfants qui se sont mariés avec des non-musulmans, pour son fils il l’accepte mais pour sa fille il l’a carrément supprimée de sa famille. Toute sa vie, il a travaillé à l’usine et il a aimé ce rythme, se lever tôt, sa gamelle, son retour chez lui avec une femme qui l’a toujours accompagnée. La seule chose vraiment positive de la France qu’il retiendra, en dehors de son salaire régulier, c’est l’hôpital où il est mieux soigné qu’au Maroc et aussi l’éducation que reçoit son neveu trisomique qu’il a adopté pour qu’il puisse bénéficier d’une bonne éducation. Cet enfant sera son vrai bonheur car il est heureux et lui donne toute l’affection que ses enfants n’ont pas su lui témoigner. Mais catastrophe ! voilà la retraite qui arrive alors que faire ? « L’entraite » comme il dit a déjà tué deux de ses amis, plus rien n’a de sens : ses enfants sont loin de lui ; on lui dit qu’il a du temps pour lui, mais il ne sait absolument pas quoi en faire de ce temps. Le romancier part alors dans une fable, qui a sûrement un fond de vérité, Mohammed construit dans son village du bled, avec toutes ses économies une maison énorme et totalement absurde pour réunir toute sa famille. Ce sera finalement son tombeau.

 

Citations

Le nouvel iman

Seul l’imam des Yvelines avait la capacité de citer un verset et de le commenter. Il connaissait le livre par cœur et disait l’avoir étudié au Caire, à la grande université d’zl-Azhar. Peut-être était-ce vrai, personne n’avait les moyens de le contredire. Cet iman était tombé du ciel, personne ne l’avait vu arriver. Il était entouré d’une cour de jeunes délinquants décidés à reprendre le droit chemin. Il les appelait mes enfants. Il avait une grosse voiture, portait de belles tenues blanches, se par fumait avec l’essence du bois de santal et habitait en dehors du quartier infernal.

 

Une observation tellement juste et drôle

J’ai vu à la télé des gens riches, des Françaouis ou Spagnouli qui viennent vivre avec des paysans pauvres, ça les change de leurs immeubles, des voitures et de tout ce que nous n’avons pas ; alors on va vendre le bled, ce sera un village de vacances pour personnes riches et fatiguées d’être riches ; ces gens viendront chez nous pour faire l’expérience du rien.