Traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes

 

Encore un coup de cœur de notre club, qui avait déjà couronné Le Tabac Tresniek que j’ai préféré à celui-ci. On est vraiment pris par cette lecture et pourtant, il ne se passe pas grand chose dans ce roman, si ce n’est qu’une vie entière y est racontée. Egger a d’abord été un enfant martyrisé par un oncle paysan qui n’avait aucune envie d’élever cet orphelin « batard », puis il deviendra un paysan dur à la tâche dans une Bavière des années 30. Enfin, il connaîtra l’amour et quelques années il sera heureux avec une jeune femme malheureusement disparue dans une avalanche qui détruira son chalet et sa vie. Il sera alors employé dans une compagnie qui construira des téléphériques et verra peu à peu sa montagne se transformer en lieu de loisirs . La grande histoire lui passe au dessus de la tête, lui qui n’a connu l’amour et l’affection que si peu de temps. Les risques qu’il prend dans les constructions en montagne, la guerre et surtout sa captivité en Russie soviétique aurait dû le voir mourir lui qui a perdu sa raison de vivre, il en revient, en 1952, encore plus solitaire. Oui, c’est toute une vie d’un homme simple et mal aimé qui se déroule devant nos yeux et l’auteur sait nous la rendre présente sans pour autant qu’aucun pathos ne se mêle à cette destinée solitaire.

Citations

Un enfant martyre

Comme toujours, le fermier avait trempé la tige dans l’eau pour l’assouplir. Elles fendait l’air d’un trait en sifflant, avant d’atterrir sur le derrière d’Egger dans un bruit de soupir. Egger ne criait jamais, cela excitait le fermier qui frappait encore plus dur. Dieu endurcit l’homme fait à son image, pour qu’il règne sur la terre et tous ce qui s’affaire dessus. L’homme accomplit la volonté de Dieu et dit la Parole de Dieu. L’homme donne la vie à la force de ses reins et prend la vie à la force de ses bras. L’homme est la chair, il est la terre, il est paysan, et il se nomme Hubert Kranzstocker.

L’enfant mal aimé

Pendant toutes ces années passées à la ferme, il demeura l’étranger, celui qu’on tolérait, le bâtard d’une belle-sœur châtiée par -Dieu, qui devait la clémence du fermier au seul contenu d’un portefeuille de cuir pendu à son cou. En réalité, on ne le considérait pas comme un enfant. Il était une créature vouée à trimer, à prier et à présenter son postérieur à la baguette de coudrier.

Camp de prisonniers en Russie

Au bout de quelques semaines, Egger cessa de compter les morts qu’on enterrait dans un petit bois de bouleaux, derrière le camp. La mort faisait partie de la vie comme les moisissures faisaient partie du pain. La mort, c’était la fièvre. La mort, c’était la fin. C’était une fissure dans le mur de la baraque, qui laissait passer le sifflement du vent.

La fin des camps de prisonniers en Russie

Il s’écoula encore près de six années avant que ne s’achève le temps d’Egger en Russie. Rien n’avait annoncé leur libération, mais, un beau jour de l’été dix-neuf cent cinquante et un, les prisonniers furent rassemblés tôt le matin devant les baraquements et reçurent l’ordre de se déshabiller et d’entasser leurs vêtements les uns sur les autres. Ce gros tas puant fut arrosé d’essence, puis allumé, et, tandis que les hommes fixaient les flammes, leurs visages trahissaient leur terreur d’être fusillés sur-le-champ ou d’un sort plus terrible encore. Mais les Russes riaient et parlaient fort à tort et à travers, et quand l’un d’eux saisit un prisonnier aux épaules, l’enlaça et se mit à effectuer avec ce fantomatique squelette nu un grotesque pas de deux autour du feu, la plupart sentirent que ce jour-là serait un jour faste. Pourvus chacun de vêtements propres et d’un quignon de pain, les hommes quittèrent le camp dans l’heure même, pour s’acheminer vers la gare de chemin de fer la plus proche.

Comme vous le voyez, ce court roman a obtenu un coup de cœur à notre club. Après « Sauver Mozart » c’est le deuxième roman de Raphaël Jérusalmy que je lis avec toujours le même plaisir. J’apprécie, aussi, que l’auteur change complètement d’époque et de sujet. Nous voici avec le grand inquisiteur Torquemada en Espagne en 1485. Il y a, cependant, un point commun entre ces deux romans, nous sommes au cœur de la communauté juive qui va bientôt connaître une terrible destinée : l’expulsion du royaume d’Espagne. Le crime perpétué à Saragosse contre l’inquisiteur local, unanimement détesté : Pedro de Arbuès, va servir de prétexte à une répression menée par Torquemada lui-même et finalement à l’expulsion des juifs hors du royaume et rendra très fragile la présence des juifs « maranes » en Espagne. Ce roman suit le destin deux personnages fictifs que tout ou presque oppose : Léa une jeune fille instruite et très douée en dessin venant d’une famille convertie et cultivée et Angel de la Cruz un noble en haillon et mercenaire qui loue ses services aux plus offrants. L’amour du dessin et de la gravure réunit ces deux personnages. Ce roman, nous permet de comprendre la force du dessin qui peut troubler les puissants jusqu’à les rendre fous . Comment ne pas penser aux caricatures de Mahomet publié par Charlie-Hebdo qui ont valu à 12 personnes dont 8 dessinateurs d’être assassinés au nom d’Allah !

L’enquête pour retrouver les assassins et aussi l’auteur des affiches placardées qui caricature Torquemada et sa verrue est passionnante, elle permet de construire un roman avec un suspens très prenant. On sent que l’auteur connaît bien les ressorts des enquêtes policières des services secrets.

 

J’ai toujours du mal à lire des romans à propos de l’inquisition, tuer ou torturer au nom de Dieu m’est insuportable, mais deux éléments dans ce roman allège ma lecture : les moments où l’auteur décrit l’art du dessin ou de la gravure, ce sont des passages magiques et la fin puisque la destinée des personnages ne se termine pas sur un bûcher avec en plus une note d’humour à propos d’une relique toujours exposée au Musée de Topkapi.

 

Citations

L’inquisiteur Pedro de Arbuès

L’inquisiteur de Saragosse est fatigué. Le fardeau de ses responsabilités lui pèse. Il aimerait tant revenir à l’étude. Dans un monastère isolé. Loin de cette capitale toujours en effervescence, de ce peuple au sang chaud. Il voudrait toucher des livres, caresser des manuscrits, guider les copistes dans leur travail. Plutôt que d’élever des potences, alimenter des bûchers. Mais il accomplit son devoir, jour après jour, sans rechigner. Pour instaurer le royaume de Dieu

Le noble pauvre en Espagne du 15 et 16 siècle

– Angel Maria Ruiz de la Cruz y Alta Messa
 Raquel et Léa répriment un fou rire. Leurs gloussements qu’elles tentent d’étouffer en se cachant derrière leur éventail, tintent gaiement au cœur du silence embarrassé des autres convives.
Habitué aux moqueries qu’attire sur lui un noble en guenilles, Angel de la Cruz s’assied comme si de rien n’était. 

Remarque intéressante

 

Il est bien placé pour savoir qu’un infirme possède toutes sortes de ressources pour pallier son invalidité. Et, qu’armé du courage qu’il lui faut pour la surmonter jour après jour, il est capable de bravoure plus qu’un autre mieux portant.

 

De cet auteur j’ai beaucoup aimé Villa des femmes . On retrouve dans ce roman le regard impitoyable et rempli de nostalgie de Charif Majdalani sur son pays : le Liban qui « fut » un si beau pays. Il analyse aussi avec une précision qui n’enlève rien à la poésie, les légendes qui ont constitué un clan familial dont le narrateur est un descendant du clan des Jbeili. Cette « dynastie » a été fondée par celui qui a donné son titre à ce roman « L’empereur ». Cet homme plus mythique que réel, a bâti sa richesse en débroussaillant des montagnes et en devenant collecteur d’impôts. Mais une terrible loi empoisonne ce clan, l’ancêtre avait décidé, pour que cet empire reste intact, que seul le fils aîné aurait le droit de se marier et avoir des enfants. Les cadets connaîtront des sorts tragiques ou seront attirés par des aventures dans le vaste monde. L’auteur sait parfaitement rendre compte des ambiances et des tourments dans lesquels vivent les différents membres du clan. Il fait toujours l’effort de distinguer la part de la légende familiale de ce que peut être la réalité, nous offrant par la même une analyse très vivante de la société libanaise et des différents destins de ceux qui choisissent l’exil.
Je dois avouer que ce roman m’a moins enthousiasmé que le précédent mais j’ai été absolument saisie par la fin : le Liban d’aujourd’hui, à l’image de notre planète, détruit tout son environnement de façon sans doute irrémédiable. Les rapports entre les hommes sont régis par l’argent et rien ne saurait arrêter le béton même quand les rivages d’un pays sont paradisiaques. Ils deviennent hideux à la vue de tous pourtant rien ne semble arrêter les projets les plus monstrueux les uns que les autres. Rien que pour ces dernières pages, il faut lire ce roman qui fait réfléchir au rôle de l’homme sur la planète.

Citations

Se rendre compte d’un ailleurs dès les premières pages

C’est très beau, pourtant, au-dessus de Ayn Safié c’est sauvage à souhait, ce sont plusieurs brefs plateaux, semés de chênes verts et d’arbousiers, avec des rochers aux formes animales, qui ensuite laissent la place à des dénivelés impressionnants, des rocs et des arbres sauvages qui s’accrochent à la montagne jusqu’au fond de la gorge où coule le ruisseau de Ayn Safié. On est si haut que les Éperviers qui passent semblent à portée de main, et l’on voit de là tout le pays, les maisons cachées sous leurs treilles, les plantations de mûriers, les chemins, les chapelles, les églises, les moulins, et c’est cette vue panoramique qui déclenche ce rictus satisfait sur le visage de l’empereur, quand il se dit qu’il a sous les yeux tout le pays et que, d’une certaine manière il le domine déjà.

Description dune région aux confins de l’Asie

Tout en progressant, Shebab mesurait l’espace du regard, comme depuis qu’il était parti il n’avait cessé de le faire. Ses yeux, dirait- il, étaient comme élimés et épuisés à détailler les confins immenses et sans borne. Il observait maintenant l’horizon plat du côté du lac et de ses marais alors que de l’autre côté, comme toujours, les montagnes gigantesque semblaient leur faire des signes, assises depuis l’aube des temps dans une indifférence hautaine et mystérieuse.

Un passage qui décrit bien le Liban comme on le connaît aujourd’hui

Lorsque, en ce temps-là, on suivait la situation du Liban depuis l’étranger, comme je le faisais, on pouvait avoir l’impression que le pays était en ruine. Le monde entier – je le voyais lors de mes voyages – assistait à la dévastation du centre de Beyrouth et des quartiers limitrophes des lignes de front, et pensait que c’étaient la ville dans son ensemble et le pays qui étaient ravagé. Or l’activité économique était frénétique et le commerce florissant, ce que les récits de ma mère ne cessait de me confirmer. Il y avait un autre secteur qui explosait littéralement, c’était celui de l’immobilier. Je ne pense pas qu’il existe au monde un pays où la guerre a entraîné autant non de destructions mais de constructions. Les déplacements de population, les migrations internes et aussi l’accroissement démographique explique cette fièvre dans le bâtiment, la flambée des prix des terrains, notamment dans les environs de Beyrouth non touchés par la guerre. La déliquescence de l’État et de ses moyens de contrôle, la désorganisation générale des services urbains, la corruption et la mainmise des partis sur les rouages administratifs permirent ensuite le développement anarchique de l’urbanisme qui saccagea le paysage, détruisit les montagnes et les alentours des villes. Assez tôt, dès le début des années quatre vingt, ma mère dans ses lettres s’est mise à me décrire les premiers dommages qui aujourd’hui, étant donné tout ce qui a suivi, peuvent nous paraître bénins. Mais c’était le début d’un cycle calamiteux dont les bénéficiaires étaient aussi bien les propriétaires de modestes parcelles et les petits entrepreneurs qui bâtissaient n’importe comment que les consortiums qui naquirent à cette époque, regroupant des hommes d’affaires, des entrepreneurs et des intérêts partisans et miliciens. Ces derniers groupes lancèrent des chantiers qui contribuèrent comme le reste, mais de manière plus systématique, à détruire les paysages et à ruiner l’environnement. Vous vous souvenez, bien sûr, même si vous êtes plus jeune que moi, qu’en quelques années les orangeraies du littéral nord avaient disparu, et avec eux les bourgs et les villages submergés par le béton, un béton qui grimpa à l’assaut des premiers contreforts autour de Beyrouth, détruisant les pinèdes et brouillant les échelles par l’érection d’immeubles dont la hauteur contrevenait a des lois dont plus personne ne se souciait. Je n’étais pas là pour voir ses transformations, je les ai découvertes avec horreur à mon retour, bien plus tard. Et j’ai également découvert alors comment des groupes financiers et les entrepreneurs avaient mis la main sur les plages publiques et défiguré la côte, débordant de tous côtés sur les terres agricoles non constructibles, ce qui nous vaut ce continuum urbain hideux à la place des kilomètres de littoral et de versants montagneux arborés.

L’après guerre au Liban

Un modèle dominait à ce moment, vous vous en souvenez, celui qui avait imposé les milliardaires au pouvoir. Mais il était si difficilement accessible que nombreux étaient ceux qui, voulant jouer les richissimes nababs, dépensaient sans compter pour chaque repas, chaque célébration, chaque mariage, après quoi les dettes les mettaient sur la paille. Des personnes très en vue disparaissaient soudain, d’autres apparaissaient puis disparaissaient à leur tour, tels des papillons imprudents s’approchant trop près tantôt du pouvoir, tantôt des oligarchie financière, et y brûlant aussitôt leurs ailes trop fragiles. Tout cela se jouait tous les jours sous les yeux des gens modestes, comme mes employés par exemple, et tant d’autres, qui assistaient à cet opéra un peu obscène avec envie et parfois des airs dubitatifs.

Une fin bien triste

Quoi qu’il en soit, j’ai refusé jusqu’à l’idée de ce projet de parc naturel. Je ne peux imaginer ces montagnes et ces gorges balisées par des sentiers, aseptisées et protégées par des miradors de militants écologistes. C’est comme mettre des animaux fabuleux en cage pour en protéger l’espèce. C’est ce que j’ai dit aux jeunes gens venus ici me proposer de préserver les lieux. Cette région vivra le destin qu’il attend, leur ai-je dit l’entropie est partout, le monde se défait, la laideur gagne à toute allure. Je leur ai dit que, dès l’instant où l’homme avait coupé le premier arbre, le phénomène s’était enclenché. Ici, il va plus vite qu’ailleurs, parce que nos concitoyens sont plus avides et les paysages plus vulnérables. Ils finiront par disparaître, comme tout, comme la terre entière qui un jour ne sera plus qu’un souvenir, et je me demande d’ailleurs dans la mémoire de qui. C’est peut-être cela la pire angoisse humaine, le fait que, un jour, plus rien dans l’immensité du cosmos ne se souviendra de quoi que ce soit de ce que les humains auront fait, de leur rêve, de leur aventure, de leur folie poétique, ne me de ce qu’ils ont reconstruit, bâti, il, ni de ce qu’ils auront pour cela même simultanément détruit, dévasté, ravagé.

 

Traduit du néerlandais (Belgique) par Daniel Cunin

 

Ce roman prêté par ma sœur, lui avait beaucoup plu car il se focalise sur un aspect peu connu de la guerre 14-18 vu du côté britannique, à savoir la minorité qui n’a pas participé à l’élan patriotique qui a conduit une génération à faire la guerre. J’ai partagé son plaisir de lecture et j’ai aimé les rapports entre les deux personnages principaux  : John le pacifiste et Martin le va-t-en-guerre. Ils ont grandi auprès de la même femme. La mère de Martin,madame Bombley, d’un milieu très pauvre et secoué par l’alcoolisme brutal d’un père marin, heureusement souvent absent, a été la nourrice de John dont la mère n’a pas survécu à son accouchement. Son père se réfugie dans la douleur et la passion pour les livres anciens qu’il ne lit pas mais qu’il collectionne. John Patterson est destiné aux études, malheureusement la guerre 14-18 viendra interrompre cette destinée.

Le choix de ces deux personnages permet à l’auteur de cerner au plus près le patriotisme en Grande Bretagne. C’est ma réserve par rapport à ce roman, les patriotes sont tous abrutis et seuls les pacifistes ont le courage de réfléchir. C’est intéressant de voir tous les procédés qui ont amené les Britanniques à s’engager dans une guerre qui, somme toute, n’était pas la leur. Par exemple des groupes de femmes qui décorent de plumes blanches les hommes qui ne s’engagent pas alors qu’ils pourraient le faire. Les agents recruteurs postés dans tous les endroits stratégiques de Londres qui entraînent tous les jeunes à vouloir au plus vite servir leur pays, les effets de la propagande qui représentent les Allemands comme des sauvages et qui annoncent victoire sur victoire des troupes anglaises. Face à cela, deux personnages qui s’opposent à la guerre et dont les personnalités sont très bien analysées et ont, cela se sent, toute la compréhension de l’écrivain.

Finalement, John s’engagera, lorsque son père sera tué, victime annexe d’un bombardement allemand avec un zeppelin. Il recherchera Martin et voudra savoir ce qui lui est arrivé. Ce sera encore l’occasion de détruire un peu plus l’image de l’héroïsme et dénoncer la cruauté des armées au combat.Tout ce qui est dit est vrai, sans doute mais explique mal l’élan de tout un peuple pour faire cette guerre. L’intérêt du roman, réside dans l’analyse de l’amitié conflictuelle qui lie Martin et John et aussi le portrait du père de John, le facteur qui ne supporte plus d’apporter les lettres annonçant la mort des soldats dans les foyers anglais. Le titre du roman est très important car si tout se joue sur le terrains au milieu des bombes et des balles qui fauchent les vies, l’auteur accorde une grande importance au courrier qui peut à lui seul changer le sort de ceux qui reçoivent ces lettres.

Le point de vue de cet auteur belge sur l’engagement britannique est original et très fouillé, mais j’ai vraiment du mal à croire que seuls les abrutis voulaient faire la guerre cela a dû jouer sur un ressort plus profond de la nation anglaise.

 

Citations

Comment influencer ceux qui ne sont pas assez patriotes

Quatre filles de mon année, qui m’avaient à quelques reprises accosté, lambinaient dans le couloir ; sans tarder, je partis dans la direction opposée alors que le garçon aux boucles, qui ne se doutait de rien, tomba dans leur piège. Je ralentis le pas pour écouter ce qui allait suivre. Comme je m’y attendais, les filles s’empressèrent de lui adresser la parole sur un ton méprisant.
« Qu’est-ce que tu fabriques au cours de Ker ? » lança l’une d’entre elles coiffée à la garçonne.
« On ne t’a jamais vu avant, fit l’autre. Tu t’es perdu ? »
« Tu as peut-être perdu ta maman ? gloussa la troisième.
 Le géant resta bouche bée. Bien souvent, la meilleure réponse réside dans le silence. Mais les étudiantes n’étaient pas décidés à lâcher leur proie.
« Tu veux qu’on t’aide à trouver ton chemin ? suggéra la fille à la physionomie garçonnière. Il y a un bureau de recrutement à deux pas d’ici. C’est là qu’est ta place. A moins que tu ne sois trop poltron pour te battre  ? »
 Le ton devenait plus agressif.

Pourquoi les jeunes se sont-ils engagés ?

Les gens sont des lemmings, reprit-il. Ils s’acharnent à marcher avec la multitude. Au sein de laquelle il se croit en sécurité. Qui les dissuade de réfléchir. De choisir. Suivant aveuglement le courant quel que soit l’endroit où il les même. Animés, et chauffés par l’haleine de la masse. Toujours plus loin. Entraînant tout et tout le monde. Jusqu’au jour où…

 

Andreï Makine est un auteur que j’apprécie et depuis longtemps. Je retrouve ici les thèmes qui l’obsèdent : les souffrances causées par le totalitarisme soviétique. Mais au-delà de cette folle idéologie meurtrière, il cerne ici plus précisément ce qui dans le comportement de chaque être humain , conduit à accepter l’inacceptable. Mais, justement, c’est un peu cela qui m’a fait moins adhérer à ce roman, je le trouve trop didactique, à force de vouloir nous prouver quelque chose, les effets deviennent attendus et le récit perd en intensité.

La traque d’un évadé d’un camp de personnes déplacées permet de cerner cinq personnalités qui ont toutes, de façons différentes sauvé leur peau face aux purges staliniennes en étant à des degrés divers de véritables ordures. L’un était commissaire politique pendant la deuxième guerre mondiale, il a fusillé un grand nombre d’officiers qui n’avaient rien fait, l’autre a participé à des liquidations de villages en Lettonie, tuant femmes et enfants, le moins « coupable » a vu sa femme et son enfant mourir de façon atroce durant le siège de Leningrad. Tous les cinq se tiennent par la peur d’être catalogué suspect par le commissaire politique. Une expérience tragique qui résume à elle seule la vie en 1952 en URSS. Lâcheté, bravoure, dénonciation, survie sont les balises qui tracent un chemin pour survivre et personne n’en sort indemne. La traque elle même nous fait découvrir la taïga et se termine dans une région aussi magique qu’effrayante le golfe de Tougour. Mais ce récit qui voit disparaître un à un les chasseurs au profit du fugitif perd d’intensité au fur et à mesure que les mêmes effets se répètent. La fin qui suppose une vie heureuse de deux êtres dans l’île de Bélitchy est peu crédible .

Citations

Une constante du comportement humain

J’étais fier de ne pas m’être abaissé à le dénoncer. Pourtant, je savais qu’il ne me pardonnerait pas ce geste d’humanité. Une constante psychologique dont j’étais curieux de vérifier la fatalité.

La femme aimée

L’infirmière, je l’ai épousée… Après la guerre, elle a pris sa revanche sur la faim, a grossi, est devenue même une belle femme, une femme d’officier, quoi, autoritaire, grincheuse, un peu caporal en jupon. Et l’autre, celle que je voyais en mourant n’existait plus… Les popes racontent comme quoi l’homme est puni pour ses péchés, bref, l’enfer et le feu éternel. Mais le vrai châtiment, ce n’est pas ça… C’est quand une femme qu’on a aimé disparaît… Comment dire ? Oui, elle disparaît dans celle qui continue à vivre avec vous…

Difficile d’être du bon côté en URSS sous Staline

En 1937, le jour du 20e anniversaire de la Révolution, le chantier du barrage fut relancé. Peu après, le nouveau chef de travaux allait être arrêté pour fait de sabotage antisoviétique. J’étais déjà capable de tirer ce bilan, si un mari jaloux n’avait pas tué mes parents, on les aurait emprisonnés parmi ces milliers de responsable accusés de gaspillage, de sabotage, d’espionnage… Alors, rejeton e ces traître à la Patrie j’aurais croupi dans une colonie de rééducation.

Les bourreaux après leurs crimes

Pendant la guerre, Louskass luttait contre les éléments « défaitistes » et les « éléments idéologiquement hostiles », comme on disait à l’époque. De bons officiers souvent. Il en a fusillé des centaines !.Il désignait vite fait un ennemi et, hop, le peloton d’exécution !Sans autre forme de procès. J’en ai croisé des types qui faisait le même sale boulot que lui. Certains, Et ce devait être le cas de Louskass, préféraient tuer avec leur pistolet de service. Question de goût. Une balle dans la nuque et le dossier est clos. Sauf que, tu vois,même s’il tirait dans la nuque, il ne pouvait pas ne pas voir, avant l’exécution, les yeux de tous ses soldats… Et maintenant dans son sommeil ses regards reviennent. Il tire, les nuque éclatent mais les yeux le vrillent . Et il hurle. Jusqu’à sa mort, ces yeux le poursuivront.

Sans doute le sens du livre

Durant cette veille, mes pensées luttaient contre l’insoluble simplicité de nos vies. Il y avait cette femme dans la nuit solitaire et, à si peu de distance d’elle, nous – ces hommes qui, quelques heures auparavant, était prêt à la torturer dans une saillie de bête… Les philosophes prétendaient que l’homme était corrompue par la société et les mauvais gouvernants. Sauf que le régime le plus noir pouvait, au pire, nous ordonner de tuer cette fugitive mais non pas de lui infliger ce supplice de viols. Non, ce violeur logeait en nous, tel un virus, et aucune société idéale n’aurait pu nous guérir.

De cette auteure j’ai lu et beaucoup apprécié « la femme de l’Allemand« , je retrouve ici son sens de la nuance et la volonté de ne pas juger avec des principes moraux si répandus une situation somme toute très banale. J’ai donc suivie l’avis d’Aifelle qui voit dans ce roman une façon pour Marie Sizun de combler les manques d’une généalogie incomplète.

Un homme, Léonard, aime sa jeune femme Hulda à qui il fait cinq enfants. Il embauche une gouvernante, Livia qui deviendra sa maîtresse et qui aura aussi un enfant de lui. Cet amour à trois, sous le même toit à quelque chose de destructeur et effectivement la santé d’Hulda ne résistera pas à cette situation. L’amour ancillaire (oui la langue française à un même un mot pour décrire cela ! faut-il que cette situation soit banale !) n’est pas le seul responsable de la destruction d’ Hulda. Cette très jeune fille suédoise de la très bonne société s’est entichée d’un séducteur français qui devra divorcer de sa femme anglaise pour pouvoir l’épouser.

Ce Léonard est bien étrange, amoureux de la littérature française il devient représentant en vin et « ses affaires » le retiennent très souvent loin de sa famille. Hulda exilée à Meudon ne trouve que dans Livia la gouvernante suédoise et aussi la maîtresse de son mari, une amitié qui la réconforte.C’est un triangle infernal et Marie Sizun a beau vouloir redonner une dignité à chacun de ses personnages, j’ai vraiment eu du mal à accepter le rôle de Léonard. C’est d’ailleurs le personnage le plus faible. On ne comprend pas, l’auteure ne le dit pas, pourquoi il fait de mauvaises affaires, et quelles sont les raisons qui le poussent à être toujours aussi loin de chez lui. Ce qu’on sait de lui le rend peu sympathique à quarante ans marié à une femme anglaise dépressive, il séduit une jeune fille de dix sept ans. Puis Leonard et Hulda forment un couple presque heureux tant qu’ils sont en Suède. Ils partent en France et ce représentant en vin laisse sa jeune femme se débrouiller à Meudon sans beaucoup d’argent et gérer la grande maison de Meudon et leurs quatre enfants. De son amour avec la gouvernante, on ne sait pas non plus grand chose, le talent de Marie Sizun arrive à donner un peu de consistance au portrait de Livia.

Marie Sizun explique qu’il s’agit d’un roman d’amour, je trouve que c’est un roman de l’enfermement, j’ai étouffé dans ce triangle et j’ai regretté que personne ne renvoie à Léonard Sèzeneau son rôle de prédateur que j’ai ressenti pendant tout le roman. Hélas ! seul le frère d’Hulda , Anders, a une vision assez juste de la personnalité de Léonard, il sent le piège qui se referme sur sa sœur, mais c’est aussi un personnage falot parasite incapable d’aider quelqu’un d’autre. Je comprends bien la volonté de Marie Sizun de retrouver un sens à cette histoire qui est en partie la sienne, mais il y a trop d’éléments qui lui manquent . Elle n’a pas voulu inventer et elle s’est en tenue au plus probable et au plus digne de chaque personnages. Je suis souvent restée sur ma faim trouvant en quelque sorte qu’il y avait bien des « blancs » dans cette histoire.

 

Citations

Le professeur français séduit sa jeune élève suédoise

Comme histoire, ici, se précipite !
Hulda a-t-elle osé, elle, la jeune fille sage, se glisser parfois dans l’appartement abandonné par la malheureuse anglaise ? De quelle façon les amants se sont-ils retrouvés , en quel lieu ? Personne n’a rien vu. Toujours est-il qu’au printemps 1868 le scandale éclate, soit qu’ils aient été surpris, soit que la petite ait parlé à sa mère : elle est enceinte. Un coup de tonnerre pour la famille du banquier. Sigrid Christiansson pleure beaucoup, son mari tonne, fulmine, se désole. Comment aurait-on pu prévoir une telle inconduite de la part d’une enfant si sérieuse, si pure ? Sa fille chérie, le trahir pareillement.

Noël en Suède

On prépare Noël. La maison n’a jamais été aussi lumineuse, aussi joyeuse, car on allume à plaisir lampes et bougies, on en met partout, jusque sur l’appui des fenêtres, et c’est beau dans la nuit toutes ces fenêtres éclairées. Les enfants, les bonnes sont tout excités à l’idée de la fête. Hulda elle-même se laisse gagner par cette gaieté. Avec Livia, elle parle de décoration de table, de sapin de Noël, de cadeaux. Comme tout semble harmonieux dans la musique des airs de Noël qu’elles jouent au piano à quatre mains, la gouvernante et elle, pour la grande joie des enfants !

Le drame

– Maman n’était pas malade, intervient Isidore. Elle était juste triste. D’être ici, dans cet affreux pays, comme nous, d’ailleurs, mais plus que nous. »

Surprise par la dureté de son regard, Livia regarde le petit garçon : « Je ne sais pas, Isidore. Et c’est vrai que la tristesse peut devenir une maladie… En tout cas, de bébé Alice n’y est pour rien, et elle a comme vous perdu sa mère. Elle a besoin de vous. »
 Et à travers les mots qu’elle s’entend prononcer, dont elle voit le reflet sur le visage des quatre petits, elle éprouve elle-même singulièrement la cohésion de ces enfants là, de cette fratrie, elle sent de façon presque douloureuse la force qu’ils représentent autour du bébé tous les cinq, dans la profondeur de leur unité. Alors qu’elle, la gouvernante, n’est et ne sera jamais qu’une étrangère.

 

Traduit de l’anglais par Ch.Romey et A. Rolet revue et préfacée par Isabelle Viéville Degeorges

Ainsi donc Keiha a éprouvé un grand plaisir de lecture avec ce court roman. Je n’avais jamais rien lu d’Anne Brontë ce qui n’est pas étonnant puisqu’elle n’a pas eu beaucoup de temps d’écrire avant de mourir de la tuberculose, comme trois de ses sœurs . Son frère a préféré mourir de la drogue et sa mère de cancer quand Anne avait 18 mois. Seule Charlotte survivra mais pas très longtemps. Quelle famille et quelle horreur que la tuberculose !

Ce roman autobiographie raconte le destin d’une jeune fille pauvre et éduquée. Elle a peu de choix même le mariage est compliqué car elle n’a pas de dot. Elle peut être institutrice ou gouvernante. Anne sera gouvernante et elle raconte très bien ce que représente cet étrange statut dans une riche famille anglaise du 19 siècle. Obligée de se faire respecter d’enfants qui méprisent les employés de leurs parents et qui, par jeu ou méchanceté, refusent d’apprendre. On sent que c’est une mission impossible et que les gouvernante ont bien peu de marge de manœuvre. Mais en lisant ce texte je me disais sans cesse qu’elle avait aussi bien peu d’idées pour intéresser ses élèves en dehors de les obliger à se fier à sa bonté et à son savoir. Elle semble fort regretter de ne pas pouvoir les frapper à sa guise. Du moins dans la première famille. Dans la deuxième, elle partage la vie d’une jeune beauté qui veut se marier mais qui auparavant exerce ses talents de séductrice sur tous les hommes du village dont le jeune vicaire qui a touché le cœur de la gouvernante. Je suis désolée Keisha mais cette romance sous l’autorité et la bénédiction de l’église est d’un ridicule achevé. La collection Arlequin fait dans le hard à côté de cette histoire d’amour. Sans l’analyse du rôle de la gouvernante dans la bonne société anglaise ce roman n’a aucun intérêt mais, il est vrai, que c’est bien le sujet principal du roman. Pour le style, on savoure l’imparfait du subjonctif et les tournures vieillottes. J’ai plus d’une fois été agacée par ce procédé de style dont elle abuse du genre :

Pour ne point abuser de la patience de mes lecteurs, je ne m’étendrais pas sûr mon départ. …. 
J’avais envie de lui dire, « et bien si, étends-toi ou alors n’en parle pas ! »

Citations

L’éducation britannique

Quelques bonnes tapes sur l’oreille, en de semblables occasions, eussent facilement arrangé les choses ; mais, comme il n’aurait pas manqué d’aller faire quelque histoire à sa mère, qui, avec la foi qu’elle avait dans sa véracité (véracité dont j’avais déjà pu juger la valeur), n’eût pas manquer d’y croire, je résolus de m’abstenir de le frapper, même dans le cas de légitime défense. Dans ses plus violents accès de fureur, ma seule ressource était de le jeter sur son dos et de lui tenir les pieds et les mains jusqu’à ce que sa frénésie fût calmée. À la difficulté de l’empêcher de faire ce qui ne devait pas faire, se joignait celle de le forcer de faire ce qu’il fallait. Il n’y arrivait souvent de se refuser positivement à étudier, à répéter ses leçons et même à regarder sur son livre. Là encore, une bonne verge de bouleau eût été d’un bon service ; mais mon pouvoir étant limité, il me fallait faire le meilleur usage possible du peu que j’avais.

Le statut de gouvernante

Je retournai pourtant avec courage à mon œuvre, tâche plus ardue que vous ne pouvez l’imaginer si jamais vous n’avez été chargé de la direction et de l’instruction de ces petits rebelle turbulent et malfaisants, qu’aucun effort ne peut attacher à leur devoir, pendant que vous êtes responsable de leur conduite envers des parents qui vous refusent toute autorité. Je ne connais pas de situation comparable à celle de la pauvre gouvernante qui, désireuse de réussir, voit tous ces efforts réduit à néant parce qu’ils sont au-dessus d’elle et injustement censuré par ceux qui sont au-dessus.

 

j’ai encore une fois trouvé cet auteur sur la blogosphère et je m’en félicite. Il se trouve que je l’ai lu deux fois car j’ai été isolée dans un endroit avec ce seul livre comme lecture possible, alors comme autrefois dans ma jeunesse, j’ai relu ce livre tout doucement pour ne pas le finir trop vite.Et j’ai été très sensible à la langue et par moment une réflexion sur les mots, ceux venant du patois comme « empurgué » qui désigne à la fois la naissance et la mort. Telle une tragédie antique le roman tient en une journée de 1961. Mais finalement la clé du livre est donnée dans un court texte qui lui se passe 2011 et raconte un fait historique peu connu de 1940 dans la ligne Maginot le combat et la résistance de l’armée française à Schœnenbourg . Le roman évoque un petit village d’Auvergne c’est l’époque du remembrement et de l’arrivée de la télévision. Des personnages complexes que l’on ne peut pas juger facilement. Un geste héroïque d’un père qui sait depuis 1940 ce que veut dire la guerre. Et enfin un moment de notre histoire très mal racontée par nos livres d’histoire et très déformée dans notre inconscient collectif : la ligne Maginot. Nous suivons d’abord les pensées d’Albert qui n’a jamais su trouver les mots pour raconter sa guerre à ses enfants. Il sait une chose Albert, il ne veut pas de la modernité que sa femme aime tant. Et le remembrement qui s’annonce signifie pour lui la fin de son monde car il se sent plus paysan qu’ouvrier chez Michelin. Puis les pensées de Gilles, ce petit bonhomme de CM2 qui a trouvé dans les livres sa raison de vivre et qui, ce jour là, est plongé dans « Eugénie Grandet ». En cheminant dans ce roman trop difficile pour lui, il ouvre peu à peu les portes de la compréhension de la vie. C’est merveilleusement raconté. Et puis il y a la belle Suzanne, la mère d’Henry soldat en Algérie né avant la guerre 39/45 et de Gilles né après. C’est la femme d’Albert qu’elle a cessé d’aimer.

Tout le roman tourne autour de l’arrivée de la télévision car l’émission phare de la seule chaîne alors diffusée « 5 colonnes à la une » consacre un reportage aux soldats d Algérie. Henry est interviewé à l’occasion. Sa mère ne manquerait pour rien au monde ce moment de revoir son fils. Les conséquences seront tragiques.
Il y a aussi la mère très âgée qui perd parfois la tête, et la sœur d’Albert qui a choisi la modernité et le communisme.
Voilà donc un moment de vie dans la campagne en 1961 et pour moi la découverte d’un écrivain qui a su évoquer en une seule journée trois guerres, celle de 14/18, le père d’Albert en est revenu victorieux, celle de 39/45 dont Albert est revenu muet et vaincu et celle d’Henry son fils qui risque sa vie même si personne ne comprend très bien ce qu’il fait dans ce pays si lointain. Je sais que ce roman restera gravé dans ma mémoire et que je ferai de nouveau confiance à cet auteur pour m’embarquer dans son univers .

Citations

Explication du titre

In extremis, il réussit à ravaler ses pleurs sous ses paupières et à les manger dans ses yeux. Ça le brûlait tellement qu’au moment où il les rouvrit il crut avoir perdu la vue. Il n’en revenait pas de ce séisme au-dedans, lui qui ne versait jamais une larme, pas même aux enterrements, pas même à l’enterrement de son père. Un homme qui pleure, ça n’avait pas de sens. Sauf parfois les vieux. Il avait déjà remarqué que, à partir d’un certain âge, les hommes n’hésitaient pas à sortir leur mouchoir, pour presque rien. Il se souvenait du père Pelou qu’il avait aidé, il y avait plusieurs années de cela, à retourner la terre de son potager. L’homme avait été une force de la nature mais, après de 80 ans, il n’avait plus un muscle dans les bras et, malgré son grand âge, il devait encore nourrir un fils impotent que le reflux de 14 lui avait ramené comme un un déchet. Incapable de le remercier du service rendu, le vieil homme s’était mis à trembler comme une feuille. C’était son corps tout entier qui pleurait sans pouvoir s’arrêter. Et pourtant Dieu sait qu’il n’avait pas été tendre dans sa vie celui-là, surtout pas avec sa femme, une sainte, qui s’epuisait à s’occuper de leur fils unique condamné à vie dans sa chaise roulante. En vieillissant les hommes pleurent. C’était vrai. Peut-être pleurait-il tout ce qu’il n’avait pas pleuré dans leur vie, c’était le châtiment des hommes forts.

Un fait historique peu connu

Je suis allé plusieurs fois visiter le fort de Schœnenbourg pour écouter ce silence de la plaine. À un moment, il faut renoncer aux mots et donner les chiffres. Seulement 22000 soldats français ont vaincu 240 000 Allemands en Alsace et en Lorraine, et seulement 85000 autres soldats français alpin dans leurs alpins dans leurs champignons de béton ont arrêté près de 650000 Allemands et Italiens. Pas un ennemi n’est passé sur la ligne Maginot, tant que des soldats sont restés à leur poste. Pas un ! Et quand l’armistice entra en vigueur le 25 juin, les soldats ne capitulerent pas pour autant, et continuèrent à se battre comme des chiens ou comme des dieux. Ils voulurent vaincre ici, puisque ailleurs tu t’étais déjà perdu, uniquement pour l’honneur de leur père et surtout pour faire la preuve non pas de leur courage (ils étaient bien trop humbles pour ça), mais de l’efficacité du plus grand projet de fortification jamais pensé ni réalisé, ni égalé en Europe et qui les avait rendu invincibles eux- mêmes. Le muscle de béton avait parfaitement joué son rôle et tenu ses promesses, et même au-delà. Si le haut commandement avait fait son travail au nord, donné les ordres au bon moment, ou si la Belgique avait opté pour un prolongement de la ligne Maginot sur ses frontières à l’est au lieu de préférer la naïve neutralité qui leur a coûté beaucoup plus cher en vies humaines, le cours de l’histoire eût été tout autre.

Les Américains en 1918 et Maginot

Fini, enfin, d’appeler à notre rescousse ces américains si mal élevés qui refusaient que leurs soldats noirs participent aux célébrations de la victoire. Saviez-vous que ce sont les paysans français qui sont allés chercher les soldats noirs dans leur caserne où leurs maîtres blancs les avaient bouclé à double tour. Et, malgré le règlement américain, ces mêmes paysans ont jeté ces esclaves dans les bras de leurs filles pour danser sur les places de tous les villages. Ils ont aimé l’accordéon, ces noirs qui ne connaissaient que le jazz. Pourquoi croyez-vous que la France fut une terre bénie pour les jazzmen qui arrivèrent à Paris au moment où Maginot justement réfléchissait à la façon d’éviter que le massacre recommence un jour ? Le jazz, c’est la musique de l’idéal, le blues, c’est la musique du spleen. Ça jouait du jazz partout, et l’armée cherchait aussi à sa façon à faire écho à cet idéal. Enfin, toutes ces raisons additionnées donnaient une réponse claire, il fallait éviter qu’un jour autant d’hommes meurent pour sauver leur pays. Après tout, ce n’est pas aux hommes de sauver leur pays, c’est au gouvernement. Maginot en était convaincu.

J’aime réfléchir sur les mots

 Mais est-ce que ça pouvait vraiment être ça le bonheur ? Il chercha dans le dictionnaire , qu’il avait aussi emprunté à son frère , l’étymologie de ce mot . Il découvrit que le bonheur n’était pas cet état de béatitude qu’il avait imaginé, le bonheur était un présage, le présage du bien, comme le malheur était le présage du mal. C’était juste une promesse.

Le charme du patois

Albert connaissais aussi le miracle de cette langue ancienne des paysans ou le feu meurt à tout jamais, alors que les hommes s’éteignent pour naître dans la mort. On ne disait pas que quelqu’un était mort, on disait qu’il s’était éteint puis « empurgué ». Le mot oublié remonta en lui pour le consoler. L’Empurgar ! Le seul mot qui désignait en patois la naissance dans la mort, un mot gaulois sûrement, qui n’existait pas en français, le seul mot qui devait apaiser Madeleine en secret.

Le plaisir des livres

Eugénie Grandet était le premier grand roman qu’il lisait, sans savoir que c’était un grand roman. Dès les premières lignes, sa confiance en ce qui était écrit grandit au fur et à mesure de sa lecture. Dans le livre, on ne parlait pas comme chez lui, à part Nanon peut-être, qui parlait un peu comme sa grand-mère. Les phrases étaient comme des routes de montagne avec des virages qui s’enchaînent les uns aux autres et au bout desquels se révèlent des paysages magnifiques. Elles étaient compliquées, même ardues quelquefois et, malgré cette difficulté, il comptait bien aller jusqu’au bout du livre. Les pages étaient encore scellées entre elles et, à l’aide du canif que son père lui avait offert, il coupait les pages les unes après les autres avec un plaisir équivalent à celui d’un explorateur obligé de couper la végétation pour se frayer un chemin dans une forêt épaisse et noire, attaqué lui aussi par les mouches qui se multipliaient dans la chaleur.

Découverte du roman de Balzac et les pleurs d’un homme.

Le cousin d’Eugenie était inconsolable. Gilles, plongé dans un nouveau chapitre du roman, chassait machinalement les mouches qui brouillaient les lignes noire et genait sa lecture. Charles venait d’apprendre la mort de son père. C’était pour l’éloigner du drame que le vieil homme ruiné l’avait envoyé à Saumur, chez son oncle. Il était perdu, le pauvre garçon. Ninon, la bonne à tout faire, et Eugenie cherchaient par tous les moyens à soulager la peine de ce jeune homme si différent de tout ce qu’elles connaissaient , et qui n’arrêtait pas de pleurer. Ça, c’était curieux. Gilles savait qu’un enfant pouvait pleurer, que sa mère pleurait quand elle lisait les lettres d’Henri, mais un homme ! Charles Grandet était un homme déjà. Gilles n’avait jamais vu son père pleurer, ni aucun homme autour de lui, pas même Henri. Alors, de quoi était fait ce Charles qui s’effondrait des nuits entières, comme une fille, écrasé dans ses oreillers ?

 

Traduit de l’anglais … je ne peux pas vous dire par qui car ce n’est pas indiqué sur mon livre (et c’est bien la première fois !)

J’ai trouvé ce petit livre de poche dans une vente de livres d’occasion et sans les propos que j’ai souvent entendus à propos de la beauté des nombres premiers en mathématiques je ne l’aurai pas lu. Merci, à ma plus jeune fille professeur de mathématiques d’avoir ouvert ma curiosité à une science si éloignée de mes préoccupations habituelles. Ce roman est une petite merveille car il va promener son lecteur dans l’histoire des nombres et surtout la difficulté de démontrer les choses les plus simples. Tout tourne souvent dans la théorie des nombres sur les nombres premiers. Ma science étant toute fraîche, je vous rappelle qu’un nombre premier n’est divisible que par un et par lui même. Depuis des plusieurs siècles de grands savants veulent démontre la conjecture de Goldbach à savoir :

Tout nombre pair supérieur à 2 est la somme de deux nombres premiers.

Ce roman a donné l’occasion d’un lancement original : paru en 2000 en Grande-Bretagne, la maison d’édition anglaise a promis 1 million ds dollars à celui qui apporterait la démonstration de la conjecture avant 2002 … la somme n’a jamais été réclamée !

Doxiadis choisit de nous raconter les mathématiques grâce à un jeune étudiant, le narrateur, neveu d’un génie son oncle totalement rejeté de sa famille. Petros, cet oncle, qui fut un enfant précoce et génial en mathématiques est devenu la brebis galeuse de la famille car il n’a rien fait de ses talents. Tout cela parce que la seule chose qu’il ait jamais voulu prouver c’est la fameuse conjecture de Goldbach. Le père du narrateur, le frère de Petros essaie d’inculquer à son fils la seule ligne de conduite qui lui semble porteuse d’une vie réussie bien loin de la folie de son frère

Le secret de la vie, c’est de se fixer des buts accessibles, des buts plus ou moins difficiles au gré des circonstances, selon son tempérament, ses aptitudes, mais toujours ac-ces-si-bles ! Je me dis que je ferai bien s’accrocher le portrait de Petros dans ta chambre avec l’inscription : EXEMPLE À ÉVITER.

Mais interdire des études n’empêcheront évidemment pas le narrateur de s’y lancer et d’essayer de comprendre son oncle. Commence alors le voyage vers les hautes sphères des mathématiques et la connaissance de savants aux cerveaux les plus brillants de notre époque. Hélas ! ceux-ci se révèlent souvent un peu, ou complètement fous et si peu équilibrés dans leur vie personnelle que cela ne donne pas envie de les suivre. Surtout que les coups bas entre eux ne grandissent pas leur image. Cependant la « presque » découverte de la solution est enivrante et on est pris par la recherche de Petros que l’on comprend de mieux en mieux. Le roman est bien construit, car si l’on sait que cette conjecture n’a pas été découverte, la façon dont l’auteur termine son enquête est très intelligente. Petros est-il devenu fou à force de se confronter aux nombres de façon de plus en plus abstraite et surtout de façon de plus en plus solitaire ou avait-il trouvé la solution.

La lecture de ce roman s’adresse à tout le monde, évidemment on ne comprend pas tout mais les passages qui demandent de réelles capacités mathématiques n’enlèvent rien à l’intérêt du roman. Je n’ai aucune réserve sur ce livre, car il correspond à ce que j’attends : un voyage vers des contrées complètement inconnues (les nombres premiers) un suspens bien mené, et des caractères de personnages complexes. On aurait pu penser que la grande intelligence rend les hommes meilleurs, mais non l’oncle Petros est avant tout un homme pétri d’orgueil et malmène son neveu de façon peu sympathique, sans pour autant avoir complètement tort.

 

 

 

Citations

Urgence des découvertes en mathématiques

Petros se rappelait de consternantes données statistiques : dans la longue histoire de cette discipline, personne n’avait jamais rien découvert de notables passé trente cinq ou quarante ans.

Les tourments des mathématiciens

L’absence apparente de tout principe infaillibles pour la distribution ou la succession des nombres premiers tourmente les mathématiciens depuis des siècles et rend particulièrement fascinante la théorie des nombres. C’était là que résidait le plus grand mystère de tous, le seul digne d’une intelligence hors pair : les nombres premiers étant les éléments de base des entiers et les entiers la base de notre compréhension logique du cosmos, comment admettre que leur forme ne soit pas déterminée par une loi ? Pourquoi la géométrie divine ne se manifeste-t-elle pas en l’occurrence ?

Les mathématiques

Les mathématiciens éprouve le même plaisir dans leurs études qu’un joueur d’échec dans une partie. En réalité, l’attitude psychologique d’un véritable mathématicien est plus proche de celle d’un poète ou d’un compositeur, c’est-à-dire de quelqu’un qui a affaire avec la création de la beauté, qui recherche l’harmonie et la perfection. Il se tient exactement aux antipodes de l’homme pratique, de l’ingénieur, du politicien ou de l’homme d’affaire.

 

Naître mathématicien

Cependant, je tirai de cette séance un profil supplémentaire inespéré. Mes derniers scrupules sur le bien-fondé de ma décision de renoncer aux mathématiques ( en sommeil toutes ces années) s’évanouirent en un clin d’œil. Assister à l’exposé de mon oncle confirma pleinement que je ne m’étais pas trompé. Je n’étais pas fait du même matériau que lui, point final. Face à l’incarnation de tout ce que je n’étais pas, j’étais foudroyé par la vérité de la vieille scie :  » Mathematicus nascitur non fit ».  » On naît mathématicien, on ne le devient pas ». Je n’étais pas né mathématicien et j’avais bien fait de briser là.

 

 

Traduit de l’anglais Etats-Unis par Aline AZOULAY

 

Un article sur le blog de Keisha m’a conduite à m’intéresser à cette auteure. J’attendrai que sa trilogie (Un siècle américain) soit traduite entièrement pour la lire, car je n’ai pas cette cette chance incroyable de pouvoir lire en anglais. (Heureusement les traducteurs, en l’occurrence pour ce roman une traductrice, font un excellent travail !). Je suis donc partie dans la vie de Margaret Mayfield de 1883 à 1942. Et n’en déplaise à certaines que je ne nommerai pas, le roman commence par la fin grâce à un prologue qui devrait plutôt se nommer « post-logue » nous sommes en 1942 pendant quelques pages. Nous sommes dans un lieu où des Japonais ont été regroupés aux Etats-Unis car ce pays est en guerre contre le Japon. Si leurs conditions de vie ont peu de choses à voir avec les camps japonais ou nazis, ce sont quand même des conditions de vie très rudes où l’humanité a peu de place. Ensuite nous suivons cette Margaret et surtout sont très curieux mari le capitaine Early. Voici un personnage fort intéressant et peu souvent l’objet de romans. Il s’agit d’un scientifique raté, les deux termes sont importants, il est vraiment scientifique et fait des recherches incroyables et parfois à la limite du génial, mais raté car ses convictions l’emportent sur la raison. Il passera une grande partie de sa vie à dénoncer les erreurs d’Einstein et essaiera de convaincre la communauté scientifique de son charlatanisme. Il se mettra à dos tous ses confrères scientifiques et fera le malheur autour de lui. Margaret sent que son mari ne tourne pas très rond, mais elle a peu de moyen de le contredire, une seule personne pourrait l’aider la mère du colonel Early, malheureusement celle-ci disparaîtra dans le séisme de San-Francisco

Après la mort de sa mère Andrew Early m’a plus aucun frein à sa mégalomanie. Evidemment il trouve sur sa route des disciples pour flatter son ego et la tristesse de la vie de son épouse est accablante, surtout que celle-ci n’a pas pu avoir d’enfant. Je ne suis pas surprise que Jane Smiley ait écrit une trilogie de l’histoire américaine car dans ce roman déjà , les personnages sont très ancrés dans l’histoire des Etats-Unis. C’est d’ailleurs un ressort important de ce roman. La personnalité de Margaret m’a laissée assez froide, je comprends mal sa passivité ou son peu d’intérêt pour son mari . Je trouve que cet entre deux est agaçant, elle ne mène pas sa propre vie le titre français le dit assez bien elle est « à part » .

 

Citations

Portrait d’un américain le grand père du personnage principal à la fin du 19 siècle prononcé par le prêtre à sa mort.

John Gentry fit son entrée dans l’état du Missouri assis à l’arrière d’un chariot. Enfant du Sud, il prouva son patriotisme à une nation élargie et gagna le respect des deux parties.
 — Certes, mais le fusil à la main, murmura Lavinia.
Il prit soin de ses esclaves et, après ça, de ses domestiques, de ses ouvriers agricoles, de ses mules, de ses arpents, de ses chevaux, de ses filles et de ses petites filles. Il continua à entretenir des rapports avec ses amis et ses relations des deux camps, ce que l’on ne saurait dire de beaucoup de Missouriens. Et ainsi, il prit soin de son âme. Aussi, nous comptons bien le retrouver là-haut, où il est certain qu’on lui a déjà attribué quelques charges.

Coïncidence

Je viens de regarder un documentaire à propos de Tesla cela correspond à l’idée que j’avais de lui .
-Que pensez-vous de Tesla ?
Nikola Tesla ! Enfin du véritable talent, quoique européen jusqu’à l’os. Vous l’avez rencontré ? Oui.
Un homme étrange, reprit Andrew. Bavard. Il vous interrompt sans cesse pour développer ses idées. Il ne vous écoute pas, en fait, même si vous comprenez parfaitement ces idées et que vous en avez une meilleure à lui exposer.

Le mariage

Personne ne lui avait jamais dit ce qu’elle avait appris au fil des années, que le mariage était usant et terrifiant.

 

Le choix d’une épouse et le sort des femmes.

C’était lors de ce printemps-là qu’il lui avait fait sa demande, finissant par se conformer au choix de sa mère d’épouser une vieille fille du coin, inoffensive mais utile, qui pourrait prendre soin de lui. Margaret réfléchit un instant. Elle était certaine que Lavigna avait été au courant, et que les deux mères avaient communiqué à son insu. Avait-elle perçu que Margaret n’était pas dépourvu de cette fierté missourienne que possédait Andrew ? N’avait-elle alors songé qu’à la précipiter dans ce piège ? Sans doute. Lavinia n’avait jamais envisagé que les aspects pratiques du mariage. L’amour est toujours le premier acte d’une tragédie, disait-elle. Lavinia l’avait envoyée porter des châles et des plats à des dames solitaires et dépendantes pour lui montrer ce qu’était la vie d’une vieille fille : jeune, vous deviez rendre service à tout le monde, et une fois vieille, vous attendiez patiemment qu’on vous vienne en aide.

Phrases finales d’une femme qui est passée à côté de sa vie.

Je me rends compte que je m’en souviens à présent que j’ose y penser . Il y a tellement de choses que j’aurais dû oser.