Édition Le Tripode

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

mère d’une fille morte

Ne soyez pas étonné de ne voir aucun coquillage à propos de ce livre. On ne peut pas noter la douleur d’une mère qui a perdu sa fille de 21 ans, un soir, le 13 novembre au Bataclan. Sabine Guarrigue est une professeur de yoga et c’est sans doute dans la pratique de cette discipline qu’elle a trouvé la force de ne pas totalement s’effondrer. Son cri, ou plutôt ses mots, prennent la forme d’un long poème. Écrit sans majuscule, sauf celle du prénom de sa fille Suzon, et celui de son fils Paul. Sans ponctuation, sauf deux points d’interrogation. Et des questions cette femme doit en avoir beaucoup, et nous avec elle.

Je n’ai aucun avis sur ce livre, j’espère simplement que l’écrire l’a aidée un peu.

Extraits

 

Début.

il y a cette balle qui traverse ton front
puis ton corps qui monte comme au bûcher
le feu va dégommer toutes tes petites cellules
cette peau douce cette taille si fine cette robe
verte à fleurs qui soulignait ta féminité

Derniers vers d’une mère à son fils Paul qui était au Bataclan avec sa sœur, Suzon.

il y aura toujours ces corps laissés là 
sur le sol de cette salle de concert
Suzon
ce presque double de toi 
qui s’est envolée par la cheminée de ce bâtiment 
bariolé 
emportant cet enfant que tu étais encore un peu
la culpabilité sourde
le poids de la peur que je manifeste dès que tu es
loin de moi
la peur qui m’habite quand tu t’envoles toi aussi
dans d’autres sphères
la vie n’est elle faite que de cela ?
du poids des choses ?
je n’ai rien de mieux à t’offrir 
mais ça me semble une quête juste
alors 
vogue mon trésor 

 Édition Actes Sud,Traduit du turc par Julien Lapeyre Cabanes

 

Chaque œil qui lit les phrases que j’écris, chaque voix qui répète mon nom est comme un petit nuage qui me prend par la main et m’emporte dans le ciel pour survoler les plaines, les sources et les forêts, les rues, les fleuves et les mers. Et je m’invite sans un bruit dans les maisons, les chambres, les salons. 

Je parcours le monde depuis une cellule de prison.

C’est sur Facebook que j’ai vu passer ce livre, (comme quoi il s’y passe parfois des choses intéressantes !). Pour une fois je vais être impérative et claire : lisez ce livre et faites le lire autour de vous. D’abord parce qu’il faut savoir ce qui se passe sous Erdogan en Turquie, mais aussi parce que c’est l’oeuvre d’un grand écrivain qui sait nous toucher au plus profond de nous. Ahmet Altan est, avant tout, écrivain et il sait qu’aucun mur aussi épais soit-il ne peut tarir sa source d’inspiration et que si ses geôliers, suppôts du régime d’Erdogan, emprisonnent et cherchent à l’humilier l’homme, ils ne pourront jamais éteindre l’écrivain qui est en lui. Il sait, aussi, l’importance pour lui d’être lu par un large public, c’est pour cela que j’ai commencé de cette façon ce billet. Les hasards faisaient que je lisais en même temps un numéro de la revue « Histoire » sur le goulag. Et je me suis fait la réflexion suivante : certes la Turquie va mal, certes cet homme est privé de sa liberté mais ils n’est pas torturé, il peut faire de multiples recours judiciaires, il a pu écrire et peut-être, finalement sortira-t-il de prison, mais c’est loin d’être fait. En attendant il s’est trouvé des avocats assez courageux pour l’aider à faire découvrir ses textes à un très large public international ( partout, sauf en Turquie) . Feuillets après feuillets, mêlés entre les écrits de procédure, les conclusions et les documents de défense de ses avocats, Ahmet Altan a fait sortir son livre de prison, par pièces détachées, avant qu’elles ne soient rassemblées au dehors. Lisez les extraits que j’ai notés pour vous et j’espère que cela vous donnera envie de lire son essai en entier qui est un petit chef d’oeuvre sur l’enfermement, le pouvoir de l’écrivain, et la force de la littérature.

Citations

La prison à vie

À instant où la portière s’est refermée, j’ai senti ma tête cogner contre le couvercle de mon cercueil.

Je ne pouvais plus ouvrir cette portière, je ne pouvais plus redescendre.
Je ne pouvais plus rentrer chez moi.
Je ne pourrai plus embrasser la femme que j’aime, ni éteindre mes enfants, ni retrouver mes amis, ni marcher dans la rue, je n’aurai plus de bureau, ni de machine à écrire, ni de bibliothèque vers laquelle étendre la main pour prendre un livre, je n’entendrai plus de concerto pour violon, je ne partirai plus en voyage, je ne ferai plus le tour des librairies, je ne sortirai plus un seul plat du four, je ne verrai plus la mer, je ne pourrai plus contempler un arbre, je ne respirerai plus le parfum des fleurs, de l’herbe, de la pluie, ni de la terre, je n’irai
plus au cinéma, je ne mangerai plus d’œufs au plat au saucisson à l’ail, je ne boirai plus un verre d’alcool, je ne commanderai plus de poisson au restaurant, je ne verrai plus le soleil se lever, je ne téléphonerai plus à personne, personne ne me téléphonera plus, je n’ouvrirai plus jamais une porte moi-même, je ne me réveillerai plus jamais dans une chambre avec des rideaux.

Dieu et Saint Augustin

Mais cette fois, la lecture de Saint-Augustin m’a mis en rage.
Car il m’est apparu qu’il donnait raison à ce Dieu d’avoir créé la torture, la cruauté, la souffrance, le crime, la cage où j’étais enfermé, autant que les hommes qui m’y avait jeté.
Si je résume grossièrement, dans les limites de mon ignorance, la cause de tous ces mots était le « libre arbitre  » qu’Adam, le premier homme, avait pour ainsi dire inventé en mangeant la pomme.
J’étais donc en prison parce qu’un homme avait mangé une pomme.
C’était Adam créé par Dieu de ses « propres mains », qui l’avait mangée, c’était moi qui me retrouvais en prison.
 Il fallait en plus que je rende grâce au philosophe ?
 J’ai grommelé comme si le vénérable chauve était devant moi il me souriait, avec sa longue barbe, ses vêtements dépenaillés et son air doucereux.
« Dis donc toi, lui ai-je dit, quel est le plus grand pêché : manger une pomme ou mettre toute l’humanité au supplice à cause d’un type qui a mangé une pomme ?
 Puis j’ai ajouté plein de rage :
 « Ton Dieu est un pêcheur.

Les prisonniers

Dans le genre tableau de l’être humain en misérables repris de justice, rien ne valait sans doute cette pathétique procession d’hommes hirsutes et ébouriffés, avec leurs chaussons informes, leurs débardeurs crasseux et leurs pantalons froissés.
Au milieu de cet embouteillages que causait la confusion entre les ordres de marche qu’on nous hurlait dessus et notre maladresse à y obéir, tout ce qui faisait la personnalité extérieure de chacun disparaissait dans une sorte de bouillie humaine sans identité, et personne n’avait plus rien en propre, ni mimique, ni gestes, ni voix, ni démarche.
Dans cette espèce de brouillard grisâtre, la fortune lamentable de notre sort m’apparaissait au grand jour.

les médecins en prison

Et j’ai pensé : Si tu réussi à garder ta dignité même déculotté devant cette femme médecin, alors tu n’auras plus rien à craindre.
Puis elle m’a autorisé à remonter mon pantalon.
En sortant, je lui ai demandé : « Et vous, c’est quoi votre spécialité ? »
La réponse, du genre impérissable :
« Sage-femme. »

Motif de la condamnation à la prison à vie

Dès le début de l’audition nous avons demandé au juge.

« On nous arrêté à cause d’un message subliminal, et maintenant ce chef d’accusation a disparu. Qu’en est-il et pourquoi ? »
La réponse que nous a donné le juge avec un large sourire ironique mérite d’ores et déjà de figurer dans tous les manuels de jurisprudence et d’histoire du droit :
« Disons que nos procureurs aiment employer des termes qu’ils ne comprennent pas. »
En résumé, si nous croupissions depuis douze jours dans les cachots de la police, c’était à cause d’un procureur qui avait pris plaisir à employer un mot qu’il ne connaissait pas ! Le juge ne disait pas autre chose.

Description si vraie d’Istanbul mais de Paris aussi

J’habite dans un quartier où les sultans ottomans, jadis, avaient leur villa d’été, sises au milieu de grand jardin, et qui maintenant n’a plus que de gros immeubles avec de petits jardins… Dans ses jardinets attenants aux immeubles, on peut encore trouver des orangers, des grenadiers, des pruniers et des massifs de rose vestiges d’âge passé… Les descendants des sultans habitent toujours ici.

En prison de haute sécurité totalement isolé

L’unique fenêtre de la pièce, elle est aussi munie de barreaux, donnait sur une minuscule cour de pierre.
Je me suis allongé.
Silence.
Un silence profond, extrême.
Pas un bruit, pas un mouvement. La vie soudainement c’était figé. Elle ne bougeait plus.
Froide, inanimée.
 La vie était morte.
 Morte tout d’un coup.
J’étais vivant et la vie était morte.
 Alors que je croyais mourir et que la vie continuerait, elle était morte et je lui survivais.

Souffrance du prisonnier

Il est impossible de décrire cette nostalgie qu’on éprouve en prison. Elle est tellement profonde, tellement nue, tellement pure qu’aucun mot ne saurait être aussi nu, aussi pur. Ce sentiment que les mots sont impuissants à exprimer, ce sont encore les gémissements, les jappements d’un chien battu qui le dirait le mieux.

 Il faudrait, pour comprendre cette peine, que vous puissiez entendre la plainte intérieur des hommes emprisonnés, or vous ne l’entendrez jamais.
 Ceux qui portent cette douleur en eux ne peuvent la montrer, même a l’être qui leur manque le plus, pire, il l’a dissimule avec un peu de honte.

Encore Dieu

Nous vivons sur une planète où les vivants mangent les vivants. Les hommes ne se contentent pas de tuer d’autres créatures, ils s’assassinent aussi entre eux, constamment. Les montagnes crachent du feu, la terre s’ouvre, engloutit hommes et bêtes, les eaux se déchaînent, détruisent tout sur leur passage, les éclairs tombent du ciel.

Ici me semble résider l’un des paradoxes les plus curieux du genre humain, capable de concevoir que la terre, ce lieu affreux, puisse être l’oeuvre d’une puissance parfaitement bonne, et ainsi démontrer que les hommes sont dotés malgré la barbarie constitutive de leur existence, d’une imagination exagérément optimiste.
Il croit qu’une force à créer tout cela, mais au lieu de s’en plaindre et de la détester, il l’adule plein de gratitude et de reconnaissance.

Les puissants en prison

Je constatais que face à des coups de cette violence là, les gens habitué au pouvoir et à l’immunité sont bien moins résistants que les autres. Pour ces gens-là que le destin a toujours fait graviter dans les hautes sphères, la chute est plus brutale, l’atterrissage plus douloureux. Psychologiquement, la violence du choc les détruit.

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Je savais que je lirai cette BD , mes tentateurs habituels m’avaient convaincue , en particulier Jérôme. Je me réfugie vers les BD quand, parfois, les romans m’agacent ou se répètent , et que l’actualité me fait peur . La BD est souvent consolatrice et celle-ci, bien que très triste, a parfaitement joué ce rôle. Les personnages sont émouvants, le dessin très beau et l’histoire elliptique est chargée du sens que chaque lecteur et lectrice voudra bien y mettre. On peut sourire, par exemple en apprenant que si le personnage féminin s’appelle Épilie c’est parce que son père était enrhumé le jour où il a déclaré son prénom à la mairie. On part à l’aventure comme dans toute BD parce que « même si on est bien » le bonheur est peut-être ailleurs

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On s’instruit aussi et Gaston explique très bien le phénomène des marées. On est séduit par la tendresse et la naïveté affectueuse du petit Abélard et on compte sur Gaston pour l’aider, l’instruire et le protéger .

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Mais dans aucune autre BD , on ne trouve des messages de sagesse qu’on a tant envie de garder pour soi en les partageant avec tout le monde !

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20151010_105342Traduit, de façon si agréable que l’on pense que ce roman est écrit en français, par Laurent LOMBARD.

Après l’horreur du 13 novembre à Paris, nous devons, nous, les blogueurs et blogueuses amoureux des livres, surveiller qu’aucune petite lumière chargée de culture, d’espoir et d’humanité ne s’éteigne à jamais.

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C’est un article d’Aifelle, suivi de tous vos commentaires, qui m’ont dirigée vers cette lecture. Quel petit bijou ! Totalement inclassable, mais dans une langue si belle que l’on pourrait oublier la narration. Je comprends bien pourquoi toutes les blogueuses qui aiment l’évocation de la nature ont été subjuguées, moi j’y suis moins sensible et pourtant la langue poétique Antonio Moresco a su complètement me séduire. J’ai lu et relu les descriptions des arbres, des plantes, des vols d’hirondelles. Tout est d’une majesté mais aussi d’une précision à couper le souffle. Autant l’histoire ne se décide pas entre le réel et le surnaturel, autant les évocations de tous les éléments sont pratiquement l’œuvre d’un scientifique spécialiste de la nature. De l’infini petit jusqu’à de l’infini de l’univers. C’est grâce à cela que j’ai accepté de ne pas exactement comprendre si l’enfant et la petite lumière sont de notre monde ou pas, si le narrateur les rejoint dans l’infini de l’univers ou dans la mort. Un jour la nature sera là pour engloutir toutes les créations humaines à l’image de ce village de montagne abandonné par les hommes et régulièrement secoué par des tremblements de terre.

Citations

La beauté d’une description qui sonne juste

Quand il y a la lune, on voit distinctement, éclairé comme en plein jour par sa lumière spectrale, le talus de la petite route envahi par la végétation, les précipices d’où monte un bruit d’eau creusant son lit dans les antres sonores des montagnes imprégnées de pluie, les hautes silhouettes des arbres qui se découpent sur le ciel. Il n’y a que la nuit, dans la lumière lunaire, que l’on comprend ce que sont les arbres, ces colonnes de bois et d’écume qui s’élancent vers l’espace vide du ciel.

Un châtaigner et la question du livre

En face, plus bas, sur l’à-pic recouvert de forêts, se dresse un châtaigner moitié vivant et moitié mort. Sa haute cime s’élève, nue et blanche, sur le vert des arbres, pétrifiée, tandis que le reste est un déchaînement luxuriant de feuilles. Il y en a beaucoup d’autres comme ça, des châtaigniers surtout, je crois. Certains sont presque complètement morts, et se découpent sur la forêt dans leur évidence spectrale. Mais, de quelque point de ces troncs fossiles, quand c’est la saison, partent deux ou trois branches chargées de bogues à se briser.
Parfois je m’arrête devant un de ces arbres et je le regarde.
– Mais comment on peut vivre comme ça ? je lui demande. C’est impossible pour les hommes : ou ils sont vivants ou ils sont morts. Enfin, c’est ce qu’on croit…

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J’avoue ne connaître par coeur que la première strophe ! Depuis ma seconde au lycée, cela m’a toujours fait plaisir qu’une femme sache décrire le plaisir féminin. Je laisse la parole à Louise Labé , même si, parce qu’elle est une femme et qu’elle a vécu au XVIe siècle, l’on doute de son existence, ou qu’elle soit l’auteur de ces vers.

 Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie

 Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;

J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Voici pour moi le poème des poèmes … un des rares que je connaisse par cœur. Je l’ai choisi car je ne peux pas penser à la poésie sans penser à Apollinaire, ces vers me trottent dans la tête et « le pont Mirabeau » occupe une place à part, pour plusieurs raisons. En voici une : j’ai eu l’occasion , lors d’une exposition à la Bibliothèque Nationale, de voir les manuscrits des poèmes les plus connus.

Guillaume Apollinaire a écrit celui-ci d’une seule traite, il ne s’y trouvait qu’une seule rature. Pour moi, c’est magique d’imaginer qu’un homme puisse enchanter des générations d’amoureux de la langue poétique et qu’il l’a écrit d’un seul jet.

 Le pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Guillaume Apollinaire (alcools)

Merci Asphodèle

Je ne sais pourquoi…

 Je ne sais pourquoi

Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

Mouette à l’essor mélancolique,
Elle suit la vague, ma pensée,
À tous les vents du ciel balancée,
Et biaisant quand la marée oblique,
Mouette à l’essor mélancolique.

Ivre de soleil
Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
La brise d’été
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.

Parfois si tristement elle crie
Qu’elle alarme au loin le pilote,
Puis au gré du vent se livre et flotte
Et plonge, et l’aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie !

Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

Paul Verlaine, Sagesse (1881)

 

Quand je suis triste cette mouette à l’essor mélancolique emporte avec elle mon cafard au-dessus des flots.

La poésie du jeudi l’idée en revient à Asphodèle

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3
J’aime bien lire à propos de la guerre 14/18 . Je crois qu’on ne comprend bien l’Europe qu’en partant de cette guerre là. J’ai lu des livres d’historiens qui m’ont fait une très forte impression comme la grande guerre des français de Jean-Baptiste Duroselle.

Le travail d’un romancier qui prend cette guerre comme sujet n ‘est pas si simple , quoi dire sur un sujet que nous connaissons si bien. Echenoz prend le parti de la sobriété et du détachement , je suppose pour mieux faire ressortir l’horreur brutale de la guerre. En choisissant quatre destins, il nous offre , un mort, deux handicapés à vie, un fusillé. Et à l’arrière un enfant sans père et une usine de chaussures qui profite bien la guerre

J ‘ai trouvé que l’auteur semblait peu convaincu par son sujet et donc son roman ne m’a pas beaucoup touchée. On y retrouve, pourtant tout ce qu’on a entendu sur cette période.

 Citations

Le tocsin

Le tocsin, vu l’état présent du monde, signifiait à coup sûr la mobilisation. Comme tout un chacun mais sans trop y croire, Anthime s’y attendait un peu mais n’aurait pas imaginé que celle-ci tombât un samedi.

 Genre de discours du début de la guerre, il sonne vrai

Vous reviendrez tous à la maison, a notamment promis le capitaine Vatssière en gonflant sa voix de toute ses forces. Oui, nous reviendrons tous en Vendée. Un point essentiel, cependant. Si quelques hommes meurent à la guerre, c’est faute d’hygiène. Car ce ne sont pas les balles qui tuent , c’est la malpropreté qui est fatale et qu’il vous faut d’abord combattre. Donc lavez-vous, rasez-vous, peignez-vous et vous n’avez rien à craindre.

 L’équipement et les abérations des décisions de la hiérarchie militaire

… Un casque censé protéger l’homme plus sérieusement, mais dont les modèles initiaux étaient peints en bleu brillant. Quand on les a coiffés, on s’est d’abord bien amusés de ne plus se reconnaître tant ils étaient couvrants. Quand ça n’a plus fait rire personne et qu’il est apparu que les reflets du soleil produisaient d’attrayantes cibles, on les a enduits de boue comme on l’avait fait l’an passé pour les gamelles.

 L’horreur de la guerre

Canon tonnant en basse continue, obus fusants et percutants de tous calibres, balles qui sifflent, claquent , soupirent ou miaulent selon leur trajectoire, mitrailleuses, grenades et lance-flammes, la menace est partout : d’en haut sous les avions et les tirs d’obusiers, d’en face avec l’artillerie adverse….. Dans l’air empesté par les chevaux décomposés la putréfaction des hommes tombés puis du côté de ceux qui tiennent encore à peu près droit dans la boue, l’odeur de leur pisse et de leur merde et de leur sueur, et de leur crasse et de leur vomi…..

Et Echenoz conclue, c’est ce genre de phrase où on sent son détachement

Tout cela ayant été décrit mille fois , peut-être n’est-il pas besoin de s’attarder encore sur cet Opera sordide et puant.

On en parle

Jostein, par exemple

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3
J’ai lu ce livre dans le TGV entre Paris et Rennes, il a parfaitement rempli son rôle, celui de m’entrainer loin du train et du monde de ce jour là, rien que pour cela il mérite d’être dans mes préférences. Un livre de plus sur le nazisme, mais ceci n’est pas une critique, en tout cas pour moi, car l’intrigue se situe à un moment de l’histoire allemande à propos duquel je me suis toujours interrogée : le moment de la défaite, précisément au moment où les allemands sont encore nazis ou proches du nazisme et où le monde découvre les horreurs du régime. Quand et comment ont-ils changé leur regard sur ce qu’ils ont laissé faire et s’ils y ont participé, comment peuvent-ils survivre après que des jugements moraux leur sont imposés par une défaite militaire.

Le récit par le médecin de l’élimination des malades mentaux est particulièrement insoutenable et assez vraisemblable. Le roman lui-même est assez étonnant, l’intrigue se construit à travers les sensations d’une jeune adolescente complètement perdue et enfermée dans un silence rempli de souffrances et de méfiances , opposé à l’humanité d’un capitaine français. C’est peu vraisemblable mais on se laisse prendre car l’écriture est limpide souvent très belle.

Pour moi l’important n’est pas dans l’histoire mais dans la desciption du sentiment de malaise d’une population qui sait qu’elle a laissé l’irréparable se commettre sur son sol, dans son village. ( J’ai pensé à Semprun et son interrogation sur la conscience des habitants de Weimar tout proche de Buchenwald .)

Citations

La vieille femme prenait soin d’ordonner sans parler, d’un regard dur que percevaient même ceux qui lui tournaient le dos.

 

Ce peuple avait défié les lois de la pesanteur humaine dans un allègrement fanatique. On ne sentait ni regret, ni peur, ni culpabilité, il était simplement dégrisé, étourdi de n’être rien de plus que les autres, réduit jour après jour à trouver sa pitance. Le Reich millénaire déchu avait fait de ses hommes et de ses femmes de petits rongeurs anonymes surpris par l’hiver sidéral qu’ils avaient eux-mêmes soufflés à leur manière.

 On en parle

Livrogne très enthousiaste, plus nuancées les critiques sur Babelio.

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5
C’est le printemps des poètes et cet auteur Jean-Pierre Siméon , en est un des fondateurs , me semble t-il. Il a écrit bien d’autres recueils dont un qui m’a beaucoup touché et qui est déjà sur mon blog Lettre à la femme aimée au sujet de la mort. Il doit bien aimer écrire des lettres ce poète, car cette fois il s’adresse à tous ceux qui ne lisent JAMAIS de poésies, et il fait tout son possible pour leur expliquer qu’il existe quelque part dans le monde si vaste de la poésie un texte qui les attend. Je trouve cela tellement vrai !

La plupart des gens qui disent ne pas aimer la poésie en ont été dégoûtés par l’école, mais je suis persuadée que, s’ils pouvaient laisser leurs a priori derrière eux et venir avec leur sensibilité vers les poèmes, ils en trouveraient un qui soit pour eux. Ce livre, à cause des illustrations, s’adresse aux enfants ou au moins à la part d’enfance qui est en chacun d’entre nous, le texte est vraiment pour tout le monde enfant et adulte.

En ce printemps des poètes, il a sa place dans mon blog.

Citations

Faites confiance : il y a quelque part, qui n’attend que vous, le poème de Darwich, de Bashô, de Whitman, de Barnaud, de Villon, de Mandelstam, d’Hikmet, de Prigent, de Hafiz, de Chedid, je ne sais pas …

 

…..Mais je sais que ce poème

vous comprendra comme

on vous a rarement compris,

qu’il vous mènera vers les autres,

et désormais

vous ne pourrez plus

vous passez de poésie

qu’un myope de lunettes.