Édition l’olivier

Quel beau livre ! Et aussi, un roman qui permet de découvrir un fait totalement inconnu de la deuxième guerre mondiale et de connaître un peu mieux l’Île Maurice. Après « les rochers de poudre d’or » qui décrivait la pauvreté des familles indiennes qui étaient venues en croyant s’enrichir sur l’île Maurice, nous voici, en 1944, dans une de ces familles exploitée de façon éhontée par un planteur de cannes à sucre. Cette famille de trois garçons pourraient être moins malheureuse si le père n’était pas un homme que l’alcool rend mauvais et qui tape alors sans aucune retenue sa femme et ses enfants. Ses trois fils s’entendent bien et leur plus grand bonheur est d’aller chercher l’eau de la journée à la rivière. Ils ramènent tous les jours six seaux qui remplissent la citerne de leur pauvre masure. Un jour, une pluie extrêmement violente fait déborder la rivière et celle-ci devient un torrent si impétueux que deux frères sont emportés dans des flots charriant boue et énormes cailloux.

La famille déménage, on comprend bien que les parents ne peuvent plus vivre si près d’un lieu marqué par la mort de leurs deux enfants. Le père est devenu gardien de prison, il est toujours aussi violent et frappe toujours aussi fort sa femme et son dernier fils. La deuxième partie du roman permet de comprendre qui étaient les gens que son père gardait, parmi eux un enfant David. Les deux enfants tisseront un lien d’amitié alors qu’ils ne parlent pas la même langue mais ces deux petits de neuf ans presqu’aussi malheureux vont se comprendre et Raj le petit Mauricien voudra sauver David « le petit juif de Prague ».

J’aime la langue de Natacha Appanah et sa façon de construire ses récits, le seul roman qui m’avait moins convaincue était « la noce d’Anna » mais là je retrouve toute la violence contenue de « le ciel par dessus les toits « .

Je pense que cette écrivaine a connu de près la misère et les violences familiales que cela peut engendrer, elle connaît bien aussi l’île Maurice et je trouve extraordinaire la façon dont elle nous a fait connaître le drame des ces juifs refoulés d’Israël et dont l’Angleterre s’est débarrassée sur une île sans leur permettre de vivre dignement. Le petit Raj ne connaissait rien évidemment à la guerre qui se passait si loin de chez lui et le mot « juif » ne voulait rien dire pour lui. Mais ce seul mot faisait que David vivait en prison et lui était libre de ses mouvements (quand il pouvait échapper aux coups de son père !). Or c’est à travers ses yeux que nous voyons le drame se tisser, tel que le vieux monsieur qu’il est devenu essaie de se le rappeler. Une tragédie adoucie un peu par le personnage de la mère qui aime son fils et le sauve de la poliomyélite, car elle connaît les plantes qui guérissent.

J’ai beaucoup aimé la façon dont le récit est construit, le vieil homme connaît maintenant les raisons pour lesquelles il y avait des prisonniers juifs sur son île, mais quand il avait neuf ans il n’en avait aucune idée, et la mort brutale de ses frères l’avait tellement perturbé qu’il a voulu que David les remplace et, des conséquences que cela a entraînées, il se sent coupable encore aujourd’hui.

 

Citations

La misère des coupeurs de canne à sucre.

À la lisière de l’immense champs de cannes d’un vert ondulant sur la propriété sucrière de Mapou, commençait une série dégingandée de boxes, de huttes, de soi-disant maisons faites de tout ce qui tombait entre les mains de nos aînés et que l’on appelait le « camp ». Branche, bûches, bout de bois, souches, feuille de canne, brindilles, bambous, paille, palets de bouse de vache séchée, l’imagination de ces gens-là étaient infinie. Je ne sais pas comment j’ai survécu à la vie dans le camp, comment le petit garçon frêle et peureux que j’étais a pu traverser ces huit longues années. Ici, dès qu’un enfant tombait malade, la famille préparait tout de suite son lit mortuaire et, en règle générale, elle avait raison, la mort suivait la maladie, systématiquement, inexorablement.

La pluie tropicale.

À Mapou, la pluie était un monstre. on la voyait prendre des forces, accrochée à la montagne, comme une armée regroupée avant l’assaut, écouter les ordres de combat et de tueries. les nuages grossissaient de jour en jour, si lourds et goulus que le vent qui nous faisait tituber, au sol, n’arrivait plus à les chasser. Nous levions les yeux vers la montagne, quand la poussière nous donnait un répit et les soupirs de nos aînés nous préparait au pire.

Son père .

Mon père n’était pas meilleur ou pire que les autres. Il hurlait des choses que nous ne comprenions pas, chantait des chansons devenues incompréhensibles tant sa langue était lourde et gonflée d’alcool et nous prenions des coups si nous ne chantions pas comme il le souhaitait. Souvent, nous nous retrouvions dehors serrés contre ma mère et nous n’étions pas la seule famille dans ce cas-là. 
Que dire de plus sur ces nuits au camp ? Je n’avais pas l’impression d’être plus malheureux qu’un autre, mon univers commençait et s’arrêtait ici, pour moi, le monde était fait ainsi, avec des père qui travaillaient du matin au soir et rentraient chez eux, saouls , pour malmener leur famille.

La culpabilité du survivant.

Les yeux de mon père sur moi, ce regard qui noircissait de plus en plus, contre qui pouvait-il hurler, qui pouvait-il taper pour exorciser sa colère ? Et cette question au bout de sa langue, cette question qu’il n’a jamais pu prononcer tout haut mais que j’entendais à chaque fois que je passais à côté de lui, à chaque fois que sa main s’abattait sur moi, sur ma mère. Pourquoi toi ? Pourquoi toi, Raj, petit vaurien frêle, as-tu survécu ? Pourquoi toi ? Pourquoi toi ?

Découverte de David .

 Je ne sais pas si je dois avoir honte de le dire mais c’est ainsi. Je ne savais pas qu’il y avait une guerre mondiale qui durait depuis quatre ans, quand David avait demandé, à l’hôpital, si j’étais juif, je ne savais pas ce que ça voulait dire, j’ai dit non parce que j’avais la vague impression que juif désignait une maladie parce que j’étais dans un hôpital, je n’avais jamais entendu parler de l’Allemagne, je ne savais pas grand chose en réalité. J’avais trouvé David, un ami inespéré, un cadeau tombé du ciel et en ce début d’année 1945, c’est tout ce qui comptait pour moi.

 

L’étoile de David.

C’est aussi ce jour-là qu’il m’a montré sa médaille et qu’il m’a parlé de l’étoile de David et moi, pauvre idiot, pauvre naïf, pauvre gosse né dans la boue, moi, vexé comme un pou. et puis quoi encore ? peut-être que la forêt s’appelle la forêt de Raj ? Comment une étoile pouvait porter son nom, hein, pouvait- il me le dire ? Il me prenait pour un gaga ou quoi ? 
Mon ami serra son étoile et me dit que ce David-là était un roi. Et alors ? Raj aussi voulait dire roi !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Édition Odile Jacob

Cet auteur fait partie des penseurs contemporains que je peux lire jusqu’au bout. Ce n’est pas forcément un gage de qualité pour sa pensée car je reconnais humblement que j’ai beaucoup de mal à lire les auteurs abstraits. Autant, quand ils expliquent leur pensée oralement, je suis parfois passionnée, je me procure alors leur livre mais je constate souvent que j’ai beaucoup de mal à les lire. Pour Cyrulnik ce n’est pas le cas, car il mêle toujours du narratif à l’abstraction et cela rend ses livres passionnants pour moi.

Dans ce livre-ci, il essaie de cerner ce qui fait qu’un être humain garde son libre arbitre où bien se soumet au groupe et peut alors commettre le pire.

Bien sûr, il démarre par cette pure horreur : pourquoi alors qu’il avait sept ans des allemands ont décidé de le tuer ? Et s’il a survécu, il lui faudra de nombreuses années pour oser dire devant l’opinion française ce qui s’est effectivement passé. Ensuite, il analyse sous plusieurs angles d’attaque toutes les circonstances qui ont permis à des hommes et des femmes de prendre des décisions qui iront dans le sens de la dignité humaine ou au contraire dans l’abjection.

Ce livre est très difficile à résumer, mais ce que l’on peut dire c’est qu’ensuite on a vraiment envie de faire partie des adultes qui n’accepteront pas d’obéir aux dogmes ambiants sans exercer leur pensée critique. Je trouve très intéressant qu’il se mette lui-même en cause en tant que médecin. Il était neuro psychiatre quand on faisait encore des lobotomies et s’il n’en a pas fait lui-même il a vu très peu de médecins s’y opposer. Comme nous venons de vivre une époque où la doxa médicale était très difficile à mettre en cause, j’ai été très sensible à ce qu’il décrit. Il prend un moment un exemple que j’ai trouvé tellement parlant, quand il était jeune médecin on était persuadé qu’il ne fallait pas endormir localement des plaies avant de les suturer, car cela risquait de moins bien cicatriser. Il a donc fait ainsi en faisant souffrir des enfants, alors que finalement il n’y a aucune raison médicale de ne pas anesthésier les plaies avant de les recoudre.

Comme vous le voyez ce que je retiens ce sont tous les exemples que cet auteur prend pour illustrer ses propos. mais j’ai noté beaucoup de passages pour que vous puissiez cerner sa pensée.

Je vous conseille vraiment la lecture de ce livre ou d’écouter ce penseur si humain que cela fait du bien de faire partie de la même humanité que lui.

 

Citations

Les enfants et les discours totalitaires.

 Les enfants sont les cibles inévitable de ces discours trop clairs parce qu’ils ont besoin de catégories binaires pour commencer à penser : tout ce qui n’est pas gentil est méchant, tout ce qui n’est pas grand est petit, tout ce qui n’est pas homme est femme. Grâce à cette clarté abusive ils acquièrent l’attachement sécurisant à maman et à papa à la religion aux copains d’école et au clocher du village. Cette base de départ permet d’acquérir une première vision du monde, une claire certitude qui donne confiance en soi et aide à prendre place dans sa famille et sa culture.

Des idées simples et intéressantes.

 Pour Darwin l’homme, mammifères proche du singe, peut s’arracher à la condition animale grâce a un cerveau qui lui donne accès au monde de l’outil et du verbe. Pour lui, les êtres vivants ne sont pas hiérarchisés, ils s’adaptent plus ou moins bien aux variations du milieu. C’est le plus apte à vivre et à se reproduire dans ce milieu qui sera favorisé par la sélection naturelle, ce n’est pas forcément le plus fort. Une telle pensée écosystémique ne pouvait pas satisfaire ceux qui aiment les rapports de domination. Quand Freud percevait une différence entre deux mondes mentaux, il éprouvait le bonheur des explorateurs ; Mengele au contraire y voyait la preuve d’une hiérarchie naturelle. Cette interprétation du monde faisait naître en lui un plaisir d’obéissance qui mène à la domination.

Des faits qui me révoltent.

Ernst Rüdin, psychiatre généticien suisse, avait fait passer à la demande de Hitler la loi de la stérilisation contrainte (1934) afin d’éliminer les schizophrènes, les faibles d’esprit, les aveugles, les sourds et les alcooliques. En 1939, il reçut la médaille Goethe pour son travail scientifique qui légitimait l’élimination des enfants de mauvaise qualité (…)
En 1945, à la fin de la guerre, Ernst Rüdin affirma qu’il s’agissait d’un simple travail académique. Il fut puni d’une amende de 500 marks et après avoir été décoré deux fois par Hitler, il poursuivit sa carrière aux États-Unis et rentra à Munich pour y mourir en 1952.

La banalité du mal.

 Je vais vous surprendre, mais je pense que ces crimes sans émotion ni culpabilité ne sont pas rares et que beaucoup d’êtres humains en sont capables. Il ne s’agit pas d’anhédonie, engourdissement de la capacité à éprouver du plaisir. Adolf Eichmann ressentait de grands bonheurs quand il envoyait à Auschwitz des trains bourrés de juifs. C’est le plaisir qu’on éprouve à bien faire son travail, à tamponner, à classer, à nettoyer la société de la souillure juive. Voilà, c’est simple, cette énormité est banal, c’est ainsi que je comprends « la banalité du mal » de Hannah Arendt.

Et pourtant c’est vrai.

 Aucune découverte scientifique, aucune idée philosophique ne peut naître en dehors de son contexte culturel. Beaucoup de nazis, comme beaucoup de lobotomiseurs , n’avaient aucune conscience du crime qu’ils commettaient. Ils habitaient une représentation où ils puisaient leurs décisions politiques ou thérapeutiques : donner mille ans de bonheur au peuple en extirpant la souillure juive et soigner la folie en découpant le cerveau. Quand la violence est banale, la culture légitime ce mode de régulation des rapports sociaux. Les médecins nazis étaient convaincus qu’ils contribuaient scientifiquement à l’anthropologie physique. C’est au nom de la morale qu’ils ont exterminé 300 000 malades mentaux en Allemagne, qu’ils ont réalisé de mortelles expérimentations médicales sur des enfants et ont assassiné en rigolant 6 millions de juifs en Europe.

L’importance du malheur.

Si par malheur nous pouvions supprimer le malheur de la condition humaine, nous fermerions les librairies et ruinerions les théâtres. Est-ce ainsi que nous pourrions expliquer la puissance du conformité quand nous cherchons à nous mettre en accord, en harmonie avec les inconnus qui participent au groupe auquel on désire appartenir ?

Penser ne peut être que complexe.

La pensée facile, le Diable et le bon Dieu, le bien et le mal, ça ne marche pas. Chez le même homme, il y a des pulsions contraires : la rage de détruire et le courage de reconstruire. C’est par empathie que Himmler a commandé la construction des chambres à gaz. Quand il a vu le malaise de ses soldats, blancs d’angoisse et obligés de boire de l’alcool pour se donner la force de mitrailler des femmes nues portant leur bébé dans les bras, il a compati avec eux et à proposer une technique propre pour tuer ces gens sans traumatiser les soldats. Quand la lobotomie a été inventée, les congrès ne parlaient que de techniques : faut-il faire un volet frontal, introduire une aiguille dans le creux sus-orbitaire, injecter de l’alcool, couper avec un scalpel ? Le succès technique arrêtait l’empathie et empêchait de voir que le prix humain était exorbitant, que la « guérison » apportait plus de troubles que la maladie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci aux éditions Plon

 

 

C’est un roman qui se lit très facilement mais qui pour autant ne m’a guère convaincue. C’est une sorte de fable, qui permet à l’écrivain de raconter (encore une fois) les horreurs de l’extermination des juifs.

Le personnage principal est un enfant qui décide de devenir président des États-Unis et qui rencontre un vieil homme qui perd la mémoire. Tout le roman est construit autour de ce personnage est-il un sauveur de juifs ou un allemand qui a voulu sauver sa peau en se faisant passer pour juif ? Finalement il y aura du vrai dans ces deux propositions.

J’aurais bien aimé que l’écrivain se penche sur la mémoire d’un ancien nazi qui transforme peu à peu la réalité pour pouvoir survivre à ce qu’il a fait. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit mais d’une vieille personne qui commence un Alzheimer et qui ne sais plus qui il est vraiment. En plus, il n’a pas fait que le mal et il n’était pas un acteur de l’extermination des juifs donc d’une certaine façon il peut se regarder en face, ce que quelqu’un comme Mendele devait avoir du mal à faire.

C’est un personnage de fiction, et sur le sujet de la Shoa, je suis particulièrement exigeante ; c’est sans doute, la raison pour laquelle je suis passée à côté du charme de cette histoire et j’espère que d’autres vont l’apprécier

Citation

Genre de phrases agaçantes.

La vérité sort de la bouche des enfants(…)
 Les enfants ne sont pas représentés au gouvernement, or, nous sommes concernés par les décisions qui sont prises aujourd’hui, car elles auront des conséquences demain .

Édition Autrement.  Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

C’est un premier roman d’Alain Mascaro qui semble lui avoir été inspiré par un grand voyage qu’il a entrepris en décidant de quitter son emploi de professeur de lettres. Le titre en dit beaucoup sur le sujet du roman : le peu de liberté qui est laissé aux populations de nomades qui décident de ne respecter aucune frontière et de vivre de spectacles qu’ils donnent de ville en ville. Le coeur même du roman raconte l’extermination du peuple tzigane par les nazis. Cela on le sait bien sûr, mais on lit beaucoup moins souvent les récits de la « Porajmos » que ceux sur la Shoa. Le seul survivant d’un petit clan (kumpania) des Thorvath , Anton le dresseur de chevaux, va devoir sa survie dans le ghetto de Łódź en se faisant passer pour un juif.(Ils ne doivent pas être nombreux à avoir fait cela !)

Le livre est rempli de toute la poésie des êtres libres qui aimaient sentir le vent de la steppe dans leurs cheveux quand ils chevauchent des montures aussi libres qu’eux. Le début commence avant la montée du Nazisme et la petite troupe vit au rythme des spectacles et des contes racontés par le violoniste Jag que nous retrouverons à la fin du roman. Malheureusement la petite troupe est en Europe et sera entièrement massacrée par les nazis. Je ne le savais pas mais à Łódź à coté du célèbre ghetto tenu par des juifs et qui ont été les derniers à être déportés, il y a eu un camp de concentration pour les Tziganes, il n’y a eu aucun survivants. J’avais lu le récit de ce ghetto particulier « Un monstre et le chaos« . Nous rencontrons là le portrait d’un médecin juif qui va enrichir la personnalité d’Anton, très vite, face au génocide sa famille le charge de survivre pour honorer la mémoire des morts. Dans le dernier camp, Anton rencontrera un juif grec qui enrichira ses connaissances philosophiques. Cet être solaire ne pourra pas survivre aux tortures des camps : que d’êtres d’exception dont l’humanité aurait eu tant besoin et qui ont disparu à jamais dans les fosses communes des camps de concentration. Anton va survivre mais sera brisé par ces drames atroces, il retient tous les noms de ces disparus qui lui appartiennent et qu’il ne veut pas oublier. Que de tristesse !

Après la guerre, il sera sauvé par l’américain qui sera le premier à ouvrir le camp de Mauthausen, son passage aux USA lui permettra de retrouver la santé mais pas son âme. Il reconstituera une « kumpania » avec des personnalités au passé marqué par la guerre et donnera des spectacles où les chevaux auront une place particulière. Anton retrouvera Jag qui vit en Indes. Là aussi la guerre entre les Hindous et les Musulmans fera douter Anton de l’humanité. La fin du roman se passe là où tout a commencé dans les plaines de Mongolie.

Tout ce roman est un hymne à la liberté qui s’est hélas, fracassée sur le nazisme ou le communisme et aujourd’hui sur les frontières qui se ferment et la bétonisation de la nature.

Citations

 

Joli conte tzigane.

« Papu Jag, demandait par exemple Nanosh, y a-t-il des hommes sur la Lune ?
– Il n’y en a plus qu’un seul, hélas, répondait Jag. Mais autrefois, il y en avait beaucoup ! Ils menaient une vie facile, leur seul travail était d’entretenir le feu pour que la Lune brille. À cette époque-là, elle était toujours pleine. Mais un mauvais homme, un « gadjo »qui n’aimait pas ses semblables les bannit de la lune. Depuis, le mauvais homme doit entretenir le feu tout seul, et il n’y parvient pas, c’est pourquoi la lune s’éteint régulièrement. Quand elle commence à se rallumer, c’est que le « gadjo » est en train de souffler sur les cendres. Quant aux hommes qu’il a chassés, ils se sont dispersés très loin dans le ciel et le « Devel » leur a donné la mission d’allumer chaque jour les étoiles. Si vous regardez bien, vous les verrez qui portent des fagots… »

Jolie fable.

 « Dis-moi, mon garçon, demandait Jag qui aimait les fables, qu’est-ce qui est mieux pour un mouton, le berger ou le loup ? 
– Le berger. 
 – Et qui tond le mouton ?
 – Le berger. 
– Et qui le tue pour le manger ? 
– Le loup !
– Non, Anton. c’est encore le berger. Il est bien rare qu’un loup parvienne à tuer un mouton, parce que le berger veille et il a de gros chiens. Mais qui donc protège le mouton quand le berger vient l’immoler ? 
– Personne. 
– Et pourtant de qui a peur le mouton : du berger ou du loup ? 
– du loup ! 
– Oui mon garçon, voilà bien tu le drame des hommes : ils sont exactement comme les moutons. On leur fait croire à l’existence de loups et ceux qui sont censés les protéger sont en fait ce qui les tondent et les tuent.

Rencontre avec les nazis.

 Ils semblaient si certains de leur force et de leur bon droit qu’il aurait été vain de protester, même lorsque l’un d’entre-eux avait pissé sur le marchepied d’une roulotte. Étrange comme la certitude hautaine de leur propre humanité peut amener certains hommes à se conduire comme des bêtes.

Le ghetto de Łódź.

Chaim Rumkowski n ‘est qu’un pantin qui se prend pour un ventriloque ! Il croit que nous sommes ses marionnettes. Il se joue de nous. Nous sommes ses choses. Mais qu’est-il lui-même ? Ne voit-il pas les fils qui partent de ses membres ? Ne sait-il pas qu’il est un jouet entre les mains des bourreaux ? Il est aveuglé par le pouvoir, ivre parce que les marks qui circulent au ghetto sont signés de son nom. Monnaie de singe en vérité ! Ce n’est qu’un tragique simulacre, un théâtre sordide et ridicule ! Un jour, tout ça s’effondrera, alors peut-être se verra-t-il tel qu’il est ! Le roi est toujours nu, mon garçon, toujours, ne l’oublie jamais !

Les survivants.

 Ci et là encore, il avait croisé quelques survivants, de Łódź ou de « Lager », la plupart marqués dans leur âme et leur chair, tourmentés par le simple fait d’avoir survécu là où tant d’autres étaient morts. Il les reconnaissait presque du premier coup d’œil. Il lui arrivait de se retrouver en présence d’un parfait inconnu et de se dire que si l’autre relevait la manche de sa chemise, de son bleu de travail, de son costume, on verrait apparaître un numéro de matricule tatoué comme celui que lui-même avait sur le bras droit. 
Seuls les bourreaux dormaient du sommeil du juste, c’était une constante, les victimes, elles continuaient à souffrir leur vie durant, jamais leur plaies ne cicatrisaient entièrement.

 

Jorj Chalandon est un habitué sur Luocine avec parfois d’excellent romans et parfois des déceptions.

Retour à Killiberg, le Quatrième Mur, Profession du père, sont pour moi de grands romans , un peu déçue par Le jour d’avant, et un petit flop par La Légende de nos pères, celui-ci rejoint mes préférences . Le sujet était particulièrement compliqué, Sorj Chalendon est journaliste et doit couvrir le procès Barbie en 1987 à Lyon où habite son père qui lui demande un passe droit pour suivre ce procès. C’est aussi l’occasion de rouvrir le dossier de son père qui a passé son temps à mentir à son fils sur son passé pendant la deuxième guerre . A-t-il été résistant ? Soldat SS ? Engagé dans la division Charlemagne ? a-t-il suivi les divisions allemandes pour lutter contre le communisme ? Son attitude lors du procès de Barbie est tellement désagréable, que son fils part à la recherche du procès pendant lequel son père a été condamné à un an de prison et à cinq ans d’indignité nationale.

Le roman débute par la visite du journaliste à Izieu, il visite cette colonie de vacances où des enfants juifs étaient cachés et semblaient en sécurité, ces pages sont d’une intensité rare et l’écrivain sait rendre ces enfants présents dans nos mémoires. Ce sera aussi un des moments les plus émouvants du procès.

Son père se comporte comme à son habitude, méprisant et bernant toutes les autorités : il se fait passer pour un héros de la résistance et obtient une place au procès car il veut absolument voir Barbie. Il méprise tous les témoignages des gens qui selon lui, ne sont bons qu’à pleurnicher. En revanche Barbie et Vergès lui plaisent bien ainsi que Klarsfeld car ces hommes lui semblent être d’une autre trempe. Son fils est excédé par son attitude et essaie de le confronter à son passé car il a pu obtenir le dossier judiciaire de son père grâce auquel il espère enfin le confronter à la réalité.

Les deux histoires se développent au rythme du procès officiel de Klaus Barbie, celui de son père est plus embrouillé mais implacable contre les mensonges de celui qui a gâché son enfance. Le procès de Barbie, ne permet pas d’obtenir la moindre repentance du bourreau de Lyon, mais la succession des témoignages de ceux qui ont eu à souffrir des conséquences de ses actes est à peu près insoutenables. Cela fait sourire son père , il ne voit le plus souvent qu’une machination d’une justice qui de toute façon condamnera Barbie. Son fils est écœuré, les bravades et rodomontades de son père ne l’ont jamais fait rire quand il était enfant, mais la différence c’est qu’il n’en a plus peur. La dernière scène est terrible laisser ce vieil homme face à toutes ses lâchetés lui qui s’est toujours présenté comme un héros sent la catastrophe possible. Le roman se termine là face à la Saône que son père veut traverser à la nage mais l’auteur tient à nous préciser que finalement son père est mort en 2014, Barbie en 1991 et que lui même a obtenu le dossier de son père en 2020. Donc ce livre est bien une fiction et pas une autobiographie, ce qui ne lui enlève aucune valeur à mes yeux, je dirai bien au contraire.

 

Citations

 

Conversation avec son grand-père qui donnera le titre à ce livre.

– Ton père, je l’ai même vu habillé en Allemand, place Bellecour.
À l’école primaire, pendant un trimestre, mon père m’avait obligé à porter la Lederhose la culotte de peau bavaroise, avec des chaussettes brunes montées jusqu’à la saignée des genoux. C’était peut-être ça, habillé en Allemands ? 
-Arrête donc avec ça ! a coupé ma marraine. 
Mon grand-père a haussé les épaules et rangé la pelle le long de la cuisinière. 
-Et quoi ? il faudra bien qu’il apprenne à jour ! 
– Mais qu’il apprenne quoi, mon Dieu, c’est un enfant ! 
– Justement C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! 
C’était en 1962, et j’avais dix ans.

Petite Remarque sur la personnalité de son père.

 Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu.

Le personnage son père

 -Mon père a été SS. 
J’ai revu mon père, celui de mon enfance, son ombre menaçante qui n’avait jamais eu pour moi d’autres mains que ses poings. Depuis toujours mon père me frappait. Il avait soumis son enfant comme on dresse un chien. Lorsqu’il me battait, il hurlait en allemand, comme s’il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldat. Quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais. Il était celui qui humiliait. Celui qui savait tout, qui avait tous vécu, qui avait fait cette guerre mais aussi toutes les autres. Qui racontait l’Indochine, l’Algérie. Qui se moquait de ceux qui n était pas lui. Qui les cassait par ces mêmes mots :
– Je suis bien placé pour le savoir !

La repentance qui ne vient pas.

 Il n’avait pas payé et je lui en voulais. Payer, ce n’était pas connaître la prison, mais devoir se regarder en face. Et me dire la vérité. Il a comparu devant des juges, pas devant son fils. Face à eux, il a hurlé à l’injustice. Face à moi, il a maquillé la réalité. Comme s’il n’avait rien compris, rien regretté jamais.

Édition les allusifs . Traduit du polonais par l’auteure relu par Martin Gipet

 

Je dois cette lecture à Aifelle et je suis ravie d’avoir découvert cette auteure. On a tiré une pièce de théâtre de ce petit livre et je pense que la pièce devait être plus passionnante que le livre. J’ai trouvé le texte trop court et il manque de la profondeur à chacun des personnages c’est plutôt un synopsis qu’un roman ou qu’une nouvelle. Voici donc le sujet : une femme, enfant cachée de la guerre découvre que la meilleure amie de sa mère morte à Birkenau lui a volé son manuscrit . Elle est devenue riche et célèbre. L’enfant de la femme juive, ne veut qu’une chose se venger et elle est complètement habitée par cette vengeance. En moins de 60 pages, l’auteure donne une idée des protagonistes de ce drame qui s’avance inexorablement vers une fin tragique , sauf que … la fin en forme d’épilogue et de carte postal enlève (maladroitement selon moi !) le tragique de l’histoire.

Citation

Épeler son nom

Voulez-vous savoir comment je m’appelle ? Voilà une question préliminaire qui m’horripile ! J’aimerais vous répondre Marie Smith ou Stanislawa Gorka ou Rachel Néguev. En faisant un effort, je vous dirai mon vrai nom, Irena Golebiowska. Si vous n’êtes pas slave, et cependant honnête et bien intentionné, vous allez aussitôt me demander d’épeler ce nom barbare. Et cela va m’irriter. On ne me demandait jamais cela en Pologne. C’est à des détails comme celui-ci qu’on s’aperçoit qu’on est en exil. Après toutes ces années, de telles requêtes provoquent toujours chez moi une réaction presque paranoïaque.
(PS : pour habiter la France je sais qu’il n’y a pas besoin d’être étranger pour épeler son nom les Lozac’h bretons en savent quelque chose)

 Édition Seuil arte édition

Merci à Keisha de m’avoir fait découvrir ce livre que j’ai beaucoup, beaucoup aimé.

Ce livre est passionnant à plus d’un titre. Ce qui a guidé le projet de cette auteure est certainement le besoin de retrouver les traces des enfants juifs disparus qui habitaient pendant la guerre au 209 rue Saint-Maur. C’est la partie essentielle de ses recherches, mais cela l’a entraînée à en savoir plus sur cet immeuble qui avant la « gentrification » des quartiers populaires de Paris était habité par des ouvriers et des gens à peine sortis de la pauvreté. C’est le second intérêt de cet essai : un peu à la Perec et « la vie mode d’emploi », elle va retrouver les habitants qui se sont succédés dans un même immeuble et les rendre vivants. Le passage sur la commune est passionnant, bien sûr dans les année 30, cet immeuble abritera les plus pauvres donc des juifs qui fuient les persécutions nazies. L’auteure a recherché les descendants de ces familles détruites et les a retrouvés. C’est donc aussi un livre sur la mémoire, celle de ces enfants de plus de 80 ans qui avaient surtout voulu oublier. Oublier « pour ne plus être en colère » comme le dit un des enfants. Oublier pour construire une vie sans ces images si lourdes à porter. La mémoire de l’auteure, descendante de la shoah, l’aide à très bien comprendre les blocages qui empêchent les survivants ou leur descendants de parler . Comme le dit le sous-titre, elle cherche à faire l’autobiographie de cet immeuble, et c’est ainsi qu’elle arrivera à faire parler ceux qui y ont vécu et à nous rendre vivant leur existence à deux trois ou quatre dans une seule pièce. Avec l’eau et les WC à tous les étages. En dessinant leur intérieur, des noms et des souvenirs reviennent. Et après ? après la guerre, les logements ne sont pas restés vides, c’est une autre population qui est arrivée, ouvrière et souvent communiste, étrangère parfois , algérienne et portugaise ces gens se sentaient soudés par le même statut social. Et puis, dans les années 80, l’immeuble a été racheté par des gens plus riches qui ont réunis les petits appartement pour en faire des logements agréables à vivre.

Ma seule difficulté a été de ne pas mélanger tous les noms des personnes dont elle suit les histoires. Un beau travail, passionnant et qui en apprend beaucoup sur un Paris des gens simples qui, s’ils ne font pas l’histoire, la subisse sans pouvoir, hélas, se défendre .

J’ai trouvé sur Youtube le documentaire de Ruth Zylberman qu’elle a réalisé avant d’écrire cet essai dont le sujet est plus large que les « enfants du 209 car il s’intéresse à l’immeuble de sa construction à nos jours.

https://www.youtube.com/watch?v=RkXCtFHQBZM

Citations

J’adore la phrase sur la baignoire

Car depuis la commune, il n’y a pas eu à Paris cette expérience radical de la ruine. Comme se souvenait le polonais Czeslaw Milosz décrivant Varsovie après 1945 :  » L’homme s’arrête devant une maison coupée en deux par une bombe. L’intimité des logis humain est là, béante, les odeurs de famille s’évaporent avec la chaleur de ces cellules d’abeilles, tranchées et ouvertes à la vue du public la maison elle-même n’est plus un rocher ; c’est du plâtre, du ciment, des briques et des poutres ; et, au troisième étage, solitaire , accessible aux anges seuls, une baignoire blanche est suspendue, d’où la pluie va laver tous les souvenirs de ceux qui s’y sont lavés.  » Non, à Paris, pour l’essentiel, les pierres demeurent, la façade, comme une peau régulièrement ravalée, protège la course heurtée, la chute parfois, des vies qui se dérobent.

L’ambiance de l’immeuble avant la guerre

À écouter Odette, c’est tout un monde, où se mélangeait le français et le yiddish, qui ressuscite. Ma mère comme souvent les femmes, ne parlait que très mal le français parce qu’elle restait à la maison. Mon père par contre se débrouillait pas mal, il était plus en contact avec les Français, au travail par exemple. Ma mère parlait une sorte de « franish » qui nous faisait beaucoup rire. Par exemple, quand on descendait en courant les escaliers avec mes frères, ce que nous faisions très souvent, elle criait  » Tombe nicht in escaliers ».

Souvenir d’un enfant du 209 déporté

Pour Albert, parler c’est dénoncer un système qui l’a condamné à mort. Au camp de Buchenwald, Albert a été sauvé par les communistes. Il l’est longtemps resté après la guerre. Sa tragédie personnelle, ils veut la transmettre dans sa dimension collective, politique, universelle. « Plus jamais ça » n’est pas pour lui un mantra vide de signification, c’est une raison de vivre et c’est bien pour ça qu’il a accepté de me recevoir malgré la fatigue et la maladie.

J’aime beaucoup les plongées dans l’histoire du Paris populaire.

Comment a-t-on réagi rue Saint-Maur, quelques mois plus tard, en apprenant que dans la nuit du 17 au 18 mars, le chef de gouvernement, Adolphe Thiers, a envoyé des troupes à Montmartre pour en faire retirer les canons de la garde nationale, ces mêmes canons que les Parisiens avaient eux-mêmes payés par souscription ? Il a dû en être rue Saint-Maur comme dans tous l’est de Paris : le tocsin sonne, la garde nationale fédérée accourt au secours des Montmartrois, la troupe fraternise avec le peuple. C’est le début de l’insurrection.

La façon dont l’auteure rend vivant les acteurs du passé

J’attrape les éclats surgis de ces quelques lignes  : le portrait du tout jeune Ernest Badin , apprenti de l’atelier du 209 désormais fermé, sans argent, aux abois, attiré par la solde, si minime soit-elle, par l’uniforme et aussi par l’aventure que devait représenter ces barricades à portée de main, épaulé par son compagnon de travail, Payer, plus âgé de quelques années ; la blessure de Payer, sa course d’une barricade à l’autre, autour de Saint-Maur, et cette phrase où résonne la certitude de la défaite  :  » je préférais être tué dans la rue que d’être tué chez moi ».

Le travail de l’historienne

Une fois de plus, je suis naïvement fascinée par cet instant où, sous l’effet de la recherche ou du hasard, un nom commence à prendre vie, à se métamorphoser en une impressionnante ramification d’autres noms, de trajectoire, de détails qui sont autant de bornes me guidant vers l’envers du présent.

Être juif en 1941

Sait- elle que dès mai 1941 , presque tous les hommes étrangers juifs de l’immeuble ont reçu un billet vert les « invitant » à se présenter pour examen de leur situation ? A-t-elle alors entendu les hésitations, les raisonnements, les hypothèses sans doute déployées par les locataires convoqués qui ne savent pas s’il faut ou non « se présenter » ? Elle ne se souvient pas qu’Abel, son père, ait reçu cette convocation. Ce fut pourtant le cas et il a visiblement fait le choix de ne pas se rendre au commissariat. Le père d’Albert Baum, son oncle Isaak Goura, n’y sont pas allés non plus. Imaginaient-ils ce que risquaient ceux qui s’y sont présentés le 14 mai 1941 à 7h du matin

Derrière moi

« J’ai laissé tout ça loin derrière moi. Je m’efforce de ne pas me souvenir car si j’oublie je suis heureux. Si je me souviens, la colère monte en moi. Quand vous êtes en colère, vous êtes le seul à souffrir, donc je suis heureux quand je ne suis pas en colère, quand je ne me souviens pas. »

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Un livre étonnant qui commence une série que je ne connaissais pas l « Égo-histoire », qui se définit ainsi :

une forme d’approche historiographique et de courant d’écriture historique à travers laquelle l’historien est censé analyser son propre parcours et ses méthodes de manière réflexive et distanciée. (Wikipédia) . 

Il peut très bien se glisser dans une de vos valise pour accompagner vos vacances. Même si il n’est pas qu’un livre léger et plaisant de souvenirs d’une famille intellectuelle parisienne, ceci n’est, en effet, qu’un tout petit aspect de ce livre, qui cherche à atteindre des buts beaucoup plus larges, plus « scientifiques » trouver en quoi les vacances organisées par ses parents s’inscrivent dans une conduite sociologique ne correspondant pas exactement à l’originalité à laquelle elle semblait à l’époque répondre. C’est certainement l’aspect qui lui a enlevé un ou deux coquillages sur Luocine, car j’ai trouvé ces explication très répétitives, on comprend assez vite mais l’auteur a besoin d’y revenir plusieurs fois sans rien ajouter au propos. Le second aspect m’a beaucoup touchée : que se cache-t-il derrière cette injonction paternelle « Soyez heureux !«  ? Toutes les difficultés des rescapés de la Shoah sont dans ces deux mots et la façon dont son père a rendu ses enfants « heureux » est extraordinaire à la fois de simplicité mais aussi de courage . Enfin le dernier aspect, ce sont les souvenirs de cet enfant qui a comme tous les enfants préfèrent jouer avec ses amis plutôt qu’écouter les explications savantes à propos des ruines grecques et romaines.

Un livre que j’ai beaucoup aimé malgré les bémols que j’ai évoqués.

 

Citations

Ambiance familiale marquée par la Shoah

Dans ma famille, le bonheur représentait un tel enjeu qu’il en devenait non seulement inaccessible, mais vicié, légèrement putréfié, pas si désirable que cela. C’est une perversion dont je ne me suis jamais tout à fait remis. Le seul remède à cette maladie de l’âme consistait à rompre le soupçon et a décidé immédiatement, toutes affaires cessantes, que je pouvais être heureux, pour aucune autre raison que j’en avais le droit. 

 

Le camping -car

Si les moquerie de mes camarades me mettaient mal à l’aise , c’est parce que je sentais qu’elles visaient bien plus que des vacances : notre identité familiale , notre mode de vie , notre « style » , la personnalité de mes parents , donc l’éducation que je recevais d’eux. Partir en camping-car révélait un certain niveau de revenu, mais aussi l’absence de traditions familiales et de racine ; un certain capital culturel, et aussi un manque de savoir-vivre ; une inclination au ridicule, mais aussi une liberté d’esprit, une capacité de détachement, par fierté ou indifférence au qu’en-dira-t-on.

Liberté

j’étais libre parce qu’il n’y avait pas de ceinture à l’arrière et que nous nous déplacions dans l’habitacle pendant les trajets
 parce que je pouvais flâner dans les musées sans les visiter
 parce que je pouvais rester des heures à jouer dans les vagues
 j’étais libre parce qu’on campait n’importe où, sur les plages, les débarcadère, les parkings, au bout des jetées , dans les clairières
parce que mon sac de couchage était un vaisseau spatial, avec des manettes et des cadrans intégrés
j’étais libre parce que aucun cahier de vacances ne venait prolonger le travail scolaire de l’année
parce qu’une pression se relâchait
l’urgence était suspendue
parce qu’on changeait de destination tous les ans
parce que nos spots ne figuraient sur aucun guide de voyage
et que cela ne coûtait rien de se perdre, l’égarement n’étant qu’un autre chemin
j’étais libre de m’éprouver Juif errant, tout en étant protégé par un État 

 

Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Avant les camps, nous ne savions pas discerner l’éphémère de l’immuable. À présent nous avons eu notre compréhension des choses.

J’ai déjà lu, et j’avais été très touchée par l’Histoire d’une Vie, le décès de Aharon Appenfeld en janvier 2018 a conduit notre bibliothécaire à mettre ce livre au programme de notre club. Cette lecture est un nouvel éclairage sur la Shoah. L’auteur y rassemble, en effet, ses souvenirs sur les quelques mois après la libération des camps de concentration. Nous suivons Théo Kornfeld qui veut retrouver sa maison familiale en Autriche. Dans des chapitres très courts, le jeune homme raconte son errance à travers une Europe ravagée par la guerre, et sa volonté de retrouver son père et surtout sa mère, il est peu à peu envahi par ses souvenirs d’enfance. Avant la guerre, sa mère, visiblement bipolaire, entraîne son fils dans tous les lieux où l’on peut écouter des concerts de Bach en particulier les monastère chrétiens et petites chapelles isolées même si elle en est parfois rejetée comme « salle juive ». Elle entraîne aussi son mari vers une faillite financière, lui qui travaille comme un fou pour satisfaire tous les besoins de sa trop belle et fantasque épouse. L’errance de Théo à peine sorti de son camp, lui fait croiser les « rescapés ». Chaque personne essaie de retrouver une once de dignité pour repartir vers d’autres horizons. C’est terrible et chaque vie révèle de nouvelles souffrances, je pense à cette femme qui s’installe sur le bord de la route pour apporter des soupes chaudes et réconfortantes aux personnes qui viennent d’être libérées et qui sont sur les routes. Elle ne peut pas se remettre d’avoir empêché sa sœur et ses deux nièces de s’exiler en Amérique avant l’arrivée des nazis, elles sont mortes maintenant et en nourrissant les pauvres ères échappés à la mort elle essaie d’oublier et de revivre.

Entre rêve et hallucination, Théo livre un peu les horreurs dont il a été témoin, et surtout il redonne à chacune des personnes dont il se souvient une personnalité complexe qui ne se définit pas par le numéro gravé sur son bras, ni par sa résistance ou non aux coups reçus à longueur de journée. Tout ce que raconte Théo se passe dans une atmosphère entre rêve et réalité, il est trop faible pour avoir les idées très précises et les souvenirs de l’auteur viennent de si loin mais ils ne se sont jamais effacés c’est sans doute pour cela qu’il dit de ses journées qu’ils sont « d’une stupéfiante clarté ». Un livre qui vaut autant par la simplicité et la beauté du style de l’auteur que par l’émotion qu’il provoque sans avoir recours à un pathos inutile, ici les faits se suffisent à eux mêmes.

 

 

Citations

 

L’enfance du narrateur avant la Shoah

Tandis que ses camarades de classes étaient rivés à leur banc dur, sa mère et lui voguaient sur des rails lisses, avalant de longues distances dans des trains luxueux. Le père était inquiet, mais il n’avait pas la force de stopper un désir si puissant. Il enfouissait sa tristesse dans la librairie, jusque tard dans la nuit.
Il essayait parfois d’arrêter la mère.  » Le petit n’est pas allé à l’école depuis une semaine. Ses notes sont catastrophiques. »
– Ce n’est pas grave, ce qu’il perçoit durant le voyage est plus important et l’armera pour la vie. »
-Je baisse les bras, concluait Martin en reconnaissant sa défaite

Passion ou folie de sa mère

La vieille Matilda dispensait bon sens et quiétude. Considérant d’un œil réprobateur la passion de la mère pour les églises les monastères, elle la sermonnait : »Tu dois aller prier à la synagogue. Les prières atteignent leur destinataire lorsqu’on suit le rite de ses ancêtres. »
Mais la mère rétorquait que dans les synagogues il n’y avait ni sérénité, ni musique, ni images bouleversantes, le plafond était nu et le cœur ne pouvait s’exalter.

L’après guerre

Le lendemain il s’engagea sur une route large et lisse, en direction du nord. Un camion était couché après un virage, moteur pointé vers le ciel, donnant à l’habitacle une expression de mort veines. Théo le contempla un instant avant de se dire qu’il trouverait sûrement de dans un briquet des cigarettes fines.
 Des accessoires militaires étaient éparpillés au milieu de boîte en carton et de bouteilles de bière qui avait été projeté de toutes parts.

 La langue des camps

Au camps, on parlait une autre langue, une langue réduite, on utilisait que les mots essentiels, voire plus de mots du tout. Les silences entre les mots était le vrai langage. Un jour, un compagnon de son âge, pour qui il avait de l’estime, lui avait confié : « J’ai peur que nous soyons muets lorsque nous serons libérés. Nous n’avons presque plus de mots dans nos bouches. »