Édition Acte Sud
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Cet auteur fait partie de mes favoris, j’aime beaucoup la saga des Rosiers : la traversée du continent, Victoire, La traversée de la ville, la traversée des sentiments. 
Dans ses romans la musique a toujours de l’importance et dans cet ensemble de textes, il a réuni des moments de sa vie liés à la musique . C’est parfois drôle, triste ou tragique. Comme le premier moment lié à la mort de son frère qu’il aimait tant. C’est parfois cruel, comme lorsqu’il raconte combien Montserat Caballé avait gardé une voix superbe mais un corps qui ne lui permettait plus de jouer les jeunes amoureuses. Je comprends Le fou rire qui le saisit à la vue de cette grosse femme enveloppée de taffetas virevoltant mais je trouve son rire cruel pour cette grande artiste. En revanche j’ai bien aimé qu’il critique de façon drôle et méchante le spectacle de Luis Mariano. Je comprends sa rancœur car il a eu l’impression que ce mauvais spectacle avait été envoyé au Québec en prenant les habitants pour des « ploucs » tout juste bon à chanter en choeur « Mexiiiiiiiiiiiiiiiiiiico » . Mais il faut dire que la salle était pleine, hélas Luis était si fatigué qu’il a eu bien du mal à chanter.
J’ai bien aimé son observation du concert de Céline Dion à Las Vegas, concert pour lequel ses fans ont payé des fortunes pour ne pas entendre la chanteuse car la salle reprenait en chœur les chansons sans écouter leur idole. J’ai choisi un passage sur Barbara, chanteuse qu’il se faisait un point d’honneur à ne pas aimer jusqu’au jour où sur scène, elle l’a totalement ému.
Bref un bon petit livre mais sans plus pour moi. Je me suis un peu fatiguée de passer d’une nouvelle à l’autre.

Citations.

Un bel hommage à Barbara.

 Le génie de Barbara fut plus fort que mes ridicules réticences, est au bout d’un quart d’heure, cette fois assis au fond de mon fauteuil, je fus obligée de sortir le petit paquet de kleenex que je gardais toujours sur moi l’hiver. Et pendant l’heure et demie qui suivit, je découvris toutes les beautés que je n’avais jamais voulu voir, les aveux bouleversants, les chuchotements dont je m’étais tant moqué et qui contenait pourtant toute la douleur du monde, je vis des paysages tristes décrits en mots simples et des femmes qui souffraient d’une absence, de départ, je me laissais couler dans ce monde glauque ou l’espoir semblait banni à tout jamais, j’entendis des déclarations d’amour déchirantes et oui, tout de même, des paroles véhémentes annonçant de terribles vengeances ou, du moins, leur désir .

Le boléro de Ravel.

 Le tambour continue son rythme régulier qui, curieusement, commence à le déranger : c’est comme le vrombissement d’une mouche dont on arrive pas à se débarrasser. C’était bien au début, ça partait bien l’œuvre, mais on devrait passer à autre chose. L’orchestre entier commence alors à suivre le rythme du tambour, c’est plus doux, plus langoureux, moins achalant, ça couvre un peu la caisse, puis se lance dans la première mélodie et il sent son cœur battre plus fort. Que ces beau. L’orchestre se gonfle tout à coup, et entonne un nouveau thème, très court, avant de revenir au premier. Les instruments se répondent, les sections semblent lancer des défis, mais à travers tout ça, à travers tout l’orchestre, les deux thèmes qui se répètent et se mélangent, il se rend compte qu’il entend quand même encore le tambour, pourtant discret, enterré sous le reste de l’orchestre, et ça l’énerve de plus en plus comme un grattement sans fin au fond de son oreille.


Éditions Livre de poches. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Brévignon

Cette fois, c’est un merci sans aucune réserve que j’adresse à Krol qui m’a fait découvrir ce recueil de nouvelles, qui avait aussi bien plu à Aifelle et à bien d’autres blogueuses. La construction de ce recueil est intéressante, car s’il s’agit de treize nouvelles qui se passent toutes à Crosby, une petite ville sur la côte du Maine, le personnage principal, Olive Kitteridge, une grande femme au fichu caractère est présente dans toutes les nouvelles sans toujours être le personnage principal, loin de là. Donc, on finit par connaître à la fois le lieu mais aussi les différents personnages de la petite ville et nous évoluons avec eux en laissant passer les années, à peu près une trentaine d’années.

Olive a un fils Christopher qui aura besoin d’une psychothérapie assez longue pour comprendre qu’il peut vivre et aimer sa mère sans en avoir peur. Car, oui, Olive a fait peur à de nombreuses personnes, à ses élèves quand elle était professeure de mathématiques au collège de Crosby et à bien d’autres habitants. Mais pas à Henry son mari qui lui n’était que gentillesse et qui était aimable avec tout le monde. Dans une des nouvelles une femme se demande comment il fait pour la supporter et une autre lui répond mais parce qu’il l’aime.
Il est beaucoup question d’amour dans ces nouvelles et cela jusqu’à la dernière page où le coeur d’Olive va s’ouvrir pour un « abruti » de républicain !

Toute une Amérique défile devant nous yeux et pour une fois ça n’est ni glauque ni violent, pour autant ce n’est pas un monde à l’eau de rose en réalité c’est une plongée dans la vraie vie et c’est incroyablement sensible et même passionnant alors que le plus souvent il ne se passe pas grand chose : juste la vie, d’êtres normaux dans une petite ville américaine mais c’est raconté avec un talent qui m’a séduite à mon tour.

 

Citations

L’enterrement après l’accident de chasse.

À la fin de la cérémonie, six jeunes hommes portèrent le cercueil le long de l’allée centrale. Olive donna un coup de coude à Henry, et ce dernier hocha la tête. L’un des porteurs – parmi les dernier- avait un visage si blanc, une expression si accablée qu’Henry craignait qu’il lâche le cercueil. C’était Tony Kuzio qui, quelques jours plus tôt, ayant pris Henry Thibodeau pour un cerf dans la pénombre du petit matin, avait pressé la détente et tué son meilleur ami.

Portrait de la mère du marié .

La robe d’Olive -un élément important de cette journée, naturellement, puisqu’elle est la mère du marié- est taillée dans une mousseline vaporeuse verte imprimée de motifs de géraniums d’un rose tirant sur le rouge. En s’allongeant, Olive prend bien garde de ne pas la froisser et la dispose de façon à préserver sa décence si quelqu’un venait à entrer. Olive est une grosse femme. elle en a parfaitement conscience mais comme elle n’a pas toujours été aussi grosse, elle doit encore se faire à cette idée. Certes, elle a toujours été grande et c’est souvent sentie pataude, mais le fait d' »être grosse » est venu avec l’âge. Ses chevilles ont gonflé, ses épaules ont enflé jusqu’à faire des plis derrière son cou, et elle a désormais des poignées et des mains d’homme. Ça prèoccupe Olive -bien sûr bien que ça la préoccupe. Parfois, en privé, ça la préoccupe même terriblement. Mais à ce stade de la vie, elle n’est pas prête à se priver du réconfort de la nourriture, et tant pis si, en cet instant, elle ressemble à un phoque gras et assoupi enveloppé dans une sorte de bandages en gaze.

Propos à la sortie de la messe : Olive cherche à ne pas dire ce qu’elle pense.

À côté d’Olive Kitterige, attendant elle aussi comme tout le monde. Molly Collins vient justement de se retourner pour regarder l’épicerie. Elle soupire. 
« Une femme si gentille. Ça n’est pas juste. »
Olive Kitteridhe, dont la robuste charpente dépasse d’une tête MollyCollins, prends ses lunettes de soleil dans son sac à main et, une fois qu’elle les a enfilées, plisse les paupières et jette un regard sévère à cette femme qui vient de proférer une telle bêtise. Quelle idée stupide, de penser que la vie pouvait être juste. Mais elle répond tout de même « c’est une femme gentille, c’est vrai « en se tournant pour admirer le forsythia près de la salle des fêtes.

Olive et ses belles filles .

 Olive pris la décision d’accepter tout en bloc. La première fois, il avait épousé une femme méchante et autoritaire, cette fois elle était gentille et Idiote. Bah, ça ne la regardait pas, après tout. C’était la vie de son fils.

Fabcaro Édition 6 pieds sous terre Thierry Beauchamp ÉditionWombat

Ces deux livres la BD de Fabcaro et les courtes nouvelles de Thierry Beauchamp n’ont en commun que d’avoir fait rire Jérôme et moi aussi. Pour Fabcaro je reconnais que depuis Zaï Zaï Zaï je suis une inconditionnelle. Je suis prête à partir dans le rire immédiatement. Mon préféré est sans doute, Mourir d’aimer, sans oublier Formica. 

Encore une fois, j’ai ri mais peut être un peu moins, je connais un peu tous les ses procédés de Fabcaro qui manie avec dextérité un humour décalé jamais méchant :

 

( Si le texte vous emble flou en cliquant sur la photo il sera plus net)

dans cette BD l’auteur essaie différents procédés, le roman photo, le Western, mais aussi les réactions autour de lui, quand il parle de son projet l’étonnement de son éditeur :

 Tout un livre à partir d’un dessin de bite sur la joue ? …Euh… tu es sûr de ton projet là ?

et bien pour ceux et celles qui aiment l’absurde de Fabcaro ne doutez pas, vous allez partir dans une aventure passionnante pleine de rebondissements. N’écoutez pas les propres enfants du dessinateurs qui ont du mal à comprendre toute la grandeur du projet de leur père :

– Papa t’es connu maintenant , tu peux pas faire n’importe quoi

Les gens ils attendent ton prochain livre, tu vas pas faire une histoire de bite sur la joue ? ! !

Un sourire garanti pour ceux qui, comme moi, aime cet humour.

 

 

Précieux conseils pour entrer dans la légende du sport

 

Quand l’important n’était pas (toujours) de gagner

 

Pour ce deuxième livre, il s’agit d’un recueil de nouvelles autour des histoires pittoresques des débuts des jeux olympiques. Sous forme de 24 courtes nouvelles nous découvrons le côté amateurs des jeux et c’est très amusant. Le livre se prétend une aide pour réussir les jeux olympiques et les conseils me semblent très judicieux :

En fait, il faut savoir raison garder et ne pas se tromper d’étiquettes, car ces règles précises et complexes ne possèdent pas de principe magique intrinsèque. Ce fut là une erreur récurrente chez bon nombre de nos compatriotes. Ainsi, lors des jeux olympiques de 19o0 à Paris, la mystérieuse Mme Froment-Meurice disputa le tournoi de golf en talons hauts, ce qui lui coûta probablement une gloire éternelle puisqu’elle s’enfonça dans le green et ne parvint pas à accéder à la troisième marche du podium. Quant au discobole Jules Noël, le colosse de Norrent- Fontes, sans doute crut-il prêcher l’exemple en sirotant du champagne entre deux lancers aux jeux de Los-Angeles, alors que la prohibition minait encore le moral de la grande nation américaine. Probablement indignés, les juges préférèrent regarder le saut à la perche plutôt que son jet final, qui aurait pourtant dû lui valoir la médaille d’argent.

Vous apprendrez que le premier tir aux pigeons se faisait avec de vrais pigeons, qu’un homme avec une jambe de bois remporta six médailles d’or, qu’une femme ayant gagné le tournoi de golf ne l’a jamais su car elle est partie avant les résultats. Et tant d’autres petites anecdotes savoureuses.
Merci Jérôme pour ces deux sourires.

 

 

 

 

Édition Flammarion. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Vous connaissez certainement « Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise », mais aussi « L’évangile selon Yong Sheng » . Ici dans trois nouvelles plus tragiques les unes que les autres Dai Sijie raconte trois destins pratiquement ordinaires dans ce terrible pays. Cela se passe dans une région entièrement polluée par le recyclage des appareils tels que les ordinateurs , téléviseurs ou électro-ménagers. Les gens deviennent fous, soit par la pollution soit par l’extrême pauvreté qui les réduisent à des gestes contre nature. C’est terrible et à peine supportable, la cruauté des hommes est sans limite, j’ai détesté le sort réservé à la femelle pangolin. Animal protégé qui a peu près disparu de Chine et cela parce qu’on lui attribue des vertus aphrodisiaques. La femelle pangolin a lutté de toutes ses forces car elle portait un petit sans pouvoir sauver sa vie. Le feu aura raison de sa résistance. (Peut-être cette race s’est-elle vengée en transmettant à l’homme le trop fameux virus !)

Trois destins tragiques marqués par l’extrême pauvreté , la pollution et la cruauté humaine. J’avoue avoir été saisie par la tristesse et le dégoût de cette humanité et je n’ai pas réussi à me sentir bien dans cette lecture. Dai Sijie écrit en français son pays d’adoption, et il a un goût pour l’imparfait du subjonctif qui rend son texte un peu vieillot mais cela lui donne,aussi, un charme certain.

 

Citations

Propagande maoïste

Seul notre État tout-puissant était capable d’organiser ce type de travaux pharaoniques pour répondre aux nécessités urgentes, indispensables, d’une région agricole moderne, et que le mot « réservoir d’eau », si ordinaire en chinois -et encore plus dans la vie quotidienne de ma famille-, était synonyme, sur le plan politique et économique, de bonheur du peuple. « C’est dans les climats où il pleut le moins que l’eau est le plus nécessaire aux cultures ». À en croire l’auteur de l’article, ce mot était quasi absent du vocabulaire des langues occidentales, des millions et des millions de malheureux Européens ou Américain ne le connaissaient pas, sinon ceux qui étudiaient l’histoire des jardins de Versailles, car il désignait les bassins construits par le roi de France afin de surprendre les dames de la cour par la beauté des jets d’eau.

Médecine chinoise

Il serait impossible de comprendre l’extinction de cette espèce (le pangolin) s’en rendre compte d’une particularité poétique de la médecine chinoise : par exemple, si les chauves-souris volent dans le noir, on peut être certain que leur fiente guériront de la cécité humaine, ; puisque le concombre de mer ressemble à un phallus , on affirme qu’il est aphrodisiaque et que, s’il en consomme, l’homme obtiendra un sexe d’une taille aussi pharaonique que l’est cette plante aquatique. Dans le cas du pangolin, c’est sa capacité à creuser dans la montagne qui fascine les Chinois. Et qu’est-ce qui ressemble plus à une montagne percée de grottes profondes, de ravins sombres, sinon un corps de femme ? Ainsi, manger sa chair est l’assurance de pouvoir pénétrer, aussi profondément qu’un pangolin, les mystérieux tunnels féminins.

Édition Belfond

Traduit de l’anglais Sarah Tardy

Repéré, d’abord, chez Céline et vu ensuite chez Moka, puis sur d’autres blogs dont j’ai oublié de noter le nom, je me demandais si j’allais apprécier cette auteure dont j’avais lu et aimé « L’étrange disparition d’Esme Lennox« . Je partage les avis que j’ai lus, je lui trouve un grand talent, la suite de ces récits où elle creuse son rapport à la maladie est aussi poignant que triste. Les réflexions qu’elle déteste entendre, je me les suis faites plusieurs fois : comment peut on avoir si peu de chance. Et elle me répondrait que non elle aurait dû tant de fois mourir qu’elle trouve avoir, finalement, beaucoup de chance d’être en vie. Si vous ouvrez ce livre, sachez que vous partez pour dix huit récits où la mort a souvent le premier rôle, elle la frôle, la menace ou cherche à atteindre les siens. Chaque récit porte le nom d’une partie du corps qui est alors l’objet du danger mortel. Si vous ne lâchez pas ce livre c’est que tout vient de son style et de de sa façon de raconter ce qui lui arrive, par exemple son accouchement : elle doit s’opposer au grand ponte de l’hôpital londonien qui méprise les mises en garde de son confrère du pays de Galle, cela sonne tellement vrai. Savoir le raconter comme cela doit faire du bien à tous ceux et toutes celles qui ont un jour senti ce regard méprisant sur leur corps souffrant. Elle a failli y rester mais elle a survécu et nous le raconte avec talent. Toutes les nouvelles sont intéressantes, et pour celles ou ceux qui comme moi n’aime pas trop que les auteurs se racontent sachez que le talent littéraire vous fera, encore une fois, passer au-delà de tous vos a priori

 

Citations

C’est tellement vrai mais comment faire ?

Quand vous serez plus grands et que vous sortirez, je leur dis, il y aura des fois où quelqu’un proposera quelque chose que l’on ne doit pas faire, et ce sera à vous de prendre la décision de le suivre ou pas. De faire comme le groupe ou de vous opposer à lui. De parler, d’élever la voix, te dire non, je ne pense pas que ce soit bien. Non je ne veux pas faire ça. Non non, je préfère rentrer chez moi.

Je n’aime pas l’avion mais cette expérience me tente :

Passer ainsi de fuseau horaire en fuseau horaire peut vous faire percevoir le monde avec une lucidité troublante distordue. Que faut-il blâmer ? L’altitude, l’inactivité prolongée, le confinement physique, le manque de sommeil, où les quatre à la fois ? Se déplacer à cette vitesse, à des milliers de pieds au-dessus du sol, dans une cabine d’avion modifie votre état d’esprit. Des choses que vous ne parvenez pas à expliquer se résolvent, comme si la bague d’un objectif avait été tournée. Dans vos pensées s’insinue soudain la réponse à des questions qui, depuis longtemps vous tourmentaient. Tandis que votre regard se pose sur les montagnes d’altostratus , étendues irréelles, vous vous surprenez à penser : Ah, mais bien sûr, et dire que je ne m’en étais jamais aperçu.

Pour moi l’avion c’est ça :

Personne ne voit rien venir, il y a juste un bruit de choc puis le froid qui envahit la cabine. Tout à coup, l’avion pique, décroche, tombe comme une pierre d’une falaise. L’accélération est inouïe, l’attraction la vitesse donnent la sensation de se retrouver sur le pire manège du monde, de plonger dans le néant, de se faire attraper par les chevilles et tirer vers les abîmes de l’enfer. La douleur éclôt dans mes oreilles, sur mon visage, tandis que ma ceinture me lacère les cuisses au moment où nous sommes projetés en l’air.
 La cabine est secouée comme une boule à neige : des sacs à main, des canettes de jus de fruits, des pommes, des chaussures, des sweat-shirt s’élèvent du sol des masques à oxygène se balancent du plafond comme des lianes et des êtres humains sont projetés en l’air. Je vois l’enfant qui était assis de l’autre côté du couloir percuter le plafond, pieds en avant, pendant que sa mère voltige dans l’autre direction, cheveux noirs défaits, l’air plus outré qu’apeuré. Le prêtre assis à côté de moi est lui aussi projeté vers le plafond, hors de son siège, vers son chapelet de perles. Deux nonnes qui ont perdu leurs cornettes volent comme des poupées de chiffon vers les lumières de l’appareil.

La scène avec le grand chef de service de l hôpital est criante de vérité

Les yeux plissés, monsieur C. s’est mis à taper sur son bureau avec le bout de son stylo. Puis il a décidé qu’il en avait assez. Il s’est levé et m’a adressé un petit signe de la main avant de lâcher sa réplique de fin :
« Si vous étiez venue me voir en fauteuil roulant, j’aurais peut-être accepté de vous faire accoucher par césarienne. »
Dire une chose pareille à quelqu’un était extraordinaire -surtout à quelqu’un qui avait réellement passé une partie de sa vie en fauteuil roulant. Ce qui m’horrifiait, ce n’était pas tant son refus de discuter -sans même parler du refus de m’accorder une césarienne programmée- , mais plutôt le fait qu’il sous-entende que j’étais une sorte de lâche perfide, qui me mentait pour tenter d’obtenir un accouchement facile. Ça, et sa tentative d’intimidation odieuse, et ça effarante. Me rendais-je compte que la césarienne était un acte chirurgical lourd ? Pas du tout, je pensais que c’était une promenade de santé.
Si je marche aujourd’hui, je le dois à l’unité de kinésithérapie ambulatoire, et son équipe et aux patient que j’ai rencontrés là-bas. Le fait qu’il ne m’aient jamais laissé tomber, qu’ils aient cru, contrairement aux médecins, que j’étais capable de bouger, de me déplacer, de guérir , a permis que cet espoir devienne réalité. Quand une personne vous affirme que vous êtes capable de faire quelque chose, quand vous voyez qu’elle croit vraiment en ce qu’elle dit, la possibilité que cela se réalise devient tangible.

Les bons conseils, sa fille est gravement allergique et fait des chocs anaphylactique

J’ai appris à hocher la tête avec calme quand les gens me disent qu’ils savent exactement ce que je ressens parce qu’eux’mêmes souffrent d’une allergie au gluten et se retrouvent avec le ventre gonflé dès qu’ils mangent du pain blanc. J’ai appris à être patiente et diplomate quand il me faut expliquer que, Non, on ne peut pas apporter de houmous à la maison. Non, ce n’est pas une bonne idée de lui en donner un tout petit peu juste pour l’habituer. Oui, il faut vous éloigner d’elle pour ouvrir si ou ça. Oui, le déjeuner que vous avez préparé pourrait lui être fatal.
 J’ai appris à son frère, à l’âge de 6 ans, comment composer le 999 et dire dans le combiné, c’est pour une urgence, un choc anaphylactique. Ana-phy-lac-tique. Mon fils est entraîné à le prononcer. Ma vie avec ma fille comporte un grand nombre de courses effrénées dans les couloirs des hôpitaux. Aux urgences, les infirmières l’appelle par son prénom. Son allergologue nous a répété plusieurs fois qu’elle ne devait être soignée que dans de très bons hôpitaux.

 Édition Actes Sud,Traduit du turc par Julien Lapeyre Cabanes

 

Chaque œil qui lit les phrases que j’écris, chaque voix qui répète mon nom est comme un petit nuage qui me prend par la main et m’emporte dans le ciel pour survoler les plaines, les sources et les forêts, les rues, les fleuves et les mers. Et je m’invite sans un bruit dans les maisons, les chambres, les salons. 

Je parcours le monde depuis une cellule de prison.

C’est sur Facebook que j’ai vu passer ce livre, (comme quoi il s’y passe parfois des choses intéressantes !). Pour une fois je vais être impérative et claire : lisez ce livre et faites le lire autour de vous. D’abord parce qu’il faut savoir ce qui se passe sous Erdogan en Turquie, mais aussi parce que c’est l’oeuvre d’un grand écrivain qui sait nous toucher au plus profond de nous. Ahmet Altan est, avant tout, écrivain et il sait qu’aucun mur aussi épais soit-il ne peut tarir sa source d’inspiration et que si ses geôliers, suppôts du régime d’Erdogan, emprisonnent et cherchent à l’humilier l’homme, ils ne pourront jamais éteindre l’écrivain qui est en lui. Il sait, aussi, l’importance pour lui d’être lu par un large public, c’est pour cela que j’ai commencé de cette façon ce billet. Les hasards faisaient que je lisais en même temps un numéro de la revue « Histoire » sur le goulag. Et je me suis fait la réflexion suivante : certes la Turquie va mal, certes cet homme est privé de sa liberté mais ils n’est pas torturé, il peut faire de multiples recours judiciaires, il a pu écrire et peut-être, finalement sortira-t-il de prison, mais c’est loin d’être fait. En attendant il s’est trouvé des avocats assez courageux pour l’aider à faire découvrir ses textes à un très large public international ( partout, sauf en Turquie) . Feuillets après feuillets, mêlés entre les écrits de procédure, les conclusions et les documents de défense de ses avocats, Ahmet Altan a fait sortir son livre de prison, par pièces détachées, avant qu’elles ne soient rassemblées au dehors. Lisez les extraits que j’ai notés pour vous et j’espère que cela vous donnera envie de lire son essai en entier qui est un petit chef d’oeuvre sur l’enfermement, le pouvoir de l’écrivain, et la force de la littérature.

Citations

La prison à vie

À instant où la portière s’est refermée, j’ai senti ma tête cogner contre le couvercle de mon cercueil.

Je ne pouvais plus ouvrir cette portière, je ne pouvais plus redescendre.
Je ne pouvais plus rentrer chez moi.
Je ne pourrai plus embrasser la femme que j’aime, ni éteindre mes enfants, ni retrouver mes amis, ni marcher dans la rue, je n’aurai plus de bureau, ni de machine à écrire, ni de bibliothèque vers laquelle étendre la main pour prendre un livre, je n’entendrai plus de concerto pour violon, je ne partirai plus en voyage, je ne ferai plus le tour des librairies, je ne sortirai plus un seul plat du four, je ne verrai plus la mer, je ne pourrai plus contempler un arbre, je ne respirerai plus le parfum des fleurs, de l’herbe, de la pluie, ni de la terre, je n’irai
plus au cinéma, je ne mangerai plus d’œufs au plat au saucisson à l’ail, je ne boirai plus un verre d’alcool, je ne commanderai plus de poisson au restaurant, je ne verrai plus le soleil se lever, je ne téléphonerai plus à personne, personne ne me téléphonera plus, je n’ouvrirai plus jamais une porte moi-même, je ne me réveillerai plus jamais dans une chambre avec des rideaux.

Dieu et Saint Augustin

Mais cette fois, la lecture de Saint-Augustin m’a mis en rage.
Car il m’est apparu qu’il donnait raison à ce Dieu d’avoir créé la torture, la cruauté, la souffrance, le crime, la cage où j’étais enfermé, autant que les hommes qui m’y avait jeté.
Si je résume grossièrement, dans les limites de mon ignorance, la cause de tous ces mots était le « libre arbitre  » qu’Adam, le premier homme, avait pour ainsi dire inventé en mangeant la pomme.
J’étais donc en prison parce qu’un homme avait mangé une pomme.
C’était Adam créé par Dieu de ses « propres mains », qui l’avait mangée, c’était moi qui me retrouvais en prison.
 Il fallait en plus que je rende grâce au philosophe ?
 J’ai grommelé comme si le vénérable chauve était devant moi il me souriait, avec sa longue barbe, ses vêtements dépenaillés et son air doucereux.
« Dis donc toi, lui ai-je dit, quel est le plus grand pêché : manger une pomme ou mettre toute l’humanité au supplice à cause d’un type qui a mangé une pomme ?
 Puis j’ai ajouté plein de rage :
 « Ton Dieu est un pêcheur.

Les prisonniers

Dans le genre tableau de l’être humain en misérables repris de justice, rien ne valait sans doute cette pathétique procession d’hommes hirsutes et ébouriffés, avec leurs chaussons informes, leurs débardeurs crasseux et leurs pantalons froissés.
Au milieu de cet embouteillages que causait la confusion entre les ordres de marche qu’on nous hurlait dessus et notre maladresse à y obéir, tout ce qui faisait la personnalité extérieure de chacun disparaissait dans une sorte de bouillie humaine sans identité, et personne n’avait plus rien en propre, ni mimique, ni gestes, ni voix, ni démarche.
Dans cette espèce de brouillard grisâtre, la fortune lamentable de notre sort m’apparaissait au grand jour.

les médecins en prison

Et j’ai pensé : Si tu réussi à garder ta dignité même déculotté devant cette femme médecin, alors tu n’auras plus rien à craindre.
Puis elle m’a autorisé à remonter mon pantalon.
En sortant, je lui ai demandé : « Et vous, c’est quoi votre spécialité ? »
La réponse, du genre impérissable :
« Sage-femme. »

Motif de la condamnation à la prison à vie

Dès le début de l’audition nous avons demandé au juge.

« On nous arrêté à cause d’un message subliminal, et maintenant ce chef d’accusation a disparu. Qu’en est-il et pourquoi ? »
La réponse que nous a donné le juge avec un large sourire ironique mérite d’ores et déjà de figurer dans tous les manuels de jurisprudence et d’histoire du droit :
« Disons que nos procureurs aiment employer des termes qu’ils ne comprennent pas. »
En résumé, si nous croupissions depuis douze jours dans les cachots de la police, c’était à cause d’un procureur qui avait pris plaisir à employer un mot qu’il ne connaissait pas ! Le juge ne disait pas autre chose.

Description si vraie d’Istanbul mais de Paris aussi

J’habite dans un quartier où les sultans ottomans, jadis, avaient leur villa d’été, sises au milieu de grand jardin, et qui maintenant n’a plus que de gros immeubles avec de petits jardins… Dans ses jardinets attenants aux immeubles, on peut encore trouver des orangers, des grenadiers, des pruniers et des massifs de rose vestiges d’âge passé… Les descendants des sultans habitent toujours ici.

En prison de haute sécurité totalement isolé

L’unique fenêtre de la pièce, elle est aussi munie de barreaux, donnait sur une minuscule cour de pierre.
Je me suis allongé.
Silence.
Un silence profond, extrême.
Pas un bruit, pas un mouvement. La vie soudainement c’était figé. Elle ne bougeait plus.
Froide, inanimée.
 La vie était morte.
 Morte tout d’un coup.
J’étais vivant et la vie était morte.
 Alors que je croyais mourir et que la vie continuerait, elle était morte et je lui survivais.

Souffrance du prisonnier

Il est impossible de décrire cette nostalgie qu’on éprouve en prison. Elle est tellement profonde, tellement nue, tellement pure qu’aucun mot ne saurait être aussi nu, aussi pur. Ce sentiment que les mots sont impuissants à exprimer, ce sont encore les gémissements, les jappements d’un chien battu qui le dirait le mieux.

 Il faudrait, pour comprendre cette peine, que vous puissiez entendre la plainte intérieur des hommes emprisonnés, or vous ne l’entendrez jamais.
 Ceux qui portent cette douleur en eux ne peuvent la montrer, même a l’être qui leur manque le plus, pire, il l’a dissimule avec un peu de honte.

Encore Dieu

Nous vivons sur une planète où les vivants mangent les vivants. Les hommes ne se contentent pas de tuer d’autres créatures, ils s’assassinent aussi entre eux, constamment. Les montagnes crachent du feu, la terre s’ouvre, engloutit hommes et bêtes, les eaux se déchaînent, détruisent tout sur leur passage, les éclairs tombent du ciel.

Ici me semble résider l’un des paradoxes les plus curieux du genre humain, capable de concevoir que la terre, ce lieu affreux, puisse être l’oeuvre d’une puissance parfaitement bonne, et ainsi démontrer que les hommes sont dotés malgré la barbarie constitutive de leur existence, d’une imagination exagérément optimiste.
Il croit qu’une force à créer tout cela, mais au lieu de s’en plaindre et de la détester, il l’adule plein de gratitude et de reconnaissance.

Les puissants en prison

Je constatais que face à des coups de cette violence là, les gens habitué au pouvoir et à l’immunité sont bien moins résistants que les autres. Pour ces gens-là que le destin a toujours fait graviter dans les hautes sphères, la chute est plus brutale, l’atterrissage plus douloureux. Psychologiquement, la violence du choc les détruit.

Édition Dialogues 

Je sais que j’ai trouvé le nom de cet auteur dans la blogosphère, j’espère que celle ou celui qui me l’a fait connaître se manifestera afin que je puisse mettre un lien vers son blog. Et cela n’étonnera personne c’est chez Keisha que j’ai trouvé ce petit bijou. Depuis, Sylire m’a envoyé son billet intéressant égalememnt.

Je suis amenée à lire beaucoup de recueils de nouvelles pour mes lectures à haute voix dans une résidence pour personnes très âgées. C’est très compliqué de trouver des nouvelles qui conviennent à la fois à ce public et à mes capacités de lectrice. J’élimine les histoires trop violentes et trop glauques, ainsi que toutes les nouvelles qui se passent dans des maisons de retraite (curieusement ce thème fait florès dans le genre, d’ailleurs dans ce recueil il y en a une que je ne leur lirai pas : « La révoltée des quatre saisons »). J’écarte également des nouvelles que j’aime beaucoup où il n’y a pas vraiment de fin, qui sont comme des petits moments suspendus dans le vide. Je ne suis pas assez bonne lectrice pour en donner toute leur saveur. Ainsi que les nouvelles trop courtes qui donnent un peu le tournis à mon public. Nos préférées sont celles qui nous font rire mais elles sont rares nous avons passé de bons moments avec « les racontars » de Jorn Riel et la « vengeance du wombat » de Kenneth Cook .

 Bref, ces nouvelles sont des petits chefs d’oeuvre. Cet écrivain a une sensibilité qui correspond exactement à ce que je recherche. Jamais dans le jugement, ce médecin comprend ses patients et sait nous les rendre sympathiques. Sauf l’horrible M Kervert qui j’espère se reconnaîtra dans cette nouvelle afin que son crime silencieux ne reste pas totalement impuni. J’ai eu plusieurs coups de cœur la plus souriante et qui a fait sourire mon public : « le ventre de Clémentine » la scène de la morsure du ventre par le médecin scientifique français pour chasser le mauvais esprit qui a envahi les rêves de la femme noire est irrésistible. J’ai aussi beaucoup aimé « Le Bistrot » et la sensibilité avec laquelle ce médecin aborde l’addiction à l’alcool. Je vous ai mis quelques passages pour vous donner envie d’aller lire ces nouvelles. Ma préférée qui résonne si fort en moi que j’ai eu du mal à contrôler mon émotion c’est sans doute  » Docteur Schumann ». Aucune de ses nouvelles ne m’a déplu et comme elles ont un fil conducteur : « la relation du malade et de son médecin » , c’est facile de passer de lune à l’autre. Un vrai coup de cœur que j’espère partager avec vous.

Citations

Bistrot

« Depuis la mort de son fils de quinze ans dans un accident de moto , mon ami Jean Lentour s’abandonne à la boisson . Je compte sur toi. »
 La lettre était brève mais suffisamment éloquente pour que j’imagine l’ampleur des dégâts . Elle était signée par l’un de mes fidèles confrères. Je la repliai et me sentit immédiatement désarmé. Comment contrecarrer une telle souffrance , comment imaginer faire contrepoids à un tel processus de destruction ? Je savais toutefois qu’en matière d’alcool, l’avenir restait imprévisible. Avec certains maux, il faut se contenter d’être là, juste pour en limiter les nuisances.

Le bistrot

« Ce café , me dit-il un jour , c’est ma bouée ». La présentation de ce lieu comme moyen thérapeutique finissait par m’agacer. Pour avoir soigner beaucoup de patients alcooliques , je n’étais pas dupe de la fausse complicité entre piliers de bistrot , et de cette prétendue chaude ambiance où l’on se détruit en groupe dans une incroyable solitude.

La fin

Un samedi matin , me dit il , il faisait particulièrement beau . Je m’apprêtais à partir servir comptoir lorsque mon épouse , qui n’a jamais manifester la moindre exigence m’a proposé : « Et si, aujourd’hui, nous allions ensemble au marché ? »
Je ne sais pourquoi , je n’ai pu résister à sa demande . Je me suis brutalement réveillé et rendu compte de l’amour de la femme qui était à mes côtés . Je lui avais fait vivre l’enfer . Elle aussi avec perdu son fils . Pendant que je dérivais dans l’alcool , elle avait tenu bon , attendant mon retour. Vous ne me croirez peut être pas, mais depuis ce jour, j’ai retrouvé la paix.

 

Traduit de l’anglais par Georges Lory.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

 

Voici sept nouvelles qui peuvent se lire séparément, mais qui ont des points communs : le vieillissement et la volonté de rester soi-même d’une femme indépendante et intellectuelle malgré les affronts de l’âge, les soucis des enfants face à l’indépendance et la fragilité de leur mère vieillissante, et enfin les animaux que les hommes traitent si mal parfois.

Toutes les nouvelles ont beaucoup de charmes et de délicatesses, rien n’est résolu, les histoires sont comme en suspens . La dernière qui a donné son titre au recueil « l’abattoir de verre », m’a fait penser au livre de Vincent Message « Maîtres et Possesseurs » , d’ailleurs J.M Coetzee rappelle la philosophie de Descartes dans cette nouvelle. Ce n’est pas celle que j’ai préférée, je sais que je vais l’oublier assez vite, sauf sans doute l’image des poussins que l’on broie à peine nés car ils ne sont pas du bon sexe, (aucune féministe ne se réjouira de savoir que ce sont les petits mâles que l’on passe à la broyeuse !). J’ai beaucoup aimé la nouvelle de la femme qui se réfugie dans un village espagnol entourée de chats à moitié sauvages et d’un certain Pablo un peu demeuré et qui l’aide à vivre dans une maison si inconfortable. Que son fils soit inquiet on peut le comprendre, mais rien ne semble pouvoir la faire changer d’avis !

Je me suis demandé pourquoi J.M Coetzee avait choisi de se mettre à la place d’une femme puisque ces sept nouvelles racontent sept moment différents du vieillissement la vie d’Elizabeth Costello mais il a beaucoup de talent pour sonder l’âme humaine qu’elle soit dans un corps féminin ou masculin.

 

 

Citations

 

Se sentir vieillir

Ce que je trouve troublant vieillissant, dit-elle à son fils, c’est que j’entends sortir de ma bouche des mots que jadis j’entendais chez les personnes âgées et que je m’étais promis de ne jamais employer. Du style  » Où-va-le-monde-ma-bonne-dame ». Les gens se promènent dans la rue en mangeant des pizzas tout en parlant dans leur portable -où va le monde ?

 

La beauté

La question que je me pose à présent, c’est : toute cette beauté quel bien m’a-t-elle fait ? La beauté n’est-elle qu’un bien de consommation, comme le vin ? On le déguste,on l’avale, il nous donne une sensation agréable, grisante, mais qu’en reste-t-il au final ? Le résidu du vin, excusez-moi, c’est l’urine ; quel est le résidu de la beauté ? Quel aspect positif nous laisse-t-elle ? La beauté fait-elle de nous des gens meilleurs ?

 

L’automne

Tout comme le printemps est la saison qui regarde l’avenir, l’automne est la saison qui regarde vers l’arrière 

 Les désirs conçus par un cerveau automnal sont des désirs d’automne, nostalgiques, entassés dans la mémoire. Ils n’ont plus la chaleur de l’été ; même lorsqu’ils sont intenses, leur intensité est complexe, plurivalente, tournée vers le passé plus que l’avenir. 

 


J’ai relu « Les joueurs d’échec » grâce à cette édition et la réflexion de Pierre Deshusses à propos de la traduction m’a beaucoup intéressée. Depuis le l’essai de Volkovitch et son blabla, je suis très sensible à la traduction et je n’oublie jamais de noter le nom du traducteur à propos des œuvres étrangères. Dans cette édition l’ordre chronologique est respecté donc « les joueurs d’échec » termine le recueil puisqu’il est paru si peu de temps avant le suicide de Stefan Sweig. Chacune des nouvelles est précédée d’un prologue rédigé par le traducteur ou la traductrice. C’est vraiment un plaisir de relire Zweig de cette façon. Il a tellement raison Pierre Deshusses, il faut retraduire les textes car chaque époque a sa sensibilité et quand on ne lit pas dans la langue maternelle, on a du mal avec les archaïsmes du français qui alourdissent inutilement la prose de l’écrivain.

Un traducteur n’est pas une personne qui vit hors de son temps. Par-delà ses qualités, il est le produit d’une ambiance, d’une idéologie et parfois de mode. On ne traduit plus comme on traduisait il y a un demi-siècle. C’est l’un des grands paradoxes de la littérature : une œuvre originale ne peut être changée ; sa traduction doit être changée, ce qui explique le phénomène que l’on appelle « retraduction » et qui touche tous les auteurs de tous les continents.
Ce qui est certain c’est que j’ai relu avec grand plaisir cette nouvelle, alors que très souvent j’étouffe à la lecture de Stefan Zweig , je trouve son style trop lourd . Alors un grand merci à Françoise Wuilmart , la traductrice, dont l’introduction est brillante et pose si bien tout ce qu’on ressent pendant la lecture
Zweig a-t-il fini par se sentir coupable de cet humanisme abstrait, de cet isolement qui pouvait passer pour une égoïste indifférence, et par se « dégoûter » de lui-même ?…. La confrontation entre le champion « abruti » et le joueur abstrait a inspiré bien des analyses qui vont dans toutes dans ce sens : le personnage du Dr B. symboliserait une Europe torturée qui s’autodéchire, Mirko Czentovic qui utilise sa lenteur pour déstabiliser son adversaire représenterait la stratégie froide, déshumanisée et sadique du nazisme.
Vous souvenez sans doute des parties d’échec qui ont lieu sur un paquebot, menant le narrateur vers l’exil. elles opposent d’abord l’homme qui ne savait faire que cela Mirko Czentovic au Dr. B . Comme moi vous avez sans doute voulu que ce dernier écrase de toute sa brillante intelligence cette stupide machine sans âme qui écrase tous ses concurrents de son mépris. Mais auparavant, Zweig décrit avec minutie une des horreurs du nazisme, une torture particulièrement raffinée et sadique : le Dr. B a été pendant de longs mois tenu au plus grand secret sans pouvoir occuper son esprit. Rien, il n’avait rien à regarder ni à lire, il ne lui restait que son cerveau qui a bien failli devenir fou. Le plus grand des hasards lui offre la possibilité de lire un livre d’échec et dès lors, il devient à la fois le joueur le plus imaginatif de son époque, mais hélas, cela le fit sombrer aussi dans la folie quand il essaye d’imaginer des parties où il jouait contre lui même. À travers les parties qui l’opposent à Czentovic, si bien décrites, c’est bien au combat de l’intelligence raffinée contre la force brutale à laquelle on assiste. Le champion du monde, n’est pas si stupide qu’il y paraît car il comprend quand même très vite qu ‘il ne peut gagner qu’en ralentissant son jeu. Et hélas ! ce n’est pas celui que l’on souhaiterait voir triompher qui est le vainqueur. On ne peut pas oublier qu’alors que Stefan Zweig rédigeait ces textes, tous ses livres étaient brûlés à Berlin et à Vienne, son intelligence et son immense culture ne faisaient pas le poids face au Nazisme.

Citations

Les qualités pour jouer au échecs

Certes, je savais d’expérience l’attrait secret que pouvait exercer ce jeu Royal, le seul d’entre tous les jeux inventés par l’homme qui puisse se soustraire souverainement à la tyrannie du hasard et le seul qui ne dispense ses lauriers qu’à l’intelligence ou plutôt à une certaine forme d’intelligence.

J’aime bien cette distinction

J’ai toujours pris le jeu d’échecs à la légère et joué pour mon seul plaisir, quand je m’assieds devant un échiquier pour une heure ce n’est pas dans le but de produire des efforts, mais contraire de me détendre l’esprit. Je « joue »au plein sens du terme tandis que les autres, les vrais joueurs, ils « sérieusent », si je puis me permettre cet audacieux néologisme. 

Le jeu des échecs

Aussi vieux que le monde et éternellement nouveau, mécanique dans sa disposition mais activé par la seule imagination, limité dans son espace géométrique rigide et pourtant illimité dans ses combinaison, impliqué dans un constant développement et pourtant stérile, une pensée qui ne mène à rien, une mathématique qui n’établit rien, un art qui ne laisse pas d’oeuvre, une architecture sans matière et nonobstant d’une pérennité plus avéré dans son être et dans son existence que tous les livres ou tous les chef-d’œuvre, le seul et unique jeu qui a appartenu à tous les peuples et à tous les temps et dont personne ne sait quel Dieu en a fait don à la terre, pour tuer l’ennui, pour aiguiser les sens, pour stimuler l’âme.

Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail .Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Je n’avais lu que « la douce empoisonneuse  » de cet auteur, que j’avais complètement oublié car ce roman ne m’avait pas plu et je pensais m’arrêter là , dans la découverte de cet auteur finlandais et bien j’avais bien tort ! J’aurais dû faire davantage confiance à la blogosphère et il a fallu mon club pour que je le « re »mette à mon programme. S’il reçoit 5 coquillages, c’est qu’il m’a fait éclater de rire plusieurs fois et j’espère que vous aussi, si vous lisez mes citations. J’ai classé ce roman dans les nouvelles car chaque trouvaille de notre amateur d’antiquité est comme une petite histoire. On suit la vie de Volomari Voltinen et de son épouse Laura, mais leurs vies ne sont que les fils conducteurs de différentes anecdotes, Volomari en est souvent l’acteur principal car sa passion pour les objets anciens l’entraîne dans des histoires où il aura besoin de tout son talent juridique pour s’en sortir.

J’ai retrouvé avec un plaisir certains les reliques du Moyen-âge, ici ce qui en fait la valeur c’est l’ancienneté dans la croyance et non pas qu’elles soient vraies ou fausses. Vous pouvez donc vous offrir un orteil de Saint-Pierre ou une clavicule du Christ. Mais c’est très cher à moins que vous ne le voliez… Oh ! quel scandale , voler la clavicule du Christ, la morale chrétienne y retrouvera-t-elle son compte si on l’échange avec le squelette d’un soldait de l’armée rouge ? J’ai adoré aussi les négociations autour du dentier de Mannerheim et savoir que quelqu’un au Vatican a un avis sur la question me ravit. Bref tout se déguste dans ce récit et plus d’une fois j’ai pensé aux « Racontars  » de Jon Riel. Au delà de la drôlerie de ces histoires on en apprend aussi beaucoup sur le destin de Finlande, marqué par le nazisme et l’occupation soviétique. On y boit beaucoup, mais vraiment beaucoup dans ce pays du grand nord, c’est pourquoi j’ai cherché toutes les bouteilles de Whisky que j’ai pu trouver pour ma photo !

 

Citations

Les origines de Volomari

C’est une chance de naître dans la famille d’un tôlier-ferblantier aimant les enfants et collectionnant les antiquités. Il y a là de toute évidence une forme d’équilibre : un nouveau-né et des objets anciens se complètent à merveille, le passé et l’avenir cheminent main dans la main.

Humour finlandais

De retour sur le front, il reprenait son modeste rang de caporal. Il rangeait en toute discrétion sa vareuse de sergent dans son sac, mais à l’arrière il était toujours au moins sous-officier, et parfois même, dans ses moments les plus ambitieux, capitaine de cavalerie. Il avait volé les pattes de collet correspondantes sur l’uniforme d’un officier de carrière tombé au champ d’honneur, en se disant qu’il en ferait meilleur usage que lui.

Portait

Volomari finançait ses études en travaillant comme placier en assurance, menait une vie relativement rangée, ne s’adonnait que rarement à la boisson et ne passait pas de nuits blanches. Il réussit malgré tout à perdre sa virginité, avec l’aide dévouée d’une dénommée Riita.

Les langues sur un tandem

Ils parlaient allemand entre eux, sauf dans les montées les plus dures, qui les faisaient plus naturellement pester en finnois.

Tarzan

Au faîte de sa gloire, Johnny Weissmuller avait littéralement but la vie à pleines gorgées, et étant ainsi devenu, avec l’âge, un sacré poivrot. On savait, dans le milieu du cinéma, que Tarzan buvait comme un éléphant, souvent du matin au soir, et qu’il ne devait qu’à son exceptionnel physique d’athlète de ne pas rouler sous la table dès le réveil.

Le métier d’assureur

Rytokorpi tentait de faire avancer l’enquête, mais en dehors des traces d’effraction, il n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. La liste des objets disparus était en général longue, les victimes ayant jugé bon d’inscrire des biens qu’elle n’avait même pas eu le temps d’acquérir.

Les juristes et les écrivains

Quoi qu’il en soit, il risquait une forte amende ou une peine avec sursis, et mieux valait se débarrasser au plus vite des obus. Il avait malgré tout l’intention de conserver le mortier. Il pourrait toujours expliquer n’être qu’un innocent collectionneur et l’avoir acheté dans les surplus de l’armée. Des juristes sont habiles à inventer de toutes pièces des histoires. Dans ce domaine ils battent à plat de couture la plupart des écrivains.

Pourquoi les hommes tirent mieux au mortier que les femmes

l’obus explose a à peu près dans la bonne direction, mais pas exactement à l’endroit visé. Malgré les efforts de Laura, le pointage n’était pas assez précis. Les femmes n’ont en effet pas naturellement le sens des trajectoires en forme de cloche, contrairement aux hommes qui ont tous les jours l’occasion de les étudier en vidant leur vessie. Ces exercices répétés leur permettent d’affiner la précision de leur visée , de développer leurs capacités d’évaluation et de raffermir leur main, pour un résultat souvent grandiose.

Utilité des attachés-cases

Le chef de police suppléant était convaincu que les attachés-cases étaient spécialement conçus aux mesures de la bouteille de Ballantine’s. Il soupçonnait les maroquiniers qui les fabriquaient à travers le monde d’être actionnaires de la fameuse distillerie, où celle-ci, à l’inverse, de manufacturer en toute discrétion des millions d’attachés-cases afin de populariser son whisky. Quoi qu’il en soit, d’adéquation était parfaite. Lorsqu’ils firent étape à Tampere, Volomari Volotinen s’empressa d’acheter un attaché-case et deux bouteilles de Ballantine’s pour le garnir, consacrant ainsi son entrée dans la caste des hommes d’affaires.