Édition Gallimard NRF . Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai parfois eu des réserves sur cet auteur mais ce livre est un des meilleurs romans que j’ai lu depuis longtemps.( trois coquillages pour expo 58 et quatre pour la pluie avant qu’elle ne tombe) J’ai parfois une pensée pour les traducteurs, ici pour la traductrice et je me suis dit quel plaisir elle a dû avoir à traduire un livre aussi intelligent, drôle parfois et si sensible. Et bravo pour le titre ! Il représente exactement ce que veut montrer Jonathan Coe : derrière ce nom Royaume-Uni se cache une désunion qui va aboutir au schisme du Brexit et la royauté est comme un vernis qu’on agite devant les yeux des « gogos » qui pleurent à l’unisson devant la mort de Diana en oubliant leurs divergences plus fondamentales.

Sous un sentiment national anglais unanime se cache donc des fissures importantes que l’auteur va, peu à peu, nous révéler à travers une famille dont nous allons connaître la vie de 1945 à aujourd’hui. C’est peu de dire que ce livre est une vision critique de l’Angleterre c’est le plus souvent une peinture au vitriol.
Le roman commence par un prologue en mars 2020, rappelons nous, c’est le début d’une épidémie qui va mettre l’Europe dans un état qu’elle n’avait jamais connu. Le confinement va s’installer et c’est d’ailleurs par les conséquences les plus tristes de ce confinement que se terminera le récit : la mort, seule isolée des siens, de Mary un personnage central du livre, la mère de trois fils adultes, et la grand-mère de cinq petits enfants, dont Suzan la contrebassiste avec qui nous étions dans le prologue.
Nous sommes à Birmingham, la ville où John Cadbury a créé une entreprise de chocolat célèbre en Angleterre et qui sera très importante dans le roman. En 1945 on célèbre la victoire sur le nazisme et si les Anglais peuvent être fiers de leur victoire, l’auteur souligne qu’ils sont plus nationalistes qu’anti nazi. Peu à peu les traits de caractère se dessinent. Mary très dynamique va épouser Geoffrey un homme qui restera toute sa vie enfermé dans ses certitudes et qui n’exprimera qu’une seule fois sa sensibilité et ce sera lors du décès de Lady Diana.

Le mélange entre la vie des différents membres de la famille et des évènements nationaux est une grande réussite. Le livre est divisé en sept chapitres qui sont autant de rendez-vous où le royaume donne l’impression d’être « uni » :

  • le prologue mars 2020
  • le jour de la victoire 8 mai 1945
  • finale de la coupe du monde Angleterre bat l’Allemagne 30 juillet 1966
  • l’investiture du prince de Galles 1 juillet 1969
  • le mariage de Charles avec Diana 29 juillet 1981
  • funérailles de Lady Diana 6 septembre 1997
  • 75° anniversaire de la Victoire 8 mai 2020

Pour nous retrouver dans la famille Lamb et Clark , l’auteur fournit au début du livre un arbre généalogique, j’ai souvent eu besoin de m’y référer. C’est peut être le léger reproche que je ferai à ce roman. brassant autant d’années et de personnages, on a parfois du mal à bien connaître chaque membre de la famille. Ils sont à l’image du pays plus divisés qu’il n’y parait et après le « brexit » certains ne se parleront plus.

Birmingham est donc la ville du chocolat à l’anglaise et malheureusement, la France et la Belgique ne veulent pas le laisser entrer en Europe car il n’utilise pas de beurre de cacao. Jonathan Coe se fait un malin plaisir de nous raconter en détail les discussions européennes et la mauvaise foi des Anglais, le côté sans fin de ces discussions (elles ont duré sept ans !) serait drôle si finalement elles n’étaient pas à pleurer. Le portrait de Boris Johnson comme journaliste à Bruxelles est criante de vérité et avoir élu cet individu à la tête du pays fait partie des failles de ce pays.

Ce roman est rempli d’informations et j’aimerais bien toutes les retenir : un vrai grand plaisir de lecture.

 

Citations

L’engagement dans la guerre 39/45.

Pour eux, c’était une simple histoire d’auto défense : les Allemands voulaient nous envahir, nous occuper, un peu qu’on allait les arrêter, merde. (désolé pour les gros mots. Remarque, eux ils auraient dit bien pire) . Eux contre nous, point barre, tu vois. Bon y a rien de mal à ça bien sûr. Ils se sont battus comme des héros sur ce principe on ne peut pas leur enlever ça. Mais ils voyaient ça simplement comme une guerre contre les Allemands : et pour être honnête si tu les poussaient à parler politique tu t’apercevais que certains avaient des opinions pas si éloignées que ça de celles des nazis. (…)

 C’est juste que je pense qu’il y a une certaine idée de la guerre les gens aiment bien cultiver. Comme quoi c’était une affaire politique. Comme quoi tout le monde était convaincu que le véritable ennemi c’était le fascisme. C’est une sorte de mythe. Un mythe que les gens de gauche sont de plus en plus prompt à embrasser. 

Snobisme.

Tu sais quoi, je crois qu’il trouve que ça fait trop populo. Le tennis, le golf, ça c’est pour les gens comme lui, pas le foot. Et il ne veut pas aller à Villa Park parce qu’il pense que le quartier est pourri et qu’il arrivera quelque chose à sa voiture si la gare là-bas. Il est terriblement snob, je crois qu’il tient ça de ses parents. 

Le nationalisme alimentaire.

 On rapporte que l’équipe portugaise, qui séjourne à Wilmslow, a apporté six cent bouteilles de vin et plusieurs tonneaux d’huile d’olive vierge, ayant supposé (à juste titre) qu’il leur serait impossible de se procurer des substituts convenables pour ces denrées en Angleterre.
 Leur équipe médicale a interdit aux Espagnols de boire l’eau du robinet anglaise affirmant qu’ils tomberaient sûrement malade sinon. 
Entre temps on a demandé au joueur vétéran Ron Flowers de lister les avantages dont jouissent les Anglais en jouant à domicile, et il répond sans aucune hésitation que le principal c’est de « pouvoir manger correctement ».

L’expression des sentiments chez un Anglais.

 Il est assis devant sa télé portative, plié en deux, des mains sur les yeux. À l’écran s’affiche des images des funérailles de la princesse Diana. Les épaules de Geoffrey se soulèvent, et il est secoué de longs sanglots convulsifs. Quand Mary lui attrape les mains et les écarte doucement de son visage, elle voit qu’il a les yeux rouges et gonflés, les joues luisantes de pleurs, la bouche tordue en un rictus de chagrin obscène. Geoffrey pleure comme un bébé. Les larmes jaillissent de son corps : des larmes qu’il n’a jamais versées pour son père, ni pour sa mère ; des larmes que rien d’autre, rien de tout ce qui a pu leur arriver, à lui, à Mary, ou à ses enfants n’ont jamais réussi à lui tirer en soixante-dix ans.

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Édition Belfond. Traduit de l’anglais (Irlande par Jean-Luc Piningre

 

C’est ma troisième lecture de cet auteur irlandais, et si ce n’est pas mon préféré j’en ai, cependant, beaucoup aimé une grande partie. Cet auteur sait mieux que quiconque décrypter l’horreur de la tyrannie qu’elle soit soviétique ou américaine comme dans les saisons de la nuit, mais il est surtout, pour moi, l’auteur d’Apeirogon qui m’a tant bouleversée l’été dernier.

Dans ce roman Colum McCann va faire revivre Rudolph Noureev, il prend un partie pris intéressant. Ce sont tous les gens qui l’ont connu et côtoyé de près qui vont faire son portrait. Peu à peu, nous aurons une idée assez précise de son parcours et de sa vie. La partie que je trouve passionnante se passe Oufa dans l’Oural. Le premier chapitre est consacré à la guerre 39/45 et les ravages dans l’armée soviétique. Puis l’enfant grandit et il a la chance de rencontrer une danseuse exilée à Oufa avec son mari et originaire de Léningrad, elle reconnaîtra son talent exceptionnel. Cette danseuse fait partie des gens « relégués » c’est à dire qui ont été jugés mauvais soviétiques par Staline et les habitants d’Oufa le lui font bien sentir..

Son père est un homme rude et bon communiste, il souffrira de voir son fils devenir danseur. Le jour de sa mort alors que Rudolph Noureev est un danseur étoilé mondialement connu, son fils pensera que son père ne l’a jamais vu danser.
En 1961,(on connaît l’histoire) Noureev choisit de rester à Paris, sa famille et tous ceux qui l’ont connu sont alors soumis en Union Soviétique à des interrogatoires sans fin. Et ses parents seront obligés de le renier, même sa mère qui adorait son fils.

La deuxième partie du récit montre le danseur étoile dans sa vie de prince en occident. J’avoue que cela m’a beaucoup moins intéressée. C’est une suite de soirées avec au programme, sexe, alcool, drogues… Ce n’est vraiment pas ce que je préfère dans la vie.

Gorbatchev l’autorisera à venir 48 heures en Russie pour voir sa mère mourante, on ne sait pas si elle a pu le reconnaître.

Quelque soit la vie folle, que mène le danseur, il a toujours envers lui-même cette incroyable discipline qu’exige la danse classique pour devenir ce spectacle défiant la loi de la gravité. Je pense que pour bien aimer ce roman il faut s’y connaître, plus que moi, en danse classique.
Je conseille donc ce livre pour la partie soviétique et la description de l’exigence de la danse classique sinon j’ai eu beaucoup de mal avec l’aspect orgiaque de la vie du prince de la danse, surtout quand on sait qu’il y trouvera la mort car finalement Noureev sera emporté par le SIDA à 54 ans.

 

Citations

La guerre 39 45 côté soviétique .

 Dans les bâtiments éventrés à la périphérie des villes, ils trouvaient d’autres morts dans des ravages de sang. Ils voyaient leurs camarades pendus aux réverbères, décoration grotesque, la langue noircie par le gel. Lorsqu’ils coupaient les cordes, des poteaux gémissaient, se courbaient, et la lumière changeait d’empreinte au sol. Ils tentaient de capturer un Fritz, vivant, pour l’envoyer au NKVD. On lui trouerait les dents à la chignole, on l’attacherait au pieu dans les congères, ou on le laisserait simplement mourir de faim, dans un camp, comme on faisait chez les Chleuhs.

Mépris pour les relégués.

J’avais pour voisins, dans la chambre à côté, un vieux couple de Leningrad. Elle avait été danseuse, et lui venait d’une famille aisée – c’était des exilés, je les évitais. Seulement, un après-midi, cette femme a frappé à ma porte et m’a dit que les volontaires faisaient honneur au pays, pas étonnant qu’on gagne la guerre. Elle m’a demandé si elle pouvait aider. Je l’ai remercié en déclinant, nous avions bien assez de volontaires. J’ai menti, et elle parut embarrassée, mais qu’étais-je censé faire ? C’était après tout une indésirables. Elle a baissé les yeux. Le lendemain matin, j’ai trouvé quatre miches de pain devant ma porte : « S’il vous plaît donnez les aux soldats ». J’ai jeté ça aux oiseaux du square Lénine, tiens. pas question de frayer avec ces gens-là.

Homosexuels à Leningrad .

 Dehors, le soir, dans le square Ekaterina, dans la poussière antique de Leningrad, une fois la ville et les réverbères éteint, nous arrivions, épars, silencieux et furtifs, des différents quartiers pour longer les arbres alignés du côté du théâtre. En cas d’interpellation par la milice, nous avions nos papier, un motif de travail, l’insomnie, nos épouse, et nos enfants chez nous. Parfois des inconnus nous faisait signe, mais nous n’étions pas fous et disparaissions vite. Les voitures de la perspective Nevski nous prenaient dans leurs phares, oblitéraient nos ombres, et il nous semblait un instant que celles-ci partaient à l’interrogatoire. nous nous imaginions déjà sur le strapontin du panier à salade, puis dépêchés dans les camps, car nous étions des « goluboy », des « bleu clair » des pervers. Toute arrestation serait forcément rapide et brutale. Nous gardions chez nous, au cas où, un petit sac prêt, caché.

Cet auteur sait rendre l’émotion .

 Il y avait à l’intérieur une minuscule soucoupe de porcelaine, de la taille d’un le cendrier. Très fine, d’un bleu pâle, avec un décor bucolique sur le bord, de paysans et de chevaux de trait. Je fus d’abord déçue, c’était une petite chose légère, fragile, qui semblait sans aucun rapport avec l’un ou l’autre de mes parents.
Elle a cent ans, me dit-il. Elle appartenait à ton arrière grand-mère maternelle. Ta mère l’a récupérée à Pétersbourg, après la révolution lui dans la cave où elle était cachée. Il y avait de nombreuses autres pièces. Elle voulait garder ce service. 
Qu’est-ce qu’il est devenu ? 
Il s’est cassé au fil de nos voyages. 
C’est tout ce qu’il en reste ? 
Hochant la tête il dit misère luxure maladie jalousie espoir. 
Pardon ?
Il répéta la misère la luxure la maladie la jalousie l’espoir. Elle a survécu à tout ça.
 Je gardais dans mes mains le minuscule objet de porcelaine et me mis à pleurer jusqu’à ce que mon père déclare, souriant, qu’il était temps que je grandisse.

Un petit moment de danse.

 Pirouettes enchaînées. Il respire à l’aise, le corps sculpté par la musique, une épaule à la recherche de l’autre, orteil droit distingue genou gauche, stature, profondeur, forme, contrôle, la souplesse du poignet, la courbure du coude, l’inclinaison du cou, les notes qui fouillent dans ses artères, et il est soudain suspendu en l’air, pousse ses jambes au delà des mémoires gestuelles, un dernier développé des cuisses, prolongement de figure dansée galbe humain dénoué, il vole plus haut encore et le ciel le retient. 


Édition Le livre de Poche Traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides

Bien conseillée par Keisha et Katell , j’ai lu avec grand plaisir ce gros roman : comme quoi, de gros pavés peuvent me plaire ! Cet auteur m’avait, pourtant, rendue si triste avec « L’audacieux Monsieur Swift » : John Boyne a vraiment une plume particulière et beaucoup de comptes à régler avec son pays natal.

Ce roman s’étend de 1945 à 2015 et nous décrit une Irlande bien différente de la vision folklorique que l’on pouvait avoir (musique, bière danse …et paysages !). Cette vision avait déjà été bien abimée par les révélations sur la puissance malfaisante de l’église catholique en particulier sur les jeunes femmes qui avaient le malheur d’avoir des enfants sans être mariées. C’est encore cette puissance perverse qui a fait le malheur des homosexuels. L’hypocrisie de ceux qui se réjouissent que l’homosexualité soit un crime, que les filles mères soient bannies et qui satisfont leurs désirs de façon variées est répugnante. Comme dans tous les pays où l’homosexualité est pénalisée cela laisse la place à une prostitution qui doit se cacher donc terriblement dangereuse.

La première scène est inoubliable : la jeune Catherine Goggin, âgée de seize ans est traitée de putain par un prêtre d’une violence inouïe, car elle attend un bébé et est bannie de l’église et de son village. Arrivée à Dublin, elle connaitra au terme de sa grossesse une deuxième scène violente. Elle avait, en effet, trouvé deux hommes qui avait accepté de la loger, c’est très intéressant de voir combien cette jeune femme est totalement incapable d’imaginer l’homosexualité, hélas ce n’est pas le cas du père d’un des deux jeunes hommes. Dans une scène à peine soutenable celui-ci tuera son fils et ratera de peu son amant et Catherine qui accouchera ce jour là d’un bébé qu’elle fera adopter. Elle ne reverra ce fils qu’en 2008 . Cet enfant, Cyril qui va être le fil conducteur de tout le roman, sera élevé par une famille pour le moins originale qui ne saura pas l’aimer mais qui ne le rendra pas malheureux. Son père adoptif est accusé de fraude fiscale et fera de la prison et précise à chaque fois qu’il présente son fils qu’il est adopté et qu’il n’est pas un vrai « Avery » . Sa mère vit enfermée dans son bureau et écrit des romans et fuit toute célébrité. Après sa mort, elle deviendra une des plus grande écrivaine irlandaise. Cyril, vivra une passion amoureuse avec Julian, cette passion n’est pas partagée mais Julian reste son ami. Il finira par épouser sa soeur mais prendra la fuite le soir de ses noces. Sa jeunesse irlandaise sera d’une tristesse sordide car il ne pense qu’à assouvir ses pulsions sexuelles sans connaître l’amour, adulte en Hollande il connaitra une période de bonheur en vivant un amour partagé avec un médecin qui consacrera sa vie à soigner des malades du SIDA.

J’arrête de vous raconter tout ce roman qui saute d’époque en époque et de pays en pays ce qui permet – mieux qu’un essai sur le sujet- de comprendre combien les homosexuels ont souffert de ne pas pouvoir vivre leur sexualité normalement. Quand on sait que certains pays vivent encore sous cette condamnation morale cela fait peur, comme les homosexuels sont considérés comme des malades ou des êtres anormaux on peut tout leur faire subir, si la condamnation est religieuse ce qui est souvent le cas, alors tout devient très dangereux pour le jeune qui perd tous ses repères.

L’aspect romanesque est bien construit, même si les hasards romanesques font se rencontrer des personnages qui avaient vraiment peu de chance de se retrouver, on accepte cette fiction littéraire car le second plan sociétal est riche et très bien argumenté. Je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans ce roman et tant pis s’il dégrade encore un peu plus l’image de l’Irlande Catholique. La religion y a joué un bien vilain rôle dans ce domaine là, l’église fera certainement un jour des excuses, il faut espérer que cela permettra aux mentalité de vraiment changer. Ce roman en tout cas peut y contribuer mais sera-t-il lu par des gens qui ont des idées bien arrêtées sur le sujet, à plusieurs reprises l’auteur se plaît à rapporter des propos « ordinaires » sur « ces gens là » de personnes qui imaginent qu’ils sont eux « normaux » et cela est criant de vérité et permet de nous rendre compte qu’il faut être attentifs sur ce genre de sujets.

 

 

Citations

Discours du prêtre pour condamner la jeune fille enceinte.

« Quitte ces lieux, espèce de gourmandise, quitte Goleen, emporte ton infamie ailleurs. Il y a des maisons à Londres qui sont faites pour les filles comme toi, avec des lits où tu pourras te coucher et écarter les jambes pour que tout le monde puisse satisfaire tes besoins licencieux. »

 

Enfant adopté.

« Vois ça plutôt comme un bail, Cyril, me dit-il – ils m’avaient appelé Cyril en souvenir d’un épagneul qu’il avaient eu autrefois et qu’ils avaient beaucoup aimé- , un bail de dix huit ans. Mais pendant tout ce temps, il n’y a aucune raison qu’on ne s’entende pas tous bien, n’est ce pas ? Même si je me plais à penser que si j’avais eu un fils, il aurait été plus grand que toi. Et il aurait montré un peu plus d’aptitudes sur le terrain de rugby. Mais tu n’es pas ce qu’il y a de pire. Dieu seul sait sur qui nous aurions pu tomber. À un moment, on nous a même suggéré de prendre un bébé africain. »

Un homme « galant », qui trompe sa femme.

«  Chérie, prends un amant si tu veux, cela ne fait aucune différence pour moi. Si tu as besoin d’un coup de queue. Il y en a plein, là, dehors. Des grosses, des petites, des jolies, des biscornues. Des tordues, des courbées, des droites. Les jeunes hommes sont essentiellement des queues en érection sur pattes, et n’importe lequel d’entre eux serait ravi de fourrer la sienne dans une femme aussi belle que toi. »

L’homosexualité .

 Nous étions en 1959, après tout. Je ne savais presque rien de l’homosexualité, en dehors du fait que succomber à ce genre de désir était un acte criminel en Irlande qui donnait lieu à une peine de prison. À moins que j’entre dans les ordres, dans ce cas, il s’agissait d’un avantages en nature de la profession.

L’homosexualité 1966.

 C’était une période difficile, pour un Irlandais âgé de vingt-et-un ans attiré par les hommes. Quand on possédait ces trois caractéristiques simultanément, on devait se situer à un niveau d’hypocrisie et de duplicité contraire à ma nature.

Visite chez le psychiatre en 1966.

 Il faut que vous reteniez ceci : il n’y a pas de homosexuels en Irlande. Vous vous êtes peut-être fourré dans la tête que vous en étiez un, mais vous avez tort. C’est aussi simple que ça. Vous avez tort. 
– Je n’ai pas l’impression que ce soit aussi simple, docteur, avançai-je prudemment. Je pense vraiment qu’il est très possible que j’en sois un.
 – Vous ne m’avez donc pas écouté ? fit-il, avec un sourire, comme si j’étais un crétin fini. Est-ce que je ne vous ai pas dit qu’il n’y avait pas d’homosexuels en Irlande ? Et s’il n’y a pas d’homosexuels en Irlande, comment diable pourriez-vous en être un ? »

 

Édition folio

 

C’est le troisième roman que je lis de Fabrice Humbert, « L’origine de la violence » puis « La fortune de Sila » m’avaient beaucoup plu. Mais celui-ci est une vraie déception, j’ai même failli ne pas le chroniquer. J’ai alors pensé que si j’avais lu un billet de mes blogs préférés, je ne me serais pas lancée dans cette lecture. Je vais donc expliquer pourquoi je n’aime pas ce roman. Et en espérant que ceux ou celles qui ont aimé fassent des commentaires plus positifs. Voici déjà l’avis de Kathel qui a beaucoup aimé.

Le récit commence pourtant très bien, par la description du mal-être d’un jeune Newyorkais qui arrive dans une petite ville du Colorado, Drysden où il a passé son enfance. Ne cherchez pas cette ville, n’oubliez pas le titre du roman : « le monde n’existe pas ». Le personnage principal est adulte maintenant et a rejeté ses années de souffrance loin de lui, quand tout à coup le visage de l’adolescent qui a tant troublé le jeune lycéen qu’il était, envahit les écrans géants de Times Squares : Ethan Shaw est accusé de viol et de meurtre d’une jeune fille de 16 ans.

Adam Vollman qui à l’époque s’appelait Christopher Mantel a tout fait pour ne plus ressembler au jeune homme frêle de ses années lycée. Il est, aujourd’hui, journaliste et retourne donc enquêter sur cette affaire. Le but de l’écrivain c’est de faire exister une énorme « Fake-news » à travers les réseaux sociaux et les médias. Petit à petit le lecteur comprend qu’il est convié à une mise en scène dont le narrateur essaie de tirer les fils sans bien voir les tenants et les aboutissants. Finalement s’il y a bien eu complot et qu’Ethan n’a pas commis de meurtre, on ne saura jamais qui a organisé ce récit et au profit de qui. Le fameux « emballement » médiatique est très bien décrit et la désagréable impression de ne plus pouvoir démêler le vrai du faux aussi. Au passage, Fabrice Humbert décrit assez bien ce que doit être la vie dans une petite ville américaine, cette façon de tout savoir sur tout le monde et de très mal supporter les gens venant d’ailleurs, newyorkais et homosexuels par exemple. Ce que je n’ai vraiment pas aimé est ce qui fait tout l’intérêt du roman, c’est de ne trouver aucune rationalité à ce récit. Il permet seulement de se poser cette question : jusqu’où peut aller la folie des médias. Mais aucun personnage n’a vraiment de consistance, l’histoire n’est pas réelle, puisque finalement ce « monde n’existe pas », peut être que Fabrice Humbert rajouterait « pas encore , mais en êtres vous bien certain » ?

 

 

Citations

 

Une amitié déséquilibrée

 En marchant à ses côtés, après l’entraînement, je lui parlais de sujets longuement préparés, ruminés toute la matinée pour lui plaire, auxquels il ne répondait que par monosyllabes, certes parfois amusées, comme on donne des cacahuètes à un singe. Je me sentais en permanence indigne, je n’arrivais pas à l’intéresser, j’étais trop petit, trop limité devant lui.

La vérité et l’écrivain

 Ce qui me troublait, chez Hemingway, c’était la part de fiction qu’il y avait en lui. Son rapport à la vérité et au meurtre tout cela me semblait obscurément liés. En apparence, Hemingway était cet homme d’action, ce correspondants de guerre qui a développé la théorie de l’iceberg et de l’écriture objective, qui avait poli son style durant les années d’apprentissage à Paris. La construction de ce mythe a été d’autant plus essentiel qu’il était miné par l’alcoolisme et la mort, que son amour de la vérité était travesti par le mensonge et le long travail intérieur de la fiction, de sorte qu’à la fin on ne savait plus si son écriture appartenait à la vérité ou mensonge. Hemingway était un homme qui s’inventent, et il avait su se créer une légende ; de même qu’à vingt ans il racontait avoir arrêté dans les rues de Chicago un cheval emballé, c’est dans ces rêves qu’il sauva Dos Passos des cornes du taureau, provoqua en duel celui qui avait insulté Ava Gardner où libéra le Ritz à la tête d’une armée de mercenaires.

Une remarque amusante observée en surfant sur le Net

En dix minutes la différence des approches entre les trois cultures est évidente. Les Américains proposent de faire, les Français de commenter, les Allemands de philosopher. 

Édition Le cherche Midi

Lu dans le cadre de Masse Critique Babelio

 

Ce livre raconte un enterrement où rien ne se passe comme prévu et nous offre une galerie de personnages attachants. Pourtant, il s’agissait d’une cérémonie qui aurait dû être très simple parce qu’elle se passe parmi des gens ordinaires, ceux que l’on ne remarque pas : Serge, le défunt, conducteur de bus pour les résidents de l’EHPAD, Arlette sa compagne, femme de ménage, son ami en fauteuil roulant, sa mère qui a enfin, à 84 ans, trouvé le bonheur avec une compagne et sa sœur qui au début du récit semble odieuse et uniquement préoccupée par la réussite financière et qui est maman d’une ado Garance plus généreuse que ses parents.

Et puis il y a les deux assistants funéraires dont la vie est assez compliquée, l’un car il ne se remet pas d’une grave dépression, l’autre car il attend désespérément une réponse à un texto envoyé à une jeune actrice qui lui chavire le coeur.

Tout commence dans la tristesse sous la pluie avec à peine douze personnes dans l’église pour se terminer en apothéosé le lendemain avec une centaine de personne au cimetière. C’est sans doute mes réserves sur ce roman, tout se termine tellement bien que je n’ai guère pu y croire. Je ne divulgâche rien pourtant j’en aurais bien envie ….

 

 

Citations

À quoi pense une mère d’ado pendant l’enterrement de son frère

 Ses parents s’apprêtent à lui payer une école de dessin en plein cœur de Paris à neuf mille balles de frais de scolarité mais c’est Arlette qui est « trop cool » avec son clafoutis. franchement, y a des baffes qui se perdent.

Le copain du défunt

Je falsifiais . Des fiches de paie, des diplômes, des reçus. C’est mon côté artiste. j’avais fait les beaux-arts à bordeaux. Sauf qu’au lieu de copier Vélasquez ou Rembrandt, je faisais des faux bulletins de salaire. Des bouteilles de vin, aussi. J’en ai fait un paquet. Des fausses étiquettes de grands crus, des faux cachets de cire. Les types mettaient de la piquette dedans, personne faisait la différence, les caisses partaient à des prix que vous n’imaginez pas.

L’humour et une chanson triste

 « La tendresse » est probablement la chanson la plus triste du répertoire français. L’écouter dans un corbillard garé devant un cimetière, un lundi après-midi, sous un ciel menaçant, relève de l’exploit. Ça pourrait faire l’objet d’une épreuve olympique.

 

Édition Jacqueline Chambon. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilbert Cohen-Solal.

Un livre d’apparence légère mais qui exhale aussi un parfum de tristesse : Arthur Mineur essaie de se remettre d’une rupture amoureuse en faisant le tour des invitations pour écrivains à travers le monde. Nous suivons donc la tristesse d’un homme amoureux américain qui est souvent maladroit et fait de mauvais choix. Arthur Mineur se raconte lui-même de façon très drôle à l’image de son apprentissage de la langue allemande et la joie d’être,enfin, dans un pays dont l’auteur parle la langue – du moins le croit-il- ses propos se terminent ainsi :

Toujours est-il que Mineur arrive à Berlin et se rend en taxi jusqu’à son appartement provisoire à Wilmerdorf en se jurant de ne pas parler un seul mot d’anglais durant son séjour. Bien sûr, le vrai défi est de parler un mot d’allemand.
Il s’amuse beaucoup et nous fait sourire à propos de toutes ses approximations dans la langue de Goethe, il n’hésite jamais à souligner le ridicule dans lesquelles ses différentes maladresses le mettent souvent. Comme l’image de la couverture  : sa carte magnétique n’ouvrant plus la porte de son appartement, il entreprend de passer par le balcon ! Il scrute avec précision la moindre de ses réactions en particulier sur sa place en tant qu’écrivain. Est-il un écrivain important ? Il n’en est absolument pas certain, d’autant qu’il a vécu pendant longtemps avec un génie de la poésie américaine et qu’il sait bien que lui n’est pas un génie. Et puis il y a cette barre des cinquante ans qu’il doit franchir pendant son périple, on voit alors le problème du vieillissement pour un homme dont la jeunesse a été le principal atout de séduction. La lecture est rendue plus difficile par le changement de narrateur, sans prévenir le lecteur on ne sait jamais si c’est Arthur d’aujourd’hui qui prend la parole ou Mineur l’écrivain connu pour un premier roman et à qui a-t-il donné la parole au dernier chapitre ? je ne peux vous le dire sans dévoiler la fin. Je ne suis pas enthousiaste à propos de ce roman et contrairement aux lectrices du club, je n’aurais certainement pas mis de coup de cœur mais c’est un roman original très agréable à lire.

Citations

Humour

Mineur n’est pas vraiment connu en tant que professeur, de même que Melville ne l’était pas vraiment en tant qu’un inspecteur des douanes. Et pourtant, les deux hommes occupent respectivement ces fonctions.

Un hommage à la traductrice

Mineur se met à imaginer (tandis que le maire marmonne toujours son discours en italien) qu’on a mal traduit, où – comment dire ?- qu’on a comme « super-traduit » son roman, confié à un poète de génie méconnue (elle s’appelle Giulliana Monti), qui a réussi à faire de son pauvres anglais un italien stupéfiant. Son livre a été ignoré en Amérique, on en a à peine rendu compte, sans qu’un seul journaliste ait demandé à l’interviewer (son attaché de presse lui a dit : « L’automne est une mauvaise période »). Mais ici, en Italie, il se rend compte qu’on le prend au sérieux. Et en automne, de surcroît. Pas plus tard que ce matin, on lui a montré des articles de la « Républica », du « Corriere della Serra », de journaux locaux et de revues catholiques, avec des photos de lui dans son costume bleu, fixant l’appareil du même regard bleu saphir, naturel et inquiet, qu’il avait lancé à Robert sur cette plage. Mais la photo devrait être celle de Giuliana Monti, c’est elle, en fait, qui a écrit ce livre .

L’humour et la sexualité

Mais leurs rapports sexuels n’était pas idéaux : Howard était trop directif.  » Pince-moi là ; oui c’est ça ! Maintenant, touche-moi là ; non, plus haut ; mais non, plus haut ! Non, plus haut, je te dis. » Mineur avait presque l’impression de passer une audition pour une comédie musicale.

Je vois bien la scène

Pendant qu’il patiente, une jeune femme en robe de lainage marron pollinise l’un après l’autre des groupes de touristes, avec les mouvements circulaires d’une sorte d’oiseau-mouche vêtu de tweed. Elle se penche sur un bouquet de chaises, pose une certaine question et, mécontente de la réponse, s’élance à tire-d’aile vers un autre groupe.

Édition livre de poche. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Moreau

Fil conducteur du roman

Je voulais faire quelque chose de bien. Alors j’ai pensé, bon, que font les infirmières ? Elles aident les gens, ceux qui souffrent. Pourquoi ils souffrent ? Parce qu’ils ne savent pas ce qui va leur arriver. Et si je les soulageais ? S’ils ont des réponses, ils seront libres, c’est ce que je me suis dit. S’ils connaissent la date de leur mort, ils pourront vivre.

J’avais dit à Gambadou, le 12 octobre 2019, que ce livre m’attirait . Il m’a fallu du temps mais finalement j’ai satisfait l’envie qu’elle m’avait donnée de lire ce roman que j’ai beaucoup aimé. Il fait partie d’un genre assez répandu : « les grandes saga américaines ». J’en ai lu beaucoup, parfois avec intérêt parfois en m’ennuyant un peu. Ce n’est pas le cas ici, car l’auteur a su trouver un ressort qui a tenu mon intérêt en haleine pendant les quelques 500 pages du roman. L’idée de départ est simple quatre enfants vont, un jour d’été, consulter une voyante qui peut prédire le jour de leur mort. Et voilà, le roman est lancé et mon esprit capté par cette lancinante question : qu’est ce que je changerai à ma vie si je connaissais la date de ma mort ? Ce roman nous permet de revivre aussi les dates marquantes aux USA. Les années du début du SIDA sont particulièrement bien décrites, puisque le plus jeune d’entre les enfants Gold assumera son homosexualité et ira vivre à San Francisco pour y mourir, comme tant d’autres, du SIDA . Le fait troublant c’est qu’il est mort exactement à la date prédite par la voyante le le 21 novembre 1982. Sa sœur Klara est dans la culpabilité car c’est elle qui l’a poussé à fuir sa famille pour vivre sa vie telle qu’il la souhaitait au fond de lui. Elle a même utilisé cet argument terrible pour elle maintenant , « puisque tu penses mourir jeune, pourquoi ne vis tu pas au grand jour ta sexualité » . Si elle l’avait laissé vivre auprès de sa mère aurait-il franchi le pas et serait-il en vie ? Elle même a une vie étrange attirée par le monde du spectacle et de la magie elle vit avec Raj une ascension dans ce monde qui ne l’équilibre guère, malgré la naissance de son adorable bébé Ruby. Le frère le plus équilibré semblait, au départ, être Daniel qui devient médecin militaire et grâce à qui nous découvrons la guerre en Afghanistan et ses ravages chez les jeunes recrues qu’il doit sélectionner comme étant aptes au combat. Enfin la dernière c’est Vayra, c’est avec elle que nous terminons ce roman. Et nous découvrons l’univers des laboratoires et des expérimentations animales. C’est une femme malheureuse qui a été confrontée à la mort de son père, ses deux frères et sa sœur et qui pour combattre cette malédiction s’est plongée dans la recherche sur le vieillissement. Pour se protéger, elle s’est construit une carapace faite d’interdits et surtout de T.O.C qui, s’ils ne la font pas mourir à son tour, l’empêche de vivre. Les quatre enfants mériteraient chacun un roman, mais les avoir réunis donnent un survol intéressant sur ce pays qui me fascine toujours autant. Si j’ai mis cinq coquillages, c’est surtout pour les pages consacrées au début du SIDA. J’avais un peu oublié à quel point les réactions contre les malades du Sida homosexuels avaient été violentes, certains sont même aller jusqu’à assassiner ceux qui essayait de lutter contre cette épidémie : Harvey Milk a été abattu avec le maire de San Francisco, George Moscone, le 27 novembre 1978 . Et … leur meurtrier, Dan White, a été condamné à sept ans et huit mois de prison, pour homicide involontaire….

J’ai pensé en lisant ce livre que les auteurs français avait là, la matière pour quatre ou cinq romans d’une centaine de pages. Autre pays, autres habitudes littéraires.

 

Citations

Humour

Simon retient alors sa respiration : Madame Blumenstein avait alors une haleine fétide comme si elle exhalait, à quatre-vingt-dix ans, l’air qu’elle avait inhalé bébé.

 

La violence contre un homosexuel noir aux USA dans les année 70

Ils l’ont frappé au visage, lui ont fracassé le dos avec une batte. Puis ils l’ont traîné dans un champ et l’ont attaché à la clôture. Ils ont dit qu’il respirait encore quand ils sont partis, mais quel genre d’enculés pourrait croire un truc pareil ?
Simon secoue la tête. Il en a la nausée.
– Le juge, voilà qui, poursuit Robert.

Croire

Tu ne crois pas en Dieu non plus, maman, répond t-il, mais tu as décidé que si.

La puissance des mots

 Elle était agnostique depuis son doctorat, mais s’il y avait un aspect du judaïsme avec lequel elle était en accord, c’était bien cela, la puissance des mots. Ils s’immisçaient sous les portes, par les trous de serrures. Ils s’accrochaient à l’intérieur des individus et rampaient à travers les générations.

Bonne description du journalisme

Ce ton taquin est anxiogène pour Vayra. Mais c’est ainsi que procèdent les journalistes, il crée une fausse impression d’intimité, entre dans vos bonnes grâces jusqu’à ce que vous vous sentiez assez à l’aise pour leur confier des informations que vous auriez sinon le bon sens de taire.

La guerre

 Selon lui, dit-elle, il était impossible de survivre sans déshumaniser l’ennemi, sans créer tout d’abord cet ennemi. La compassion était l’apanage des civils pas des militaires. L’action requiert qu’on donne la priorité à une chose par rapport à une autre.

Vivre vieux

Il est impossible de communiquer le plaisir de la routine à une personne qui n’en tire aucun contentement, aussi Varyra n’essaie-t-elle même pas. Un plaisir qui ne provient pas du sexe ni de l’amour, mais de la certitude. Si elle était plus religieuse, et chrétienne, elle aurait pu devenir bonne : quel confort de savoir la prière ou la tâche que l’on effectuera pendant quarante ans à 14h, le mardi.
-J’améliore leur santé déclare-t-elle. Grâce à moi, ils vivent plus longtemps.
– Mais pas mieux.
Luc se plante devant elle, et elle se radosse au canapé.
– Les singes n’ont pas envie d’être en cage ni de manger des croquettes. Ils veulent de la lumière, des jeux, de la chaleur, de la consistance et du danger. C’est quoi ces conneries de préférer la survie à la vie, à supposer qu’on puisse contrôler l’une ou l’autre ? Pas étonnant que tu n’éprouves rien quand tu les vois en cage. Tu ne ressens rien pour toi-même.

 

Édition Gallmeister traduit de l’américain par Sophie Asnalides

A obtenu un coup de cœur au club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Comment classer ce roman qui a tant plu aux lectrices et au lecteur de notre club de lecture : roman social , parce qu’il décrit si bien la société d’une petite ville de l’Arkansas groupée autour d’un pasteur charismatique, roman policier parce qu’il y a des meurtres, thriller parce que le suspens bien que prévisible est très bien mené. C’est tout cela et beaucoup plus. Parlons d’abord du contexte, le jour de Pâques la famille du pasteur Richard Weatherford est réunie pour célébrer le Seigneur en ce jour qui célèbre sa résurrection. Celui-ci est tourmenté car il a eu une relation homosexuelle avec un jeune de son village, Gary Doane . Celui-ci a décidé de fuir le village et la domination du pasteur avec de l’argent soutiré au pasteur pour ne pas dévoiler ces relations. Tout se passe en cette journée de Pâques et l’on sent que l’on va vers une catastrophe si prévisible. Mais le plus important n’est pas là, même si l’intrigue est très bien menée, à aucun moment on est dans l’interprétation des faits mais dans les faits eux-mêmes. Chaque chapitre tourne autour d’un personnage du village et peu à peu le village apparaît devant nos yeux et c’est vraiment très intéressant. Le titre dit tout de l’ambiance de Stock, cette petite ville où tout le monde connaît tout le monde et se surveille avec peu de charité chrétienne même si le pasteur est bien le personnage tutélaire de ce roman. On est dans l’Amérique profonde qui ne croit ni à le théorie de l’évolution ni à la liberté de penser. Un pas de travers et vous voilà rejeter de ce petit village qui donne envie de fuir. Mais pour cela, il faut un peu d’argent et c’est bien là le nerf de la guerre. Même si on sent bien que rien ne peut s’arranger, je ne peux pas dire que j’avais prévu la fin. Ce roman conviendra à toutes celles et tous ceux qui sont persuadés que les bons sentiments ne mènent pas le monde, même quand ils sont prêchés tous les dimanche d’une voix tonitruante. Un excellent moment de lecture que j’aimerais partager avec vous.

PS . Ce billet est écrit depuis longtemps, mais tout à fait par hasard il résonne avec l’actualité. On y voit, en effet, les ravages que provoquent le risque de mettre à jour une relation homosexuelle qui révèlerait la part d’ombre d’un homme puissant.

 

Citations

La famille du pasteur

Papa, comment c’est possible qu’il y ait des gens qui pensent qu’on descend des singes ? – Je ne sais pas, mon fils. Hitler a dit que si on veut que les gens croient un mensonge, il suffit de le répéter sans arrêt. Les anticléricaux ne cessent de répéter leur discours sur l’évolution et les gens l’accepte sans le remettre en question. Ils entendent des hommes instruits avec des diplômes impressionnants qui pérorent sur les singes, des fossiles, que sais-je d’autre, ils se disent : « Bon je n’y comprends rien, mais je suppose que ça doit être vrai si ces gens intelligents le croient. »

Dialogue entre la femme du pasteur et une amie

Non, je vous ce que tu veux dire, dit Sandy. Femme de pasteur c’est un job qui occupe nuit et jour.
– Tout à fait. Et j’aime ça. Je ne me plains pas. Mais cette position est très exigeante, un peu comme celle de la femme d’un homme politique. Beaucoup de gens la qualifieraient à peine de boulot, mais en réalité, c’est assez proche de la manière dont Ginger Rogers qualifiait ses danses avec Fred Astair.
– « Je faisais tout ce qu’il faisait, mais à reculons et en talons. »

Le cœur du roman : monologue du pasteur

Ce que je ne suis pas, c’est un homosexuel. Cela n’existe pas, les homosexuels. Le concept de l’identité gay est un mensonge du diable, fondée sur les idées fausses que l’homosexualité est un état de l’être. Si les homosexuels existent, alors Dieu a dû créer les homosexuels, donc, non, il ne peut pas y avoir d’homosexuels. Il n’y a que des actes homosexuels, et on peut choisir ou non de commettre ces actes. Je peux me détourner de mon péché.

Le dépressif

Vachement déprimant, comme idée. Soit c’était un raté et sa grange est là, à pourrir au bord de la route, soit il avait réussi et sa grange est là, à pourrir au bord de la route.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition de l’Olivier

J’ai été très touchée par ce roman car tout est en nuances ce qui n’enlève aucune profondeur au propos. Une écrivaine qui est proche de la personnalité de Fanny Chiarello , d’ailleurs c’est sans doute elle-même ou du moins une des ses facettes, aperçoit une jeune joggeuse dans un quartier populaire du bassin minier. Elle en fait une photo car elle est très attirée par elle. Puis, elle lui écrit ce roman où elle imagine sa vie. Une vie qu’elle connaît bien car elle est elle même issue du même milieu. Ainsi dans ce dialogue avec Sarah, elle révèle aux lecteurs et lectrices que nous sommes, à quel point c’est douloureux de se sentir différente dans ses orientations sexuelles, alors que tout dans la société vous pousse à être normal, c’est à dire attirée par des garçons. Est-ce plus difficile dans ce milieu que dans la bourgeoisie, je n’en sais trop rien ? Je sais depuis Edouard Louis, que cette différence peut conduire à des réactions très violentes. Je pense que dans des familles catholiques conservatrices ou musulmanes, peu importe l’origine sociale, cela doit être très douloureux pour la jeune adolescente. Dans ce livre, la famille de Sarah n’est pas caricaturée, même si la mère est intrusive et pense qu’elle a le pouvoir de remettre sa fille dans « le droit chemin » , elle le fait certainement par amour et par par peur des malheurs que peut engendrer l’aveu de l’homosexualité. Tout en étant une mère qui essaie de bien faire elle est d’une rare violence pour la jeune adolescente qui se cherche et ne voudrait rencontrer que douceur et compréhension. J’ai trouvé la construction romanesque intéressante et les sentiments de la jeune fille très bien décrits. En revanche, j’ai trouvé un peu convenues et sans originalité les remarques sur la langue française et différents passages obligés sur les différences entre l’homosexualité et l’hétérosexualité. À la fin du livre, quand je l’ai refermé et laissé mûrir dans mes pensées, je me suis dit que c’était déjà compliqué d’être adolescente, encore plus, sans doute quand on vient d’un milieu dont on n’épouse pas les codes mais quand, en plus, on se sent juger pour ses émois sexuels alors cela doit devenir proche de la cruauté ce qui peut pousser suicide ou au moins au repliement sur soi. Je me suis demandée si Sarah n’allait pas devenir anorexique, tant les moments à table où elle sent le regard de chacun la scruter, la juger et enfin la condamner sont pénibles pour elle.

PS . Je suis très contente d’avoir lu et apprécié un roman de cette auteure qui m’avait tellement ennuyée dans le précédent « Une faiblesse de Carlotta Delmont »

 

 

Citations

 

Détail bien vu

Son jean taille haute est si moulant que , quand elle glisse son téléphone dans la poche arrière , on pourrait taper un message à travers la toile .

Une homosexualité discrète

Quand tu entends Lou faire bruyamment étalage de ses attirance, tu es mal à l’aise pour elle. Ni plus ni moins que tu ne le serais si elle se jetait sur des garçons. Tu ne comprends pas les gens qui se donnent en spectacle, toi qui place l’intimité en tête des luxes possibles et y aspire de toutes tes forces.

Être végétarienne

 Tu as plaidé pour le droit d’être végétarienne mais ta mère a répondu qu’il était de sa responsabilité de t’assurer une croissance normale. Tu as alors tenté de démontrer qu’une croissance normale ne passait pas nécessairement par la consommation de viande ; pour étayer tes propos tu as imprimé quelques articles qui l’expliquaient mais ta mère a estimé avoir plus de bon sens que les scientifiques.

Je comprends

La plupart des gens trouvent les érudits passionnant, mais moi, ils me dépriment. Quand je suis amenée à en écouter (ce qui signifie que je suis tombée dans un guet-apens), je délaisse très vite le contenu de leur discours pour me concentrer sur sa forme, sa longueur, son rythme, son lexique, je l’observe comme une pathologie un peu triste.

 

 

Édition Rouergue

 

Je dois cette lecture à Krol qui avait été très enthousiaste pour un autre roman d’Hélène Vignal, que je lirai à l’occasion celui-ci était à la médiathèque. Il se trouve que ce jour là il y avait une exposition qui va bien avec le thème du roman dont je vais vous parler. Il s’agissait de portrait de personnes âgées qui ont toutes en commun de se faire porter des livres car elles ne peuvent que difficilement se déplacer. J’ai adoré ces portraits :

Une exposition qui part à la rencontre de nos aînés…

 

De la même façon, j’ai beaucoup aimé le portrait de Jamie la grand-mère de la narratrice Louise. Cette femme qui passe son temps à soupirer, à ranger une maison ou rien de dépasse, à faire des mots fléchés et des sudoku saura-t-elle comprendre sa petite fille et s’ouvrir aux joies du camping. Parce que les vacances dont rêve Louise c’est de passer huit jours avec sa mère et son ami Théo à Bénodet. Rien ne se passe comme prévu, sa mère doit repartir travailler et Louise doit renoncer à ses vacances au camping. Or, Théo son ami homosexuel, a tout autant qu’elle besoin de ces huit jours loin de ses parents à qui il ne peut absolument pas parler de son homosexualité. Beaucoup de thèmes se croisent dans ce roman pour ado, mais qui peut facilement être lu par des adultes. La guerre d’Algérie, (c’est bizarre mais j’ai lu deux livres à la suite qui parlaient de cette guerre), la difficulté de se comprendre entre génération, l’homosexualité, mais surtout la façon dont une personne, ici Jamie, peut passer à côté du bonheur en s’enfermant dans des habitudes mortifères. Beaucoup d’humour dans ce roman, la scène où dans « la famille parfaite » du camping, les parents veulent persuader l’enfant que, puisqu’il aime les courgettes et les concombres « il doit aimer les cornichons » est très drôle. Je ne sais absolument pas si les ado aiment cet auteur mais je l’espère de toutes mes forces car elle parle de tout avec une légèreté et un sérieux qui fait du bien sans oublier son humour.

 

Citations

Les phrases d’ado que j’aime

Moi, je regardais un feuilleton américain en faisant la patate devant la télé.

Mon grand-père était-il un soldat sanguinaire ? Genre vétérans du Vietnam façon couscous ?

 

Quand elle repousse sa grand-mère

Ces phrases sonnent comme un mauvais sort. Je m’écarte comme si elle venait de me piquer avec un rouet empoisonné de sorcière. J’en veux pas, moi de sa vie compliquée. J’en veux pas de ses « jamais », des ses « tu verras », chargés comme des bombardiers. Je ne veux pas que la vie s’occupe de moi. Je veux m’occuper de ma vie toute seule. Sans subir, comme elle. Sans languir après des trucs qui n’arrivent jamais. Sans espérer que demain ça ira mieux. Sans attendre que les gens soient morts pour les comprendre.

Portrait très bien dessiné en une phrase

Elle s’éloigne, martiale,la bouche comme un smiley à l’envers, les joues qui pendent, l’œil noir, en poussant un soupir offensé.