Traduit du galicien par Ramon Chao et Serge Mestre. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Pour commencer une réflexion à méditer :
Les vraies frontière, ce sont celles qui parquent les pauvres loin du gâteau.
Un roman des années 2000 dont je ne connaissais pas du tout l’auteur. Manuel Rivas écrit en galicien, est traduit parfois en breton, solidarité des langues celtiques, se traduit lui-même en castillan et, est, plus rarement, traduit en français. Original, non ?
Ce roman raconte la guerre civile espagnole, cette guerre qui a laissé tant de traces et qui s’estompe dans les mémoires car les combattants des deux côtés disparaissent. Mes premières lectures « engagés » parlaient de cette guerre et un de mes chanteurs préférés étaient Paco Ibanez, cette chanson résume bien l’esprit de ce roman.
En effet « Le crayon du charpentier », choisit une façon délicate et poétique de raconter l’horreur et la brutalité et ça fonctionne très bien. Un garde civil, Herbal, assassine un peintre dans sa cellule, celui-ci lui donne son crayon de charpentier, à partir de là cet homme va vivre avec une voix intérieure qui lui intime l’ordre de sauver le docteur Da Barca et de lui permettre de vivre une superbe histoire d’amour avec la belle Marisa Mallo. Grâce à cette histoire, nous allons rencontrer des hommes étonnants qui auraient pu dessiner une toute autre histoire à l’Espagne si seulement ils ne s’étaient pas détestés entre eux, et puis au milieu des plus grandes ordures au service du régime franquiste, cette superbe figure de la mère Izarne qui dirigeait le sanatorium réservé aux prisonniers tuberculeux. Tout le roman se situe entre réalité et le rêve, un peu à l’image de toute vie surtout quand la réalité se fracasse sur une dictature implacable et qui refuse à tout rêve de se réaliser. En suivant le cheminement d’Herbal, l’auteur veut donner une chance au pire des tueurs à la solde de Franco de prendre conscience de ce qu’il a fait et de se racheter.
L’art , la peinture, la poésie prendront une grande part aux déchirements intimes de ce garde civil qui réussira à sauver ce merveilleux docteur Da Barca qui a passé sa vie à faire le bien autour de lui, même si ce garde civil franquiste convaincu n’a pas pu sauver le peintre qui vient lui rendre visite si régulièrement depuis qu’il l’a certes assassiné mais pour lui éviter une mort sous la torture par ses amis plus franquistes ou tout simplement plus cruels que lui. Aujourd’hui, il termine sa vie dans un bordel, mais n’a pas perdu sa conscience (le crayon du charpentier), son message d’espoir, il le transmet à une jeune prostituée qui trouvera, peut-être, elle aussi sa voix intérieure qui la conduira vers un avenir où la beauté permet de combattre la laideur.
Citations
L’humour d’un mourant
Comment vous sentez-vous ? demanda Souza.. Il fallait bien trouver quelque chose pour commencer.
Comme vous le voyez, dit le docteur en écartant les bras, l’air jovial, je suis en train de mourir. Vous êtes sûr que c’est bien intéressant de m’interviewer ?
Un passage assez long qui fait comprendre ce que voit un peintre et le dur métier de lavandière
Regarde, les lavandières sont en train de peindre la montagne, lança soudain le défunt. En effet, les lavandière étendaient leur linge au soleil, entre les rochers, sur les buissons qui entouraient Le phare. Leur baluchon ressemblaient au ventre de chiffon d’un magicien. Elles en tiraient d’innombrables pièce de couleur qui repeignaient différemment la montagne. Les mains roses et boudinées suivaient les injonctions que lançaient les yeux du garde civile guidés à leur tour par le peintre : les lavandières ont les mains roses parce qu’à force de frotter et de frotter sur la pierre du lavoir, le temps qui passe se détache de leur peau. Leurs mains redeviennent leurs mains d’enfants, juste avant qu’elle ne soit lavandières. Leurs bras, ajouta le peintre, sont le manche du pinceau. Ils ont la couleur du bois des aulnes car eux aussi ont grandi au bord de la rivière. Lorsqu’ils sortent le linge mouillé, les bras des lavandières deviennent aussi dur que les racines plantées dans la berge. La montagne ressemble à une toile. Regarde bien. Elles peignent sur les ronces et les genêts. Les épines sont les plus efficaces pinces à linge des lavandières. Et vas-y. La longue touche de pinceau d’un draps tout blanc. Et encore deux touches de chaussettes rouges. La trace légère et tremblante d’une pièce de lingerie. Chaque bout de tissu étendu au soleil raconte une histoire.Les mains des lavandières n’ont presque pas d’ongle. Cela aussi raconte une histoire, une histoire comme pourrait en raconter également, s’il nous disposions d’une radiographie, les cervicales de leur colonne vertébrale, déformées par le poids des baluchon de linge qu’elles transportent sur la tête depuis de nombreuses années. Les lavandières n’ont presque pas d’ongles . Elles racontent que leurs ongles ont été emportés par le souffle des salamandres. Mais, bien entendu, venant d’elles, ce n’est qu’une explication magique. Les ongles ont été tout simplement rongé par la soude.
J’aime bien ces images et ce portrait
Il faut dire que la vieillesse guettait tout particulièrement ce patelin. Tout à coup, elle montrait ses dents au détour du chemin et endeuillait les femmes au beau milieu d’un champ de brouillard, elle transformait les voix après une seule gorgée d’eau de vie et ne mettait pas plus d’un hiver à rider complètement la peau de quelqu’un. Cependant la vieillesse n’avait pas réussi à pénétrer à l’intérieur de Nan. Elle s’était contentée de lui tomber dessus, de le recouvrir de cheveux blancs et d’une toison blanche et frisée sur sa poitrine. Ses bras étaient enveloppés d’une mousse blanche semblable à celle des branches du pommier, mais sa peau était restée comme le cœur des sapins qui poussent dans cette région. Sa bonne humeur soulignait ses dents brillantes, et puis il avait toujours cette fameuse crête rouge sur l’oreille. Son crayon de charpentier.
Dans le recueil de nouvelles « La langue des papillons » de cet auteur, se trouve un des textes qui m’a le plus bouleversée, dans mes souvenirs de lectrice. Ce roman m’a laissé un souvenir plus mitigé, à cause de la dimension un peu fantastique. Mais c’est un très bel écrivain !
Pour une fois le côté fantastique ne m’a pas du tout gêné, si on remplace le crayon par la conscience du policier franquiste, ça marche très bien. Je lirai ses nouvelles. Merci.
Mais dis donc, tu as été cherché ce petit bijou où ? Tu me donnes furieusement envie de le découvrir cet auteur !
C’est ma bibliothécaire, elle a vraiment le don pour trouver des livres intéressants.
Merci pour Paco Ibanez ! un chanteur que j’aimais beaucoup. Un roman traduit du galicien, ce n’est pas banal. Je note pour le contexte, je n’ai pas assez lu sur la guerre d’Espagne.
J’ai beaucoup lu sur la guerre d’Espagne. Mais souvent des livres manichéens, il faut dire que les horreurs franquistes étaient particulièrement atroces. Et puis j’ai lu Georges Orwel et j’ai compris que le stalinisme était en grande partie responsable de la défaite des républicains. Ce roman est plus apaisé, plus loin dans le temps des horreurs. Il est pourtant très prenant.
4 coquillages c’est vraiment mérité. Je l’ai lu pendant mes années études mais pas entièrement en espagnol. J’avais beaucoup aimé. Je devrais le relire car je ne me rappelle plus de tout.
Je le relirai aussi vontiers car pour le club je dois lire assez vite.
sans doute un des livres qui m’a enthousiasmé lors de sa sortie, je l’ai lu et relu et je garde pour ce texte une véritable affection
l’auteur parvient à donner à la fois l’intime et d’une certaine façon l’universel, le bien et le mal ont parfois des frontières assez floues
Je suis entièrement d’accord avec toi. Les frontières entre le bien et le mal ont rarement été aussi bien fouillées donc aussi difficilement définies.
La guerre civile espagnole, le franquisme, leurs méfaits, des atouts qui peuvent me décider vers ce livre d’un galicien convaincu. Avec cette affirmation de la langue galicienne, traduit même en breton, tiens….
J’ai trouvé ce détail – la traduction en breton- intéressant et ce roman superbe.
Je suis en général très sensible aux romans sur la guerre d’Espagne. Celui-ci ne devrait pas faire exception à la règle.
Alors lis le vite, le petit grain de fantastique ne devrait pas te gêner.
Belle découverte, merci
Pour moi c’est sûre et j’ai découvert que c’était un auteur que beaucoup connaissaient déjà.
Bonjour Luocine, je ne connais pas cet écrivain et somme toute, je suis assez peu familière avec la guerre civile espagnole mais c’est une source d’inspiration pour les cinéastes ou les écrivains contemporains. Un conflit terrible qui a fait tant de mal et pourtant Franco a son mausolée… Bonne journée.
Les Espagnols sont sortis du franquisme en ne revisitant pas de façon officielle les crimes du passé. Ont-ils eu raison? Cela a certainement permis au pays de ne pas connaître des violences après la mort de Franco, mais du coup les franquistes peuvent s’exprimer et ils le font régulièrement .
Moins tentée par ce titre cette fois-ci…
J’ai beaucoup aimé mais on ne peut jamais tout lire.