Édition Rivages

Quel roman ! Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire toutes les turpitudes humaines, tout cela pour s’enrichir, et, avec quoi ? Le guano ! autrement dit la fiente d’oiseaux. J’ai lu ce roman en vérifiant sans cesse les informations car je ne connaissais absolument pas cette histoire. Nous sommes à la fin du XIX° et grâce aux îles au large du Pérou ce pays connaît une richesse phénoménale. On appelle ce moment « l’ère guano ». Une telle richesse a attiré des convoitises multiples, ce que raconte le roman se situe au moment où le Pérou a chassé les puissances coloniales et exploite à son profit cette ressource. Malheureusement, si les puissances coloniales sont parties ceux qui les avaient chassées sont devenus aussi corrompus que les anciens exploiteurs. La terrible condition des miséreux qui sont sous les ordres des propriétaires des terrains des îles sur lesquelles on exploite le guano est horrible. Pour le roman, l’auteur invente une histoire d’amour impossible et évidemment tragique, cela lui permet de décrire deux personnages un peu moins sombres. Sur terre, en face de ces îles, à trois jours de navigation, la guerre que se livrent les deux ports qui se disputent la vente de la « fiente » est sans pitié, vraiment plusieurs fois on se dit en lisant ce livre « et tout cela pour de la m….. » . De plus cette région est soumise à un climat très particulier, la plupart du temps les gens vivent dans un brouillard opaque qui empêche le soleil d’éclairer un peu la vie celle des riches comme celle des pauvres. Je n’ai pas bien compris pourquoi l’auteur semble faire correspondre ce brouillard à l’exploitation du guano.

C’est un phénomène, que les chiliens appellent « le camancha » , il a existé de tout temps me semble-t-il. (Et il existe encore aujourd’hui : des essais sont fait pour en capter l’humidité pour fertiliser des zones désertiques.)

(Depuis j’ai eu la réponse de l’auteur qui est si pertinente que je m’en veux un peu de ne pas avoir compris toute seule :

Je voulais que le brouillard fasse comme une chape déposée sur l’intrigue, qu’il enferme un peu plus les personnages sur eux-mêmes.
C’est un texte assez métaphorique, donc je trouvais intéressant que le brouillard s’installe concomitamment à la découverte de la ressource, comme si l’exploitation de la fiente allait de pair avec une malédiction céleste…)

Ce récit qui se passe dans la fiente et où on ne voit jamais le soleil et qui ne donne aucun espoir est vraiment terrible. Le pire étant qu’il respecte la réalité historique. Pour la fiction, on suit le parcours du Capitaine Moustache, le seul marin qui ose affronter ce brouillard avec son vieux bateau pour le charger de guano et le livrer aux deux villes concurrentes qui vont bientôt se détruire. Lui, il a un plan et veut fuir cet endroit avec le maximum d’argent, mais ses plans seront contrecarrés par la soif de richesse des gens si peu recommandables avec lesquels il doit traiter. C’est bien connu, il ne faut jamais pactiser avec le diable ! Et dans cette région des diables, il y en a un peu partout. Pour un des personnages la fin se termine un peu mieux mais sinon la mort, le crime, le viol les tortures sont au rendez-vous. Un roman bien mené qui respecte la réalité historique que vous lirez si vous avez envie, comme moi, de découvrir un pan de l’histoire humaine peu glorieux mais que vous éviterez si vous n’aimez pas vous enfoncer dans la m….. jusqu’au cou.

 

Citations

Conseil d’une mère

Vald pensa ce que lui avait murmuré sa mère, il y avait des années, quand son petit frère Igor, cet enfant maladif, s’en était allé : »Tu sais, mon fils, si tu n’accepte pas les épreuves, si tu souffres trop, alors ce monde n’est pas pour toi. »

Portrait du capitaine

Seul marin familier de ces archipels calcaire, unique capitaine à affronter le brouillard, la commercialisation du guano reposait sur son oncle stature. Cela faisait de lui, en cette année 1897, un des êtres les plus importants de la région. Assis sur une rente pour l’éternité, il disposait d’une épouse qui ne l’attendait plus, d’enfants éloignés goûtant une jeunesse confortable, d’une maison en dur sur le littoral au sud d’Arequipa, ainsi que de nombreuses maîtresses parsemées au gré de ses voyages.
 Capitaine :car il était le seul à bord et qu’il n’y avait personne pour lui disputer le titre. Moustache : une trace de suie épaisse sous le nez pour couvrir l’odeur de la fiente.

Les navigateurs et les terriens

Vois-tu, quand on reste accroché comme une huître à un caillou mouillé, on est si heureux de la visite d’un navigateur. Toi, forcément, cela te passe au-dessus de la tête, tu n’es jamais confronté à l’attente. Tu dois savoir, Ernesto, il y a deux types d’hommes, ceux qui se meuvent et ceux qui attendent. Les premiers négligent presque toujours les seconds.

Lorsque le guano valait de l’or

Deux ans auparavant, la loi américaine avait autorisé les citoyens états-uniens à s’emparer des îles, îlots ou rochers déserts disposant de gisement de guano, partout dans le monde. On ne refait pas un peuple de pionniers.

Les anglais 1871

Impossible de faire comme s’il n’y avait pas eu de colonisation. Certaines puissance tiennent à laisser une trace là où, un jour, elles plantèrent leurs drapeaux. Les possessions britanniques avait été étudiées une à une. Les terres des colons anglais resteraient aux colons anglais, qui deviendraient citoyens à part entière du territoire. Ils garderaient leur langue, leur portrait du souverain sur la cheminée et toutes les coutumes qu’on appelait pour se moquer « le droit au thé ».
 Les bâtiments officiels passeraient sans délai sous la coupe de la nouvelle administration. La couronne avait négocié ensuite quelques terres australes abandonnées, pour conserver une présence maritime et permettre à quelques scientifiques d’observer on ne sait quel phénomène climato-géographique. Elle avait été exaucée. On lui avait cédé des îlots vides, sans homme, richesse, ni guano.

Un personnage important le brouillard appelé par les Chiliens « Camancha »

Le brouillard s’installa progressivement, comme une maladie infectieuse. Par bandes de ciel d’abord, striant un quartier, une île, un littoral, coiffant les pinacles des églises, les faîtes en fer forgé des auberges. Il entra par les fenêtres, engouffra ses filaments par le trou des serrures et sous les chanlattes des toits. Il s’accrocha aux épines des buissons, aux branches de bois jeune, aux mâts des bateaux, au fil pour sécher le linge. Puis il arriva par nuages entiers, des masses célestes humides et stagnantes, comme des monceaux de coton blottis au flanc des collines. Il revint sans cesse, deux, trois fois par semaine, un peu plus, chaque jour.

 

18 Thoughts on “Les Cormorans – Édouard  JOUSSELIN

  1. keisha on 8 octobre 2020 at 08:21 said:

    Je suis sûre que c’est un bon roman, mais là, maintenant, pas trop envie d’une ambiance brouillard.

  2. Pas trop envie de plonger dans cette atmosphère .. merdique. Même si c’est historiquement juste.

  3. Edouard on 8 octobre 2020 at 11:43 said:

    Merci de votre lecture :) !

    • Merci de votre passage sur mon blog. J’aimerais bien vous poser la question qui me taraude depuis que j’ai lu votre roman. Pourquoi ce fameux brouillard qui recouvre toute la région est-elle contemporaine à l’exploitation du guano? est-ce un hasard ? ou une fiction qui alourdit le drame du roman? Et encore merci de m’avoir fait découvrir ce peu glorieux moment de l’humanité.

      • Edouard on 8 octobre 2020 at 13:43 said:

        Je voulais que le brouillard fasse comme une chape déposée sur l’intrigue, qu’il enferme un peu plus les personnages sur eux-mêmes.
        C’est un texte assez métaphorique, donc je trouvais intéressant que le brouillard s’installe concomitamment à la découverte de la ressource, comme si l’exploitation de la fiente allait de pair avec une malédiction céleste…

        Je vous souhaite beaucoup de bonnes futures lectures. Bons vents à ce blog !

        • j’espère ne pas vous gêner mais je vais mettre votre réponse dans mon article car je le trouve très important. Merci de votre réponse

  4. un sujet que j’ai déjà rencontré dans un vieux roman que j’avais beaucoup aimé : les Boussardel de Philippe Hériat, la famille d’une des filles pressentie pour le mariage a vu la fortune de sa famille sur faire sur le guano, enrichissement très peu noble et se faisant sur le dos des populations

  5. Ca a l’air vraiment intéressant.

  6. moi qui pensais que le roman parlait de nos cormorans bretons !

  7. Je crois que l’aspect historique va me convaincre de passer au dessus de l’aspect merdique ! ^-^

  8. Malgré l’intérêt historique et culturel, ce roman semble trop sombre pour me faire réellement envie. je passe.

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