Édition 10/18 traduit du japonais par Jean-Baptiste Flamin

Je dois cette lecture à Dasola et mes cinq coquillages seront, je l’espère, une incitation pour que ce livre extraordinaire trouve un large public parmi mes amies blogueuses et amis blogueurs. Ce roman remplit trois fonctions, décrire avec minutie les ressorts de la justice japonaise (depuis l’affaire Carlos Gohn, on a tous l’idée que ce n’est pas facile de sortir de ses griffes), une réflexion très fournie sur la peine de mort, et enfin un thriller bien construit. Pour moi, c’est ce dernier aspect que j’ai trouvé le moins intéressant, mais sans doute parce que je suis peu adepte du genre. En revanche la description de la justice japonaise m’a absolument passionnée. Le roman débute dans le couloir de la mort, à neuf heures du matin, c’est l’heure où, lorsque l’on entend des pas se rapprocher de la cellule où on est enfermé, cela peut être ceux des gardiens qui viennent chercher le condamné qui doit alors être exécuté. Ryô Kihara écoute et on imagine sa souffrance puisqu’il est condamné à la pendaison, puis les pas passent et ce n’est pas pour lui pas cette fois… Après cette scène, il est impossible que vous ne vouliez pas en savoir plus ; alors vous suivrez la levée d’écrou de Jun’ichi qui part en conditionnelle après avoir fait deux ans de prison pour avoir tué accidentellement un homme dans un bar. Ce départ se fait selon un rituel où le condamné ne doit son départ vers la liberté qu’à une attitude où il montre à quel point il se repent pour tout le mal qu’il a fait. Toute la justice japonaise est là, il ne sert à rien de clamer son innocence, il faut montrer qu’on a changé, que la prison vous a changé et que vous ne recommencerez jamais. C’est pour cela que l’on voit à la télévision, s’humilier devant le pays des grands patrons ou des dirigeants politiques. Ils peuvent repartir libres car ils reconnaissent à la fois leur culpabilité et les bienfaits de la justice japonaise qui a œuvré pour leur bien et celui de la société. (Tout ce que Carlos Gohn n’a jamais voulu faire.). Enfin grâce à Shôgi Nangô, le gardien de prison qui va recruter Jun’ichi pour essayer d’innocenter Ryô Kihara avant qu’il ne soit trop tard, le lecteur est plongé dans une réflexion approfondie sur ce que représente la peine de mort pour celui qui l’administre. Depuis « L’Étranger » je n’ai rien lu d’aussi marquant. Je ne dirai rien du thriller car je sais bien qu’il ne faut surtout pas divulgâcher ce genre d’intrigue. Un des aspects qui joue un grand rôle dans le roman, ce sont les sommes d’argent qui sont en jeu. Les parents du jeune Jun’ichi ont versé aux parents de la victime une somme si colossale qu’ils sont réduits à la misère. C’est d’ailleurs pour cela que ce jeune acceptera de partir dans l’enquête de Shôgi Nangô car il espère, grâce à l’argent gagné, aider ses parents à sortir de la pauvreté où il les avait plongés.

Je ne voudrais pas que vous pensiez que ce roman est uniquement une charge sévère contre la justice japonaise, il s’agit plus exactement d’un questionnement sur son fonctionnement et cela amène le lecteur à réfléchir sur ce que la société recherche en emprisonnant des délinquants. Si c’est les écarter de la société, ils ressortiront et recommenceront, si c’est les réadapter alors on s’intéressera au système japonais qui veut être certain que l’individu a changé et ne recommencera pas parce qu’il a compris les conséquences de ses actes.

Enfin pourquoi treize marches : d’abord il semblerait que dans les premiers temps il y ait eu treize marches pour monter à l’échafaud , ensuite Ryô Kihara qui souffre d’une amnésie et ne se souvient de rien se rappelle soudain avoir gravi treize marches, et enfin il faut treize signatures successives pour valider la condamnation à mort avant de l’exécuter. Et évidemment, avant cette treizième signature, nos deux enquêteurs doivent boucler leur enquête. Voilà pour le suspens qui est très prenant. C’est peu de dire que j’ai aimé ce livre, j’ai été passionnée de bout en bout.

 

 

PS

Vous pouvez vous informer sur l’horreur de la peine de mort au Japon, en tapant le nom de Sakae Menda ou Iwao Hakamada

 

Citations

 

Le procureur tout puissant

Pour avoir été lui-même jugé, Jun’ichi n’avait pas beaucoup de sympathie pour les procureurs. Leur réussite au concours national de la magistrature faisait d’eux l’élite de la nation. Ils agissaient au nom de la justice, avec la loi pour seule arme, sans aucune place pour les sentiments.

 

La sortie de prison en conditionnelle

Une lumière diffuse , filtrée par le verre dépoli des fenêtres , conférait au surveillant un air plus humain , que Jun’ichi découvrait pour la première fois . Mais la sérénité que ce tableau inspirait au jeune homme fut balayée par la phrase suivante.
– Je m’engage à prier pour le repos de l’âme de ma victime, et m’efforcer en toute bonne foi de l’apaiser.
Il blêmit.
« Prier pour l’âme de sa victime et s’efforcer de l’apaiser… »
Jun’ichi se demanda si l’homme qu’il avait tué se trouvait à présent au ciel ou en enfer.

La prison japonaise

Après une altercation avec un maton qui l’avait dans le collimateur, il avait été envoyé dans cette cellule individuelle, minuscule et puante, où on l’avait laissé croupir une semaine, les bras immobilisés par des sangles de cuir. Sa nourriture, déposée dans une assiette à même le sol, il avait dû la laper comme un chien, et quant à ses besoins il n’avait eu d’autre choix que de se faire dessus -une expérience atroce.

La peine de mort

Si jamais son propre enfant avait été tué, et que son meurtrier se trouvât devant ses yeux, il lui réserverait à coup sûr le même sort. Cependant, autoriser à rendre justice soi-même plongerait la société dans le chaos. C’est pourquoi l’État se posait en tiers entre les parties et s’arrogeait le droit de punir, d’infliger des peines à leur place. Le cœur humain était en proie au sentiment de vengeance, un sentiment né de l’amour porté à la personne décédée. Ainsi, la loi étant faite par les Hommes et pour les Hommes, la justice rétributive et l’idée de peine de mort qu’elle implique n’étaient-elles pas naturelles ?

 

14 Thoughts on “Treize marches – Kazuaki TAKANO

  1. keisha on 15 mars 2021 at 08:52 said:

    Hein? Il y a la peine de m ort au Japon?

    • Et oui! mais surtout le système judiciaire est totalement différent du notre. Est-il pire ? pour moi oui, mais cela permet de réfléchir, ce qu’ils veulent c’est que personne ne veuille revenir en prison, pour cela il faut absolument que la personne soit convaincue que la peine est juste et il faut montrer que l’on a compris la « justesse » de la peine. Et la famille si le coupable n’a pas les moyens doit payer des amendes colossales. Rien que pour ça ce livre m’a passionnée.

  2. Impossible de ne pas noter après ton billet. Suite au commentaire de Keisha, je viens d’aller voir Wikipedia et en effet, la peine de mort est effective au Japon, uniquement par pendaison !

    • Oui, oui uniquement par pendaison, remarque que pour le mort ça ne change pas grand chose ! Je parie que tu aimeras ce roman , parce que à ce que je sais – à travers ton blog- tu aimeras plus que moi, l’enquête policière, très angoissante. Et le reste : la découverte du système judiciaire japonais est passionnant .

  3. Je ne connais ni ce roman, ni le système pénitentiaire japonais, et ton commentaire donne vraiment envie d’en savoir plus !

    • tu avais pu avoir un aperçu avec l’affaire très médiatisée de Carlos Gohn, non?
      L’important c’est de s’humilier et de reconnaître ses fautes réelles ou décidées par la justice. (Dans l’affaire Carlos Gohn, je n’en ai aucune idée sauf qu’il n’a pas voulu s’humilier) . Mais le pire ce sont les condamnations à mort et 80 pour cent des Japonais défendent la peine demort!

  4. il est immédiatement noté car je l’ai raté chez Dasola
    Comme toi le système judiciaire m’avait un peu titillé avec l’affaire Gohn car j’avais été un peu stupéfaite par la procédure japonaise, si je ne plaignais pas vraiment le monsieur en question cela me mettait mal à l’aise malgré tout
    je note donc immédiatement, il y a peu il y a eu des exécutions au Japon mais cela n’a pas remué le monde

    • Tu verras que ce roman permet de réfléchir, car effectivement ce système pose question et le pire c’est que l’on ne peut pas avoir une position simpliste. D’abord le nombre de Japonais attachés à ce système veut dire quelque chose, et puis en dehors de la peine de mort l’ensemble du système est fondé sur le repentir sincère. C’est intéressant et terrifiant à la fois.

  5. que d’éloges ! Je redoute parfois la littérature japonaise mais là, je pense que je peux foncer. J’avais déjà pas mal lu sur la place de la femme, c’est assez aberrant et moyenâgeux.

  6. Bonjour Luocine, je suis contente que le roman t’ai plu. Comme toi, j’ai trouvé les méandres de la justice japonaise assez passionnante jusqu’à le cérémonial de la peine de mort. Vaut mieux ne pas être emprisonné au Japon. Merci pour le lien et très bonne journée.

    • Depuis je l’ai fait lire à tous mes amis qui sont plus que moi fan des romans polars. Tous ont découvert avec stupéfaction le système de la peine de mort au Japon.

  7. Alors si vous êtes deux à vous y mettre !

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