Roman que j’ai trouvé dans la blogosphère, je mettrai les liens si je retrouve qui m’a fait découvrir cette auteure. (Merci Kathel,  et Brize lui a attribué 4 parts de tarte ce qui est très rare). J’ai d’abord dévoré avec passion le début de ce roman puis je me suis lassée du procédé (romans par lettres) mais cela reste quand même un très bon moment de lecture. Anne Percin imagine la correspondance d’un personnage fictif : Hugo Boch qui suit Gauguin à Pont-Aven puis au Pouldu. Celui-ci héritier de la famille Villeroy et Boch, pense d’abord avoir des dons pour la peinture puis s’oriente vers la photographie cela m’a permis, d’ailleurs, de découvrir une bien étrange coutume les photos « post-mortem » . Au lieu de faire des portraits sur le lit de mort on remettait le défunt debout ou assis pour garder de lui une image plus vraie( ?).

Hugo correspond avec sa cousine Hazel personnage fictif lui aussi. Ces deux personnages nous permettent de découvrir à la fois le monde des arts à Paris et à Bruxelle et surtout cerner peu à peu la personnalité de Gauguin et de tous les peintres qui l’ont approché.

A Bruxelles nous suivons l’engagement artistique d’Anna Boch, artiste reconnue à l’époque et qui peut s’enorgueillir d’avoir acheté un tableau de Vincent Van Gogh, le seul qu’il ait vendu de son vivant.

À Paris nous vivons toutes les difficultés des artistes pour être exposés aux différents salons qui lancent les peintres dans la renommé ou les réduisent à la misère. Bien sûr pour les femmes c’est dix fois plus difficile de se faire reconnaître et bien sûr aussi les artistes qui avaient à l’époque les faveurs des critiques et du public sont pratiquement inconnus aujourd’hui.
Enfin à Pont-Aven et au Pouldu nous découvrons le caractère entier et fantasque de Gauguin. Ce n’est pas un personnage très sympathique, mais on le voit entraîner derrière lui un nombre important de peintres qui reconnaissent tous son génie : Emile Bernard, Paul Emile Colin, Paul Sérusier, Charles Filiger …. L’auteure à travers son personnage raconte de façon vivante et très précise la vie de ces artistes dans un petit village breton qui avait bien du mal à comprendre ces drôles de saltimbanques. Mes seules réserves à propos de ce roman viennent de la forme, les différentes lettres des uns et des autres ont rendu ma lecture un peu lente et parfois, un peu ennuyeuse. Mais pour tous ceux qui connaissent ou qui voudrait connaître cette période d’intense création artistique, je ne peux que chaudement recommander le roman d’Anne Percin.

Citations

Le « il » ici est un artiste très connu de l’époque Pascal Dagnan-Bouveret (bien oublié aujourd’hui)

Ils ne sont pas drôles, tes Naturalistes… Espérons au moins qu’il saura tirer parti de ce qu’il a vu ici ! Mais je crains qu’il n’y soit pas resté assez longtemps pour comprendre ce qui fait la saveur de ce pays. Il est de ces peintres qui, au lieu d’ouvrir des yeux neufs, trimbalent un regard préparé à l’avance comme on prépare une toile, un regard fait à l’atelier.

Trait de caractère de Gauguin

C’est ainsi que j’ai appris que Gauguin n’accepte jamais de cadeau : il préfère faire des dettes, ça lui paraît plus noble. À chacun sa morale.

Pont-Aven et Gauguin

Filiger m’a juré qu’à Pont-Aven, sur le seuil d’une maison de pêcheur, il a vu une toile de Gauguin en guise de paillasson ! Il faut dire que, contrairement à Vincent, le bonhomme a abusé du système que tu décris, qui consiste à payer ses dettes avec des ébauches. Dans son dos, les gens s’en débarrassent plus ou moins discrètement… C’est même devenu une source de plaisanterie. Les Gauguin battent la campagne, colmatent les fissures dans les chambres de bonnes, cachent les passe-plats dans les auberges ou servent d’enseignes à deux sous. De Pont-Aven au Pouldu, il a semé à tous les vents ! Même la petite Mimi est à la tête d’une collection de figurine en bois signée PGo…

La création mais aussi une leçon de vie (Propos de Hugo personnage fictif du roman)

Je trouve curieux que la photographie m’ait mené là.
J’avais cru pourtant qu’elle me conduirait à sans cesse aller vers les autres, mais il n’en est rien. Ce que je sens en moi, c’est un recul, presqu’un refus. Je ne suis pas hostile – je crois que je ne le serai jamais, mais seulement indifférent à tout ce qui arrive aux autres et qui ne m’arrive pas, à moi. Gauguin était de venu comme ça avant qu’il parte. Il disait qu’il fallait se faire à l’idée de n’être pas aimé : c’est une habitude à prendre, pour ça, il faut cesser d’aimer aussi. Blinder son cœur. Se fermer. Il n’y a pas d’autre solution, sinon on devient fou.

Traduit de l’anglais par Élodie Leplat. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


En juin 2018 , notre club de lecture après une discussion mémorable avait attribué au « Chagrin des vivants » son célèbre « coup de cœur des coups de cœur ». C’est donc avec grand plaisir que je me suis plongée dans cette lecture. Envie et appréhension, à cause du sujet : je suis toujours bouleversée par la façon dont on a toujours maltraité des êtres faibles, En particulier, les malades mentaux. Ce roman se situe dans le Yokshire en 1911, dans un asile que l’auteure a appelé Sharston. Cette histoire lui a été inspirée par la vie d’un ancêtre qui, à cause de la grande misère qui a sévi en Irlande au début du vingtième siècle, a vécu dans des institutions ressemblant très fort à cet asile.

Le roman met en scène plusieurs personnages qui deviennent chacun à leur tour les narrateurs de cette tragique histoire. Ella, la toute jeune et belle irlandaise qui n’a rien fait pour se retrouver parmi les malades mentaux et qui hurle son désespoir. Clèm une jeune fille cultivée qui a des conduites suicidaires et qui tendra la main à Ella. John Mulligan qui réduit à la misère a accepté de vivre dans l’asile. Charles Fuller le médecin musicien qui sera un acteur important du drame.

Ella et John vont se rencontrer dans la salle de bal. Car tous les vendredis, pour tous les patients que l’on veut « récompenser » l’hôpital, sous la houlette de Charles Fuller, peuvent danser au son d’un orchestre. Malheureusement pour tous, Charles est un être faible et de plus en plus influencé par les doctrines d’eugénisme.

C’est un des intérêts de ce roman, nous sommes au début de ce siècle si terrible pour l’humanité et les idées de races inférieures ou dégénérées prennent beaucoup de place dans les esprits qui se croient savants : à la suite de Darwin et de la théorie de l’évolution pourquoi ne pas sélectionner les gens qui pourront se reproduire en améliorant la race humaine et stériliser les autres ? L’auteure a choisi de mettre toutes ces idées dans la personnalité ambiguë et déséquilibrée de Charles Fuller, mais on se rend compte que ces idées là étaient largement partagées par une grande partie de la population britannique, elles avaient même les faveurs d’un certain Winston Churchill. Il s’en est fallu de peu que la Grandes Bretagne, cinquante ans avant les Nazis n’organise la stérilisation forcée des patients des asiles. On apprend également que ces patients ne sont pas tous des malades mentaux, ils sont parfois simplement pauvres et trouvent dans cet endroit de quoi ne pas mourir de faim. On voit aussi comme pour la jeune Ella, que des femmes pouvaient y être enfermées pour des raisons tout à fait futiles. Ella, un jour où la chaleur était insupportable dans la filature où elle travaillait a cassé un carreau. Ce geste de révolte a été considéré comme un geste dément et son calvaire a commencé. Au lieu de l’envoyer à la police on l’a envoyée chez les « fous ». On retrouve sous la plume de cette auteure, les scènes qui font si peur : comment prouver que l’on est sain d’esprit alors que chacune des paroles que l’on prononce est analysée sous l’angle de la folie. Et lorsque Ella se révolte sa cause est entendue, elle est d’abord démente puis violente et enfin dangereuse.

Le drame peut se nouer maintenant tous les ingrédients sont là. Un amour dans un lieu interdit et un médecin pervers qui manipule des malades ou des êtres sans défense.

J’ai lu ce deuxième roman d’Anna Hope avec un peu moins d’intérêt que son premier. Elle a su, pourtant, donner vie et une consistance à tous les protagonistes de cette histoire, ses aïeux sont quelque part dans toutes les souffrances de ces êtres blessés par la cruauté de la vie. Il faut espérer que nos sociétés savent, aujourd’hui, être plus compatissantes vis à vis des plus démunis. Cependant, quand j’entends combien les bénévoles de « ADT quart monde » se battent pour faire comprendre que les pauvres ne sont pas responsables de leur misère, j’en doute fort.

Citations

Le mépris des gardiennes pour les femmes enfermées à l’asile

 Toutefois elle voyait bien comment les surveillantes regardaient les patientes, en ricanant parfois derrière leurs mains. L’autre jour elle avait entendu l’infirmière irlandaise qui dégoisait avec une autre de sa voix criarde de pie : « Non mais c’est-y pas que des animaux ? Pire que des animaux. Sales, tu trouves pas ? Mais comment il faut les surveiller tout le temps ? Tu trouves pas ? Dis, tu trouves pas ? »

Les femmes et la maladie mentale

 Contrairement à la musique, il a été démontré que la lecture pratiquée avec excès était dangereuse pour l’esprit féminin. Cela nous a été enseigné lors de notre tout premier cours magistral : les cellules masculines sont essentiellement catholiques – actives énergiques- tandis que les cellules féminines son anatomiques – destinées à conserver l’énergie et soutenir la vie. Si un peu de lecture légère ne porte pas à conséquence, en revanche une dépression nerveuse s’ensuit quand la femme va à l’encontre de sa nature.

Théorie sur la pauvreté au début du 20e siècle

 La société eugénique est d’avis que la disette, dans la mesure où elle est incarnée par le paupérisme (et il n’existe pas d’autres étalon), se limite en grande partie à une classe spécifique et dégénérée. Une classe défectueuse et dépendante connue sous le nom de classe indigente.
Le manque d’initiative, de contrôle, ainsi que l’absence totale d’une perception juste sont des causes bien plus importantes du paupérisme que n’importe lesquelles des prétendues causes économiques.


J’ai rencontré ce roman à Combourg, je cherchais une carte postale avec le portrait de Chateaubriand, cela me semblait le lieu adapté, mais que nenni, le libraire m’a répondu : « on laisse ce genre d’achat au château » (fermé à cette époque de l’année) donc pas de carte de François-René mais un homme qui avait envie de me parler des livres qu’il vendait. En particulier donc de cette maison d’édition, « l’éveilleur » qui publie des textes oubliés. Il a su « éveiller » ma curiosité en me disant que ce livre avait à l’époque, été une sorte de best-seller, il a reçu le prix de l’Académie française. André Lafon était un ami de Mauriac et était promis à un bel avenir littéraire. Et puis, 1914, la guerre, il en mourra indirectement : de constitution faible il attrapera la scarlatine en 1915, cela lui fut fatal. Je pense que si, notre libraire fait aimer aux gens de Combourg ce livre c’est qu’ils ont adopté la campagne, les bois, le rythme lent des activités rurales et le style de François-René de Chateaubriand (et que donc ,il aurait dû vendre une carte de cet auteur ! non mais !).

Le livre est présenté comme « un frère du grand Meaulnes » et un chef d’oeuvre qui mérite sa place dans notre GRANDE littérature. Je dis tout cela parce que mes trois coquillages montrent bien que cela n’a pas vraiment marché pour moi. J’ai eu l’impression de revivre mes dictées de primaires et les textes choisis de CM2 . Le style est aussi parfait que vieillot, plus personne n’écrit comme cela mais c’est aussi très agréable à lire car c’est un livre très court. Je sauve quand même ce roman à cause de la pudeur avec laquelle il raconte ses souffrances de jeune garçon. Son père traité de fou par ses camarades d’école est un grand dépressif qui se suicidera. L’enfant vit dans les non-dits de sa mère et de sa tante qui essaient de lui faire une vie la plus normale possible. Lui, se réfugie dans la contemplation de la nature qu’il décrit avec une grande minutie. J’aimerais bien ne pas être la seule à connaître ce texte et je suis presque certaine que certaines blogueuses vont adorer ce roman.

Je me suis demandé pourquoi la quatrième de couverture évoquait le grand Meaulnes, certes les deux auteurs sont morts à la guerre et n’ont écrit qu’un roman. Certes encore, on voit tout le charme d’une campagne belle et peu atteinte par le monde des villes, certes enfin, les relations entre enfants datent de cette époque. Mais rien d’une superbe histoire d’amour dans « l’élève Gilles », un enfant triste qui se console en s’émerveillant devant les beautés de la nature. Et un style récompensé par l’Académie française en 1913.

Citations

Pudeur d’un rapport douloureux père fils

Mon père ne parut pas au déjeuner ; j’appris qu’il se trouvait las et prenait du repos. J’osai m’en féliciter, car sa présence m’était une contrainte. Il demeurait, à l’ordinaire, absorbé dans ses pensées, et je respectais le plus possible son recueillement, mais le mot, le geste donc il m’arrivait de troubler le silence, provoquait sa colère ; j’en venais à jouer sans bruit , et à redouter et comme la foudre le heurt de quoique ce fût. Cette perpétuelle surveillance où j’étais de moi-même me gênait, à table surtout. Il suffisait de l’attention que j’apportais à me bien tenir pour m’amener aux pires maladresses, la veille même, à dîner, mon verre renversé s’était brisée en tachant largement la nappe. Le sursaut de mon père m’avait fait pâlir, et mon trouble fut plus grand encore à le voir nous laisser et reprendre, au salon, La sonate qu’il étudiait depuis le matin.

Un style vraiment désuet, j’ai impression de retrouver les dictées de mon enfance et les rédactions de primaires

Un doux matin se leva chaque jour sur ma vie qu’il beignait de clarté bleu et de saine fraîcheur.
Je ne savais de la saison triste que le visage ennuyé qu’elle montre à la ville, ses ciels lourds sur les toits et la boue des rues obscures. Je découvris la splendeur de l’hiver. Ma chambre située à l’extrémité de l’aile gauche, ouvrait sur les champs que les vignes dépouillées peuplaient de serpents noirs et de piquets, mais la pureté du ciel pâle s’étendait sur elle, jusqu’au loin lointain à peine brumeux ; un coteau se haussant portait un village où le clocher pointait ; des pas claquaient sur la route aperçue et des voix, parfois, en venaient.
Le jardin nu m’étonna : le paulownia y révélait une ossature tourmentée, les marronniers levaient des bras transis, les arbustes semblaient des balais de brande, la haie un treillis épineux. Les groseilliers se mouraient, près de la fontaine qui dégelait, goutte à goutte, au soleil rose…..

Traduit du coréen par Lim Yeon-hee et Mélanie Basnel, lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un petit livre étonnant et fort instructif. Je salue d’abord la performance de l’auteur qui s’est mis dans la peau d’une femme pour écrire ce livre. Il y arrive très bien et il a eu bien raison de choisir ce point de vue pour nous faire comprendre pourquoi son pays est si peu attractif. Un homme peut se réaliser dans un travail qui sera quand même une lutte de tous les instants pour sortir du lot, mais pour une femme les barrières sont encore plus hautes et peu d’entre elles arrivent à les franchir et à s’épanouir. Et pourtant, les femmes n’ont pas le poids des interdits religieux et au moins sur le plan de la sexualité, elles sont libres. Mais pour le reste que de contraintes ! En réalité, tout est déterminé par l’origine sociale, si vous êtes née dans une bonne famille, vous habitez dans un beau quartier, votre logement sera spacieux et confortable, vous n’échapperez cependant pas à la terrible sélection mais aurez 99 % de chance d’aller dans une bon établissement secondaire et donc 90 % de chance d’entrer dans une bonne université, Vos parents pouvant payer pour vous, dans le cas où vous n’êtes pas au niveau le nombre de cours particuliers qu’il vous faudra pour réussir votre concours d’entrée à l’université dans laquelle « il faut » aller. Ensuite le tapis rouge se déploie devant vous et vous aurez la carrière de cadre à laquelle vous aspirez et vous ferez le mariage qui convient. Aucune chance pour vous, si vous venez d’une université moyenne, vous serez un cadre moyen. Et si vous n’avez pas réussi vos études vous resterez au bas de l’échelle sociale.
Ce qui révolte notre héroïne Kyena, c’est que tout le monde accepte cet état de fait sans même ressentir la moindre révolte, à commencer par ses parents qui ont trimé toute leur vie pour vivre dans un logement sans aucun confort. Tout le roman est écrit en alternance, sa vie en Corée qui est étriquée, laborieuse et épuisante, et sa vie en Australie qui sans être idyllique lui semble paradisiaque. Comme la photo sur la couverture Kyena sent qu’elle peut vivre dans ce pays où elle se sent libre, je lui laisse la parole pour que vous compreniez son choix

Si je ne peux pas vivre dans mon pays…c’est parce qu’en Corée, je ne suis pas quelqu’un de compétitif. Je suis un peu comme un animal victime de la sélection naturelle. Je ne supporte pas le froid ; je suis incapable de me battre de toutes mes forces pour atteindre un but : ; et je n’ai hérité et n’hériterai jamais d’aucun patrimoine. Mais tout ça ne m’empêche pas d’avoir le culot d’être salement exigeante : je veux travailler près de chez moi, qu’il y ait suffisamment d’infrastructures culturelles dans mon quartier, que mon boulot me permette de m’accomplir personnellement, etc. Je chicane sur ce genre de choses.

Voilà pourquoi elle crie très fort, et je pense qu’après avoir lu ce roman vous la comprendrez.

Pourquoi je suis partie ? Parce que je déteste la Corée

Citations

Classe moyenne pauvre

Ma famille vivait et vit aujourd’hui encore dans un très vieil immeuble délabré dont les matériaux de construction et les encadrements de fenêtres étaient de très mauvaise qualité dès le départ. Chaque année en octobre, mon père recouvrait les fenêtres avec d’épaisses feuille de plastique, mais ça n’empêchait pas l’air glacial de pénétrer dans la chambre au plus fort de la saison froide. Quand le vent soufflait, il faisait gonfler les feuilles de plastique vers l’intérieur. Ces jours-là, nous avions beau mettre le chauffage au sol au maximum, seuls les endroits où passaient les tuyaux était chauds. Ailleurs dans la pièce on était transi de froid. Dans le lit, on avait le bout de nez gelé.

 Les contraintes qui pèsent sur la jeunesse

Je n’ai pas d’avenir en Corée. Je ne suis pas sorti d’une grande université, je ne viens pas d’une famille riche, je ne suis pas aussi belle que Kim-Tae-hui. Si je reste en Corée, je finirai ramasseuse de détritus dans le métro.

Le paradis australien

Quand on devient australien, on peut toucher des indemnités chômage sans rien faire, et quand on attrape une maladie grave, on est soigné gratuitement. Quand on achète pour la première fois une maison, on touche vingt mille dollars d’aide de la part de l’État. On reçoit aussi plusieurs dizaines de milliers de dollars pour financer les études universitaires de ses enfants. En bref tout est merveilleux. En additionnant tout ça, on peut dire que la nationalité australienne vaut environ un milliards de Wons coréen.

Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Denyse Beaulieu. Lu dans le cadre du club de lecture de la média­thèque de Dinard thème : « en chantant ».

 

Ce roman mérite sa catégorie « roman qui fait du bien » ! Après quelques lectures éprouvantes où l’on imagine que les êtres humains se résument à des algorithmes et à des « datas », voici la description d’une communauté de Bridgford qui s’oppose avec intelligence à des projets qui, de façon insidieuse supprimeraient leur art de vivre. Le centre commercial ne sera donc pas construit et le centre ville restera un lieu convivial. Mais si ce roman fait tant de bien, ce n’est pas que pour cette raison. En décrivant les participants à la chorale de Bridgford, l’auteure anime devant nous un échantillon représentatif de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, c’est à la fois drôle et tellement vrai humainement.

 

Beaucoup de personnages sont complexes et sympathiques et Gill Hornby sait nous les rendre très attachants. Tous ceux et toutes celles qui ont participé à une chorale se retrouveront dans ce roman, les petites vacheries des sopranes, les blagues des basses …. Mais il y a aussi ce talent si particulier à l’Angleterre où le chant fait davantage partie de leur quotidien qu’en France. Nous allons donc partager la vie d’Annie qui ne se réalise qu’en offrant sa vie aux autres, elle va mettre beaucoup d’énergie pour que la chorale de Brigford ne disparaisse pas malgré le grave accident dont a été victime la chef de chœur. Cela pourrait être une caricature de dame patronnesse, car elle oublie quelque peu sa propre famille aux profits de ses bonnes actions. mais elle reste lucide et son engagement auprès des autres n’est pas qu’une façade, et il est souvent couronné de succès. Il y a aussi Tracey qui visiblement cache un secret et passe son temps à protéger son fils Billy qui ne fait pas grand chose de sa vie, elle deviendra grâce à Annie un pilier de la chorale et investira son énergie au service de la petite communauté. Il y a aussi, Bennett, mon préféré. Il part de loin celui-là ! Cadre dynamique au chômage, il doit faire face à la solitude puisque son épouse Sue a décidé de le quitter, et à une remise en cause de ses habitudes. Il va évoluer vers un Ben inventif et audacieux qui me plaît beaucoup. Evidemment la fin est heureuse et peut être trop idyllique, mais j’avais tellement besoin de croire en la solidarité humaine que j’ai tout accepté. Si vous aimez chanter dans une chorale, si vous aimez les petites villes anglaises, si vous avez besoin de vous faire du bien lisez « All Together Now », et munissez vous d’un appareil pour écouter en même temps que votre lecture tous les chants dont il est question dans ce roman.

et voici la chanson dont est tiré la citation qui commence le roman

https://www.youtube.com/watch?v=lLZ7f_QfhbI

Citations

Les couples divorcés

Tous les couples en plein divorce se ressemblaient : ils ne pouvaient pas vivre ensemble, mais chacun n’arrêtait pas de parler de l’autre. Alors que le nom de James, avec qui Annie vivait un bonheur tranquille depuis trente ans, n’était pratiquement jamais mentionné dans ce café. Sue prétendait qu’elle avait quitté Bennett parce qu’il était trop ennuyeux : maintenant, c’était elle qui devenait ennuyeuse à force de radoter sur Bennett.

Tout change même la religion

 Vingt-cinq ans auparavant, avant que Bennett ne se mure dans sa vie de labeur, Dieu était pour lui une espèce d’ancien militaire, mi-seigneur, mi-père de famille. Il était au ciel, et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. De nos jours, apparemment, il s’était fait voler la vedette par Jésus, qui avait d’ailleurs énormément changé entre-temps, lui aussi. Les choristes avaient passé la moitié de la messe à chanter qu’il était beau, qu’il était gentil, et qu’il était dans leurs cœurs.

L’horrible prof de piano local

Mme Coles était la prof de piano local : on lui attribuait l’anéantissement de toute vocation musicale sur plusieurs générations à Bridgeford.

Les ragots de choral.

 C’était la plus jeune des altos, dans la trentaine avancée – par rapport aux autres, elle était quasiment en maternelle – et pour autant qu’on sache, elle n’était pas particulièrement mélomane. Mais elle ne ratait jamais un mardi de chorale, ni d’ailleurs aucune des classes et réunions locales auxquelles elle assistait tous les soirs et presque tous les week-ends, dès massages indiens au bricolage. Plutôt qu’une touche-à-tout, on accordait à penser qu’elle était esseulée cherchant l’âme sœur. Ce qui était évidemment assez sexiste et passablement médisant, mais ça c’était typique des soprano de Bridgeford, assez sexiste et médisantes.
 – Dommage qu’elle n’ait pas de soirée libre pour les Weight Watchers.

Bennett le père de famille au chômage

 « tu veux repartir de zéro . On comprend très bien , tous les trois » , alors que de toute sa vie il n’avait jamais rêvé de repartir de zéro . L’idée même de repartir de zéro lui faisait horreur . Chaque fois que ça changeait – même si s’agissait d’un changement mineur ou nécessaire-il en avait éprouvé Une profonde douleur psychique . À ce jour , il n’était pas tout à fait certains de cette remis du choc d’avoir quitté l’école primaire .
 
 les toasts brûlaient . Il est fit il glisser sur une assiette , noirs d’un côté , blancs de l’autre lorsqu’on faisait la moyenne ça donnait un brun doré. Parfait.

Billy, il passe ses journées à ne rien faire, il décide de partir faire de l’humanitaire en Afrique.

 Cela dit, bientôt, ça ne serait plus son problème, mais celui de l’Afrique. Pauvre Afrique… La sécheresse, la famille, et maintenant, son fils Billy Leckford. C’était, comme on le répétait si souvent, un continent magnifique mais maudit.

Définition d’un chœur

Un chanteur, c’est un chanteur ; plusieurs chanteurs, ce sont plusieurs chanteurs ; idem pour un groupe de chanteurs. Mais un chœur -un chœur qui vit, qui respire, qui fonctionne, c’est tout à fait autre chose : le résultat singulier d’une réaction physique qui ne peut survenir que dans certaines conditions de laboratoire, conditions qu’aucun scientifique sur terre ne serais capable d’énumérer. En général, pour qu’un chœur soit bon, il faut qu’il ait un bon chef de chœur -comme Tracey Leckford qui, devant eux s’abandonnait à la musique.

Quand une chorale réussit sa prestation

 Cette interprétation eut un effet extraordinaire sur chacun des choristes. Au début, les spectateurs installés dans leurs sièges en velours rouges n’avaient vu en eux que ce qu’ils étaient : un rassemblement hétéroclite de chanteurs amateurs de toutes les générations et de tous les milieux sociaux qui n’avaient rien en commun, à part la musique, leur lieu de résidence et l’envie de passer un bon moment. Mais presque aussitôt, le pouvoir transformateur de la voix humaine accomplit son miracle. À la fois pour eux-mêmes, et pour leur spectateurs émus, il devint quelque chose de toute autre. Pendant dix magnifiques minutes, ils sortirent d’eux mêmes, leurs âmes se joignirent et s’envolèrent. Lorsqu’il revinrent enfin sur terre, les acclamations du public les remuèrent jusqu’au fond du cœur.

Traduit de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Mazek. Roman inscrit au « Coup de cœur des coups de cœur » année 2017/2018 de la médiathèque de Dinard.

Si ce roman participe à notre « fameux » challenge du mois de juin, c’est qu’il a déjà reçu un coup de cœur de notre club de lecture. Il m’avait échappé et je suis ravie de rattraper mon retard. Si, pour ma photo, je l’ai associé à la célèbre série « Downton Abbey », c’est que ce roman se situe exactement dans cette lignée. Nous sommes avec une jeune bonne de 20 ans, Jane, qui bénéficie du seul jour de congé de l’année : dans ces années-là , les riches familles de l’aristocratie donnait un jour à leurs domestiques pour qu’ils aillent voir leur mère. Ce 30 mars 1924, il fait un temps superbe et avant de partir en pique-nique, la famille Niven, s’inquiète de ce que fera Jane de cette journée de liberté puisqu’elle est orpheline. Comme le goût de le lecture est accepté, voire encouragé par ses employeurs, Jane sait déjà à quoi elle va passer son temps. Un coup de téléphone va bouleverser ses projets, son amant le jeune Paul Sheringman, un voisin d’une très bonne famille lui donne rendez-vous, chez lui. Ils pourront pour une fois bénéficier de la maison seuls sans se cacher. Il doit dans une quinzaine de jours se marier à une jeune fille de la même condition que lui. Commence alors la description de « la » journée exceptionnelle pour Jane. Elle profite délicieusement de ce rapport amoureux et elle enfouit, à jamais, en elle le secret de cette relation.

Graham Swift sait, avec un talent tout en délicatesse, nous faire revivre cette journée et comprendre les relations des differentes classes sociales brtanniques. Peut être aidés par la fameuse série télévisée, nous savons à quel point ces deux mondes : celui des serviteurs et celui des aristocrates étaient totalement séparés même si ces gens se côtoyaient tous les jours. Jane n’a aucunement l’intention de posséder le moindre pouvoir sur Paul. Et pourtant, grâce à l’acte amoureux, elle sait qu’un moment dans sa vie, elle a été l’égale de Paul. L’auteur sait rendre ce moment à la fois très érotique et chargé de la différence sociale, sans juger aucun des deux personnages. C’est un très beau moment de littérature. De plus, il projette Jane dans un futur plein de vie puisque, de ce jour si particulier, il en fait le déclencheur de sa vocation d’écrivaine.

Citations

Angleterre 1924 : le dimanche des mères

Étrange coutume que ce dimanche des mères en perspective, un rituel sur son déclin, mais les Niven et les Sheringham y tenaient encore, comme tout le monde d’ailleurs, du moins dans le bucolique Berkshire, et cela pour une même et triste raison : la nostalgie du passé. Ainsi, les Niven et les Sheringham tenaient-il sans doute encore plus les uns aux autres qu’autrefois, comme s’ils s’étaient fondus en une seule et même famille décimée.

Les rapports maître domestique Grande Bretagne 1924

« Mais bien sûr que vous avez ma permission. Jane. » avait dit Mr Niven en insérant sa serviette dans son rond en argent. Lui demanderait-il où elle voulait aller.
« La Deuxième Bicyclette est à votre disposition et vous avez -hum- deux shillings et six pence en poche. Tout le comté s’offre à vous. Tant que vous revenez.
Puis, comme s’il enviait vaguement la grande liberté qu’il venait de lui accorder, il avait ajouté : « C’est votre jour de congé, Jane. À vous -hum- d’en user à votre convenance. »
Il savait, à présent, qu’une phrase comme celle-là ne lui passerait pas au-dessus de la tête -peut-être même fallait-il y voir un discret hommage pour la lecture.

L’Angleterre et les deuils de la guerre 14 18

Elle ne savait pas, fût-ce en ce dimanche des mères, ce que cela devait être pour une mère de perdre deux fils en l’espace de deux mois, semblait-il. Ni ce que cette mère pouvait ressentir en pareil dimanche. Ni l’un ni l’autre ne reviendrait à la maison nous offrir un petit bouquet ou des gâteaux aux raisins et aux amandes, n’est-ce pas ?

S’habiller chez les riches

De toute façon, dans leur milieu, s’habiller n’avait jamais été réduit à une simple pratique consistant à se nipper vite fait, on y voyait, au contraire, un assemblage solennel 

Le charme est rompu son amant doit rejoindre sa fiancée

 Il retira la cigarette de sa bouche et la tint, tout droite , sur son propre à ventre.
 « Je dois la retrouver à une heure et demie. Au Swann Hôtel à Bollingford. »
Bien qu’il n’eût pas bougé, ce fut comme s’il avait rompu le charme. Et quoi qu’il en fût, elle n’avait pas pu manquer de le prévoir. Même si elle s’imaginait que par quelque magique exemption elle échapperait à « ce passage obligé » . Et le reste de la journée ? Une partie de celle-ci ne pouvait -nest-ce pas ?- durer éternellement. Un fragment de vie ne saurait constituer sa totalité.
 Elle ne bougea pas mais, en son for intérieur, peut-être s’était-elle adaptée à la situation. Comme si elle portait à nouveau des vêtements invisibles et redevenait même une bonne. 

 Les dernières phrases du roman

 Mais assez de baratin, de ces questions pièges des interviews. Et en quoi cela consistait-il, de dire la vérité ? Il fallait toujours leur expliquer jusqu’à l’explication ! Et toute femme écrivain digne de ce nom les duperait, les taquinerait , les mènerait en bateau. N’était-ce pas évident, non d’une pipe ? Cela revenait à être fidèle à l’essence même de la vie. Cela revenait à capter, c’est impossible que ce fût, la sensation d’être en vie. Cela reprenait à trouver un langage. Il en découle est-ce que dans la vie beaucoup de choses dirai oh ! Bien davantage que nous ne l’imagine non ! Ne saurait, en aucune façon, s’expliquer point.

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claude Peugeot.

J’ai lu ce roman grâce à la blogosphère, je mettrai les liens si, sur un commentaire, je reconnais celui où celle qui aime cet auteur. ( J’ai perdu la référence du blog où j’ai noté ce nom, c’était au début de l’été 2017.)

Le titre américain est « I know this much is true ». Ces deux titres révèlent une vérité du roman mais pas exactement la même, le titre américain insiste sur la tension qui sous tend tout le roman. On sent que Dominick, le narrateur qui essaie de sauver son frère Thomas, schizophrène, des griffes d’une institution psychiatrique répressive après qu’il s’est tranché la main dans les locaux de la bibliothèque, va dévoiler peu à peu une enfance terrible qui cache des drames qui l’empêchent aujourd’hui de reprendre pied dans sa vie. Le titre français représente le point final du roman, on ne peut construire sa vie qu’en acceptant les différents aspects de sa propre personnalité. Thomas le fragile, le malade, le protégé de la mère des deux jumeaux est finalement plus fort que le bouillant et toujours en colère Dominick, enfin c’est une façon de parler car Thomas est du côté du malheur et la répression s’abat sans pitié sur lui, la soit-disant force des vaincus est de savoir reconnaître en chacun de nous cette part de faiblesse, c’est alors que « les vaincus sont puissants » .

Wally Lamb nous plonge dans l’histoire d’une famille « dysfonctionnelle » (j’emprunte ce mot à Pat Conroy élevé à la dure lui aussi par un ancien Marine). La différence est que Ray n’est pas le géniteur des enfants, il a épousé la mère et reconnu les jumeaux. Durant toute leur enfance, il n’aura pour but que d’en faire de braves petits soldats et les endurcir pour affronter un monde qu’il sait ne faire aucune place aux faibles. Dominick s’en sort à sa façon, il affronte avec bravache cette éducation, mais Thomas réagit par les pleurs. Plus sa mère le protège, plus Ray s’énerve jusqu’à une scène terrible qui arrive après 900 pages. C’est le reproche que je fais à ce roman pourquoi faut-il à cet auteur 976 pages pour accoucher de cette souffrance qui dévore toute une vie ? Bien sûr ce roman nous permet de visiter les bas-fonds des hôpitaux psychiatriques américains, de partager les tensions de l’arrivée des immigrants italiens, de revivre le racisme ordinaire contre les indiens et les noirs, et de comprendre que la peur d’avoir du sang noir dans les veines a provoqué bien des secrets, que rien n’est pire que statut de fille mère … Bref nous sommes avec les vaincus souvent et il est vrai que nous mesurons qu’eux aussi on fait la force de ce grand pays. Mais j’aurais aimé un peu plus de concision, même si je comprends que le rythme de cette écriture vient du dévoilement progressif que Dominick réalise grâce à une thérapie très douloureuse. Au bout de tant d’horreurs, la fin heureuse a mis un peu de baume sur mon cœur tellement meurtri surtout quand je lis pendant des pages et des pages les souffrances que l’on peut faire subir à des gens sans défense dans les hôpitaux psychiatriques.

Citations

La dernière phrase

L’amour grandit dans le riche terreau du pardon ; les bâtards font de bons chiens ; La preuve de l’existence de Dieu réside dans la plénitude des choses.

Le sens du roman avec le titre français

Je suis professeur d’histoire américaine(…..)mes élèves tirent, je l’espère, la leçon que j’ai moi même tirée : l’abus de pouvoir nuit à l’oppresseur autant qu’à l’opprimé.

L’amitié entre garçons

« Comment peux-tu fréquenter le trou du c… le plus notoires de tout le lycée ? » me demandait constamment Thomas l’été ou Léo et moi étions ensemble au rattrapage d’algèbre. Certes, Léo était un vrai trou du cul, je le savais. Mais, je le répète, il était aussi tout ce que mon frère et moi n’étions pas : sans complexe, insouciant, et hyper drôle. Son toupet phénoménal nous avait fait accéder à toutes sortes de plaisirs interdits que mon béni-oui-oui de frangin aurait désapprouvé, et qui m’aurait valu des rossées de mon beau-père : les films classés X du drive-in de la route 165, le champ de courses de Narragansett, un magasin de vins, spiritueux sur la route de Pachaug Pond qui accordait aux mineurs le bénéfice du doute. Ma première cuite magistrale, je l’ai prise dans la voiture de la mère de Léo, à la Cascade en fumant des cigarettes et en faisant circuler une bouteille de Bali Hai. J’avais 15 ans.

Les expérimentations sur les malades mentaux

 Les années 70 et 78 avaient été fastes. À cette époque-là, considérant qu’en fin de compte Thomas n’était pas maniaco-depressif, on avait arrêté le lithium pour le remplacer par de la stelazine. Puis le Dr Bradbury avait pris sa retraite, et ce connais de Dr Shooner, ce nabot qui suivait désormais mon frère, avait décrété que, si ça marchait avec six milligrammes de stelazine par jour, ça marcherait d’autant mieux avec dix-huit. Il me semble encore tenir ce petit charlatan par les revers de son veston de tweed comme le jour où j’ai trouvé Thomas assis, paralysé, l’oeil vitreux, la langue pendante, bavant sur sa chemise.

Les bibliothèques

 Autrefois, le métier de bibliothécaire était un métier agréable -après tout elle aimait bien les gens. Mais à présent, les bibliothèques étaient à la merci des laissés-pour-compte et des sans-abris du quartier. Des gens qui se fichaient éperdument des livres et de l’information. Qui venaient s’asseoir là comme des légumes ou se précipitaient aux WC toutes les cinq minutes. 

Le destin et l’amour d’un fils pour sa mère

 J’étais celui qui en voulait le plus au destin de l’avoir gratifiée d’abord d’un mari inconstant, puis d’un fils schizophrène, avant de revenir lui taper sur l’épaule pour lui filer le cancer. Or je prouvais seulement que j’étais celui qui refusait le plus obstinément de se rendre à l’évidence. Si je me donnais tant de mal et si je faisais les frais de lui offrir une cuisine neuve, elle avait intérêt à vivre assez longtemps pour en profiter.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


J’ai beaucoup aimé de cette auteure deux de ses romans historique « L’adieu à la reine » que j’ai lu avant Luocine et « Le testament d’Olympe« . Son livre de souvenirs était proposé à notre club de la rentrée, je l’ai donc commencé avec un a priori favorable. De plus les jeux d’enfant sur les plages me sont familiers ainsi que les ambiances de ville balnéaires en saison comme hors saison. Mais malgré ma bonne volonté, je n’ai rien reçu en lisant ce livre, qui n’est ni déplaisant ni plaisant. Je me disais sans cesse que si cette auteure n’était pas connue, peu de gens liraient ce livre qui est, je le reconnais, élégant et délicat. Chantal Thomas,( pour moi c’est une qualité), n’est pas de la veine des femmes qui aiment avec courage mais souvent trop d’impudeur étaler la moindre de leurs souffrances, elle reste mesurée et par touches très fines nous fait vivre une enfance bercée par les embruns et les odeurs d’estran et une mère fantasque. Elle raconte ses châteaux sur le sable, ses pêches miraculeuses dans les rochers, des grands parents qui pallient l’absence d’une mère plus intéressée par son propre bonheur que celui de ses proches. Je sais que j’oublierai ce livre aussi vite que la marée défait les œuvres éphémères des enfants sur la plage.

Citations

Parce que je connais des amoureux du tandem

Si aimer ce n’est pas se regarder l’un l’autre c’est regarder ensemble dans la même direction, alors le tandem et le véhicule par excellence de l’amour. L’un derrière l’autre, pédalant de concert dans la même direction, ils avaleront des kilomètres.

Les châteaux de sable

Le château continue de crouler. Vous auriez dû le construire dans le sable sec, là où la marée ne monte pas, pontifie un père qui ignore l’attrait des causes perdues et l’empire des ruines. C’est parce que le château s’écroule, c’est dans l’intervalle où, quoique délabré, il garde des traces de sa gloire passée, que soudain il s’anime et devient habité. Il est traversé de voix, on entend des appels au secours, des histoires se nouent, et une grande tristesse nous abat.

La maladie d’Alzheimer

Ma mère a tellement travaillé dans le sens de l’oubli, tellement voulu oublier, que maintenant que l’oubli lui arrive de l’extérieur, en forme de pathologie, elle a une supériorité sur ceux qui ne s’étaient pas entraînés, ceux que l’oubli frappent de plein fouet. Elle est étrangement à l’aise avec le processus mystérieux et actif en train d’effacer certaines de ses données existentielles. Elle est à l’aise, elle n’est pas complice. Elle sent que quelque chose la dépasse, qui ne s’agit plus d’une amnésie sous contrôle des noms de personnes et de lieu rayés de son monde comme porteur de mauvaises ondes, d’images désagréables et douloureuses. Un enfouissement réussi. Chez-elle les gens, les lieux, les noms, bétonnés sous une couche de silence, n’émergent plus jamais dans un espace vivant de conversation, de rires, de larmes, ni même par une allusion, une soudaine tristesse où se fige l’expression. Le nom de mon père n’a aucune chance de franchir la barrière de ses lèvres, pas plus que celui d’Arcachon.

 

Cet auteur fait partie de ceux que je lis avec grand plaisir. Brize était enthousiaste, mais Aifelle avait un peu refroidi mon envie, pas assez tout de même pour que je ne le réserve pas à ma médiathèque. Tous les lecteurs de ce roman constatent que le récit de la catastrophe de Liévin en 1974 rend parfaitement compte de l’horreur de cette accident qui aurait pu être évité, et raconte très bien la vie des mineurs et les terribles conséquences de la silicose. J’ai relu quelques archives de l’époque, qui permettent de se rendre compte que Sorj Chalandon n’a pas exagéré. Oui, cette catastrophe était évitable et oui, ces hommes sont morts au nom du rendement du charbon, alors que les mines avaient déjà perdu leur rentabilité, elles allaient bientôt fermer les unes après les autres. Sorj Chalendon, en ancien journaliste, a sûrement vérifié la véracité des détails révoltants comme le fait que les houillères retiennent sur le salaire du mineur mort au fond de la mine, les deux jours qu’il n’a pas pu faire pour finir son mois, et encore plus sordide le prix de la tenue qu’il n’a pas pu rendre….

L’autre centre d’intérêt c’est le destin personnel de Michel, le petit frère survivant et totalement hanté par cette catastrophe. On ne peut sans divulgâcher l’intrigue, en dire trop sur ce personnage. Pour Aifelle il n’est pas crédible et cela enlève du poids au roman. Je dois être une véritable inconditionnelle de cet auteur, car si comme elle j’ai des doutes sur la vraisemblance du personnage, j’ai trouvé que grâce à lui, Sorj Chalendon avait réussi à nous rendre présent l’horreur des accidents dans les mines. Et puis cela permet de tenir en haleine le lecteur jusqu’à la dernière page. Lors du procès final, j’ai beaucoup apprécié le réquisitoire et la plaidoirie de la défense. Tout est dit dans ces quelques pages. À la fois un pays qui, en 2014, ne comprend plus la vie des mineurs, l’absurdité des destins qui finissent dans des râles de respirations étouffées par les poussières de charbon, ou dans des accidents d’une violence inimaginable, et les gens qui eux sont restés à Lens ou à Liévin et qui se sentent marqués à jamais par les tragédies du charbon.

C’est donc une quatrième fois que Luocine accueille un roman de cet auteur et même si j’ai un peu plus de réserves que pour « Retour à Killyberg » , « le quatrième mur » prix Goncourt lycéen 2013,et « Profession du père » il m’a quand même beaucoup plu.

 

Citations

Tous les bricoleurs de mobylettes se reconnaîtront

À vingt sept ans, mon frère avait aussi abandonné son vieux vélo pour le cyclomoteur.

– La Rolls des gens honnête, disait-il aussi.

Une tragédie évitable

La presse l’avais compris, le juge Pascal l’avait découvert. Rien n’avait été dégazé. Le système pour mesurer le grisou n’était pas achevé. La machine qui servait à dissiper les poches de méthane fonctionnait dans un autre quartier. Les gaziers n’avaient pas mal travaillé. Pas leur faute, les pauvres gars. Ils n’étaient que deux mineurs à effectuer des mesures manuelles .Un seul, pour inspecter des kilomètres de galeries. Par mesure d’économie, les Houillères avaient pris le risque de l’accident.

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Prix Renaudot 2017 . Félicitations !


Quel livre ! La bibliothécaire nous avait prévenu, ce roman est intéressant à plus d’un titre, ce n’est pas seulement un livre de plus sur l’horreur d’Auschwitz. Olivier Guez commence son récit lorsque Josef Mengele débarque en Argentine sous le nom d’Helmut Gregor, après avoir passé trois ans à se cacher dans une ferme en Bavière non loin de Günzburg sa ville natale où son père occupe des fonctions très importantes à la fois, industriel prospère, et maire de sa ville. Toute sa vie de fuyard, Mengele sera soutenu financièrement par sa famille. Deux périodes très distinctes partagent sa vie d’après Auschwitz, d’abord une vie d’exilé très confortable en Argentine. Sous le régime des Peron, les anciens dignitaires Nazis sont les bienvenus et il devient un industriel reconnu et vend aussi les machines agricoles « Mengele » que sa famille produit à Günzburg.

Tout le monde tire profit de la situation, l’industrie allemande prend pied en Amérique latine et Josef s’enrichit. Son père lui fait épouser la veuve de son frère pour que l’argent ne sorte pas de la famille. Et la petite famille vit une période très heureuse dans un domaine agréable, ils participent à la vie des Argentins et se sentent à l’abri de quelconques représailles.

Tout s’effondre en 1960, quand le Mossad s’empare d’Eichmann et le juge à Jérusalem. Mengele ne connaîtra plus alors de repos, toujours en fuite, de plus en plus seul et traqué par les justices du monde entier. Mais jusqu’en février 1979, date de sa mort, sa famille allemande lui a envoyé de l’argent. On aurait donc pu le retrouver, pour information l’entreprise familiale Mengele n’a disparu qu’en 1991 et le nom de la marque en 2011.

La personnalité de ce médecin tortionnaire tel que Olivier Guez l’imagine, est assez crédible, jusqu’à la fin de sa vie, il se considérera comme un grand savant incompris et il deviendra au fil des années d’exil un homme insupportable rejeté de tous ceux qui se faisaient grassement payer pour le cacher. La plongée dans cette personnalité est supportable car Mengele n’a plus aucun pouvoir et même si on aurait aimé qu’il soit jugé on peut se réjouir qu’il ait fini seul et sans aucun réconfort. Ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’industriels allemands qui ont établi leur fortune sous le régime Nazi. L’aspect le plus étonnant de ce roman, c’est la complaisance de l’Argentine de l’Uruguay vis à vis des Nazis. Cette communauté de fuyards Nazis a d’abord eu pignon sur rue et a contribué au développement économique de ces pays, puis ces hommes ont peu peu à peu perdu de leur superbe et se sont avérés de bien piètres entrepreneurs.

Citations

L’Allemagne nazie

Tout le monde a profité du système, jusqu’aux destructions des dernières années de guerre. Personne ne protestait quand les Juifs agenouillés nettoyaient m les trottoirs et personne n’a rien dit quand ils ont disparu du jour au lendemain. Si la planète ne s’était pas liguée contre l’Allemagne, le nazisme serait toujours au pouvoir.

L’Allemagne d’après guerre

À la nostalgie nazi les Allemands préfèrent les vacances en Italie. Le même opportunisme qui les a incités à servir le Reich les pousse à embrasser la démocratie, les Allemands ont l’échine souple et aux élections de 1953, le Parti impérial est balayé.

Les industriels allemands

À Auschwitz, les cartels allemand s’en sont mis plein les poches en exploitant la main d’oeuvre servile à leur disposition jusqu’à l’épuisement. Auschwitz, une entreprise fructueuse : avant son arrivée au camp, les déportés produisait déjà du caoutchouc synthétique pour IG Farben et les armes pour Krupp. L’usine de feutre Alex Zink achetait des cheveux de femmes par sacs entiers à la Kommandantur et en faisait des chaussettes pour les équipages de sous-marins ou des tuyaux pour les chemins de fer. Les laboratoire Scherring rémunéraient un de ses confrères pour qu’il procède à des expérimentations sur la fécondation in vitro et Bayer testait de nouveaux médicaments contre le typhus sur les détenus du camp. Vingt ans plus tard, bougonne Mengele, les dirigeants de ces entreprises ont retourné leur veste. Ils fument le cigare entourés de leur famille en sirotant de bon vin dans leur villa de Munich ou de Francfort pendant que lui patauge dans la bouse de vache ! Traites ! Planqués ! Pourritures ! En travaillant main dans la main à Auschwitz, industries, banques et organismes gouvernementaux en ont tiré des profits exorbitant, lui qui ne s’est pas enrichis d’un pfennig doit payer seul l’addition.

Description de Mengele à Auschwit par son adjoint

Mengele est infatigable dans l’exercice de ses fonctions. Il passe des heures entières plongé dans le travail, debout une demi-journée devant la rampe juive ou arrive déjà quatre ou cinq trains par jour chargés de déportés de Hongrie. Son bras s’élance invariablement dans la même direction, à gauche. Des trains entiers sont envoyés au chambre à gaz et au bûcher. Il considère l’expédition de centaines de milliers de Juifs à la chambre à gaz comme un devoir patriotique. Dans la baraque d’expérimentation du camp tsigane on effectue sur les nains et les jumeaux tous les examens médicaux que le corps humain est capable de supporter. Des prises de sang, des ponctions lombaires, des échanges de sang entre jumeaux d’innombrables examens fatigants déprimants, in-vivo. Pour l’étude comparative des organes, les jumeaux doivent mourir en même temps. Aussi meurent-ils dans des baraques du camp d’Auschwitz dans le quartier B, par la main du docteur Mengele.