Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Édition Nouvelle Édition Ouest & Compagnie

Encore un roman policier, et sans pouvoir dire que j’aime beaucoup ce genre de lecture, j’ai trouvé celui-ci assez intéressant. En le lisant, je pensais sans cesse que cela ferait un bon film. Et pour une fois, l’écrivain présente assez bien la ville où j’habite. La réalité sociale de notre époque est bien décrite, le roman débute dans un quartier populaire de Rennes, Cleunay, où s’entraînent deux jeunes espoirs du basket local. Fatou, une jeune noire et Rim une jeune arabe. Le sport de haut niveau les a aidées à se forger un mental d’acier et un corps superbe. Leur quartier connaît l’islamisation et elles espèrent grâce au sport pouvoir échapper aux carcans de leur classe sociale. En attendant, elles se retrouvent à Dinard pour un défilé de haute couture car Rim a été recrutée pour une première expérience de mannequin. Dinard où se croisent des gens très fortunés, ce jour là des gens de la mode et des employés très sympathiques des travaux publics et des jeunes qui veulent s’en sortir. C’est dans ce creuset qu’un meurtre va éclabousser tout le monde. J’ai bien aimé le croisement des classes sociales et aussi l’écriture de cet écrivain. Mais j’espère que notre club va ralentir le rythme des romans policiers parce que, pour moi, c’est un peu un pensum à chaque fois que je dois en lire un.
Je n’ai trouvé que peu d’erreurs dans celui-ci une quand même  : Rim et Fatou s’entraînent à Rennes rue Papu et non « Paput » ; je rappelle que François Papu est honoré à Rennes car originaire de cette ville, il est mort pendant les journées révolutionnaire de 1830 ainsi que Louis Vanneau , (ayant été scolarisée à l’école Papu et mes frères à l’école Vanneau, je sais de quoi je parle !)

 

Citations

Les quartiers qui changent

Dans la cité où, depuis deux ans, les barbus et les voiles fleurissent à vue d’œil. À croire que la beauté glabre d’un visage frise l’anathème ou qu’il fallait à tout prix se voiler la face. Masque obligatoire au quotidien, poils pour les hommes, voiles pour les filles, le peuple des tours subit la férule d’un imam réactionnaire.

Description sympa et exacte

Je me retourne pour lancer un dernier regard vers Saint-Malo. Plus nous nous éloignons, plus la ville m’apparaît dans sa compacité. Construite sur la mer, elle se blottit derrière ces fortifications, monolithique, inexpugnable, élégante. La beauté austère de Saint-Malo éclate davantage depuis le large, contrairement aux rivages de Dinard dont les mystères se révèlent à mesure qu’on les approche.Vallonnés, boisés, fleuris, découpés, truffés de luxueuses maisons au parfum d’Années folles, ils offrent mille surprise à l’ombre d’une végétation exotique. Tout en festons et coquetteries, la station balnéaire s’oppose à la rectitude minérale de la cité corsaire. De part et d’autre de l’estuaire , chacun revendique sa place. Les guerriers d’un côté, leur repos de l’autre.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Édition La librairie du XXI°siècle Seuil

Il existe parfois des petits bijoux littéraires que l’on a envie de partager avec le monde entier. C’est le cas pour ce conte auquel on ne saurait ni ajouter ni enlever un seul mot. La tragédie du XX° siècle nous apparaît dans toute son horreur sous une forme de conte que l’on ne pourra pas raconter à nos enfants. Du premier mot au dernier, j’ai tout aimé de cette lecture et je pense qu’elle renouvelle complètement notre regard sur la Shoa. Il s’agit d’un bébé jeté, en 1942, d’un des trains de marchandises dont on connaît la destination aujourd’hui et recueilli par une pauvre femme qui va le sauver. Je ne peux pas en dire beaucoup plus, lisez-le, j’aimerais tant savoir ce que vous en pensez et surtout, surtout …. ne vous dites pas : « Ah, encore un livre sur ce sujet ! » .

 

 

Citations

Le début

Il était une fois, dans un bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.

Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas « le Petit Poucet ». Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…

L’apparition du bébé

Alors apparaît, oh merveille, l’objet, l’objet qu’elle appelait depuis tant de jours de ses vœux, l’objet de ses rêves. Et voilà que le petit paquet, l’objet à peine défait, au lieu de lui sourire et de lui tendre les bras, comme le font les bébés dans les images pieuses, s’agite, urgent, serre les poings les brandissant bien haut dans son désir de vivre, torturé par la fin. Le paquet proteste et proteste encore.

Retour du père des camps

Il avait vaincu la mort, sauvé sa fille par ce geste insensé, il avait eu raison de la monstrueuse industrie de la mort. Il eu le courage de jeter un dernier regard sur la fillette retrouvée et reperdue à jamais. Elle faisait déjà l’article à un nouveau chaland montrant de ces petites mains la provenance du fromage en désignant du doigt la chèvre chérie et sa maman adorée.

L’épilogue

Voilà, vous savez tout. Pardon ? Encore une question ? Vous voulez savoir si c’est une histoire vraie ? Une histoire vraie ? Bien sûr que non, pas du tout. Il n’y eut pas de trains de marchandises traversant les continents en guerre afin de livrer d’urgence leurs marchandises, oh combien périssables. Ni de camp de regroupement, d’internement, de concentration, ou même d’extermination. Ni de familles dispersées en fumée au terme de leur dernier voyage. Ni de cheveux tondus récupérés, emballés puis expédiés. Ni le feu, ni la cendre, ni les larmes. Rien de tout cela n’est arrivé, rien de tout cela n’est vrai.

 

 

Édition Gallimard

 

Je me souviens encore du plaisir que j’ai eu à lire « Balzac et la petite tailleuse chinoise » , et lorsque j’ai vu ce roman à la médiathèque, je me suis souvenue avoir lu un billet sur le blog « Journal d’une lectrice », je n’ai pas hésité, je suis donc partie avec cet auteur qui raconte si bien son pays dans la ville côtière de Putian. Yong Shen est le fils du charpentier du village, il sera marqué à tout jamais par un sermon d’un pasteur américain qui parle lui aussi d’un fils de charpentier. Il devient chrétien et fabricant de sifflets pour des colombes.

Il passe un certain temps auprès de ce pasteur et de sa fille Mary. Puis, il fait des études de théologie mais auparavant, il sera marié pour respecter d’obscures superstitions. Il revient chez lui, et il apprend que sa femme a donné naissance à une enfant aux yeux clairs, Helai, cette enfant fera son bonheur et son malheur à la fois. S’il n’en est pas le père biologique, il l’a élevée avec amour mais en périodes de folies révolutionnaires être fille de pasteur, être brillante intellectuellement, et avoir des yeux bleus , s’avèrent très dangereux . Alors, après la période de bonheur ou Yong Shen a été pasteur à l’abri de son arbre chéri, né en même temps que lui : l’aguilaire qui est -si j’ai bien compris- l’arbre qui donne de l’encens, viennent les différentes épisodes de la révolution communiste. Le « grand bon en avant », sera suivi par la révolution culturelle et si Yong Shen n’y laisse pas sa vie, il y laisse son âme et sa foi.

 

Comme souvent dans un bon roman qui s’appuie sur la tragédie historique et sur la folie des hommes, il y a des moments de détentes et même de rire. L’émeute provoquée par l’opération du petit garçon chinois d’une ectopie testiculaire est à la fois, bien racontée et très drôle, tout le village est persuadé que le médecin blanc s’en prend à la virilité de l’enfant chinois. Comme on traverse plus de la moitié d’un siècle -et quel siècle !-, ce roman est très dense et fourmille d’histoires et de personnages très divers. Même les personnages secondaires sont intéressants et lorsque le rouleau compresseur s’abat sur le peuple, il n’y a pas beaucoup de recoins pour se cacher et échapper à la terrible remise au pas de tout un peuple.

Les souffrances du pasteur reconnu comme traître à la cause du peuple et dénoncé par sa propre fille qui veut sauver sa vie et celle de son enfant sont à peu près insoutenables s’il n’y avait pas le talent de ce grand écrivain qui embarque son lecteur dans des descriptions poétiques et un monde fait de beauté et de rêve. La tragédie et la mort sont présentes jusqu’à la dernière ligne mais elle est accompagnée par le « Concerto en ré majeur de Beethoven » et cela donne une impression qui s’élève au-delà de la réalité de la souffrance humaine .

 

Citations

Traditions

C’était le ruban de satin rouge que la famille Yong espérait depuis huit ans, car, selon la coutume, à Putian, on accrochait un ruban rouge à un arbre de sa maison, pour annoncer au monde que l’épouse était enceinte.

Yong Sheng est torturé par les communistes en 1949. Il est alors directeur de l’orphelinat

Un petit de sept ou huit ans s’approcha du révolutionnaire. 
« Vous pouvez faire redescendre notre directeur ? 
-Tu ne dois plus l’appeler directeur, mais ordures impérialiste. 
-Vous pouvez faire redescendre notre impérialiste s’il vous plaît ? 
-Bon point pour toi, je vais le faire redescendre, et procéder à la deuxième partie de son interrogatoire. »

Les réunions publiques sous la révolution culturelle

Les paysans présents depuis le matin étaient rentrés déjeuner chez eux, mais sitôt leur repas pris, ils revinrent avec leurs enfants, et des tabourets bas pour s’asseoir. Assister à une séance de critique n’était pas un acte gratuit. Selon le barème en vigueur, une demi-journée de présence rapporter cinq points à un homme, quatre à une femme, trois au vieillard, ou malade et aux handicapés. Quant aux cadres non rémunérés par l’État, ils touchaient une prime, en plus de leur salaire régulier.

Le manchot, en tant qu’ancien droitier réhabilité, jouissait théoriquement de ses droits civiques, mais en pratique, il n’était jamais autorisé à assister à une réunion politique de la commune. Non pas qu’on lui refusât la petite compensation financière ou la journée de repos qu’impliquait une participation à de tels rassemblements, pour les paysans et les ouvriers c’était moins dur que de journée de travail, mais son statut de consigner le mettait à part. Chaque mois, en tant que boucher en attente d’emploi, il était rémunérée par le district, qui ne l’autorisait pas assister aux meetings et l’obligeait à travailler. 

Torturé pendant la révolution culturelle

La plaque de ciment de dix kilos y exerçait une pression telle que l’acier pénétrait profondément dans sa chair. La large tuméfaction qui s’était formée autour ne cessait de gonfler. Ses vertèbres cervicales semblaient sur le point de se briser.(…)
Il songea que les concepteurs de la plaque de ciment étaient d’une intelligence redoutable. Il avait vraiment été inspirés. Avec leurs inventions, il avait écrit, au vingtième siècle, un nouveau chapitre des lois de la gravité, plus le fil de fer sur lequel reposait le poids de la plaque était fin, plus la gravité en démultipliait la pesanteur. 
Il leva la tête, et, à travers la sueur épaisse qui brouillait et ses yeux, il aperçut devant lui le visage de Mao, comme une apparition confuse, entourée d’un halo trouble. C’était un portrait du président que ses accusateurs avaient installé devant lui, pour la réunion de critique .
 » Président Mao, je suis vraiment incurable. Mon infection idéologique est trop grave. Vous me donnez l’occasion d’être critiqué par les masses, mais, alors que je suis à genoux devant vous, mon cerveau malade se préoccupe encore des notions physique que j’ai étudié à la faculté de théologie, et la seule chose à laquelle je suis capable de penser, c’est la loi de la gravité découverte par un occidentale. Grâce à votre Révolution culturelle, j’espère pouvoir enfin rompre a jamais rien qui m’attache encore à la pensée des impérialiste. »

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Édition Gallimard NRF

Quand j’ai lu ce livre, je me suis demandé ce qui se serait passé si ce manuscrit avait été proposé par un illustre inconnu à la célèbre maison NRF Gallimard. Je ne peux pas préjuger de leur réponse mais je gage quand même que le nom Pascal Quignard a beaucoup contribué à l’édition de ce roman. J’ai regardé les commentaires sur Babelio et là mon étonnement a été encore plus fort, car même si certains lecteurs avaient des réserves sur le récit tous reconnaissaient une description attachante de la Bretagne. Alors que pour moi c’est, sans doute, le point le plus faible de ce roman : j’habite à Saint-Énogat dont il est beaucoup question dans ce livre et y trouver un quelconque charme de landes sauvages, il faut être dans le romanesque le plus pur. Dinard et toute la côte jusqu’à saint Cast Guildo sont urbanisés depuis le 19° siècle et ne retrouve un aspect sauvage que vers le cap-Fréhel. Quant à Dinard son charme vient des villas construites par de riches anglais avant la guerre 14/18. Ce n’est pas grave : évidemment le romancier a le droit d’inventer une lande, des fermes là où il n’y a et depuis si longtemps que du secondaire, mais c’est bizarre de lire des critiques où des lecteurs y ont retrouvé l’âme bretonne. Dinard est en plein pays gallo et on y a peu, sinon jamais, parlé breton. Bref, je n’aurais jamais choisi ce cadre pour imaginer cette histoire d’amour si forte que chacun va en mourir. Autre point qui m’a déplu : à aucun moment je n’ai pu croire à ces personnages , pas plus qu’aux différentes péripéties du roman. Je déteste quand tout s’arrange grâce à un héritage miraculeux, ici une adoption qui rend le personnage à l’abri des contingences matérielles. Ce sont justement ces contingences qui m’intéressent. Bref je ne peux que vous recommander de fuir ce roman et surtout de la pas venir à Saint-Énogat sur la foi de ce livre, il n’y a pas de landes, il n’y a rien de sauvage sauf la mer par grand vent ; Mais c’est quand même très joli comme le montre cette photo prise en plein hiver (Cherchez la lande !)

Je dois à la vérité de dire qu’un lecteur du club (et oui il y a un homme parmi nous !) et plusieurs lectrices ont fait de ce livre un chef d’oeuvre et, j’ai même entendu que cet auteur était certainement le plus grand écrivain de sa génération ! Je suis visiblement passée à côté de ce chef d’oeuvre.

Citations

Pour vous donner une idée du style

Fabienne marche dans les mottes de terre, à l’intérieur du champ. Claire marche le long des buissons épineux. Noëlle préfère la chaussée goudronnée de la route, les pieds au sec, elle porte le sac en papier rempli des sandwichs acheter à la boulangerie de la place Jules Verne. 

Évelyne, au-dessus d’elle, sautant de roche en roche, porte dans son sac à dos des boissons.
 On voit les petits goulots des bouteilles surgir au-dessus des épaules d’Evelyne. 
Toutes les quatre traversent la lande située au-dessus de Saint-Énogat. C’est une promenade interminable. 
Il n’y a personne. 
En semaine les sentiers sont vides.

Remarque qui m’a semblé juste

Dans les églises, à chaque Office, avant de commencer, je lève les yeux, je contemple des gens que je ne vois jamais faire leurs courses ni au marché ni sur le port.

C’est toujours un mystère.
 Des gens, qu’on ne voit nulle part, s’assemble dans les églises.

Édition Six Pieds Sous Terre

Je crois que c’est impossible d’expliquer pourquoi une BD nous fait rire ou pas. L’humour de Fabcaro est pour moi, irrésistible. Après Zaï Zaï Zaï et Et Si l’Amour c’était d’Aimer voici donc Formica. J’ai passé un très bon moment , (un peu trop court), pourtant, je n’aime pas qu’on meurt dans les BD surtout pas lorsque l’on tue des enfants ! Or le fait que ce dimanche-là, comme tous les dimanches, la famille se réunit mais ne trouvera aucun sujet de discussion se soldera par la mort ‘tragique » de deux enfants. Le côté décalé de cet auteur qui n’insiste jamais sur ses blagues me réjouit beaucoup, j’ai emprunté cette BD à la bibliothèque mais je sais que je vais l’offrir et me l’offrir aussi . Voici quelques bulles pour vous donner envie de vous plonger dans ce drame en trois actes :

 

Menace de la voisine qui ne veut pas divulguer ses sujets de discussion :

 

Quand les banalités deviennent un peu floues

Le jeu de 7 familles dysfonctionnelles

et une dernière (si vous ne riez pas, ne lisez pas cette BD) , c’est une de celles qui me fait le plus rire ….

 

 

Édition du Seuil. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Deuxième roman de cette auteure que notre bibliothécaire doit bien aimer, et autant j’avais des réserves sur « Nos richesses » autant celui-ci m’a bien plu. Je lui trouve un petit air de roman pour ado, à cause du style très simple et aussi parce que les personnages principaux sont des enfants. (Mais je ne sais plus ce que les ados lisent) Cela se passe dans l’Algérie d’aujourd’hui ou déjà d’hier. Car la clique des généraux au pouvoir est encore en place dans ce roman. L’Algérie va-t-elle vraiment pouvoir se débarrasser de l’appareil d’état militaire totalement corrompu ?. En tout cas, c’est ce qui semble s’annoncer grâce aux milliers de personnes qui sont descendues dans la rue et qui ont réussi à empêcher Bouteflika (ou son cadavre ambulant) de se représenter aux élections.

Revenons à l’histoire : des enfants du lotissement « du 11 décembre » un ensemble de maisons occupés par des militaires à la retraite décident de ne pas laisser disparaître leur terrain, terrain sur lequel les enfants et les adolescents jouent au foot, ni de laisser leurs aînés décider pour eux. Seulement voilà, deux généraux très influents du régime ont décidé d’y construire leur maison. Personne ne pourra s’y opposer, personne ? et bien si, des enfants de moins de 12 ans campent sur le terrain et ridiculisent ces hommes si importants.
Voici donc la trame du roman, mais ce qui est très intéressant, c’est la description des différentes strates de la population algérienne, chaque génération étant marquée par son lot de violences et de renoncements. On sent que rien ne peut faire bouger le régime et que tout est écrit d’avance. Peut-être pas tout, car les téléphones portables et les réseaux sociaux représentent un réel danger pour une société qui a toujours fonctionné grâce au secret. C’est vraiment plus difficile pour ces colonels violents et corrompus d’étouffer cette affaire. Difficile mais peut être pas impossible, dans ce roman. Ce livre a certainement été écrit avant les événements de l’été 2019 mais il annonce et explique très bien les manifestations du vendredi à Alger, pour autant, on ne sait pas si beaucoup de choses ont changé dans ce pays. Tout cela est très bien raconté et rendu très vivant dans ce roman grâce au talent d’écrivaine de Kouther Adimi.

 

Citations

Les inondations

On a quand même un peu peur. On n’oublie pas qu’en 2001, des inondations détruit le quartier de Bab El Oued, c’est près de mille morts et coûté des million de dinars. Certains corps n’ont jamais été retrouvés et des enfants devenus de jeunes adultes continuent d’espérer que leur mère ou leur père finira par rentrer, même, après autant d’années. 
À défaut de tombes, des centaines d’histoires.

La corruption

Le général Athmane, lui, a fait des études de droit en Angleterre payées par l’Armée. C’est un grand et bel homme qui sait charmer son entourage, contrairement à son ami le général Saïd.

On ne le sait pas mais il n’a jamais obtenu de diplôme. Il passa ses années de faculté à boire dans des pubs et à courir après Marie, une jeune Anglaise qui le quitta du jour au lendemain. Athman revint au milieu des années 70 en Algérie ou l’armée l’attendait les bras ouverts. Il présenta un faux diplôme et fut recruté dans le service juridique. Il épousa une femme qui venait du même village que lui et oublia très vite Marie et Londres. Il conseilla à son frère de créer une entreprise de travaux publics et lui fit obtenir grâce à ses relations les plus gros chantiers du pays.
 Aujourd’hui, il possède un appartement à Genève, un hôtel en Espagne acheté sous le nom de son épouse, des tableaux de maîtres cachés dans un appartement à Paris qui est au nom de l’un de ses enfants et deux voitures blindées. Grâce au frère de sa femme, directeur de la douane, il peut faire passer ce qu’il veut sans problème et récupère régulièrement les marchandises saisies.

Le colonel à la retraite

Lorsque le terrorisme faisait rage, Mohamed, qui devait tous les jours se battre contre les groupes terroristes, arrêta la prière pendant dix ans. Le temps de cette guerre. Il n’en parla à personne, n’expliqua rien à sa femme. Prier lui était devenu tout simplement impossible. Il y avait trop d’horreur autour de lui. Il ne supportait plus de devoir appeler des parents ou des jeunes femmes pour leur apprendre que leur fils ou époux était mort au combat, abattu à bout portant, déchiqueté par une bombe ou torturé par une lame. Il ne supportait plus d’entendre le mot « Dieu » dans la bouche des terroristes. Il ne supportait plus de dire le même mot sur son tapis de prière. Les mots. Ils se mélangeaient dans sa tête. Quelqu’un peut-il salir un mot ? Peut-il se l’approprier tant et si bien qu’il finit par vous l’arracher, vous le voler en quelques sortes ? Se battre contre les terroristes, monter au maquis, débusquer les camps, c’était un peu une manière de se réapproprier tous les mots les intégristes avaient confisqué aux Algériens.

Les partis politiques

Les partis politiques, les journaux indépendant et une majorité des élus, industriels et artistes s’opposent également au verdict des urnes. Tous crient à la menace islamiste. L’Iran en Algérie ? Jamais. Non, jamais, mais bien sûr, nous sommes mal à l’aise. Nous avons voulu la démocratie mais les urnes nous donnent une réponse qui nous déplaît et nous voici dans la rue pour protester. Nous sommes mal à l’aise, je me répète mais l’ai-je dit à l’époque ? Non, car on avait réussi à nous convaincre qu’il n’y avait que deux camps possibles : les islamistes ou les militaires.

Le téléphone portable

Le général Athman lança un petit sourire sarcastique à son ami :

– Les temps ont bien changé. Depuis quand laissons-nous faire ?
– Depuis que le cours du pétrole a dégringolé, que les réseaux sociaux ne nous permettent plus d’empêcher les gens de parler, commenter, dénoncer. Depuis que tout le monde a un téléphone portable avec lequel prendre des photos et des vidéos. Oui, cher ami, les temps ont bien changé et seuls ceux qui le comprennent peuvent survivre.

Édition j’ai lu

Je le dis tout de suite : n’attendez pas un billet objectif. J’aime cet auteur et je vais ne dire que du bien de ce livre que j’ai refermé à regret, j’aurais voulu rester encore un peu avec ces personnages. Laurent Seksik a été élevé par des parents aimants et, en retour, il éprouve pour eux une grande affection. On peut alors imaginer un livre guimauve dégoulinant de bons sentiments. Et bien non, on peut parler d’amour et de respect filial sans ennuyer personne. Laurent Seksik décrit ici la disparition de son père et l’énorme difficulté qu’il éprouve à se remettre de ce deuil. Dans une famille juive, cela dure officiellement un an et comme il nous le dit, il aurait aimé que cela dure encore plus longtemps. Il nous manque aussi à nous, ce père qui a si bien su raconter à son fils l’histoire de sa famille. Le roman se situe au moment où Laurent Seksik retourne en Israël, un an après l’enterrement de son père pour célébrer, justement, la fin du deuil. Dans l’avion, il rencontre une jeune Sandra, qui lui donne la réplique et cherche à comprendre pourquoi il aime tant son père, elle, qui semble avoir toutes les raisons de détester le sien ! Elle est comme le négatif de l’amour ensoleillé de Laurent pour son père et leur conversation nous permet de mieux cerner la personnalité de ce père tant aimé. Comme souvent dans les familles juives, l’amour dont les parents entourent leurs enfants est à la fois constructif et étouffant, il se mêle de tout, ce père, du choix des études de son fils et de ses fréquentations féminines. La scène dans l’aéroport de Nice est digne d’un film de Woody Allen, je vous la laisse découvrir. Mais son père, c’est aussi, un homme généreux qui est aimé des gens simples, qui se donnent du mal pour faire un beau discours pour des enterrements de gens sans famille. Et c’est certainement la personne qui a le plus compté dans la vie de l’écrivain Laurent Seksik, médecin pour plaire à sa mère écrivain pour que son père soit fier de lui : un fils obéissant donc..

 

Citations

Son père

– Papa, tu me jures que cette histoire est vraie ?
– Si cette histoire n’était pas vraie, pourquoi l’aurais-je inventée ?

L épisode Derrida

« Tu te souviens qu’enfant, à Alger, j’étais dans la classe de Jacques Derrida. Mais t’ai-je raconté qu’en sixième je l’ai aidé à plusieurs reprises à résoudre des problèmes de mathématiques ? »
Je ne voyais pas où il voulait en venir.
« Si Jacques Derrida en est là aujourd’hui, c’est grâce à ceux qui l’ont aidé et peut-être ai-je été l’un des premiers avec ces devoirs de mathématiques. Peut-être que Derrida me doit une fière chandelle et peut-être même que la philosophie française nous en doit une aussi ! Je me suis renseigné. Le frère de Jacques Derrida vis à Nice, il possède une pharmacie à Cimiez. Tu vas aller le trouver, lui rappeler l’épisode du devoir de mathématiques. Il transmettra. Le Jacques que j’ai connu était un garçon d’honneur. Il saura faire pour toi ce que j’ai accompli hier pour lui. »
Je bataillai ferme durant quelques semaines, mais on ne refusait rien très longtemps à mon père.
Un samedi après-midi, après qu’il m’eut déposé au volant de sa nouvelle Lancia sur le trottoir de l’officine, j’en franchis le seuil et avançait d’un pas hésitant et inquiet à l’intérieur de la pharmacie déserte en ce début d’après-midi, avec le secret espoir qu’aucun membre de la famille Derrida ne s’y trouvât ce jour-là. Derrière le comptoir, un homme à l’imposante tignasse brune et frisée qui n’était pas sans rappeler celle du philosophe me suivait d’un regard où luisait une pointe d’ironie. Il me demanda ce dont j’avais besoin. Devant mon silence il sourit d’un air entendu. « Je comprends, jeune homme, je suis passé par là. » Il se rendit dans un coin de la boutique et avant que je n’aie pu dire quoi que ce soit pour le retenir, revint avec une boîte de préservatifs. « C’est la première fois je suppose ? » poursuivit-il d’un ton enjoué et complice. J’acquiesçait du menton, cherchant dans mes poches de quoi payer. « Laisse fit-il avec un geste de mansuétude, cette fois là, elle est pour moi. » Il glissa la boîte au creux de ma main, me donna, en se penchant au-dessus du comptoir, une petite tape sur le coude comme un dernier encouragements.
 Je remontai dans la voiture, la boîte de préservatifs au fond de ma poche, l’air le plus assuré possible. Mon père demanda si cela s’était bien passé. J’ai eu un hochement de tête approbateur en réprimant un sentiment de honte. Je préférerais qu’il croie à l’ingratitude un ancien camarade plutôt qu’à la lâcheté de son fils.

 Le philosophe Jacques Derrida ne fut en rien dans la publication, des années plus tard, de mon premier roman. Je lui dois en revanche mon premier rapport protégé.

Juif et gentil

Je crains que Samuel ne soit pas prêt à succomber aux sirènes d’une Gentille, comme certains disent chez vous. Même si je suis convaincue qu’il n’est pas insensible à mes charmes, les hommes sont prévisibles, vous savez. Mais dès qu’il se sent céder aux visées qu’il a sur mon décolleté, je suis sûr qu’il doit entendre la voix de sa mère : »Samuel, cette fille n’est pas pour toi. Elle va t’égarer hors du droit chemin ! Tes grands-parents, tes arrières grands-parents n’ont pas vécu et ne sont pas morts en bons juifs pour que tu fêtes Noël autour du sapin ! »

Dialogue père fils

 – Moi, je l’ai vu, cette Élodie, elle est splendide.
– Oui, elle est splendide mais surtout… Elle est juive, n’est-ce pas ?
– Et qu’est-ce que tu as contre les Juifs ?
– Absolument rien.
– Je suis heureux d’apprendre que nous ne logeons pas un antisémite à la maison… Mais laisse-moi te dire aussi que tu as tort de ne pas accorder une petite chance au destin !
– D’abord, je ne vois pas en quoi Élodie Tolila serait une chance et, et deuxièmement, je ne crois pas au destin.
– Il me semble qu’en ce moment tu ne crois plus en grand-chose, fiston…
J’allais déclarer que je croyais en « l’amour », mais je me retins prudemment d’ajouter quoi que ce soit.

Petite leçon d’histoire donnée par le père du narrateur

L’archiduc François-Ferdinand avait été assassiné à Sarajevo par un groupe de nationaliste serbe. Son oncle, l’empereur austro-hongrois, y a vu une perte irréparable pour l’humanité tout entière et a trouvé ce prétexte pour déclarer la guerre à la Serbie qui, depuis des lustres, refusait son annexion en exerçant là une atteinte insupportable à l’intégrité de son territoire, même si l’empereur n’avait jamais foutu les pieds à Sarajevo puisque le soleil ne se couchait jamais sur son empire et que ces gens-là n’ont pas que ça à faire. Tout ce beau monde a sonné la mobilisation générale depuis les salons des châteaux où ils vivaient en paix afin que la morale soit sauf. C’était compter sans les Russes, qui ont toujours envie d’en découdre et décidèrent de venir au secours des Serbes par affinité naturelle puisque les uns et les autres sont de la même obédience orthodoxe et qu’il est plus commode de mourir fraternellement en priant le même seigneur qu’avec un type qui croit prier le bon Dieu alors qu’il implore le mauvais. Le Kaiser Guillaume a très mal pris la chose, parce que les Allemands sont très à cheval sur les principes, et jamais à un million de morts près. Le Kaiser a donc déclaré la guerre aux Russes même si le tsar était aussi son cousin, parce que c’est chez ces gens-là, Laurent, l’esprit de famille se résume à jouer aux petits soldats à l’heure du thé mais avec de vrais gens et à balles réelles. Comme les Français ont le sens de l’honneur, on ne nous enlèvera pas ça, et qu’on ne laisse pas attaquer un Russe sans réagir vu qu’on aurait des accointances depuis toujours même si je n’ai jamais rien ressenti de particulier, la France a déclaré la guerre aux Boches… Et voilà pourquoi, fiston j’ai perdu mon père a sept ans et la Nation a fait de moi son pupille, sans que je lui aie rien demandé.

 

 

Édition arléa

Je dois cette lecture à Dominique, et grâce à ce roman j’ai passé un très bon dimanche alors que le temps était au gris et que les mauvaises nouvelles s’accumulaient autour de moi. C’est un roman délicieux, il m’a fait un bien fou et a chassé mon cafard ce jour-là. Et pourtant il n’a rien d’un roman « fell-good » , comme on l’entend d’habitude. Certes il se passe dans un cadre enchanteur le château de l’Islette :

 

Mais comme il s’agit d’un épisode de la vie de Camille Claudel et de son terrible mentor Auguste Rodin, on est plutôt dans le drame que dans les amourettes champêtres.
Camille, vient dans ce lieu invitée par une châtelaine protectrice des artistes finir sa sculpture, la valse, qui a été refusée par l’académie car les corps de danseurs étaient trop dénudés

Elle y retrouvera son grand amour qui, lui, travaille sur son « Balzac ». Elle y sculptera également un petite fille Marguerite dont elle a fait un buste d’une étonnante présence

On apprend qu’elle correspondait aussi avec Debussy qui composait à Londres, à la même époque « L’après midi d’un faune ». Voilà pour les artistes que connaît bien Géraldine Jeffroy, professeur de lettres. Elle a alors imaginé une trame romanesque très plausible et qui ne pèse en rien sur l’objet de ce livre : la création artistique. Les personnages principaux sont des femmes, la narratrice, la petite Marguerite et surtout, surtout l’incroyable Camille Claudel qui toute sa vie a dû lutter pour faire reconnaître son talent jusqu’à en perdre la raison. Rodin est toujours lui-même;un vrai goujat, « un ogre » dit Debussy, mais il est aussi un homme de son époque et un très grand sculpteur. On se promène agréablement avec la narratrice, la petite Marguerite et Camille dans la campagne autour du château et on suit avec un grand intérêt la passion avec laquelle l’artiste crée cette oeuvre qui a su toucher un si grand public. Un moment de création donc, mais pas d’apaisement pour Camille. Je ne peux pas m’empêcher de penser à la fin de sa vie, internée en 1913, elle mourra pratiquement de faim en 1943 à l’asile de Montfavet dans le Vaucluse.

Camille 20 ans Camille en 1929 dans son asile

Un roman que je recommande chaudement à qui il manque, cependant,un petit quelque chose dans l’intensité romanesque pour atteindre les 5 coquillages.

Citations

La description du château

L’édifice renaissance était posé entre deux bras de l’Indre. Pour le rejoindre il fallait traverser l’un de ses bras en empruntant un pont de bois qui était suffisamment large pour laisser passer fiacres et attelages. Bâti sur trois étages et d’un plan rectangulaire, la demeure élevait au sud deux tours imposantes et se couronnait d’un chemin de ronde sur mâchicoulis. Elle était une modeste mais charmante réplique du château d’Azay-le-Rideau, lequel je le découvrirai, était également posé sur une île à trois kilomètres en amont.

Trait des tourangeaux

Ils devinrent aimables, sans excès, maintenant cette distance aristocratique commune à tous les Tourangeaux, quelle que soit leur condition, qui vient de cette conviction que la terre natale leur tient lieu de titre.

Portrait de Camille Claudel

 le lendemain, on aperçut enfin mademoiselle Camille. Elle s’installa sur un banc près de l’Indre et elle se mit à dessiner. Elle coinçait ses différents crayons dans son épaisse chevelure qui se ramassait sur sa nuque et elle posait son carnet sur ses jambes. Souvent, elle relevait très haut la tête et demeurait contemplative un long moment. Alors un timide sourire éclairait son visage, l’écrin qui l’enveloppait semblait la consoler d’un chagrin latent

Les rapports de Camille Claudel et de Rodin

Mademoiselle Camille hurlait sa jalousie et le grand homme s’évertuait à justifier ses infidélités. Il y avait des coucheries sans conséquence -les modèles de l’atelier qui s’offraient au désir insatiable du maître- et puis la compagne de toujours, celle des premiers jours, l’impossible à déloger, la servante dévouée, cachée, déjà vieillissante, la gardienne de l’ œuvre, la mère de leur enfant. 

-Tu avais promis ! répétait mademoiselle Camille comme une ritournelle obsessionnelle, et sa voix n’était plus qu’une plainte douloureuse, le cri déchirant de la bête blessée, le cri de révolte de l’agonisant qui s’accroche à la vie. Si elles ne m’étaient pas si utiles, je te tuerai de mes mains Rodin ! .Je te tuerai, je le jure et tes putains et ta vieille pourront t’attendre !


Conseil de Debussy

 De grâce, Camille, soyez raisonnable et laissez votre barbu là où il est. Loin du bûcheron les arbres poussent jusqu’à toucher le ciel. Loin des mondanités parisiennes, l’air est bien pur, croyez-moi. Ces soirées où il faut se vendre, « chichiter »… j’en ai comme vous une profonde aversion. Il me semble qu’on y étouffe comme à l’écoute d’une mauvaise symphonie.

Description du travail de la sculptrice

Son regard était absorbé, comme habité par la figure à laquelle elle voulait à tout prix donner corps, elle malaxait un nouveau bloc de terre, placé sur une selle à la hauteur de ses yeux, de ses gestes à la fois amples et précis. Elle palpait avec frénésie cette matière nouvelle, la tassait, la triturait, l’étirait longuement avant de la façonner. Elle semblait vouloir prolonger la joie tactile des premières caresses, elle était avec sa terre comme une mère réanimant son petit frigorifié. Les narines palpitantes, elle la reniflait comme on renifle une peau aimée, l’odeur de lait du nourrisson, puis elle s’éloignait, étourdie, elle ouvrait grand la fenêtre et respirait l’air pur le visage tourné vers les arbres.
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Traduit de l’anglais par Jean Szlamowicz. Collection 10/18

 

Ne vous étonnez pas de trouver dans ce roman un petit air de « Downton Abbey » , Julian Fellowes en est le scénariste. Il connaît bien le milieu de l’aristocratie britannique pour l’avoir beaucoup fréquenté dans sa jeunesse. Mais il est né en 1949, et les heures de gloire des Crawley et de toutes les familles nobles britanniques sont bien terminées. Pourtant, certains rites existent encore et le narrateur assure que dans les années 60, il y avait, encore en Grande-Bretagne ce qu’on appelait « la saison » . Cela ressemble un peu aux rallye d’aujourd’hui en France, dans les milieux riches de la capitale. Il s’agissait de bals donnés par les mères de jeunes filles pour leur faire rencontrer des partis fréquentables. Tous les châtelains des alentours recevaient dans leur demeure, ce Weekend là, les jeunes adolescents invités qui n’avaient pas pu dormir chez la jeune-fille, cela nous vaut des récit autour de la cuisine britannique qui bien que servie avec avec tout le décorum possible est répétitive, fade et sans aucun intérêt, comme la mousse au saumon que la narrateur a consommé tant de fois, cette année là. La construction du roman rappelle celle d’une série. (Je gage que ce roman sera un jour repris pour la télévision). En six épisodes (6 est le nombre des épisodes des mini-séries), notre narrateur doit retrouver les six jeunes filles qu’il a rencontrées lors de cette « saison » des années soixantes. Pourquoi ? parce que Damian Baxter, l’étudiant qui est devenu plus que millionnaire – on peut imaginer un Bill Gates ou un Steve Job, britannique- va mourir. Il fait appel au narrateur pour retrouver son enfant illégitime. Il est forcément l’enfant d’une de ses six jeunes filles. On repart donc dans la vie de six couples qui quarante ans plus tard ont parfois bien du mal à être encore heureux. Une catastrophe qui s’est produite en 1970 au Portugal annoncée dès le premier chapitre est le fil conducteur de l’inimitié farouche qui sépare Damian et le narrateur, il ne sera dévoilé qu’à la fin du roman mais elle est rappelée à tous les épisodes :

Je pouvais leur faire confiance d’avoir gardé en mémoire ce fameux repas car il y a peu de gens qui en ont vécu d’aussi effroyable, Dieu merci. J’avais aussi une autre excuse, plus fragile, pour ne rien dire, il se pouvait qu’ils aient tout oublié, à la fois de cet épisode et de ma personne….. Même si mon aventure avec les Gresham s’était terminée par une catastrophe j’aime à penser que j’avais fait partie de leur existence à une époque lointaine, à une période où il avait fait partie de la mienne de manière si vitale. Et même si la simple logique me disait qu’il y avait peu de chances que cette illusion ait encore la moindre réalité, j’avais réussi à la conserver intacte jusqu’ici et j’aurais aimé retourner à la voiture à la fin de la soirée avec cette chimère encore en bon état.

Effectivement tout tourne autour de cette sixième famille les Gresham, et de Joanna dont Damian Baxter et le narrateur ont été follement amoureux, On sait dès le début que le suspens de l’enfant illégitime ne peut se résoudre qu’à la fin, mais cela ne procure aucun ennuie car chaque famille procure son lot de surprises. La difficulté de s’insérer dans le monde étroit de la coterie des gens « biens » en grande Bretagne est décrite sans œillères et cela ne la rend pas très sympathique. Le personnage principal Damian Baxter, malgré son intelligence ne fera jamais partie de ces gens là et le narrateur éprouvera toute sa vie une forme de culpabilité d’être celui qui l’a fait entrer dans ce monde. C’est le ressort principal du roman dont l’autre intérêt est la peinture de la société britannique dans les années soixantes et le déclin de l’aristocratie. Même s’il y a quelques longueurs,ce roman se lit très facilement et fait partie, pour moi,des romans qui « font du bien » . Un peu comme la célèbre série dont il est l’auteur Julian Fellowes sait nous raconter cette société à laquelle il est attaché tout en voyant très exactement les limites.

 

PS Blogart (La comtesse) avait parlé de ce roman le 3 septembre 2015, merci de me l’avoir fait remarquer.

 

 

Citations

Regard de sa mère.

Ma mère n’aurait certes pas approuvé, mais ma mère était décédée et donc, théoriquement, peu concernée par la question, même si je ne suis pas convaincu que nous puissions nous défaire du regard critique de nos parents, qu’ils soient morts ou pas.

Snobisme et argent en Grande Bretagne.

Il est très curieux de constater qu’aujourd’hui encore il existe en Grande-Bretagne une forme de snobisme envers l’argent fraîchement acquis. J’imagine que la droite traditionnelle est censée tordre le nez face à ces gens-là mais, paradoxalement, ce sont souvent les intellectuels de gauche qui montrent tout leur mépris pour ceux qui se sont fait tout seul. Je n’oserais essayer de comprendre comment une telle attitude peut-être compatible avec la croyance à l’égalité des chances.

La cuisine.

On peut et on doit réfléchir sérieusement aux changements qui ont touché notre société ces quarante dernières années, mais il y a un certain consensus sur les progrès qu’a faits la cuisine britannique, au moins jusqu’à l’arrivée du poisson cru et du manque de cuisson imposé par des chefs-vedettes au début de ce nouveau millénaire. Personne ne conteste que, quand j’étais enfant, ce qu’on mangeait en Grande-Bretagne était horrible et consistait essentiellement en repas de cantine sans aucun goût, avec des légumes qu’on semblait avoir mis à bouillir depuis la guerre. On trouvait parfois des choses meilleures chez certains particuliers, mais même les restaurants chics vous servaient des plats compliqués et prétendument raffinés, décorés entre autres de mayonnaise verte présentée sous forme de fleur, et qui ne valaient pas vraiment qu’on se donne la peine de les ingurgiter.

Le snobisme britannique.

Être duc !

De fait, les frères Tremayne allaient connaître une certaine popularité, passant même pour des personnalités frondeuses, ce qu’ils n’étaient absolument pas. Mais leur père était duc et même si, dans la vraie vie, cet homme aurait été incapable d’occuper les fonctions de gardien de parking, son statut suffisait à leur garantir d’être invités.

Être comte !

Nous pouvions être absolument certain que, jamais en cinquante huit ans, personne ne s’était adressé à l’ordre Claremont de cette manière. Comme tous les riches aristocrates dans le monde, il n’avait aucune idée réelle de sa propre valeur puisque, depuis sa naissance, il recevait des compliments sur des qualités imaginaires et il n’était pas vraiment surprenant qu’il n’ait jamais remis en question les flatteries qu’une armée de lèche-botte lui avait servies depuis un demi-siècle. Il n’avait pas l’intelligence de se dire qu’on lui racontait n’importe quoi qu’il n’avait rien de concret à offrir sur le marché du monde réel. C’était un choc, un horrible choc de découvrir qu’il n’était pas la personnalité digne, élégante et admirable qu’il croyait être, mais un pauvre imbécile.

L’apparence

Ces gens-là obéissaient à des rituels vestimentaires pénibles pour une simple raison : ils savaient parfaitement que le jour où ils cesseraient de ressembler à une élite, ils cesseraient d’être une élite. Nos hommes politiques viennent tout juste d’apprendre ce que nos aristo savaient depuis des millénaires – tout est dans l’apparence.

Dans les années 60

Malgré cette laideur, personne ne fut épargné. Les jupes de la reine remontèrent au-dessus du genou, et lors de l’intronisation du prince de Galles à Caernarfon Castle, Lord Snowdon s’était affiché avec ce qui ressemblait férocement au costume d’un steward d’une compagnie polonaise. Mais, à partir des années 1980, les aristo se fatiguèrent de déguisements aussi intenables. Ils voulaient reprendre l’apparence qui était la leur.

Perte d’une fortune en moins d’une génération

Elle s’était également rendu compte d’un imprévu, c’est-à-dire l’amputation permanente de son capital du fait d’un époux qui entendait bien vivre « en prince » mais qui n’avait pas l’intention de travailler un seul jour dans sa vie ni de gagner le moindre penny. C’était une fille du Nord avec la tête sur les épaules et elle avait bien conscience qu’aucune fortune ne peut espérer survivre à partir du moment où les dépenses sont sans limites et les revenus équivalents à zéro.

Relations de couples

Quand on se retrouve dans une relation qui bat de l’aile, on a tendance à l’aggraver en lui en lui injectant une dose de mélodrame, obtenu en devenant lunatique et mordant, et en montrant en permanence sont insatisfaction. Cela passe par des répliques comme « Mais pourquoi tu fais tout le temps ça ? » Ou  » Bon, tu m’écoutes oui ? Parce qu’en général tu ne comprends rien quand je t’explique. » ou bien « Me dis pas que tu as encore oublié ? »

le prix des grandes propriétés

Hélas, c’est palais étaient à l’origine censés être le centre de centaines d’hectares de production agricole et la vitrine d’immenses fortunes fondées sur le commerce et d’industrie – cela ne se voyait peut-être pas mais, à l’instar des taupes creusant sans cesse dans galerie, c’était des capitaux qui travaillaient dans l’ombre. Car ces demeures sont de grandes dévoreuses de fortune. Elles avalent l’argent comme les terribles ogre des frères Grimm dévorent les enfants et tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin.

Observation qui sonne juste

Une marque certaines de l’étroitesse d’esprit des gens, c’est quand on ne supporte pas de voir ses amis devenir amis avec d’autres amis à soi. Malheureusement, c’est très fréquent, et on constate souvent avec cette petite grimace lorsque l’on se rend compte que deux couples se sont vus sans vous inviter alors que c’est vous qui les aviez présentés.

L’importance de la beauté

Il faut avoir été laid dans sa jeunesse pour comprendre ce que cela signifie. On peut toujours dire que les apparences sont superficielles et parler de « beauté intérieure » ou autre niaiserie que les adolescents moches doivent supporter quand leur mère leur soutien que « c’est merveilleux d’être différent ». La réalité, c’est que la beauté est la seule unité monétaire qui vaille question séduction, et dans ce domaine, votre compte en banque est à zéro.

 

 

 

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Peronny Édition Globe 

 

Je dois à Keisha (encore elle ! -encore ?… comme si je me plaignais !) ce livre merveilleux et instructif à tant de point de vue. Je l’ai lu depuis un moment mais je n’ai rien oublié de mon intérêt pour cette fabuleuse enquête. Il est sur mon sur Kindle et le gros avantage c’est de pouvoir faire des notes très facilement et de les récupérer tout aussi facilement comme vous pourrez le voir. Peut-être, en ai-je mis un peu trop mais c’est pour moi une bonne façon de retenir précisément le contenu d’un livre.

Jessica Bruder a suivi pendant deux ans des Américains qui ont tout perdu suite à la crise des « subprimes » , toutes leurs économies ont fondu dans des malversations bancaires. Ils n’ont plus rien mais n’ont pas perdu les traits de caractère de la culture américaine. Ils essaient par tous les moyens de s’en sortir. Ceux et celles qui intéressent cette journaliste ont choisi de s’acheter un camping-car et de partir sur les routes, à la recherche des petits boulots. Vous ne serez pas étonnés d’apprendre qu’Amazon a vu là une main d’oeuvre facile à capter. Donc avant Thanksgiving et Noël leurs terrain de camping se remplissent de caravanes venant des quatre coins du pays. Cela nous vaut des pages passionnantes sur ceux et celles qui travaillent dans les énormes hangars d’Amazon . La principale difficulté de ses nouveaux migrants de l’intérieur, c’est de trouver des endroits où laisser leur camping, en effet aux États-unis tous les stationnement sont privés et peuvent coûter très cher. Amazon propose donc des parking gratuits pour que ces gens viennent travailler chez eux. Le livre fourmille de petites astuces pour s’en sortir ? Ces gens forment une communauté et se refilent les adresses des supermarché qui ne vous chasseront pas de leur parking, des terrain de camping où vous pourrez laisser votre véhicule à condition de faire du gardiennage. En réalité, l’Amérique offre une foule de petits boulots peu payés, qui conviennent assez bien à des jeunes , mais qui sont très fatigants pour des personnes âgées et qui surtout supposent un logement.

Les personnes que suit Jessica Bruder sont souvent très intéressantes et différentes des unes et des autres mais sa préférée et la nôtre évidemment c’est Linda qui veut absolument se construire une maison avec des matériaux recyclés. J’espère qu’elle vit bien maintenant Linda au grand cœur, elle le mérite pour oublier toutes ses galères. Je l’imagine bien dans une maison comme ça, pour faire un joli pied de nez à l’alcool qui a tellement perturbée sa vie.

 

Cela fait longtemps qu’une partie de la population américaine vit dans des terrains de camping où on retrouve des « homes » pas du tout mobiles. La nouveauté de ce phénomène , c’est qu’il s’agit ici de gens qui voyagent, qui ne veulent pas vivre parqués et qui veulent retrouver un travail stable. On voit aussi à quel point cette crise a été violente pour une partie importante de la population, si la maladie, un divorce ou l’alcool s’en mêlent alors, ces gens perdent tout en très peu de temps. Mais ils sont Américains et gardent malgré tout une envie de s’en sortir assez étonnante et un esprit communautaire qui brise leur solitude .

 

Citations

Le début

Les mensonges et la folle cupidité des banquiers (autrement nommé « crise des subprimes ») les ont
jetés à la rue. En, 2008, ils ont perdu leur travail, leur maison, tout l’argent patiemment mis de côté pour leur retraite. Ils auraient pu rester sur place, à tourner en rond, en attendant des jours meilleurs. Ils ont préféré investir leurs derniers dollars et toute leur énergie dans l’aménagement d’un van, et les voilà partis ;

Survivre en Amérique

Les workampers sont des travailleurs mobiles modernes qui acceptent des jobs temporaires aux quatre coins des États-Unis en échange d’une place de stationnement gratuite (généralement avec accès à l’électricité, à l’eau courante et évacuation des eaux usées), voire parfois d’une obole. On pourrait penser que le travailleur-campeur est une figure contemporaine, mais nous appartenons en réalité à une tradition très ancienne. Nous avons suivi les légions romaines, aiguisé leurs épées et réparé leurs armes. Nous avons sillonné les villes nouvelles des États-Unis, réparé les horloges et les machines, les batteries de cuisine, bâti des murs en pierre en échange d’un penny les trente centimètres et de tout le cidre qu’on pouvait avaler.
Nous avons suivi les vagues d’émigration vers l’ouest à bord de nos chariots, munis de nos outils et de nos savoir-faire, aiguisé des couteaux, réparé tout ce qui pouvait l’être, aidé à défricher la terre, à construire des cabanes, à labourer les champs et à rentrer les récoltes en échange d’un repas et d’un peu d’argent de poche, avant de repartir vers le prochain boulot. Nos ancêtres sont les romanichels. Nous avons troqué leurs roulottes contre de confortables autocars et autres camping-cars semi-remorques. À la retraite pour la plupart, nous avons complété notre éventail de compétences d’une carrière dans l’entreprise. Nous pouvons vous aider à gérer un business, assurer la vente en magasin ou la logistique dans l’arrière-boutique, conduire vos camions et vos grues, sélectionner et emballer vos produits à expédier, réparer vos machines, bichonner vos ordinateurs et vos réseaux informatiques, optimiser votre récolte, remodeler vos jardins ou récurer vos toilettes. Nous sommes les technoromanichels.

Bismark inventeur de la retraite

Les Américains l’ignorèrent largement, et il s’écoula plus d’un siècle avant qu’Otto von Bismarck instaure en
Allemagne la toute première assurance vieillesse au monde. Adopté en 1889, le plan de Bismarck récompensait les travailleurs atteignant leur soixante-dixième anniversaire par le versement d’une pension. L’idée était surtout de contrer l’agitation marxiste – et de le faire à peu de frais, puisque les Allemands vivaient rarement au-delà de cet âge canonique. Bismarck, bâtisseur d’empire et homme de droite surnommé le Chancelier de fer, se retrouva aussitôt dans le collimateur des conservateurs qui l’accusèrent de mollesse. Mais il repoussait déjà leurs critiques depuis des années.
Appelez cela socialisme, ou tout autre terme qui vous plaira : pour moi, c’est la même chose », avait-il déclaré au Reichstag en 1881, lors d’un débat préliminaire sur l’assurance sociale.

Travail peu valorisant

Dans le chariot, il pouvait y avoir quatorze paniers de cochonneries fabriquées en Chine. L’un des trucs qui me déprimaient le plus, c’était de savoir que tous ces machins finiraient à la benne. » Cet aspect-là des choses la démoralisait particulièrement. « Quand on pense à toutes les ressources mobilisées pour en arriver là ! On nous incite à utiliser ces trucs, puis à les jeter. » Le travail était éreintant. Non seulement elle parcourait des kilomètres dans des allées de rayonnages sans fin, mais elle devait se pencher, soulever, s’accroupir, tendre le bras, grimper et descendre des marches, le tout en traversant un hangar dont la superficie faisait grosso modo la taille de treize stades de football.

L’alcool

Linda décida d’arrêter de boire avec une détermination nouvelle. Et cette fois, elle y parvint. Lorsqu’elle avait peur de replonger, entre deux réunions, elle appelait sa marraine des Alcooliques anonymes. Étrangement, c’est là qu’elle apprit les techniques qui lui permettraient plus tard de survivre aux cadences infernales d’Amazon. Elle devint experte dans l’art de se concentrer sur les difficultés immédiates et de subdiviser les gros problèmes en petites bouchées plus faciles à digérer jusqu’à ce que la situation paraisse sous contrôle. « Tu as fait la vaisselle ? OK. Va d’abord faire la vaisselle, et rappelle-moi après », lui ordonnait sa marraine. Linda allait récurer les verres et les assiettes jusqu’à ce qu’ils soient propres, puis elle rappelait. « Tu as fait ton lit ? » lui demandait alors son amie. Linda s’exécutait. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’envie de boire passe. * * *

Trucs bizarres chez Amazon

Elle notait dans sa liste de souhaits Amazon « tous les trucs les plus dingues qu’on voyait passer » : des vers de cire, un ourson en gélatine de deux kilos et demi, un fusil de plongée sous-marine, un livre intitulé Vénus aux biceps. Une histoire illustrée des femmes musclées, un plug anal en forme de queue de renard, un stock d’anciennes pièces de monnaie américaines, un assortiment de sous-vêtements en coton avec quatre trous pour les jambes baptisé « petites culottes pour deux », et un godemiché Batman.

Personnage haut en couleur

Le propriétaire, Paul Winer, un nudiste septuagénaire au cuir tanné comme un vieux livre, arpente les allées de sa librairie vêtu en tout et pour tout d’un cache-sexe en laine tricotée. Par temps froid, il enfile quand même un pull. Si Paul a pu garder sa librairie, c’est parce que, techniquement, c’est un commerce temporaire et qu’il a donc droit à des réductions d’impôt. La boutique n’a pas vraiment de murs, c’est juste une pergola dressée audessus d’une dalle en béton. Des bâches relient les deux. Des containers et un mobile home font office d’annexes. 

Il y a aussi un rayon de livres chrétiens, mais il est installé tout au fond et Paul doit le montrer aux clients qui le cherchent. « Ils suivent mes fesses nues pour aller voir la Bible », s’amuse-t-il.

 

Humour les musées américains

Le lieu fut ensuite reconverti en un relais de diligences, Tyson’s Wells, dont les ruines abritent aujourd’hui un tout petit musée situé à côté de la pizzeria Silly Al’s. (La ville comprend deux autres musées : l’un expose une collection de chewing-gums du monde entier, et l’autre des accessoires militaires. Mais ils semblent moins attirer les foules que leur minuscule rival.) En 1875, l’écrivaine Martha Summerhayes passa une nuit à Tyson’s Wells et décrivit l’endroit comme « particulièrement mélancolique et inhospitalier. Tout y refoule la saleté, tant sur le plan moral que physique ». Quand le relais finit par être abandonné, le site devint une ville fantôme. En 1897, il fut ressuscité par un boom minier ; le bureau de poste rouvrit, et la municipalité choisit un nouveau nom : Quartzsite. (À l’origine, ce devait être « Quartzite », en hommage au minéral, mais le « s » s’invita par erreur et resta définitivement.) L’unique figure historique de la ville est un chamelier syrien, Hadji Ali, enterré
sur place en 1902 et plus connu sous le surnom « Hi Jolly », version américanisée de son nom. Ali avait été recruté en 1856 au sein du tout nouveau corps de chameliers de l’US Army : l’expérience, de courte durée, visait à utiliser ces animaux notoirement irascibles pour transporter du matériel vers le sud-est des États-Unis.

 

Honte

Mike m’explique que les personnes âgées et en situation de précarité affluent à Quartzsite parce que c’est une « ville idéale pour les retraités peu fortunés » et « un endroit pas cher où se planquer ». Mais se planquer de quoi, au juste ?
Réponse : de la honte, de pauvreté et du froid. « Dans le désert, dit-il, ils n’ont pas peur de crever de froid. Ils disent à leurs enfants que tout va bien. »

Optimisme américain

Comme l’a souligné Rebecca Solnit dans son ouvrage Un paradis construit en enfer. Ces formidables
communautés qui naissent au milieu du désastre, les gens ne se contentent pas de relever la tête dans les
moments de crise ; ils le font avec une « joie vive et surprenante ». Il est possible de traverser des épreuves tout en ressentant de la joie dans les moments de partage, comme quand on se retrouve autour d’un feu de camp avec ses compagnons d’infortune sous un immense ciel étoilé.

Pourquoi si peu d’afro-américains ?

 À ce stade, j’avais rencontré des centaines de personnes qui avaient adopté ce mode de vie :
travailleurs itinérants, vagabonds de l’asphalte et camping-caristes, de la côte Est à la côte Ouest du pays. Certes, il y avait parmi eux des gens de couleur, mais ils représentaient une exception au sein de cette communauté.
Pourquoi la sous-culture nomade était-elle majoritairement blanche ? Certains de ses membres se sont posé la même question. Sur la page Facebook officielle du programme CamperForce, un camping-cariste noir a eu ces mots devant la succession de photos montrant surtout des ouvriers blancs : « Je suis sûr que des Afro-Américains ont postulé à ces emplois, faisait-il observer. Pourtant, je n’en vois au postées par Amazon. »

Imaginez-vous coincé en pleine forêt sans électricité, sans eau courante ou sans voiture : vous aurez tendance à décrire cette situation comme un « cauchemar » ou le « pire scénario possible après un crash aérien ou une catastrophe dans le genre ». Les Blancs, eux, appellent ça « camper ».

 

Le trafic de drogue

Au fil de ses lectures, Linda a tout appris sur le plus célèbre coup de filet antidrogue du coin, dans les années 1990, quand des policiers ont découvert l’existence d’une galerie de neuf kilomètres de long sous la frontière. Utilisé par le cartel de Sinaloa pour la contrebande de cocaïne, le large tunnel, renforcé par des parois en ciment, reposait à une dizaine de mètres au-dessous du sol, avait pour point de départ une maison anodine d’Agua Prieta ; son entrée était savamment cachée. En ouvrant un robinet, on actionnait un monte-charge hydraulique qui faisait remonter une table de billard – et la dalle du sol sur laquelle elle reposait – pour révéler un trou équipé d’une échelle. À l’intérieur, le tunnel mesurait un mètre cinquante de haut ; il était climatisé, éclairé et protégé des risques d’inondation grâce à une pompe et un puisard. Des rails métalliques permettaient de déplacer un chariot jusqu’à Douglas, sous un grand hangar camouflé en station de lavage pour camions. Là, une poulie faisait remonter les cargaisons de cocaïne à la surface, où elles étaient réceptionnées par des manutentionnaires
pour être chargées dans des semi-remorques. Stupéfaits, les policiers avaient comparé le tunnel, surnommé « Chemin de la cocaïne », à un truc « digne d’un film de James Bond ». Le pilier du cartel de Sinaloa, El Chapo, Joaquin Guzman de son vrai nom, était carrément allé plus loin dans le superlatif en affirmant que son équipe avait construit un « putain de tunnel super-cool ».

Tout ce qu’a lu Linda concernant le trafic de drogue local est vrai. Les mules peuvent gagner davantage en une nuit qu’un ouvrier de maquiladora en un mois. Il n’est donc guère étonnant que la police des frontières de Douglas retrouve souvent des paquets de marijuana dissimulés dans les jantes et les pneus de rechange des véhicules en provenance du Mexique. (On y trouve aussi de la meth, de l’héroïne ou de la cocaïne, mais plus rarement.) Lors d’un récent coup de filet, ils ont surpris un jeune de seize ans en train de descendre eb rappel le long de la clôture à l’aide d’une ceinture de sécurité ….Pour ce travail on lui avait promis 400 dolars. Chez lui, il fabriquait des courroies de distribution dans une « maquiladora » pour 42 dolars la semaine.