Les éditions noirs et blancs, août 2024, 164 pages.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Traduit du croate et annoté par Marko Despot

 

Un roman totalement déjanté, très drôle et plus sérieux qu’il n’y parait. En 25 chapitres tous annoncés par un court résumé souvent plein d’humour, l’auteur nous emmène en Croatie sur une plage réservée aux nudistes homosexuels où s’échoue un réfugié Syrien. Le chef de la police Krste (je vous laisse prononcer ce nom !) a transformé la prison locale en chambre d’hôtes à la grande surprise de Selim, le réfugié syrien, qui connaît bien les différentes sortes de police et qui n’avait jamais eu des draps propres et un lit confortable dans les différents poste de police où il a déjà séjourné. La petite île attend le dimanche où on va célébrer Sainte Marguerite, dont l’action principale est de permettre aux couples d’avoir des enfants. Je voudrais garder en mémoire toute la galerie des personnages mais vraiment mon préféré c’est le chef de la police qui cherche avant tout à se faire beaucoup d’argent, je n’oublierai pas l’âne qui braie de toutes ses forces à chaque fois qu’un couple fait l’amour L’épisode des cevapcici ou des kebabs est vraiment très drôle et j’adore le résumé de l’épilogue :

Épilogue

Après lequel vous ne vous souviendrez plus pourquoi vous avez lu ce livre idiot au lieu de regarder l’épisode ultime et exaltant de la dix-septième saison de Big Brother

Et bien pour vous distraire et vous rendre la vie légère quelles soient vos difficultés lisez donc ce roman et comme moi vous sourirez . Tout se termine bien, pour les couples amoureux, pour ceux qui veulent des enfants, pour le réfugié Syrien et pour le chef de la police aussi : bref, la vrai vie quoi !

Extraits

Début.

Chapitre un

« Dans lequel un tel parvient à réchapper d’une mer démontée, au moment où le lecteur s’attend à ce qu’il se noué et que cette histoire s’achève avant même de commencer. « 
Ils roulaient les uns sur les autres dans l’obscurité, à l’arrière de la camionnette qui bringuebalait sur des routes cahoteuses. Quand un passager poussait un cri de douleur, le chauffeur l’injuriait depuis sa cabine en lui ordonnant de se taire. Ce devait être un agriculteur : ça sentait les légumes pourris à l’intérieur du véhicule. 

Humour .

Rada lui désigna la peinture de la sainte patronne au-dessus de l’hôtel latéral, qui serait portée en procession dimanche matin à travers la ville. La scène était mal exécutée, mais très expressive : une femme pleine d’assurance, pâle et menue, presque une fillette, piétinait un grand dragon noir aux dents acérées et aux yeux de braise. Nulle fédération de boxe ne les aurait fait combattre dans la même catégorie, personne n’aurait misé sur la victoire de sainte Marguerite, mais elle avait bel et bien vaincu le monstre par le pouvoir de la foi, au grand dam des parieurs.

 

Détail bien vu le nouveau riche navigateur

Il souleva un lourd verre en cristal taillé et but une généreuse gorgée de whisky. Il avait à son poignet un de ces bracelets en corde nautique aux couleurs vives avec une manille en acier inoxydable que portent les plaisanciers et dont personne n’a jamais compris l’utilité. 

Sort des émigrants.

Il lui raconta que, depuis qu’il avait quitté un camp de réfugiés en Turquie pour tenter de rejoindre la France deux ans auparavant, il avait été régulièrement arrêté, roué de coups et reconduit à telle ou telle frontière, comme dans un jeu vidéo où le personnage ne cesse de relever de nouveaux défis pour passer au des niveaux de plus en plus difficile, à moins qu’il ne fasse une erreur et doivent revenir au précédent. Tout cela était désespérant et frustrant, mais il refusait d’abandonner, car il n’avait plus personne au pays.

 

Édition Albin Michel, 2024 les pages ne sont pas numérotées.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Une BD très originale, Luz, créateur de BD se met dans le regard d’un tableau pour raconter l’ histoire de cette œuvre mais aussi de son créateur et du monde qui l’a entourée : pari aussi étonnant que réussi. Bien sûr, vous comme moi, nous avons lu tant de livres sur la montée du Nazisme, la spoliation des Juifs, et sur les prétentions artistiques des Nazis. Certainement vous savez aussi que les nazis ont organisé des expositions sur l’art dégénéré. Comment faire alors pour nous intéresser une fois encore à cette tragédie que représente le nazisme ?

Le fait de ne prendre le point de vue que d’un seul tableau d’un peintre, Otto Mueller, « Deux filles nues », permet de rendre concret le destin des artistes et de leurs œuvres sous le nazisme. Mais le tour de force est d’imaginer que le tableau lui même raconte l’histoire. Ainsi le début des persécutions anti-juives sont aperçues par la fenêtre que le tableau aperçoit de là où il est accroché. Mais avant cela on suit sa création par l’artiste et c’est lui que dessine Luz. Otto Mueller est un artiste torturé par la maladie qu’il a contracté à la guerre 14/18 , il est inspiré par une femme qui restera proche de lui toute sa vie , Maria (dit Maschka) Meyerhofer, on le voit vendre son tableau à un collectionneur d’art Ismar Litman, puis vient le nazisme la spoliation de la collection de ce grand amateur d’art et finalement les différentes exposition pour montrer cet art « dit » dégénéré.
Détail amusant , il y avait à côté des œuvres vilipendées, une exposition des œuvres qui au contraire étaient glorifiées par les nazis, mais celles-ci avaient beaucoup moins de succès à croire que les tableaux mis à l’index étaient beaucoup plus appréciés. Le regard d’un petit garçon sur le tableau des deux filles nues, en dit plus long que tout un discours et observez bien le personnage final, lorsque le tableau retrouvera toute la place qui lui est due au musée de Cologne, il vous rappellera quelqu’un.

Une BD que j’apprécie beaucoup car le dessin de Luz apporte quelque chose d’essentiel à cette histoire si tragique.

Extraits

Bd début sans dessin.

1919
– Tu peux dégrafer un peu ton corsage ? ? ?
– On pourrait nous voir, Otto !
– T’inquiète Maschka, on est en pleine forêt…

Un exemple de planches.

Le tableau redessiné par Luz.

Le tableau sur Wikipédia


Éditions MIKRÓS Littérature, 229 pages, mai 2024

Traduit de l’arabe (Égypte) par Marie Charton.

 

Sagesse d’une de ses tantes :

Les hommes, tu vois, c’est comme les tambours : ils sont vides de l’intérieur et il faut les frapper pour en tirer un son.

Quel humour ! Je vous promets quelques éclats de rire et une plongée dans la civilisation égyptienne que vous n’oublierez pas. Cette autrice tenait un blog où elle racontait ses déboires amoureux, le succès de son blog l’a amenée à en faire un livre traduit avec un grand succès en Europe et aux USA.

Elle a la plume d’une femme jeune et lucide qui ose se moquer de tous les travers de son pays. Une si grande liberté de ton, fait vraiment plaisir à lire dans un pays profondément musulman. Tout son problème vient de ce que, comme beaucoup de femmes de son pays, elle a bien réussi ses études et gagne bien sa vie, contrairement aux prétendants qui se présentent chez elle pour se fiancer. Elle dit que le problème vient de ce que les garçons sont souvent élevés comme des petits princes à qui on n’impose rien et ont donc un niveau d’études beaucoup moins élevé que celui des femmes. La description de la condition de la femme égyptienne, même si elle est racontée sur un ton humoristique, est certainement réaliste et profondément triste.

Le défilé des prétendants est très drôle, cela va du commissaire de police, qui a déjà établi des fiches de police sur toute sa famille , et qui fait peur à tout le monde, au croyant qui arrive avec soi-disant ses deux sœurs qui en fait sont ses deux femmes, en passant le candidat « presque » parfait qui revient d’Angleterre mais qui ne dit pas qu’il s’est marié à Londres, sa mère prétend que c’est un mariage blanc mais sa femme anglaise attend un bébé ….

Mais ce défilé ne raconte pas grand chose du talent avec lequel écrit cette autrice . J’espère vous en faire profiter à travers ces extraits :

 

Extraits

Début.

Allez-y, dites « Bismillah » et suivez moi pas à pas. Mais d’abord, mettons-nous d’accord sur le fait que parler du mariage, des « prétendants  » ou du recul de l’âge du mariage est très délicat en Égypte. Vous aurez beaucoup de mal à trouver quelqu’un qui s’exprime librement sur la question. Et surtout parmi les filles qui ne sont pas mariées. Parce que, pour les gens, une fille qui en parle est soit mal éduquée et vulgaire, soit pressée de se marier. Ou alors, trop âgée pour trouver quelqu’un qui veuille l’épouser. 

La féminité .

Dites-moi : on est censé la trouver où, cette « féminité » dont ils parlent ? Ma mère, elle est toute la journée dans sa cuisine. Notre voisine, tante Souheir, passe son temps à laver et à étendre du linge. Quant à tante Amal, elle est occupée jour et nuit à hurler sur tante Souheir à cause du linge qui goutte sur son balcon – et aussi sur son fils parce qu’il joue dans la rue au lieu de faire ses devoirs de math.

Journée de la femme Égyptienne.

Elle se lève le matin, prépare le petit-déjeuner, habille les enfants, les fait manger puis fait manger son mari. Elle part ensuite courir les rues : amener à l’école les enfants qui sont en âge, puis ceux qui sont trop petits chez leur grand-mère. Ensuite elle court au travail, arrive en retard et se prend une pénalité. Ensuite elle sort du boulot, va chercher la moitié des enfants à l’école et l’autre moitié chez sa mère, fait un crochet par le marché pour acheter les légumes, rentre à la maison en traînant derrière elle les enfants- quand ce n’est pas le contraire. Ensuite elle change les enfants, commence à cuisiner puis, une fois le repas prêt, elle doit le servir ; après avoir servi, elle doit faire la vaisselle puis préparer le thé et regarde s’il y a du linge à laver ou un endroit à nettoyer. Après avoir fini, elle s’occupe des enfants : elle en fait réviser un, gronde le deuxième parce qu’il a frappé sa sœur, hurle sur le troisième qui laisse traîner ses cahier et s’entête à vouloir dessiner sur le mur. Après ce marathon quotidien, le « bey » , dont les seules responsabilités dans la vie sont d’aller au travail, d’en revenir, de manger et de boire, rentre du café, regarde sa femme qui a trimé toute ka journée et lui balance :
 » C’est une dégaine avec laquelle accueillir son mari franchement ? Tu peux pas être plus souriante et t’habiller mieux que ça ? T’as rien à faire de la journée… »
Après ça, il s’étonne que sa femme lui ouvre le crâne à coups de pilon !

Est ce vrai qu’en Égypte ?

Il existe un autre principe : »pourquoi travailler plus quand on peut travailler moins ? » qui est très répandu chez les fonctionnaires et chez les joueurs de Zamalek .

Édition Gaïa

Tome 5 Les pionniers du lac Ki-Chi-Saga

 

Les voici donc la famille de Karl Oskar et Kristina de mieux en mieux installée et d’autres Suédois les rejoignent , mais avec eux l’intolérance religieuse pointe son nez. Kristina reste proche d’Ulrika qui est mariée à un pasteur baptiste, les luthériens l’auraient bien vouée aux gémonies s’ils avaient eu le moindre pouvoir. Kristina aimerait ne plus avoir d’enfant mais elle est de nouveau enceinte et la marraine de la petite fille sera justement Ulrika : comme il est loin le passé de prostituée de la digne femme du pasteur si fière d’avoir une petite filleule qui porte son prénom ! Robert ne donne plus de nouvelles, la famille pense qu’il est sans doute mort quelque part. Nous assistons à la création d’une petite société suédoise avec la construction d’une école et le projet d’une église. Et … toujours plus de terrains qui deviennent des terres privées aux dépens des pauvres Indiens bien incapables de se défendre contre l’exploitation forestière et les terrains que les émigrants privatisent . Le tome se termine par une terrible tempête de neige qui a failli couter la vie au fils aîné de Karl , la puissance de l’évocation du danger est vraiment extraordinaire . C’est tout le talent de cet écrivain.

Extraits

Début tome 5

 Un grand arbre fut déraciné par la tempête et vint s’abattre en travers d’un sentier longeant la berge du lac Ki-Chi-Saga, en pays Chippewyan. Il resta à l’endroit où il était tombé, obligeant ceux qui passaient par là à faire un détour. Il ne vint à l’idée de personne de le couper en morceaux et de l’enlever. Peu à peu apparut un nouveau sentier contournant l’obstacle. Au lieu de déplacer celui-ci les indiens déplacèrent le chemin.(…)
 Un jour un homme à la peau d’une autre couleur arriva le long de ce sentier. Il portait une hache sous le bras et foulait lourdement le sol de ses bottes fabriquées dans une autre partie du monde. En quelques coups de hache, il trancha ce tronc en voie de pourriture en deux endroits et écarta l’obstacle : le chemin avait retrouvé son tracé de jadis plus droit et plus court. Et cet homme qui ne voulait pas perdre son temps à faire un détour inutile s’étonna : pourquoi ce tronc était-il resté là longtemps, à barrer le chemin, au point de commencer à pourrir ?

La pudeur et la sexualité.

Anders Mânsson se mit à rire, mais Karl Oskar se contenta d’esquisser un sourire. Il commençait à se lasser un peu de ces éternelles histoires de femmes et de coucheries qu’il entendait Jonas Petter raconter depuis le départ. On pouvait comprendre que de jeunes puceaux connaissant les mots mais pas les actes correspondants s’en délectent mais entre hommes adultes, il y avait des sujets de conversation plus importants. Lui aussi avait de puissants besoin corporels et il souffrait des périodes de grossesses et des couches de sa femme, qui empêchaient tout rapport ; mais, le reste du temps, il était satisfait du plaisir qu’il prenait avec elle. Quoi qu’il en soit ce genre de choses faisait partie de ce qui se passait là nuit et en silence et il trouvait que c’était le souiller et le rendre tristement banal que d’en parler en plein jour, de façon aussi ouverte et crue. 

Toujours les pratiques religieuses.

 Aucun prêtre n’aurait célébré les relevailles d’une femme portant un enfant. Or elle était grosse sans avoir été purifiée et bénie, après son dernier accouchement. Voilà à quel point elle avait été négligente en matière de religion ! Que pourrait penser Dieu d’une pareille conduite ? Pourrait-Il avoir quelque indulgence envers une femme qui, non seulement recevait la communion mais également de nouveau enceinte sans avoir été purifiée de ses précédentes couches ?

La tempête de neige.

 Mais le vacarme se faisait de plus en plus fort, au-dessus de leurs têtes. La tempête approchait à grands pas, elle aussi. La cime des arbres était de plus en plus courbée et les troncs commençaient à s’agiter. Les vagues invisibles du vent balayaient maintenant la forêt, se brisant avec fracas sur la vallée. La tempête avançait de centaines de milles pendant qu’ils en couvraient couvraient un quart. Elle se jetait sur eux avec une violence et une brusquerie incompréhensibles et les touchait déjà de sa pointe : les premiers flocons de neige aveuglaient Karl Oscar s’abattant sur l’attelage tel un vol de faucon.
Ce fut l’affaire de quelques minutes. Cela débuta par quelques grains durs comme des cailloux qui vinrent le frapper au visage, puis la tempête se déchaîne. La neige se mit à tomber en abondance, poussée par un vent violent. En l’espace de quelques instants le monde, autour d’eux, ne fut plus qu’une masse blanche, tourbillonnant et indistincte : de la neige, de la neige et encore de la neige. Poussee6par le vent du nord-est qui balayait la vallée de son souffle impitoyable, elle s’amassait sur le sol en tas de plus en plus haut.

Tome 6 L’or et l’eau .

Ce tome est consacré à Robert qui revient avec des milliers de dollars pour son frère. Peu à peu on apprendra ce qui lui est arrivé ainsi qu’à son ami Arvid . Il revient malade mais heureux de pouvoir apporter la richesse à sa famille. Ce tome est l’occasion de décrire toujours avec la même minutie la ruée vers l’or avec tous ses dangers . Robert est un aventurier mais c’est aussi un jeune homme naïf qui parle mal l’anglais , avec Arvid, ils rencontrent un muletier qui les aide à avancer dans cette route si dangereuse. Mais hélas , un matin Robert et Arvid se rendent compte que deux mulets ne sont plus là. Ils partent à leur recherche et vont se perdre dans un désert sans pitié. C’est là qu’ils se rendra compte que le seul bien réel pour l’homme c’est l’eau. La souffrance des deux amis est très bien décrite, l’auteur a un réel talent pour décrire les situations extrêmes et la mort d’Arvid qui n’a pas pu se retenir de boire de l’eau empoisonnée est d’un réalisme incroyable. Robert sera sauvé in extrémis par le muletier mais il sera définitivement marqué par la mort de son ami et son combat contre l’absence d’eau. Le muletier lui n’a peur de rien si ce n’est que « Yellow Jack » . Robert ne comprend pas ce que représente ces mots mais hélas le muletier mourra de la fièvre jaune, la terrible maladie qui se cache derrière ces mots. Cet homme lèguera à Robert toute sa fortune car celui-ci le soignera jusqu’à son dernier souffle. Le voilà donc riche mais sans aucune envie de vivre, il finira par rencontrer le Suédois qui lui avait donné envie de partir à la recherche de l’or californien , celui-ci lui proposera de venir dans son hôtel . Je ne vais pas plus loin dans le récit car il y a un retournement de situation si douloureux pour tout le monde.

Extraits

Fin de l’introduction .

Seul un rêve pouvait rassembler une telle foule, seul un rêve pouvait la pousser vers l’avant pendant deux mille miles, à travers les régions les plus sauvages et les plus désertiques de la planète. 
Pour indiquer le chemin à ces milliers de gens se déplaçait jour et nuit devant eux un mirage doré, une colonne de feu : « L’OR ! C’était leur but commun, leur quête à tous :  » L’or ! Le pays de l’Or ».

Le monde change.

On entendait parler de tant d’escroqueries et de poudre aux yeux, en Amérique. Ces derniers temps, le Territoire avait vu arriver une foule de paresseux refusant de cultiver la terre et se contentant d’en faire commerce. Ils voulaient être riches sans travailler, tout comme Robert. C’étaient des parasites qui tentaient de vivre aux dépens des pionniers travailleur, de même que les poux suçaient le sang des êtres humains. Il était toujours fâché d’entendre parler de ces paresseux de marchand de terre, installés çà et là, dont on ne pouvait se débarrasser. Le Territoire n’était pas encore organisé de façon satisfaisante : le pays était trop grand, les cultivateurs trop peux nombreux, les paresseux et les filous en trop grande quantité, au contraire.

L’histoire du Grand Hôtel de grand City.

La salle à manger sentait le renfermé et le moisi et il ne put s’empêcher de dire à son ami qu’il avait un peu le sentiment de se trouver dans une cave.
– C’est exact. Le Grand Hôtel était une cave à pomme de terre, originellement, répondit fièrement Fred.
Il poursuivit en racontant l’étrange et noble histoire de l’établissement : la maison était un monument historique, car c’était le plus ancien édifice encore en existence dans la ville. Elle datait déjà de quatre ans. Il avait d’ailleurs l’intention de mettre un écriteau pour le proclamer à la face du monde.

La monnaie dans un trop vaste pays encore en construction.

L’Indiana State Bank de Bloomfield, qui avait émis ces billets, avait disparu depuis plusieurs années déjà. C’était sans doute la raison pour laquelle elle ne figurait pas sur la liste des établissements malhonnêtes publiées dans le journal : elle n’existait plus. On ne trouvait plus les billets qu’elle avait mis en circulation dans cette partie de l’Amérique, uniquement dans les régions de l’ouest les plus éloignées, avait dit le directeur, avant d’ajouter que seuls des immigrants suédois et autres étrangers pouvaient se laisser abuser de la sorte.

 


Édition Iian Levi, 234 pages, Aout 2024

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Le droit consiste surtout à savoir vendre son client.

Voilà un auteur qui ne me déçois jamais, vous trouverez sur mon blog « une canaille et demie » et « un voisin trop discret » , encore une fois je vais souligner les qualité de concision de cet auteur. On est si loin des 500 pages minimum des pavés nord-américains. Et pourtant, avec ces 234 pages, Iian Levison en dit beaucoup sur la justice américaine. On comprend bien que, si la justice française n’est pas parfaite, celle de ce pays où les juges et les procureurs sont élus entraînent des dérives dangereuses, que ce grand pays aux 52 états avec des lois différentes font que ce qui est punissable de prison dans l’un est accepté dans l’autre, on voit aussi combien le rôle d’un bon avocat -forcément très cher- peut changer complétement le sort d’un prévenu, et par dessus toutes ces difficultés combien les cadres du pays peuvent être corrompus par l’argent de la drogue. Oui, cet auteur sait nous faire comprendre tout cela et en plus, il ne manque vraiment pas d’humour. Bref je me suis régalée et comme en ce moment je lis la Saga de l’arrivée des paysans suédois aux États-Unis, j’ai pensé que ces gens qui avaient été amenés à quitter leur pays pour travailler dans un esprit de justice et de liberté, seraient bien étonnés de voir le pays qu’ils ont contribué à construire.

Il faut le dire tout de suite, l’intrigue est assez faible, on sait tout de suite que les rendez-vous au Night-club pour donner des conseils juridiques à des stripteaseuses, cachent une arnaque que nous comprenons avant ou en même temps que Justin Skyses, avocat commis d’office dont le rôle consiste essentiellement à négocier des peines pour éviter le procès à ses clients. Les ficelles de l’intrigue ont gêné certains lecteurs, mais, comme je suis peu sensible au suspens, l’histoire elle-même est anecdotique, en revanche ce qui m’a beaucoup plu, c’est la description du système judiciaire américain. Et quand on voit comment leur président actuel a réussi à contourner toutes les condamnations auxquelles sa conduite aurait dû normalement l’amener, on peut en conclure que Ian Levison ne force pas beaucoup le trait.

 

Extraits

Début (j’ai ri)

« C’est un garçon tellement gentil. Tellement doux. Il a toujours été facile. » Par-dessus mon bureau en désordre, Mme Novak me regarde avec ses grands yeux tristes. Son fils vient d’être arrêté, pour la troisième fois, après s’être exhibé dans le bus devant des lycéennes. En l’occurrence, il n’y a pas moyen d’élaborer une défense à proprement parler. Eric apparait sur la vidéo surveillance du bus, et il y a sept témoins dont deux officiers de police. Il nous faut donc plaider coupable et supplier le juge de se montrer clément. Nous présenterons les circonstances atténuantes demain.

Système judiciaire américain.

 Chaque état a pu bénéficier de son propre système judiciaire, donnant ainsi naissance aux États-Unis d’Amérique. Désormais nous avons cinquante systèmes judiciaires, sans parler de celui du gouvernement fédéral. 
Ce qui signifie qu’aujourd’hui, si vous voulez fumer de l’herbe au bord de la Delaware River côté New Jersey grand bien vous fasse, le cannabis étant légal là-bas . Mais la Pensylvanie, de l’autre côté du fleuve possède les lois les plus restrictives du pays en matière de drogue . La notion de délit est donc géographique. Ce ne sont pas vos actes qui caractérisent le crime, mais l’endroit où vous vous vous trouvez. La morale, et toute l’idée de bien et de mal, disparaissent de l’équation.

Perversité du métier d’avocat aux US.

Aujourd’hui j’apprends qu’en Californie les abeilles sont légalement des poissons. Les instances de l’État ont légiféré en ce sens pour permettre d’allouer une partie du budget prévu pour la pêche à l’étude sur la diminution de la population de ces insectes hyménoptères. Très malin, et j’approuve cette façon créative de résoudre un problème, mais en tant qu’avocat j’imagine sans peine qu’une compagnie d’assurances ne tardera pas à refuser les frais d’hôpitaux d’une personne piquée par une abeille sous prétexte que la couverture en question ne prend pas en charge les blessures causées par des poissons. Et l’avocat qui aura enterré cette exception des poissons dans le verbiage contractuel des polices d’assurance sera promu, ce qui montre bien qu’en se tenant suffisamment au courant pour savoir par exemple que « les abeilles sont désormais des poissons » que l’on gravit les échelons dans ce métier. 

Paradoxe.

Je ne dis pas que le système est raciste, mais qu’il vaut mieux être riche et noir que pauvre et blanc. Le système aime plus l’argent qu’il ne hait les Noirs, ce qui est certainement ce que je peux dire de mieux à ce sujet. 

 

 

Édition Gaïa, 1999, traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Tome 3 « Le nouveau monde » 246 pages

 

Enfin nos paysans arrivent à New York dans le tome trois. Et là, contrairement à ce que pensait le pasteur, l’Esprit Saint n’est pas tombé sur le tête des gens même très pieux, et ils se trouvent confrontés à la langue anglaise. New York est déjà une ville très importante et qui affole, les voyageurs : trop grande, trop de bruit, trop de monde. Le seul qui osera un peu s’aventurer c’est Robert avec son acolyte Arvid. Mais cette grande ville est dangereuse, le petit groupe sera très content de repartir toujours en bateau mais sur le fleuve Mississipi , pour se rapprocher du Minnesota. Karl Oskar voit ses économies fondre mais il est heureux aussi de voir toute sa famille bien vivante autour de lui. Ils découvrent le progrès technique, en particulier le chemin de fer qui les effraie. La difficulté de la langue entraînera Karl Oskar dans une aventure qui a bien failli mal tourner.

Extraits

Début du tome 3

Sur l’île oblongue de Manhattan avait été édifiée la plus grande cité de l’Amérique du Nord, déjà forte d’un demi-million d’habitants. Elle s’étendait comme un énorme hippopotame reposant paisiblement dans son élément, partageant en deux bras le cours de l’Hudson. La tête de l’animal état tourné vers l’Atlantique et, derrière son énorme mufle, se trouvait l’East River et ses pontons, auxquels accostaient les navires transportant les émigrants venus de l’Ancien Monde.
 C’est là que le 23 juin 1850 se présenta le brick « la charlotta », capitaine Lorentz, port d’attache Karlshamm, et ses soixante-dix passagers venus de Suède presque tous des paysans accompagnés de leur famille.

Chemin de fer et religion

 Pour sa part il s’était demandé si c’était vraiment la volonté de Dieu que Ses enfants et recours à la vapeur comme bête de trait. Si cette énergie avait été bonne et utile le Seigneur ne l’aurait certainement pas cachée aux hommes pendant si longtemps, depuis la Création de la terre, c’est-à-dire près de six mille ans. On pouvait penser que la vapeur était une invention des puissances du mal, là-haut dans les espaces célestes Mais jusque-là, le Seigneur leur était venu en aide, au cours de ce périple, et ils devaient également s’en remettre à lui dans cette voiture à vapeur.
 Kristina se souvenait que, lorsqu’il était venu les catéchiser à domicile le pasteur Brusander avait dit que les chemins de fer étaient une pernicieuse invention qui éloignait l’âme de son Créateur et n’attirait que malheur et misère sur pauvre et riche ainsi que tout ce qui était mécanique. La vapeur affaiblissait les âmes aussi bien que les corps et encourageaient la paresse, la luxure et la dépravation. Le pasteur avait alors exprimé le vœu que jamais la Suède ne connaisse cette malédiction, que jamais on ne voit de voiture à vapeur sur la terre de son pays.

Ne pas comprendre la langue

Karl Oskar souffrait de ne pas connaître un traître mot de cette langue étrangère et de ne rien comprendre de ce qui était marqué. Il avait l’impression de se retrouver lors de ce jour, à la communauté ou Rinaldo le maître de l’école, lui avait mis pour la première fois un ABC sous les yeux. Il avait maintenant vingt-sept ans et était père de trois enfants mais, ici, il était à nouveau un petit garçon commençant à apprendre. Il fallait épeler les mots, les reconstituer et essayer de les reconnaître. Et encore, ce n’était pas le pire : le plus grave c’était qu’il ne comprenait rien de ce qu’on disait autour de lui. Il était vexé d’entendre les gens parler et de ne rien pouvoir saisir de leurs propos, même s’il s’agissait de lui : c’était vexant et désagréable qu’on parle de vous en votre présence sans se soucier de vous. En Amérique, on pouvait se trouver face à face avec quelqu’un qui médisait de vous où vous calomniait, sans qu’on puisse rien y faire, sinon rester là comme un imbécile, à ouvrir de grands yeux et avoir l’air d’un empoté.

.Tome 4 « Dans les forêts du Minnesota » 378 pages

 

Ce tome est plus long et peut être un peu trop long ?

On voit Karl Oskar choisir avec attention l’endroit où il veut installer sa famille. Il cherche un endroit qui ressemble quelque peu à la Suède ; un lac, de la forêt et une terre facilement cultivable. On voit aussi dans ce tome que des Indiens habitent aussi ces régions mais ce sont deux populations qui s’ignorent complètement. Lorsque Karl Oskar a trouvé où il veut faire souche commence alors son installation.
Ce tome est intéressant pour se rendre compte combien il était facile aux émigrants de s’octroyer des terres. Ils marquent un arbre d’une lettre et deviennent propriétaire du terrain qui l’entoure, il sont d’abord squatters puis vont s’enregistrer au bout d’un ou de deux ans, ils seront propriétaires de tout le terrain qu’ils auront défriché.

Le premier hiver est terrible pour Kristina qui vit dans une simple cabane mal protégée du froid. Elle y accouche d’un garçon grâce à l’aide d’Ulrika qui est devenue sa plus chère amie.

L’été suivant Karl construit une cabane en rondins et on sent que, peu à peu, ils vont prendre en main leur destinée. Mais le jeune frère Robert les quittera pour aller chercher de l’or en Californie. Ulrika se mariera avec le pasteur baptiste, Jackson, qui les avait si généreusement accueillis lors de leur descente du bateau à Stillwater sur les rives du Mississippi.

 

 

Début tome 4 dans la forêt du Minnesota

 L’endroit sentait la forêt et les restes de son exploitation : le pin scié de frais, la résine, les copeaux et le bois séché. Le long de la rivière courait une artère assez large couverte d’aiguilles de conifères, d’écorce, de copeaux et de sable, bref une rue typique d’une zone forestière. On y voyait également des tas de planches et de rondins et, sur l’eau, le bois de flottaison formait une sorte de plancher légèrement ondulé. Tout – l’eau aussi bien que la terre – sentait le pin frais et la résine, et les immigrants n’avaient pas besoin d’avoir recours à leurs yeux pour savoir où ils étaient.

Karl Oscar trouve son endroit.

Tandis que le crépuscule tombait Karl Oskar observa cet endroit : au nord le mur de la forêt le protégeait des vents les plus froids au sud s’étendait le grand lac, à l’ouest le beau bouquet de pins, à l’est la pointe avec ses grands chênes. Lui-même se tenait au centre d’un espace plat et découvert sur lequel l’herbe lui montait jusqu’aux genoux : des centaines de charrettes de foin poussaient autour de lui dissimulant la terre nourricière, et il avait devant les yeux la plus belle, la plus verte, la plus fertile et la plus riche qu’il air jamais vies en Amérique du Nord.

Le sentiment de liberté

 Quelles que fussent les difficultés qu’il rencontrait ici, il se sentait beaucoup plus libre que dans son pays natal. Ici, personne ne prétendait lui dicter sa conduite, il n’avait aucun maître ou seigneur devant lequel s’incliner, personne n’exigeait qu’il file droit et obéisse humblement, personne ne se mêlait de ses affaires, personne ne se répendait en lamentations s’il n’obtempérait pas. Il n’avait pas rencontré une seule personne à qui il ait eu à faire des courbettes. Il pouvait être son propre pasteur et son propre régisseur si cela lui chantait.

Deux populations si différentes .

Karl Oskar leur reprochait leur paresse et les qualifiait d’incapables. Kristina avait pitié d’eux à cause de leur maigreur et les trouvait fort à plaindre, dans leurs misérables tentes. Mais tous deux étaient heureux de ne pas être de leur race . Quant à ce que ces êtres à la peau cuivrée pensaient de leurs voisins blancs, nul ne le savait, car personne ne comprenait rien aux grognements qui leur servaient de langue. Pourtant, Robert les soupçonnait de considérer ces visages pâles comme des imbéciles parce qu’il passait leur temps à travailler. Pour sa part, commençait à se demander lequel de ces deux peuples était le plus avisé : les Blancs ou les Rouges, les chrétiens ou les païens ? Les indiens étaient paresseux, ils ne cultivaient pas la terre et ne travaillaient pas. Il avait vu la façon dont ils abattaient un arbre : ils ne le coupaient pas à la hache, ils allumaient un feu à sa base et le brûlaient à sa racine. Le chrétien suait comme un bœuf à manier son outil alors que le païen attendait simplement que le temps passe, en fumant sa pipe jusqu’à ce que le feu ait fait son œuvre et que l’arbre s’effondre dans un grand craquement sans qu’il ait besoin de frapper le moindre coup.


Édition Gaïa, 1999, traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Tome 1, Au pays, 315 pages

Tome 2, La traversée, 267 pages

C’est Sacha qui m’a donné envie de lire cette Saga , et elle était à la Médiathèque de Dinard, mais surprise elle était dans les réserves, c’est à dire en passe de disparaître. C’est incroyable la vitesse à laquelle les livres ne sont plus lus dans une médiathèque qui ne peut évidemment pas tout garder sur ses rayons . Dommage pour cette Saga qui est vraiment formidable, depuis j’ai vu que Patrice avait, aussi, recommandé cette lecture.

J’ai finalement décidé de mettre les tomes au fur et à mesure de mes lectures, les deux premiers m’ont carrément enchantée. Dans le premier, on comprend pourquoi au milieu du XIX° siècle des paysans suédois se sont exilés vers les USA . L’auteur prend son temps pour nous faire comprendre les raisons de la misère de la paysannerie suédoise. La première famille que nous suivrons est celle de Karl Oskar et de Kristina dans la ferme de Korpamoen et leur jeune frère Robert valet maltraité dans une autre ferme. Robert y rencontrera Arvid, qui deviendra son meilleur ami .
Les familles sont nombreuses et les fermes sont loin d’être extensibles, elles permettent de survivre mais il suffit d’une mauvaise récolte pour que le fragile équilibre s’effondre. Oskar est un homme déterminé mais son courage ne suffit pas à conjurer tout ce qui se ligue contre lui, alors quand son jeune frère Robert revient le dos en sang car il a été fouetté par un propriétaire pervers et brutal, vient vers lui et lui dit qu’il veut s’exiler en Amérique, Karl Oskar lui avoue qu’il en a lui même le projet. Il lui reste à convaincre sa femme qui a très peur de partir vers un lieu dont on ne sait rien ou presque. La mort pratiquement de faim de leur fille aînée sera la goutte d’eau qui décidera le couple à partir. Robert et Arvid seront de la partie.

Une autre famille partira avec eux, c’est celle d’un pasteur qui s’oppose au clergé traditionnel, car Danjel Andreasson a vu Dieu et en plus il accueille chez lui tous les réprouvés du village ? On y retrouve Arvid qui a fui son maître violent et surtout la rumeur lancée par une la mère de la fermière qui fait croire qu’il a eu des rapports sexuels avec une génisse. Cette rumeur lui rend la vie impossible et il sera si heureux de mettre l’océan entre lui et ce surnom qui le fait tant souffrir « Arvid le taureau ». Le pasteur a aussi recueilli la prostituée du village et sa fille . Ce personnage nous permet de comprendre toute la rigueur de l’église officielle mais aussi la façon dont d’autres pouvaient facilement s’imposer comme ayant vu Dieu.
Il me reste à vous présenter l’homme qui ne s’entendait plus du tout avec sa femme , un couple terrible où la haine a remplacé l’amour, l’homme partira seul. Nous sommes au début de l’exode des Suédois et tout le tome expose en détail la difficulté de se lancer dans un voyage aussi aventureux : on comprend très bien qu’en réalité la misère fait parfois qu’on n’a pas le choix, et Robert est tellement persuadé que l’Amérique est un eldorado où tout est possible ! Evidemment, on pense à tous les malheureux qui meurent dans les flots de le Méditerranée ou de la Manche , il y a des points communs dans la nécessité absolue de partir et aussi beaucoup de différences.

Le tome se termine sur les quais du de Karlshamm. Et évidemment on veut connaître la suite.

La suite, le tome 2, c’est donc la traversée et j’ai tout autant adoré. 78 Suédois s’entassent sur un vieux navire « la Charlotta » un brick mené par un capitaine taiseux mais bon marin. Le voyage était prévu pour trois ou quatre semaine mais il va durer presque trois mois. Les voyageurs connaîtront une tempête terrible et surtout des vents contraires qui ralentiront l’avancée du bateau. L’auteur décrit très bien le choc pour des hommes et des femmes qui ont passé toutes leur vie à travailler à se voir confiner dans un espace si petit et surtout ne rien faire. On sent aussi toute l’incompréhension entre les marins navigateurs et les paysans si terriens .

La famille de Karl Oskar est éprouvée car Kristina a un mal de mer terrible amplifiée parce qu’elle est enceinte, elle est persuadée qu’elle va mourir sur ce bateau. Son mari est toujours aussi déterminé mais la santé de sa femme le fera douter.

Robert a décidé d’apprendre l’anglais , et s’oppose pour cela au clan du pasteur : Danjel (l’homme qui a vu Dieu) a persuadé ses ouailles que Dieu leur permettra de parle l’anglais dès leur arrivée car le miracle de la Pentecôte se reproduira pour tous ceux qui ont la foi …

La promiscuité sur le bateau donne des tensions entre les exilés, en particulier entre Kristina et Ulrika l’ancienne prostituée. Et lorsque les gens découvriront qu’ils ont des poux tout le monde accusera « la catin » , c’est pourtant la seule qui n’en a pas ! Le récit du passé d’Ulrika est d’une tristesse incroyable et mérite si peu l’opprobre des gens dits « honnêtes » qui n’ont jamais aidé la pauvre petite orpheline qui a été violée par son patron !

Nous connaissons bien maintenant ce petit monde d’exilés et la description de ce voyage terrible a été si bien raconté, j’ai vraiment hâte de lire la suite et de voir comment ils vont réussir à s’adapter à la vie américaine, j’espère que le pire est enfin derrière eux !

 

Extraits

Début tome 1

 Voici l’histoire d’un certain nombre de gens qui ont quitté leur foyer de Ljuder, dans le Smâland, pour émigrer en Amérique du Nord.
 Ils étaient les premiers à partir. Leurs chaumière étaient petites sauf quand au nombre d’enfants. C’était des gens de la terre, héritiers d’une lignée cultivant depuis des millénaires la région qui laissait derrière eux.

Instruction.

 La plupart des habitants, tant de sexe mâle que féminin, savaient à peu près lire les caractères imprimés. Mais on rencontrait également, parmi les gens du commun, des personnes sachant écrire leur nom ; ceux dont les capacités allaient au-delà n’était pas légion. Parmi les femmes, seul un petit nombre savait écrire : nul ne pouvait imaginer à quoi cela pourrait servir pour des personnes de leur sexe.

Les malheurs des paysans.

 En juillet, sitôt la fenaison, il se mit à pleuvoir en abondance et une partie du foin fut emportée par les eaux. Une fois ce déluge terminé, le reste s’avéra entièrement pourri et inutilisable. Il sentait si mauvais que nulle bête ne voulait le consommer et, de toute façon il n’avait plus aucune valeur nutritive. Karl Oscar et Kristina durent donc vendre une de leurs vaches. Mais ce ne fut pas la fin de leur malheurs : une autre vache mit bas un veau mort-né et un de leurs moutons s’égara dans la forêt et fut la proie des bêtes sauvages. À l’automne, on constata, dans toute la région, que les pommes de terre avaient la maladie : quand on les sortait de terre près d’un tubercule sur deux étaient gâtés et pour chaque panier de fruits sains que l’on rapportait à la ferme on en avait un de pourris au point qu’on pouvait à peine les donner à manger au bétail. Au cours de l’hiver qui suivit, ils n’eurent donc pas de pommes de terre à mettre dans la marmite tous les jours.

Une idée des prix.

 Avec le lait de leur vache, Nils se Märta faisaient du beurre et le vendaient afin de rassembler l’argent nécessaire pour acheter une Bible alors fils, lors de sa communion. Celle qu’ils lui offrirent était reliée en cuir et n’avait pas coûté moins d’un rixdale et trente-deux skillings, soit le prix d’un veau nouveau-né. Mais elle était solide et on pouvait en tourner les pages. Il fallait bien qu’une Bible soit reliée pleine peau, si on voulait qu’elle vous accompagne toute votre existence.

Portrait des maîtres.

 Aron était coléreux et, quand il s’emportait, il lui arrivait d’assener à ses valets des gifles ou des coups de pied ; mais autrement c’était un brave homme assez bonnasse qui ne faisait de mal à personne. La maîtresse était plus difficile : elle battait tant son mari que les servantes, Aron avait peur d’elle et n’osait pas lui répliquer. Mais tous deux, à leur tour, redoutaient la vieille, l’ancienne fermière vivant dans une mansarde. Elle était si vieille qu’elle aurait dû être dans la tombe depuis longtemps, si le diable avait bien fait son travail. Mais sans doute avaient-ils peur d’elle, lui aussi.

Les premiers émigrants.

 Pour ces gens le pays dont il est question n’est encore qu’une rumeur, une image dans leur esprit personne sur place ne le connaît, nul ne l’a vu de ses propres yeux. Et la mère qui les sépare les effraie. Tout ce qui est lointain est dangereux, alors que le pays natal offre la sécurité de ce qui est familier. On conseille et on met en garde, on hésite et on ose, les téméraires s’opposent aux hésitants, les hommes aux femmes, les jeunes au vieux. Et ceux qui sont méfiants et prudents ont une objection toute prête : on ne sait pas « avec certitude » …
 Seuls les audacieux et entreprenants en savent assez long. Ce sont eux qui réveillent les villages endormis, c’est à cause d’eux que quelque chose se met à vibrer sous l’ordre immuable des siècles.

Je ne connaissais pas le mot marguillier ni leur fonction …

 Il demanda conseil à Per Persson, qui était celui de ses marguilliers en qui il avait le plus confiance. Il n’avait pas eu beaucoup de chance avec les autres : l’un s’introduisait dans la sacristie pendant les jours de la semaine et buvait le vin de messe au point qu’un dimanche le pasteur avait été obligé de renoncer à célébrer l’office. Un autre arrivait ivre à l’église et affichait le numéro des psaumes la tête en bas, sur le tableau prévu à cet effet . Un troisième s’était, un matin du jour sacré de Noël, rendu dans un coin de la tribune et avait uriné au vu de plusieurs femmes assises non loin de là.

Conception de la religion.

 Les gens simples faisaient mauvais usage de leurs lectures. Les autorités devaient se montrer vigilantes et sévères sur ce point : si l’on accordait au peuple un savoir nouveau – qui était en soi un bien – il fallait veiller à ce qu’il n’en mésuse pas. C’était le devoir sacré des autorité. Le peuple avait besoin de se sentir guidé par une main paternelle et le premier devoir de tout maître spirituel était d’implanté dans l’esprit de chacun l’idée que l’ordre établi l’avait été selon la volonté de Dieu et ne pouvait être modifiée sans son consentement.

Début tome 2

Le navire
 La « Charlotta » brick de cent soixante lastes, commandé par le capitaine Lorentz, appareilla de Karlshaml le 14 avril 1850 à destination de New York. Il mesurait cent vingt-quatre pieds de long sur vingt de large. Son équipage était constitué de quinze hommes : deux officiers, un maître d’équipage, un charpentier, un voilier, un cuisinier, quatre matelots, deux matelots légers et trois novices. Il était chargé de diverses marchandises parmi lesquelles des gueuses de fonte.
 Il transportait soixante-dix-huit émigrants partant pour l’Amérique du Nord et avait donc quatre-vingt-quatorze personnes à son bord.
C’était sa septième traversée en tant que transport d’émigrants

Sur le bateau opposition paysan marin.

 On en a pour un bout de temps, sur ce bateau. Aujourd’hui, j’ai demandé à un des marins combien il restait. Il m’a répondu qu’il y avait encore aussi loin d’ici, en Amérique que d’Amérique ici ces quasiment tout pareil. J’ai réfléchi un petit moment, je trouvais ça long. Mais il rigolait ce salaud-là et ceux qu’étaient autour ils rigolaient aussi, eux autres, alors je me suis fâché et pendant un moment j’ai voulu lui taper sur la gueule pour lui faire sortir les harengs qu’il a dans le bidon. Mais je lui ai seulement dit que je me fichais pas mal de savoir si c’était encore loin. Un marin qu’a déjà fait le trajet plusieurs fois, il devrait être capable de vous le dire, sinon il a pas à venir faire le malin et se moquer des gens honnêtes. Va pas croire, je lui ai dit que nous autres de la campagne, on est plus bêtes que vous qu’êtes tout le temps sur la mer. On comprend bien quand on se fiche de notre poire.

Le pasteur illuminé.

 Ma chère épouse redoute la langue que l’on parle en Amérique. La peur d’être sourd et muet parmi les habitants de ce pays étranger. Mais je te répète Inga-Lena, ce que je t’ai dit de nombreuses fois : Dès que nous parviendrons dans ce pays le Saint-Esprit se répandra sur nous et nous permettra de parler cette langue étrangère comme si nous étions nés sur la terre d’Amérique.
 Nous avons la promesse de notre Seigneur et nous avons la parole de la Bible que ce miracle interviendra, comme lors de la première Pentecôte.

Les préoccupations de la femme au service du Pasteur illuminé.

 On dit que le Sauveur allait toujours pieds nus, quand il prêchait parmi les hommes. Mais je suppose qu’en terre Sainte le sol est plus chaud qu’ailleurs, puisqu’il y pousse des figues de la vigne et toutes sortes de fruits. On peut comprendre que le Seigneur et ses apôtres n’est pas eu besoin de chaussettes de laine. Mon cher époux attrape toujours mal à la gorge, quand il a froid aux pieds, et il ne se soucie pas de son ventre comme il le devrait : celui-ci ne s’ouvre pas tous les jours, dit-il. Il est pourtant un bon conseil qui fit : Vide boyaux et garde tes pieds au chaud.

Le passé de la prostituée.

 Je me rappelle à peu près de tout depuis que j’ai été placée, après enchères publiques, à l’âge de quatre ans. J’avais perdu mes parents et l’enfant que j’étais devait être confié à quelqu’un qui acceptait de la nourrir et de la vêtir. J’ai été attribuée au couple d’Ålarum, car c’était lui qui demandait le moins pour mon entretien : huit rixdales par an. Le mari a ensuite regretté d’avoir consenti à me prendre pour si peu : je mangeais trop et j’usais trop de vêtements pour huit rixdales par an. Et mon père a adoptif ma fait payer ses regrets. À l’âge de quatorze ans, il a exigé de moi des compensations en nature. Et une gamine de quatorze ans qui était à la charge de la commune avait un moyen très simple de s’acquitter : il suffisait d’écarter les jambes et de se tenir tranquille.

L’inactivité sur le bateau.

 Pendant près des trois quarts de ces interminables journées en mer, la plupart d’entre eux restaient inactifs livrés à eux-mêmes sans rien pour occuper leurs mains. Et ces gens du labeur n’avaient jamais appris comment se comporter lorsqu’on n’a rien à faire.
 Ils étaient désemparés pendant ces heures d’oisiveté et se demandaient, en regardant la mer : qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Cette eau et ces vagues éternellement recommencées ne leur fournissaient aucune réponse. Il ne leur restait qu’à regarder l’horizon. C’est ainsi que s’écoulaient les jours, qui devenaient des semaines qui devenait alors tour des mois.
 Mais il trouvait le temps long et la vie à bord de la « Charlotta » monotone.

La mer et les paysans

 Ils venaient de la terre et allaient vers la terre. La mer n’était pour eux qu’un moyen de transport dont ils se servaient, une étendue d’eau qu’ils devaient traverser pour retrouver la terre. Ils ne l’empruntaient que pour aller d’un pays à un autre et ne comprenaient pas les marins qui n’allaient nulle part, étaient toujours à bord de ce bateau et ne faisaient que sillonner cette mer. Les paysans partaient dans un but précis, les marins allaient et venaient sans but.


Édition Gallimard, 349 pages, décembre 2023

 

Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour.

 

Voilà un roman pour lequel je n’ai aucune hésitation : j’ai tout aimé et jusqu’à la fin, il est écrit dans une langue claire et précise, quel plaisir de lecture !

Cette autrice raconte le destin d’un homme originaire du Cameroun, exactement d’un petit village sur la côte camerounaise, Campo, qui était un village de pêcheurs du temps de l’enfance de sa mère, et qui devient peu à peu une station balnéaire à la mode.

Trois temporalités et trois voix construisent ce récit.

D’abord, celle de son grand-père Zacharias, pêcheur à bord d’une pirogue qui est marié à une femme énergique et très amoureuse de lui, Yalana. ensemble ils ont eu deux filles, Dorothée la mère du personnage principal et Myriam la petite sœur. Ensemble, il verront arriver la coopérative qui va tuer peu à peu la pêche traditionnelle bien aidée en cela par les compagnies d’exploitation forestière, c’est sa vie et ses rêves qui donneront le titre au roman. La deuxième temporalité est celle de l’enfant de Dorothée, Zack vit avec sa mère dans un quartier très populaire New-Bell, sa mère est devenue une prostituée alcoolique. Zack est l’ami d’Achille et ensemble, ils sont à leur façon heureux mais un drame obligera Zack à s’enfuir du Cameroun à 18 ans, sans dire au revoir à ses amis ni à sa mère. Enfin la troisième temporalité, la voix de Zack devenu psychologue en France et marié à Julienne une psychiatre et père de deux filles. Quand ces trois temporalités se rejoignent , c’est à dire, quand, à 40 ans, il revient au Cameroun, tous les drames de son histoires s’éclairent d’un jour nouveau et lui permettront peut être d’être totalement libre de son destin sans rien renier de son passé.

À travers ce récit, tant de thèmes sont abordés, l’économie post-coloniale, et l’exploitation des populations locales, les injustices dans les pays africains, la force des traditions africaines et leur originalité, le racisme même involontaire en France, les difficultés de l’intégration, les conséquences de l’exil . Et par dessus tout , ce roman est un hymne au courage des femmes, car c’est grâce à elles que Zacharias arrivera à se construire, même si certains hommes ont été là pour lui éviter un sort terrible. Il a eu de la chance dans la vie, celle d’être aimé et de pouvoir suivre des études.

Et je n’oublie pas les descriptions de sites naturels qui m’ont fait voyager bien loin de ma Bretagne très humide et trop souvent grise à mon goût. Voilà j’espère vous avoir donné envie de le lire et de partager mon plaisir.

PS Gambadou avec qui je suis souvent d’accord est plus réservée que moi.

 

Extraits

Début.

À l’endroit où le fleuve se précipite dans l’Atlantique, l’eau est ardoise et tumultueuse. Elle s’éclaircit à mesure qu’elle s’éloigne des côtes, en nuances de gris de plus en plus claires, pour finir par refléter la couleur du ciel lorsque celui-ci devient le seul horizon.
 Le Pêcheur s’était lever tôt, comme à son ordinaire. Il s’éveillait avant Yalana et l’attirait doucement à lui. Elle protestait un peu dans son sommeil mais ne se dérobait pas. De dos, elle venait se lover contre lui dans une douce reptation, et son souffle de dormeuse s’apaisait à nouveau.

Les dangers du métier.

 Son père était pêcheur lui aussi, comme tous les hommes de sa famille depuis que le fleuve est l’océan s’épousaient ici. Un jour il était parti et n’était pas revenu. Un mois d’octobre, en plein cœur de la saison des pluies. Dans ces moments là, les pêcheurs savent que les eaux sont tempêtueuses, violentes et traîtresses : les repères se brouillent, les distances sont mensongères, les courants capricieux. Dans les contes pour enfants, le fleuve femelle s’emplit d’une eau étrangère telle une femme enceinte et l’océan mâle ne peut l’accueillir avec sérénité, alors il se met en colère, il enrage, il déborde et les baïnes sont furieuses. Même les plus jeunes savent que la période n’est pas propice à la baignade, qu’il vaut mieux se tenir loin des époux querelleur. La plupart des piroguiers abandonnent leur activité en pleine mer pour revenir à l’agriculture ou à une pêche moins risquée dans le fleuve. La saison des pluies correspond aux récoltes tous les bras valides sont sollicités.

Le passé du narrateur.

 Le passé remonta dans une houle si violente que j’en fus submergé. La vérité, c’est que ma mère était alcoolique et prostituée. Je l’aimais plus que tout au monde, pourtant je l’avais quitté sans un regard en arrière. Toutes ces années, je ne l’avais pas contactée, j’ignorais même si elle était vivante ou morte.

La fin de la pêche artisanale.

Les chalutiers ratissaient littéralement des bancs de poissons et de crustacés. Un seul d’entre eux produisait dans des proportions auxquelles une dizaine de piroguiers aguerris ne pouvaient prétendre (…).
 Lorsque les premiers dérèglements apparurent les pêcheurs firent preuve de bonne volonté, ils travaillèrent davantage. Mais leurs conditions continuèrent de se dégrader jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus rembourser leurs dettes. C’est alors que la coopérative leur fit une dernière proposition : ils devaient travailler gracieusement à bord des chalutiers jusqu’au solde de leurs créances ensuite seulement ils recommenceraient à percevoir un salaire complet.

Les bourses.

 Et j’inventai le reste : mes parents morts tous les deux dans un accident de voiture, le rejet du reste de la famille, puis la chance de bénéficier d’une bourse d’étude grâce à mes résultats scolaires. Le tout se tenait tant que je n’avais pas à faire à des Camerounais. Eux savaient que le gouvernement n’attribuait plus de bourses, celles qui existaient étaient offertes par des organismes internationaux ou directement par des universités occidentales, et les élèves pauvres n’y avaient pas accès, elles disparaissaient dans les réseaux de gosses de riche.

La fuite dans l’exil.

 Je n’ai pas craqué tout de suite, ça m’a pris plusieurs mois. Il m’aura fallu tomber sur l’enquête du journaliste à propos du clochard retrouver mort par les éboueurs, non loin de l’avenue des Champs-Élysées. Des années d’évitement, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlés. Toutes les années, tous les instants, un à un sans répit, sans pitié. Personne ne devrait partir de chez lui comme Sunday et moi. Couper tous les ponts, larguer les amarres et ne plus pouvoir revenir en arrière. Nous ne devrions pas avoir à avancer sans repères, sans protection, nous délester de tout ce que nous avons été, s’arracher à soi en espérant germer dans une nouvelle terre. Ceux qui ont ce privilège voyage l’esprit léger. Ils partent de leur plein gré sachant qu’ils peuvent revenir quand bon leur semble. Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour. Et puis ici aussi dans cet éden étincelant, des enfants meurent d’être délaissés, mal-aimés, maltraités. Les terres lointaines ne tiennent pas leurs promesses. 

L’intégration.

Je suis comme beaucoup d’immigrés, à chaque dégradation, délit, crime, chaque fois qu’un fait divers s’étale à la une des journaux, ma première pensée ne va pas à la victime, mais à la personne incriminée. Je pense d’emblée : « Pourvu que ce ne soit pas un Noir. » Il n’y a pas de singularité possible, nous sommes une communauté pour le pire. Les meilleurs d’entre nous, ceux qui se distinguent positivement, sont français, les pires sont ramenés à leur statut d’étrangers. Rien n’est acquis, le premier imbécile venu peut vous dire : « Rentrez chez vous », comme on vous foutrait à la porte. 


Éditions du Seuil, 228 pages, octobre 2024

 

« J’ai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

Cet auteur a fait de sa famille l’objet de certains de ses livres, sur Luocine j’ai mis « En finir avec Eddie Bellegueule » et « Qui a tué mon père » , j’ai lu aussi celui consacré à sa mère. J’ai beaucoup aimé celui-ci , car on y apprend beaucoup sur un homme que je n’aurais guère aimé rencontrer un soir dans une rue d’Amiens ou ailleurs. Un homme que j’aurais méprisé car sujet à des accès de violence : il frappait les femmes et faisait peur à ses enfants, un homme que l’alcool rendait fou, qui tenait des propos racistes et homophobes. Et pourtant un être humain !

Édouard Louis, ne cache rien des horreurs que son frère a été capable de faire ou de dire, mais en recherchant qui il était à travers différents témoignages, on se rend compte qu’il pouvait être « gentil » et qu’il avait été aimé par des femmes qui rendent toutes l’alcool et son enfance responsables de ses violences. Le roman suit les préparatifs de l’enterrement, les souvenirs de l’enfance où ce frère a fait tellement souffrir le petit Eddy, mais aussi la façon dont le père a brisé tous les rêves de cet enfant. Est-ce que l’abandon par son père géniteur qui a été capable d’aimer d’autres enfants que lui, est la première blessure dont cet homme ne s’est jamais remis ? Est-ce que l’alcoolisme est héréditaire ? Son père, son oncle, son cousin sont tous morts d’alcoolisme . Est-ce que la misère sociale en est responsable ?

Ce portrait m’a permis de comprendre des gens que je ne croise pas souvent et que j’ai tendance à mépriser. Je trouve que ce roman permet effectivement d’ouvrir les yeux sur les ravages de l’alcoolisme car l’auteur ne cache rien sur les faiblesses, mais aussi sur les causes possibles de cette autodestruction, l’auteur n’est donc jamais dans le jugement ni dans la justification : c’est ce que j’ai beaucoup apprécié. Même quand il raconte l’homophobie violente de son frère donc de l’auteur.

Je trouve que pouvoir comprendre des gens qui, tout en étant tout près de moi, je ne vois jamais c’est presqu’aussi exotique que décrire une population au fin fond de l’Amazonie. Et surtout on se rend compte que chez des hommes détruits par l’alcool, il y a aussi une être humain. C’était le cas de son frère qui méritait bien ce roman .

 

Extraits.

 

Début.

 Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors, ou comme on écouterait une personne quelconque nous dérouler le récit de son après-midi au supermarché. Je ne l’avais pas vu depuis presque dix ans. Je ne voulais plus le voir. Certains jours ma mère tentait de me faire changer d’avis, d’une voix hésitante, comme si elle avait eu peur de me froisser ou de créer un conflit entre elle et moi : 
– Tu sais, ton frère peut être que tu devrais lui donner une chance … je crois que ça lui ferait plaisir. Il parle beaucoup de toi…

La haine de ses parents.

 Il les détestait parce que à cause d’eux, il était détruit mais c’était fini maintenant, grâce à ses amis allée se reconstruire.

 Ma mère a raccroché assommée. Elle ne savait pas que mon frère couvait cette haine pour elle à l’intérieur de lui – et je crois qu’elle était sincère, elle ne savait pas il ne faut pas lui en vouloir. À la fin de l’appel téléphonique elle a soupiré et elle a dit à mon père, les yeux grands ouverts et la mine stupéfaite, comme si elle venait d’apercevoir un fou qui poussait des cris dans les rues : « Mais ça va pas bien l’autre à inventer des trucs comme ça. »

Différence entre classes sociales.

... Dans notre monde essayer n’était pas une chose possible, je l’ai vu plus tard dans le monde de ceux qui vivent dans le confort et dans l’argent ou du moins avec plus d’argent et plus de confort, certains de leurs enfants étaient comme mon frère, certains buvaient, certains volaient, certains détestaient d’école, certains mentaient, mais leurs parents essayaient des choses pour les aider et pour tenter les transformer, ils leur offraient une formation de pâtissier, de danseur, d’acteur dans une mauvaise école de théâtre trop chère, ils essayaient, et c’est aussi ça l’Injustice, certains jours il me semble que l’Injustice, ce n’est rien d’autre que la différence d’accès à l’erreur, il me semble que l’Injustice ce n’est rien d’autre que la différence d’accès aux tentatives qu’elles soient ratées ou réussies, et je suis tellement triste, je suis tellement triste.

L’alcool .

 Il buvait de l’alcool pour se sentir mieux et l’alcool l’enfermait dans son destin ; lui-même avait dit à ma mère quelques mois avant de mourir :  » Jai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

La famille .

 C’est un phénomène que j’ai souvent observé dans les familles : elle veulent alternativement vous aider et vous noyer.

L’alcool, la violence, les femmes.

 Pourtant l’histoire se répétait et s’amplifiait dans sa répétition : avec Géraldine mon frère se comportait comme avec Angélique, mais en pire. C’était comme s’il avait voulu l’aimer mais qu’il était, dans les faits inapte à mettre en pratique ce sentiment. Il buvait toujours plus, certain soir il vomissait dans l’appartement, il renversait les meubles. Les années passées il avait vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre ans et il s’est mis à l’alcool plus tôt dans la journée, d’abord au milieu de l’après-midi, sans occasion particulière, puis le matin. puis directement au réveil.
L’alcool devenait pour mon frère une maladie incontrôlable, et de plus en plus visible pour les autres.
(…)

Il était avec elles dans la chambre -alors moi qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mis entre lui et mes deux filles et je les ai protégées. J’étais allongée sur mes deux filles, pliée, comme une carapace de tortue, et ton frère il me tapait sur le dos comme s’il aurait voulu me le transpercer.

 Il me tapait tellement fort que mes filles elle sentait des coups à travers moi, elles me l’ont raconté le lendemain, elles m’ont dit maman On sentait ses poings à travers ton corps à toi.
 Un jour, dans la rue,
comme ça,
 sans raison, 
Il m’a mis une grosse claque dans la tête.
Mes lunettes de soleil,
elles ont volé par terre.
 Comme ça, en plein milieu de la rue.

 


Édition Albin Michel, 214 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Roman très original autant pour son écriture que son propos. Une famille française, d’origine juive marocaine, s’inquiète parce que leur mère et grand mère du narrateur qui est restée au Maroc, ne va pas très bien et, le croit-elle c’est à cause d’ un bruit qui l’empêche de dormir.

Elle habite à Marrakech, dans le quartier du Guéliz, et sa fille et son petit-fils viennent la voir pour essayer de trouver d’où vient ce bruit.

Voilà, je vous ai résumé le roman, on devinera assez vite que ce bruit mystérieux que ni sa fille ni son petit fils n’entendent est surtout la trace insupportable pour la vieille femme de son monde disparu. Ce roman raconte les traces d’une civilisation éteinte depuis le départ des Juifs du Maroc en 1967, après la guerre des six jours. Leur présence est très ancienne dès le V° siècle, communauté assez stable jusqu’à l’arrivée, en nombre, des juifs chassés d’Espagne par Isabelle la Catholique au XV° siècle. Tout l’intérêt du roman, c’est cette quête des traces de la présence juive au Maroc, et de la réflexion du narrateur sur l’exil. Sa grand-mère est fragile et ses souvenirs sont tous teintés de douleur. Nous visitons avec un chauffeur très attentif : Bourriel un berbère qui accepte de les conduire dans quelques lieux de pèlerinages juifs. Il n’y a plus personne dans ces lieux qui étaient très fréquentés autrefois, mais ils ne sont pas détruits. Le cas particulier du Maroc le doit aux rois marocains qui ont empêché que les juifs soient assassinés et, aujourd’hui, il a rendu au quartier juif de Marrakech les noms juifs et la synagogue, que les visiteurs découvriront fermées, est toujours là. Le quartier Mellah est aujourd’hui un haut lieu touristique derrière lequel le cimetière juif de Miâara permet à la grand-mère d’honorer ses morts.

Ce roman est aussi une promenade originale à travers un Maroc peut connu comme la vallée de l’Ourika , à la fin de ce voyage on comprend les phrases de la mère du narrateur qui y a retrouvé son enfance, elle s’adresse, ainsi, à leur adorable chauffeur au moment du départ à l’aéroport :

  • Dis. Tu montreras le chemin à tes enfants, a-t-elle dit. Promets-le-moi. Qu’ils y amènent les miens quand ils seront plus grands.

Extraits

Début.

 Il y avait à Marrakech, dans le quartier du Guéliz, un bruit. Un mystérieux bruit, qui s’était installé dans un appartement, au premier étage du 66 avenue Al-Mâ’ Az-Zahr. Qui sait ce qui l’avait attiré ici ? Le poids d’une solitude, le confort des vieux fauteuils en feutre, le grisant parfum du camphre brûlé, ou l’infaillible hospitalité de ma grand-mère ? Personne ne peut le dire.

Joli style.

Le vent devait avoir soufflé tout le sable de la médina pour bâtir à la force de ses bras le mirador de la Koutoubia. Il semblait comme cela, si vulnérable qu’un seul homme d’un geste imprécis aurait pu le rendre à la poussière comme un château de sable. Mais il était en vérité, inébranlable, Dieu même le sait, car il n’existe au sable de liant plus puissant que la foi, cette eau de tous les jours qui ruisselle dans les avenues du Guéliz et de partout ailleurs, se presse dans les rues, inondé toutes les venelles, se jette dans la vieille ville.

Un long passage que j’ai adoré.

 « Yak ». Ce petit mot, ma grand’mère l’employait aussi souvent que possible. Si facilement, « yak » se faisait une place dans chaque conversation. Il signifie « n’est-ce pas ». Il est le petit dernier d’une fratrie de mots qui ne grandit jamais, qui de justesse parvient toujours à s’insinuer avant que les grandes portes de la parole ne se referment seules Il se montre sous les airs d’un début de question et tinte comme le bruit de l’âme qui somme qui sème le doute partout. Il dit « rien n’est jamais certain tout est seulement possible ». Il est le son du doute que ma grand’mère, sans peine se plaît à employer à chacune de ses phrases. Ainsi « yak » , les choses peuvent être ou ne pas être. Tout devient révocable. De ses trois lettres, il fait vaciller toute vérité, et vibrer le fil sur lequel tous ceux qui l’ont précédé se tiennent en équilibre. Qui eût cru qu’une si petite chose, de sa timide empreinte, rende tout si vulnérable ? Il cherche l’approbation, quand sa maîtresse, elle, doute. Ma grand’mère s’est attachée à lui. Lui s’est offert à elle. Et pour le remercier d’être tout le temps présent elle lui a cousu une laine. C’est une laine de joie qui lui donne fière allure et qu’il ne quitte plus. Car « yak » se présente, depuis que je le connais toujours sous les traits d’un sourire. « Yak » ? demande ma grand-mère en souriant. Grâce à lui, les fins de phrases sont joyeuses. Et toutes les fins d’ailleurs. Puisque « yak » est partout. Elle a fini par le croire. Nous sommes ici au Guéliz, pour mettre un terme au bruit. Désormais portés par l’espoir que ce terme sera joyeux, « yak » ? Le seul problème c’est quand ma grand-mère parle du bruit étrangement « yak » s’absente. Il ne se risque pas à contester le bruit devenu certitude. « Yak » est un petit être que je souhaite courageux.

L’exil du Maroc. C’est si bien dit !

 Il ne reste personne. Personne à qui parler. Il ne reste plus qu’elle. Depuis longtemps maintenant. Les vivants sont parti Ils ont quitté le port de leur propre récit. Ma grand-mère a vu les derniers bateaux s’unir à l’horizon. Sur les docks de l’oubli, elle est restée. Ils ont tout emporté. Tout ce qu’ils pouvaient prendre. Ils ont laissé les morts. Ils ont laissé les murs et de morceaux de pierre. Et l’immense solitude. Elle seule est restée. Elle seule foule cette terre brûlée, sans faillir, immortelle gardienne du passé elle-même oubliée. Après son passage, les tombes que les vivants ont laissé, redeviennent des bancs de pierre dont l’ordinaire s’empare. Elle seule leur donne un sens. Elle seule leur donne un nom.

L’exil de sa mère.

– Je me souviens, dit-elle, c’était en 67. Pendant la guerre des Six Jours. J’avais six ans. J’étais avec ma grand-mère, ton arrière-grand-mère. Nous allions au Mellah, en taxi. Les informations passaient à la radio et disaient que les avions israéliens bombarder l’Égypte. Le chauffeur en roulant jusqu’à Mellah, se tournait vers nous pour nous cracher dessus. Il criait : « Sales juifs ! ». Il nous crachait dessus et il criait. Nous étions morts de peur à l’arrière.
 Je l’ai regardée essuyer de sa main une larme précipitée sur sa joue. Il n’y a pas de haine. Il n’y a que la tristesse d’une enfant de six ans, résignée au regret et à l’évidence que rien ne renaîtra jamais. Que la peur a laissé dans les coeurs l’irréparable. Ce matin là de mars, c’est un recueillement sur la petite stèle blanche d’un amour disparu. Je l’ai serrée dans mes bras. Ma grand’mère elle, ne peut y prendre part. Il y a trop de douleur.