Édition Robert Laffont

 

L’aristocratie est un monde de pures formes

L’aristocrate est, par excellence, quelqu’un qui se prend pour un aristocrate.

Personne n’est obligé de lire Proust. Mais tout le monde perd à l’ignorer. 

J’ai envie de mettre 5 coquillages à cette écrivaine pour savoir mieux que beaucoup faire aimer et comprendre Proust et à nouveau 5 coquillages pour nous faire comprendre de l’intérieur ce que cela veut dire de faire partie de l’aristocratie française. 10 coquillages ! C’est dire que je ne trouve pas les mots adéquats pour décrire mon enthousiasme pour ce livre qui est qualifié d’essai et qui vaut tous les livres d’autofiction que j’ai pu lire ces derniers temps.

Laure Murat descend d’une lignée de princes de l’empire par son père et d’une noblesse de l’ancien régime par sa mère, Ines d’Albert de Luynes. Elle est rejetée de la famille, surtout de sa mère, quand elle avoue son homosexualité. Un jour en regardant « Downtown Abbey » elle a une révélation, elle comprend que sa famille est construite sur une apparences et qu’il ne faut jamais montrer les efforts (les siens ou ceux des domestiques) qu’il faut faire pour tenir son rang. Le naturel ? c’est ce qui demande le plus d’efforts quand il ne doit être ni une expression de ses sentiments, ni une affirmation de sa personnalité. La plongée dans sa famille, lui fait mesurer à quel point seules les apparences sont importantes, il faut tenir son rang et ne jamais se comporter « comme une domestique ! » . Toutes les déviances n’ont aucune importances si elles sont cachées, et en recherchant l’histoire de sa famille Laure se rend compte que sa grand-mère maternelle doit être en réalité une enfant que son arrière grand-père a fait à une nièce. Mais inutile de chercher à savoir ce qui ne sera jamais mis au grand jour.

L’autre révélation de Laure Murat, elle se trouve dans l’œuvre de Marcel Proust, d’abord parce que nombre de ses ancêtres ont servi de modèle aux aristocrates décrits par Proust. Je pensais avant de lire ce livre que c’était surtout de cela qu’elle allait nous parler, et je n’étais pas très tentée par cette lecture, j’y voyais une sorte de Bottin mondain. Mais c’est tout le contraire, elle reconnaît à cet auteur le fait qu’il a su décrire le vide de ces personnalités qui à force de ne vouloir que paraître ne sont le plus souvent que des coquilles vides. Elle est mieux placé que quiconque pour faire un sort à celui que l’on méprise parfois pour être un auteur « mondain ! » alors que justement il a su montrer qu’il n’y avait pas grand chose derrière ces façades de « bons goûts ». Ensuite, elle était bien placée pour comprendre comment Proust décrit l’homosexualité et elle retrouve encore une fois le poids du jugement de sa propre famille : ça ne se dit pas ! même si tout le monde sait que ça se fait, bien sûr. Elle enseigne aux États-Unis, dans une université californienne et elle fait découvrir Proust à des étudiants qui vivent à l’heure des textos et sous le soleil de la plage. Si loin leur semblent-ils de ce monde du début du XX° siècle français. Mais je suis certaine qu’elle sait leur montrer qu’il suffit de rentre dans cette œuvre pour s’y retrouver, car il s’agit bien encore une fois d’un auteur qui décrit « l’humaine condition »

Vous retrouverez dans son livre des extraits de la Recherche, toujours parfaitement choisis : vous n’oublierez l’attitude de la Duchesse de Guermantes lorsque son ami Swann vient de lui annoncer que, s’il ne vient pas à Florence avec elle, c’est qu’il ne lui reste que quelques semaines à vivre, elle lui dit de venir dîner un soir parce que là elle n’a n’a pas le temps de lui parler mais, le temps, elle le prend pour remonter changer de chaussures que son mari trouve inapproprié avec la robe qu’elle a choisie  ! ! ! (j’ai recopié ce passage dans les extraits)

On lui doit donc beaucoup à cette écrivaine, d’abord de partager avec nous sa passion pour Proust et ensuite de démystifier l’aristocratie française. Je doute que celle des autres pays soit très différente ! Mais en France, il y a eu la révolution, mais cela n’empêche pas les nobles d’aujourd’hui de se parer des titres de prince/princesse, duc/duchesse …..

Extraits

 

Début.

 Il m’a fallu des années pour comprendre une chose très simple. Elle m’a sauté aux yeux lorsqu’un soir regardant une épisode de « Downton Abbey » , j’ai découvert la scène où le maître d’hôtel sort un mètre devant la table dressée pour le dîner afin de mesurer la distance entre la fourchette et le couteau et de s’assurer que l’écart entre les couvert est le même pour chaque convive

Parler de l’aristocratie.

À ses doutes s’ajoute un piège incontournable propre à l’aristocratie, surtout lorsque l’on en sort  : dès qu’on en parle, on a l’air de se vanter. Comme si les titres nobiliaires et les noms à particule diffusaient, à peine prononcés dans l’air ambiant, l’arrogance et la vanité de toute une classe. Mais je n’ai rien à revendiquer, ni d’ailleurs à renier, d’un état civil ou les hasards de la naissance m’ont jetée. Et je n’éprouve ni fierté ni honte devant mon arbre généalogique, pour la simple raison que je ne crois pas dans une existence à l’évidence socialement déterminée, ni là la loi du sang, ni à la fatalité d’un héritage envisagé comme un destin.

 

La bonne éducation.

 On ne parle jamais de soi, on ne fait pas de vagues, on évite les sujets qui fâchent car « c’est assommant », et il est impensable de montrer quelque émotion en public. La joie et la peine, l’excitation et la douleur, l’enthousiasme et la mélancolie sont affaire de classe. « On ne pleure pas comme une domestique » répétait mon arrière grand-mère, que la haine de l’effusion avait poussée à donner un bal à la mort d’un de ses fils, engagé volontaire tombé pour la France en 1916 à l’aube de son vingtième anniversaire

Rire.

 Il y a quelques années de passage à Paris, je traversais le parc Monceau pour me rendre à un rendez-vous quand j’entends dit un homme dans mon dos lancer sur un ton impérieux : « Princesse ! ». Je me suis retournée instantanément, sans réfléchir une seconde, pour savoir ce qu’il me voulait. Il rappelait sa chienne.

Les contemporains de Proust.

 Ni Gide ni Colette, agacés à la même époque par ce mondain érudit et cérémonieux qui commettait des articles au « Figaro » n’auront plus de prescience. Et cet aveuglement persistera jusqu’au fameux refus par Gallimard du manuscrit de « Du côté de chez Swann », assorti de ce commentaire lapidaire : « Trop de duchesses ! ».

La découverte de « la recherche du temps perdu ».

 Non seulement ce monument littéraire n’était pas le fort imprenable et dont on m’avait menacée, mais il formait l’espace « intelligent » qui invitait à tourner sans fin, entrer, sortir, grimper, redescendre, emprunter tous les escaliers et arpenter tous les couloirs du Temps.

Quel hommage !

Mais le plus sidérant, c’était que toutes les scènes « lues » où l’aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes « vécues » dont j’avais été le témoin, comme si Proust, à l’image du Dr Frankenstein, élaborant sous mes yeux le mode d’emploi des créatures que nous étions.

La mère de Laure Murat.

De ma mère jamais un baiser, dont elle exécrait jusqu’à l’idée même. Ce régime ne m’était pas réservé. Elle était sous ce rapport, et sans doute sous ce rapport exclusivement, d’un égalitarisme sans défaut, au point de tous nous tenir à distance d’un simple geste d’avertissement, avec la main préventive du policier arrêtant la circulation, comme s’il y avait autour de son corps une ligne invisible à ne jamais franchir. Rien. Rien du tout.

L’annonce de son homosexualité.

Lui dire que je vivais avec une femme. Je l’ai vue se décomposer. Elle était pâle. Pas un muscle de son visage ne tremblait, mais je sentais qu’un orage intérieur, épouvantable, sinistre, s’était levé. J’accomplissais l’inconcevable. Je brisais le code. Sa réponse à ce qui n’était pas une question a tenu en deux phrases lâchées avec cette âpreté qu’elle assimilait à de la dignité :  » Tu incarnes à mes yeux l’échec de toute une éducation morale et spirituelle » , et : « Pour moi, tu es une fille perdue. » . Je l’ai vue pleurer pour la première fois. C’est cela, surtout, que ma famille m’a le plus reproché : tu as fait pleurer ta mère en public. Comme une domestique.

J’ai ri.

Une année, une de mes sœurs avait spontanément adopté le tic d’une de ses professeures d’école qui ajoutait des « eu » traînants à la suite de certains mots, comme dans « Je suis allée à la piscin-eu », sonorisation du e muet que la linguiste appelle « e prépausal ». Je vois encore la panique sur le visage de ma mère, comme si la famille Groseille au complet avait pris possession du larynx de ma sœur.

J’ai encore ri.

La seule fois qu’il a pris l’autobus de sa vie (avec moi, je devais avoir alors vingt ans) , ignorant des usages, il s’adressa directement au chauffeur pour lui communiquer l’adresse où nous nous rendrons.

Pour finir une des pages inoubliables où Proust dit tout de l’aristocratie française.

« Je voudrais tout de même savoir, lui demanda Mme de Guermantes, comment, dix mois d’avance, vous pouvez savoir que ce sera impossible.

— Ma chère duchesse, je vous le dirai si vous y tenez, mais d’abord vous voyez que je suis très souffrant.

— Oui, mon petit Charles, je trouve que vous n’avez pas bonne mine du tout, je ne suis pas contente de votre teint, mais je ne vous demande pas cela pour dans huit jours, je vous demande cela pour dans dix mois. En dix mois on a le temps de se soigner, vous savez. »

À ce moment un valet de pied vint annoncer que la voiture était avancée. « Allons, Oriane, à cheval », dit le duc qui piaffait déjà d’impatience depuis un moment, comme s’il avait été lui-même un des chevaux qui attendaient.

« Hé bien, en un mot la raison qui vous empêchera de venir en Italie ? » questionna la duchesse en se levant pour prendre congé de nous.

« Mais, ma chère amie, c’est que je serai mort depuis plusieurs mois. D’après les médecins, que j’ai consultés, à la fin de l’année le mal que j’ai, et qui peut du reste m’emporter tout de suite, ne me laissera pas en tous les cas plus de trois ou quatre mois à vivre, et encore c’est un grand maximum », répondit Swann en souriant, tandis que le valet de pied ouvrait la porte vitrée du vestibule pour laisser passer la duchesse.

« Qu’est-ce que vous me dites là ? » s’écria la duchesse en s’arrêtant une seconde dans sa marche vers la voiture et en levant ses beaux yeux bleus et mélancoliques, mais pleins d’incertitude. Placée pour la première fois de sa vie entre deux devoirs aussi différents que monter dans sa voiture pour aller dîner en ville, et témoigner de la pitié à un homme qui va mourir, elle ne voyait rien dans le code des convenances qui lui indiquât la jurisprudence à suivre et, ne sachant auquel donner la préférence, elle crut devoir faire semblant de ne pas croire que la seconde alternative eût à se poser, de façon à obéir à la première qui demandait en ce moment moins d’efforts, et pensa que la meilleure manière de résoudre le conflit était de le nier. « Vous voulez plaisanter ? » dit-elle à Swann.

« Ce serait une plaisanterie d’un goût charmant, répondit ironiquement Swann. Je ne sais pas pourquoi je vous dis cela, je ne vous avais pas parlé de ma maladie jusqu’ici. Mais comme vous me l’avez demandé et que maintenant je peux mourir d’un jour à l’autre… Mais surtout je ne veux pas que vous vous retardiez, vous dînez en ville », ajouta-t-il parce qu’il savait que, pour les autres, leurs propres obligations mondaines priment la mort d’un ami, et qu’il se mettait à leur place, grâce à sa politesse. Mais celle de la duchesse lui permettait aussi d’apercevoir confusément que le dîner où elle allait devait moins compter pour Swann que sa propre mort. Aussi, tout en continuant son chemin vers la voiture, baissa-t-elle les épaules en disant : « Ne vous occupez pas de ce dîner. Il n’a aucune importance ! » Mais ces mots mirent de mauvaise humeur le duc qui s’écria : « Voyons, Oriane, ne restez pas à bavarder comme cela et à échanger vos jérémiades avec Swann, vous savez bien pourtant que Mme de Saint-Euverte tient à ce qu’on se mette à table à huit heures tapant. Il faut savoir ce que vous voulez, voilà bien cinq minutes que vos chevaux attendent. Je vous demande pardon, Charles, dit-il en se tournant vers Swann, mais il est huit heures moins dix. Oriane est toujours en retard, il nous faut plus de cinq minutes pour aller chez la mère Saint-Euverte. »

Mme de Guermantes s’avança décidément vers la voiture et redit un dernier adieu à Swann. « Vous savez, nous reparlerons de cela, je ne crois pas un mot de ce que vous dites, mais il faut en parler ensemble. On vous aura bêtement effrayé, venez déjeuner, le jour que vous voudrez (pour Mme de Guermantes tout se résolvait toujours en déjeuners), vous me direz votre jour et votre heure », et relevant sa jupe rouge elle posa son pied sur le marchepied. Elle allait entrer en voiture, quand, voyant ce pied, le duc s’écria d’une voix terrible : « Oriane, qu’est-ce que vous alliez faire, malheureuse. Vous avez gardé vos souliers noirs ! Avec une toilette rouge ! Remontez vite mettre vos souliers rouges, ou bien, dit-il au valet de pied, dites tout de suite à la femme de chambre de Mme la duchesse de descendre des souliers rouges.

— Mais, mon ami », répondit doucement la duchesse, gênée de voir que Swann, qui sortait avec moi mais avait voulu laisser passer la voiture devant nous, avait entendu, « puisque nous sommes en retard…

— Mais non, nous avons tout le temps. Il n’est que moins dix, nous ne mettrons pas dix minutes pour aller au parc Monceau. Et puis enfin, qu’est-ce que vous voulez, il serait huit heures et demie, ils patienteront, vous ne pouvez pourtant pas aller avec une robe rouge et des souliers noirs. D’ailleurs nous ne serons pas les derniers, allez, il y a les Sassenage, vous savez qu’ils n’arrivent jamais avant neuf heures moins vingt. »

La duchesse remonta dans sa chambre.

« Hein, nous dit M. de Guermantes, les pauvres maris, on se moque bien d’eux, mais ils ont du bon tout de même. Sans moi, Oriane allait dîner en souliers noirs.

— Ce n’est pas laid, dit Swann, et j’avais remarqué les souliers noirs qui ne m’avaient nullement choqué.

— Je ne vous dis pas, répondit le duc, mais c’est plus élégant qu’ils soient de la même couleur que la robe. Et puis, soyez tranquille, elle n’aurait pas été plus tôt arrivée qu’elle s’en serait aperçue et c’est moi qui aurais été obligé de venir chercher les souliers. J’aurais dîné à neuf heures. Adieu, mes petits enfants, dit-il en nous repoussant doucement, allez-vous-en avant qu’Oriane ne redescende. Ce n’est pas qu’elle n’aime vous voir tous les deux. Au contraire, c’est qu’elle aime trop vous voir. Si elle vous trouve encore là, elle va se remettre à parler, elle est déjà très fatiguée, elle arrivera au dîner morte. Et puis je vous avouerai franchement que moi je meurs de faim. J’ai très mal déjeuné ce matin en descendant de train. Il y avait bien une sacrée sauce béarnaise, mais malgré cela, je ne serai pas fâché du tout, mais du tout, de me mettre à table. Huit heures moins cinq ! Ah ! les femmes ! Elle va nous faire mal à l’estomac à tous les deux. Elle est bien moins solide qu’on ne croit. »

Le duc n’était nullement gêné de parler des malaises de sa femme et des siens à un mourant, car les premiers, l’intéressant davantage, lui apparaissaient plus importants. Aussi fut-ce seulement par bonne éducation et gaillardise, qu’après nous avoir éconduits gentiment, il cria à la cantonade et d’une voix de stentor, de la porte, à Swann qui était déjà dans la cour :

« Et puis vous, ne vous laissez pas frapper par ces bêtises des médecins, que diable ! Ce sont des ânes. Vous vous portez comme le Pont-Neuf. Vous nous enterrerez tous ! »

 

 

 

Édition J’ai Lu

Après les déportations de masse, l’exportation de masse. Face à des chiffres spectaculaires, comment ne pas considérer que les communistes ont, dans les faits, achevé l’oeuvre des fascistes ? En débarrassant la Roumanie de ses juifs, ils sont parvenus enfin à ce que le maréchal Antonescu et son clan désignaient, en 1940, comme « le moment tant attendu de la délivrance ethnique ». une délivrance sans effusion de sans ; Un effacement corps et âme, doublé d’un juteux trafic.

Quel livre ! La journaliste a mené une enquête fouillée pour comprendre le sort des juifs en Roumanie. Elle mêle de façon très judicieuse la vie de sa propre famille d’origine juive roumaine et l’histoire du pays. Il faut vraiment lire jusqu’au bout ce livre, car les questions qu’elle se pose dans le dernier chapitre je me les posais tout le long du livre.

Anna Yes a aussi chroniqué ce livre et elle pourra voir combien ce livre m’a plu, (je l’avais lu une première fois sans mettre de billet )

Rappel historique, la Roumanie s’est retrouvée avec une forte minorité juive après la guerre 14/18 , car étant du côté des vainqueurs son territoire a été augmenté de provinces où vivaient de fortes minorités juives. Pendant la montée des nationalismes fascistes avant la guerre 39/45, ces minorités juives posent un problème important au régime nationaliste roumain. L’originalité de ce pays est de n’avoir pas déporté sa population juive de Bucarest. Ce que les archives montrent c’est que leur extermination était prévue mais le dirigeant de la Roumanie a compris que les Allemands pouvaient perdre la guerre , donc les neuf derniers mois de guerre ils ont changé de bord. La famille Deleanu, grands-parents de Sonia Devillers, était une famille juive très influente de Bucarest. Ils ont perdu tous leurs droits pendant la guerre mais pas la vie ! Ils épousent avec enthousiasme la cause communiste, et ne parlent jamais des exterminations qui ont eu lieu dans d’autres régions roumaines. Il faudra beaucoup de temps pour que ce pays accepte ses responsabilités sur l’extermination qu’elle voulue et organisée. Officiellement, la Roumanie voulait être le pays qui a défendu ses juifs.

Et puis, le communisme, a refermé le pays sur lui-même et la chasse aux juifs a recommencé. Mais, et c’est là le sujet du livre, il a su en faire une monnaie d’échange pour renflouer les caisses de cet état qui était très pauvre, car l’URSS leur a fait payer leur solidarité avec l’Allemagne. Le régime a donc échangé les juifs roumains contre ce qui manquait tant à ce pays : des cochons, des vaches, des fermes, des abattoirs …

Ainsi chaque juif qui est parti de ce pays peut savoir ce qu’il valait , car les comptes sont très bien tenus : tant de porcs pour le départ d’un juif.

À la tête de ce trafic humain, un passeur qui fait tout ce qu’il peut pour permettre aux juifs de sortir, Sonia Devillers essaie de cerner la personnalité de ce passeur, est-il un mafieux ou un sauveur ? Elle ne peut pas répondre à cette question.

La question qu’elle pose aussi à la fin de ce livre, qui lui a été suggérée par des lettres de Roumains, on peut être, choqué de voir que la vie de ses parents valait tant de porcs, ou de vaches, mais comme le disent les pauvres Roumains au moins, vous, vous pouviez sortir et vivre.

Ce qui est choquant aussi, c’est que tous ces faits ont été révélés depuis longtemps mais la presse française (elle cite Libération et le Monde) ne voulaient pas le dire car il y a eu si longtemps une Omerta sur la dénonciation de l’antisémitisme communiste. Il a fallu l’ouverture des archives de Roumanie, pour que ces faits choquants soient enfin révélés pour l’opinion publique européenne.

Il me reste aussi une question , échanger des êtres humains contre de l’argent que ce soit sous forme d’animaux ou de dollars, n’est ce pas ce que fait tout état pour récupérer des otages ? Il est vrai que ce qui est différent c’est qu’il s’agissait de Roumains persécutés parce que juifs donc otages dans leurs propres pays par leurs compatriotes.

Le livre est passionnant, et se lit très facilement mais il faut aussi savoir que c’est souvent insupportable en particulier les exterminations par les Roumains de la population juive sans aucune défense.

 

Extraits

Début.

 Ils n’ont pas fui, on les a laissés partir. Ils ont payé pour cela une fortune. Des papiers leur ont été accordés, puis retirés, puis finalement accordés. Ils ne voulaient pas quitter leur pays. ils ne voulaient pas mais ils n’avaient plus le choix.

La jeunesse de sa grand-mère.

La jeunesse de Gabriela, en revanche, on y avait droit, avec emphase et trépidation : sa famille remarquable, sa ville pimpante Bucarest dite le « petit Paris des Balkans » dans l’entre-deux-guerres. Ma grand-mère se targuer de trouver dans les librairies les romans français « ,le lendemain de leur sortie à Saint-Germain. »

En 1940 .

En 1940, la Roumanie en proie à un immense désordre, subit la pire des humiliations. Les belles provinces qui lui avaient été rattachées à l’issue de la Première Guerre mondiale lui furent brutalement retirées par le pacte germano-soviétique. Ces territoires largement peuplés de juifs, allaient donc passer aux mains des Russes. Et cela, on ne le pardonnerait pas aux juifs, traités de vermine invasive d’abord, de traîtres par la suite. Les youpins et les rouges allaient pactiser, c’était certain. L’exaspération nationalistes n’avait alors d’égale que la détestation du « judéo-bolchevisme ». La nation semblait menacer de désintégration. La psychose battait son plein.

Le silence de ses grands parents.

J’aurais voulu l’entendre de la bouche de mes grands parents. Obtenir une bribe, ne serait-ce qu’une bribe, de ce qu’ils avaient ressenti face à une telle démonstration de force, une telle légitimation de la rage antisémite. J’ai entendu parler un peu, enfant, de la Garde de fer, de sa révolte, de la rafle de mon grand-père. Mais les mots étaient lisses. Les mots étaient vides. Les mots étaient prononcés d’un ton détaché. Ils plantaient le décor sans autre émotion. Une anecdote de plus. Sans plus mes grands-parents ont tous vécu, presque tout dit, mais c’est comme s’ils n’avaient rien senti.

La Shoa organisée par les Roumains (les moyens d’exécution sont insoutenables).

 Enfin la tuerie du camp de Bogdanovka reste une des plus impressionnantes de toute la Seconde Guerre mondiale. En fait de camp, il s’agissait encore de batteries de porcs délabrées ouverte à tous les vents. Mais comme le disait le commandant alors qu’il gelait à pierre fendre : « la paille c’est pour les cochons pas pour les youpins ! » la décision d’en finir avec les huit mille détenus juifs fut prise en décembre 1941.

Négation de la Shoa sous le régime communiste.

 Au delà des procès, la Roumanie communiste avait proscrit le mot « juif ». L’ethnologue Andrei Osteanu constate qu’à l’époque le terme a été éradiqué des romans comme des textes de sciences sociales. Sous prétexte de prendre le contre-pied de la littérature et de la presse d’avant-guerre, obsédées par le péril juif, le Parti refuse de nommer les juifs pour ne pas les stigmatiser. Mais ce faisant, il finit par les effacer. Et Andrei Osteanu de rappeler qu’en régime totalitaire, « si on en parle pas, c’est que ça n’existe pas ».

La situation de sa grand-mère à Paris.

 Les exilés romains riches ne la recevaient pas parce qu’elle avait été communiste. Les intellectuels français, non plus. Ils étaient tous de gauche dans les années 1960 et 1970. Ils considéraient les communistes qui avaient fui comme des traîtres ou des fascistes déguisés. Gabriela ne se sentait aucune affinité avec une quelconque diaspora juive. Immigrée et sans travail, il était difficile de s’intégrer à la bourgeoisie parisienne. Gabriela n’avait sa place nulle part

Le troc.

 L’argent, tout l’argent des familles roumaines qui voulaient s’enfuir, les douze mille dollars que mes grands-parents mettraient une vie à rembourser, avait servi à acheter des porcs. Des bataillons de porcs, des élevages entiers de porcs. Attention, pas n’importe quels porcs, des porcs de compétition, plus précieux, plus productifs, plus rentables que es citoyens qui quittaient le pays. Depuis la nuit des temps, ceux-là profitaient beaucoup et rapportaient peu : les juifs

Perec en 1981 dit ce que c’est être juif pour lui.

 « Je ne sais pas très précisément ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, qui ne me rattache à rien. Ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, ou à une pratique, à un folklore, à une langue. Ce serait plutôt un silence, une absence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude. Une certitude inquiète derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil. »

 


Édition Points

 

Le foot n’est pas une option. Le latin. Le grec, sont des options. Le foot c’est obligé. Si tu es un garçon. 

 

Il est des livres qui donnent immédiatement envie de lire tout ce qu’a écrit l’auteur. Pourquoi ? parce que j’ai lu avec un tel regret la dernière phrase du livre qui pourtant est une fin superbe à ce récit. Je sais que je peux relire encore une fois la trajectoire de ce personnage qui réalisera un de ses plus grands rêves : voir une fille à poil ! Mais j’aimerais aussi découvrir ce qu’il a écrit d’autre, pour voir si je retrouve le même plaisir.

Tout m’a plu dans ce récit , la naïveté de l’enfance, l’incompréhension du monde des adultes en particulier celui de ses parents, ses questions sur l’existence de Dieu, puis le mal-être de l’adolescence, son inadéquation au système scolaire.
Cet enfant, fils donc d’un professeur de lycée, sent que sa mère va mal, elle est souvent triste, et son père va passer du statut du Dieu qui sait tout à celui du père dépassé qui ne comprend pas ce fils qui lui même ne sait plus très bien ce qu’il veut. La naissance de son petit frère est compliqué pour lui, car il semble réussir là où lui ne fait que se poser des questions.
Une question qui revient à plusieurs reprises dans ce roman : Pourquoi Dieu a-t-il demandé à Abraham de tuer son fils ? Est ce que son père l’aurait, lui aussi, sacrifié si Dieu le lui demandait ?

Tout aussi important ou presque, comment devenir bon au foot, car à Saint-Étienne dans ces années là, le foot « ce n’était pas une option », c’est lui qui le dit. Il va y arriver, il va réussir aussi à ne plus croire en Dieu mais surtout il va réussir à approcher une fille, la plus belle du monde, même si elle ne porte pas de porte-jarretelles. Elle va surpasser les images de la Redoute et c’est tant mieux pour lui !

Évidemment, un tel roman ne tient que par le style : cet auteur est à la fois drôle et tendre et il sait raconter aussi bien l’insouciance de l’enfance que les tourments de l’adolescences. Je conseille à tous ceux (et à toutes celles) qui se sont ennuyés à 17 ans dans une ville de province, de lire les déambulations du personnage dans les rues de Saint -Étienne, je serai bien surprise qu’ils ne s’y reconnaissent pas.

 

 

Extraits

Début.

Quand j’étais enfant je trouvais tout normal. Ma mère m’enfermait régulièrement dans la cave dans le noir complet. Je trouvais ça normal.

Sympa.

Lina ma petite cousine me dépassait d’une tête. C’est une particularité des filles, je le découvrais : elles ont des cheveux longs, elles portent des jupes et des fois, elles sont plus grandes même quand elles sont plus jeunes. Les filles ne font rien comme tout le monde.

Les disques.

 Sur les disques de mes parents il y avait parfois un personnage qui avait l’air de revenir d’un enterrement, habillé en noir et qui ne rigolait pas. Sur les pochettes de Lina envoyer toujours des barbus colorés et des filles aux cheveux longs avec des foulards partout.

Les majuscules.

 Mon père m’aidait à faire mes devoirs. À ce moment là ça voulait dire faire des lignes d’écriture, pas toujours des trucs utiles, par exemple les lignes de k majuscules. Je ne connais aucun adulte capable d’exécuter correctement un k majuscule en cursive, et pour être honnête ça ne sert pas souvent.

Le désir de plaire à son père.

 Quand il m’expliquait je levai les yeux sur lui et je les ouvrais en grand, je voulais qu’il voie comme j’étais attentif. Je voulais qu’il reste là dans la chambre, avec moi, à m’expliquer. Je faisais tellement d’effort pour avoir l’air d’écouter ce que la plupart du temps je n’entendais rien de ce qu’il me disait.

Aller sur la lune.

 Quand Neil Armstrong met le pied sur la Lune en 69, je ne suis pas très impressionné. En fait des trouve ça assez normale je lis « Guy L’Éclair » depuis que je suis tout petit, j’ai toujours vécu au milieu des fusées, des Skorpies et des planètes lointaines. Je suis né dans un monde de science-fiction. La Nasa est très en retard sur moi.

Le mépris de son père pour les BD.

– Il faut lire des livres. Des vrais livres, pas ces âneries dessinées.
 Son mépris était aussi lisible que s’il avait arboré des peintures de guerre sur la figure. Qu’est-ce que je pouvais dire ? Cétait un excellent album en plus, « Les Pirates du désert ». Hubinon commençait à trouver son style, plus académique, mais aussi plus étrange, que ses modèles américains.
Des vrais livres. Évidemment, ce n’était pas compliqué, dans cette maison. Il y en avait partout. On pouvait se demander pourquoi je persistais à lire « Tif et Tondu » de préférence à Tolstoï.

Qu’est ce que tu vas devenir ?

 C’était une drôle de question. Je n’avais jamais pensé que j’étais censé devenir quelque chose. Le monde des adultes ne ressemblait pas à un avenir possible. Je ne pouvais pas devenir kiné, comme mon kiné ou pharmacien. Et surtout pas prof. Les adultes étaient une race à part. Leurs petites vies prosaïques et monotones, leur calvitie, leur embonpoint, leurs conversations creuses et répétitives, sur le temps pourri qu’on avait et que fait le gouvernement, ils ne faisaient pas envie.


Édition Philippe Rey

 

Il existe des prisons mentales, et rares sont les humains capables d’absorber tous les changements que leur impose la durée de leur existence

Quel plaisir de commencer l’année 2024 avec ce roman qui m’a absolument enchantée. Keisha avait raison ce roman est inoubliable et j’espère que nous serons nombreux à le lire.

L’auteur construit un roman sur les tourments d’un conservateur du musée du Louvre responsable entre autre de la salle où se trouve la Joconde. C’est un homme très cultivé mais qui ne s’impose ni en société, ni dans son couple. D’ailleurs sa femme va le quitter. Il est obligé par une femme directrice du Louvre au fort tempérament et résolument tourné vers le monde moderne, de participer à la restauration du tableau le plus célèbre du monde : La Joconde. Dans ce musée un homme responsable du ménage est aussi amoureux de ce tableau, on retrouve ce personnages par intermittence dans le roman. Cette restauration se passe sous les yeux du monde entier et le restaurateur italien Gaetano trouble tous les médias par ses audaces et sa liberté de ton.

Le plus important dans ce merveilleux roman ce n’est pas tant l’histoire que toutes les questions que posent la rénovation d’une oeuvre, le succès des musées, le monde médiatique contemporain. On peut voir à quel point ce livre m’a passionnée au nombre d’extraits que j’ai recopiés et encore je me suis un peu restreinte. Sous la plume de cet écrivain, dont le style est absolument parfait s’agite notre monde pour le meilleur et le pire, il s’amuse souvent, il s’attriste parfois mais surtout il a su intéresser la néophyte que je suis aux techniques de rénovation de tableaux et à toutes les questions que cela pose. Comme souvent, quand on est avec un être d’exception, cet homme d’une érudition époustouflante rend tous les problèmes techniques compréhensibles et partage sa culture de façon très simple. J’ai noté un ou deux mots que je ne connaissais pas et que j’ai eu plaisir à apprendre, mais sans doute vais-je (hélas !) les oublier.

J’ai aimé aussi le fil narratif mais sans doute un peu moins que l’immersion dans cet immense musée du Louvre, le personnage d’Homéro l’homme de ménage amoureux de Mona Lisa m’a moins convaincue mais c’est juste une toute petite remarque même pas un bémol . Lisez-le vous aussi et vous verrez un monde tableaux s’ouvrir devant vos yeux émerveillés.

PS j’ai recherché sur Internet tous les tableaux dont il était question et je me suis rendu compte à chaque fois que l’auteur en parlait, il savait me les rendre encore plus intéressants, grâce à ses descriptions et à ce qu’il sait voir dans les tableaux en dehors des jugements trop rapides sur les premières impressions de beauté ou parfois (pour moi) d’ennui.

 

Extraits

 

Début du prologue (j’ai adoré tout de suite)

 Il a réduit la peinture à sa stricte matière, à sa quintessence, à ses deux dimensions : un mince film coloré aussi fragile que l’aile d’un papillon, un agglutinat de pigments et de liants fin comme une peau humaine, si fin qu’il a pu admirer le dessin au travers. Cette membrane gigantesque, il l’a séparée du panneau de bois pulvérulent qui lui servait de support, au prix d’une patience infinie, puis il l’a marouflée sur un châssis entoilé d’un coutil au point serré. Il aimerait qu’on fasse ainsi de son âme, qu’on la détache de sa vieille carcasse fatiguée pour l’arrimer à un corps neuf et vaillant. Qu’on lui donne la vie éternelle.

Internet et les musées.

 Enfin, la mise à disposition sur Internet de l’intégralité de la collection de peinture en très haute définition, dans la lignée du Met, de la National Gallery et du Rijksmuseum constituait à terme une menace sur la fréquentation. Cette initiative honorable avait largement dépassé l’engouement prévu ; d’innombrables start-up s’étaient jetées sur ces bases de données pour proposer des visites virtuelles ultraréalistes compatibles avec la nouvelle génération de lunettes 3D. À quoi bon se coltiner la foule, le bruit et les odeurs quand on pouvait déambuler dans les salles rouges sans quitter le confort de son canapé ?

Le cœur du roman.

 La Joconde. Vous connaissez ses traits par cœur, avait repris Léa une voix douce. Vous pouvez fermer les yeux et la ressusciter à l’envi, tant vous avez y été exposés, tant l’œuvre a imprimé votre mémoire de sa trace indélébile. Pourtant vous tous ici savez que cette vision est dégradée par les outrages du temps. Les vernis oxydés et jaunis ont déréglé ses contrastes opacifiant le portrait qui année après année s’enfonce un peu plus dans la pénombre. Je ne vous apprends rien, dit-elle en regardant spécifiquement Aurélien, Mona Lisa baigne dans une marée verdâtre.

 Le beau.

 Ici on adhérait à l’idée kantienne de la beauté celle qui relie l’individu au reste de l’humanité dans une conviction partagée. On soutenait qu’il y avait, dans cette reconnaissance commune du beau, le prélude nécessaire à la société. Bien sûr on admettait l’émotion particulière, le délicieux sentiment de trouver beau en secret. Évidemment, on ne pouvait pas être touchés par les même chose au même moment, évidemment, la beauté est dans les yeux de celui qui la regarde, évidemment, les goûts et les couleurs, mais quand même, on pouvait s’accorder de temps en temps pour dire d’une seule voix le beau. Pour la mère d’Aurélien, le refuser conduisait à la ruine de notre monde.

Le métier de restaurateur.

 On a tout fait pour faire entrer le restaurateur dans la catégorie des artisans, pour l’éloigner de toute prétention artistique, contrôler ses procédés, le former, l’éduquer, le soumettre aux lois de la concurrence, pour limiter son pouvoir, restreindre ses libertés. Pourquoi ? Car vous imaginez bien que la confrontation entre deux artistes est dangereuse surtout lorsqu’ils partagent la même œuvre ! Entre celui qui lui donne vie et celui qui la prolonge, et lui offre, pour ainsi dire l’éternité… l’un aurait vite fait de se figurer l’égal de l’autre …

Les marqueurs de droite.

 Il enfila un pyjama. C’était de plus en plus difficile d’en trouver, mais il aimait à dormir avec de la tenue. Claire voyait en cette habitude le signe qu’au fond, Aurélien était de droite. Ils avaient parfois ce débat et Claire qui se considérait de gauche, cela ne faisait aucun doute pour elle, avait une idée très nette de ce qui était de droite et de ce qui était de gauche. Le pyjama pour les hommes était un marqueur incontestable d’appartenir aux valeurs de la droite.

Un nouveau mot pour moi « anadyomène » (sortant de l’eau)

 Nimbée de la lumière ambrée de cette fin de journée, elle apparut à Aurélien dans la fraîche nudité d’une déesse anadyomène, une déesse qui tenait d’avantage des onctueuses naïades de Rubens que de la vénus gracile de Botticelli.

Encore un nouveau mot.

Pégueuse (collant et visqueux)
 Sur l’image plastifié et pégueuse, d’un noir et blanc contrasté, on distinguait l’artiste non plus mourant, mais endormi paisiblement dans ce qui avait tout l’air d’une sieste, en compagnie d’une jeune femme tendrement blottie sur son épaule.

Copiste ou faussaire ?

 Suivant son intuition, aidé par les avancées des techniques de capture et d’impression 3D, il avait cherché à émuler l’épaisseur de la matière, à reproduire les creux et les remblais façonnés par le pinceau qui disent si bien l’énergie de l’artiste et que l’on appelle la touche. Après de nombreuses nuits blanches, il y était parvenu et, dans les cercles d’initiés, il avait rencontré un certain succès.
 Le corollaire de cette activité, c’est qu’elle avait rangé Vadim du côté obscur de la Peinture, avec les marchands, les intermédiaires et les responsables de ports francs. En termes d’image, ce n’était pas terrible, les gens sont suspicieux, entre copistes et faussaires la frontière est ténue…

Le côté versatile des passions dans les médias.

 Les prévisions de Mckinsey se vérifièrent en tout point. Au bout de quelques semaines, saturée de sfumato et de théories de la restauration, l’opinion publique se désintéressa du sujet pour épouser de nouveau les arlésiennes de la chocolatine est du voile islamique.

L’absurdité des polémiques.

 Un groupe d’universitaires américains rédigea une tribune dans le Huffington Post pour demander l’arrêt de la restauration. À leurs yeux, alléger les vernis dissimulait l’intention raciste d’éclaircir la peau du modèle pour le rendre conforme à un idéal occidental caucasien. La marque du temps avait eu ce bénéfice de rapprocher la couleur de Mona-Lisa de celle de la moyenne de l’humanité et, toujours selon l’article, il fallait y voir là la raison de son immense popularité. Ainsi la Joconde était universelle. Éclaircir son teint était comparable à faire la promotion de ces produits de blanchiment pour la peau ; ce n’était pas l’exemple que l’on voulait donner aux jeunes générations.

Quand un couple va mal.

 Pas de mensonges à gober, d’histoires alambiquées, pas de clients tyranniques, de boss autocratique, de comex de dernière minute, pas de séminaire en Camargue ou de copines à consoler sur le point d’en terminer. Pas de regards en biais qui n’osent plus se croiser de peur que la vérité immense, cette gigantesque baudruche planant au-dessus de leur tête qu’il feignait consciencieusement d’ignorer, n’éclate accidentellement.


Édition Taillandier

 

Je connaissais cet auteur à travers des articles à propos de l’Algérie, j’ai été passionnée par son effort de mémoire et le récit qu’il nous livre sur son passé. Il a douze ans quand, avec ses parents en 1962, il doit quitter Constantine car l’Algérie indépendante ne semble pas vouloir faire de la place aux différentes minorités religieuses, alors que la famille de Benjamin Stora vient d’une famille juive qui est présente en Algérie dans ce pays depuis deux millénaires.

Il raconte très bien le déchirement de ses parents qui se ne se retrouvent pas sous l’appellation « pieds noirs », et doivent supporter le mépris des Français plus ou moins de gauche contre ces gens-là qui devaient être tous des riches : colons exploiteurs de pauvres algériens. L’enfant fera tout ce qu’il peut pour cacher son origine, surtout que la première année, comme il vit dans un garage dans le XVI° arrondissement, il fréquente le lycée Janson de Sailly et l’antisémitisme est encore très présent chez les bourgeois de ce quartier . La famille obtiendra un logement HLM à Sartrouville et le petit Benjamin découvrira le monde ouvrier et la chaleur des copains tous encadrés par des animateurs communistes avec qui il se plaît bien mais à qui il cache encore une fois ses origines pour ne pas être considéré comme « colonisateur » .
Ses parents sont malheureux car ils se sentent trahis et la chaleur de la famille leur manque beaucoup. Ce sont des gens courageux son père a repris une carrière de courtier d’assurance à 50 ans, et sa mère travaille comme ouvrière chez Peugeot.

Benjamin grandit, peu à peu se politise et il trouve dans le mouvement trotskyste l’idéologie qui lui convient le mieux. Enfin, ses études lui permettront de retrouver son identité grâce à sa recherche universitaire sur la guerre d’Algérie. Sa thèse sur le MNA de Messali Hadj lui permettront de revivre et de mieux comprendre la guerre d’Algérie, du côté d’une minorité que le FLN a exterminée. Le jeune étudiant sera passionné par les études historiques et il est très reconnaissant à ses professeure qu’il a trouvés remarquables. Mais ce ne sont pas ses études qui lui permettront de renoncer à son idéologie mais plutôt le fait que, peu à peu, il retrouve son identité et qu’il perd le sentiment de honte qui l’avait obligé à refouler sa judéité.

C’est une période que j’ai bien connue et je me suis beaucoup retrouvée dans ce qu’il raconte sur la politisation de la jeunesse de cette époque . C’est un des aspect passionnant de cette biographie, mais l’essentiel n’est pas là mais sur l’appartenance à une identité qu’on veuille en sortir ou non. Mais ce qui m’a le plus interrogée c’est le rôle et l’importance de l’historien. Est ce qu’un témoin est le mieux placé pour écrire sur cette période historique ? Toutes ces questions Benjamin Stora se les pose et nous avec lui.

 

 

Extraits

Début.

J’avais presque douze ans. L’âge où l’on vous autorise parfois, exceptionnellement, à assister aux conversations entre adultes. L’âge où l’on imagine tout comprendre du monde des grands. L’âge où, en réalité, on en saisit à peine quelques bribes… et encore.

Son adolescence.

 Mon adolescence a d’abord été marquée par la volonté d’une dissimulation entretenue, affirmée. Après le départ de juin 1962, j’ai caché mon histoire algérienne, parce qu’il m’est très vite apparu que nous étions du mauvais côté de l’histoire française. Tout n’était pas encore très clair dans mon esprit d’enfant, mais je sentais confusément que nous étions étiquetés dans le camp des « colons » et des exploiteurs (malgré le fait que nous habitions un petit appartement d’à peine cinquante mètre carrés et que mon père travaillait tous les jours dans sa petite boutique pour vendre de la semoule). Longtemps j’ai été contraint de vivre dans la dissimulation, voire dans l’absence d’histoires algériennes. Quelques années plus tard, j’ai découvert les grands appartements et des maisons particulières de mes camarades militants révolutionnaires français qui regardaient tous les pieds noirs comme des « colons  » et qui se lançaient dans d’interminables tirades « contre le colonialisme en Algérie et l’impérialisme américain ».

Intéressant.

 De plus, la plupart des révolutionnaires russes de 1917 étaient d’origine juive. Les trois-quarts du comité central, les Zinoviev, Kamenev, Rakovski l’étaient. D’un coup sans que je l’aie particulièrement recherché, j’entrais dans un processus d’identification. Je m’ouvrais au monde sans pour autant renier mes origines. C’était comme une forme de généalogie retrouvée. Un réenracinement. La révolution russe m’offrait de surcroît une passerelle extraordinaire vers le monde de l’Est. J’étais fier d’entrer dans une culture portées par des Juifs révolutionnaires, les austro-marxistes inspirés par les grands théoriciens comme Rosa Luxemburg ou Otto Bauer. Ce dernier expliquait qu’à l’intérieur de l’Empire, toutes les minorités doivent être respectées et traitées à égalité y compris les minorités religieuses.

Questions tellement importantes.

 Dans quelle mesure peut-on légiférer sur la mémoire, le pardon, la réconciliation ? Faut-il défendre un droit à l’oubli, et qu’en est-il dès lors d’un droit à la mémoire ? Quels rôles peuvent jouer les lois incitant à reconnaître des crimes passés, dans la protection et la promotion des droits de l’homme ? Autant de questions qui envahissent le champ culturel, politique, médiatique et dépassent, de loin la seule compétence des historiens.

 

 

 

Édition l’iconoclaste

 

Un vrai roman comme je les aime, je suis complètement partie dans cette histoire au point où j’ai dû vérifier si Michelangelo Vitaliani avait vraiment existé, car l’auteur mélange si bien la fiction avec l’Histoire qui a secoué l’Italie au Vingtième siècle que c’est compliqué de faire la part entre le réel et son son imagination. Une petite réserve sur la longueur du roman et le côté invraisemblable de cette histoire d’amour.

Nous sommes avec un homme qui va mourir, il longtemps vécu et terminé sa vie en 1986, dans un couvent . Le père responsable de ce couvent, Vicenzo, est aussi le gardien d’un très lourd secret que le romancier mettra du temps (trop peut-être ?) à nous dévoiler. La chronologie est quelque peu bousculée mais nous suivrons l’enfance misérable de Mimo que sa mère a confié en 1916 à un individu sans coeur Zio. Le père de Mimo était sculpteur et Zio aussi . Le roman se situe en Ligurie dans un village Pietra d’Alba.

De ce lieu, le romancier met en lumière les oppositions de l’Italie de cette époque. La famille noble, les Orsini, qui ont un château et les pauvres comme Zio et les deux enfants dont il a hérité, bien malgré lui ,de la charge. Alinéa (Vittorio) et Mimo.

Celui-ci va s’avérer un artiste de grand talent, cela nous vaut de très belles pages sur la création artistique d’un sculpteur. Dans ce petit village, il va faire la connaissance de Viola la cadette des Orsini, le destin de ces deux enfants est intimement lié, ils découvrent qu’ils sont nés le même jour et se déclarent jumeaux cosmiques. Viola est une enfant surdouée qui retient tout ce qu’elle lit et veut devenir une savante. Un jour elle grandira pour devenir une très belle jeune femme mais pas Mimo qui est atteint de achondroplasie c’est à dire qu’il ne fera jamais plus d’un mètre quarante.

C’est un roman touffu, il s’y passe beaucoup d’évènements liés à l’histoire de l’Italie. La montée du fascisme est bien rendu, car si Mimo ne s’occupe pas de politique, il en est un témoin privilégié. La famille Orsini est toujours aux manettes du pouvoir et manipule tout le monde, les deux frères de Viola, le brutal fasciste qui a su retourner sa veste juste à temps et le prélat à l’air si doux tiennent dans leurs mains le destin de Mimo et Viola. L’amour de Mimo pour Viola est impossible mais également très beau. Elle sera victime de sa beauté, de sa richesse et surtout de son intelligence, ce roman décrit bien la condition des femmes de cette classe en Italie à cette époque. C’est un roman à la gloire des femmes italiennes et à leur courage, la révélation finale en est un superbe symbole.

Tout au long du roman on parle aussi de ce que Vicenzo doit garder bien caché dans des souterrains sous son église, je peux vous le dire, car on le sait assez vite, il s’agit d’une sculpture de Mimo, mais on ne sait qu’à la toute dernière page (ou presque) pourquoi il fallait la dissimuler à tous les regards.

J’ai passé des heures merveilleuses avec ce roman et j’ai beaucoup regardé la Pieta de Michelangelo et consulté Wikipédia pour vérifier les faits historiques. Si vous ne l’avez pas encore fait lisez le vite, dépaysement garanti. Mais sachez quand même qu’Athalie a beaucoup plus de réserves que moi et et que « mot à mot » est bien d’accord avec elle.

 

 

 

 

Extraits

 

Début.

 Ils sont trente-deux. Trente-deux à habiter encore l’abbaye en ce jour d’automne 1986, au bout d’une route à faire pâlir ceux qui l’empruntent. En mille ans rien n’a changé. Ni la raideur de la voie ni son vertige. Trente-deux cœurs solides -il faut l’être quand on vit perché au bord du vide-, trente-deux corps qui le furent aussi dans leur jeunesse. Dans quelques heures, ils seront un de moins.

Le marbre et la sculpture.

 Il fronça les sourcils. Son regard alla du marbre à moi, de moi au marbre, puis il écarquilla les yeux. – Oh non, non. non Mimo. Zio va te tuer il y a un chefs-d’œuvre dans ce bloc.
– Je sais. Je le vois.
(Et 10 jours plus tard)
 Je ne me relevais pas aussitôt admirant l’ours, qui se dressait au dessus de moi. Il émergeait du bloc de marbre à mi-hauteur, une patte appuyée sur la pierre comme pour s’en arracher, l’autre tendue vers le ciel. Sa gueule pointait aussi, ouverte en un grognement que sa tête légèrement penchée, rendait moins menaçant. Je n’avais sculpté que la moitié supérieure du bloc, à partir de la taille, de plus en plus en détails. Si bien que l’œil du spectateur, partant du bas du socle jusqu’au sommet du museau, entreprenait un voyage de la brutalité à la délicatesse, de l’immobilité vers le mouvement. On dira ce qu’on veut de mon travail, mais je crois qu’il y avait là quelque chose du divin, dans cette genèse de marbre qui n’était d’abord rien, un condensé d’angles et de néant, puis se brisant, donnait naissance dans un jaillissement de blancheur à un monde violent, tendre, tourmenté une oursonne abandonnée qui en saluait une autre.

L’Italie.

 Ce n’est pas pour rien qu’un Italien, Mercalli, donna son nom à une échelle de destruction, celle de l’intensité des tremblements de terre. Une main démolit ce que l’autre a bâti, et l’émotion est la même.
 l’Italie, royaume de marbre et d’ordures. Mon pays

Jolie façon de raconter.

 Je dois beaucoup aux femmes dite « perdues », et mon oncle Alberto était le fils de l’une d’elles. Une fille courageuse qui se couchait sous les hommes, au pont de Gênes, sans colère ni honte. C’était la seule personne dont mon oncle parlait avec respect, une ferveur confinant à la vénération

L’après guerre en Italie.

 Les nations victorieuses se disputaient la charogne des vaincus. Les tensions de l’année passée se répandaient comme une peste dans tout le pays, obéissant au schéma précis dont j’avais été témoin : revendication de justice suivies d’une répression impitoyable par des groupes à la solde des tout jeunes Faisceaux italiens de combat, créés par un ancien socialiste à Milan.

Un moment d’humour (il n’y en a pas beaucoup).

-J’ai bientôt seize ans. Et je ne vole toujours pas. Je ne serai jamais Marie Curue.
– Quelle importance ? Tu es toi Viola, et c’est beaucoup mieux.
Viola leva les yeux au ciel et sortit sans prendre la peine de refermer la porte de la grange, nous laissant spéculer dur les,énigmatiques vertus du mystérieux Maricuri.

L’arrivée de Mussolini au pouvoir.

 Le 28 octobre de cette année-là, les plus forts d’entre eux, fascistes, squadristes, anciens partisans tentèrent leur chance. Une bande dépareillée marcha sur Rome, bien décidée à intimider le gouvernement en place. Malgré leur succès à réprimer les émeutes socialistes, dont j’avais été témoin, ils étaient mal armés, hésitants et, surtout peu sûrs de leur coup. Tellement peu sûrs que leur courageux chef Mussolini, tremblant dans ces pantalons bouffants d’ancien socialiste et de futur dictateur avait préféré rester à Milan. Il avait jugé plus prudent de ne pas rejoindre la marche, pour pouvoir décamper en Suisse au cas où les choses tourneraient mal. L’ère était à la lâcheté. Et parce que L’ère était à la lâcheté, le gouvernement puis le roi décidèrent de laisser faire au lieu d’envoyer l’armée, pourtant prête à agir. Le planqué de Milan se retrouva du jour au lendemain à la tête du gouvernement ce dont il fut le premier surpris.

 


Édition Folio

Faute de réparer, écrire c’est rétablir. C’est rendre dicible ce que l’on pense, ce que l’on ressent, ce que l’on est. 

 

Quel plaisir de rencontrer à nouveau cet auteur qui m’a si souvent enchantée à travers ses récits . Sur Luocine vous ne trouverez que « Homo Erectus », « Romanesque » qui m’avait un peu étonnée et la BD « le guide mondial des records » , parce que tous les autres je les ai lus avant Luocine.

Il était temps que je connaisse un peu mieux sa vie et d’où lui vient cette extraordinaire faculté de m’embarquer dans ses histoires. Je me doutais bien qu’il était d’origine italienne mais pour le reste … Ses parents sont d’une tristesse infinie, son père alcoolique et sa mère profondément malheureuse de vivre en France n’ont pas su donner du bonheur à leurs enfants. En revanche ce juron italien, « Porca Misera » que l’on peut traduire par « putain de vie » ou « chienne de vie », il a l’impression de l’avoir entendu à longueur de journée dès le réveil de son père. En plus Tonino est le dernier enfant, né bien après les autres, il n’a donc pas vécu avec la fratrie qui aurait pu égayer ses journées. Le plus surprenant pour moi c’est qu’il n’aimait pas lire alors qu’il le dit lui-même cela lui aurait permis de s’évader de cet univers gris et même souvent très noir ! Il n’empêche que lorsqu’il s’accroche à la lecture de Maupassant « Une vie » il comprend bien mieux que n’importe quel analyste distingué le drame de Jeanne ! Cet enfant qui a adopté la langue française, alors que ses parent n’ont fait que « subir » la vie en France, a su lui rendre un grand hommage. J’ai aimé aussi ce qu’il raconte de ses voisins qui sont d’une si grande gentillesse avec lui et toute sa famille ce qui l’empêchera toujours de penser que les Français sont racistes

 

Son art à lui, c’est d’inventer des histoires, trouver des personnages et de les faire vivre, il ne puise pas dans les livres ses intrigues et ses caractères mais dans le sens de l’observation des autres. J’ai été contente de mieux le connaître et j’ai souffert avec lui lorsqu’il a connu une période de dépression doublée d’agoraphobie sévère. On comprend mieux en lisant ce livre pourquoi tous ses personnages ont des des fêlures énormes et restent toujours humains. Benaquista, c’est un rire un peu triste en connaissant mieux sa vie on se dit qu’il aurait pu être tragique. Mais c’est avant tout un conteur prodigieux.

Citations

Début du livre.

Je revois mon père à table, lancé dans une litanie haineuse contre la terre entière, pendant que nous ses enfants, attendons qu’il boive son dernier verre. Parce qu’il l’a rempli à ras bord, il procède sans la main, et le voilà penché, les lèvres posées sur le rebord du verre pour en espérer la première gorgée, puis il le vide d’un trait. Il entreprend alors un périlleux parcours vers son lit, seul. ou soutenu par ma mère les soirs ou il a forcé la dose.

L’inspiration d’un écrivain.

 En proie aux plaisir risqué de la réminiscence, je peux rester des heures dans cet immense labyrinthe sans savoir où il va me conduire. J’y éprouve le sentiment illusoire mais plaisant de n’avoir rien oublié de la multitude d’interactions humaines qui me constituent comme une mosaïque. C’est dans cet aéropage que je puise pour créer les personnages de fiction, volant à celui-ci un détail physique, à celle-là un trait de caractère, que j’agrège selon mes besoins et mes envies.

Pour moi cette phrase exprimé la richesse de cet auteur.

 Aujourd’hui encore, sur l’idée de culture, j’envie ceux qui savent si bien séparer le bon grain de l’ivraie. J’en suis toujours incapable.

La télévision.

 J’entends dire que la télévision a pour vocation d’informer, d’instruire et de divertir. J’en vois une autre bien plus précieuse : le soir elle crée un bruit de fond qui couvre les ressassements comme elle offre un point de mire qui nous évite de croiser les regards à table. Elle vit, s’exprime, donne à voir. Elle est la quatrième présence.

On retrouve bien là l’auteur, nous sommes en 1968.

 Un graffiti sur un mur du réfectoire me rappelle chaque jour que si je ne m’occupe pas de politique, la politique s’occupe de moi. Autant d’injonctions produisent sur moi l’effet opposé : une méfiance à vie pour toute pensée dogmatique.

L’épisode du chien qui l’a mordu.

 J’ai laissé la sidération m’envahit, il a senti la peur monter en moi, comme son maître a senti d’instinct qu’il aurait le dessus sur mon père, il l’a lu dans ses yeux.
Faute de réparer, écrire c’est rétablir. C’est rendre dicible ce que l’on pense, ce que l’on ressent ce que l’on est.


Édition livre de poche.

Traduit de l’allemand par Alzir Hella

Et voici ma septième et dernière participation au mois « les feuilles allemandes » 2023, organisé par Eva et de livr’escapade

Versailles, conçu par Louis XIV comme « le forum maximum » de l’Europe devient sous Louis XV un simple théâtre d’amateur le plus artistique et le plus coûteux, il est vrai, que le monde ait jamais connu.

C’est le deuxième titre sur Luocine de ce grand auteur, après « Le joueur d’échec » voici sa biographie de Marie- Antoinette. Je dois cette lecture à ma plongée dans le travail fort intéressant de François Furet et Mona Ozoouf qui ont, ensemble, rédigé un dictionnaire de la Révolution français. À la rubrique Marie Antoinette, ces auteurs suggéraient la lecture de Stefan Zweig, je me suis empressée de suivre leur conseil. Une véritable révélation pour moi. Je me souviens qu’au lycée on m’avait conseillé cette lecture, mais le personnage de Marie-Antoinette me semblait tellement futile que je n’avais pas eu envie de lire cette biographie. Quelle erreur !
Ce livre est une somme de documentations incroyable et pourtant, n’est jamais ennuyeux. Il décrit très bien le gouffre qui sépare l’aristocratie du peuple. Celui-ci est soumis à un pouvoir qu’il respecte mais dans ce gouffre énorme où tant d’injustices fermentent, ces nobles oisifs, mesquins et avides sont bien incapables de ressentir les débuts d’une envie de changement puis d’une envie de révolte.
Marie-Antoinette a 15 ans quand elle arrive en France pour être mariée à un Louis XVI incapable dans un premier temps de consommer son mariage puis qui se révèle un homme indécis sans grande envergure. Il n’a qu’une envie qu’on le laisse tranquille et qu’on ne lui demande aucune décision compliquée. Hélas les caisses de l’état sont vides, et les dépenses incroyables de son épouse n’y sont pas pour rien. On connaît la suite, la convocation des États Généraux puis la révolution et ses excès.

Marie-Antoinette ne comprendra que très tardivement le rôle qu’elle aurait pu jouer. De la jeune femme adulée à qui on pardonnait tout il ne reste au moment de sa mort qu’une Autrichienne que l’on accuse des pires vilénies. (Elle sera accusée à son procès d’avoir eu des relations coupables avec son fils.)

Tout cela on le sait mais ce qui rend ce livre passionnant ce sont tous les portraits des gens qui ont entouré et souvent tellement profité de cette femme qui aimait tant s’amuser. Le portrait des nobles est sans concession et le futur Roi Louis XVIII est celui d’un arriviste qui n’a pas levé le petit doigt pour sauver son frère. La cour est remplie d’incapables qui ne pensent qu’à se hausser du col et à se nuire entre eux.
Malheureusement, le roi, qui est incapable de décisions et qui n’aspire qu’à la paix ne sait que faire de Versailles créé par Louis XIV. Lui, ce grand roi, avait réuni autour de lui tous les beaux esprits de son temps, déjà, Louis XV préférait ses plaisirs à tout ce décorum pesant. Mais son petit fils est porteur d’une fonction et d’un rôle qui ne lui va pas. Le rôle de Marie Antoinette aurait dû rester secondaire si son époux avait tenu le sien. Si elle a tant cristallisé les haines du peuple c’est que son côté futile était insupportable à une population réduite à la disette.
Stefan Zweig raconte bien aussi son amour pour le beau suédois Fersen, les lettres qui ont été retrouvées de leur relation épistolaire ne laissent aucun doute sur leurs sentiments.
En lisant cette biographie, l’été dernier, je me demandais s’il n’y avait pas un parallèle à faire entre cette période et la nôtre . Les classes populaires aujourd’hui, ne se sentent plus représentées par les gouvernants et comprennent des mouvements qui prônent la violence. Ce n’est pas rassurant !

 

 

Extraits

Les préparations du mariage.

 Au cours d’innombrables conférences des deux côtés du Rhin on pèse et discute d’épineuses et doctorales questions, comme celles-ci par exemple : quel nom sera cité le premier dans le contrat de mariage celui de l’impératrice d’Autriche ou du roi de France ? qui apposera le premier sa signature ? quels présents seront offerts ? quelle dot sera stipulée ? qui accompagnera la fiancée ? qui la recevra ? combien de gentilhommes, de dames d’honneur, d’officiers de garde, de premières et deuxièmes caméristes de coiffeurs, de confesseur, de médecins, de scribes, de secrétaires et de lingères doivent faire partie du cortège nuptial d’une archiduchesse d’Autriche jusqu’à la frontière, et ensuite d’une héritière du trône de France de la frontière jusqu’à Versailles ?
(…..) Et si un ordre royal n’avait pas fixé à l’avance de date précise, les gardiens français et autrichiens du cérémonial ne seraient même pas d’accord aujourd’hui encore sur la forme « exacte » du mariage ; et il n’y aurait pas eu de Marie-Antoinette, ni peut-être de Révolution française !

L’héritage de Louis XIV.

 Mais la force créatrice ne reste attachée à celui qu’elle veut combler ; la couronne seule est héréditaire, il n’en est pas de même de la puissance et de la majesté. Louis XV et Louis XVI héritiers de l’immense palais et d’un un état assis sur de vastes bases, sont des âmes étroites, faibles ou jouisseuses, rien moins que créatrices.

Le changement dû au succès.

 L’impression profondes qu’a faite sur Marie-Antoinette l’accueil parisien a changé quelque chose en elle. L’admiration renforce toujours l’assurance. Une jeune femme à qui des milliers d’hommes ont confirmé qu’elle est belle embellit encore dans la certitude de sa beauté ; il en va ainsi de cette fillette intimidée qui jusqu’ici s’était toujours sentie étrangère et inutile à Versailles

Marie Antoinette, Reine.

 Être reine pour Marie-Antoinette, c’est pendant les années d’insouciance être la femme la plus admirée, la plus coquette, la mieux parée, la plus adulée et avant tout la plus gaie de la cour ; c’est être l’arbitre des élégances, celle qui donne le ton à cette société aristocratique extrêmement raffinée qu’elle prend pour l’univers.

Lanceuse de mode.

 Les troubles dans le pays, les discussions avec le parlement, la guerre avec l’Angleterre émeuvent bien moins cette cour vaniteuse que le nouveau brun puce mis à la mode par Mlle Bertin, qu’un tour particulièrement hardi donné à la jupe à paniers, ou que la nuance d’une soirie nouvelle créée à Lyon. Toute dame qui se respecte se sent obligée de suivre pas à pas ces singeries et extravagances, et un mari dit en soupirant : « Jamais les femmes de France n’avaient dépensé tant d’argent pour se faire ridicules ».

Le prix du naturel.

 Bien entendu, Marie Antoinette elle aussi veut un paysage « innocent ». Elle réunit donc les artistes les meilleurs, les plus raffinés l’époque, afin qu’ils s’ingénient à force d’artifices, à lui créer un jardin supra- naturel.

L’accouchement de la reine.

 Car selon la coutume séculaire et consacrée l’accouchement d’une reine de France n’est nullement quelque chose de privé ; cette épreuve douloureuse doit se dérouler d’après des règles immémoriales en présence des princes et princesses et sous le contrôle de la cour. Tous les membres de la famille royale, ainsi qu’un grand nombre de hauts dignitaires, ont le droit d’assister à la délivrance dans la chambre même de la femme en couches et aucun d’eux, bien entendu, ne songe le moins du monde à renoncer à ce privilège barbare et anti hygiénique.

Peu de considération pour les nobles qui ont soutenu la révolution.

 La reine n’a-t-elle pas lieu de se méfier, quand elle voit que ce sont justement les plus endettés et les plus discrédités parmi les aristocrates, les plus corrompus, tels Mirabeau et Talleyrand qui les premiers sentent leur cœur battre pour la liberté ? Comment Marie-Antoinette pourrait-elle imaginer que la Révolution soit une chose honnête et morale, quand elle voit l’avare et cupide duc d’Orléans, prêt à toutes les affaires malpropres s’enthousiasmer pour cette nouvelle fraternité ? Quand le favori de l’Assemblée nationale est Mirabeau, ce disciple de l’Arétin tant par la corruption que par la littérature obscène, cette lie de la noblesse qui après avoir fait toutes les prisons de France pour enlèvement et autres histoires louches a ensuite vécu d’espionnage ?

 

La fuite à Varenne :

(Stefan Zweig n’a vraiment aucune considération pour le roi.)

 La reine s’est assise sur une chaise et a baissé sa voilette ; personne ne pourra se vanter d’avoir vu sa colère et son amertume. Seul le roi, tout de suite à l’aise, se met tranquillement à table et se taille de bons morceaux de fromage. Personne ne parle.

Édition Gallimard NRF. Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary

 

Ce livre ne reçoit que d’excellentes critiques, Dominique en a parlé avec enthousiasme et comme cet auteur m’avait enchanté avec Olga et le « Liseur » je savais que je lirai celui-ci. Il a évidemment toute sa place dans le mois consacré à la littérature allemande.

(Ma sixième participation pour l’année 2023)organisé par Eva et de livr’escapade 

Dans les deux précédents romans que j’ai lus de Bernhard Shlink, j’ai apprécié son regard intransigeant et lucide sur le passé de son pays. Nous sommes dans le présent avec « la petite fille ». Kaspar, fils de pasteur, fait ses études à Berlin en 1965, il est libre de fréquenter le milieu universitaire de l’est (l’inverse n’était pas possible : les étudiants de Berlin Est n’étaient pas libres de leurs mouvements) il fait la connaissance de Birgit dont il tombe amoureux et qu’il va aider à passer à l’ouest.

Le roman débute par la mort de Brigit, femme dépressive et alcoolique. Kaspar est désespéré, il retrouve les carnets de sa femme qu’il lit. Dans cette autre partie nous apprenons le lourd secret de Brigit : elle a eu un enfant d’un homme qui l’a abandonnée avant la naissance du bébé pour ensuite lui demander qu’elle lui donne ce bébé car il ne peut pas avoir d’enfant avec sa femme. Brigit refuse et demande à sa meilleure amie de laisser son bébé sur le parvis d’une église. Toute sa vie, cet abandon lui pèsera et expliquera sa neurasthénie et son alcoolisme.

La deuxième partie ainsi que la troisième sont consacrés à Sigrun la petite fille de Brigit et dont Kaspar voudrait être le grand père.

Chaque partie du roman nous permet de cerner un aspect de l’Allemagne contemporaine : l’Allemagne de l’est et le déséquilibre des anciens de l’Est qui ont bien du mal à s’adapter dans un pays qui ne reconnaît aucune des valeurs qui les ont construits dans une autre vie. Puis nous voyons les errances de leurs enfants qui cherchent à s’opposer à leurs parents en retrouvant des mouvements violents et, évidemment, le plus interdit en Allemagne  : le mouvement néo-Nazi. Pour finalement s’incarner dans un vieux parti le « völkisch » pas très loin des idées Nazi. Il prône la fierté d’être allemand, le retour à la terre, nie les atrocités du Nazisme en particulier la Shoa : Hitler ne voulait que la paix !

Dans un premier temps, toute la difficulté de Kaspar est de maintenir un lien avec cette petite fille, sans heurter les idées de ses parents, il va y arriver grâce à la musique qui ouvrira un nouveau monde à cette petite fille très douée, elle découvre, grâce à son grand père, le piano. Une très belle scène : le grand père lui fait écouter différentes musiques et la met au défit de reconnaître celle des compositeurs allemands ou étrangers. Leur rapport seront interrompus car les parents se méfient de son influence.

Quelques années plus tard, une catastrophe va arriver, liée à la révolte de Sigrun, sa violence l’entrainera trop loin. On espère quand on referme ce roman que la musique continuera à sauver la jeune Sigrun dans l’ailleurs qu’elle s’est choisie .

Un excellent roman !

Citations

 

La jeunesse de Kaspar.

 Il a vécu jusque là dans une rhénanie tranquillement catholique. Son père était un pasteur protestant ; Kaspar avait grandi avec Luther et Bach et Zinzendorf, et pendant les vacances chez ses grands parents avec des livres sur l’histoire patriotique où l’Allemagne devait sa complétude à la Prusse.

La RDA.

 Si l’on vit dans un pays sous un mauvais régime, on espère un changement, et un jour il advient. À la place du mauvais régime, un bon se met en place. Quand on a été contre, on peut de nouveau être pour. Si l’on a dû s’exiler, on peut revenir. Le pays pour ceux qui sont restés et pour ceux qui sont partis est à nouveau leur pays, le pays dont ils rêvaient. La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n’existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent pas y revenir ; leur exil est sans fin. D’où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement.
Discours lors de la fête du mouvement « Völkish » 
« Qui le sait encore, à part nous, ce sont les clans, les musulmans et les femmes voilées et leur familles. Ils veulent s’emparer de l’Allemagne, ils veulent faire de notre pays leur pays. Mais nous ne les laisserons pas faire. Nous somme prêts au combat. Sur le sol allemand nous croisons. Du sol allemand nous tirons notre force. À notre communauté allemande appartient l’avenir allemand. »

Un allemand ordinaire .

Kaspar c’était toujours tenu à l’écart de tout. Il était membre de l’église, qu’il fréquentait parfois sans croire en Dieu, mais sans jamais se charger d’une tâche. Sans endosser aucune responsabilité, il était membre de la chambre de commerce et d’industrie, et de l’Union des éditeurs et libraires allemands. La politique l’avait quelquefois irrité au point qu’il l’envisage d’adhérer à un parti. Il avait été parfois invité à s’engager dans l’association Citoyens pour le parc. Mais à part des votes rassurants et quelques ramassages occasionnels de papiers, gobelets et bouteilles en traversant ledit parc, il en était resté là. 

Dialogue incroyable .

 « Tu as bien un livre sur Rudolf Heβ. Il est plein de mensonges. Tous ces livres ici son plein de mensonges. Hitler ne voulait pas la guerre. Il voulait la paix. Et les Allemands n’ont pas tué les juifs . »
Kaspar s’assit par terre face à elle.
« Ce sont des livres d’historiens qui ont fait des recherches pendant des années. Comment peux-tu savoir ?
– Ils sont achetés. Ils sont payés . Les occupants veulent rabaisser l’Allemagne. Il faut qu’on ait honte et qu’on courbe l’échine. Alors, ils pourront nous nous opprimer et nous exploiter.

Le grand père et sa petite fille.

 « Mais je peux quand même être fiers d’être allemande. »
Kaspar à nouveau tourna dans un chemin et stoppa. 
« Je ne sais pas. Je trouve qu’on ne peut être fier que de quelque chose qu’on a fait. Mais peut-être qu’on peut voir les choses autrement. »
Il montra du doigt le paysage de collines, des champs, le bois et le village sur le quel tombait le soleil et un autre village dans un creux, dont on ne voyait que le clocher et quelques tpits. Le soleil était déjà bas, cela allait donner un magnifique crépuscule.
« J’aime mon pays, je suis heureux de parler sa langue, de connaître les gens que ce pays me soit familier. Je n’ai pas besoin d’être fier d’être un Allemand, il me suffit d’être heureux. »

Édition Albin Michel . Traduit de l’anglais par Astrid von Busekist.

Ma cinquième participation « les feuilles allemandes 2023 », organisé par Eva 

Niklas Frank 

Je suis contre la peine de mort sauf pour mon père .

L’an dernier j’avais mis « la Filière » dans le mois de littérature allemande organisé par « Et si on bouquinait un peu », cette fois je mets celui-ci qui m’a absolument passionnée. Vous me disiez dans vos commentaire, à propos de « La filière » que, pour beaucoup d’entre vous, ce livre-ci était une lecture qui vous avait marqués. Je suis entièrement d’accord avec vous, je n’oublierai jamais la qualité du travail de Philippe Sand.

Cet auteur mêle ses recherches personnelles autour du destin de sa propre famille qui est originaire à Lviv (autrement nommé Lwow et Lemberg du temps de l’occupation nazie) et une enquête minutieuse sur deux hommes liés à cette même ville, dans laquelle ils ont tous les deux commencé à étudier le droit : Hersh Lauterpacht et Raphael Limkin.

Philippe Sand enquête également sur le passé du dirigeant Nazi, Hans Frank, et rassemble toutes les preuves dans son rôle sur la volonté d’exterminer tous les Juifs qui étaient sous sa juridiction en Pologne dont les parents et toute la famille des grands parents de l’auteur. La symbiose de son histoire familiale et de l’histoire du Nazisme est d’autant plus intéressante que s’y mêlent aussi les histoires familiales de Lauterpacht et Limkin, deux des éminents juristes qui ont contribué aux procès de Nuremberg.

Toute cette partie du livre est sous entendu par ce débat juridique : quelle notion est la plus pertinente pour protéger un homme contre la barbarie d’un état ?

  • La notion de crime contre l’humanité défendu par Lauterpacht.
  • Où la notion de génocide défendu par Limkin.

Les deux personnalités de ces grands juristes étaient très opposées, Lauterpacht était un important juriste et chercheur en droit de l’Angleterre et un fou de travail, mais il était devenu aussi complètement britannique et ne montrait jamais ses émotions. Il ne voulait surtout pas que l’on puisse l’accuser d’avoir œuvré en tant que juif. Alors que pendant le procès de Nuremberg il apprendra la fin tragique de ses propres parents restés à Lviv. S’il rejetait la notion de génocide, c’est qu’il craignait que cette notion se retourne contre ceux qu’on voulait défendre en les faisant appartenir à un groupe. Pour lui le carcatère humain était plus important que l’appartenance à une communauté juive.

Limkin avait fui aux États-Unis, et sa personnalité est très différente, il a un caractère bouillant et agace souvent les juges par son côté obsessionnel . Il tenait absolument à la notion de génocide car cela permettait de comprendre que les crimes des Nazis n’étaient pas liés à la guerre et avaient commencé bien avant. Lui aussi découvrira ce qui était advenu à sa propre famille pendant le procès de Nuremberg.

Tout est passionnant dans ce livre autant la façon dont Léon, son grand père et Rita sa femme ont survécu et comment sa mère a été arrachée de justesse aux griffes des nazis par une femme remarquable une missionnaire anglaise :Miss Tilney à qui Israël a donne le tire de « Juste ». Comme souvent le petit-fils veut tout savoir et s’est heurté au silence de ses grands parents. La vérité du destin de ces familles étaient trop dure à raconter, de plus plane un certain mystère que la façon dont ils ont fui Vienne séparément, Léon d’abord puis la petite Ruth – la mère de l’auteur- et enfin Rita qui semblait avoir du mal à quitter Vienne pas seulement pour des raisons administratives. L’auteur n’élucidera pas complètement ce mystère.

Le moment le plus difficile à supporter, pour moi, fut ce témoignage à Nuremberg de ce juif qui raconte ce qui s’est passé dans les fosses communes autour de Lviv le récit de ces gens qui étaient tués par balle , vieillards, hommes, femmes, enfant, bébés, et absolument insoutenable. Ce qui rend la lecture possible, c’est la taille des chapitres qui sont assez courts et on peut donc reprendre son souffle.

Quel travail ! Oui c’est un très grand livre qui fourmillent d’informations. J’en donne une au passage : le pape XII est intervenu personnellement pour éviter la peine de mort à Hans Frank responsable de Treblinka et du Ghetto de Varsovie et de sa liquidation, de la mort de tant de Juifs et de Polonais pour lesquels le pape n’a jamais rien dit mais pour cet horrible criminel de guerre il s’est fendu d’une lettre ! ! ! !

Citations

Lauterpacht un progressiste mais pas pour les femmes de sa famille .

 Son fils est heureux du séjour de sa mère mais il fulmina contre la manière dont elle affirmait sa personnalité : il s’opposa avec véhémence à ses « ongles peints », la forçant même à enlever son vernis.
Il était tout aussi hostiles à l’influence qu’elle tentait d’exercer sur sa femme, Rachel, qui avait adopté une coupe de cheveux alors en vogue, à la Louise Books, avec bob et frange. « Enragé » lorsqu’il avait découvert ce nouveau style, Lauterpacht avait insisté pour qu’elle revienne au chignon, déclenchant une forte dispute suivie par la menace de Rachel de le quitter.  : »Je peux et je dois pouvoir préserver ma vie privée sans que tu me rudoies. » À la fin, Rachel avait pourtant cédé : son chignon était bien en place lorsque je l’ai rencontré plus de cinquante ans plus tard .
Des droits individuels, oui mais pas pour la femme ou la mère .

Des horreurs oubliées ?

 En l’espace d’une semaine Źolkiew et Lvov furent et Lvov furent occupés par les Allemands, et les universitaires arrêtés. Parmi les prisonniers se trouvait l’ancien professeur de droit privé autrichien de Lauterpacht, Roman Longchamp de Bérier. Arrêté parce qu’il avait commis le crime d’être un intellectuels polonais, il fut exécuté un jour plus tard avec ses trois fils, durant le « Massacre des professeurs de Lwów ».

Sauvée grâce à un couvent polonais.

 Inka changea de ton : elle s’exprima avec douceur en chuchotant comme si elle approchait d’un dénouement embarrassant.
 » Les bonnes sœurs m’ont dit qu’il y avait une condition à mon séjour parmi elles. Ma famille ne l’a jamais su. » Pendant un moment Inka fut gênée, sur le point de rompre un silence qui avait duré toute une vie.
« Elles ont dit que je devais être baptisée. Je n’avais pas le choix. Peut-être était-ce une chance que je ne sois pas alors plus observante que je ne le suis aujourd’hui .J’avais eu de la chance de grandir dans une famille qui n’était pas très religieuse. »
Soixante-dix ans plus tard, elle était toujours aux prises avec un certain malaise. Inka se débattait encore avec le sentiment d’avoir en quelque manière, abandonné son groupe pour sauver sa propre vie.

Les personnes âgées déportées.

Make était alors âgée de soixante-douze ans, et on ne l’autorisait à voyager vers l’Est qu’avec une seule valise. Escortés à l’ Aspangbahnhof, derrière le château du Belvédère, elle-même et les autres déportés subirent les crachats, les sarcasmes, et les injures des spectateurs qui applaudissaient leur départ. Elle avait pour réconfort de ne pas être complètement seule, puisqu’elle était accompagnée de la mère de Rita, Rose. C’est une image terrifiante que celle des deux vieilles dames sur le quai de l’Aspangbahnhof, chacune s’accrochant à sa petite valise, deux êtres parmi les 994 Juifs viennois en partance pour l’Est.
(…)
Parmi les 1985 personnes à bord de ce train, se trouvaient trois des sœurs de Sigmund Freud : Pauline (Pauli) âgée de soixante-dix-huit ans, Maria (Mitzi) , quatre-vingt-un ans, et Rigina (Rosa), quatre-vingt-deux ans.

J’admire tant ce genre de compétences . (Et il a appris en quelque mois un anglais parfait !)

Hersch (Lauterpacht) parlait le français, l’italien, le polonais, et l’ukrainien, avec des notions d’hébreu, de yiddish, et d’allemand.

L’imbrication de l’histoire familiale dans la grande Histoire.

 Lauterpacht qui ignorait tout de ce qui arrivait alors à cette nièce qu’il ne connaissait pas, décida de renoncer à l’alcool et d’entamer un régime. C’était plus par précaution que le résultat d’un conseil médical. C’est en tout cas ce qu’il se disait pendant qu’il continuait à faire son devoir au sein de la Garde Nationale et qu’il réfléchissait au contenu de sa Charte des droits. Il ne savait pas que son père avait été raflé le 16 août. Ce jour là. Il envoya un mémorandum au comité sur les crimes de guerre à Londres, expliquant combien était pauvre la pratique internationale sur la question de la poursuite des crimes de guerre.

La femme qui a sauvé sa mère .

Miss Tilney était une femme bienveillante pas une idéologue faisant le travail classique des missionnaires. Elle ne cachait pas seulement des gens, elle risquait sa vie pour le faire. « Peut-être que les gens ne sont capables de grand héroïsme que s’il croit passionnément à une cause » comme le dit une amie lorsque je lui racontai l’histoire de Miss Tilney. « Un principe abstrait n’est pas suffisant pour faire de vous une héroïne ; il faut de profondes motivations et des émotions aussi. « 

Massacre des Arméniens .

 Qu’en est-il alors, avait objecté l’un de ses enseignants, de la souveraineté du droit des États de traiter leurs citoyens comme ils le souhaitent ? À proprement parler le professeur avait raison : le droit international ne limitait pas le pouvoir des États. De manière tout à fait surprenante, aucun traité ne pouvait empêcher la Turquie de faire ce qu’elle avait fait : tuer ses propres citoyens. La souveraineté n’était pas un vain mot elle était totale et absolue.

Génocide ou crime contre l’humanité ?

Malgré leur origine commune et leur souci partagé de pragmatisme, Lauterpacht et Lemkin étaient profondément divisés sur les réponses qu’ils donnaient la grande question : comment le droit peut-il faire en sorte de prévenir les assassinats de masse ? En protégeant l’individu, répond Lauterpacht ; en protégeant les groupes, répond Lemkin.