Comme vous le voyez, ce court roman a obtenu un coup de cœur à notre club. Après « Sauver Mozart » c’est le deuxième roman de Raphaël Jérusalmy que je lis avec toujours le même plaisir. J’apprécie, aussi, que l’auteur change complètement d’époque et de sujet. Nous voici avec le grand inquisiteur Torquemada en Espagne en 1485. Il y a, cependant, un point commun entre ces deux romans, nous sommes au cœur de la communauté juive qui va bientôt connaître une terrible destinée : l’expulsion du royaume d’Espagne. Le crime perpétué à Saragosse contre l’inquisiteur local, unanimement détesté : Pedro de Arbuès, va servir de prétexte à une répression menée par Torquemada lui-même et finalement à l’expulsion des juifs hors du royaume et rendra très fragile la présence des juifs « maranes » en Espagne. Ce roman suit le destin deux personnages fictifs que tout ou presque oppose : Léa une jeune fille instruite et très douée en dessin venant d’une famille convertie et cultivée et Angel de la Cruz un noble en haillon et mercenaire qui loue ses services aux plus offrants. L’amour du dessin et de la gravure réunit ces deux personnages. Ce roman, nous permet de comprendre la force du dessin qui peut troubler les puissants jusqu’à les rendre fous . Comment ne pas penser aux caricatures de Mahomet publié par Charlie-Hebdo qui ont valu à 12 personnes dont 8 dessinateurs d’être assassinés au nom d’Allah !

L’enquête pour retrouver les assassins et aussi l’auteur des affiches placardées qui caricature Torquemada et sa verrue est passionnante, elle permet de construire un roman avec un suspens très prenant. On sent que l’auteur connaît bien les ressorts des enquêtes policières des services secrets.

 

J’ai toujours du mal à lire des romans à propos de l’inquisition, tuer ou torturer au nom de Dieu m’est insuportable, mais deux éléments dans ce roman allège ma lecture : les moments où l’auteur décrit l’art du dessin ou de la gravure, ce sont des passages magiques et la fin puisque la destinée des personnages ne se termine pas sur un bûcher avec en plus une note d’humour à propos d’une relique toujours exposée au Musée de Topkapi.

 

Citations

L’inquisiteur Pedro de Arbuès

L’inquisiteur de Saragosse est fatigué. Le fardeau de ses responsabilités lui pèse. Il aimerait tant revenir à l’étude. Dans un monastère isolé. Loin de cette capitale toujours en effervescence, de ce peuple au sang chaud. Il voudrait toucher des livres, caresser des manuscrits, guider les copistes dans leur travail. Plutôt que d’élever des potences, alimenter des bûchers. Mais il accomplit son devoir, jour après jour, sans rechigner. Pour instaurer le royaume de Dieu

Le noble pauvre en Espagne du 15 et 16 siècle

– Angel Maria Ruiz de la Cruz y Alta Messa
 Raquel et Léa répriment un fou rire. Leurs gloussements qu’elles tentent d’étouffer en se cachant derrière leur éventail, tintent gaiement au cœur du silence embarrassé des autres convives.
Habitué aux moqueries qu’attire sur lui un noble en guenilles, Angel de la Cruz s’assied comme si de rien n’était. 

Remarque intéressante

 

Il est bien placé pour savoir qu’un infirme possède toutes sortes de ressources pour pallier son invalidité. Et, qu’armé du courage qu’il lui faut pour la surmonter jour après jour, il est capable de bravoure plus qu’un autre mieux portant.

 

 

j’ai encore une fois trouvé cet auteur sur la blogosphère et je m’en félicite. Il se trouve que je l’ai lu deux fois car j’ai été isolée dans un endroit avec ce seul livre comme lecture possible, alors comme autrefois dans ma jeunesse, j’ai relu ce livre tout doucement pour ne pas le finir trop vite.Et j’ai été très sensible à la langue et par moment une réflexion sur les mots, ceux venant du patois comme « empurgué » qui désigne à la fois la naissance et la mort. Telle une tragédie antique le roman tient en une journée de 1961. Mais finalement la clé du livre est donnée dans un court texte qui lui se passe 2011 et raconte un fait historique peu connu de 1940 dans la ligne Maginot le combat et la résistance de l’armée française à Schœnenbourg . Le roman évoque un petit village d’Auvergne c’est l’époque du remembrement et de l’arrivée de la télévision. Des personnages complexes que l’on ne peut pas juger facilement. Un geste héroïque d’un père qui sait depuis 1940 ce que veut dire la guerre. Et enfin un moment de notre histoire très mal racontée par nos livres d’histoire et très déformée dans notre inconscient collectif : la ligne Maginot. Nous suivons d’abord les pensées d’Albert qui n’a jamais su trouver les mots pour raconter sa guerre à ses enfants. Il sait une chose Albert, il ne veut pas de la modernité que sa femme aime tant. Et le remembrement qui s’annonce signifie pour lui la fin de son monde car il se sent plus paysan qu’ouvrier chez Michelin. Puis les pensées de Gilles, ce petit bonhomme de CM2 qui a trouvé dans les livres sa raison de vivre et qui, ce jour là, est plongé dans « Eugénie Grandet ». En cheminant dans ce roman trop difficile pour lui, il ouvre peu à peu les portes de la compréhension de la vie. C’est merveilleusement raconté. Et puis il y a la belle Suzanne, la mère d’Henry soldat en Algérie né avant la guerre 39/45 et de Gilles né après. C’est la femme d’Albert qu’elle a cessé d’aimer.

Tout le roman tourne autour de l’arrivée de la télévision car l’émission phare de la seule chaîne alors diffusée « 5 colonnes à la une » consacre un reportage aux soldats d Algérie. Henry est interviewé à l’occasion. Sa mère ne manquerait pour rien au monde ce moment de revoir son fils. Les conséquences seront tragiques.
Il y a aussi la mère très âgée qui perd parfois la tête, et la sœur d’Albert qui a choisi la modernité et le communisme.
Voilà donc un moment de vie dans la campagne en 1961 et pour moi la découverte d’un écrivain qui a su évoquer en une seule journée trois guerres, celle de 14/18, le père d’Albert en est revenu victorieux, celle de 39/45 dont Albert est revenu muet et vaincu et celle d’Henry son fils qui risque sa vie même si personne ne comprend très bien ce qu’il fait dans ce pays si lointain. Je sais que ce roman restera gravé dans ma mémoire et que je ferai de nouveau confiance à cet auteur pour m’embarquer dans son univers .

Citations

Explication du titre

In extremis, il réussit à ravaler ses pleurs sous ses paupières et à les manger dans ses yeux. Ça le brûlait tellement qu’au moment où il les rouvrit il crut avoir perdu la vue. Il n’en revenait pas de ce séisme au-dedans, lui qui ne versait jamais une larme, pas même aux enterrements, pas même à l’enterrement de son père. Un homme qui pleure, ça n’avait pas de sens. Sauf parfois les vieux. Il avait déjà remarqué que, à partir d’un certain âge, les hommes n’hésitaient pas à sortir leur mouchoir, pour presque rien. Il se souvenait du père Pelou qu’il avait aidé, il y avait plusieurs années de cela, à retourner la terre de son potager. L’homme avait été une force de la nature mais, après de 80 ans, il n’avait plus un muscle dans les bras et, malgré son grand âge, il devait encore nourrir un fils impotent que le reflux de 14 lui avait ramené comme un un déchet. Incapable de le remercier du service rendu, le vieil homme s’était mis à trembler comme une feuille. C’était son corps tout entier qui pleurait sans pouvoir s’arrêter. Et pourtant Dieu sait qu’il n’avait pas été tendre dans sa vie celui-là, surtout pas avec sa femme, une sainte, qui s’epuisait à s’occuper de leur fils unique condamné à vie dans sa chaise roulante. En vieillissant les hommes pleurent. C’était vrai. Peut-être pleurait-il tout ce qu’il n’avait pas pleuré dans leur vie, c’était le châtiment des hommes forts.

Un fait historique peu connu

Je suis allé plusieurs fois visiter le fort de Schœnenbourg pour écouter ce silence de la plaine. À un moment, il faut renoncer aux mots et donner les chiffres. Seulement 22000 soldats français ont vaincu 240 000 Allemands en Alsace et en Lorraine, et seulement 85000 autres soldats français alpin dans leurs alpins dans leurs champignons de béton ont arrêté près de 650000 Allemands et Italiens. Pas un ennemi n’est passé sur la ligne Maginot, tant que des soldats sont restés à leur poste. Pas un ! Et quand l’armistice entra en vigueur le 25 juin, les soldats ne capitulerent pas pour autant, et continuèrent à se battre comme des chiens ou comme des dieux. Ils voulurent vaincre ici, puisque ailleurs tu t’étais déjà perdu, uniquement pour l’honneur de leur père et surtout pour faire la preuve non pas de leur courage (ils étaient bien trop humbles pour ça), mais de l’efficacité du plus grand projet de fortification jamais pensé ni réalisé, ni égalé en Europe et qui les avait rendu invincibles eux- mêmes. Le muscle de béton avait parfaitement joué son rôle et tenu ses promesses, et même au-delà. Si le haut commandement avait fait son travail au nord, donné les ordres au bon moment, ou si la Belgique avait opté pour un prolongement de la ligne Maginot sur ses frontières à l’est au lieu de préférer la naïve neutralité qui leur a coûté beaucoup plus cher en vies humaines, le cours de l’histoire eût été tout autre.

Les Américains en 1918 et Maginot

Fini, enfin, d’appeler à notre rescousse ces américains si mal élevés qui refusaient que leurs soldats noirs participent aux célébrations de la victoire. Saviez-vous que ce sont les paysans français qui sont allés chercher les soldats noirs dans leur caserne où leurs maîtres blancs les avaient bouclé à double tour. Et, malgré le règlement américain, ces mêmes paysans ont jeté ces esclaves dans les bras de leurs filles pour danser sur les places de tous les villages. Ils ont aimé l’accordéon, ces noirs qui ne connaissaient que le jazz. Pourquoi croyez-vous que la France fut une terre bénie pour les jazzmen qui arrivèrent à Paris au moment où Maginot justement réfléchissait à la façon d’éviter que le massacre recommence un jour ? Le jazz, c’est la musique de l’idéal, le blues, c’est la musique du spleen. Ça jouait du jazz partout, et l’armée cherchait aussi à sa façon à faire écho à cet idéal. Enfin, toutes ces raisons additionnées donnaient une réponse claire, il fallait éviter qu’un jour autant d’hommes meurent pour sauver leur pays. Après tout, ce n’est pas aux hommes de sauver leur pays, c’est au gouvernement. Maginot en était convaincu.

J’aime réfléchir sur les mots

 Mais est-ce que ça pouvait vraiment être ça le bonheur ? Il chercha dans le dictionnaire , qu’il avait aussi emprunté à son frère , l’étymologie de ce mot . Il découvrit que le bonheur n’était pas cet état de béatitude qu’il avait imaginé, le bonheur était un présage, le présage du bien, comme le malheur était le présage du mal. C’était juste une promesse.

Le charme du patois

Albert connaissais aussi le miracle de cette langue ancienne des paysans ou le feu meurt à tout jamais, alors que les hommes s’éteignent pour naître dans la mort. On ne disait pas que quelqu’un était mort, on disait qu’il s’était éteint puis « empurgué ». Le mot oublié remonta en lui pour le consoler. L’Empurgar ! Le seul mot qui désignait en patois la naissance dans la mort, un mot gaulois sûrement, qui n’existait pas en français, le seul mot qui devait apaiser Madeleine en secret.

Le plaisir des livres

Eugénie Grandet était le premier grand roman qu’il lisait, sans savoir que c’était un grand roman. Dès les premières lignes, sa confiance en ce qui était écrit grandit au fur et à mesure de sa lecture. Dans le livre, on ne parlait pas comme chez lui, à part Nanon peut-être, qui parlait un peu comme sa grand-mère. Les phrases étaient comme des routes de montagne avec des virages qui s’enchaînent les uns aux autres et au bout desquels se révèlent des paysages magnifiques. Elles étaient compliquées, même ardues quelquefois et, malgré cette difficulté, il comptait bien aller jusqu’au bout du livre. Les pages étaient encore scellées entre elles et, à l’aide du canif que son père lui avait offert, il coupait les pages les unes après les autres avec un plaisir équivalent à celui d’un explorateur obligé de couper la végétation pour se frayer un chemin dans une forêt épaisse et noire, attaqué lui aussi par les mouches qui se multipliaient dans la chaleur.

Découverte du roman de Balzac et les pleurs d’un homme.

Le cousin d’Eugenie était inconsolable. Gilles, plongé dans un nouveau chapitre du roman, chassait machinalement les mouches qui brouillaient les lignes noire et genait sa lecture. Charles venait d’apprendre la mort de son père. C’était pour l’éloigner du drame que le vieil homme ruiné l’avait envoyé à Saumur, chez son oncle. Il était perdu, le pauvre garçon. Ninon, la bonne à tout faire, et Eugenie cherchaient par tous les moyens à soulager la peine de ce jeune homme si différent de tout ce qu’elles connaissaient , et qui n’arrêtait pas de pleurer. Ça, c’était curieux. Gilles savait qu’un enfant pouvait pleurer, que sa mère pleurait quand elle lisait les lettres d’Henri, mais un homme ! Charles Grandet était un homme déjà. Gilles n’avait jamais vu son père pleurer, ni aucun homme autour de lui, pas même Henri. Alors, de quoi était fait ce Charles qui s’effondrait des nuits entières, comme une fille, écrasé dans ses oreillers ?

 

Traduit de l’anglais … je ne peux pas vous dire par qui car ce n’est pas indiqué sur mon livre (et c’est bien la première fois !)

J’ai trouvé ce petit livre de poche dans une vente de livres d’occasion et sans les propos que j’ai souvent entendus à propos de la beauté des nombres premiers en mathématiques je ne l’aurai pas lu. Merci, à ma plus jeune fille professeur de mathématiques d’avoir ouvert ma curiosité à une science si éloignée de mes préoccupations habituelles. Ce roman est une petite merveille car il va promener son lecteur dans l’histoire des nombres et surtout la difficulté de démontrer les choses les plus simples. Tout tourne souvent dans la théorie des nombres sur les nombres premiers. Ma science étant toute fraîche, je vous rappelle qu’un nombre premier n’est divisible que par un et par lui même. Depuis des plusieurs siècles de grands savants veulent démontre la conjecture de Goldbach à savoir :

Tout nombre pair supérieur à 2 est la somme de deux nombres premiers.

Ce roman a donné l’occasion d’un lancement original : paru en 2000 en Grande-Bretagne, la maison d’édition anglaise a promis 1 million ds dollars à celui qui apporterait la démonstration de la conjecture avant 2002 … la somme n’a jamais été réclamée !

Doxiadis choisit de nous raconter les mathématiques grâce à un jeune étudiant, le narrateur, neveu d’un génie son oncle totalement rejeté de sa famille. Petros, cet oncle, qui fut un enfant précoce et génial en mathématiques est devenu la brebis galeuse de la famille car il n’a rien fait de ses talents. Tout cela parce que la seule chose qu’il ait jamais voulu prouver c’est la fameuse conjecture de Goldbach. Le père du narrateur, le frère de Petros essaie d’inculquer à son fils la seule ligne de conduite qui lui semble porteuse d’une vie réussie bien loin de la folie de son frère

Le secret de la vie, c’est de se fixer des buts accessibles, des buts plus ou moins difficiles au gré des circonstances, selon son tempérament, ses aptitudes, mais toujours ac-ces-si-bles ! Je me dis que je ferai bien s’accrocher le portrait de Petros dans ta chambre avec l’inscription : EXEMPLE À ÉVITER.

Mais interdire des études n’empêcheront évidemment pas le narrateur de s’y lancer et d’essayer de comprendre son oncle. Commence alors le voyage vers les hautes sphères des mathématiques et la connaissance de savants aux cerveaux les plus brillants de notre époque. Hélas ! ceux-ci se révèlent souvent un peu, ou complètement fous et si peu équilibrés dans leur vie personnelle que cela ne donne pas envie de les suivre. Surtout que les coups bas entre eux ne grandissent pas leur image. Cependant la « presque » découverte de la solution est enivrante et on est pris par la recherche de Petros que l’on comprend de mieux en mieux. Le roman est bien construit, car si l’on sait que cette conjecture n’a pas été découverte, la façon dont l’auteur termine son enquête est très intelligente. Petros est-il devenu fou à force de se confronter aux nombres de façon de plus en plus abstraite et surtout de façon de plus en plus solitaire ou avait-il trouvé la solution.

La lecture de ce roman s’adresse à tout le monde, évidemment on ne comprend pas tout mais les passages qui demandent de réelles capacités mathématiques n’enlèvent rien à l’intérêt du roman. Je n’ai aucune réserve sur ce livre, car il correspond à ce que j’attends : un voyage vers des contrées complètement inconnues (les nombres premiers) un suspens bien mené, et des caractères de personnages complexes. On aurait pu penser que la grande intelligence rend les hommes meilleurs, mais non l’oncle Petros est avant tout un homme pétri d’orgueil et malmène son neveu de façon peu sympathique, sans pour autant avoir complètement tort.

 

 

 

Citations

Urgence des découvertes en mathématiques

Petros se rappelait de consternantes données statistiques : dans la longue histoire de cette discipline, personne n’avait jamais rien découvert de notables passé trente cinq ou quarante ans.

Les tourments des mathématiciens

L’absence apparente de tout principe infaillibles pour la distribution ou la succession des nombres premiers tourmente les mathématiciens depuis des siècles et rend particulièrement fascinante la théorie des nombres. C’était là que résidait le plus grand mystère de tous, le seul digne d’une intelligence hors pair : les nombres premiers étant les éléments de base des entiers et les entiers la base de notre compréhension logique du cosmos, comment admettre que leur forme ne soit pas déterminée par une loi ? Pourquoi la géométrie divine ne se manifeste-t-elle pas en l’occurrence ?

Les mathématiques

Les mathématiciens éprouve le même plaisir dans leurs études qu’un joueur d’échec dans une partie. En réalité, l’attitude psychologique d’un véritable mathématicien est plus proche de celle d’un poète ou d’un compositeur, c’est-à-dire de quelqu’un qui a affaire avec la création de la beauté, qui recherche l’harmonie et la perfection. Il se tient exactement aux antipodes de l’homme pratique, de l’ingénieur, du politicien ou de l’homme d’affaire.

 

Naître mathématicien

Cependant, je tirai de cette séance un profil supplémentaire inespéré. Mes derniers scrupules sur le bien-fondé de ma décision de renoncer aux mathématiques ( en sommeil toutes ces années) s’évanouirent en un clin d’œil. Assister à l’exposé de mon oncle confirma pleinement que je ne m’étais pas trompé. Je n’étais pas fait du même matériau que lui, point final. Face à l’incarnation de tout ce que je n’étais pas, j’étais foudroyé par la vérité de la vieille scie :  » Mathematicus nascitur non fit ».  » On naît mathématicien, on ne le devient pas ». Je n’étais pas né mathématicien et j’avais bien fait de briser là.


J’ai relu « Les joueurs d’échec » grâce à cette édition et la réflexion de Pierre Deshusses à propos de la traduction m’a beaucoup intéressée. Depuis le l’essai de Volkovitch et son blabla, je suis très sensible à la traduction et je n’oublie jamais de noter le nom du traducteur à propos des œuvres étrangères. Dans cette édition l’ordre chronologique est respecté donc « les joueurs d’échec » termine le recueil puisqu’il est paru si peu de temps avant le suicide de Stefan Sweig. Chacune des nouvelles est précédée d’un prologue rédigé par le traducteur ou la traductrice. C’est vraiment un plaisir de relire Zweig de cette façon. Il a tellement raison Pierre Deshusses, il faut retraduire les textes car chaque époque a sa sensibilité et quand on ne lit pas dans la langue maternelle, on a du mal avec les archaïsmes du français qui alourdissent inutilement la prose de l’écrivain.

Un traducteur n’est pas une personne qui vit hors de son temps. Par-delà ses qualités, il est le produit d’une ambiance, d’une idéologie et parfois de mode. On ne traduit plus comme on traduisait il y a un demi-siècle. C’est l’un des grands paradoxes de la littérature : une œuvre originale ne peut être changée ; sa traduction doit être changée, ce qui explique le phénomène que l’on appelle « retraduction » et qui touche tous les auteurs de tous les continents.
Ce qui est certain c’est que j’ai relu avec grand plaisir cette nouvelle, alors que très souvent j’étouffe à la lecture de Stefan Zweig , je trouve son style trop lourd . Alors un grand merci à Françoise Wuilmart , la traductrice, dont l’introduction est brillante et pose si bien tout ce qu’on ressent pendant la lecture
Zweig a-t-il fini par se sentir coupable de cet humanisme abstrait, de cet isolement qui pouvait passer pour une égoïste indifférence, et par se « dégoûter » de lui-même ?…. La confrontation entre le champion « abruti » et le joueur abstrait a inspiré bien des analyses qui vont dans toutes dans ce sens : le personnage du Dr B. symboliserait une Europe torturée qui s’autodéchire, Mirko Czentovic qui utilise sa lenteur pour déstabiliser son adversaire représenterait la stratégie froide, déshumanisée et sadique du nazisme.
Vous souvenez sans doute des parties d’échec qui ont lieu sur un paquebot, menant le narrateur vers l’exil. elles opposent d’abord l’homme qui ne savait faire que cela Mirko Czentovic au Dr. B . Comme moi vous avez sans doute voulu que ce dernier écrase de toute sa brillante intelligence cette stupide machine sans âme qui écrase tous ses concurrents de son mépris. Mais auparavant, Zweig décrit avec minutie une des horreurs du nazisme, une torture particulièrement raffinée et sadique : le Dr. B a été pendant de longs mois tenu au plus grand secret sans pouvoir occuper son esprit. Rien, il n’avait rien à regarder ni à lire, il ne lui restait que son cerveau qui a bien failli devenir fou. Le plus grand des hasards lui offre la possibilité de lire un livre d’échec et dès lors, il devient à la fois le joueur le plus imaginatif de son époque, mais hélas, cela le fit sombrer aussi dans la folie quand il essaye d’imaginer des parties où il jouait contre lui même. À travers les parties qui l’opposent à Czentovic, si bien décrites, c’est bien au combat de l’intelligence raffinée contre la force brutale à laquelle on assiste. Le champion du monde, n’est pas si stupide qu’il y paraît car il comprend quand même très vite qu ‘il ne peut gagner qu’en ralentissant son jeu. Et hélas ! ce n’est pas celui que l’on souhaiterait voir triompher qui est le vainqueur. On ne peut pas oublier qu’alors que Stefan Zweig rédigeait ces textes, tous ses livres étaient brûlés à Berlin et à Vienne, son intelligence et son immense culture ne faisaient pas le poids face au Nazisme.

Citations

Les qualités pour jouer au échecs

Certes, je savais d’expérience l’attrait secret que pouvait exercer ce jeu Royal, le seul d’entre tous les jeux inventés par l’homme qui puisse se soustraire souverainement à la tyrannie du hasard et le seul qui ne dispense ses lauriers qu’à l’intelligence ou plutôt à une certaine forme d’intelligence.

J’aime bien cette distinction

J’ai toujours pris le jeu d’échecs à la légère et joué pour mon seul plaisir, quand je m’assieds devant un échiquier pour une heure ce n’est pas dans le but de produire des efforts, mais contraire de me détendre l’esprit. Je « joue »au plein sens du terme tandis que les autres, les vrais joueurs, ils « sérieusent », si je puis me permettre cet audacieux néologisme. 

Le jeu des échecs

Aussi vieux que le monde et éternellement nouveau, mécanique dans sa disposition mais activé par la seule imagination, limité dans son espace géométrique rigide et pourtant illimité dans ses combinaison, impliqué dans un constant développement et pourtant stérile, une pensée qui ne mène à rien, une mathématique qui n’établit rien, un art qui ne laisse pas d’oeuvre, une architecture sans matière et nonobstant d’une pérennité plus avéré dans son être et dans son existence que tous les livres ou tous les chef-d’œuvre, le seul et unique jeu qui a appartenu à tous les peuples et à tous les temps et dont personne ne sait quel Dieu en a fait don à la terre, pour tuer l’ennui, pour aiguiser les sens, pour stimuler l’âme.

Traduit de l’anglais (Australie) par Johan-Frederik Hel Guedj.

Personne ne peut sortir indemne de ce roman. Les horreurs du racisme y sont décortiquées avec une telle minutie que, plus d’une fois, cela m’a demandé un énorme courage pour aller au bout de ma lecture. J’ai suivi les avis de Krol, Aifelle, Cuné et je vous conseille de lire ou relire leurs billets, elles disent tout le bien que je pense de ce roman hors du commun

La construction participe au ralentissement de la lecture, nous suivons des destins très différents mais qui finalement vont se retrouver dans la scène finale : le médecin oncologue, une jeune femme noire Ayesha Washington, l’historien Adam Zignelik, l’homme de ménage de l’hôpital, Lamont Williams, ils sont ensemble sur un trottoir de New York et il aura fallu 800 pages à Elliot Perlman pour tisser tous les liens qui réunissent tous les personnages de son roman durant un siècle et, parfois, sur deux générations . Adam, l’historien australien vit une crise dans son couple et n’arrive pas à se motiver pour un nouveau sujet de recherche indispensable à sa carrière universitaire. Il est le fils de Jack Zignelik qui a fondé avec son ami William Mc Cray le mouvement pour les droits civiques aux États Unis. Il travaille à la prestigieuse université de Columbia sous l’autorité de Charles Mc Cray fils de William. Asheha Washington est la petite fille d’un vétéran de la deuxième guerre mondiale qui a participé à l’ouverture des camps de concentration. Or, le rôle des soldats noirs pendant la guerre 39-45 a largement été ignoré par l’histoire officielle américaine.

Voilà donc un beau sujet de recherche pour Adam Zignelik en panne d’inspiration et au bord de la dépression, en tout cas c’est ce que pense William Mc Cray qui reproche à son fils Charles de ne pas assez soutenir Adam pour qu’il garde son poste à l’université de Columbia. Charles est marié à Michelle une assistante sociale noire, qui adore sa grand-mère. Et nous revoilà avec Lamont Williams car Michelle est sa cousine qui, en ce moment vit chez ladite grand-mère. Lamont a réussi à décrocher un emploi comme homme d’entretien à l’hôpital où travaille Asheya Washington et s’il réussit sa période d’essai, il pourra enfin tirer un trait sur la prison où il est resté six ans pour un cambriolage qui a mal tourné. Or, il n’a fait que conduire la voiture sans connaître les projets de ses amis ni surtout savoir que le plus jeune était armé. Au bout de six ans sa femme n’est plus là, elle a disparu avec leur petite fille. Il lui faut donc absolument satisfaire sa période d’essai à l’hôpital pour pouvoir avoir une chance de gagner sa vie et prouver aux services sociaux qu’il est stable. Sa grand-mère l’accueille car elle sait que Lamont est un brave garçon.

Toutes les difficultés de ce jeune noir, permettent à l’auteur de montrer à quel point il suffit de pas grand chose pour qu’un noir fasse de la prison aux Etats-Unis, avec un bon avocat Lamont aurait pu s’en tirer. Celui-ci rencontre à l’hôpital un rescapé d’Auschwitz, Monsieur Mandelbrot, il appartenait aux Sonderkommandos et connaît donc ce qui s’est passé dans les camps . Nous voilà donc au sommet de l’horreur au 20° siècle. Les conversations de ces deux hommes tissent entre eux des liens personnels si bien qu’avant de mourir cet homme lui donne ce qu’il a de plus précieux son hanoukkia, chandelier juif en argent. Lamont est accusé de vol, mais pour sa défense il raconte ce que cet homme lui a confié sur Auschwitz et l’historien Adam Zignelick assure que Lamont n’a pas pu découvrir cela tout seul, car une partie de ce récit était sur des enregistrements qu’il vient juste de découvrir.

Ces enregistrement faits en 1946, par de rares rescapés des camps avaient été complètement oubliés. Adam qui a vécu en Australie avec sa mère, est le fils d’un homme qui a lutté toute sa vie pour les droits des noirs aux Etats-Unis et cela permet à Elliot Perlman de rappeler certaines souffrances des noirs dans les années 50 et 60, aujourd’hui encore les noirs Américains souffrent de graves discriminations. Et finalement ? Est ce que des troupes noires ont participé à la libération des camps de concentration ? et bien oui, et c’est le grand père de Asheya Washington, l’oncologue qui soignait Monsieur Mandelbrot qui pourra en témoigner. Ne croyez pas que j’ai tout raconté, il y a encore bien des histoires qui s’emboîtent dans ce récit, et elles ont toutes une fonction dans le récit. On est souvent très ému et comme je le disais en commençant c’est avec appréhension que l’on continue la lecture de ce roman inoubliable.

Citations

Le passage où on trouve le titre

La mémoire est une chienne indocile. Elle ne se laissera ni convoquer ni révoquer, mais ne peut survivre sans vous. Elle vous nourrit comme elle se repaît de vous. Elle s’invite quand elle a faim, pas lorsque c’est vous l’affame. Elle obéit à un calendrier qui n’appartient qu’à elle, dont vous ne savez rien. Elle peut s’emparer de vous, vous acculer ou vous libérer. Vous laissez à vos hurlement ou vous tirer un sourire. C’est drôle parfois, ce qu’on peut se rappeler.

Récit des événements de Little rock  : Elizabeth Eckford, noire, seule face à la foule, blanche raciste.

Elizabeth Eckford se dirigea vers tous ces gens et, au début du moins, cette portion de la foule qui était la plus proche d’elle recula, s’éloigna d’elle, un peu comme s’ils craignaient d’attraper quelque chose à son contact. En restant trop près, on risquait peut-être de devenir ce qu’elle était. Les gens vous dévisageraient. Rien qu’en vous retrouvant dans cette partie de la foule, tout près d’elle,, vous risquez de vous faire remarquer. Vous n’êtes pas venu là dans l’espoir de vous singulariser. Vous n’êtes pas là pour ça. Et pourtant, maintenant, vous risquez de vous singulariser. Sans que ce soit votre faute. Vous avez donc intérêt à vous débrouiller pour que tout le monde autour de vous sache quel camp vous vous rangez en réalité. Vous la haïssez. Vous la haïssez autant que tous les gens de cette foule la haïssent. Vous la haïssez peut-être même encore plus. En se tenant là, près de vous, elle vous met particulièrement mal à l’aise, plus en plus mal à l’aise que les autres, et ce qu’ils ressentent, c’était ce que vous ressentiez il y a encore quelques instants, avant qu’elle ne vous choisissent, vous, en vous mettant particulièrement mal à l’aise. Quel besoin a-t-elle de vous choisir, vous ? Partout elle va, elle ne sème que la perturbation. Vous voyez bien. On vous l’a répété toute votre vie,vous le savez depuis toujours, mais maintenant vous pouvez véritablement le sentir.

Le sujet du livre

Peut-on se servir de l’histoire pour prédire l’avenir, demande à Adam Zignelik. Il est tentant de répondre que ce serait possible, mais je ne le crois pas. Le phare de l’histoire peut laisser deviner de fugaces aperçus de la voie qui s’ouvre devant nous, mais il est imprudent de compter sur l’histoire pour nous fournir une carte précise et lumineuse du terrain futur, rempli de synclinaux et d’ anticlinaux. Nous ne devons pas compter sur l’histoire pour nous indiquer avec exactitude ce qui va se produire dans l’avenir.
Pourquoi l’histoire ne peut-elle nous renseigner sur ce qui va se produire dans l’avenir ? Parce qu’elle traite des individus, or les individus sont imprévisibles, autant que le sont la plupart des animaux, si ce n’est plus. On ne peut même pas se fier à eux pour qu’ils agissent comme ils l’ont déjà fait en des circonstances similaires ou pour qu’ils fassent ce qui relève à l’évidence de leur propre leur propre intérêt. Les êtres sont imprévisibles, à titre individuel et au plan collectif, les gens ordinaires, tout comme les dirigeants investis d’un pouvoir.

Le racisme à Detroit 1943

25000 ouvriers blancs employés à fabriquer des moteurs pour des bombardiers et des vedettes lance-torpilles s’était mis en grève en apprenant qu’une poignée de femmes noires avaient commencé à travailler là-bas. Il était jeune, mais il aurait compris ce que cela signifiait que d’entendre un ouvrier blanc déclarer à l’entrée de l’usine qu’il préférait laisser gagner Hitler et Hirohito plutôt que de côtoyer un nègre dans un atelier d’usine.

Auschwitz

C’était donc vrai, et il était là, face à la vérité. Il avait vu des êtres mourir dans le ghetto, mais il n’avait jamais rien vu de tel. Tant de corps, inertes entassés à la hâte, une colline de corps, une petite montagne – des individus, des êtres, encore tout dernièrement. C’est ici la fin, songea-t-il, la fin de toutes les calomnies, raciale ou religieuse, de toutes les railleries, de tous les ricanements dirigé contre les juifs. Chaque fois que quelqu’un entretient la croyance ou le soupçon insidieux, voire honteux, que les Juifs, en tant que peuple, sont des gens malhonnêtes et immoraux, avares, trompeurs et rusés, que ce sont tous des capitalistes, des communistes, qui sont responsables de tous les malheurs du monde, et coupable de déicide, cette croyance ou cette conviction, à peine consciente quelquefois, accélère la marche d’un train lancé sur une trajectoire qui n’a pas d’égale. C’est là que cette voie finit par s’achever, sur cette montagne de cadavres.

Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail .Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Je n’avais lu que « la douce empoisonneuse  » de cet auteur, que j’avais complètement oublié car ce roman ne m’avait pas plu et je pensais m’arrêter là , dans la découverte de cet auteur finlandais et bien j’avais bien tort ! J’aurais dû faire davantage confiance à la blogosphère et il a fallu mon club pour que je le « re »mette à mon programme. S’il reçoit 5 coquillages, c’est qu’il m’a fait éclater de rire plusieurs fois et j’espère que vous aussi, si vous lisez mes citations. J’ai classé ce roman dans les nouvelles car chaque trouvaille de notre amateur d’antiquité est comme une petite histoire. On suit la vie de Volomari Voltinen et de son épouse Laura, mais leurs vies ne sont que les fils conducteurs de différentes anecdotes, Volomari en est souvent l’acteur principal car sa passion pour les objets anciens l’entraîne dans des histoires où il aura besoin de tout son talent juridique pour s’en sortir.

J’ai retrouvé avec un plaisir certains les reliques du Moyen-âge, ici ce qui en fait la valeur c’est l’ancienneté dans la croyance et non pas qu’elles soient vraies ou fausses. Vous pouvez donc vous offrir un orteil de Saint-Pierre ou une clavicule du Christ. Mais c’est très cher à moins que vous ne le voliez… Oh ! quel scandale , voler la clavicule du Christ, la morale chrétienne y retrouvera-t-elle son compte si on l’échange avec le squelette d’un soldait de l’armée rouge ? J’ai adoré aussi les négociations autour du dentier de Mannerheim et savoir que quelqu’un au Vatican a un avis sur la question me ravit. Bref tout se déguste dans ce récit et plus d’une fois j’ai pensé aux « Racontars  » de Jon Riel. Au delà de la drôlerie de ces histoires on en apprend aussi beaucoup sur le destin de Finlande, marqué par le nazisme et l’occupation soviétique. On y boit beaucoup, mais vraiment beaucoup dans ce pays du grand nord, c’est pourquoi j’ai cherché toutes les bouteilles de Whisky que j’ai pu trouver pour ma photo !

 

Citations

Les origines de Volomari

C’est une chance de naître dans la famille d’un tôlier-ferblantier aimant les enfants et collectionnant les antiquités. Il y a là de toute évidence une forme d’équilibre : un nouveau-né et des objets anciens se complètent à merveille, le passé et l’avenir cheminent main dans la main.

Humour finlandais

De retour sur le front, il reprenait son modeste rang de caporal. Il rangeait en toute discrétion sa vareuse de sergent dans son sac, mais à l’arrière il était toujours au moins sous-officier, et parfois même, dans ses moments les plus ambitieux, capitaine de cavalerie. Il avait volé les pattes de collet correspondantes sur l’uniforme d’un officier de carrière tombé au champ d’honneur, en se disant qu’il en ferait meilleur usage que lui.

Portait

Volomari finançait ses études en travaillant comme placier en assurance, menait une vie relativement rangée, ne s’adonnait que rarement à la boisson et ne passait pas de nuits blanches. Il réussit malgré tout à perdre sa virginité, avec l’aide dévouée d’une dénommée Riita.

Les langues sur un tandem

Ils parlaient allemand entre eux, sauf dans les montées les plus dures, qui les faisaient plus naturellement pester en finnois.

Tarzan

Au faîte de sa gloire, Johnny Weissmuller avait littéralement but la vie à pleines gorgées, et étant ainsi devenu, avec l’âge, un sacré poivrot. On savait, dans le milieu du cinéma, que Tarzan buvait comme un éléphant, souvent du matin au soir, et qu’il ne devait qu’à son exceptionnel physique d’athlète de ne pas rouler sous la table dès le réveil.

Le métier d’assureur

Rytokorpi tentait de faire avancer l’enquête, mais en dehors des traces d’effraction, il n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. La liste des objets disparus était en général longue, les victimes ayant jugé bon d’inscrire des biens qu’elle n’avait même pas eu le temps d’acquérir.

Les juristes et les écrivains

Quoi qu’il en soit, il risquait une forte amende ou une peine avec sursis, et mieux valait se débarrasser au plus vite des obus. Il avait malgré tout l’intention de conserver le mortier. Il pourrait toujours expliquer n’être qu’un innocent collectionneur et l’avoir acheté dans les surplus de l’armée. Des juristes sont habiles à inventer de toutes pièces des histoires. Dans ce domaine ils battent à plat de couture la plupart des écrivains.

Pourquoi les hommes tirent mieux au mortier que les femmes

l’obus explose a à peu près dans la bonne direction, mais pas exactement à l’endroit visé. Malgré les efforts de Laura, le pointage n’était pas assez précis. Les femmes n’ont en effet pas naturellement le sens des trajectoires en forme de cloche, contrairement aux hommes qui ont tous les jours l’occasion de les étudier en vidant leur vessie. Ces exercices répétés leur permettent d’affiner la précision de leur visée , de développer leurs capacités d’évaluation et de raffermir leur main, pour un résultat souvent grandiose.

Utilité des attachés-cases

Le chef de police suppléant était convaincu que les attachés-cases étaient spécialement conçus aux mesures de la bouteille de Ballantine’s. Il soupçonnait les maroquiniers qui les fabriquaient à travers le monde d’être actionnaires de la fameuse distillerie, où celle-ci, à l’inverse, de manufacturer en toute discrétion des millions d’attachés-cases afin de populariser son whisky. Quoi qu’il en soit, d’adéquation était parfaite. Lorsqu’ils firent étape à Tampere, Volomari Volotinen s’empressa d’acheter un attaché-case et deux bouteilles de Ballantine’s pour le garnir, consacrant ainsi son entrée dans la caste des hommes d’affaires.

 

Et de deux, voici la seconde BD qui m’a fait beaucoup rire, donc aujourd’hui, si vous ne riez pas, c’est que vous n’y mettez pas du vôtre. Cette BD c’est Géraldine qui me l’a fait découvrir et je l’en remercie comme elle, j’ai pouffé plusieurs fois et ce n’est pas si fréquent. On retrouve l’humour de Benaquista, un dessin très classique de Barral qui illustre bien le propos de cette BD, pourquoi le livre des Records a-t-il un tel succès et pourquoi tant de gens veulent être dedans ? L’ancien auteur de polar qu’est Benaquista a mis dans ce livre « légèrement » absurde une enquête policière ou la police est nullissime. Heureusement, tout se termine bien, très bien même en espérant que le « Guide des Records des Échecs » ait le même succès que son illustre prédécesseur

Citations

 

Le début

Genre de records que notre « héros » doit vérifier »

 

Éviter un suicide

 

Depuis Zaï-Zaï-Zaï, je suis « une fan » absolue de cet auteur de BD. Je me souviens que dans Zaï-Zaï, j’avais ri un peu »jaune » car je trouvais que la critique de notre société était assez bien vue donc triste, dans celle-ci, mon rire a été plus franc, il faut dire que se moquer des romans photos ou de romans à l’eau de rose porte moins à conséquence. Il n’empêche que la critique de notre société est aussi présente et la réunion du lancement de la Startup avec un « brainstorming à l’américaine » doit rappeler plus d’un souvenir à tous ceux qui ont travaillé dans la communication. Chaque page est un petit chef d’oeuvre d’humour, mais peut-être un peu trop le même esprit de dérision à chaque fois. Légère critique de ma part pour un album que j’ai adoré, je conseille de le lire à petites doses. J’aimerais le savoir par cœur certaines répliques pour pouvoir faire rire mon entourage.

Citations

dialogue de couple

Le coup de foudre pour le livreur de macédoine

(ils vont en manger tous les soirs pendant un mois et plus)

Quel livre ! Je l’ai lu deux fois. Une fois, pour comprendre d’où venait cette Naïma si courageuse, celle qui peut soulever des montagnes pour arriver à voyager en Algérie mais qui a tant de mal à faire parler son père. Et puis je l’ai relu tranquillement sans me dépêcher en allant à chaque événement voir ce qu’on disait sur la toile des événements évoqués par l’auteure.

Je suis tombée sur des reportages qui à eux seuls feraient des romans et j’ai encore plus admiré le talent d’Alice Zeniter de ne pas avoir alourdi son récit des habituels prises de position sur l’Algérie. Elle mène son récit sur une ligne de crête très inconfortable comme l’a été la vie de ces algériens qui refusaient le FLN sans pour autant accepter la colonisation. Trop favorable à la France, elle aurait minimisé le racisme et surtout le traitement des harkis après 1962 en France. Trop proche des combattants , elle aurait passé sous silence des crimes révoltants et le rejet de sa propre famille . Elle porte ces contradictions en elle mais ne veut plus être une victime de cette histoire.

Alors elle nous raconte tout, depuis l’Algérie jusqu’au Paris d’aujourd’hui en passant par les camps de Rivesaltes où on a parqué des Harkis comme s’ils étaient coupables de quelque chose. Refusés et assassinés en Algérie, ils étaient très mal vus en France. Ensuite c’est la vie en HLM qu’on n’appelait pas encore Cité . Son père fait partie de ceux qui se sont emparés de ce que la France offrait grâce à l’école pour s’en sortir . Sa fille, qui ressemble à l’auteure, est donc la troisième génération, celle qui veut connaître ses origines mais qui hélas ne retrouve qu’une Algérie marquée par une autre guerre : celle de l’intolérance islamiste. Cette Algérie-là, est encore perdue pour elle qui assume une vie de femme libre.

Il ne faut pas réduire ce roman à l’Algérie, aux Harkis et aux cité, mais grâce à cet éclairage, l’auteure nous fait revivre la France des années 60 jusqu’à aujourd’hui. J’ai retrouvé des ambiances et des moments de moments de ma jeunesse, le Paris d’Hamid c’est aussi le mien, la vie en province était si étriquée que seule la capitale pouvait donner ce sentiment de liberté . Je pense aussi que cette écrivaine a trouvé un territoire où elle n’est pas « perdue » : l’écriture. et j’espère, pour le plus grand plaisir de ses lectrices et lecteurs qu’elle y reviendra très vite

Citations

Un adage contraire aux célèbre « Vivons heureux vivons cachés » des gens du Nord

– Si tu as de l’argent, montre le.
C’est ce qu’on dit ici, en haut comme en bas de la montagne. C’est un commandement étrange parce qu’il exige que l’on dépense toujours l’argent pour pouvoir l’exhiber. En montrant qu’on est riche, on le devient moins. Ni Ali ni ses frère ne penseraient à mettre de l’argent de côté pour le faire « fructifier » ou pour les générations à venir, pas même pour les coups durs. L’argent se dépense dès qu’on l’a. Il devient bajoues luisantes, ventre rond, étoffes chamarrées, bijoux dont l’épaisseur et le poids fascinent les européennes qui les exposent dans des vitrines sans jamais les porter. L’argent n’est rien en soi. Il est tout dès qu’il se transforme en une accumulation d’objets.

Dicton

Ici on dit que les dettes se couchent comme des chiens de garde devant la porte d’entrée et défendent à la richesse d’approcher.

Humour

Il m’a filé une baffe et je suis redescendu avec le cousin qui m’insulte tant qu’il pouvait en disant que j’avais fait mal à son honneur, à sa réputation. Tu y crois, toi, Hamid ?
Youssef se tourne vers le petit garçon, avec un large sourire
-Même pour faire la Révolution, il faut être pistonné….

Les cités des années 60

 Le Pont- Féron offre à Clarisse et Hamid une haie d’honneur faite de barres décrépites, d’antennes de télévision tordues, de chaussées défoncées, de vieux assis devant les immeubles, leurs bouches à demi vide ou bien brillantes de dents en or, les sacs plastiques à leurs pieds contenant un mélange de médicaments et de nourriture. Il semble à Hamid qu’il a suffi qu’il s’absente un an pour que la cité s’effondre sous le poids de l’âge. Elle fait partie de ces constructions qui n’ont d’allure que flambant neuves et qui vieillissent comme on pourrit La conjoncture s’ajoute au faiblesse de son architecture pour faire craquer les murs, la crise sonne le glas des trente glorieuses et écrase ce quartier de travailleurs qui travaillent de moins en moins.

L’homme algérien ne trouve plus sa place

Il y a la télévision. Celui qui ne fait rien la regarde. C’est comme ça, en France. Mais comment rester chef de famille lorsque l’on regarde la télévision aux côtés de ses enfants et de sa femme ? Quelle différence y a-t-il entre soi et les enfants ? Soi et l’épouse ? La télévision et le canapé effacent les hiérarchies, les structures de la famille pour les remplacer par un avachissement similaire chez chacun.

  Très bien vu !

  Et en guise de modernité, de glamour politique, qu’est-ce qu’on vous a proposé -et pire- qu’est-ce que vous avez accepté ? Le retour de l’ethnique. La question des communautés à la place de celle des classes. Alors les dirigeants pensent qu’ils peuvent apaiser tout tension avec une jolie vitrine de minorités, une tête comme la leur, en haut de l’appareil d’État, sûrement, ça va calmer les gens de la cité. Il nous montre Fadela Amara, Rachida Dati, Najat Vallaud-Belkacem au gouvernement. La peau brune, Le nom arabe, ça ne suffit pas. Bien sûr, c’est beau qu’elles aient pu réussir avec ça ‘ ça n’était pas gagné- mais c’est aussi tout le problème, elles ont réussi. Elles n’ont aucune légitimité à parler des ratés, des exclus, des désespérés, des pauvres tout simplement. Et la population maghrébine de France, c’est majoritairement ça, des pauvres.

Paris

Hamid s’enivre de Paris tant qu’il peut. Il voudrait pouvoir s’injecter la ville, il l’aime, il est amoureux d’une ville, il ne croyait pas que c’était possible mais il ne veut plus la quitter. Ici, tout les monuments sont célèbres et les visages anonymes. Les photographies et les films font que Paris semblent appartenir à tous et Hamid, plongée en elle, réalise qu’elle lui manquait alors même qu’il n’y avait jamais posé le pied.

C’est bien observé

 Hamid et Gilles jalousent François qui sert des mains ici et là et surjoue pour eux le fait d’avoir ici ses habitudes. Ils découvrent que l’anonymat de la grande ville, qui les libère, crée aussi le besoin paradoxal de lieux où l’on peut entrer et être reconnus.

Traduit de l’anglais par Christine Raguet.

Une plongée dans la souffrance d’un homme rongé par l’alcool, et qui a laissé sur son chemin un bébé qui a dû se débrouiller tout seul pour grandir. Non, pas tout seul car le geste le plus beau que son père a accompli, a été de le confier au seul être de valeur rencontré au cours de sa vie d’homme cabossée par une enfance bafouée, puis par la guerre, par le travail manuel trop dur et enfin par l’alccol : « le vieil homme » saura élevé l’enfant qui lui a été confié et en faire un homme à la façon des Indiens , c’est à dire dans l’amour et le respect de la nature. Bien sûr, cet enfant a de grands vides dans sa vie : son père qui lui promettait tant de choses qu’il ne tenait jamais et sa mère dont il ne prononce le nom qu’aux deux tiers du roman mais que la lectrice que je suis, attendait avec impatience. Ce roman suit la déambulation lente de la jument sur laquelle le père mourant tient tant bien que mal à travers les montagnes de la Colombie-Britannique, guidé par son fils qui jamais ne juge son père mais aimerait tant le comprendre. Après Krol, Jérome Kathel, j’ai été prise par ces deux histoires, la tragédie d’un homme qui ne supporte sa vie que grâce à l’alcool. Et celle de son enfant qui a reçu des valeurs fondamentales de celui qu’il appelle le vieil homme. Tout le récit permet aussi de découvrir le monde des Indiens, du côté de la destruction chez le père, on vit alors de l’intérieur les ravages mais aussi la nécessité de l’alcool. Souvent on parle de l’alcoolisme des Indiens, comme s’il s’agissait d’une fatalité, mais au centre de ce comportement, il existe souvent des secrets trop lourds pour que les mots suffisent à les évacuer. L’enfant en parle ainsi

C’est un peu comme un mot de cinq cents kilos

L’autre aspect, bien connu aussi du monde des Indiens, c’est l’adaptation à la nature qui remet l’homme à sa juste place sur cette planète. Et l’auteur sait nous décrire et nous entraîner dans des paysages et des expériences que seule la nature sauvage peut nous offrir.

 

Citations

Être indien

Il était indien. Le vieil homme lui avait dit que c’était sa nature et il l’avait toujours cru. Sa vie c’était d’être seul à cheval, de tailler des cabanes dans des épicéas, de faire des feux dans la nuit, de respirer l’air des montagnes, suave et pur comme l’eau de source, et d’emprunter des pistes trop obscures pour y voir, qu’il avait appris à remonter jusqu’à des lieux que seuls les couguars, les marmottes et les aigles connaissaient.

L’alcool

 Le whisky tient à l’écart des choses que certaines personnes ne veulent pas chez elle. Comme les rêves, les souvenirs, les désirs, d’autres personnes parfois.

La souffrance et l’alcool

 J’ai essayé de me mentir à moi-même pendant un paquet d’années. J’ai essayé d’me raconter que ça s’était passé autrement. J’ai cru que j’pourrai noyer ça dans la picole. Ça a jamais marché du tout.

Les couchers de soleil

Lorsqu’ils passèrent la limite des arbres au niveau de la crête, les derniers nuages s’étaient écartés et le soleil avait repris possession du ciel à l’ouest. Les nuages été à présent pommelé de nuances mordorées et il pensa que c’était bien la seule cathédrale qu’il lui faudrait jamais.
Photo prise dans un blog que j’aime beaucoup : ruralité .net
 oui, les couchers de soleil sont des cathédrales !