Édition Buchet Chastel

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Je ne connaissais pas cette écrivaine et ce roman me le fait regretter car elle a un talent certain pour raconter des histoires et rendre vivante et proche de nous la civilisation guadeloupéenne de son enfance. Dans ce roman elle raconte le voyage initiatique pour un jeune Pascal qui est le fils de … Corazon Tejera, autrement dit, Dieu lui-même, pour ses adeptes. Alors Pascal serait le fils de Dieu ? c’est dur à porter ! déjà que sa naissance a été un miracle pour ses parents adoptifs qui l’ont recueilli dans un appentis qui ressemble fort à une crèche sous d’autres cieux. Voilà le roman est lancé, en s’inspirant des évangiles, Maryse Condé va nous raconter son pays et aussi le monde contemporain dans ce qui ne va pas trop mal et surtout ce qui va très mal.

Le message du Christ est toujours aussi dérangeant « aimons-nous les uns les autres » et toute vie sur terre a la même valeur. Pascal, un peu à l’image de Candide ira de société en société sans jamais trouver le bonheur. On le croit quand il est chez les Mondongues qui ont supprimé la propriété privée, l’alcool … Hélas ! cette société ira vers la tyrannie et Pascal devra prendre la fuite. Finalement, la solution ne sera pas « cultivons notre jardin » mais « trouvons l’amour ».

J’ai parfois beaucoup aimé ce roman surtout quand je sens vivre la société guadeloupéenne, surtout à travers le talent de conteuse de cette auteure. Cela m’a amusée de reconnaître mes souvenirs du catéchisme de mon enfance. Mais je m’y suis aussi souvent ennuyée . J’ai vraiment décidé de lire d’autres livres de cette auteure car son talent aux multiples facettes ne se résume certainement pas à ce roman très original.

 

 

 

Citations

Pourquoi prendre la beauté en photo est elle mortifère ?

 Comme elle jouit d’un « été éternel », les touristes s’y pressent, braquant leurs appareils mortifères sur tout ce qui est beau. Certains l’appellent avec tendresse « Mon pays », mais ce n’est pas un pays, c’est une terre ultramarine, un département d’outre mer quoi !

Autre temps autre mœurs

 Ce n’était un mystère pour personne que ses filles étaient les enfants du révérend père Robin qui avait dirigé la paroisse pendant de longues années avant de transporter ses vieux jours dans une maison de retraite du clergé situé près de Saint-Malo . En ces temps là, les gens de médisaient pas du comportement des prêtres.

Voilà la construction du roman :

 Brusquement Esperitu se tourna vers lui :  » J’ai quelque chose de peu agréable à vous apprendre. Vous ne verrez pas votre père, malheureusement, hier il a dû partir précipitamment pour l’Inde. -Pour l’Inde » répéta Pascal abasourdi, se demandant : mon père, pourquoi me fuis-tu ? mon père, pourquoi m’as tu abandonné ?

Mélange des évangiles et du monde moderne

 Certains jours, il se consacrait à la rédaction d’un ouvrage qu’il avait intitulé « Deux mots, quatre paroles ». Ce serait son œuvre maîtresse, il entendait prouver que cette mondialisation dont on nous rebat les oreilles était, en fin de compte, qu’une forme moderne de l’esclavage. Les nations riches de l’Occident obligeaient des pays pauvres du sud, dont la main d’œuvre était abondante et sous-payée, à confectionner à moindre frais les produits dont elles avaient besoin.

Humour :

 Cependant, on doit à la vérité de dire que les détracteurs des Mondongues avec des motifs de reproches plus sérieux. Au cours de leur histoire, ceux-ci n’avaient pas su produire un Robert Badinter et ils pratiquaient impunément la peine de mort. Ceux qu’ils appelaient les grands criminels étaient traduits devant un peloton d’exécution qui leur perforait la poitrine. Autrefois, ces exécutions étaient l’occasion de grandes fêtes et de réjouissances de nature à divertir la population. Mais les choses avait évolué aujourd’hui les Mondongues avaient adopté la pratique américaine de la chaise électrique, plus discrète, on en conviendra.

 

 

 

Éditions Points . Traduit de l’anglais par Jean Esch

Après « la trilogie berlinoise » voici l’offrande grecque. Je retrouve avec plaisir cet auteur écossais qui cherche avec obstination pourquoi la réparation des horreurs commises par les nazis a épargné tant d’assassins allemands. Bernie Ghunter, le personnage principal, vit maintenant sous une autre identité à Munich pour faire oublier son passé de policier berlinois sous le régime nazi, il va se retrouver en Grèce où l’attend une enquête très compliquée et pleine de rebondissements sanglants et effrayants impliquant Aloïs Brunner, responsable de tant de crimes et entre autre de l’extermination des juifs de Salonique. (Aloïs Brunner a terminé sa vie en Syrie, il devient conseiller d’Haez el Assad qu’il aide à former les services de renseignement, et à organiser la répression et la torture dans les prisons. lisez l’article de Wikipédia qui lui est consacré).

Ce qui m’a intéressée dans ce roman, c’est l’analyse de cet auteur face aux réactions -si peu nombreuses- suscitées par les crimes nazis en Grèce. Qui sait que 43 000 mille juifs furent déportés sous les ordres d’Aloïs Brunner ?. Pour l’auteur la façon dont l’Allemagne domine à l’heure actuelle l’Europe est une belle revanche pour les nostalgiques de la grandeur de l’Allemagne. L’enquête passionnera plus que moi les amateurs du genre .

Citations

Réflexions sur les atrocités nazies

Juste avant la guerre, j’étais un jeune avocat au ministère de la justice, ambitieux, obsédé par ma carrière. à cette époque, la SS et le parti nazi étaient le moyen le plus rapide de réussir. Au lieu de cela, je suis resté au ministère, Dieu merci. si vous ne m’aviez pas fait changer d’avis, Bernie, j’aurais certainement fini au SD, à la tête d’un groupe d’action de la SS dans les pays baltes, chargé d’éliminer des femmes et des enfants juifs, comme un tas d’autres avocats que j’ai connus, et aujourd’hui, je serais un homme recherché, comme vous, ou pire. J’aurais pu connaître le même sort que ces hommes qui ont fini en prison, ou pendus à Landsberg. Il secoua la tête, sourcils froncés. Très souvent, je me demande comment j’aurais géré ce dilemme… les massacres…. Qu’aurais-je fait ? Aurais-je été capable de faire. ça ? Je préfère croire que j’aurais refusé d’exécuter ces ordres, mais si je suis vraiment honnête avec moi-même, je n’en sais rien. Je pense que mon désir de rester en vie m’aurait persuadé d’obéir, comme tous mes collègues. Car il y a dans ma profession quelque chose qui m’horrifie parfois. J’ai l’impression qu’aux yeux des avocats tout peut se justifier, ou presque, du moment que c’est légal. Mais vous pouvez légaliser tout ce que vous voulez quand vous collez une arme sur la tempe du Parlement. Même les massacres.

Les fraudes( ?) à l’assurance : humour noir.

Sur la note du restaurant apparaissait deux bouteilles de champagne et une bouteille d’excellent bourgogne. Peut-être était-il ivre, en effet, je n’en savais rien, mais si l’assurance payait, Ursula Dorpmüller toucherait vingt mille marks, de quoi faire d’elle une authentique veuve joyeuse. Avec une telle somme, vous pouviez vous offrir des tonnes de mouchoirs et un océan de condoléances les plus sincères .

Descriptions qui me réjouissent .

 Je fus accueilli dans le hall par un gros type qui brandissait une pancarte MUNICH RE . Il arborait une moustache tombante et un nœud papillon qui aurait pu paraître élégant s’il n’avait été vert et, pire encore, assortie à son costume en tweed (et vaguement à ses dents aussi). L’impression générale -outre que le costume avait été confectionné- par un apprenti taxidermiste, était celle d’un Irlandais jovial dans un film sentimental de John Ford.

Je peux lire des romans polars quand l’écrivain possède cet humour :

 Située à une vingtaine de minutes en voiture d’Athènes, la ville ne possédait plus aucun monument ancien important, grâce aux Spartiates qui avaient détruit les fortifications d’origine et les Romains qui avaient détruit quasiment tout le reste. Voilà ce qui est réconfortant dans l’histoire : vous découvrez que les coupables ne sont pas toujours les Allemands.

 

 

 

Édition Phébus. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Bru

Ce roman m’a été offert car j’avais bien aimé « Dans la Forêt » de la même auteure. J’ai plus de réserves sur celui-ci qui connaît cependant un beau succès sur la blogosphère . J’ai eu un plaisir certain à découvrir les destins croisés de Cerise et Anna. Ces deux femmes ont, au même âge, avorté pour Anna, eu un bébé pour Cerise. Nous retrouvons ces deux femmes à d’autres moments clés de leur vie. Cerise éprouvera pour sa fille Mélody un amour si fort qu’elle pensait que rien ne pourrait briser leur entente fusionnelle. Anna se réalisera comme photographe auprès d’un homme attentif avec qui elle aura deux enfants. Elle cachera à tous son avortement et pense mener sa vie sans que cela prenne trop de place.

Pour Cerise la vie est faite de toutes les difficultés d’une mère célibataire pour qui la survie est toujours remise en cause par le moindre problème, et elle va les accumuler, les problèmes ( un peu trop à mon goût). Cela nous vaut l’habituel plongée dans le monde des exclus de la prospérité américaine.
Avec Anna nous partageons la vie d’une femme qui se demande si sa vocation d’artiste vaut la peine de bousculer sa famille en particulier ses deux petites filles.

A travers des rebondissements tragiques pour Cerise, plan galère pour Anna, ses deux femmes se retrouveront et permettront à l’une comme à l’autre un nouveau départ dans leur vie.

J’ai retrouvé les longueurs habituelles pour ce genre de roman américain, plus de six cent pages ! Je peux parfois avoir plaisir à rester longtemps avec des personnages et des lieux mais dans ce roman je me suis trouvée avec des personnalités figées dans des attitudes et des situations qui me semblaient plus proches de la démonstration ou du cliché que de personnes réelles. La révolte de Mélody à l’adolescence tellement traitée dans tous les romans, séries et films américains est un grand classique. Ainsi que la misère de ceux qui en sont réduits à vivre dans un mobile-home comme Cerise avant d’être réduite à dormir dans la rue après le tragique incendie dans lequel son bébé trouvera la mort.
De l’autre côté la difficulté à être une bonne mère quand on veut se réaliser à travers son travail artistique et permettre à son mari de trouver un job à la hauteur de ses ambitions intellectuelles est un sujet intéressant mais déjà traité dans bien des romans.Voilà ma réserve principale, je n’ai pas réussi à croire aux deux personnages de femmes. Je ne voudrais pas que mon opinion l’emporte sur votre envie de lire ce roman qui reçoit des éloges en grande partie mérités .

 

Citations

L’œil de la photographe

Bien avant d’avoir tenu un appareil photo entre les mains, elle s’était aperçue que, juste en regardant un objet ordinaire, elle pouvait le transformer en quelque chose de rare et d’étrange. Cette sensation que les autres enfants obtenaient en tournant sur eux-mêmes ou en se laissant rouler dans la pente des collines, elle l’éprouvait en scrutant de toutes ses forces le robinet en laiton du mur latéral, ou le moineau qui sautillait sur la terre polie en dessous des balançoires, au point bientôt de ne plus voir que le lustre de l’usure sur le bec du robinet ou l’étincelle dans l’œil du moineau.

Remarque de la mère des dessins de Cerise à propos de son père.

Je ne sais pas du tout d’où tu tiens ça, pas de moi, en tout cas, ça c’est sûr, ni de ton père, disaient-elles avant d’enchaîner, pleine d’amertume : Ton père n’était même pas fichu de se dessiner un avenir.

Dieu

 Parfois, elle essayait de prier, comme Sylvia et Jon le lui avaient conseillé. Mais des réponses qui lui venaient quand elle tentait d’adresser ses réflexions à Dieu pour qu’il lui serve de guide ne ressemblaient jamais à ce qui aurait plu à Sylvia et à Jon, si bien que Cerise se disait qu’elle s’y prenait mal, que ses prières passaient sans doute à côté de Dieu sans l’atteindre, comme quand elle composait un faux numéro et se retrouvait avec un inconnu au bout du fil.

Tellement vrai

 Personne n’a le choix, ajouta doucement sa grand-mère. on se dit toujours, « je ne pourrais pas le supporter », mais quand ça arrive, on voit que c’est la seule option possible : supporter.

Des femmes dans le malheur

 Parfois les femmes pleuraient, et les larmes qui coulaient sur leurs joues fatiguées jusqu’à leur de menton tremblant paraissaient minuscules comparées à leur ocean de souffrances. Cerise trouvait une sorte de réconfort dans leur histoire et dans ces larmes -pas par ce qu’elle aimait voir toujours plus de souffrances, mais parce que la souffrance était la vrai conditions des humains. C’était logique que les gens souffrent, logique que rien n’aille bien très longtemps. En regardant les autres femmes se rassembler autour de celles qui pleuraient, pour lui tapoter le dos et essuyer ses larmes, Cerise se sentait presque de la famille, presque de la famille des femmes qui la réconfortait.

 

Édition Robert Laffont Pavillons Poche . Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss

participations au mois « les feuilles allemandes »

« Si on bouquinait un peu »

« Ingannmic »

Surtout ne pas se fier à la quatrième de couverture qui raconte vraiment n’importe quoi :

En 1943 son père , officier de police , est contraint de faire appliquer la loi du Reich et ses mesures antisémites à l’encontre de l’un de ses amis d’enfance, le peintre Max Nansen.

Il y a deux choses de vraies dans cette phrase, le père du narrateur est bien chef de la police local, et nous sommes en 1943 . Deux choses fausses, le père policier n’applique pas des mesures antisémites à Max Nansen qui d’ailleurs n’est pas juif , mais il applique des mesures qui combattent l’art dégénéré . Il n’est pas « contraint » de le faire, et ce mot trahit complètement le sens du roman, le chef de la police de Rugbüll éprouve une joie profonde à appliquer toutes les mesures qui relève de son « DEVOIR » . (J’attribue à cette quatrième de couverture la palme de l’absurdité du genre)

le roman se passe en deux endroits différents, le jeune Siggi Jepsen est interné dans une maison pour délinquants sur une île et doit s’acquitter d’une punition car il a rendu copie blanche à son devoir d’allemand sur le « sens du devoir ». Il explique que ce n’est pas parce qu’il n’a rien à dire mais, au contraire, parce qu’il a trop de choses à dire. Commence alors, la rédaction de ses cahiers qui nous ramènent en 1943 à Rugbüll un petit village rural du nord de l’Allemagne dans la province du Schleswig-Holstein. Une région de tourbières et de marais. Le père de Jens, le policier local est très fier de ses fonctions. Le devoir, c’est ce qui le fait tenir droit dans ses bottes comme tous les allemands de l’époque. Le deuxième personnage du récit c’est un peintre Max Ludwig Nansen dont les tableaux ne plaisent pas au régime en place. Tout ce qui est dit sur ce peintre nous ramène à Nolde qui effectivement a peint cette région et a été interdit de peindre en 1943, car sa peinture a été qualifiée d’art dégénéré, alors que lui même avait adhéré au partit Nazi et était très profondément antisémite, (Angela Merkel a fait enlever ses tableaux de la chancellerie à Berlin, pour cette raison) . Rien de tout cela dans le roman, mais une évocation saisissante de la peinture de Nolde qui a compris mieux que quiconque, sans doute, la beauté des paysages de cette région.

 

Le roman voit donc s’opposer le père du narrateur un homme obtus et qui n’a qu’une raison de vivre : appliquer les ordres et ce peintre qui ne vit que pour la peinture, tout cela dans une nature austère et au climat rude. Sur la couverture du livre je vois cette citation de Lionel Duroy :

J’aurais rêvé être un personnage de Lenz, habiter son livre.

Cette phrase m’a laissée songeuse, car j’ai détesté tant de personnages de ce roman. Je pense que Lionel Duroy n’aurait pas aimé être le père de Jens qui est capable de dénoncer aux autorités son propre fils Klaas qui s’est tiré une balle dans la main pour fuir l’armée. La mère qui dit tout comme son mari et qui explique à son fils de ne pas s’approcher des enfants handicapés car ils sont porteur de tous les vices et les malheurs du monde. Tous les personnages se débattent dans un pays si plat que rien ne peut y être caché et se meuvent dans une lenteur proche du cauchemar. Le peintre a une force personnelle qui rompt avec cet académisme bien pensant sans pour autant remettre à sa place le policier même après la guerre sans que l’on comprenne pourquoi.

Il y a une forme d’exploit un peu étrange dans ce roman, le mot Nazi n’y apparait jamais pas plus que la moindre allusion au sort des juifs, pas plus que le nom d’Hitler. Ce n’est sûrement pas un hasard mais je ne peux qu’émettre des hypothèses. Je pense que le but de Siegfried Lenz est de montrer qu’une certaine mentalité allemande est porteuse en elle-même de tous les excès du nazisme. Cette mentalité puise ses racines dans une nature où le regard se perd dans des infinis plats et gris auquel seul le regard d’un artiste peut donner du sens . Je vous conseille de regarder sur Arte un reportage sur Nolde, vous entendrez que ce roman de Siegfried Lens a contribué à effacer le passé antisémite du peintre et son engagement au côté du régime Nazi. Je comprends mieux les curieux silences de l’auteur qui m’avaient tant étonnée.

Tout cela donne un roman de 600 pages au rythme si lent que j’ai failli plusieurs fois fermer ce livre en me disant ça va comme ça ! Assez de nature grise mouillée sans aucun relief ! Assez de ces personnages qui restent face à face sans se parler ! Assez des bateaux sur l’Elbe qui n’avancent pas !

Mais, je me suis souvenue du mois des feuilles allemandes chez Patrice et Eva alors j’ai tout lu pour vous dire que vous pouvez laisser ce roman dans les rayons de votre bibliothèque d’où on ne doit pas le sortir très souvent. Et si vous voulez comprendre cette région regardez les tableaux de Nolde (malgré son passé nazi et son antisémitisme) vous aurez plus de plaisir et vous aurez le meilleur de cette région.

 

 

Citations

 

Un passage pour donner une idée du style et du rythme très lent du roman

Toujours plus haut, plus vite, plus abrupt. Toujours plus vigoureuse les impulsions. Toujours plus près de la cime large et défrisée du vieux pommier planté par Frederiksen du temps de sa jeunesse. La balançoire émergeait avec un sifflement de l’ombre verdoyante, glissait dans un grincement d’anneaux le long des cordes tendues et vibrantes et engendraient au passage un fort appel d’air ; et, sur le corps arqué et tendu de Jutra passait les ombres effrangées des branchages. Elle grimpait vers le sommet, restait un instant suspendu dans l’air, retombait ; j’intervenais dans cette chute en poussant rapidement au passage la planche de la balançoire ou les hanches de Jutta ou son petit derrière ; je la poussais en avant, en haut, vers le sommet du pommier, elle grimpait là-haut comme projetée par une catapulte, la robe flottante, les jambes écartées, et le courant d’air sifflant lui modelait sans cesse une nouvelle apparence, tirait ses cheveux vers l’arrière ou donnait plus d’acuité encore à son visage osseux et moqueur. Elle avait décidé à faire un tour complet avec la balançoire et moi, j’étais décidé à lui fournir l’impulsion nécessaire, mais pas moyen d’y arriver, même quand elle se mit debout, jambes écartées sur la planche, pas moyen d’y arriver, la branche était trop tordu ou l’impulsion insuffisante : ce jour-là, dans le jardin du peintre, pour le soixantième anniversaire du docteur Busbeck. Et quand Jutta comprit que je n’y arriverai pas, elle se rassit sur la planche. Elle se laissa balancer en souriant sans l’ombre d’une déception et se mit à me regarder d’une façon bizarre. Et soudain elle m’enserra et me retint dans la pince de ses jambes maigres et brunes, je n’avais plus guère notion d’autre chose que de sa proximité. En tout cas je compris cette proximité, et j’ose l’affirmer, elle comprit que j’avais compris ; je décidai de rester absolument immobile et d’attendre la suite mais il n’y eut pas de suite : Jutta me donna un baiser bref et négligent, desserra ses jambes, se laissa glisser à terre et courut vers la maison.

Le sens du devoir du père policier et le peintre

Peut-être te renverra t-on les tableaux un jour, Max. Peut-être que la Chambre veut-elle seulement les examiner et te les renverra-t-on après.
Et dans la bouche de mon père une telle affirmation, une telle hypothèse prenait un air de vraisemblance tel qui ne serait venu à l’idée de personnes de mettre en doute sa bonne foi. Le peintre en resta interloqué et sa réponse mit du temps à venir. Jens, dit-il enfin avec une indulgence un peu amère , mon Dieu, Jens, quand comprendras-tu qu’ils ont peur et que c’est la peur qui leur inspire cette décision, interdire aux gens d’exercer leur profession, confisquer des tableaux. On me les renverra ? Dans une urne peut-être, oui. Les allumettes sont entrés au service de la critique d’art, Jens, de la contemplation artistique comme ils disent. Mon père faisait face au peintre ; il ne montrait plus le moindre embarras et son attitude exprimait même une impatience arrogante. Je ne fus donc pas surpris de l’entendre dire : Berlin en a décidé ainsi et cela suffit. Tu as lu la lettre de tes propres yeux, Max. Je dois te demander d’assister à la sélection des tableaux. Est-ce que tu vas mettre les tableaux en état d’arrestation ? demanda le peintre et mon père, d’un ton cassant, nous verrons quels tableaux doivent être réquisitionnés. Je vais noter tout ça et on viendra les chercher demain.

Heureusement que l’écrivain narrateur prévient de la lenteur…

Mais il faut maintenant que je décrive le matin, même si chaque souvenir appelle des significations nouvelles : il faut que je mette en scène une lente éclosion du jour au cours de laquelle un jaune irrésistible l’emporte peu à peu sur le gris et le brun ; il faut que j’introduise l’été, un horizon sans bornes, des canaux, un vol de vanneaux, il faut que je déroule dans le ciel des nappes de brume, et que je fasse résonner de l’autre côté de la digue le bourdonnement vibrant d’un cotre ; et pour compléter le tableau, il faut que je quadrille le paysage d’arbres et de haies, de fermes basses d’où ne se lève aucune fumée ; il faut aussi que, d’une main négligente, je parsème les prairies de bétail taché de blanc et de brun.

Toujours cette lenteur qui convient aux gens du Nord de l’Allemagne

Je dois patienter si je veux tracer de lui un portrait ressemblant ; je dois évoquer les entrée en matière des deux hommes, leur extraordinaire propension à larder la table de la cuisine de silences exagérément longs -ils parle il parlèrent d’avion volant en rase-mottes et de chambres à air- je dois supporter une fois encore le soin minutieux qu’ils mirent à s’informer de la santé de leurs proches et je dois aussi songer à leurs gestes lents mais calculés.

Le devoir dialogue avec le facteur

Il y en a qui se font du souci, dit-il, il y a des gens qui se font du souci pour toi parce qu’ils pensent que les choses peuvent changer un beau jour : tu sais qu’il a beaucoup d’amis. J’en sais encore plus, dit mon père, je sais qu’on l’estime aussi à l’étranger, qu’on l’admire même, je sais que chez nous également, il y en a qui sont fiers de lui, fiers, parce qu’il a inventé ou créé ou fait connaître le paysage de chez nous. J’ai même appris que dans l’Ouest et dans le Sud c’est à lui qu’on pense d’abord quand on pense à notre région. Je sais pas mal de choses crois-moi. Mais pour ce qui est du souci ? Celui qui fait son devoir n’a pas de souci à se faire -même si les choses devaient changer un jour.

Son père, est ce de l’humour ?

Il avait la réflexion besogneuse, la compréhension lente, une chance car cela lui permettait de supporter pas mal de choses et surtout de se supporter lui-même.

L’allure de son père

On n’entendait pas encore leurs pas traînants dans le couloir que déjà le policier de Rugbüll s’apprêtait à les recevoir et adoptait un maintien que nous qualifierons de martial. Dressé de tout son haut , des jambes légèrement écartées , solidement ancré au plancher, l’air décontracté mais néanmoins en éveil, il resta planté au centre de la cuisine, revendiquant ostensiblement l’obéissance dont on lui était redevable en tant qu’instructeur et actuel chef de notre milice populaire.

L’après nazisme

On se dit qu’ils vont rester terrés un bon moment, faire les morts, se tenir cois, en tête à tête avec leur honte, dans l’obscurité, mais à peine a-t-on eu le temps de respirer Que déjà ils sont de retour. Je savais bien qu’ils reviendraient, mais pas si vite, Teo, jamais je ne l’aurais cru. Quand on voit cela, on ne peut que se demander ce qui leur fait le plus défaut : la mémoire ou les scrupules.

La présence des tableaux

Peut-être cela commença-t-il ainsi : je remarquai que j’étais observé et non seulement observé mais reconnu. Les slovènes étaient assis autour de leur table ronde, la mine béate, l’ œil vitreux, plein de schnaps. Les marchands avaient d’intérêt que pour une vieille femme qui passait sans faire attention à eux et les paysans courbés par le vent avaient fort à faire avant l’orage imminent. Les acrobates ? Les prophètes ? Ceux-là ne faisaient que soliloquer.
 Ce devaient être les deux banquiers avec leurs mains vertes légèrement dorées et leur visage semblable à des masques, ils me regardaient. Ils avaient cessé de se mettre d’accord du coin de l’ œil sur l’homme prostré en face d’eux sur sa chaise. Son désespoir ne les intéressait plus, ils l’abandonnaient à sa douleur. Il me sembla qu’ils avaient levé le regard, toute trace de supériorité avait disparu de leurs yeux gris et froid. Je ne pouvais pas me l’expliquer, je ne cherchais pas non plus à me l’expliquer : la peinture se rétrécit , j’ai ressenti une douleur précise, comme un étau contre les tempes, quelque chose de clair se déplaçait vers la peinture germait très loin à l’arrière-plan et se rapprochait en vacillant.

Évocation de la nature qui peut faire penser aux tableaux de Nodle

Nous attendîmes jusqu’au crépuscule et il ne se passait toujours rien. Le soleil se couchait derrière la digue, exactement comme le peintre lui avait appris à le faire sur papier fort, non perméable : il sombrait, il s’égouttait pour ainsi dire dans la mer du Nord, en filaments de lumière rouges, jaunes, sulfureux ; de sombres lueurs fleurissaient des crêtes des vagues. Le ciel s’allumait de tons ocres et vermillons aux contours flous, aux formes imprécises, presque gauche ; mais le peintre lui-même le voulait ainsi : l’habileté, avait t-il déclarer un jour, ce n’est pas mon affaire. Donc, un long coucher de soleil, gauche d’allure, avec quelque chose d’héroïque malgré tout, plus ou moins bien, cerné au début comme noyé à la fin.

 

 

Éditions de l’Olivier 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

C’est le troisième billet que je consacre à Agnès Desarthe, je me rends compte que j’aime bien lire cette écrivaine sans jamais faire de ses romans des coups de coeur. Après Le Remplaçant, puis Ce Coeur Changeant, voici donc « Les Bonnes Intentions » qui avait tout à fait sa place dans le thème « les voisins », de notre club de lecture.

Sonia et Julien, un jeune couple, deviennent propriétaire dans un immeuble parisien. L’une est traductrice, l’autre architecte, ce qui veut dire que Sonia travaille chez elle, et aura beaucoup de temps pour connaître ses voisins. Ils auront deux enfants et tout semble leur sourire. Bien sûr la concierge se mêle un peu de tout mais au début tout va assez bien. Ce roman se déroule sur une petite dizaine d’années mais on a l’impression que tout se passe en quelques mois. Un jour un voisin tape à la porte de Sonia, c’est un homme âgé sans défense et qui est sous la coupe de la concierge et de son compagnon. Ils sont absolument odieux avec ce vieux monsieur , l’affame et le séquestre chez lui. Il ne lui reste comme famille qu’une belle fille qui attend avec impatience l’héritage car cet homme est propriétaire de son appartement.

Sonia est tiraillée entre « ses bonnes intentions » et l’envie d’être tranquille et de ne pas se mêler des affaires du voisinage. Le couple de concierges, incultes, cruels, antisémites est une véritable horreur. Les autres personnages ont peu d’importance, on se demande pourquoi Sonia et Julien n’ont pas plus de contacts avec d’autres voisins qui auraient pu les aider dans leurs démarches pour faire cesser les souffrances du pauvre Monsieur.

Une lecture tristoune que j’oublierai assez vite.

 

 

Citations

Julien son conjoint

 Julien est toujours un peu triste. Il prépare la défaite, c’est ce qui fait sa force. Avec lui, je me sens en sécurité, parce que je sais que la vie ne sera jamais aussi moche que dans ses cauchemars.

Ambiance d’un bar quand on a des soucis en tête

 Autour de nous, ça papote, ça sirote. Il y a des vieux qui veulent faire jeune et les jeunes qui veulent faire vieux. Je voudrais me réjouir et goûter l’instant pour ce qu’il contient de délices, mais mon esprit vagabond. Face à mon manque d’enthousiasme, les paroles de Julien se tarissent lentement. Bientôt nous nous taisons et le monde à l’entour nous envahit. La colère monte en moi, comme un picotement au bout des doigts, un agacement dans la nuque. Je pense à M. Dupotier, à sa belle fille qui attend qu’ils crève avec une intensité atroce.

Les dîners où on s’ennuie

 Hier soir, nous sommes rentrés à deux heures du matin d’un dîner très ennuyeux, dont il était pourtant impossible de partir. J’ai espéré jusqu’au dernier instant qu’un des convives allait se mettre à parler normalement, à rire, ou simplement à renifler. Nous étions dix à table et chacun luttait pour exister avec une âpreté décourageante. Il était question que de travail et d’argent. L’enjeu, je ne l’ai pas compris.

Fin de l’histoire

 –Pour vous, séquestrer un vieillard, menacer les gens de mort et les traiter de sales juifs, ce n’est pas une faute grave ? 
– Pas selon le code du travail. 
– Donnez-moi un exemple, alors. Dites-moi ce qui peut motiver un renvoi. 
– Ne pas vider les poubelles. Refuser de distribuer le courrier, des choses de ce genre.

Édition Le cherche Midi

Lu dans le cadre de Masse Critique Babelio

 

Ce livre raconte un enterrement où rien ne se passe comme prévu et nous offre une galerie de personnages attachants. Pourtant, il s’agissait d’une cérémonie qui aurait dû être très simple parce qu’elle se passe parmi des gens ordinaires, ceux que l’on ne remarque pas : Serge, le défunt, conducteur de bus pour les résidents de l’EHPAD, Arlette sa compagne, femme de ménage, son ami en fauteuil roulant, sa mère qui a enfin, à 84 ans, trouvé le bonheur avec une compagne et sa sœur qui au début du récit semble odieuse et uniquement préoccupée par la réussite financière et qui est maman d’une ado Garance plus généreuse que ses parents.

Et puis il y a les deux assistants funéraires dont la vie est assez compliquée, l’un car il ne se remet pas d’une grave dépression, l’autre car il attend désespérément une réponse à un texto envoyé à une jeune actrice qui lui chavire le coeur.

Tout commence dans la tristesse sous la pluie avec à peine douze personnes dans l’église pour se terminer en apothéosé le lendemain avec une centaine de personne au cimetière. C’est sans doute mes réserves sur ce roman, tout se termine tellement bien que je n’ai guère pu y croire. Je ne divulgâche rien pourtant j’en aurais bien envie ….

 

 

Citations

À quoi pense une mère d’ado pendant l’enterrement de son frère

 Ses parents s’apprêtent à lui payer une école de dessin en plein cœur de Paris à neuf mille balles de frais de scolarité mais c’est Arlette qui est « trop cool » avec son clafoutis. franchement, y a des baffes qui se perdent.

Le copain du défunt

Je falsifiais . Des fiches de paie, des diplômes, des reçus. C’est mon côté artiste. j’avais fait les beaux-arts à bordeaux. Sauf qu’au lieu de copier Vélasquez ou Rembrandt, je faisais des faux bulletins de salaire. Des bouteilles de vin, aussi. J’en ai fait un paquet. Des fausses étiquettes de grands crus, des faux cachets de cire. Les types mettaient de la piquette dedans, personne faisait la différence, les caisses partaient à des prix que vous n’imaginez pas.

L’humour et une chanson triste

 « La tendresse » est probablement la chanson la plus triste du répertoire français. L’écouter dans un corbillard garé devant un cimetière, un lundi après-midi, sous un ciel menaçant, relève de l’exploit. Ça pourrait faire l’objet d’une épreuve olympique.

 

Édition Livre de poche. Traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides

 

Une bonne idée piochée dans ce roman

Peut-être serait-ce une bonne idée que tout le monde cesse d’écrire pendant deux ou trois ans pour laisser les lecteurs rattraper leur retard

Je dois cette lecture à Athalie et après avoir relu son billet, je comprends pourquoi je suis tombée dans le piège de ce roman. Athalie a complètement raison, l’ego des écrivains qui les mène à courir les plateaux télé et à faire les beaux pour recevoir des prix littéraires est très bien raconté dans ce roman. Mais c’est d’une tristesse ! et cela me donne envie de vomir. Or, une de mes grandes joies, je la dois aux livres écrits par ces êtres si imparfaits. Je crois que je n’ai pas envie d’apprendre qu’ils peuvent être de si petits hommes. Depuis « Bel Ami » ou Rastignac je sais bien que celui qui au départ n’a pas grand chose doit avoir les dents bien longues et très peu de scrupules pour arriver au sommet. Maurice Swift n’a pour lui que d’avoir 20 ans et être un très beau garçon qui plaît aux hommes aussi bien qu’aux femmes. Il va faire un coup de maître en prenant le cœur et l’âme d’un vieil écrivain homo d’origine allemande et qui a commis une vilénie lorsqu’il était jeune homme à Berlin.

Le talent de Maurice, car il en a un, c’est de voler les histoires des autres, avec ce roman il a dévoilé au monde que ce grand écrivain admiré par tous a envoyé à la mort une famille juive, parce qu’il éprouvait une passion amoureuse pour son ami. Passion qui n’était pas partagée puisque ce jeune ami était amoureux de la jeune fille juive qu’il essayait de sauver. Ce roman lance Maurice dans la vie littéraire mais il n’a plus aucune inspiration puisque plus personne ne lui raconte d’histoires. Il se mariera et volera le manuscrit de sa femme, dont il provoquera la mort ainsi que celle de son fils. Ensuite, directeur d’une revue, il volera des idées aux talents inconnus qui lui envoient des nouvelles.

Athalie a aimé la fin lorsqu’enfin le destin va se retourner contre lui, et que ses impostures seront dévoilées. Moi j’étais, déjà, complètement écœuré par le personnage. Je pense que j’aurais voulu que le roman s’arrête à la première histoire, les deux meurtres sont de trop. Le seul moment que j’ai aimé après le premier roman, c’est lorsqu’un grand écrivain Gore, ne cède pas à son charme et lui fait comprendre qu’il n’est absolument pas dupe du personnage.

Si vous voulez perdre toutes vos illusions sur les écrivains, et que vous êtes en bonne forme morale, lisez ce livre. Si vous avez envie de croire que les écrivains ne sont pas pires que les autres humains et que parfois vous vous sentez triste de l’état du monde, passez votre chemin : ce livre ne vous aidera pas à vivre

 

Citations

 

Un moment assez amusant

Cependant, je me souviens qu’il me félicita pour mon dernier succès et ajouta que, bien qu’il n’eût pas lu mon roman parce qu’il ne lisait aucun auteur non-américain, il avait reçu l’assurance de notre éditeur commun qu’il s’agissait d’un texte d’une certaine valeur.
« Je vous en prie, n’en prenez pas offense », me dit-il avec son accent traînant, enfonçant ses doigts boudinés dans sa bouche pour retirer un morceau de petit four logé entre ses dents avant de l’examiner avec l’ intensité d’un analyste médico-légal, puis de s’en débarrasser en l’envoyant d’une pichenette sur la moquette. « Je ne lis pas non plus les femmes et je m’arrange pour le faire savoir dans toutes les interviews parce que cette déclaration m’assure inévitablement un maximum de publicité. La brigade du politiquement correct monte immédiatement sur ses grands chevaux et en un temps record, je me retrouve en vedette de toutes les pages littéraires. »

Humour

Ces livres étaient efficaces mais si douloureusement banals que même le président Regaen en avait emporté un en vacances en Californie vers la fin de son déconcertant règne et déclaré qu’il s’agissait d’un portrait magistral des ouvriers des aciéries américaines, sans se rendre compte que les ouvriers en question forniquaient à qui mieux mieux entre les lignes.

La méchanceté

Ma propre mère, Nina, a commencé comme actrice, vous savez. Elle a ensuite renoncé à cette profession pour devenir une alcoolique, une traînée et une aliénée. Je ne sais pas pourquoi elle n’aurait pas pu faire tout ensemble. Historiquement, les deux carrières ne se sont jamais avérées incompatibles.

L’indignation littéraire

Et tout ce que je peux en dire, c’est que la moitié des romanciers du monde entier ont mis leur grain de sel, ce qui a fourni à chacun d’entre eux les quelques minutes de publicité qu’ils recherchaient. Comme la concurrence est féroce quand il s’agit d’exprimer son indignation !

 

 

Édition Acte Sud Babel . Traduit du Japonais par Rose-Marie Makino Fayolle.

Ce n’est pas mon premier roman de cet auteur prolifique, puisque j’avais lu et beaucoup aimé : « La formule préférée du professeur« . Si je me suis lancée dans cette lecture, c’est pour rendre hommage à ma façon à Goran comme l’avait suggéré Eva le lendemain de sa disparition.

C’est un tout autre état d’esprit de lire un livre en pensant à quelqu’un dont j’aimais les articles et qui, en tout cas c’est que je supposais, devait aimer ce livre. De plus ce roman est un récit entre le conte et la réalité vue à travers le regard d’êtres purs et j’ai eu peur d’abimer quelque chose en le critiquant. Donc, même si j’exprime quelques réserves, je finirai avec Goran et retrouverai mon âme d’enfant.

Ce roman raconte la vie d’un enfant orphelin élevé avec son frère par une grand-mère aimante mais écrasée de chagrin d’avoir perdu sa fille. Son mari est menuisier et répare les meubles abimés par le temps. L’enfant est né avec les lèvres soudées, le chirurgien lui ouvrira la bouche d’un coup de scalpel, et prendra sur son mollet la peau nécessaire à la greffe. Toute sa vie il aura comme un duvet sur les lèvres. Cet enfant est captivé par les êtres difformes, que ce soit l’éléphante qu’on avait installée sur le toit d’un grand magasin pour amuser les enfants et qui grossira tellement qu’elle ne pourra jamais en descendre. Ou pour cette petite fille qui a disparu dans l’interstice trop étroit entre sa maison et celle des voisins. Ou encore pour son maître des échecs, ce personnage qui vit dans un bus et qui devient obèse à force de manger des sucreries. L’enfant va vieillir mais refuser de grandir. Avant sa mort son maître, lui apprendra à devenir un excellent joueur en s’inspirant de la vie d’Alekhine . La mort de son ami et maître des échecs est une horreur, trop gros pour sortir de son bus il faudra une grue pour évacuer son corps de plus de deux cents kilos. L’enfant est terrassé par le chagrin, et à partir de ce moment tragique, ne grandira plus. L’autre particularité de cet enfant c’est qu’il ne peut jouer que sous l’échiquier, sa taille et le fait qu’il n’a pas besoin de voir son partenaire va lui permettre de se cacher dans une sorte d’automate qui portera le nom de « Little Alekhine ». Il connaîtra alors un grand succès et les champions des échecs veulent tous affronter cet automate. Mais lui l’enfant qui ne grandit pas, ne voit dans ce jeu qu’une occasion de connaître l’âme humaine et est fasciné par ce que la façon de jouer des hommes révèle de leur être profond. Il ne cherche pas à gagner à tout prix. Il y a un charme certain dans ce roman, on est fasciné par ces êtres purs confrontés à la réalité de la vie, et puis, si on aime les échecs la façon dont sont décrits tous les coups possibles rend ce roman intrigant. La tour qui laboure, le fou qui s’envole, la dame qui est libre, le cheval qui saute par dessus les obstacles, et le pion ce petit personnage sans importance mais qui donne tout son charme à ce jeu.

J’ai quelques réserves sur ce roman, il y a une forme de grâce dans la pureté des êtres à laquelle j’ai du mal à croire, d’ailleurs l’auteur ne cherche pas à les rendre crédibles, tout est symbolique aussi bien les personnages que le jeu d’échecs mais la force du roman c’est d’embarquer le lecteur dans l’univers de Yôko Ogawa et que ce lecteur accepte de ne plus se poser de questions sur la vraisemblance. Hélas, je suis française formée à l’esprit logique et j’ai un peu de mal à faire cela. Si je n’avais pas été soutenue par toute la bienveillance de Goran, j’aurais été encore plus critique. Je me répétais sans cesse : « quel mal y a t’il à retrouver son coeur d’enfant ? N’est ce pas une force que de chercher en chaque être brisé par la vie (l’obésité morbide, la vieillesse) la part d’humanité ? » J’ai donc lu ce roman facilement et agréablement en mettant mon esprit cartésien de côté.

Qu’en pensez-vous ? Merci de m’avoir lu.

 

 

Citations

 

La conception des échecs par le maître.

Ceux qui peuvent suivre le meilleur chemin pour faire échec au roi n’apprécient pas toujours correctement la beauté tracée par ce chemin. À partir du code dissimulé dans le mouvement d’une pièce, la capacité à percevoir le timbre du violon, à discerner l’assortiment de couleur d’un arc-en-ciel, à découvrir la philosophie qu’aucun génie n’a pu mettre en mots est différente de celle qui permet de gagner une partie. Et cet homme l’avait.
 C’était le genre de joueurs qui, tout en perdant allègrement une première partie, découvrait une dimension lumineuse en chaque coup de ses rivaux, et qui même debout dans un coin de la salle des rencontres en était plus que quiconque profondément remuée.
 En plus, l’homme ressentait un bonheur suprême à partager cette lumière avec quelqu’un d’autre. Il ne cherchait pas à vaincre son adversaire, mais à pouvoir s’accorder avec lui en disant : « Qu’en pensez-vous, c’est magnifique n’est-ce pas ? »

Caractère des joueurs d’échecs.

Même les rencontres pour lesquelles on pense avoir eu de la chance ne sont pas dues au hasard tombé du ciel, mais à la propre force du joueur. Sur l’échiquier apparaît tout du caractère de celui qui déplace les pièces, dit le maître d’un ton docte de celui qui lit un serment. Sa philosophie, ses émotions, son éducation, sa morale, son ego, ses désirs, sa mémoire, son avenir, tout. On ne peut rien dissimuler. Les échecs sont un miroir qui donne une idée de ce qu’est l’homme.

 

Édition

Édition de minuit

 

Quel talent cet écrivain et quel pensum de lire un tel roman avec si peu de moyens de supporter la violence. Vers les trois quart du roman je me suis rendu compte que j’en voulais à l’écrivain de décrire avec autant de minutie des faits qui me dégoûtent au plus haut point. Je pense que dans le genre glauque et violent, je préfère les récits rapides qui me permettent de ne pas passer quinze jours avec la peur d’ouvrir encore le roman et savoir que l’on s’enfoncera encore un peu plus dans l’ignominie.

Je ne peux pas avoir un avis objectif sur ce livre, je suis certaine que Laurent Mauvignier écrit de façon remarquable mais pourquoi a-t-il pris ce plaisir à détruire tous les personnages dont il avait patiemment construit la vie pendant la moitié du roman. Il prendra encore autant de temps pour les détruire à petit feu pendant l’autre moitié. Le roman se centre sur une nuit qui au lieu d’être l’anniversaire d’une jeune femme, Marion , maman d’Ida, épouse d’un paysan Patrice et voisine de Christine artiste peintre, sera une nuit de massacre organisé par ceux qui avaient tellement abîmé sa vie d’adolescente : trois frères violents et prêts à tout pour détruire le début d’un bonheur si fragile.

Six cent trente quatre pages pour essayer de comprendre pourquoi quand la vie a mal commencé il est vraiment impossible d’avoir droit au bonheur et pourtant ça a failli réussir. Mais la fatalité , le destin, la malchance, la poisse ce sont vraiment des tentacules d’une pieuvre dont on ne peut se débarrasser qu’en visant la tête, encore faut-il pouvoir l’atteindre !

Un roman qui tient pour son écriture si particulière qui m’a enchantée pendant les trois cents premières pages, et qui n’a pas suffit à me faire supporter la description du drame final.

Citations

Village déserté

Voilà aucun ne resterait, il n’y avait de toute façon rien à foutre à la Bassée, c’est vrai, mais entre d’avoir rien à y foutre et n’en avoir rien à foutre il y avait une nuance que personne ne semblait voir, car personne ne voulait la voir. 

Les lettres anonymes

(Et longueur des phrases j’ai coupé au 2/3 .)

Les lettres anonymes, ils ont beau ironiser, oui, ou jouer la connivence en se disant que c’est malheureusement peut-être une spécialité française, il faudrait voir, toutes les histoires pendant la seconde guerre mondiale, une spécialité campagnarde au même titre que les rillettes et le foie gras dans certaines régions, une détestable tradition, assez pitoyable et heureusement souvent sans conséquence, mais qu’on ne peut pour autant pas prendre à la légère, explique le gendarme comme il l’avait expliqué la dernière fois, avec fatalisme et un peu de lassitude ou de consternation, car, répétait-il, derrière les lettres anonymes il y a presque toujours des aigris et des jaloux, des envieux, qui n’ont rien d’autre à faire que de ressasser leur bile et croit s’en décharger en insultant un ennemi plus ou moins fictif, en l’invectivant, en le menaçant, en crachant sur lui une haine recuite par l’intermédiaire d’une feuille de papier ;

Façon de distiller le suspens procédé un peu répétitif .

Pour l’instant, elle ignore les bruits, n’en n’est pas encore à les surprendre un peu partout autour d’elle, comme elle va le faire dans quelques minutes.
Pour l’instant, elle ne prête aucune attention à ces froissements, ces souffles ou ces pas qu’elle commencera à percevoir seulement quand elle aura fini d’installer sur sa table de cuisine les ingrédients et les ustensiles dont elle va avoir besoin.
Pour l’instant, donc, elle ne fait pas attention aux bruits de l’extérieur, ni au fait que son chien n’est toujours pas revenu auprès d’elle. 

Usine fermée.

Car oui, il arrive qu’on soit soulagé de la fermeture d’une usine, comme celle-ci où on a fabriqué pendant plus de quarante ans des plaques ondulées en fibro-ciment pour les bâtiments agricoles et des raccords de tuyauterie, mais surtout des cancers et, pour ceux qui n’en sont pas morts, des dépressions liées à la peur de l’amiante, de vivre avec cette saloperie en soi.

 

Édition Albin Michel

 

 

Le destin de femmes, en particulier les quatre femmes de la famille Malivieri, Agnès la mère, Sabine l’aînée, Hélène la seconde et Mariette la cadette est décrit avec précision par Véronique Olmi, ce récit est inscrit dans le temps : de 1970 à 1981.

C’est un gros roman de cinq cents pages, l’auteure souhaite donner la même importance à chacune de ces femmes. C’est donc l’émergence de la condition féminine qui va être le principal moteur de cette histoire.

Nous sommes au début, dans la famille Maliviéri, un couple uni dans la foi catholique et qui est presque dans la misère, car le père, Bruno doit payer pour la faillite financière de l’affaire de son père. À cause de ce manque d’argent, la famille doit accepter un chèque mensuel de la famille Tavel, le beau-frère d’Agnès, sa sœur a fait un très beau mariage avec un très riche industriel. La seule contre partie à ce chèque mensuel, c’est de laisser Hélène venir passer toutes ses vacances dans la famille Tavel. C’est humiliant et compliqué à vivre pour la petite fille, car elle aime les deux familles et ne se sent chez elle nulle part. Ses deux pères sont des figures bienveillantes qui vont l’aider à se construire une personnalité toujours un peu ambivalente.

Commençons donc par la mère Agnès, dernière née d’une famille nombreuse, elle n’a pas été soutenue dans son désir d’études et s’est précipitée dans son mariage avec le gentil Bruno, pensant trouver là le moyen de se réaliser. Le début de leur union sera marqué par la perte d’un enfant à la naissance, mais la foi chrétienne et la vie de famille avec trois filles suffiront au bonheur d’Agnès. Et puis les filles partiront vivre leur vie et le silence qui s’installe dans leur petit appartement devient pesant. Elle décide alors de devenir factrice et c’est encore un moment de bonheur dans le monde du travail qui s’installe pour elle . Hélas ! une dernière grossesse désirée par le couple se soldera par un drame (je ne peux pas sans trop en dire sans divulgâcher la fin).

Ensuite vient Sabine, l’aînée des filles qui a une volonté de fer et une énergie peu commune. Elle n’a qu’une envie vivre à Paris et quitter l’atmosphère étriquée de la province. Elle se lancera dans une carrière d’actrice et nous permet de découvrir la galère des débuts dans le monde du spectacle et toutes les luttes qui ont marqué cette époque. Elle a des amours compliqués et un engagement politique à gauche qui lui permettra de fêter avec un grand bonheur la victoire de Mitterrand sur Giscard .

Vient ensuite Hélène, la seule qui soit à l’abri des soucis financiers grâce à l’affection de son oncle David Tavel. Elle épousera la cause animale et se lance dans la lutte pour la survie de toutes les espèces. Ses amours ne sont pas très simples et cela nous permet de découvrir le monde de Neuilly vu du côté des jeunes très favorisés.
Il reste donc Mariette qui a vécu longtemps seule avec ses parents et qui en veut à ses sœurs de ne pas se soucier plus des difficultés de Bruno et Agnes , elle se découvrira une passion pour la musique et un amour pour Joël qui l’aide à comprendre ses parents.
J’ai oublié une autre femme : Laurence une femme aisée et libre qui vit dans une belle bastide et qui sera un point d’appuie important pour Agnès et Mariette.

Bien sûr il y a des hommes mais ils ne sont là que pour accompagner le cheminement de ces femmes. Même Bruno, le gentil Bruno, qui jamais ne s’impose auprès de sa femme ni de ses filles.

C’est un roman qui se lit très facilement et où on retrouve des aspects de la société que l’on a connus. Je trouve très bien raconté, l’arrivée de la sexualité dans la vie des jeunes filles. La peur et l’attirance à la fois. Comme je viens d’un milieu laïc, je suis étrangère à l’engagement religieux des parents, mais laïcs ou catholiques se retrouvent dans la condamnation d’une sexualité féminine libérée. J’ai été un peu lassée par la répétition des modèles féminins. Si elles sont différentes, ces quatre femmes, elles donnent toutes l’impression de sortir d’un cocon et d’ouvrir peu à peu leurs ailes pour affronter le monde. Je n’ai pas réussi à croire complètement aux personnages, et je regrette qu’aucun homme ne prenne une vraie consistante. J’imagine cependant assez bien l’adaptation de ce roman en une mini série télévisée .

 

 

Citations

Bien observé

Autour du cou une étiquette à son nom Hélène Malivieri , mais elle n’avait plus, comme lorsqu’elle était plus jeune, à tenir la main d’hotesse de l’air qui ressemblaient toutes à Françoise Dorléac et s’avançaient au-devant de son père avec un air affranchi et une sensualité piquante.

Le manque d’argent

Le manque d’argent rendait les liens fragiles, comme si tout pouvait disparaître d’un jour à l’autre, et les parents à force de se priver et de faire attention ressemblaient à deux enfants au bord de la route sans jamais arriver à traverser.

Le mariage

Les liens du mariage sont sacrés, avait-il expliqué à ses filles, ils ne peuvent jamais être rompus, le mariage est indissoluble, comme le métal dans l’eau, c’est in-dis-so-lu-ble, ça ne cesse jamais d’exister même après un divorce puisqu’un mariage ne peut pas être annulé, donc le divorce c’est tout simplement impossible. Cela les avait soulagées d’apprendre que jamais leurs parents ne divorceraient, que ce malheur-là ne pourrait pas avoir lieu, mais il y avait avant cet indissolubilité une énergie puissante qui donnait au mariage la force d’une condamnation.

Les castings

Un directeur de casting lui dit qu’il avait quelque chose pour elle, elle pouvait faire un stage et devenir cascadeuse, on manquait de cascadeuse. Un autre lui demanda de rire. Elle rit. De pleurer. Elle pleura. Il frappa dans ses mains, Ris ! Pleure ! Rit ! Pleure !Et quand elle eut fini, il lui dit qu’elle était très ordinaire.

Portrait d’un mari et (père) effacé

Il ne comprenait pas qu’Agnès soit partie en cachette, comme si elle avait été captive, mais peut-être avait-elle besoin de cela aussi, ce sentiment d’évasion, il ne savait pas, il savait peu de chose, à la vérité, il avait la sensation d’être un peu à la traîne et de ne rien voir venir, il demeurait cet homme décalé et qu’on aimait pourtant, il ne savait pas vraiment pourquoi. La mort de la petite fille, Agnès refusait d’en parler et cette mort l’obsédait comme une faute inexcusable, la douleur était physique. Il n’osait dire que l’enfant lui manquait et qu’il lavait aimée, lui aussi, même s’il ne l’avait pas portée. La grossesse, cet état qu’il ne vivrait jamais, était sa défaillance, il était spectateur d’un mystère puissant et menaçant. Il avait l’impression d’avoir toujours vécu avec Agnès et il pensait rarement à sa vie d’avant, son enfance au fil du temps était devenu une zone un peu floue, appartenant à un petit garçon aux cheveux rasés et au sourire rêveur, ainsi que les photos le représentait au milieu de garçons en short et de filles aux nattes brunes, ses frères et soeurs. C’était loin, des années sans tendresse dont il aurait préféré se passer. Agnès n’était pas la deuxième partie de sa vie, elle était toute sa vie, une vie prise à présent entre deux enfants perdus, l’effroyable chagrin sans souvenir.

Création de la ligue de protection des oiseaux

C’était juste avant la Grande Guerre. En 1912. Des safaris était organisée sur les côtes bretonnes par les chemins de fer de l’Ouest, et chaque dimanche des chasseurs débarquaient pour tirer sur les macareux moines venus nicher en France. Le soir ils repartaient et laissaient derrière des oiseaux plombés, des poussins affamés et des oeufs explosés. Un homme, le lieutenant Hémery, a décidé de stopper ce massacre. Il a créé la Ligue pour la Protection des Oiseaux, et la chasse dans les sept îles au large de Perros-Guirec est devenu illégale.

Le symbole de Luocine : le fou de bassan

Depuis 1930, l »île parce qu’elle est protégée attire les fous de Bassan. Ces milliers de points blancs, ce sont eux, en colonie, sur l’île de Rouzic, que l’on surnomme l’île aux oiseaux. Ils l’ont choisie pour sa sécurité mais aussi pour les bonnes conditions de vent du vent, de déplacement et de nourriture tout autour.