Édition j’ai lu, 312 pages, septembre 2024

Traduit de l’italien par Liliane Guilard 

Ce livre décrit quelque chose que j’avais bien oublié et que, peut-être je ne savais pas vraiment : il fut une époque où on ne pouvait pas acheter un vêtement tout fait : il fallait donc faire appel à une couturière, qui, suivant le statut social des gens qui avaient besoin de vêtements, s’installaient chez les riches ou faisait son travail chez elle pour les plus pauvres. Nous sommes en Italie avant 1900 , et ce qui est saisissant c’est le fossé qui sépare les riches des pauvres. quand je pense qu’aujourd’hui on parle de « fracture social » à cette époque en Italie « un gouffre » sépare la petite couturière des riches nobles ou bourgeois de la ville.

On voit aussi à quel point le statut de la femme rend la différence sociale plus terrible encore. Le maître de maison a tous les droits sur des jeunes femmes sans défense et plane alors sur elles le terrible sort des prostituées.

Tout cela est fort intéressant mais ce qui l’est moins c’est le roman d’amour qui est le second intérêt de ce roman et là, on est dans la romance la plus classique , bien loin du fameux gouffre qui sépare les classes sociales .

Ce roman reste intéressant pour le travail de la petite couturière, beaucoup moins pour l’intrigue, mais finalement cela peut aussi faire du bien de lire une belle histoire d’amour à laquelle on ne croit guère.

Il se trouve que je chronique deux livres qui raconte les rapports entre les riches et leurs employés mais on ne retrouve pas dans celui-ci la force qui existe dans « la petite bonne » . L’horreur est la même mais la façon de raconter tellement différente aplanie par la romance amoureuse qui, cependant, n’est pas totalement à l’eau de rose.

Extraits

Début.

 J’avais sept ans lorsque ma grand’mère a commencé à me confier les finitions les plus simples des vêtements qu’elle confectionnait à la maison pour ses clientes, quand ces dernières ne lui demandaient pas de venir travailler chez elles. De notre famille, il ne restait que nous deux après l’épidémie de choléra qui avait emporté sans distinction de genre mes parents, mes frères et soeurs et tous les autres enfants et petits-enfants de ma grand’mère mes tantes, oncles et cousins. Je suis toujours incapable de m’expliquer comment nous avons réussi à y échapper.

La spécialité de sa grand-mère

La spécialité de ma grand-mère était le linge : trousseaux complets pour la maison, draps, nappes, rideaux, mais aussi chemises pour hommes et femmes, sous-vêtements, layettes pour bébés. À l’époque, seules quelques boutiques haut de gamme vendaient ces vêtements prêts à être portés. 

Le scandale .

Ce qui avait suscité l’indignation de ces messieurs , ce n’était pas la confection des robes, mais le tissu, cette belle soie aux motifs si exotiques sur laquelle nos doigts s’étaient fatigués un mois entier. Pourquoi ? Parce que beaucoup l’avaient reconnu comme provenant d’un célèbre lieu de péché, une célèbre maison de tolérance dont leurs épouses, et à fortiori la reine, n’étaient pas censées soupçonner l’existence. 

Les riches.

La vie m’a appris à respecter les gens riches, quel que soit leur âge, leur caractère, leurs actions. Le fait d’être riches les rendait puissants, plus forts que nous, capables de nous écraser, de nous détruire en un claquement de doigts. Les riches ne devaient pas nécessairement être admirés, notre jugement à leur égard pouvait également être critique, voire plein de mépris. Mais nous ne devions jamais l’exprimer. Et surtout jamais en leur présence. Avec eux, nous devions être respectueux en toutes circonstances.

 

 

 


Édition Le tripode, 234 pages, avril 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai pensé à ce clan si actif des « antidivulagâcheuses » en lisant les premières pages du livre qui raconte la fin de l’histoire : la plumeuse meurt pendue au croc où, d’habitude, elle suspend les oies avant de les plumer . c’est d’ailleurs cette morte qui va nous raconter son histoire.

Vous connaissez donc la fin, est-ce que cela vous empêchera d’apprécier ce roman ? En tout cas certainement pas pour cette raison. Au cas où ce roman vous séduirait ce sera par son écriture si particulière. Il faut souvent le lire à haute voix pour entendre celle de l’auteure-narratrice. J’ai, parfois, été touchée par son propos mais agacée aussi par des procédés que je trouve bien inutiles : l’auteure ne met aucun point ni aucune majuscule. Mais va souvent à la ligne ce qui permet au lecteur de suivre le souffle de la narration. Elle ne dit jamais, non plus, qui prend la parole ni même s’il s’agit de dialogues.

Ce roman raconte l’histoire d’une femme libre de son corps et qui pense que si les hommes et le femmes avaient accès au plaisir, ils vivraient tous mieux . Cela se passe dans un village isolé au Canada à une époque indéterminée, cette femme vit en dehors de la petite ville de Kangoq entourée d’une nature habitée par des animaux sauvages qui fournissent plumes et fourrures à une petite industrie d’édredon. L’ambiance de la plumerie faite de chaleur et d’érotisme troublent les hommes et éduquent les femmes. Les femmes dignes épouses de ces hommes qui fréquentent la femme lui en veulent bien sûr mais auront-elles le courage de tuer la « plumeuse » ? Ce roman raconte aussi la misère des petites ouvrières, et évoque aussi les pauvres jeunes filles qui sont enfermées et meurent peu à peu à l’abri des regards de ceux qui ne veulent pas les voir.

Mes réserves sur l’histoire viennent surtout de mes propres limites, rien de rationnel dans le fil narratif, on ne sait jamais qui fait quoi, je ne risque pas vous dévoiler qui a assassiné « la plumeuse » car je ne suis pas certaine d’avoir bien compris qui a fait ce geste atroce.

Mes extraits vous donneront une idée du style, si vous y êtes sensibles, n’hésitez pas car vous aimerez ce roman. Je ne peux pas vous pousser plus à choisir de lire ce roman qui est très clivant. Certains aimeront et d’autres, comme moi seront déroutées par l’absence d’informations concrètes pour tout comprendre.
Je respecte le point de vue de cette auteure : face aux duretés de la condition de vie des plus pauvres, elle a choisi de nous les faire comprendre comme dans un conte plutôt que de façon réalistes.
Ce n’est pas ce que je préfère et malgré le réel talent de cette écrivaine pour manier la langue, j’ai eu bien du mal à me retrouver dans ce récit : à vous de vous faire votre idée.

Je vais mettre à la fin des extraits un lien pour l’écouter au « Festival des grands voyageurs » elle donne des clés qui peuvent aider à la lecture.

Et l’avis d’Athalie qui a beaucoup aimé

 

Extraits

Début et idée du style

 Longtemps j’ai enseigné ma fin
 à l’heure de ma mort, je pends entre mes bêtes, cheveux et corps et mains, mon visage basculé vers le plafond, mes yeux avalés par la pénombre ; dans la rue, les hommes
– combien ?
– ils ne se comptent plus
– et les femmes, compte-les
– conte aussi les femmes
 se demandent s’ils sont ouverts ou fermés, mes yeux ; personne ne les voit ; tout ce qu’on distingue dans la lumière du quinquet, ce sont mes côtes, mes seins élongés, ce qu’il reste d’une jupe de soie blanche ; du sang tombe en gouttes noires sur les viscères empilés, sur les carcasses des oies, sur le cou mince des jars qui s’amoncellent près de l’étal
– c’est la saison 
-le carnage de la chasse achève
 Au-dessus de mon comptoir, je tiens accroché par la gueule et par les poignets : celui qui m’a hissé là n’a pas su comment bien s’y prendre, il a d’abord percé mon menton pour le bec du cane puis, se ravisant, a étiré mes bras plus haut, jusqu’aux traverses du toit 

 

Ce n’est pas simple à comprendre .

en février, il neige, dedans l’air est touffu et moite ; depuis trois jours, j’ai enfilé toutes les peaux du désir : tantôt espiègle, là femme-muraille, parfois géante qui tenait dans ses paumes des plumes minuscules et plus tard fauve, assez pour qu’on m’en donne le nom, « ma fauve, fauvesse, mon enfauvée » : j’ai emprunté la robe noire des panthères et bondi, j’ai porté la jungle sur mon dos

Mélange d’érotisme et du travail pour récupérer la peau de la renarde.

– elle observe de tous ses yeux le chasseur qui se retourne 
 Le drap se perd dans son sillage, il dort désormais toute nudité offerte, sa verge posée sur sa cuisse droite, assoupie, détendue : Philomène découvre ce qu’elle voulait  ; elle se presse contre l’orphelin, pendant que je tire en douceur la fourrure de la renarde, de son flanc à sa gorge, une main agrippée ferme à la base de la queue, l’autre à la peau de l’abdomen 

La misère évoquée à travers ce passage.

 Pierre les appelle des poupées-mauvais-sort
– c’est à cause de leurs yeux mauves, des vêtements arrachés au dos de bébé morts trop tôt, en ville et utiliser pour habiller les corps de porcelaine
 La petite l’ignore, bien sûr ; elle coiffe la chevelure noire
– lisse, lisse ma crinière, belle enfant
– peine et tresse et soigne ma déchéance
– les marchands de la ville ne disent pas que les cheveux ont été cultivés à même vos crânes d’adolescentes
– belles indigentes qui ne faites rien d’autre qu’être là, chevelures et corps disponibles 
– dans des pièces grises, enfermées à quinze, vingt 
– trop de poupées, pas assez filles
– le recel d’adolescentes est un problème lointain 
– un problème de ville qui ne concerne pas les enfants
– ni leurs grands-mères qui achètent des cadeaux en versant toutes les pièces rondes qu’il faut
 le notaire, lui, sait : il se souvient de ses années d’études, de la chambre close, terrifiante où des camarades l’avaient entraîné un soir ; il n’a pas oublié les filles chauves, gémissantes sur le sol, qui tendaient des bras de sirènes et l’attiraient vers elles, vers les couches jetées par terre ; il se souvient de l’odeur
– sperme, urine, vomissure et sueur masqués par la puanteur entêtante des lys et du jasmin pendu au plafond


Édition Julliard, 213 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai oublié de noter le blog ou les blogs où j’ai déjà vu passer ce roman. Ce livre est écrit dans un style très prenant auquel j’ai adhéré pourtant souvent je suis gênée par l’accumulation de phrases très courtes, et cet auteur en use et même en abuse. L’ histoire de Youssef est si poignante que je me suis laissée à lire à voix haute son texte qui résonne parfois comme une tragédie classique.

Cela raconte le vie d’un Marocain, qui est professeur à Paris, il a fui son pays sa ville de Sale , car il est homosexuel et en a terriblement souffert. Il revient dans sa ville natale car il doit vendre l’appartement dont il a hérité de sa mère. Toute sa vie lui revient au gré de ses déambulations et de ses souvenirs. D’abord son premier amour, Najib, il avait 16 ans et Najib 24 quand ils se sont rencontrés et aimés. Et Najib lui a permis d’éviter toutes les souffrances auxquelles lui-même a été victime. Najib est devenu un grand trafiquant de drogue qui n’a rien oublié des gens qui l’ont méprisé dans son enfance, il est maintenant un puissant craint et respecté car immensément riche.

Sale c’est aussi la ville ou Youssef a grandi avec ses six sœurs. C’est l’aspect le plus tonique de ses souvenirs, bien sûr la famille a eu faim et était réduite à une misère à peine imaginable, mais c’était aussi un lieu de vie qui a donné des forces au jeune Youssef. Ses six sœurs avaient une énergie incroyable qui s’est dissoute dans leurs mariages respectifs.

Ce roman est une charge incroyable contre la société marocaine. Quelle hypocrisie face à l’homosexualité ! la scène ou un vieux viole un jeune enfant de huit ans au hammam est très dure et le récit des tortures que le jeune Najib a supporté dans son enfance est insoutenable. Les mêmes hommes qui le violaient jusqu’à réduire son anus en sang, étaient les premiers à dire que les rapports homosexuels méritaient la mort !

Najib deviendra l’amant d’un haut gradé militaire et là non seulement, il découvrira que les rapports homosexuels existent dans toutes les tranches de la société, mais aussi que les plus hauts responsables de l’état sont aussi à la tête du plus gros trafic de drogue du Maroc.

Youssef et Najib sont deux aspects contradictoires de la réaction à la même sorte d’enfance : Najib a construit sa vie sur la vengeance, Youssef est toujours à la recherche de l’amour des siens.

On peut reprocher à ce roman de ne faire la critique de la société marocaine qu’à travers l’homosexualité, j’ai été gênée par le fait que l’auteur ne se penche pas plus sur le trafic de drogue qui est aussi pourvoyeur d’horreurs dont l’auteur ne parle absolument pas. Mais il est vrai que la sexualité raconte beaucoup de choses sur une société, surtout en ce qui concerne l’hypocrisie des puissants.

 

Extraits

Début.

 Sœur avait trois jours devant elle pour payer les dettes de notre défunte mère Malika.
Pas un jour de plus.
 Elles ont dit que c’était la tradition marocaine qui l’exigeait.
 Je n’ai jamais entendu parler de cette tradition mais j’étais avec elles, les sœurs, de leurs côté. J’ai proposé de participer moi aussi aux règlements des dettes. Elles ont catégoriquement refusé.
 C’est une affaire de femmes, Youssef. C’est à nous, ses six filles, que reviennent cette charge. Pas à vous nos trois frères. Cela fait partie de notre héritage. Les hommes n’ont rien à voir là-dedans.

J’aime ce passage.

Mes six sœurs sont toutes plus âgées que moi. Elles s’appellent Kamla (la Parfaite), Farida (l’Unique), Hadda ( la Tranchante), Sandra (la Veilleuse) , Ilham (l’inspiration) et Ibtissam (la Souriante) .

Le rejet de l’homosexualité.

 (Kaddour) Kaddoura a vécu dans le péché dans le « haram ». Allah ne pardonne pas ce péché.. C’est parmi les plus grands péchés, l’homosexualité.. Kaddoura ne s’est jamais repentie. Il paraît que Kaddour a continué sa mauvaise vie de pédale à Marrakech, Agadir et Ouarzazat. Quelle honte. Personne ne devait aller au funérailles de Kaddour. C’était un mécréant. Un homme du côté du diable.
 En l’espace de deux heures seulement, la mémoire du quartier de Khabazat accueillait de nouveau kaddour pour le rejeter de nouveau. Même mort, Kaddour n’a pas été accepté L’imam de la mosquée n’a pas voulu s’occuper de sa dépouille. Ni réciter pour lui la prière des morts. Presque personne ne s’est rendu ce soir-là au repas des funérailles de Kaddour.

Le hammam.

 Le monde triste et ses misères n’ont pas le droit de cité ici. Même les hommes ne se comportent plus vraiment comme des hommes. Ils deviennent vulnérables. Ils offrent aux autres leur corps et leurs espoirs les plus secrets. Ils se lavent bien comme il faut et ils n’oublient jamais d’aider les autres à le faire. Le Maroc est un royaume c’est vrai. Mais la véritable démocratie n’existe que dans les hammams.

L’extrême pauvreté.

J’ai immédiatement reconnu l’atmosphère d’autrefois. L’odeur de cette époque. Nous ensemble. Dans les cris et le chaos, mais ensemble. La mère. Le père. Neuf enfants. Entassés les uns sur le autres. Cette odeur est encore là, dans cet appartement. Celle de corps qui passaient l’essentiel de leur temps par terre. Nous vivions au niveau du sol. Assis. Accroupi. Allongés. Endormis. Affamés. Enragés. Envoûtée. Possédés par les djinns. Malades. Sous le poids du « mektoub » .


Éditions de l’Olivier, 380 pages, aout 2002

Traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Voilà un livre sans grand intérêt et qui est long, mais long , on n’en finit pas de s’ennuyer ! . Je dois avouer que, parfois, j’ai fait de la lecture en diagonale. Il est au programme de mon club de décembre dont le thème sera « l’Irlande ». Ce livre racontant la vie de trois amis habitant à Dublin, il y avait donc complètement sa place Je n’aime pas participer aux discussions de mon club sans avoir lu le livre, donc je me suis imposée ce pensum !

Deux amies Eileen et Alice ont fait leurs études ensemble avec Simon, Alice a écrit deux romans qui l’ont rendue très célèbre et elle ne supporte pas cette soudaine célébrité et fait une grave dépression, elle va mieux et loue une maison au bord d’une falaise et rencontre Felix un homme qui n’a pas fait d’études et elle noue avec lui une relation compliquée. Eileen travaille dans une petite revue littéraire et est très mal payée, enfin Simon qui a toujours été proche d’Eileen travaille au parlement. Les trois personnages principaux sont sans grand intérêt, Felix sans être très sympathique est plus intéressant.

Voilà le cadre, les relations entre ces personnes sont compliquées, elles sont attirées puis se repoussent et retournent ensemble … Les deux amies commentent toutes leurs relations dans de très longs mails, où elles se disent tout, elles décrivent par le menu les relations sexuelles et elles sont très actives  ! elles parlent aussi de leur doutes par rapport à leur vie , la politique, la religion et pour Alice la création littéraire et les conséquences du succès.

Ce roman se veut moderne et sans tabou il est surtout terriblement répétitif et ennuyeux. Je me demande bien à qui il peut plaire ? aux amateurs de scènes érotiques, peut-être car l’autrice a beaucoup d’imagination et de talents pour les décrire.

Extrait

Début

 Dans un bar d’hôtel une femme assise à une table surveillait la porte d’entrée. Elle avait une apparence soignée : chemisier blanc, cheveu blond coincée derrière les oreilles. Elle a jeté un coup d’œil sur son téléphone puis à de nouveau diriger son regard vers l’entrée. En cette fin mars le bar n’était guère fréquenté.

Problème de traduction ?

 Je pense qu’elle a deviné que c’était un date. Faut pas chercher plus loin.
PS depuis grâce à Sacha je sais que « date » est utilisée dans la jeune génération !

Un passage pour expliquer pourquoi ce roman n’est pas pour moi

 Tu as pleuré, à l’époque ?
 Pas au sens propre. Si c’est que tu veux savoir. Je n’ai pas pleuré pour de bon, mais ouais, j’étais furax.
 Ça t’arrive de pleurer ?
Il a eu un petit rire.
Non. Et toi ?
Oh, tout le temps.
Ah ouais ? Et tu pleuré pour quoi ?
 Pour n’importe quoi. J’imagine que je suis très malheureuse. Il l’a observée.
Vraiment ? Et pourquoi ça ?
 Aucune raison particulière. C’est ce que je ressens. Je trouve ma vie difficile
 Au bout d’un moment il a de nouveau regarder sa cigarette et il a dit : Je ne crois pas avoir bien compris la raison pour laquelle tu es venu habiter ici.
 Ce n’est pas une très belle histoire. J’ai fait une dépression nerveuse. J’ai passé quelques semaines à l’hôpital et, à ma sortie, je suis venu ici. Il n’y a rien de mystérieux là-dedans. Il n’y avait aucune raison de faire cette dépression, je l’ai faite c’est tout. Et ce n’est pas un secret tout le monde de sait.

Le plastique, genre de considération sur le monde « admirable »

 Ma théorie c’est que les humains ont perdu le sens de la beauté en 1976,l’année où le plastique est devenu le matériau le plus utilisé au monde. Tu peux voir ce processus s’opérer si tu regardes les photos d’une rue avant et après 1976. Je sais qu’il y a de bonnes raisons d’être sceptiques quant à la nostalgie esthétique, il n’en reste pas moins qu’avant 1970, les gens portaient des vêtements en laine et en coton conçu pour durer, qu’ils mettaient les liquide dans des bouteilles en verre, qu’ils enveloppaient la nourriture dans du papier et remplissaient leur maison avec des meubles en bois de qualité. Maintenant, la plupart des objets de notre environnement visuel sont en plastique, soit la substance la plus laide sur terre, ce matériau qui, quand on le colore ne se contente pas d’absorber la teinte mais exsude sa couleur de façon laide et inimitable.

 


Édition Gallimard, 709 pages, Juin 2024

Traduit de l’allemand par Babara Fontaine

 

 Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est d’apprendre à s’aimer grâce aux regards des hommes. C’est l’erreur que font la plupart des femmes…

J’avais beaucoup aimé « le chat le général, et la corneille », je suis donc ravie de pouvoir participer au mois des feuilles allemandes avec ce titre. Cette autrice a adopté l’Allemagne comme pays d’exil, elle s’exprime à travers des romans conséquents en nombre de pages ! Si 700 pages très denses ne vous font pas peur, partez avec elle pour découvrir ce qu’il s’est passé en Géorgie à la chute de l’empire soviétique. La lecture de Wikipédia, vous en apprendra autant sur les soubresauts de ce pays depuis cette période. Mais ce genre de phrases qu’on lit dans l’ article de Wikipédia : « Mais Tbilissi se heurta à une opposition armée et soutenue logistiquement par la Russie. En un peu plus d’une année, la guerre fut gagnée par les séparatistes qui déclarèrent à leur tour leur indépendance et se livrèrent à un nettoyage ethnique des Géorgiens présents sur ce territoire », permet-elle de réaliser le nombre de gens qui ont tout perdu, de femmes violées, de jeunes qui sont morts ou gravement handicapés  ? C’est ce désespoir que cette autrice veut rendre palpable à travers son livre. Une autre raison de lire ce roman, c’est de ne pas être étonnée des résultats des récentes élections en Géorgie.

Le roman suit le parcours de quatre amies du lycée, Keito, la narratrice, Dina, celle qui ose tout, Nene, la séductrice, et Ira, la première de la classe. Pour donner corps au récit, le roman se situe, vingt ans après les faits qui ont déchiré leur pays et fait éclater leur groupe. Dina est devenue une photographe reconnue, on sait tout de suite qu’elle est morte et on apprendra très tard comment. Anano , sa petite sœur a organisé une exposition récapitulant son œuvre. Les trois amies se retrouvent, donc, devant des clichés qui, au delà de leur beauté admirée dans le monde entier, représentent aussi des moments forts et le plus souvent tragiques de leur vie.

Le roman dévoile peu à peu les secrets qui leur pèsent si fort à toutes les trois. Le mélange de la guerre, et des clans de mafieux qui dominaient la Géorgie à cette période ont fait de leur jeunesse un brûlot : elles ont perdu toute leur naïveté , mais, en même temps c’est l’âge où on tombe amoureux et peut-être que cette période de dangers a rendu ce sentiment encore plus fort. De photos en photos, Keito revoit se dérouler son passé, l’enfance où les personnalités ont commencé à se dessiner. Keito est élevée par un père scientifique, elle a perdu sa mère qui avait quitté son père, son frère Rati, veut devenir chef de bande dans le quartier, et il s’oppose pour cela à la famille de Nene. Elle est l’amie de cœur de Dina, qui est élevée par une mère artiste et peu conventionnelle, Dina n’accepte aucune contrainte si elle l’estime injuste et a un courage peu banal, Nene a un charme fou qui attire tous les hommes mais elle est, aussi, membre d’une famille de caïds mafieux qui fera son malheur, enfin Ira la première de la classe qui apprend tout sans effort apparent, jouera le premier rôle dans la fin tragique de leur amitié .

La tragédie de la destruction de la Géorgie, va libérer les forces malfaisantes des groupes politiques, et comme l’état n’existe plus ce sont les mafieux qui feront la loi. Le frère de Keito , Rati est amoureux de Dina, mais en jouant les chefs de bande, il contrarie des gens tellement plus puissants que lui. Il est jeté en prison et il faut que sa famille réunisse une grosse somme d’argent en dollars pour le faire sortir, car bien sûr tout s’achète ! Le drame va se nouer là, car Keito et Dina trouveront bien l’argent mais pour sauver un jeune garçon attaqué par des bandits prêts à le tuer, elles lui sauvent la vie en donnant aux malfrats l’argent prévu pour sortir Rati de prison. Dina qui est une fille superbe , va utiliser ses charmes avec l’ennemi juré de Rati pour obtenir quand même sa libération. Cet homme est l’oncle mafieux de Nene.
Non, je ne dévoile pas tout le roman, je veux simplement vous expliquer le terrible engrenage dans lequel ces quatre jeunes filles ont été enfermées sans pouvoir s’en sortir : leur situation personnelle est très compliquée, le monde extérieur les piège sans cesse. Il y a parfois des moments harmonieux, comme les relations de Keito avec l’homme qui la formera en restauration de tableaux, mais même ces moments là sont gâchés par la violence extérieure. Et puis, il y a entre elles quatre, ce pacte d’amitié qui les oblige à toujours être là pour les autres. Chacune à sa façon tire les ficelles qui, comme des cordes autour de leur cou, les étrangleront. Et celle qui porte le plus lourd dans cette tragédie c’est Ira, la première de la classe qui par amour pour Nene fomentera une vengeance implacable qui fera définitivement exploser leur amitié en mille morceaux .Vingt ans après, pourront-elles de nouveau se parler devant les photos de Dina ?

Les allées et retour entre l’exposition de photos dans un cadre si agréable et apaisé de Bruxelles au milieu des gens raffinés et cultivés et la violence de la vie de ces jeunes filles à l’image de tout un peuple sert admirablement ce roman. Malgré ses 700 pages, je ne l’ai pas trouvé trop long mais … terriblement désespérant.

 

 

Extraits

 

Début

 

Poème mis en exergue qui donne le ton du roman

 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
 Je me suis tant habitué aux fantômes
 Que je reconnais leur trace dans la neige.
 Je me suis tant habitué à la douleur
 Que je noie mes poèmes dans les larmes.
 Je me suis habituée aux ténèbres
 Que la lumière me serait une torture.
 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
Terenti Graneli
Élégie du nouvel an

Début.

Thiblissi 1987
 La lumière du soir se prenait dans ses cheveux. Elle allait y arriver, elle allait surmonter cet obstacle aussi, appuyer de toutes ses forces son corps contre le grillage, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus opposer à son poids qu’une faible résistance, gémisse à peine et finisse par céder. Et elle ne forcerait pas cet obstacle que pour elle, mais aussi pour nous trois, afin d’ouvrir la voie de l’aventure à ses inséparables compagnes

Un garçon de Géorgie.

 Il était fou de musique et ne se contentait pas d’aimer la musique classique, il s’y connaissait aussi étonnamment bien. Contrairement à moi, il avait manifestement tiré profit des longs après-midi chez oncle Guivi que sa mère lui avait également imposés. Il avait une vraie sympathie pour l’art, mais à la différence de son frère il n’avouait pas franchement se penchant un parce qu’il ne voulait pas sortir de son rôle de voyou dur et inébranlable En tout cas, il cherchait quelqu’un avec qui partager cet aspect plus doux de sa personne. Parfois, je me demandais ce qui m’empêchait de traverser la cour pour lui rendre visite et continuer nos conversations dans le calme nécessaire, mais quelque chose en moi sentait qu’en franchissant ce pas je mettais un péril notre fragile et prudent proximité, et donc je m’abstenais.

Les deux grands mères

Les baboubas se ressemblaient en autant de points qu’elles se distinguaient par ailleurs. L’heure friction permanente générerait une énergie qui les maintenait en vie. Les années passant, elles semblaient devenir de plus en plus dépendantes de cette source d’énergie et quand il n’y avait pas de sujet de dispute actuel, quand aucun conflit extérieur ne se présentait, elles invoquaient une divergence d’opinions, provoquaient une querelle. Leurs disputes semblaient les stimuler, les pousser à donner le meilleur d’elles-mêmes, c’était le moyen pour elles de garder leur esprit alerte, comme les gens qui pratiquent une activité physique tous les jours pour rester en forme.

 

On lit souvent ce genre d’angoisse annoncée depuis le début du roman, là nous sommes pas 219

 C’était sans doute la dernière journée où tout avait encore lieu selon un ordre ancien et familier, le dernier jour avant que tout commence à s’effondrer autour de moi comme dans une chorégraphie apocalyptique particulièrement cruelle, qui se déroulait au ralenti. Mais c’était aussi un des derniers jours où ma ville se ressemblait encore, avant qu’elle aussi ne revête un autre habit, ensanglanté.

Misère de la Géorgie

 Continuellement, nous formions des files interminables dans l’espoir d’obtenir du pain de mie dur et insipide, dans l’espoir d’une vie meilleure, dans l’espoir de recevoir des aliments qui nous étaient envoyés des États-Unis sous forme d’aide humanitaire et se revendaient sous le manteau à des prix exorbitants. Nous faisions la queue dans l’espoir de récolter un peu de miséricorde. Nous faisions la queue en entendant les derniers potins, les files d’attente étaient une nouvelle espèce d’agence de presse qui fonctionnaient même sans électricité. Nous faisions aussi la queue parce que le temps passait plus agréablement à attendre et avoir froid ensemble. Nous allions devant les magasins dévalisés, aux volets fermés pour nous assurer une place dans la file d’attente plusieurs heures avant la livraison attendue, pour du pain, du bois, des haricots du lait en poudre américain.

Vision de pays plus favorisés que la Géorgie

 Ce nouveau monde lumineux m’effrayait autant que celui qui m’était familier. Je ne connaissais pas ses lois, je ne connaissais ni l’ordre paisible, ni les règles d’une conversation raffinée, ni les restaurants chics proposant des plats originaux. C’étaient des contes de fées étrangers tirés de livres ou de films dans lesquels on se traitait avec respect et flânait pieds nus dans des parcs verdoyants dans lesquels on ne rendait visite à ses parents que les jours fériés et passait ses vacances dans des pays ensoleillés dans lesquels on conduisait de belles voitures où pendouillaient des arbres magiques et où on conservait entre ses quatre murs grâce aux magnets collés sur le frigidaire, tous les lieux qu’on avait visités -des livres ou des films dans lesquels on achetait à prix d’or des bouquets de fleurs savamment composés, pour le plaisir des yeux, sans occasion particulière pour mettre dans des appartements meublés avec élégance. C’était des contes de fées d’un monde où les jeunes gens pouvaient rester jeunes longtemps, dans lequel ils avaient le luxe de se chercher eux-mêmes et de se trouver.

La drogue

 Depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, l’héroïne coulait à flots en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques. La chute du grand empire et les nouvelles frontières qui en résultaient, qui n’étaient ni sécurisés ni même marquées avaient ouvert la porte au commerce illégal. Le trafic de l’opium brut, sa transformation en morphine base puis en héroïne, était une mine d’or qui générait encore plus de rackets, de vols, de prostitution et de jeu de hasard, et appelait des structures organisées.

 


Édition Points, 230 pages, 2019/2022.

Quand j’avais chroniqué Tiotha-Ke du même auteur vous aviez été nombreuses à me dire que vous aviez beaucoup aimé Kukum. Alors, je l’ai lu et comme Eva (parmi d’autres avis positifs) j’ai adoré ce roman.

Michel Jean est un indien Innu et il aime raconter ses origines, dans ce roman il raconte la vie de sa grand-mère. Son destin est incroyable, jeune orpheline irlandaise, elle a été élevée par de pauvres paysans du Québec qui, malgré un labeur de tous les instants, arrivaient juste à survivre. Un jeune indien croise sa route, elle comprend immédiatement qu’elle préfère la vie libre des Innus au labeur ingrat de la ferme. Commence alors la première partie du roman , la plus longue et la plus belle, la vie dans une nature rude mais si belle. Almanda et Thomas seront heureux et pensent pouvoir transmettre ce bonheur à leurs enfants. Seulement les hommes d’une autre civilisation, celle que l’on appelle » la civilisation du progrès » prend possession de leurs terres.

Cette seconde partie est tellement triste, on voit le pays se transformer et surtout la sédentarisation forcée des Indiens. Les ancêtres n’ayant plus rien à transmettre à leurs enfants, l’alcool et le désespoir vont leur ôter la fierté d’hommes sachant vivre dans la nature. Le pire arrivera quand le gouvernement leur enlèvera leurs enfants pour les « éduquer » dans des institutions religieuses. Tout est fait pour détruire leur culture et leur mode de vie, mais aussi leur nombre. Des enfants qui ne parlent plus la langue de leurs parents n’auront pas envie de vivre avec eux, et s’ils épousent un « non-indien » : il n’a plus le droit d’habiter dans la réserve.

Cet auteur est étonnant, car il écrit de façon très douce les pires horreurs et cela ne leur enlève pas leur gravité au contraire. La détermination de sa grand-mère est admirable, elle a réussi à rencontrer le premier ministre pour qu’il fasse construire des trottoirs dans leur ville où des enfants mouraient écraser par des voitures ou des camions faute de pouvoir se mettre à l’abri. Mais elle sera aussi bien malheureuse le jour elle viendra voir sa fille et ses petits enfants qui habitent dans un immeuble moderne. Ils ont planté leur tente face au bâtiment et tout le monde s’est moqué d’eux. Elle pense alors aux moqueries que ses petits enfants ont dû supporter.

Un très beau roman que je conseille à ceux et celles qui ne l’ont pas encore lu.

 

Extraits

Début.

Une mer au milieu des arbres. De l’eau à perte de vue, grise ou bleu selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. Démesuré. Et la vie y est aussi fragile qu’ardente. le soleil monte dans la brume du matin, mais le sable reste encore imprégné de la fraîcheur de la nuit. Depuis combien de temps suis-je assise face à Pekuami ?

La chasse et l’amour.

Cette perpétuelle quête avait quelque chose de grisant. Il est difficile de deviner si un endroit est propice à la trappe. Il faut tenter sa chance et espérer. J’ai appris pendant ces semaines de grande chasse avec Thomas à ménager mon énergie et à poser toutes sortes de pièges. Nous vivions en symbiose et chaque soir nous nous retrouvions dans la tente. Il y avait une forme de candeur dans cet amour pourtant cela ne l’a pas empêché de durer.

Un choix de vie libre.

 Il m’arrivait encore de penser de temps en temps à ma tante et à mon oncle. Chaque heure du jour, où que je sois, quoi que je fasse, je savais où ils étaient et ce qu’ils faisaient. En choisissant la vie en territoire, j’avais choisi la liberté. Certes celle-ci avait un coût et entraînait des responsabilités envers les membres de son clan. Mais j’avais enfin le sentiment de vivre sans chaînes.

Début de la déforestation.

Quand nous tombions sur une coupe à blanc, Thomas, d’ordinaire si calme, semportait.
– Ils ne se contentent pas de couper les arbres, rageait-il, c’est toute la vie qu’ils détruisent, les oiseaux, les animaux, ils abattent même l’esprit de la forêt. Comment des hommes peuvent-ils se montrer aussi cruels ?
Thomas avait raison. Mais son raisonnement était celui d’un Innu qui sait qu’il reviendra toujours sur ses pas. Le bûcheron, lui, marche droit devant sans regarder derrière. Il suit le progrès.

Changement de vie.

Coupés du territoire, nous avons dû apprendre à vivre autrement. Passer directement d’une vie de mouvement à une existence sédentaire. Nous n’avons pas su comment faire et, encore aujourd’hui on ne sait pas toujours. L’ennui s’est infiltré et a distillé son amertume dans les âmes. Ceux qui avaient des maisons s’y sont enfermés, les autres ont monté leurs tentes devant le lac. Le premier hiver à Pointe-Bleue à été terrible. Le vent survolait la surface gelée et s’engouffrait dans le village de cabanes et de tentes. Le gouvernement a distribué des subsides aux familles pour leur permettre de vivre. Nous serions morts de faim, car il n’y avait pas assez de gibier autour de la réserve pour tout le monde. Les Innus sont passés de l’autonomie à la dépendance. Nous n’en sommes jamais tout à fait sortis.

J’aime bien ce mot.

L’eau de la rivière puait la pulpe de l’usine de papier, où François- Xavier, le mari de Jeannette travaillait. Cela lui rapportait un bon salaire et lui permettrait de nourrir sa famille. Jeannette rêvait de quitter son édifice à logements.

La visite chez sa fille qui ne vit pas dans la réserve .

 La rumeur de notre présence s’était répandue comme une traînée de poudre. Les voisins sortaient la tête des fenêtres. D’autres habitants plus loin venaient en auto. Toute la ville voulait voir les sauvages. Les curieux commentaient nos vêtements, qu’ils trouvaient étranges, nos cheveux longs, nos tentes. Nos manières réservées passaient pour farouches leur méfiance nous effrayait. La couleur de nos peaux tranchait trop avec la blancheur de cette ville.
 Nous sommes repartis le matin à l’aube. Ce qui m’a brisé le cœur, ce ne sont pas ces regards ombrageux – je n’en avais que faire. Mais le malaise des enfants de Jeannette devant cette famille embarrassante m’a chavirée. Je le comprenais et c’est ce qui me faisait le plus mal. Après notre départ, ces enfants devraient vivre avec les quolibets et les moqueries. Même en ville ce n’était pas facile d’être inquiet.


Édition Québec Amérique, 183 pages, février 2024

 

« Le roitelet » et « le jour des corneilles » font partie de mes meilleures lectures de l’an dernier, j’ai reçu ce livre en cadeau et je l’ai lu avec tristesse et aussi un grand plaisir de la langue.

La tristesse vient du thème même de ce roman, six enfants et leur père vont accompagner la fin de la vie de leur mère atteinte d’un cancer dont elle ne peut pas guérir. La présence de plus en plus forte du cancer qui mine toutes les forces de leur mère imprègne tous le texte. Le bonheur que l’on sent quand même surtout grâce à l’amour qui relie tous les membres de cette famille et aussi leur voisin la ferme Bertin, mais aussi grâce à l’observation de la nature, du ciel la nuit, des fleurs dans les jardins, des animaux …

Souvent l’écrivain commence ses courts chapitres par un évènement qui fait l’actualité et cela recentre le récit dans la réalité, beaucoup de chansons aussi qui étaient les grands succès de l’époque. Mais ce qui fait tout le charme des récits de cet auteur c’est son style entre poésie et philosophie .

Bien sûr, c’est un très beau livre mais qui m’a aussi envahie de tristesse, et j’ai eu aussi un peu de réserves sur le caractère des enfants. Ils sont trop uniquement gentils . Je pense qu’il ne faut pas lire ce livre d’une traite mais plutôt lire et relire les chapitres qui sont comme des poèmes qui correspondent à notre sensibilité. La langue de cet auteur ne me laisse jamais indifférente.

 

Extraits

 

Début : le premier chapitre.

Un matin de l’été mille-neuf-cent-soixante-cinq, peu après le passage de la benne à ordures, la verroterie des dernières étoiles a cessé de scintiller et la nuit noire du monde a majestueusement cédé sa place aux rayons poétiques et très anciens du soleil. À peine plus tard, le jardin jouxtant la remise avec ses zinnias aussi colorés que des oiseaux, s’est avancé de quelques pieds, le ciel a pivoté sur lui-même dans un petit bruit d’essieu puis j’ai installé en plein milieu de l’allée la vieille caisse à oranges descendue du grenier. Alors, Enzo, le plus vieux de la famille (onze ans) est monté dessus et a lu pour nous son discours très émouvant, écrit très phonétiquement, sur la beauté des êtres et des choses. Ensuite la vie a passé durant quelques heures et nous avons attendu, petits enfants frétillants et attendris que quelques nouvelles fraîches nous parviennent. Finalement le téléphone a sonné et, quand Enzo a décroché, nous nous sommes agglutinés tous les cinq autour du combiné, c’était papa qui de l’hôpital nous annonçait que notre petit frère Zénon, le dernier d’entre nous, venait de naître. À présent que nous étions enfin tous réunis, notre histoire pouvait commencer.

La joie.

 J’entends encore, des décennies plus tard papa répéter cette phrase pour moi si réjouissante,témoignant d’une profonde compréhension de la vie humaine :  » Il y a l’art, mais attention, il y a la rigolade aussi ! ».

Mélange de l’histoire et de la tragédie familiale.

 En octobre, les gens du Front de Libération du Québec ont kidnappé l’attaché commercial du Royaume-Uni, James Richard Cross, et le ministre provincial du Travail Pierre Laporte. Le matin où monsieur Laporte a été retrouvé mort dans le coffre d’une auto, les globules rouges dans les veines de maman ont atteint pour la première fois un taux si bas que l’anémie s’est mise de la partie, et alors en quelques heures à peine notre mère est devenue d’une pâleur franchement effrayante. Nous étions autour d’elle comme des lampions, pleins d’une matière combustible avec une mèche pour jeter si possible un peu de lumière et de chaleur sur ce visage tout à coup si spectrale.

Chapitre 31 : aggravation du cancer et les chansons de l’époque .

 Au début du mois de septembre mille-neuf-cent-soixante-et-onze René Simard a fait paraître à l’âge de dix ans son disque « l’oiseau » et tout le monde est devenu fou de lui. Nous écoutions nous aussi « l’oiseau, Santa Lucia, et Ange de mon berceau » en boucle à la maison, mais notre entrée dans le fan club a été ratée parce qu’en août maman était arrivé dans la phase de crise blastique du cancer, chose qui nous coupait l’envie de chanter et de célébrer. Qu’est-ce que la phase blastique ? Voici la réponse de papa, formulée dans l’atelier, où nous avons été conviés à soir après qu’il eut mis maman au lit. « C’est en gros l’étape où tout se détraque. Les cellules dysfonctionnelles se multiplient, les globules rouges et les plaquettes diminuent drastiquement. Votre mère pour cette raison développe depuis un mois infection par dessus infection, elle saigne pour un rien, éprouve une immense fatigue elle a le souffle court, des maux d’estomac à cause de la rate qui enfle, des douleurs aux os. »

Le style .

 Je crois que ce que maman aimait particulièrement, c’était cette façon bien à lui qu’avait le fermier Bertin de se souvenir des gens ordinaires, et d’accueillir leurs pensées dans le grand palais vert de son esprit, où se mêlaient, aurait-on dit, les nénuphars de l’avenir et les lianes de la mémoire. En esquissant son faible sourire si tendre, elle disait toujours : « il s’émerveille pour un rien : la lune qui se déplace si méthodiquement au ciel, le vent léger qui fait se pencher les herbes des collines, les haricots qui poussent à l’ombre. C’est merveilleux. »

Après…

 Ça se passait au milieu d’un siècle voisin et cependant très différent de celui-ci, en un temps où il leur semblait plus important que jamais de s’intéresser à ces trucs démodés : la gentillesse, la hauteur de vue, l’humanisme. Ils songeaient à leur vie avec humour, ils s’appuyaient fermement sur leur passé, ils traversaient le temps présent en lisant un vieux traité de sagesse pour se donner du courage, ils croyaient en l’avenir, ils aimaient beaucoup se parler des évènements qui les avaient influencés, de ceux qu’ils provoquaient pour faire encore un peu dévier leurs destins, des vies qui n’avaient pas vécues.


Édition Stock, le Cosmopolite, 378 pages, janvier 2024.

Traduit de l’anglais par Mathilde Bach

 

Voici un livre que j’ai commencé plusieurs fois, et laissé tomber plusieurs fois aussi. Il faut dire que je l’ai lu pendant l’été et que l’ambiance joyeuse des jeux de plage des enfants ne correspondait en rien à l’atmosphère de ce roman. Claire Fuller nous plonge dans une Angleterre que je ne connaissais pas : la pauvreté extrême en milieu rural britannique.

Julius et Jeanie ont plus de cinquante ans, ils vivent dans un cottage avec leur mère Dot. Le récit commence par la mort de crise cardiaque de Dot. Et avec sa mort, le fragile équilibre que Dot avait construit autour d’elle et cette maison s’effondre.

Tout le roman suit alors les raisonnements de Jeanie et parfois de Julius pour faire face à cette disparition et aux énormes difficultés financières dans lesquelles ils sont immédiatement plongés. Ils n’ont pas assez d’argent pour enterrer leur mère, leur solution est pour le moins étrange : ils l’enterreront dans le jardin ! Cela ne peur pose pas tant de problèmes que cela ! en revanche les rapports de leur mère avec le propriétaire du cottage , un certain Spencer Rawson les amènent à prendre des décisions qui vont tourner au désastre pour Julius. Peu à peu, la personnalité de Dot’ par qui tous leurs malheurs sont arrivés, va se découvrir et la vérité qu’elle a si soigneusement cachée à ses enfants va nous permettre de comprendre le pourquoi de leurs difficultés de vie. Je l’ai trouvée terrible cette mère et d’un égoïsme incroyable et elle a fait le malheur de Jeanie à qui elle a interdit tout parcours scolaire simplement pour la garder auprès d’elle !

« Terre Fragile » est une description émouvante d’un milieu social qui apparaît peu dans la littérature contemporaine, on a l’habitude des dérives violentes dans le milieu urbain, mais on oublie souvent que l’isolement du monde rural peut donner lieu à des tragédies silencieuses tout aussi terribles.

J’ai des réserves par rapport à cette lecture, mais elles sont l’expression de ma difficulté à me plonger dans cette narration, je m’ennuyais ferme avec Jeanie, je me doutais dès le départ qu’elle ne pouvait pas prendre les bonnes décisions et son cerveau embrumé ne m’aidait pas à m’attacher à elle.

 

Extraits

Début comme tant de romans celui-ci débute par des considérations météorologiques.

 Le ciel du matin se dégage la neige tombe sur le cottage. Elle tombe sur le chaume, recouvre la mousse et les trous de souris, lisse les ondulations, comble les creux et les fissures, fond en se posant sur les briques de la cheminée. Elle se dépose sur les plantes et la terre nue du jardin de façade, dessine un monticule parfait comme moulé sous une tasse au-dessus du portail moisi. Elle dissimule le toit du poulailler, ainsi que ceux des cabinets et de l’ancienne laiterie, laisse une fine couche sur l’établi et le sol, à l’aplomb d’une fenêtre dont la vitre est brisée depuis longtemps.

La mort de Dot et le mensonge.

 Dans un dernier éclair de lucidité, le cerveau de Dot s’inquiète : le fracas de la poêle et de la brosse métalliques risque d’avoir perturbé les battements réguliers du cœur de sa fille, jusqu’à ce qu’elle se souvienne que c’est bien là le plus gros mensonge de tous. Le tisonnier, tombé lui aussi, roule sous la table, oscille une fois, deux fois, puis s’immobilise.

La pauvreté extrême.

 À mesure qu’elle s’affaire, elle ne cesse de se demander pourquoi Dot ne leur avait pas dit qu’elle était malade. Elle était têtue et fière, c’est vrai. Elle leur avait appris à ne jamais accepter de cadeau de quiconque parce que d’un jour à l’autre ils -en particulier si ce « ils » était le gouvernement- pouvait revenir frapper à la porte et réclamer qu’on le leur rende avec des intérêts. Jeanie n’est pas étonnée que sa mère ne soit pas allée chercher ses médicaments gratuits, elle n’est pas non plus choquée outre mesure qu’il y ait si peu d’argent dans la boîte, mais elle ne peut s’empêcher de calculer les dépenses encore et encore dans sa tête : l’enterrement ou la crémation, un cercueil, les croque-morts, le corbillard, les fleurs. Qu’est-on censé faire quand on ne peut pas se permettre toutes ses chose -enterrer sa mère dans le jardin ?

 


Édition Zulma, 267 pages, janvier 2023

Traduit du persan (Iran) par Christophe Balay

Dans ce roman, durant deux saisons, l’auteure va suivre les méandres des pensées de trois amies iraniennes : Leyla, Shabaneh et Rodja. Elles se sont rencontrées à l’université en spécialité mécanique. Chaque destinée est complexe, Leyla ne se remet pas du départ de son mari Misagh qui est parti au Canada. Elle n’a pas voulu le suivre, ou plus exactement quand elle a enfin compris que la décision de son mari était irrévocable, elle n’a pas pu le suivre. Obtenir des visas en Iran pour un pays occidental c’est très compliqué. Leyla est d’un milieu très riche et elle a mis trop temps à comprendre que son mari pouvait la laisser plutôt que de vivre en Iran. Elle est journaliste culturelle et son parcours permet de décrire les difficultés de la presse iranienne.

Shabaneh est empêtrée dans une histoire amoureuse avec un jeune homme qu’elle n’est pas sûre d’aimer, elle est aussi très sensible au sort de son jeune frère qui est handicapé mental, et qu’elle ne veut pas laisser seul avec leur mère dépressive et qui n’accepte pas le retard mental de son fils.

Rodja veut partir en France à l’université de Toulouse où elle a été acceptée. Grâce à son parcours, on comprend toutes les difficultés pour obtenir d’obtenir un visa (je doute que cela ce soit arrangé ! !)

Les trois destins s’entremêlent, et les pensées d’une fille à propos d’une autre éclairent la personnalité d’une façon nouvelle. La répression en Iran est présente mais ce n’est pas le sujet principal du livre. Par exemple, le journal dans lequel Leyla écrit et qui semble enfin lui apporter un certain bonheur est interdit de publication mais il semble que les journalistes pourront publier un nouveau titre et que la vie ne s’arrête pas. Le système de débrouille est la norme et oblige chacun à s’adapter sans cesse et à jouer avec la censure ou l’absurdité du système.

Rodja n’obtient passes papiers mais elle recommencera ! Shabaneh , c’est plus compliqué va-t-elle se marier juste parce que le garçon insiste et qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut vraiment ?

J’ai aimé cette lecture, mais sans enthousiasme, les pensées de ces trois personnages ressemblent à celles de toutes les jeunes femmes qui cherchent à s’affirmer pour exister . Il y a un aspect exotique car cela se passe en Iran mais sans la répression telle qu’on la raconte aujourd’hui, elles tournent en rond autour de leurs problèmes de couple, de relations à leurs parents, de soirées à organiser …, bref je crois que j’oublierai vite ce roman.

Extrait

Le début.

Je te cherchais, je courais. Sur le carrelage blanc glacial du hall de l’aéroport. Dans un silence de mille ans. À chaque foulée, ma respiration haletante bourdonnait à mes oreilles, de plus en plus fort emplissant ma gorge d’amertume. Les vols internationaux étaient à l’autre bout. Ce n’était pas l’aéroport Imam Khomeini. 

Réflexion de Shabaneh.

 Faire semblant d’être heureuse. C’est la seule chose que je sache faire. On a de l’entraînement dans la maison. Moi, maman, papa. À la maison il n’y a que Mahanqui a l’air d’être heureux pour de vrai. Comment savoir ? Il est incapable d’énoncer une phrase correctement. Peut-être fait-il lui aussi semblant comme nous tous. Comme la fois où maman était si déprimée que papa nous a emmenés faire un petit voyage pour nous détendre. Mahan a vomi tout le long du trajet, en salissant toute la voiture. Où bien la foi ou on est allé à l’école de Manhan pour l’écouter chanter avec ses camarades, aussi dérangé que lui, personne n’y comprenait rien, mais on les a écoutés et applaudis, sourires figés aux lèvres. Ou le jour où maman avait organisé une fête pour célébrer mon admission à l’université et qu’elle avait confié Mahan à grand’mère pour s’épargner la honte devant les invités. Il y a longtemps qu’on fait semblant, on s’échine à mimer un bonheur simple perdu dans une suite tragique de malheur sans fin.

Les femmes iraniennes d’aujourd’hui .

On est des sortes de monstres, Shabaneh. On n’est plus du même monde que nos mère mais on n’est pas encore de celui de nos filles. Nos cœur penchent vers le passé et notre esprit vers le futur. Le corps et l’esprit nous tirent chacun de son côté, on est écartelées. 

 

 


Édition Quai Voltaire La table Ronde, 467 pages, paru en 1950 et réédité en mars 2022 .

Traduit de l’anglais par Denise Van Moppes

C’est un livre qui a enchanté plusieurs d’entre vous, si vous me le signalez, je mettrai un lien vers vos blogs.

Pour une fois, je peux raconter la fin, sans m’attirer le moindre reproche, puisqu’elle fait l’objet du premier chapitre. Une maison transformée en hôtel, a été complètement ravagée par l’effondrement d’une falaise qui la surplombait à l’arrière. Le pasteur qui doit écrire une homélie à la mémoire des disparus nous annonce que, le récit de ce qu’il s’est passé dans cet hôtel, lui a été fait par les survivants. Le récit, qui s’étale sur une semaine, suit les différents occupants de cette maison-hôtel,(on dirait chambre d’hôtes aujourd’hui) jour après jour, jusqu’à la catastrophe finale.

Un petit tour des différents protagonistes acteurs de cette histoire :

Mr. et MRS Siddal et leurs quatre garçons., Mr. Siddal est le propriétaire de la maison mais n’a jamais voix au chapitre, il est relégué au second plan dort dans un placard à chaussures parce qu’il n’ouvre jamais son courrier, il portera une lourde responsabilité dans la catastrophe que, pourtant, les autorités lui avaient annoncée.
Mrs. Siddal veut absolument avoir assez d’argent pour envoyer son plus jeune fils dans une bonne université. Elle n’aime pas son aîné, Gerry, médecin qui semble le seul à vraiment l’aider.

Nancibel une jeune fille du village qui vient aider.

Fred un homme à tout faire légèrement débile.

Ellis la cuisinière femme de chambre, colporteuse de ragots, la méchanceté personnifiée

Lady Gifford son mari Sir Henry Gifford et leurs enfants. La femme se prétend malade et veut être servie uniquement dans sa chambre, elle a visiblement quelque chose à cacher. Son mari a de plus en plus de mal à la supporter, leurs enfants, l’ainée Hebe, enfant adoptée jouera un rôle important dans l’histoire, Caroline leur fille, Luke et Mikael adoptés également

Mr Paley et sa femme Christina. Ils ont perdu un enfants et se sont enfermés dans une tristesse sans fond.

Mrs Cove et ses trois filles, Blanche, Beatrix et Maud , cette femme horrible martyrise ses enfants et ne pense qu’à l’argent

Mrs Wraxton le chanoine irascible et odieux avec sa fille Evangeline

Bruce secrétaire et amant de la vieille écrivaine Mrs Anna Lechene une femme aux mœurs dépravés et qui jouera un bien vilain rôle dans cette histoire.

Le drame va se nouer autour des enfants Cove qui rêvent de faire partie de la bande des enfants Gifford, les trois filles ont failli périr noyées pour le plus grand soulagement de leur mère qui ne rêve que d’une chose s’en débarrasser. Pour les consoler Christine Parley sortant enfin de son deuil et aidée par Evangeline Wraxton, va organiser pour les pauvres petites un festin (d’où le titre) en haut des falaises . Tous les gentils (ou presque gentils) de l’histoire s’y retrouveront et assisteront à l’effondrement d’une partie de la falaise sur l’hôtel tuant d’un seul coup les plus horribles des protagonistes du drame. L’intrigue du roman est remplie d’anecdotes tragiques, la pire sans doute est celle qui concerne Hebe que l’écrivaine aide à s’enfuir pour aller dans une communauté avec un vieux pervers qui veut abuser de la petite fille en la saoulant tout d’abord. L’horrible Mrs. Cove cette femme sans cœur essaie de faire de l’argent avec tout sans aucun scrupule, elle a essayé de rouler la grand-mère de Nancibel en lui rachetant pour trois sous un objet qui aurait pu en valoir 2000. Mais cette fois c’est elle qui sera trompée, sur la valeur de l’objet.

J’ai lu sans déplaisir ce roman, mais je me souviens d’avis enthousiastes, je suis beaucoup plus mesurée. D’abord cela m’a profondément agacée que les femmes soient celles par lesquelles tous les malheurs arrivent. La méchanceté voire la cruauté est essentiellement féminine, Ellis là colporteuses de ragots agit par pure méchanceté sans qu’on comprenne bien pourquoi, Mrs Siddal favorise outrageusement un de ses enfants au dépend de celui qui semble le seul prêt à l’aider, Lady Gifford est malhonnête et fait le malheur de son mari et de ses enfants, l’écrivaine célèbre est dépravée mais la pire de toutes c’est bien sûr Mrs. Cove.

Pour équilibrer, il y a le chanoine qui est colérique et empêche Evangeline d’être heureuse, et Mr. Siddal qui est paresseux et négligent.
Comme tous les méchants resteront sous les tonnes de cailloux on peut se dire que l’histoire finit bien.
Je n’ai pas pu croire à aucun des personnages proposés dans cette histoire, sauf Nancibel, qui est la jeune fille la plus sensée de ce récit. Le style de l’auteure est vieillot tout est exposé dans des dialogues et des réflexions intérieures des personnages sans nuance. J’ai eu parfois eu l’impression de lire un roman pour adolescent dans la forme et dans l’absence de nuance pour décrire la méchanceté. Un aspect m’a bien intéressé : les réalités économiques de l’Angleterre à la sortie de la guerre 39/45. Mais ce n’est vraiment pas le cœur du roman.
Bref, je suis contente d’avoir sortie ce roman de mes étagères, mais j’ai regretté de n’avoir pas ressenti l’enthousiasme que j’avais lu dans vos billets.

 

Extraits

Début du prologue.

En septembre 1947, le révérend Gérald Seddon, de St Frideswide, Roméo s’en fut comme chaque année passer quelques semaines chez le révérend Samuel Bott, de St Sody, Cornouailles.
 C’étaient de vieux amis et leurs vacances ensemble constituaient leur plus grand plaisir. Car Bott, qui n’avait pas les moyens de s’absenter, s’accordait une espèce de congé pendant que Seddon était chez lui. Il troquait alors la soutane qu’il portait en tout autre temps contre un vieux contagnel et un chandail et il s’en allait observer les oiseaux sur les falaises. Le soir, ils jouaient aux échecs. 

Les Paley.

 Les Paley donnaient toujours cet impression de tragédie momentanément suspendue Ils prenaient chaque matin leur petit déjeuner dans un silence farouche et concentré, comme pour se préparer à soutenir quelque énorme effort au cours de la journée. Quelques instants après, on pouvait les voir traverser la plage portant des livres, des coussins, et un panier de pique-nique. Ils marchaient l’un derrière l’autre, Mr Paley en tête. Ils montaient le sentier de la colline et disparaissait sur le promontoire. À quatre heures,caprès s’être, comme le disait l’impertinent Duff Siddal, débarrassé du cadavre, ils rentraient, toujours l’un derrière l’autre, prendre le thé sur la terrasse. On avait peine à croire qu’ils n’avaient rien fait d’autre de la journée que lire et manger des sandwichs.

La gouvernante , l’horrible Ellis.

 – Bon. Quand vous aurez fini le salon, vous irez aider à la cuisine. je descends tout de suite. »
 Ce questionnaire se répétait tous les matins et son caractère offensant était très net. Il sous-entendait que Nancibel n’avait ni assez d’intelligence pour se rappeler l’emploi du temps quotidien, ni assez de conscience pour le suivre sans qu’on l’y obligeât. Cela s’appelait Être-après-cette-fille et constituait, selon miss Ellis, sa principale fonction une tâche qu’on ne pouvait accepter pour moins de quatre livres par semaine.

Richesse et pauvreté après la guerre .

 Dans le wagon, les autres voyageurs se sentaient solidaires de la veuve, et l’image que renvoyaient les Gifford ne risquaient pas de les faire changer d’avis. Ils paraissaient particulièrement bien nourris, et aucune famille ne pouvait être aussi impeccablement habillée grâce aux seuls coupons de rationnement. De toute évidence, ils faisaient partie de ces gens qui se ravitaillement au marché noir, portaient des bas de contrebande et ne faisaient aucun scrupule, en temps de pénurie de prendre plus que leur part.
(…)
 Les nouvelles occupantes ne respiraient ni les dents rées du marché noir ni les cartes de rationnement textiles achetées à quelques femmes de ménage dans le besoin. Elles avaient l’air d’une illustration de propagande pour la campagne « Sauvez l’Europe ». Tout en elles était maigre. Les trois fillettes étaient longues et pâles comme des plantes poussées dans l’obscurité. Elles avaient des dents en avant mais ne portaient pas d’appareil dentaire ; leurs yeux bleu clair étaient myopes, mais elles n’avaient pas de lunettes. On leur avait coupé les cheveux au bol, et leurs robes de coton râpé couvraient à peine leurs genoux osseux.

La championne des ragots : la gouvernante miss Ellis.

 « Un jour, promit miss Ellis, je dirai à la jeune Hebe Gifford d’où elle vient. Gifford ! Elle ne s’appelle pas plus Gifford que moi. Ils l’ont adoptée. C’est une bâtarde, l’enfant d’une bonne probablement. Et c’est moi qui vide ses pots de chambre ! »