Édition JC Lattès

Encore une fois c’est La souris Jaune qui m’a tentée pour ce roman très prenant. La tension est palpable dès le début et va en augmentant jusqu’à un certain jour d’été. Nous suivons l’adolescence de Joy et Stella deux très jeunes filles qui se ressemblent physiquement et qui nouent un lien amical très fort. L’une comme l’autre ont des vies déséquilibrées : Joy est élevée par un père seul, sa femme est partie alors que sa fille avait huit ans. Stella est élevée par une mère qui fréquente le monde artistique dans une très belle maison où les fêtes alcoolisées résonnent trop souvent. Et puis un jour, après le séjour d’été chez la grand mère aux États-Unis, Stella se sépare de Joy et au retour en France, elle coupe définitivement avec son amie sans aucune explication.

La deuxième partie du roman se passe trente ans plus tard et on finit par comprendre ce qui a poussé Stella à couper définitivement avec son amie.

En dehors de cette révélation, ce que je trouve très intéressant c’est la façon dont les deux adolescentes se trompent toutes les deux sur leur famille respective. Et surtout, le style de l’auteur sert très bien cette histoire tragique, la voix des deux jeunes filles qui racontent bien le plaisir qu’elles ont à se retrouver et à passer du temps ensemble : faire le mur, aller danser, s’échanger leurs vêtements et surtout écouter David Bowie en boucle. Elles ne perçoivent pas ce que les adultes veulent leur cacher et inventent une vie imaginaire comme les adolescentes savent si bien le faire.

Celle qui a subi le drame c’est Stella mais elle arrivera à se reconstruire une vie heureuse. En revanche, Joy à qui on a tout caché et qui ne peut même pas imaginer le début d’une vérité n’a pas réussi à être heureuse dans sa vie amoureuse.

Un roman sur un sujet souvent traité mais d’une façon originale grâce au suspens très bien mené par cette écrivaine, mais je n’ai vraiment profité du roman qu’à le relecture lorsque j’ai été débarrassée du suspens (Je sais que je ne fais pas la l’unanimité quand je dis cela), et je l’ai trouvé un peu vide tout l’intérêt est dans le drame dévoilé au trois quart du récit.

 

Citations

L’amitié adolescente .

 L’adolescence est une fiction ; l’amitié, un pacte temporaire. On cherche et reconnaît en nos rencontres ce qui nous fait défaut, on leur jure fidélité en échange, chacun devient l’armure de l’autre pour se jeter à l’assaut du monde, puis s’en déleste, une fois l’obstacle surmonté ou la défaite admise.

La réalité derrière la fête.

 Joy a idéalisé ce qui se passait villa Adrienne. Ce n’était pas le monde généreux qu’elle décrivait. Ces types prenaient la maison pour une auberge, ils traitaient Domino et sa fille comme leur soubrette. Jamais Stella n’en a vu un apporter un bouquet de fleurs ni se mettre en cuisine. À part ça, ils étaient formidables.
 Domino était passée d’une vie modeste avec un réfugié laotien obsédé par l’intégration a une communauté foutraque et intellectuellement vivifiante, mais son rôle n’avait pas changé, elle faisait les courses, les repas, le ménage, et elle gueulait. Ou alors elle pleurait parce qu’une fois de plus elle était tombée amoureuse d’un tocards qui avait pris la poudre d’escampette.

Comment empêcher une adolescente de parler.

 Dottie, elle, n’a pas gobé son mensonge. Elle est venue la trouver dans le garage et lui a demandé très gentiment ce qu’il lui arrivait, parce qu’elle croyait que les deux amies s’étaient disputées. Stella s’est sentie en confiance : 
– il y a eu un problème avec votre fils… 
Dottie lui a jeté un coup d’œil furtif, méfiant aussitôt contré par son bon sourire.
– Il est incorrigible, hein ? Ce n’est pas bien grave tu sais. Tu t’en remettras, s’il t’a volé un baiser .
– Non ce n’est pas… 
 Dottie l’a interrompue sèchement cette fois.
– Quand on a le feu au cul, on allume.
 Oui ce sont les mots de la gentille vieille Dame qui aimait les expressions idiomatiques. Ses grands yeux bleus avait rétréci en tête d’épingle noires. Un regard d’une dureté abyssale. 

 

 

 

 


Édition l’olivier

Quel beau livre ! Et aussi, un roman qui permet de découvrir un fait totalement inconnu de la deuxième guerre mondiale et de connaître un peu mieux l’Île Maurice. Après « les rochers de poudre d’or » qui décrivait la pauvreté des familles indiennes qui étaient venues en croyant s’enrichir sur l’île Maurice, nous voici, en 1944, dans une de ces familles exploitée de façon éhontée par un planteur de cannes à sucre. Cette famille de trois garçons pourraient être moins malheureuse si le père n’était pas un homme que l’alcool rend mauvais et qui tape alors sans aucune retenue sa femme et ses enfants. Ses trois fils s’entendent bien et leur plus grand bonheur est d’aller chercher l’eau de la journée à la rivière. Ils ramènent tous les jours six seaux qui remplissent la citerne de leur pauvre masure. Un jour, une pluie extrêmement violente fait déborder la rivière et celle-ci devient un torrent si impétueux que deux frères sont emportés dans des flots charriant boue et énormes cailloux.

La famille déménage, on comprend bien que les parents ne peuvent plus vivre si près d’un lieu marqué par la mort de leurs deux enfants. Le père est devenu gardien de prison, il est toujours aussi violent et frappe toujours aussi fort sa femme et son dernier fils. La deuxième partie du roman permet de comprendre qui étaient les gens que son père gardait, parmi eux un enfant David. Les deux enfants tisseront un lien d’amitié alors qu’ils ne parlent pas la même langue mais ces deux petits de neuf ans presqu’aussi malheureux vont se comprendre et Raj le petit Mauricien voudra sauver David « le petit juif de Prague ».

J’aime la langue de Natacha Appanah et sa façon de construire ses récits, le seul roman qui m’avait moins convaincue était « la noce d’Anna » mais là je retrouve toute la violence contenue de « le ciel par dessus les toits « .

Je pense que cette écrivaine a connu de près la misère et les violences familiales que cela peut engendrer, elle connaît bien aussi l’île Maurice et je trouve extraordinaire la façon dont elle nous a fait connaître le drame des ces juifs refoulés d’Israël et dont l’Angleterre s’est débarrassée sur une île sans leur permettre de vivre dignement. Le petit Raj ne connaissait rien évidemment à la guerre qui se passait si loin de chez lui et le mot « juif » ne voulait rien dire pour lui. Mais ce seul mot faisait que David vivait en prison et lui était libre de ses mouvements (quand il pouvait échapper aux coups de son père !). Or c’est à travers ses yeux que nous voyons le drame se tisser, tel que le vieux monsieur qu’il est devenu essaie de se le rappeler. Une tragédie adoucie un peu par le personnage de la mère qui aime son fils et le sauve de la poliomyélite, car elle connaît les plantes qui guérissent.

J’ai beaucoup aimé la façon dont le récit est construit, le vieil homme connaît maintenant les raisons pour lesquelles il y avait des prisonniers juifs sur son île, mais quand il avait neuf ans il n’en avait aucune idée, et la mort brutale de ses frères l’avait tellement perturbé qu’il a voulu que David les remplace et, des conséquences que cela a entraînées, il se sent coupable encore aujourd’hui.

 

Citations

La misère des coupeurs de canne à sucre.

À la lisière de l’immense champs de cannes d’un vert ondulant sur la propriété sucrière de Mapou, commençait une série dégingandée de boxes, de huttes, de soi-disant maisons faites de tout ce qui tombait entre les mains de nos aînés et que l’on appelait le « camp ». Branche, bûches, bout de bois, souches, feuille de canne, brindilles, bambous, paille, palets de bouse de vache séchée, l’imagination de ces gens-là étaient infinie. Je ne sais pas comment j’ai survécu à la vie dans le camp, comment le petit garçon frêle et peureux que j’étais a pu traverser ces huit longues années. Ici, dès qu’un enfant tombait malade, la famille préparait tout de suite son lit mortuaire et, en règle générale, elle avait raison, la mort suivait la maladie, systématiquement, inexorablement.

La pluie tropicale.

À Mapou, la pluie était un monstre. on la voyait prendre des forces, accrochée à la montagne, comme une armée regroupée avant l’assaut, écouter les ordres de combat et de tueries. les nuages grossissaient de jour en jour, si lourds et goulus que le vent qui nous faisait tituber, au sol, n’arrivait plus à les chasser. Nous levions les yeux vers la montagne, quand la poussière nous donnait un répit et les soupirs de nos aînés nous préparait au pire.

Son père .

Mon père n’était pas meilleur ou pire que les autres. Il hurlait des choses que nous ne comprenions pas, chantait des chansons devenues incompréhensibles tant sa langue était lourde et gonflée d’alcool et nous prenions des coups si nous ne chantions pas comme il le souhaitait. Souvent, nous nous retrouvions dehors serrés contre ma mère et nous n’étions pas la seule famille dans ce cas-là. 
Que dire de plus sur ces nuits au camp ? Je n’avais pas l’impression d’être plus malheureux qu’un autre, mon univers commençait et s’arrêtait ici, pour moi, le monde était fait ainsi, avec des père qui travaillaient du matin au soir et rentraient chez eux, saouls , pour malmener leur famille.

La culpabilité du survivant.

Les yeux de mon père sur moi, ce regard qui noircissait de plus en plus, contre qui pouvait-il hurler, qui pouvait-il taper pour exorciser sa colère ? Et cette question au bout de sa langue, cette question qu’il n’a jamais pu prononcer tout haut mais que j’entendais à chaque fois que je passais à côté de lui, à chaque fois que sa main s’abattait sur moi, sur ma mère. Pourquoi toi ? Pourquoi toi, Raj, petit vaurien frêle, as-tu survécu ? Pourquoi toi ? Pourquoi toi ?

Découverte de David .

 Je ne sais pas si je dois avoir honte de le dire mais c’est ainsi. Je ne savais pas qu’il y avait une guerre mondiale qui durait depuis quatre ans, quand David avait demandé, à l’hôpital, si j’étais juif, je ne savais pas ce que ça voulait dire, j’ai dit non parce que j’avais la vague impression que juif désignait une maladie parce que j’étais dans un hôpital, je n’avais jamais entendu parler de l’Allemagne, je ne savais pas grand chose en réalité. J’avais trouvé David, un ami inespéré, un cadeau tombé du ciel et en ce début d’année 1945, c’est tout ce qui comptait pour moi.

 

L’étoile de David.

C’est aussi ce jour-là qu’il m’a montré sa médaille et qu’il m’a parlé de l’étoile de David et moi, pauvre idiot, pauvre naïf, pauvre gosse né dans la boue, moi, vexé comme un pou. et puis quoi encore ? peut-être que la forêt s’appelle la forêt de Raj ? Comment une étoile pouvait porter son nom, hein, pouvait- il me le dire ? Il me prenait pour un gaga ou quoi ? 
Mon ami serra son étoile et me dit que ce David-là était un roi. Et alors ? Raj aussi voulait dire roi !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Édition Odile Jacob

Cet auteur fait partie des penseurs contemporains que je peux lire jusqu’au bout. Ce n’est pas forcément un gage de qualité pour sa pensée car je reconnais humblement que j’ai beaucoup de mal à lire les auteurs abstraits. Autant, quand ils expliquent leur pensée oralement, je suis parfois passionnée, je me procure alors leur livre mais je constate souvent que j’ai beaucoup de mal à les lire. Pour Cyrulnik ce n’est pas le cas, car il mêle toujours du narratif à l’abstraction et cela rend ses livres passionnants pour moi.

Dans ce livre-ci, il essaie de cerner ce qui fait qu’un être humain garde son libre arbitre où bien se soumet au groupe et peut alors commettre le pire.

Bien sûr, il démarre par cette pure horreur : pourquoi alors qu’il avait sept ans des allemands ont décidé de le tuer ? Et s’il a survécu, il lui faudra de nombreuses années pour oser dire devant l’opinion française ce qui s’est effectivement passé. Ensuite, il analyse sous plusieurs angles d’attaque toutes les circonstances qui ont permis à des hommes et des femmes de prendre des décisions qui iront dans le sens de la dignité humaine ou au contraire dans l’abjection.

Ce livre est très difficile à résumer, mais ce que l’on peut dire c’est qu’ensuite on a vraiment envie de faire partie des adultes qui n’accepteront pas d’obéir aux dogmes ambiants sans exercer leur pensée critique. Je trouve très intéressant qu’il se mette lui-même en cause en tant que médecin. Il était neuro psychiatre quand on faisait encore des lobotomies et s’il n’en a pas fait lui-même il a vu très peu de médecins s’y opposer. Comme nous venons de vivre une époque où la doxa médicale était très difficile à mettre en cause, j’ai été très sensible à ce qu’il décrit. Il prend un moment un exemple que j’ai trouvé tellement parlant, quand il était jeune médecin on était persuadé qu’il ne fallait pas endormir localement des plaies avant de les suturer, car cela risquait de moins bien cicatriser. Il a donc fait ainsi en faisant souffrir des enfants, alors que finalement il n’y a aucune raison médicale de ne pas anesthésier les plaies avant de les recoudre.

Comme vous le voyez ce que je retiens ce sont tous les exemples que cet auteur prend pour illustrer ses propos. mais j’ai noté beaucoup de passages pour que vous puissiez cerner sa pensée.

Je vous conseille vraiment la lecture de ce livre ou d’écouter ce penseur si humain que cela fait du bien de faire partie de la même humanité que lui.

 

Citations

Les enfants et les discours totalitaires.

 Les enfants sont les cibles inévitable de ces discours trop clairs parce qu’ils ont besoin de catégories binaires pour commencer à penser : tout ce qui n’est pas gentil est méchant, tout ce qui n’est pas grand est petit, tout ce qui n’est pas homme est femme. Grâce à cette clarté abusive ils acquièrent l’attachement sécurisant à maman et à papa à la religion aux copains d’école et au clocher du village. Cette base de départ permet d’acquérir une première vision du monde, une claire certitude qui donne confiance en soi et aide à prendre place dans sa famille et sa culture.

Des idées simples et intéressantes.

 Pour Darwin l’homme, mammifères proche du singe, peut s’arracher à la condition animale grâce a un cerveau qui lui donne accès au monde de l’outil et du verbe. Pour lui, les êtres vivants ne sont pas hiérarchisés, ils s’adaptent plus ou moins bien aux variations du milieu. C’est le plus apte à vivre et à se reproduire dans ce milieu qui sera favorisé par la sélection naturelle, ce n’est pas forcément le plus fort. Une telle pensée écosystémique ne pouvait pas satisfaire ceux qui aiment les rapports de domination. Quand Freud percevait une différence entre deux mondes mentaux, il éprouvait le bonheur des explorateurs ; Mengele au contraire y voyait la preuve d’une hiérarchie naturelle. Cette interprétation du monde faisait naître en lui un plaisir d’obéissance qui mène à la domination.

Des faits qui me révoltent.

Ernst Rüdin, psychiatre généticien suisse, avait fait passer à la demande de Hitler la loi de la stérilisation contrainte (1934) afin d’éliminer les schizophrènes, les faibles d’esprit, les aveugles, les sourds et les alcooliques. En 1939, il reçut la médaille Goethe pour son travail scientifique qui légitimait l’élimination des enfants de mauvaise qualité (…)
En 1945, à la fin de la guerre, Ernst Rüdin affirma qu’il s’agissait d’un simple travail académique. Il fut puni d’une amende de 500 marks et après avoir été décoré deux fois par Hitler, il poursuivit sa carrière aux États-Unis et rentra à Munich pour y mourir en 1952.

La banalité du mal.

 Je vais vous surprendre, mais je pense que ces crimes sans émotion ni culpabilité ne sont pas rares et que beaucoup d’êtres humains en sont capables. Il ne s’agit pas d’anhédonie, engourdissement de la capacité à éprouver du plaisir. Adolf Eichmann ressentait de grands bonheurs quand il envoyait à Auschwitz des trains bourrés de juifs. C’est le plaisir qu’on éprouve à bien faire son travail, à tamponner, à classer, à nettoyer la société de la souillure juive. Voilà, c’est simple, cette énormité est banal, c’est ainsi que je comprends « la banalité du mal » de Hannah Arendt.

Et pourtant c’est vrai.

 Aucune découverte scientifique, aucune idée philosophique ne peut naître en dehors de son contexte culturel. Beaucoup de nazis, comme beaucoup de lobotomiseurs , n’avaient aucune conscience du crime qu’ils commettaient. Ils habitaient une représentation où ils puisaient leurs décisions politiques ou thérapeutiques : donner mille ans de bonheur au peuple en extirpant la souillure juive et soigner la folie en découpant le cerveau. Quand la violence est banale, la culture légitime ce mode de régulation des rapports sociaux. Les médecins nazis étaient convaincus qu’ils contribuaient scientifiquement à l’anthropologie physique. C’est au nom de la morale qu’ils ont exterminé 300 000 malades mentaux en Allemagne, qu’ils ont réalisé de mortelles expérimentations médicales sur des enfants et ont assassiné en rigolant 6 millions de juifs en Europe.

L’importance du malheur.

Si par malheur nous pouvions supprimer le malheur de la condition humaine, nous fermerions les librairies et ruinerions les théâtres. Est-ce ainsi que nous pourrions expliquer la puissance du conformité quand nous cherchons à nous mettre en accord, en harmonie avec les inconnus qui participent au groupe auquel on désire appartenir ?

Penser ne peut être que complexe.

La pensée facile, le Diable et le bon Dieu, le bien et le mal, ça ne marche pas. Chez le même homme, il y a des pulsions contraires : la rage de détruire et le courage de reconstruire. C’est par empathie que Himmler a commandé la construction des chambres à gaz. Quand il a vu le malaise de ses soldats, blancs d’angoisse et obligés de boire de l’alcool pour se donner la force de mitrailler des femmes nues portant leur bébé dans les bras, il a compati avec eux et à proposer une technique propre pour tuer ces gens sans traumatiser les soldats. Quand la lobotomie a été inventée, les congrès ne parlaient que de techniques : faut-il faire un volet frontal, introduire une aiguille dans le creux sus-orbitaire, injecter de l’alcool, couper avec un scalpel ? Le succès technique arrêtait l’empathie et empêchait de voir que le prix humain était exorbitant, que la « guérison » apportait plus de troubles que la maladie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Édition Buchet-Chastel. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Un petit roman bien sympathique, sur un sujet qui m’intéresse : le création des « livres des heures » au 15° siècle.

Ces illustrations sont tellement riches et variées ! Je me souviens d’une exposition dans une bibliothèque qui m’avait complètement séduite.

L’auteure imagine un personnage féminin (En 2022 ce serait trop banal que ce soit un homme !) qui lutte pour pouvoir devenir, elle aussi, comme son grand-père, son père, une artiste en enluminures. L’intrigue est vraiment trop attendue pour moi : sa mère ne veut que la marier et déteste qu’elle veuille devenir peintre mais grâce à son grand-père elle finira par s’imposer. La belle Marguerite va connaître un amour passion pour un « maure » qui passait par là et devra finalement se marier pour donner un père au bébé qu’elle attend.
L’intérêt du roman réside dans la reconstitution d’une ville Paris qui se remet doucement de la guerre de cent ans, et la description des techniques des coloristes qui nous ravissent encore aujourd’hui.

Un roman dont je vais très vite oublier l’intrigue mais qui m’a fait passer un bon moment dans les ateliers parisiens d’enluminures.

 

Citations

La couleur et le Moyen Âge

 Les maisons des petites gens sont couleur de bois, de pierre, de boue, de chaume, leur mobiliers de terre cuite, d’étain, leurs habits d’étoffe non teinte ou si peu. Le Moyen Âge est friand de couleurs vives autant que d’épices. La couleur est l’apanage de la nature, de nature divine, des Hommes qui en ont extrait les secrets et de ceux qui peuvent se les payer. Plus elle est vive, saturée, plus elle est enviable, enviée. Elle est la marque du puissant, de la cathédrale, du jour de fête et de procession avec ses étendards. L’absence de couleur est signe de pauvreté, d’insignifiance, d’inexistence, de mort.

 

Le sujet du roman.

 Si, comme il se doit, Marguerite équipera son livre d’heures de calendrier liturgique, d’extraits d’évangiles, d’un petit office de la Vierge organisé selon les heures canoniales, elle prendra quelques libertés. d’autres avant elle en ont prit. Il est commun que le propriétaire de livres d’heures cherche à rentabiliser sa mise, car le coût en est très élevé. On y inscrira toutes sortes de choses, des recettes locales de tisanes, d’onguent, en passant par les dates des naissances et des morts des membres de la famille. Alors pourquoi pas des pensées, des échappées intime ? Voilà pour le fond . 
Et sur la forme ?
D’austères au XII° siècle, les livres d’heures vont prendre vie, couleurs au fil du temps. Des prières, comme d’une terre, vont en pousser s’enguirlander de branches, de feuilles, de forêts entières.

 

Édition Le Dilettante

 

Après « 39,4 » je savais que je lirai ce roman qui de plus se concentre sur un problème qui me touche car une de mes filles est professeure en collège à Paris : la volonté des parents de contourner à tout prix les règles d’affectation scolaire pour mettre leur enfant dans un bon collège. À Paris, plus qu’en province, le succès des établissements privés est considérable, mais si on habite à côté d’Henry IV ou Louis Le Grand c’est une grande chance pour ces parents trop concentrés sur la réussite scolaire des enfants. Ils peuvent laisser leur chère progéniture dans le public et bénéficier d’un environnement élitiste.

Paul, le père de Bérénice est un de ces pères là et si Sylvie son épouse est plus attentive au bonheur de leur enfant, c’est quand même elle qui demandera à leur ancienne femme de ménage, une mère célibataire d’origine africaine maintenant concierge à côté du collège tant convoité -Henry IV, de domicilier sa famille chez elle ! L’éclat de rire de cette femme qui rend volontiers ce service contre rémunération, m’a fait du bien.

Ensuite le roman enchaîne les manœuvres pour maintenir Bérénice au top de l’élite intellectuelle parisienne, il s’agit de donner à la jeune tous les cours particuliers qui lui permettent de rentrer au lycée Henry IV puis en classe prépa. Et là soudain catastrophe Bérénice tombe amoureuse du seul garçon boursier de la prépa.
Je ne peux vous en dire plus sans divulgâcher, l’imagination de Paul pour obtenir que sa si précieuse fille franchisse les derniers obstacles de la classe prépa.

C’est donc la deuxième fois que je lis un roman de cet auteur, je suis frappée par l’acuité de son regard sur une société qu’il connaît bien, mais comme pour « 39,4 », j’ai trouvé que ce regard pertinent manquait de chaleur humaine et que son humour est parfois trop grinçant. On ne retrouve un peu de compassion que dans le dernier chapitre. Je vous conseille cette lecture si vous avez envie d’en savoir un peu plus sur le petit monde des gens qui veulent à tout prix la réussite scolaire de leurs enfants à Paris. Je sais, c’est un centre d’intérêt limité mais n’oubliez pas qu’ensuite ces braves gens gouvernent la France avec un regard quelque peu méprisant pour le commun des mortels.

 

Citations

Cet humour grinçant qui parfois peut déranger .

 Paul redouta le développement d’un trouble dysphasique sévère. Alerté par une fréquentation compulsive des sites spécialisés sur le net, il fit partager à Sylvie le spectre des conséquences à anticiper : isolement, syndrome autistique, arriération, et décès précoce dans une institution privée située à plus de cent cinquante kilomètres de Paris où ils se seraient auparavant rendus une fois par semaine, le samedi après-midi, afin de passer quelques heures en compagnie de leur fille dans un atelier artisanal de création de lampes en sel coloré.

Les enfants à haut potentiel .

 Son retard initial dans l’acquisition du langage de même que ces manifestations d’anxiété s’intégrant d’ailleurs dans la description proposée par le psychologue Jean-Charles Terrassier, du phénomène qualifié de « dyssynchronie » pour caractériser un certain nombre d’enfants dits « précoces », dont la maturité affective n’était pas en adéquation avec le niveau des connaissances accumulées, expliquant nombre de comportements puérils et négatifs susceptibles de retarder certaines acquisitions. Ainsi naquit ces acquis dans l’esprit de son père l’hypothèse selon laquelle Bérénice était une enfant à « haut potentiel  » au potentiel caractéristique plus gratifiante que les annotations qui ponctuent ses bulletins scolaires de CM2 et lui assignant un rang médian tout en louant des effort qualifiés de « méritoires »

L’élitisme scolaire.

Bérénice fit donc solennellement son entrée au collège Henri-IV sous le regard transfiguré de son père qui conduisit en personne sa fille vers le sanctuaire où elle allait désormais, à l’instar d’une chrétienne béatifiée, recevoir les sacrements d’une pédagogie aristocratique. La jeune fille ne protesta pas, heureuse de l’effet que provoquait sa mutation scolaire sur l’humeur quotidienne de Paul, à défaut de prendre pleinement la mesure de la chance qu’il lui était offerte de s’extraire du troupeau vagissant des futurs exaltée du vivre ensemble. Elle avait en effet, depuis quelques années, pris conscience de la puissance que produisait ses résultats scolaires sur l’humeur de son père et entrevoit les quelques stations de métro supplémentaires qui accompagneraient ces trajets quotidiens comme un maigre tribu à l’équilibre familial.

Se construire soi même une mauvaise foi.

 À la manière d’un rongeur amphibien, il prit la résolution, afin de se prémunir de ses assauts paradoxaux, d’établir une sorte de digue interne, constituée de petits bouts d’arguments qu’il assemblait les uns sur les autres dans la plus grande anarchie pour s’assurer une protection étanche contre les efflux critiques qui l’assaillaient périodiquement. Il lui fallut pour cela mobiliser toute la rigueur de sa formation scientifique et, ainsi que s’organisent naturellement certaines voies de communication au sein d’un épithélium, définir un cadre formel, agencer selon des règles systématiques les voies de signalisation et de régulation à l’intérieur desquelles lui, Bérénice, Aymeric, Henri IV, l’Éducation nationale et ses ramifications s’intégraient et se déplaçaient sans jamais en questionner la finalité.

Les indignations de la jeunesse favorisée .

 Pernille était une jeune fille à la conscience « éveillée » et particulièrement encline à l’indignation. La situation des réfugiés syriens, l’absence de menu bio au réfectoire d’Henri-IV, le nombre de places d’accueil pour les SDF par grand froid, la taille des jupes de sa mère où la fonte du permafrost, tout l’indignait.

Et oui ce genre de spectacle existe (comme ça ou presque).

 Sylvie et Paul s’était laissé surprendre par une invitation l’été dernier afin d’assister à une « mise en espace » consacrée à la poésie médiévale dont la principale originalité tenait au fait que les vers se trouvaient déclamés par des comédiens perchés au sommet des arbres. Églantine Campion expliqua à ses invités, et plus tard à l’ensemble des spectateurs, qu’elle tenait par cette scénographie à renforcer la nature gravitationnelle du processus politique en en inversant la trajectoire, pour mieux signifier que si les vers élevaient l’âme de ses auditeurs, ils avaient l’humilité, en quelque sorte, de descendre jusqu’à eux et de ne point les exclure de leur dimensions parfois ésotérique. Les représentations furent néanmoins interrompues avant leur terme et par la chute malencontreuse d’un comédiens qui se fractura pour l’occasion deux vertèbres, suscitant, en guise de conclusion anticipée, une réflexion de l’organisatrice sur la radicalité de l’acte poétique, son éternel potentialités à transformer, fragmenter même, chacune de nos confortables « zone de réalité ».

Édition Albin Michel

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

 

Est-ce qu’un éclat de rire vaut cinq coquillages, j’ai décidé que oui car franchement quand j’écris cet article il n’y a pas grand chose qui me porte à rire.
Alors surtout que tous ceux et toutes celles qui ne veulent lire que des œuvres qui passeront à la postérité, évitent cette lecture. Les autres chercheront dans leur bibliothèque préférée s’il ne trouve pas ce roman de Marion Michau. Elle y conte la vie de Pilar Mouclade, oui c’est vrai son prénom aurait été plus facile à porter avec un nom de famille espagnol et puis Mouclade ce n’est pas terrible non plus. Tout va bien dans sa vie : son mari, ses enfants, son métier.
Elle sait nous raconter le métier d’agent immobilier et nous le rendre très sympathique. Je me souviens à quel point une femmes m’avait aidée à acheter ma maison à Dinard, je la retrouve dans le portrait de Pilar, donc je peux en témoigner il existe des agents immobiliers (désolée je ne connais pas le féminin du nom « agent ») agréables et qui vous aident vraiment à choisir un bien où vous pourrez vivre confortablement.

Pilar est originaire de Limoge, ville souvent choisie pour décrire l’ennuie de la vie en province, cela vient de loin puisque le mot limogeage vient de l’envoie, dans cette ville, des hauts gradés militaires dont on voulait se débarrasser en les faisant « mourir » d’ennuie à Limoges. Elle est élevée par une mère compliquée qui change d’amants et de boulots très souvent, elle est aussi l’amie de Stella un fille dont la beauté éblouit les garçons et attire les filles. Pilar va avoir quarante ans et son anniversaire la perturbe beaucoup, elle veut retrouver Stella avec qui elle s’est fâchée à l’adolescence. Cette quête vers son passé va permettre aux lecteurs de comprendre qui est Pilar : une femme formidable que l’on a très envie de connaître pour partager un moment de sa vie.
Rien que pour ça j’irai bien dans son agence immobilière : mais oui, je le sais, ce n’est qu’un roman, plus exactement un éclat de rire et cela je le garde en moi, en pensant à Pilar Mouclade.

 

Citations

Le choix du prénom Pilar.

 Dans toutes les familles normalement constituées, le père aurait mis son veto (pourquoi pas Dolores tant qu’on y est ? ?), mais mon père n’a pas eu son mot à dire puisqu’il se résume à « un homme qui dansait très bien » au Calypso Club de Limoges en juillet 1979.

Le portrait de sa mère .

Je vivais dans le désordre de ma mère. On passait de studio en appartement et d’appartement en chambre de bonne au gré de ses licenciements ou de ses ruptures amoureuses (les deux affaires étaient souvent liées). J’ai eu un nombre parfaitement traumatisant de beau-père. aujourd’hui, je les confonds tous. Il faut dire que ma mère s’est longtemps spécialisée dans le tocard à moustache. 
– Qu’est-ce que tu veux, Pilar, je ne supporte pas d’être seule. 
J’ai mis des années à comprendre cette phrase. elle n’était pas seule, puisque j’étais là…
 Toute mon enfance je l’ai entendu parler de valises et d’aller simple pour le bout du monde.
-Qu’est-ce qui nous retient ? 
J’ai grandi avec cette idée dans un coin de ma tête, et un grand sac en toile rose et bleu dans un coin de ma chambre. Les années ont passé, et on ne s’est jamais éloigné a plus de vingt kilomètres de Limoges, ou elle vit encore. Ma mère m’a toujours fait penser à une mouche contre une vitre : elle dépense une énergie folle à se cogner.

Les rapports avec sa mère .

 Ma mère m’appelle alors que je remonte en voiture la rue Sadi-Carnot. En voyant son nom s’afficher, je me gare sur une livraison. Quelques secondes, j’espère qu’elle appelle pour s’excuser d’avoir oublié mon anniversaire… Décidément, rien ne me sert de leçon.
– Pilar ! Ah quand même ! Tu aurais pu m’appeler ! Tu as bien vu que j’étais en train d’oublier ton anniversaire ! T’aurais pu me passer un petit coup de fil au lieu de prendre un malin plaisir à me mettre le nez dans le caca ! 
– Bonjour, maman. 
– Je vais même te dire vu ce que j’ai souffert le jour de ta naissance, c’est toi qui devrais m’appeler chaque année ! 
Parfois je me demande pourquoi je descends rarement la voir, et parfois je ne me le demande plus du tout. 
-De toutes façon, je ne sais pas pourquoi je m’étonne encore ! Tu n’appelles jamais, tu ne descends jamais !
 Bah non , maman, parce que chaque fois que je viens, dans les deux minutes qui suivent mon arrivée, j’apprends que j’ai grossi et qu’on ne va pas passer la soirée ensemble parce qu’un « ami » t’a invitée à dîner et tu n’as pas osé dire non. C’est drôle comme avec moi tu oses.

 

 

Édition J’ai lu

Est-ce que je peux vraiment remercier Krol de m’avoir conseillé ce roman ? j’en ressors tellement pessimiste sur la nature humaine et si effrayée par les conduites des hommes pendant la guerre que celle qui frappe à notre porte me fait encore plus peur ! À mon tour, je vais vous dire qu’il faut lire ce roman même si comme moi vous serez horrifié par ce que vous allez découvrir sur cette guerre au Cambodge qui semble si lointaine dans le temps.

Saravouth est un jeune Cambodgien élevé par un père intègre fonctionnaire de l’état cambodgien et d’une mère dont le père était français, il a une petite soeur, Dara. Sa vie est harmonieuse, c’est un enfant à l’imagination débordante nourrie de la lecture de « Peter Pan » et « L’Odyssée ». Il se construit un monde intérieur imaginaire qui le protège de toutes les horreurs du monde de l’extérieur.

Hélas ! la guerre commence et la corruption du régime de Lon Nol sera bien incapable d’arrêter les Khmers Rouges qui gagnent du terrain par des méthodes d’une barbarie incroyables. Je ne résiste pas à citer le journal du « Monde » la veille de la prise de la capitale par les Khmers rouges. (Je cite l’auteur, je ne peux en vérifier la vérité de chaque mot, mais en revanche je peux témoigner de l’ambiance générale de la gauche bien-pensante française)

Les journaux anglais sont formels : le Cambodge n’en a plus pour longtemps. Phon Penh va tomber. Le peuple sera libéré écrit Philippe Saintes dans les pages du « Monde ».

« Libération » qui a couté deux millions de morts

La famille de Saravouth n’est pas victime des Khmers mais de la lutte du clan Lon Nol contre les habitants qui étaient suspectés d’être d’origine Vietnamienne ou comme son père d’être incorruptible. Ils sont emmenés en forêt et là commence la deuxième partie de la vie de Saravouth. Il est recueilli par une vieille femme qui le soigne grâce à des plantes, il est persuadé que ses parents et que sa soeur sont vivants et il veut absolument les retrouver. Dès qu’il le peut il repart à Phnom Penh pour retrouver sa famille. Mais ce parcours à travers le Cambodge dévasté, c’est une horreur absolue, il arrivera quand même dans la ville où évidemment il ne retrouvera pas ses parents.

Un jour l’horreur envahira complètement son monde intérieur et il perdra toute son innocence. Une dernière partie très courte c’est la vie de Saravouth aux USA, on peut le voir sur un très court reportage que l’auteur nous conseille de regarder. Sa tragédie et ses multiples blessures l’empêcheront de vivre normalement mais la prédiction de la la première femme qui lui a sauvé la vie dans la forêt cambodgienne, les gens auraient toujours envie de l’aider. D’ailleurs pour faire connaître son histoire Guillaume Sire dit qu’il l’a rencontré pendant trois ans et qu’il bénéficiait de l’aide de nombreuses autres personnes.

Citations

La tragédie.

Saravouth se souvient clairement de tout ce qui s’est passé jusqu’au moment où son père s’est mis à courir. Après, il a vu les palmiers devant lui s’effondrer. Il n’a pas senti la balle lui percuter la tête, mais une pression sur ses poumons, depuis l’intérieur, la langue de Shiva. La dernière chose dont il se souvient c’est d’avoir lâché la main de Dara.

La fuite dans les marais.

 Ils ont de la vase jusqu’au genou. Les moustiques se posent sur leurs fronts, près des paupières enflées, sous leur menton. Rida et Thol respirent par la bouche, fort, sûrement à cause du paludisme qui le jour est contrôlable mais la nuit grattent par l’intérieur des nerfs. Après une heure de marche, éclairés à la seule lumière d’un croissant de lune visqueux, ils sentent enfin la présence de l’eau. Derrière une ligne d’arbres abondants, les marécages débouchent sur une étendue de clarté.

Saravouth cherche ses parents.

 Quand il a l’idée de l’envoyer chez ce libraire français que Phusati aime tant, et qui est pour elle une espèce de confident, il reprend espoir, parce que c’est logique, depuis le début ses parents étaient cachés dans une librairie, à l’abri sous les ficelles des mots. Où est ce que sa mère aurait pu se cacher sinon chez Monsieur Antoine, le libraire avec son sourire gêné et ses lunettes au bout du nez ? Mais non, ils n’y sont pas. Vanak apprend à Saravouth que la librairie est fermée depuis un an. Monsieur Antoine a laissé un mot « Fermé à de la folie des hommes, les livres sont en vacances ».

Philosophie de Vanak.

– Tu es orphelin maintenant, dit Vanak en choisissant le cirage et la graisse de phoque.
-Qu’est-ce que tu racontes ? 
-Les adultes, quand ils volent, c’est parce que ce sont des voleurs. Les enfants, c’est parce que ce sont des orphelins.

Fin du livre.

 Saravouth a survécu à la guerre, mais rien en lui de ce qui était davantage que lui-même n’a survécu, sinon dix-neuf éclats d’obus. 
« Je ne suis pas mort, m’a-t-il dit un soir, mais la mort grâce à moi est vivante ».
Le cheval est entré à l’intérieur de Troie. 

 

Édition Plon . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Quel livre ! Quand j’ai refermé ce livre de souvenirs, j’ai eu un besoin d’un moment de silence avant de rédiger mon billet. Le silence qui a essayé d’étouffer les cris de ces Arméniens spoliés de tous leurs biens, torturés, abandonnés dans le désert, assassinés puis turquifiés et oubliés.

Pourtant tous les 24 avril les Arméniens de la diaspora française défilent devant les ambassades turques pour que ce génocide soit enfin reconnu.
Le livre est un retour dans la mémoire d’une jeune femme née en France d’une famille arménienne qui s’est exilée de Turquie en 1960 . Cette plongée dans le passé se fait à travers les pièces de la maison familiale qui, à travers un objet ou une photo, lui permettent d’évoquer son enfance et la vie des membres de sa famille. Toute la difficulté de cet exercice est de confronter ses expériences personnelles suffisamment douloureuses puisqu’elle a voulu fuir à tout jamais cette maison, à celles autrement plus tragiques de la destinée des Arméniens en Turquie .
C’est un récit parfois très vivant et très gai, on aimerait participer aux réunions de famille autour de plats qui semblent si savoureux, les grand mères et les tantes qui ne parlent que le turc sont des femmes qui n’ont peur de rien. Et pourtant d’où viennent-elles ? Le blanc total de la génération d’avant 1915 plane sur toutes les mémoires. Le récit devient plus triste quand l’auteur évoque son père. Sa compréhension d’adulte n’empêche pas sa souffrance d’enfant de remonter à la surface. Cet homme a été brisé par l’exil auquel il a consenti pour assurer à ses enfants un meilleur avenir mais d’une position d’orfèvre à son compte en Turquie il est devenu employé en France. Est ce cela qui a aigri son caractère et rendu sa position de pater familias insupportable aux yeux de sa fille ?
À travers toutes les pièces de cette maison, Annaïs Demir recherche une photo de sa mère. Une photo où on la verrait dans toute sa beauté de jeune femme libre avant un mariage qui l’enfermera dans une vie faite de contraintes. Son amour pour son mari est, sans aucun doute, plus le fruit d’une obligation due aux liens combien sacrés du mariage que d’une attirance vers cet homme .
À partir de chaque détail de la vie des membres de cette grande famille, on imagine peu à peu le destin de la petite fille puis de la jeune fille qui est devenue cette écrivaine, mais on comprend surtout la tragédie du peuple Arménien qui apparaît dans toute sa violence absolument insupportable et si longtemps niée.
Un livre que je n’oublierai jamais et j’espère vous avoir donné envie de le lire.

Citations

Retour douloureux aux sources.

Je sens que je dois mettre entre parenthèses ma vie de critique d’art, mon cercle d’amis, les vernissages, les premières de ciné, les concerts, les cafés en terrasse, mes habitudes et mes passions. Renoncer à tout ce que j’ai construit seule ces dernières années pour entrer dans une antique pelisse plein d’accrocs. Une vieille peau de bête, éliminée par endroits et rugueuse à d’autres, qui me retombe sur les épaules jusqu’à m’étouffer. 
À moins qu’il ne s’agisse finalement d’une Gorgone cherchant à me pétrifier. Intense et glaçante, elle m’agrippe du regard. imperturbable, elle a déjà englouti la plupart de ceux qui l’ont habitée. Et maintenant ce serait mon tour ?

Un long passage qui me fait plaisir d’être française.

À leur arrivée en France, dans les années 60, ils ont pu respirer, n’ayant plus à dissimuler leur identité culturelle et cultuelle, ni passer leur langue sous silence comme s’il s’agissait d’une pratique honteuse. Ils n’étaient plus ces « infidèles » suspects, ces « gavours », contre lesquels on pouvait se retourner en temps voulu. Ils ne craignaient plus rien. Ils avaient le droit d’exister en tant qu’Arméniens nés en Turquie sans subir le racisme antichrétien dont ils avaient fait l’objet dans leur pays. Ils allaient devenir des citoyens français et moi, qui venais de naître en France, avant eux. Sept ans après leur départ d’Istanbul, je symbolisais le passage à une ère nouvelle. À leurs yeux, je n’avais donc pas besoin de pratiquer le turc, la langue de nos ennemis ancestraux. La langue du pays dont mes parents s’affranchissaient enfin. Un divorce tant désiré que le turc devenait automatiquement pour moi, l’enfant d’un monde libre, la langue interdite. c’était le passé. Ils avaient décidé de tout changer. Vivre en version originale. Sous-titrée dans la langue du pays qu’il s’était choisi. Ils ne s’adressaient donc à moi qu’en arménien depuis ma naissance. parce que ce que j’étais leur dernier enfant, le seul né ailleurs qu’en Turquie. Sur le territoire français et, de fait, par le droit du sol, de nationalité française. Née dans un pays où nous étions libres de vivre en paix notre vie de français d’origine arménienne. Notre culte ne regardait que nous et ne figurait pas sur nos papiers d’identité.

Les massacres d’Arméniens .

 Elle venait de Yozgat, un « vilayet » (province) du centre de l’Anatolie ou les pillages, les viols, les décapitations la hache et autres bases besognes avaient été plus virulentes encore que partout ailleurs en 1915. Le degré d’abomination dans ces exterminations massives dépendait de l’état mental et moral du Valy (représentant du sultan)qui dirigeait chacune des régions de l’empire. Et, à Yozgat, ils avaient eu affaire à l’un des plus sanguinaires de ces sadiques en bande organisée.

Les toilettes à la turque dans la cour des immeubles parisiens.

Mais lorsqu’il s’agissait de faire ses besoins, cela devenait plus compliquée. Tout se passait hors de l’appartement. Pas sur le palier mais au fond de la cour, été comme hiver. Dans des cabanons qu’on fermait avec un frêle crochet. Des toilettes « à la tourka », comme disait tante Arsiné en roulant le « r ». N’est-ce pas le summum de la tragédie que de continuer à entendre parler quotidiennement de l’ennemi ancestral, même dans les lieux d’aisances de son pays d’exil, en plein Paris ? Ironie du sort, les turcs s’illustraient là sans le moindre panache autour d’une invention aussi primitive et putride qu’un pauvre trou dans lequel le toute un chacun venait vider ses entrailles.

Sa famille.

 Je les vois même défiler sous mes yeux. De temps à autres effrayante, d’autres fois émouvante, souvent « attachiante » : voilà à quoi ressemble ma famille. Question ambiance, on a le sentiment que tout le monde s’amuse à mettre les doigts dans la prise juste pour s’entendre respirer. Cela a quelque chose à voir avec un incommensurable besoin d’affection.

Évocation de sa mère couturière .

 L’atelier, c’est là qu’elle passait le plus clair de son temps, chantant et cousant comme une Cendrillon d’Orient. pas un jour sans qu’elle ait donner de la voix ou taquiner la muse. À tel point que ses chants, que j’entends dès que j’entre dans la maison, s’intensifient dans l’atelier. Mais tous ces airs me serrent la gorge. C’est dans cette bombonne de verre qu’elle avait l’air le plus heureuse. Plutôt qu' »une chambre à soi » si chère à Virgina Wolf, cette pièce à part où chaque femme devrait pouvoir s’épanouir librement, ma mère jouissant, elle, d’un « temple de la soie » regorgeant de trésor qui me transportait d’un coup d’œil à Samarcande où Ispahan.

Le génocide.

On jalousait leurs biens on en voulait à leurs maisons, à leur terre et à l’or que les Turcs imaginaient qu’ils détenaient. Par conséquent, on les avait désarmés et délestés de ce qu’ils avaient de plus précieux. On les menait maintenant en troupeaux aux abattoirs. Pour procéder à leur lente mises à mort en toute impunité. Certains à pieds, d’autres entassés dans des wagons à bestiaux. Destination le désert de Syrie au plus fort des températures de l’Orient. Il était bien assez vaste pour étouffer leurs pleurs, leurs cris et jusqu’à leur râle ultime. Tortures, viols, assassinats, pillages, déportations et autres humiliations. des morts par centaines de milliers. Des charniers. Une déferlante de l’horreur et de sadisme s’était abattue sur les maisons arméniennes.

 

Merci aux éditions Plon

 

 

C’est un roman qui se lit très facilement mais qui pour autant ne m’a guère convaincue. C’est une sorte de fable, qui permet à l’écrivain de raconter (encore une fois) les horreurs de l’extermination des juifs.

Le personnage principal est un enfant qui décide de devenir président des États-Unis et qui rencontre un vieil homme qui perd la mémoire. Tout le roman est construit autour de ce personnage est-il un sauveur de juifs ou un allemand qui a voulu sauver sa peau en se faisant passer pour juif ? Finalement il y aura du vrai dans ces deux propositions.

J’aurais bien aimé que l’écrivain se penche sur la mémoire d’un ancien nazi qui transforme peu à peu la réalité pour pouvoir survivre à ce qu’il a fait. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit mais d’une vieille personne qui commence un Alzheimer et qui ne sais plus qui il est vraiment. En plus, il n’a pas fait que le mal et il n’était pas un acteur de l’extermination des juifs donc d’une certaine façon il peut se regarder en face, ce que quelqu’un comme Mendele devait avoir du mal à faire.

C’est un personnage de fiction, et sur le sujet de la Shoa, je suis particulièrement exigeante ; c’est sans doute, la raison pour laquelle je suis passée à côté du charme de cette histoire et j’espère que d’autres vont l’apprécier

Citation

Genre de phrases agaçantes.

La vérité sort de la bouche des enfants(…)
 Les enfants ne sont pas représentés au gouvernement, or, nous sommes concernés par les décisions qui sont prises aujourd’hui, car elles auront des conséquences demain .

 

Édition Flammarion . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

C’est un roman léger et dont la lecture si agréable nous sort un peu du monde trop violent qui est le nôtre aujourd’hui. Tout en étant léger il n’est pas pour autant superficiel. Deux histoires se rassemblent autour d’un curieux phénomène : le passage de Venus devant le soleil .

Les transits de Vénus font partie des phénomènes astronomiques prévisibles les moins fréquents et se produisent actuellement suivant une séquence qui se répète tous les 243 ans, avec des paires de transits espacés de 8 ans séparées par 121,5 puis 105,5 ans. Avant 2004, la paire de transits précédente date de décembre 1874 et décembre 1882. Le premier de la paire de transits du début du xxie siècle a eu lieu le 8 juin 2004 et le suivant a eu lieu le 6 juin 2012 . Après 2012, les prochains transits auront lieu en 2117 et 2125. selon Wikipedia .

Vénus c’est ce petit point noir sur le soleil

Guillaume Joseph Hyacinthe Jean-Baptiste Le Gentil de la Galaisière en 1760 s’embarque pour aller voir ce phénomène extraordinaire à Pondichéry. Il doit y être le 6 juin 1761. Une terrible tempête l’empêchera d’arriver à temps, il décide alors de rester à l’île Maurice, Madagascar et la Réunion pendant 8 ans pour pouvoir voir le prochain passage. En attendant, il écrit pour raconter ce qu’il voit et constitue une superbe collection de coquillages. Pour ses observations , il possède un superbe télescope objet qui émerveillera les marins et les gens qu’il rencontrera dans ses voyages.
Et voici notre deuxième personnage, Xavier agent immobilier à Paris, il retrouve cet ancien télescope dans un appartement qu’il a vendu. Il le met sur sa terrasse et observe la lune, les étoiles et sur un autre balcon une jolie parisienne dont il va tomber amoureux. Xavier est un homme de notre époque divorcé , anxieux qui se relaxe grâce à des applications sur internet . Il ne voit son fils qu’un WE à deux et il cherche des activités extraordinaires pour être bien avec lui. La jolie Alice qui a rencontré Xavier car elle recherchait un appartement travaille au musée des jardins des plantes, est taxidermique et fait revivre des animaux en les redonnant un aspect vivant.
Leur histoire sera un peu compliquée, nous ne les quitterons que pour retrouver Guillaume dans ses diverses aventures et ses rencontres avec des humains, des animaux des plantes si loin de la cour du roi Louis XVI . Nous avons quelques belles tempêtes et malheureusement la belle collection de coquillages sera sacrifiée pour sauver le bateau du retour. A son retour en France tout le monde l’ayant cru mort, il a perdu sa place à l’académie des sciences et sa famille s’est partagée son héritage.

On est bien avec les différents personnages même si quand on sort du livre, on se dit que le monde n’est pas aussi gentil que celui que nous décrit Antoine Laurain. Il a su nous faire revivre un astronaute bien oublié et nous faire partager une romance à laquelle on a envie de croire.

 

Citations

Présentation de Xavier.

 Il semblait à Xavier que sa vie avait en quelque sorte dérapée à un moment et il avait du mal à situer précisément ce moment. Souvent, il se sentait comme un célibataire sans avenir, qui vendait aux autres, plein d’entrain et de ressources, des appartements pour y construire une vie -autant de projets qui ne lui paraissaient plus à sa portée. 
Rien est vraiment compliqué. Ce que vous percevez comme difficile sont le plus souvent des constructions mentales. Vous ajoutez une couche d’angoisse dont vous n’avez nul besoin et qui est improductive. 

Les plages de l’île Maurice par rapport à la manche.

 Du bleu et de la lumière. Tout était bleu, l’eau était aussi immobile que le ciel. Jamais il n’avait vu d’autre plage que celle de la Manche, où il se rendait enfants et adolescents avec la famille. Des dunes avec des mottes d’herbe éparses balayées par le vent puis l’immensité de la mer. Le plus souvent, sa couleur était bleu foncé teintée de kaki et des rouleaux menaçaient ceux qui s’approchait et n’étaient pas marin. L’eau se retirait sur des kilomètres, et il fallait marcher longtemps sur les bosses du sable humide et dans les petits étangs de vases avant d’arriver au bord de la mer qui était en général glacée sur les pieds.

Une idée du bonheur.

 Bruno devait vivre le rêve d’une nouvelle vie en Dordogne, passer de belles journée en famille, pleines de projets pour ses chambres d’hôtes, et échanger avec Charlotte, sa femme, sur les couleurs du papier peint d’une future pièce ou encore sur l’agencement d’une rocaille dans le par paysagé. Oui, Bruno avait fait le bon choix  : il avait quitté la ville, avec ses voitures qui se reproduisaient comme des cafards, selon son expression. Il devait vivre tous les jours comme dans ses publications familiales des années 1980 dans lesquels le père et la mère retrouvaient leurs enfants le matin au petit déjeuner, dans la cour d’une belle maison ensoleillée pour partager chocolat chaud et café brûlant en éclatant de rire. En général ces spots vantaient une marque de chicorée ou des assurances ;

J’adore la fin.

 Le prochain transit de Vénus aura lieu en 2117. Soit dans quatre vingt quinze années. Vous, qui lisez ces lignes, ne serez plus là. Et moi non plus. Comme guillaume nous rateront ce rendez-vous. Mais ce n’est pas grave. Nous sommes ici. Maintenant. J’écris. Vous lisez. 
Nous respirons. 
Nous sommes vivants. 
Tout va bien.