Édition Calmann Levy Read More →
Merci aux éditions Seuil et à Babelio d’avoir sollicité mon avis sur ce roman. Il m’a permis de passer un bon moment de lecture.
Nous sommes dans un commissariat de police et trois femmes vont devoir répondre à des questions de policiers que nous n’entendrons jamais. Elles sont toutes les trois interrogées car depuis deux ans, Thomas, le mari de Claire a disparu. Hélène et Joan sont ses amies. Nous devons d’abord comprendre pourquoi Claire n’a pas prévenu avant de la disparition de son mari. Elle, son mari et ses deux amies se sont connues à l’université, seule Claire s’est mariée, et après avoir été professeure, elle a repris les vignes de ses parents. Hélène a été aussi professeure, mais elle a voulu vivre du théâtre et disons pour faire simple qu’elle vit surtout des charmes de son corps. Joan est d’origine américaine et veut vivre en France sans avoir les bons papiers. Au fil des interrogatoires le destin de ces trois femmes se construit dans la France contemporaine, et dévoile peu à peu la personnalité de Thomas. Ensemble, elles décident de se retrouver dans un ailleurs genre ZAD qu’elles appellent « la commune ». Elles ont besoin d’argent et il devient donc urgent que Claire divorce de ce fantôme encombrant pour récupérer l’argent de sa ferme et l’investir dans la « commune ». Voilà pourquoi elle vient aujourd’hui parler de la disparition de son mari. Deux ans après.
On découvre peu à peu une autre Thomas sur lequel, visiblement, la police en sait beaucoup plus que Claire, sa femme. Hélène détient une part de la vérité mais si peu finalement.
L’intérêt du roman ne tient pas qu’à cette seule enquête mais aux trois destins de ces femmes. Tout n’est pas complètement expliqué en ce qui concerne Thomas et sa disparition, il y a aussi un côté science fiction dans ce qui est raconté comme une catastrophe écologique « le jour de l’Oural », cela ne m’a pas empêchée d’adhérer au récit . Mais ce qui m’a gênée c’est le côté solution dans le retour à la nature dans une communauté genre années 60, pour moi, c’est la preuve d’un militantisme dépassé, et qui hélas n’a jamais fait ses preuves, même si parfois il y a des exemples de réussite. Et, au cours du récit, il y a un petit côté générosité de gauche que je trouve facile. Le propriétaire de Joan un gros bourgeois qui loue la chambre de bonne au noir et qui la mettra à la porte sans aucun remords, la famille bourgeoise qui a adopté un petit enfant asiatique qui sert de jouet et de souffre-douleur à leur fils odieux. Cela me semble des passages obligés pour faire accepter la solution du retour aux vraies valeurs de partage dans la nature.
Citations
Premier interrogatoire de Claire.
Le détail qui me rassurait dans les heures qui ont suivi le départ de mon mari, c’est qu’il n’avait pas pris ses affaires. Je veux dire tout était resté dans le dressing. Ses vêtements, ses valises. Il n’avait pas préparé un déménagement. Il était parti avec son portefeuille et son téléphone. Avec toutes ses absences depuis des mois, j’avais commencé à imaginer des histoires. J’ai pensé à toutes les hypothèses, comme vous le faites, là. Sauf que, et là je vais peut-être vous surprendre, c’est que ça ne me gênait pas outre mesure. C’est agréable aussi d’être seule. Non, là j’enjolive les choses. Ça fait longtemps qu’il est parti, c’est pour ça. il ne reviendra pas, on est d’accord. Vous le pensez aussi ? C’est quoi la statistique ? Il n’y a pas de statistique ?
Est-ce le COVID qui a fait penser à l’auteure au « Jour de l’Oural » ?
C’est comme avec le Jour de l’Oural. Quand les pluies ont commencé, le chiffre des morts nous tétanisaient. Mais on s’habitue à tout. Vous vous rappelez, toutes les conneries qu’on se disait pour se rassurer ? Que les masses d’air chaud étaient repoussées par le Gulf Stream ? On s’habitue à la menace permanente, on s’habitue à l’idée de la mort, c’est un long apprentissage mais ça vient. Pendant longtemps, ça nous a semblé lointain abstrait. Ces pluies touchaient des territoires qui nous apparaissaient éloignés comme si on ne vivait pas sur la même planète, comme si nous n’étions pas reliés par le même univers. Le drame était obscure. Quand les contaminations reprenaient ici et là dans les cours d’eau et sans raison apparente, je sentais que, Léo et Hortense se crispations. Ils avaient été particulièrement impressionnés par les Italiens train de pomper les dernières réserves d’eau douce. Vous vous rappelez ces images ? Après quelques semaines la pluie la brume la neige redescendaient sous des seuils supportable. Alors les activités reprenaient, jusqu’à la pénurie complète à laquelle on est arrivés.
Les couples.
Les gens sont rarement seuls. Il y a toujours quelqu’un qui vous suit où vous précède, dans le secret des souvenirs. J’ai toujours cru que les couples, tous les couples fonctionnaient ainsi. Ceux qui se tiennent par la main sont épaulés par d’autres, à leur gauche, à leur droite ; ils avancent parmi une foule de fantômes qui se frôlent.
lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Quand demain reviendra la lumière….
Ce roman raconte une journée très particulière dans la vie du narrateur : il est seul chez lui car il doit aller chercher sa femme et son fils nouveau né à la maternité. Il va devenir père et il se sent complètement bouleversé par ce changement de statut. Saura-t-il transmettre à cet enfant le lourd passé de sa famille à jamais marqué par la Shoa ? Se mêlent alors pour lui son enfance et ses jeux qui tournaient souvent autour de cette tante mythique Rosa, rescapée d’Auschwitz , la dernière encore en vie, qui a fui l’Europe pour monter un cabaret en plein désert. Cette femme a décidé de raconter dans un spectacle incroyable ses souvenirs et terminer par une litanie de noms de toutes les femmes qui sont mortes devant ses yeux.
Samuel son petit neveu a été élevé dans une famille qui ne pouvait pas parler car ils étaient trop malheureux, il dit dans son récit que ces silences l’ont névrosé. Il décrit cette journée où il va accueillir, dans sa maison, son bébé et sa femme, avec une délicatesse qui m’a émue et pourtant, ce qu’il raconte est parfois insoutenable, et il dit avec ses mots et ses difficultés de vivre combien la Shoah a marqué les générations suivantes, victimes ou pas, les survivants traînent en eux une culpabilité qu’ils ont transmise à leurs enfants et petits-enfants.
Un très beau texte, très émouvant.
Citations
Des souvenirs douloureux.
Derrière la porte rouge qui s’ouvre sur son sanctuaire, parmi les statuettes, les habits en lambeaux et les pierres couleur brique, se trouvent deux gamelles de métal. La sienne, qui lui a permis de s’accrocher au jour, marquée d’une infinie culpabilité. D’avoir volé, de n’avoir pas partagé, d’avoir piétiné des corps pour survivre.
Promesse à son bébé .
Quand demain reviendra la lumière, que nous entrerons dans l’appartement pour la première fois tous les trois, je lui raconterais. Il y aura les berceuses, les histoires récitées d’une voix grave, et puis la Shoah. Il faudra que je trouve les mots qu’on ne m’a pas dits, car c’est le silence qui a semé en moi toutes ses névroses -pas les atrocités de l’histoire.
L’indicible .
Rosa était frigorifiée mais elle sentait qu’il n’avait pas le droit de trembler, son corps devait cacher ses faiblesses. Seule de sa main gauche avait du mal à résister, elle cherchait l’appui d’une paume maternelle. Son index avait commencé à bouger, d’abord lentement puis, comme pris de palpitations, il s’était mis à taper contre le pouce sans parvenir à s’arrêter, cet index gauche qui menaçait la dénoncer. Alors Jania avait saisi sa main -une femme sans âge, sans cheveux à qui ont aurait donné cinquante alors qu’elle n ‘en avait pas plus de trente. Rosa ne connaissait pas son prénom, elle ne savait rien d’elle mais toute les deux ressentiraient bientôt les douleurs insondables. Elles respireraient côte-à-côte l’odeur du génocide et scelleraient leur mémoire dans une gamelle.
Le passé.
Qui sommes-nous quand les aînés ne sont plus là pour désigner le passé ? L’angoisse grandit à mesure que les jours passent, le décomptes des derniers rescapés comme au moment de l’appel matinal, dans les camps. J’entends les prénoms, les noms, les numéros. Des aboiements d’un autre temps qui se mêlent aux souvenirs et à l’angoisse. Au moment où la dernière voix s’éteindra, nous serons livrés aux obscurité.
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
J’ai commencé ce roman en étant attirée par le lyrisme de la langue puis je l’ai lu en diagonale car je ne supportais plus l’accumulation des horreurs qui y est décrite.
Le style de cet écrivain est très particulier, j’ai lu sur plusieurs blogs que certains le considèrent comme un très grand de la littérature contemporaine. Il se lit facilement et sa langue très lyrique nous emporte. Malgré l’absence de point et de majuscule – je me demande quelle est l’utilité de ces procédés !- chaque paragraphe est une unité de sens et on comprend très bien les propos de l’auteur.
Il s’agit de la colonisation française au XIX° siècle, les deux voix de l’horreur sont celles de colons incapables de s’adapter aux conditions de vie en Algérie et qui mourront tous du choléra sauf une femme, la deuxième est celle de soldats qui, violent et assassinent femmes et enfants dans des bains de sang tous plus horribles les uns que les autres.
C’est sans aucune nuances, c’est juste insupportable, mais c’est sans doute ce que mérite la colonisation. Je préfère (et de loin) lire des livres d’historiens qu’un long texte lyrique dont la force vient de l’accumulation des crimes, des viols, des morts du choléra et surtout du racisme le plus primaire ….
Citations
Angoisse des arrivants
mais je savais bien qu’Henry ne dormait pas, j’imaginais qu’il avait comme moi les yeux grands ouverts et qu’il commençait à se poser les questions que j’avais posées tant de fois avant de partir, des questions qu’il n’écoutait pas à l’époque, des questions qu’il balayait d’un revers de main parce que c’était pour lui des questions de bonne femme, et que ce n’était pas avec des questions de bonne femme qu’on allait de l’avant, mille dieux non ! s’exclamait-il en lissant sa moustaches qu’il avait drue et pas toujours aimable
La justice.
et en moi même je me disais que la justice était un mot inventé par les riches pour calmer la colère des pauvres, mais que tout bien réfléchi ça n’existait pas la justice, qu’il fallait apprendre à vivre sans elle et accepter le sort que Dieu réserve à tout être humain qui pose le pied sur la terre
J’ai choisi ce livre à la médiathèque car je ne connaissais pas du tout Felix Kersten, et savoir qu’il avait été le thérapeute d’Himmler et avait réussi à arracher d’une mort certaine au moins 100 000 personnes dont un 60 000 juifs, m’a donné envie d’en savoir beaucoup plus.
Je lis beaucoup de livres sur la deuxième guerre mondiale, en particulier sur la Shoa et savoir qu’un homme a fait le bien au milieu de cette bande d’assassins m’a fait plaisir. Seulement voilà, il faut quand même se plonger dans la vie des dirigeants crapuleux Nazis, et, c’est particulièrement pénible à lire.
Si, comme moi, vous ne connaissez pas Felix Kersten, je vous raconte rapidement son destin extraordinaire. Cet homme est masseur kinésithérapeute et a été formé par un spécialiste chinois. Il est d’origine finlandaise exerce en Hollande. Il se trouve qu’il est très doué et soigne des gens très connus et un jour, il est appelé pour soigner Himmler. Lui même est un anti Nazi convaincu et il décide très vite de n’accepter aucune rétribution de ce chef nazi mais d’obtenir de lui la libération de gens dont des résistants de différents pays nordiques lui donnent les noms. Cela permet à l’auteur de décrire les luttes entre les différents chef Nazis et de cerner au plus près la personnalité d’Himmler Comme il est le seul à pouvoir calmer les douleurs insupportables d’Himmler, il arrive à obtenir ce qu’il lui demande. À la fin de la guerre, il mène des actions héroïques pour sauver les juifs qui étaient encore en vie dans les camps de concentration. Il faudra du temps pour que toute l’étendue de ses actions soient mises en lumière, surtout en Suède où des personnages importants veulent apparaître comme ayant fait eux mêmes ces actions glorieuses et ne veulent absolument pas reconnaître ce qu’ils doivent à Félix Kersten.
Un livre intéressant, mais qui m’a plombé le moral même si cette fois, je n’étais pas du côté des victimes, ils sont quand même là tous ces millions morts, derrière toutes les élucubrations de ces nazis si convaincus d’avoir raison de débarrasser la terre des juifs et des sous hommes en menant des guerres de plus en plus terribles pour les allemands mais aussi pour les populations qui essayaient de leur résister.
Citations
Et dire que cette bande crapules qui a été responsable des millions de morts .
Dans la capitale allemande, ses patients, devenus pour la plupart de fidèles amis, lui racontent tout ce qui se murmure dans les milieux d’affaires berlinois : Joachim von Ribbentrop, le nouveau ministre des affaires étrangères dont la suffisance n’a d’égale que l’incompétence, veut entraîner le Führer dans une guerre contre L’Angleterre, le maréchal Goering, morphinomane ventripotent et maître du plan quadriennal, cherche à monopoliser l’ensemble de l’industrie allemande au service d’un réarmement à outrance ; Joseph Goebbels, nain venimeux, orateur fanatique et premiers satyre du Reich est l’organisateur des pires débordements du régime depuis l’incendie du Reichstag jusqu’à la Nuit de cristal ; le Reichleiter Robert Ley, chef hautement alcoolisé de l’Abeitsfront, à érigé La corruption en industrie à outrance. Pourtant, c’est l’ancien ingénieur agronome et éleveur de poulet Henri h Himmler, Reichführer SS et chef de la police allemande qui reste l’homme le plus redouté d’Allemagne -et à juste titre ses 280 SS ont constitué la première garde rapprochée du Führer ….
Quand on cite des propos j’aime bien savoir s’ils sont historiques ou non . L’esprit y est certainement : Paroles d Himmler
Ce n’est pas l’Angleterre décente qui nous a déclaré la guerre, c’est celle des juifs anglais. Voilà ce qui rassure le Führer. Malgré tout, l’Angleterre va souffrir de cette guerre ; le Führer est fermement résolu à laisser la Luftwaffe éradiquer ville après ville, jusqu’à ce que les bons éléments en Angleterre comprennent à quoi les juifs ont mené leur pays. Lorsqu’ils demanderont l’arrêt des hostilités, ils se verront accorder une paix généreuse en contrepartie de la livraison de tous leurs juifs à l’Allemagne. C’est fait, l’Allemagne en arrivera à donner à l’Angleterre la place qui lui revient dans le monde. Les Anglais étant des Germains, le Führer les traitera en frères.
Un nid de scorpions.
Himmler conservait donc un épais dossier contenant des pièces compromettantes pour son subordonné Heydrich, qui en avait lui-même constitué un de même nature sur son chef Himmler. C’est ce qui explique, dès le décès de Heydrich, le Reichsführer se soit précipité à son chevet pour récupérer les clés de son coffre ! Il ne faut jamais l’oublier : nous sommes au beau milieu d’un nid de scorpions.
lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Un des avantages du club de lecture de Dinard (et ce n’est le seul) c’est de chercher des titres dans les romans français, enfin surtout pour les nouveautés et cela me change un peu des auteurs étrangers.
Ce livre est un petit bijou tout en délicatesse et pourtant … Pourtant il traite d’un des sujets qui me révolte le plus, et je ne dois pas être la seule ! Les souffrances infligées aux enfants dans des institutions censées les protéger. Dans le genre le Canada doit être en première ligne avec le sort réservé aux enfants indiens arrachés à leurs familles pour les ré »éduquer » dans dans des maisons qui ont été pour nombre d’entre eux l’antichambre du cimetière. L’Irlande n’est pas mal non plus et voilà que nous sommes dans un endroit que j’adore : Jersey et les îles anglo-normandes. D’ailleurs on y parle de Serk et des Écrehous qui sont parmi les plus jolies îles que j’ai vues. Mais loin de ce tourisme ou de l’évasion fiscal, Jersey a eu son orphelinat à la tête duquel un directeur pervers à régner. Le malheur pour ces enfants c’est que l’île est loin de tout et qu’il a fallu bien du temps pour que les langues se délient. D’ailleurs les habitants de l’île ne veulent toujours pas parler de cette affaire bien réelle hélas ! La romancière a imaginé des personnages qui semblent tellement vrais, si eux n’ont pas existé leurs sosies ont bien souffert de tous les maux qu’elle nous décrit. Lily est une petite fille de 8 ans, et elle arrive à survivre dans cet enfer car elle aime les oiseaux et la nature mais le petit qu’elle protège (je peux dire sans divulgâcher que c’est son petit frère) lui n’a que quatre ans et ne peut pas se protéger. La fin est tragique, je vous laisse deviner. La narratrice du roman est une femme de 60 ans qui veut faire toute la lumière sur ce qui s’est passé car cela la concerne de près. Il y a aussi un personnage qui lui a existé : il vivait un peu en marge de la société et a été accusé de crimes à connotation sexuelle, il était innocent et on découvrira plus tard que le vrai coupable était employé à l’orphelinat c’est lui en particulier qui faisait le père Noël … Cet homme dégouté par ses concitoyens se réfugiera au Écrehous et se déclarera roi de ces îles. Vous pourrez vous renseigner sur lui dans cet article ce fait divers n’est vraiment pas à la gloire des habitants de l’île, c’est le moins qu’on puisse dire ! !
La si belle île de Jersey s’est refermée sur son silence et la narratrice n’apprendra pas grand chose d’autre que ce que l’enquête officielle n’avait découvert.
Comme je le disais au début un livre d’une délicatesse étonnante pour un sujet sordide . Bravo Maud Simonnot !
Citations
Les iliens.
Les mimosas étaient en fleur et leur jaune d’or apportait une couleur de plus à une incroyable palette des végétaux qui se détachaient sur le bleu céruléen de l’eau. En temps normal j’aurais été séduite par la beauté de ce spectacle marin, mais depuis quelques jours je percevais la mer différemment : c’est elle qui avait permis à ces gens de vivre en paix avec leurs secrets et qui leur conférait cette arrogance. Coupés du reste du monde par l’immensité d’eau ils étaient entre eux.
La beauté mais aussi la prison .
Après avoir longé le Trou du Diable, je m’approchais des bruyères bordant la falaise pour contempler la silhouette de la petite ils de Serk, aux contours indigo rendu flou par la brume comme ceux d’un royaumes disparu. J’avais toujours vu dans les îles de merveilleuses terres de liberté, pour Lily ça avait signifié l’inverse : il était doublement impossible de s’échapper de l’orphelinat puis de Jersey. Son purgatoire était une île dans l’île, une prison dans la prison…
C’est très triste.
L’environnement qui avait permis autant de crimes, cette culture locale du silence, était presque aussi terrible que les personnes mêmes qui les avaient perpétrés. Parce que ces enfants étaient orphelins, pauvres, inoffensifs, il avait été facile de détourner le regard. Et même si, après une très longue procédure, la commission d’enquête avait fini par conclure en 2017 que « sans l’ombre d’un doute un nombre important d’enfants pris en charge par les autorités de l’île avait été victimes de violences physiques et sexuelles et de négligence émotionnelle ». Pour ces enfants il n’y aurait jamais ni justice ni consolation.
lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
J’avais eu des réserves sur un précédent roman « Kinderzimmer » de la même auteure. Celui-là est très beau, il décrit la vie d’un jeune parisien Vadim dont le père est russe et juif, nous sommes en 1943, et qui est envoyé en montagne pour officiellement soigner son asthme sous l’identité de Vincent Dorselle.
Cet enfant n’a jamais quitté Paris et son regard tout neuf sur la montagne est parfaitement raconté : il est absolument émerveillé. Il va vivre tant de premières fois dans ce cadre qui l’enchante. Mais derrière son bonheur d’être Vincent se cache la douleur de Vadim qui a si peur pour ses parents restés à Paris. Ce livre est un hymne à la montagne et aux gens simples qui ont réussi à rendre Vincent heureux et à lui sauver la vie. Tous les travaux des montagnards sont décrits et dans ce village en hauteur tout est très compliqué et demande des efforts continuels pour de bien faibles rendements. On prend un bol d’air vivifiant grâce au talent de cette écrivaine et pourtant les drames ne sont pas absents du récit, ils sont comme étouffés par une nature tellement plus belle que la souffrance humaine causée par la guerre et les percussions nazies.
Tout ce qui est triste et pour lui dramatique est raconté du point de vue de l’enfant qui n’a pas toutes les clés pour comprendre la férocité des destins de ceux qui comme lui sont juifs.
Son amitié pour Moinette, une petite fille de son âge, qui l’initie à tout ce qu’un enfant doit savoir sur le monde des paysans de la montagne le réconforte même si un moment son aventure avec une Olga plus délurée met une ombre entre eux.
Ma seule réserve pour ce beau roman, vient de l’accumulation des mots que j’ai dû chercher dans le dictionnaire, au début je recevais ces mots comme des cadeaux mais vers la fin du roman le procédé m’a un peu détaché du récit.
J’avais un peu oublié « kinderzimmer » que je n’avais pas du tout apprécié !
Citations
La première fois !
Il sent que ce n’est pas à la hauteur de ce qu’éprouve le garçon et sans doute il l’envie un peu, ce gosse, qui comme lui a perdu son premier pas, sa première syllabe, son premiers biscuits, mais à douze ans, n’oubliera pas sa première montagne. À le voir bras ballants, bouche béante, yeux écarquillés, il sait que son anxiété de la vieille a cédé à une sorte d’enchantement.
Le danger du village relié au monde.
Maintenant Vallorcine, est relié au dehors. À Chamonix. À paris. Et soudain ça lui vient : aux Allemands. Les Allemands ont des voitures, chuchotent les chauves-souris. Du carburant. Des chars. Ils ont traversé les Ardennes, plié sous leurs chenilles une forteresse végétale rien ne les empêche de grimper une route de montagne où l’hiver s’est un peu attardé.
Le « plaisir » des mots .
Pinson, dit Martin. Astrance, vanesse. Linaigrette, athyrium, bergeronette, traquet. Il joue à brouiller les pistes, balance des mots au hasard que Vincent ne peut pas comprendre et qu’il transforme inlassablement en printemps : péristyle, nyctalope, nimbus.
Édition Payot

C’est compliqué d’expliquer quand un roman, avec des aspects qui auraient pu me plaire, ne prend pas, je pense que tout vient du style de l’écrivaine : trop rapide et trop facile sans doute.
Je dois lui reconnaître une qualité à ce roman … depuis cette lecture je « ré » écoute Césaria Évoria
Citations
Un début qui m’a plu
Le 27 août 1941, donc, Mamé naissait à São Miguel, dans le nord de l’île de Santiago, tandis que Cesaria Évoria venait au monde à Mindelo sur l’île de São Vicente. Un hasard amusant qui fut cependant sans incidence puisque, de comment elles n’eurent pas grand chose si ce n’est cette date, ce pays et une volonté farouche de sortir du commun. Toujours est-il que des deux vous n’avez entendu parler que de la seconde(…) Vous ignorez peut-être qu’à sa mort trois jours de deuil furent décrétés au Cap Vert, et un aéroport fut rebaptisée à son nom. C’est bien vous avez écouté la chanteuse grâce à qui un pays s’est fait entendre, mais dès lors que vous n’avez pas connu ma grand-mère, ce n’est pas tout.
Une lignée de femmes.
Alors si ma mère avait su que dans ma chambre j’écoutais du piano, si elle avait su qu’après l’école je faisais semblant de rester plus longtemps à l’étude pour pouvoir m’attarder dans la salle de musique, là, elle aurait paniqué à raison. Mais je ne pouvais pas le lui dire. Je venais d’une lignée de femmes auxquelles on avait dit que le rêve était un luxe à la portée des gens qui en ont les moyens. Je n’avais pas le droit. Vouloir être artiste était insensé, cela n’était pas pour nous. nous qui ne possédions pas grand chose. Il fallait trouver un vrai travail, avec un salaire à la fin du mois.

Citations
L’alcoolisme en Russie.
Il s’agissait d’une bouteille de Boyarychnik, une préparation à base d’aubépine dont on se servait normalement comme huile de bain. Mais en Russie, tout le monde savait que l’huile d’aubépine, c’était la roue de secours du poivrot : même quand les magasins et les bars étaient fermés on en trouvait dans des distributeurs automatiques en pleine rue. Elle cumulant trois avantages non négligeables : elle contenait jusqu’à 90 % d’alcool, était facile à trouver parce qu’elle ne subissait pas les restrictions qui s’appliquaient aux spiritueux et son prix était dérisoire, à peine une poignée de roubles. Et en prime c’était moins dégueulasse que l’eau de Cologne, et moins dangereux que l’antigel.
Russe ou Ukrainien.
Je suis né soviétique. La Russie c’est mon pays. L’Ukraine aussi. Choisir entre les deux, ce serait comme choisir entre mon père et ma mère.
Tchernobyl
Avec amertume, il se dit que le monde se souvenait de dictateurs, de joueurs de foot brésiliens et des artistes peignant des carrés blancs sur fond blanc et que personne ne pouvait donner le nom d’un seul de ces hommes qui avaient sauvé l’Europe d’un cataclysme nucléaire sans précédent. Qui connaissait Alexei Annenko, Valeri Bespalov et Boris Baranof ? Qui savait qu’ils s’étaient portés volontaires pour plonger dans le bassin inondé sous le réacteur 4, pour activer ses pompes et le vider de son eau avant que le cœur en fusion de l’atteigne ? Qui savait que si le magma d’uranium et de graphite s’était déversé dans le bassin, il se serait produit une explosion de plusieurs mégatonnes qui aurait rendu inhabitable une bonne partie de l’Europe ?
Qui le savait ?
Édition Buchet Chastel
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Un roman très léger et hélas trop convenu en tout cas pour moi.Un artiste peintre se retrouve à Rome, il est lassé par la vie parisienne et même s’il connaît un succès certain, il aspire à autre chose. Il s’installe à la terrasse d’un petit restaurant, sur la place du Campo De ‘Fiori sous le regard de la statue de Bruno Giordano. Il s’installe avec un jeu d’échec et plusieurs joueurs viennent jouer avec lui. Un soir une jolie femme Marya lui propose de jouer et il perd. Une histoire d’amour va se tisser entre eux où les échecs joueront un grand rôle .
Tout l’intérêt du roman vient de l’entrelacs des histoires, celle de Bruno Giordano qui fut brûlé sur cette même place pour avoir voulu imposer ses idées et avoir pensé que le soleil n’était sans doute pas unique dans l’univers, celle de Gaspard qui fait tout pour séduire Marya parfois maladroitement, avec en toile de fond la réalité du monde de l’art parisien, l’histoire de Marya petite fille d’un grand champion d’échec mort à Auschwitz, la puissance des jeux d’échec, la mémoire de la shoa , et puis l’histoire d’un coup de foudre que Gaspard voudrait pouvoir prolonger plus longtemps que ces trois jours merveilleux à Rome.
Une histoire d’amour qui m’a semblé très conventionnelle avec son passage obligé : la scène de sexe torride, dans une ville bien décrite. Rome se prête bien aux histoires d’amour. J’ai un peu de mal avec certains dialogues du style « il fait » « comme ça, je dis » j’ai du mal à comprendre pourquoi l’auteur utilise cette façon de s’exprimer . Voilà pourquoi, je trouve ce roman trop léger je dirai même un peu superflu, je suis loin de ce que j’avais tant aimé dans « L’incendie »
Citations
le style qui m’étonne
Je lui propose une revanche. Oui, avec plaisir fait l’homme. Même si j’ai l’impression que j’aurai du mal à vous donner du fil à retordre.
On cause un peu en réinstallant les pièces. Il me demande d’où je viens. De France, je dis. Paris. Ah, il fait en tout cas vous parlez un bon italien.
Statue de Bruno Giordano, moi aussi « ce genre de gars me fascine ».
Moi, j’y peux rien, ce genre de gars, ça me fascine, continue le cuistot. Des gars qui pensent comme ça leur chantent et qui défendent leurs idées jusqu’au bout. Quitte à y laisser leur peau. Putain, c’est quelque chose quand même. Vous trouvez pas ?Sur que c’est quelque chose.Et c’était pas un illuminé, faut pas s’y tromper. Le gars, il savait tout sur tout. Les maths, la physique, la philo, ça le connaissait. Et j’en passe. C’était une pointure. En plus, il paraît qu’il avait une mémoire incroyable.La date un 1889, c’est celle de l’installation de la statue ?Ouais c’est bien ça des intellos de l’époque qu’ont décidé ça. Des libres penseurs. Des francs-maçons aussi. Ç’a pas été une mince affaire, je crois bien. Le Vatican a fait la gueule.